Leïla et la baleine bleue
Transcription
Leïla et la baleine bleue
Leïla et la baleine de Jean-pierre Idatte De tous les chasseurs de baleines, il était le plus grand, de tous le plus adroit, et le plus courageux. Lorsqu'il partait en mer, aucune baleine, jamais, ne lui échappait, non, jamais... jusqu'à ce jour de la fin d'un été, lorsque tout seul et sans capture, au port il est rentré. Il avait vu, dit-il une baleine bleue. Il l'avait entendue qui chantait sur la mer. Le chant était si beau, la baleine si belle, qu'il n'avait pu lever ses harpons et frapper. Et depuis ce jour-là, jamais plus il ne chasse. Car la baleine bleue, dit-il, est son amie... Et depuis ce jour-là, au village, on ricane. Personne ne le croit. On se moque de lui. C'était un vieil homme, maintenant. Depuis longtemps déjà, en mer il ne part plus. Mais sur la digue basse, chaque jour, il retourne, pour voir encore une fois la baleine si belle. Chaque jour, il l'appelle et veut chanter comme elle. Mais sa voix est usée, trop faible pour chanter. Et la baleine bleue, non, jamais ne l'entend et jamais n'apparaît. Aujourd'hui cependant, il entend une voix légère, et que le vent disperse. C'est Leïla qui murmure, assise au bord de l'eau. - Ta voix est douce, petite fille, lui dit le vieil homme. Ta voix est claire. Ecoute le chant de la baleine que j'ai entendu sur la mer. Si tu chantes, la baleine te répondra. Si tu le chantes, elle s'approchera et tu deviendras son amie. Alors, Leïla écoute le chant qu'à son oreille le vieil homme chuchote. Puis, sur la digue, Leïla chante. Elle chante bien clair le chant de la baleine, et de loin sur la mer, la baleine répond. De très loin la baleine apparaît, toute bleue, puis s'approche, confiante. Tout au bord de la digue, la baleine s'avance. Et la voix de Leïla la charme tant et tant qu'aussitôt, sur son dos, elle invite l'enfant. Et sur la pleine mer, soulevées par la houle, les deux amies bondissent. Et sur la mer, caressées par le vent, chantent les deux amies. Et puis, tout doucement, la baleine revient déposer Leïla auprès du vieil homme. Enfin, elle s'écarte et glisse au fond de l'eau. Mais, caché sur la digue, le dernier des chasseurs, des chasseurs de baleines, les épie, les surveille. Car il a entendu la petite fille chanter. Il a vu la baleine, confiante, s'approcher. Alors, le dernier des chasseurs attrape Leïla, la retient et lui parle. Lui aussi aimerait voir de près la baleine, l'admirer toute bleue, la sentir toute proche. Mais il ne peut chanter. Il ne peut l'appeler. Car sa voix est trop dure. C'est la voix d'un chasseur. Pourtant, il aimerait la voir de près, tout près, afin de devenir son ami, lui aussi... Voilà tout ce que dit le dernier des chasseurs. Hélàs, Leïla le croit. Tout au bord de la digue, elle va et puis chante. Elle chante bien claire le chant de la baleine, et de loin sur la mer, la baleine répond. De très loin la baleine apparaît, toute bleue, puis s'approche, confiante... Soudain sorti de l'ombre, le dernier des chasseurs, alors, tend ses harpons. Avec force il les lance, et la baleine bleue par trois fois est touchée, par trois fois est blessée. Brulée par la douleur, la baleine se tord, se retourne et s'enfuit. Dans le fracas des flots, elle s'enfonce dans l'eau. Aussitôt, le vieil homme accourt près de Leïla. En mer elle veut partir, toute seule et fragile, rejoindre son amie, la soigner, la sauver. Pour l'aider à sauver la baleine blessée, aujourd'hui, le vieil homme va reprendre la mer et conduire au grand large son amie Leïla. Mais là-bas, au grand large, la tempête se lève. Le vent qui hurle et l'eau qui gronde étouffent dans le bruit le chant doux de Leïla. Et la baleine n'entend pas la voix claire et confiante. Mais là-bas, au grand large, tout le ciel s'assombrit. Et, dans l'obscurité, la baleine épuisée a les yeux tout troublés. Sur la barque, elle croit voir le dernier des chasseurs qui vient pour achever son travail de tueur. Poussée par la colère, alors d'un coup de queue, la baleine renverse la barque légère. Elle la fait rouler dans la vague écumante, et aperçoit trop tard... le vieil homme et Leïla. Dans sa gueule aussitôt, la baleine les recueille. Avec soin elle les porte au plus proche rivage, sur une île tranquille, au milieu de la mer. Là, sur l'île tranquille, Leïla, de sa voix claire, apaise la baleine. Là, sur l'île tranquille, doucement le vieil homme retire les harpons. Et la baleine soulagée enfin sourit à ses amis. Mais il faut quitter l'île et retourner au port. Sur la digue, aujourd'hui, on est émerveillé, car tout le monde entend le chant de la baleine. Tout le monde la voit, toute bleue et très belle, qui porte sur son dos le vieil homme et Leïla. Au village à présent, jamais, non, plus jamais on ne se moquera. Au village à présent, jamais, non, plus jamais personne ne chassera.