ECOLO est-il de gauche

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ECOLO est-il de gauche
ECOLO EST-IL DE GAUCHE ?
>PIERRE JONCKHEER
Vice-président du Groupe des Verts au Parlement Européen,
co-directeur de la revue Etopia
[email protected]
Lors d’un récent colloque organisé par la revue Politique à
Bruxelles, la question était posée : « Ecolo est-il (bien) de gauche ? ». La question s’accompagnait d’autres interrogations plus
larges : « l’écologie politique (en Europe) est-elle « transpolitique » ? ». La question me fait sourire et m’irrite à la fois : cette
sempiternelle ritournelle qui revient ; toujours cette exigence
de devoir se définir simplement, sous un regard par ailleurs
soupçonneux car la question est bien entendu posée par des
militants « de gauche ». Mais de quelle gauche parle-t-on ?
C’est sans doute la première question qu’il faut clarifier.
Droite/Gauche : mise en scène d’une politique commune ?
Au risque de simplifier, je dirais que l’on peut distinguer une
gauche de gouvernement - comme l’est le PS - et une gauche alternative. Dans les années 90, il y a eu pas mal de propositions
parmi les partis socialistes autour de la « troisième voie » ou du
« nouveau centre » (Blair/Schröder). Fondamentalement il s’agit
de conduire une politique économique et sociale d’adaptation à la
nouvelle donne de l’économie mondiale. Sur le plan européen, cette politique se concrétise par la « Stratégie de Lisbonne », décidée
en 2000, durant l’unique période en Europe où la gauche était au
pouvoir simultanément dans les principaux gouvernements1. Cette
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stratégie oriente plus qu’on le dit parfois les réformes des marchés
menées dans chaque pays européen. Frank Vandenbroucke en a
été chez nous le promoteur le plus engagé sous le gouvernement
«arc-en-ciel».
d’une mise en scène de la politique, confortée éventuellement par
un système électoral qui polarise les forces, plutôt que d’une confrontation effective de projets qualitativement différents ?
Jusqu’ici, les résultats obtenus sont contrastés selon les pays. Le
« modèle nordique » se transforme avec une forte dose de privatisation et de mise en concurrence de services publics, tout en conservant des résultats remarquables si l’on en croit les indicateurs de
développement humain. Par contre, la transition est plus difficile
dans les grands pays industriels : ainsi, par exemple, le succès de
l’adaptation de l’industrie allemande à la mondialisation est liée à
une dégradation des conditions de travail, de salaire et de revenu
pour une part importante des travailleurs2. Tout en ayant donné
leur appui à la stratégie de Lisbonne et ayant gouverné ces réformes, les socialistes se retrouvent en difficulté face à la remontée
des inégalités. Devant cette situation certains d’entre eux évoquent
une situation de crise intellectuelle3. On y ajoutera qu’étonnement,
en 2000, l’analyse et les propositions de Lisbonne n’avaient pas intégré la question écologique, ajoutée seulement un an après lors
du Sommet de Göteborg. Aujourd’hui, les deux agendas politiques
de l’Union - la société de la connaissance comme positionnement
de l’économie européenne dans la mondialisation et la transformation écologique des économies - sont menés en parallèle alors
qu’ils devraient être plus intégrés et que priorité devrait être donnée à l’écologie. Là-dessus, la gauche n’est pas claire et l’opposition déclarée en Belgique par le PS entre l’écologie bourgeoise et
l’écologie sociale est une piètre manœuvre de diversion face à leur
propre incapacité à développer une nouvelle politique de solidarité
sociale.
Les Verts : à gauche, à droite ?
D’où le malaise que l’on peut éprouver lorsqu’il s’agit de répondre si Ecolo est bien de « gauche » : quelle politique de gauche ? Le
clivage droite/gauche ne se nourrit-il pas davantage aujourd’hui
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A Ecolo, on est à gauche. La question ne se pose pas ; elle est
incongrue pour la majorité des militants. Pour autant faut-il le proclamer à tous les coins de rue ? En fait, je suis de ceux qui reçoivent
la question de l’appartenance d’Ecolo à la gauche avec suspicion :
non seulement parce que je doute de la pertinence du clivage droite/gauche pour analyser les politiques qui sont menées, mais aussi
parce qu’elle contient une forte connotation tactique où, dans le
contexte politique belge, elle peut viser surtout à nous neutraliser.
L’épisode des « convergences de gauche » est là pour nous rappeler
que l’intérêt d’Ecolo n’est pas de se subordonner à qui que ce soit.
Ceci étant, l’appartenance d’Ecolo à la gauche peut varier d’intensité selon les critères d’analyse qui sont privilégiés :
1. la (pré)histoire du mouvement vert ;
2. les générations de militants, donc l’évolution des partis verts ;
3. les priorités politiques ;
4. l’électorat des verts ;
5. les coalitions électorales ;
6. et l’évolution des pratiques qui se sont normalisées et banalisées.
Nous illustrons ici notre propos par de brèves références à l’histoire et l’expérience des coalitions.
1.Origine : pour Ecolo et les Verts européens en général, on peut
soutenir que la pensée et les premières luttes des écologistes se sont
largement construites en dehors d’une bipolarité droite/gauche,
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même si une majorité de militants qui ont créé les partis verts (y
compris moi-même) s’identifie aux valeurs de la gauche radicale,
anti-impérialiste, égalitariste, libertaire. La brève histoire des mouvements écologistes transcende le clivage droite/gauche qui ne peut
rendre compte à lui seul des caractéristiques des luttes sociales,
culturelles et politiques de ces trente dernières années. Ainsi la lutte anti-nucléaire, on le sait en France et en Belgique, n’est pas une
lutte de la gauche socialiste ou communiste ; elle est pour autant un
des moments fondateurs du mouvement et de la pensée écologistes européens. La lutte pour l’autonomie (la volonté de reprendre
ensemble le pouvoir de vivre), la critique des totalitarismes politiques, la critique de la société des objets et de la surconsommation,
l’interrogation sur le « progrès », sont autant d’autres mouvements
qui ne relèvent pas d’un axe droite/gauche et qui sont au cœur de
l’identité de militants écologistes. Par rapport à Marx, l’analyse
qui est faite du rapport du capital à la nature et à sa transformation n’est pas réductible au rapport du capital au travail. Disons
qu’avec des penseurs comme Illich, Castoriadis, Morin, Moscovici,
Gorz et bien d’autres, l’écologie politique s’approprie et renouvelle
la critique du capitalisme. Elle a anticipé la crise de la modernité
occidentale et a permis aux partis verts créés au tout début des
années 80 de rassembler des militants et un électorat soucieux « de
faire de la politique autrement » et porteurs d’une nouvelle éthique
de responsabilité. Tout cela s’est fait en dehors des mouvements de
la gauche traditionnelle quand ce n’était pas contre eux.
2.Générations : les partis verts ont évolué en trente ans ; certains
sont restés très alternatifs, d’autres se sont davantage institutionnalisés et sont devenus plus réformistes et pragmatiques. Certains
partis verts sont restés plus longtemps que d’autres « single issue » :
l’environnement ou le droit des minorités par exemple ; d’autres,
comme Ecolo, ont assez rapidement développé un programme plus
général et ceux qui ont participé à des gouvernements ont été forcés de s’exprimer sur l’ensemble des questions politiques. Sur les
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questions socio-économiques, Ecolo défend un programme de
modernisation écologique et de solidarité, poussant notamment
les socialistes à davantage de cohérence entre leurs discours et
leurs actes, notamment sur les questions fiscales.
3.Priorités : aujourd’hui, avec l’aide de quelques rapports internationaux de toutes origines (du GIEC, en passant par la CIA et
l’OCDE, jusqu’à la Banque mondiale) et des médias, les écologistes voient leurs priorités politiques reconnues comme décisives par
beaucoup d’acteurs dont le monde patronal. L’urgence écologique
est telle que forces de droite et de gauche au gouvernement y sont
confrontées : ainsi, en France, du pacte écologique de Nicolas Hulot au « Grenelle de l’environnement » (que Jospin et Voynet n’ont
pas été à même d’initier entre 1997 et 2002) les diagnostics sont
posés et les propositions formulées et en attente de concrétisation.
Cette transition peut-elle se faire plus facilement avec des socialistes ou avec des libéraux ? Là encore la réponse, qui devrait être
évidente vu le besoin de régulation publique – enjeu de gauche s’il
en est – requis par de tels enjeux, ne l’est pas nécessairement au vu
des expériences passées de coalition.
4.Electorat : on pourrait soutenir qu’un dépassement partiel du
clivage droite/gauche par les écologistes fait partie de son attractivité et a suscité l’intérêt de citoyens qui votaient pour les trois autres
familles politiques. Se définir comme étant un parti « ancré dans
les valeurs de gauche » (J-M. Javaux) tout en portant des enjeux
qui transcendent ce clivage n’est-il pas une manière avantageuse
d’agréger des électorats qui dépassent ceux qui sont déjà socialisés
à gauche, au profit de combats particulièrement progressistes (que
l’on songe aux sans-papiers ou à la fiscalité par exemple) ?
5.Coalition : nos premières coalitions gouvernementales fin des
années 90 dans les différents pays européens se sont faites avec la
gauche socialiste (Allemagne, France, Italie, Finlande). L’exception
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belge a été de réunir libéraux et socialistes avec des Verts. Le bilan
que nous en avons tiré est pour le moins nuancé. Les coalitions ont
été difficiles sur les politiques environnementale et de l’énergie, et
nous n’avons pas été en mesure d’influencer suffisamment l’agenda
économique et social de ces gouvernements de « gauche ». Le cas
le plus exemplaire est sans doute celui de l’Allemagne où les Verts
ont été contraints d’approuver l’Agenda 2010 de Gerhard Schröder
et les réformes Hartz du marché du travail. Aujourd’hui, les Verts
sont dans des coalitions nationales de centre-droit (Tchéquie, Irlande, Finlande) qui sont trop récentes pour en évaluer l’impact.
Et la question des coalitions est désormais ouverte en Allemagne
(avec la constitution d’alliances locales avec la CDU) même si une
majorité des militants verts continue à privilégier une alliance nationale avec le SPD mais qui n’est actuellement plus suffisante pour
dégager une majorité.
acteurs politiques indispensables pour une transition écologique
de nos sociétés, trop longtemps repoussée et toujours incertaine4 ?
Comment convaincre davantage ? En retrouvant une plus grande radicalité de propositions et davantage d’une impertinence
créative. Cela passe sans doute par une nouvelle génération de militants dont on souhaite qu’ils n’oublient pas les leçons de notre
courte histoire.
1
Vers une société européenne de la connaissance. La Stratégie de Lisbonne 2000-2010. Presses de l’ULB, 2004
2
Pour un bilan récent, voir l’étude publiée par l’Institut syndical européen : Benchmarking Europe 2008.
3
Ernst Hillebrand, Entre concepts d’hier et défis d’aujourd’hui : l’incontournable réorientation de la gauche
européenne. Friedrich Ebert Stiftung, Paris, Analyses et documents, octobre 2007. Pascal Lamy, Leçons de
social-démocratie, Le Monde 2, 27 août 2005
4
Voir sur ce sujet « Une vérité qui dérange (certains) : on a encore besoin de l’écologie politique ! », Paul-Marie
Boulanger, revue Etopia n°3, 2007.
L’avenir des Verts
La relative bonne santé électorale d’Ecolo en 2007 ne doit pas
masquer le fait que la situation est moins réjouissante au plan
européen. Après 30 ans d’existence, à l’exception d’un noyau stable de pays, Allemagne, Autriche, Finlande, Luxembourg et Belgique francophone, les Verts existent peu électoralement sur un
plan national dans l’ensemble de l’Union (ce n’est cependant pas
le même cas de figure au niveaux locaux, à l’image de la France
et de l’Italie). Au Parlement européen, nous représentons 5% des
élus. C’est évidemment pour nous une situation paradoxale alors
que les thèmes de qualité de vie sont prioritaires dans tous les
sondages d’opinion.
Quel rôle pour les Verts, dès lors ? Celui d’une avant-garde qui
a rempli une fonction d’alerte et de luttes dès les années 70 ? Est-il
achevé ? Ou, au contraire, sommes-nous en situation de devenir les
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