COLPRON SOLO AL ROVESCIO

Transcription

COLPRON SOLO AL ROVESCIO
COLPRON SOLO
AL ROVESCIO
D’AUJOURD’HUI À HIER
La flûte s’empare du sourire de mon ami et le répand sur ma vie.
Rabindranâth Tagore
XXe siècle
Il est difficile de choisir un seul aspect qui nous permettrait de décrire aisément la
musique contemporaine à la flûte à bec. Les moyens d’expression et les formes sont en
effet trop riches et parfois trop différents les uns des autres. Un flûtiste chevronné se
réjouit cependant du traitement expressif que les compositeurs d’aujourd’hui réservent à
l’instrument, si éloigné de cette conception traditionnelle de la flûte à bec qui en fait un
instrument simple et sans nuances. Elle est pourtant riche d’effets. Son vocabulaire au
XXe siècle renferme des mots tels que multiphoniques, microintonation en plus de
glissandi et de toutes sortes de formes d’articulations et de moyens dynamiques. Les
deux œuvres de ce soir ne versent jamais dans l’affectation ni dans la facilité. Elles sont
étonnamment dramatiques et évocatrices : de la brusquerie de Rotation de Jan Rokus
van Roosendael à l’énorme forme d’arche classique qu’on découvre dans
l’Encantamiento de Daniel Catán, nous nous retrouvons au cœur de préoccupations
résolument artistiques.
Encantamiento de Daniel Catán est une œuvre marquée au coin d’une certaine
mystique; elle se présente comme une incantation d’une beauté classique. De bien des
façons, elle renferme les ingrédients du succès tant par ses motifs et par l’alliage raffiné
du chromatisme et de la modalité que par la dextérité toute virtuose qu’elle exige de
l’interprète. Catán écrit tout simplement de la belle musique. Rotation de Jan Rokus
van Roosendael est une œuvre dramatique marquée de nombreux conflits. Le flûtiste
se retrouve enfermé à l’intérieur d’un cercle composé de douze lutrins. Ce cercle et ses
axes nous donnent six motifs/concepts différents. Roosendael met en scène des
contrastes violents : l’œuvre commence par un signal tonitruant et demande par la suite
à l’interprète d’exécuter 15 rotations qui mèneront la musique inexorablement vers le
silence. Roosendael est mort en février 2005. Il était âgé de quarante-cinq ans
seulement.
© Francis Colpron, 2015.
XVIIIe, XVIIe et XVIe siècles
Après les œuvres contemporaines, notre ami Francis Colpron a choisi, dans ce récital
de flûtes à bec et traversière consacré à la musique italienne, de remonter le temps. Se
prévalant de la liberté de l’interprète, et aimant relever les défis, il jouera cependant des
sonates d’abord prévues pour le violon.
Aux siècles baroques, la plupart des grands maîtres de la Péninsule sont des
violonistes virtuoses. Francesco Geminiani, né à Lucques, est élève à Rome
d’Arcangelo Corelli. À partir de 1714 et pendant deux décennies, il vit à Londres; il
s’établit ensuite à Dublin en 1733, où il s’éteindra près de vingt ans plus tard, ayant fait
entre temps un séjour à Paris. C’est un professeur recherché, formant de nombreux
élèves et publiant quelques recueils de sonates et de concertos grossos ainsi qu’un
important traité sur le jeu du violon. Ses contemporains jugent son jeu capricieux,
imprévisible, qualifiant volontiers Geminiani de « furibondo »; ses sonates sont difficiles
et demandent un sens dramatique très affirmé. Enfant prodige, Francesco Maria
Veracini, né à Florence, est d’abord élève de son oncle, puis il fait lui aussi carrière
surtout en dehors de l’Italie, travaillant à plusieurs reprises à Dresde, à Londres, où il
dirige l’Opéra italien, à Dusseldorf, à Prague, à Pise et à Venise. Ombrageux, jaloux du
talent de ses collègues, il semble avoir été un formidable virtuose; il joue en concert et
dans les salons, mais, à part une œuvre lyrique considérable, il ne laisse que deux
recueils de sonates pour son instrument, parus en 1721 et en 1744, où se manifeste une
extrême hardiesse.
Le violon fut perfectionné en Italie au milieu du XVIe siècle. Durant les décennies
qui ont suivi, cependant, la musique instrumentale ne précise pas d’instrument
particulier, les éditeurs en laissant le choix aux interprètes. Giovanni Battista Fontana,
de la vie duquel on sait peu de choses si ce n’est qu’il a travaillé à Venise, Rome et
Padoue, compte parmi les plus grands violonistes prédécesseurs de Corelli. Éditées en
1641, une dizaine d’années après sa mort, et montrant une grande originalité, ses
sonates sont prévues pour le violon et pour le cornet à bouquin, deux instruments qui,
avec la flûte à bec, se rapprochaient le mieux, aux dires des contemporains, de la voix
humaine. Quant à Giovanni Paolo Cima, qui fit carrière comme organiste à Milan, il est
l’auteur de la toute première sonate écrite spécifiquement pour le violon (avec basse
continue), publiée en 1610 dans un vaste recueil de Concerti ecclesiastici.
Les toutes premières manifestations de la musique instrumentale en Italie, à part
les fantaisies polyphoniques et les danses, consistaient en transcriptions d’œuvres
vocales. Mais on proposait aux interprètes d’ajouter à la ligne choisie d’un madrigal ou
d’un motet une foule d’ornements et de passaggi, comme autant d’exemples
d’improvisations possibles. Avec son livre de Regole, Passaggi di musica de 1594,
Giovanni Battista Bovicelli figure parmi les maîtres qui ont accompli semblable travail;
la ligne supérieure se charge de variations virtuoses alors que l’accompagnement de
clavier donne les autres voix du madrigal, ici le Io son ferito ahi lasso de Palestrina. Né à
Vérone et entré tôt dans les ordres, Vicenzo Ruffo travaille principalement à Milan et
dans sa ville natale. On compte Marc’Antonio Ingegneri et Andrea Gabrieli parmi ses
élèves. Maître du contrepoint, il simplifiera son style vocal pour se plier aux vœux du
concile de Trente. À côté d’une production vocale sacrée considérable et de haute
qualité, il publie en 1564 un recueil de caprices pour instruments, rare exemple de
l’éclosion d’une musique qui bientôt se distinguera de ses modèles vocaux pour
constituer des formes de plus en plus autonomes.
© François Filiatrault, 2005.

Documents pareils