2014 arrestation thai
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20 JUILLET 2014 Méditerranée PAGE 13 11 PEOPLE COCKTAIL Catherine Deneuve face au temps qui passe PAGE 19 Menuhin Festival Gstaad Les invités étaient nombreux pour le lancement de la 58e édition PAGE 21 LES ACTEURS Récidiviste, un Helvète est soupçonné d’actes pédocriminels en Thaïlande Condamné deux fois en Suisse, un abuseur sexuel a été arrêté à Pattaya RÉCIDIVE Un abuseur d’enfants EN DATE lucernois a profité d’un manque de contrôle et de coordination entre les autorités pour sévir de façon répétée. Condamné deux fois en Suisse, il est aujourd’hui soupçonné d’actes pédocriminels en Thaïlande. Il a été arrêté à Pattaya l’été dernier. 1975 c Les débuts A 31 ans, R. T. se lance dans l’éducation. Il commence sa formation à Zurich. 1980 c Première condamnation Un Tribunal fribourgeois le condamne à 12 mois de prison avec sursis pour abus sur un mineur de plus de 16 ans. Dominique Botti Pattaya (Thaïlande) [email protected] Il est 17 h 30 ce 26 juillet 2013. La police thaïlandaise, dans la moiteur de la mousson, débarque à H. H., un village proche de Pattaya. Les agents perquisitionnent le domicile de R. T., un expatrié lucernois de 69 ans. Depuis 2007, les forces de police le soupçonnent d’abus sexuels sur mineurs. Ils ne savent pas encore que ce récidiviste a un lourd passé pénal en Suisse. C’est Aomsin Sukuarnkha, lieutenant-colonel de la police, qui a dirigé l’opération l’été passé: «Lorsqu’il nous a ouvert la porte, il a tenté de fuir», racontait-il fin juin 2014 à Pattaya. Dans sa fuite, R. T. a caché un ordinateur portable. «Nous l’avons retrouvé dans les WC», poursuit l’officier. 1991 c Deuxième condamnation Un Tribunal valaisan le condamne à 2 ans de prison pour «attentat à la pudeur des enfants, débauche contre nature et publication obscène». 2013 c Arrestation Expatrié en Thaïlande, R. T. est arrêté à Pattaya en 2013, avant d’être acquitté. Une deuxième enquête est en cours. Un policier thaï interroge R. T. lors de la perquisition de son domicile, le 26 juillet 2013, dans un village proche de Pattaya. Bonne pêche pour les policiers Les enquêtes contre les pédophiles étrangers sont difficiles en Thaïlande, à cause de la corruption, du manque de moyens policiers et de la coopération internationale défaillante. Mais, cette fois-ci, la pêche est bonne, selon Aomsin Sukuarnkha. Ses policiers dénichent des albums de photos d’enfants nus, des paquets de préservatifs, des tubes de lubrifiant. Sur place, les agents interpellent un mineur qui n’a aucun lien de parenté avec R. T. Depuis cette arrestation, l’enquête a suivi son cours. Après plusieurs jours de prison, R. T. a retrouvé la liberté, moyennant une caution. «Il a un bon avocat», se désole Aomsin Sukuarnkha. Malgré ses efforts, les preuves n’ont pas permis de le condamner. En Thaïlande, seules la production et la vente de clichés illicites sont punies. «Des infractions difficiles à prouver», juge l’officier. De plus, les témoignages des victimes d’abus se sont révélés imprécis devant les juges, estime la police. Trop d’années avaient passé depuis les faits. Contrôle qualité DR Le 7 mai dernier, la Cour de Pattaya a donc acquitté le Lucernois. «Une deuxième enquête a été ouverte», s’encourage Aomsin Sukuarnkha. Il soupçonne désormais R. T. d’alimenter un réseau pédocriminel de vente de photos via le Net: «Nos spécialistes de Bangkok cherchent d’autres clichés dans l’ordinateur qu’il a tenté de cacher.» Des polices européennes collaborent aux investigations. Un détail troublant dans cette affaire: Berne n’a jamais communiqué à Aomsin Sukuarnkha que R. T. avait déjà été condamné deux fois en Suisse pour abus sur mineurs – en 1980 et en 1991 (lire l’entretien page suivante). L’officier reconnaît ne pas en avoir fait la demande. Mais un policier fédéral était sur les lieux lors de l’arrestation de R. T. dans sa maison, et Aomsin Sukuarnkha estime qu’il aurait pu l’informer spontanément de ces antécédents pénaux. Alexander Rechsteiner, porte-parole de la police fédérale, précise que la présence de ce fonctionnaire était requise par la Thaïlande. «Son soutien était le bienvenu dans le cas où un échange d’informations policières devait s’avérer nécessaire. En l’occurrence, son intervention concrète ne s’est pas avérée nécessaire.» Même si les Thaïs avaient demandé l’information, il n’est pas sûr que l’inscription de la dernière condamnation de R. T., il y a vingt-trois ans, figurait toujours dans son casier judiciaire en 2013. Educateur sur le tard En Suisse aussi, l’information officielle tombe au compte-gouttes. Nous sommes parvenus toutefois à reconstituer son parcours à l’aide du dossier pénal de 300 pages de sa première condamnation, du dossier de son deuxième jugement et de témoignages récents de proches en Suisse. Le résultat est édifiant. Ces éléments montrent comment R. T. a profité des failles du système pour abuser de mineurs. Pendant trente-cinq ans, l’homme a fui la justice. D’abord d’un canton à l’autre. Puis d’un pays à l’autre, jusqu’en Thaïlande. Durant toutes ces années, il a profité de l’absence de contrôles et du manque de coordination entre les autorités. Au final, la liste des victimes, des garçons âgés de 13 à 17 ans, est longue. Parmi eux, beaucoup de jeunes Suisses. R. T. est né en 1944 à Sursee (LU). Après une formation dans la vente, il décide, à l’âge de 31 ans, de se réorienter dans l’éducation des adolescents. «Cela avait toujours été mon désir», explique-t-il lors d’une expertise psy demandée par la justice fribourgeoise. L’homme commence sa carrière d’éducateur en 1975 dans un foyer zurichois qui encadre de jeunes apprentis. Un séjour, seul avec deux pensionnaires, dans une station de montagne tourne mal. Le directeur l’accuse d’avoir dormi avec les ados dans un lit double, de les avoir enivrés, d’avoir joué avec des préservatifs. R. T. fait appel contre son licenciement et perd. Aucune plainte pénale n’est déposée. Sauvé in extremis, le Lucernois continue à travailler. D’abord à Bâle, puis dans un foyer du canton de Fribourg. L’établissement encadre d’autres apprentis adolescents qui bénéficient de l’assurance invalidité. R. T. y débarque le 1er mars 1976. Deux SUITE EN PAGE 12 SUITE DE LA PAGE 11 «LA SUISSE DOIT NOUS AIDER À PROTÉGER NOS ENFANTS» AOMSIN SUKUARNKHA Lieutenant-colonel de la police thaïlandaise, Section protection de l’enfant Avez-vous arrêté le citoyen suisse, R. T., pour abus sur mineurs? C’est correct. Il y avait un policier suisse sur place, car R. T. est Suisse. Ce policier fédéral vous a-t-il informé que le Suisse a déjà été condamné deux fois pour abus sexuels sur mineurs en Suisse? J’ai rencontré ce policier le jour de l’arrestation. Puis je ne l’ai plus revu. Il ne m’a pas informé du casier judiciaire. Je ne comprends pas pourquoi. Ces informations sont indispensables à une enquête. Cette information peut-elle changer le cours de votre enquête? La résidence secondaire, avec piscine, de R. T. se trouve au milieu du village. Elle est protégée du regard des curieux par une haute palissade et des chiens. «Il invitait souvent les enfants à venir chez lui», explique un policier. Photos Dario Pignatelli D’un point de vue pénal, non. Les faits reprochés à R. T. sont en Thaïlande. Les victimes sont thaïlandaises. Et R. T. vit chez nous. En revanche, c’est important de connaître le passé d’un suspect. Surtout s’il est récidiviste. Cela nous permet de mieux comprendre sa personnalité et son caractère. Comment jugez-vous la coopération policière entre la Suisse et votre pays? Palissorn Noja est chef de l’ATCC, une ONG qui lutte contre les pédophiles à Pattaya. Il soupçonne R. T. de commettre des actes pédocriminels depuis 2007 au moins. ans plus tard, les plaintes tombent. Deux garçons l’accusent même de viol. L’un d’entre eux est le pupille du suspect. Les accusations sont lourdes: relations sexuelles forcées, bains nus dans la piscine du foyer, prises de photos obscènes. Un mineur de plus de 16 ans au moment des faits témoigne au tribunal: «Il est venu dans ma chambre et voulait un rapport sexuel. J’ai refusé plusieurs fois. Mais il m’a menacé de me déplacer dans un autre foyer plus strict. Sous la contrainte, j’ai accepté. Il est venu ainsi, deux à trois fois par semaine, dans ma chambre. Il mettait son pénis en érection dans mon anus… Parfois, il était grossier et violent. Il me tirait par les cheveux et me frappait.» Une enquête pénale est ouverte. L’éducateur est arrêté le 17 janvier 1979 à 11 h 15 dans le canton de Soleure. Face à l’évidence des preuves photographiques, R. T. admet les faits. En revanche, il nie les contraintes sexuelles: les ados auraient menti. Après quelques jours de prison préventive, l’homme avoue tout. Puis il est libéré. Une fois dehors, il revient sur ses aveux. Cette volte-face ne convainc pas le tribunal de Morat (FR). Selon la cour, l’accusé a exploité sa position d’éducateur et de curateur pour abuser de jeunes garçons en difficulté. Elle le condamne à douze mois de prison avec sursis pour abus sur un mineur de plus de 16 ans. Le tribunal souligne le risque de rechute, sans toutefois prononcer l’interdiction d’exercer la profession d’éducateur. Sauvé une deuxième fois de la prison, l’éducateur s’établit dans le can- ton de Soleure, où il travaille dans un autre foyer pour mineurs en difficulté. Durant huit ans, il y encadre un groupe de dix enfants qui vivent à l’internat. Le directeur de l’époque de ce foyer nous a expliqué, en mai dernier, ne pas avoir eu connaissance de la condamnation de son éducateur. «Les autorités fribourgeoises ne m’ont rien dit», justifie-t-il. L’ex-responsable ajoute qu’il n’y a eu aucun soupçon d’abus sexuel contre son ex-employé: «En 1988, je l’ai licencié parce qu’il avait frappé des enfants et une collaboratrice.» «Que des garçons mineurs» Laurent Moreillon, professeur de droit pénal à l’Université de Lausanne, estime que ce récidiviste suisse a bénéficié de failles qui n’existent plus. «Aujourd’hui, les peines ne sont plus symboliques et peuvent monter jusqu’à 10 ans. Un traitement thérapeutique peut être requis, détaille-t-il. De plus, la consultation du casier judiciaire est quasi automatique lors de l’engagement d’un éducateur. Et la communication pénale entre les autorités s’est améliorée.» Enfin, depuis le 18 mai dernier, tout pédophile est interdit à vie de travailler avec les enfants. Les garde-fous actuels auraient peut-être permis d’arrêter plus tôt R. T., qui ne s’est pas découragé après son licenciement à Soleure. La même année, il s’installe dans la station valaisanne d’Anzère. Il y ouvre une agence immobilière et rachète un chalet de colonies de vacances. Il veut organiser durant son temps libre des camps, sans avoir de licence officielle. Il met des annonces dans la presse alémanique à A deux pas de la maison de R. T., les adolescents du village jouent au football. Ils disent apprécier l’expatrié suisse qui parle leur langue. LE CHIFFRE 350 C’est le nombre de pédocriminels arrêtés par la police thaïe grâce à la collaboration de Palissorn Noja, chef de l’ATCC, une ONG qui lutte pour la protection des mineurs à Pattaya depuis vingt ans. Parmi eux, 150 sont des Occidentaux (Europe, USA, Japon). la recherche de jeunes vacanciers. Les habitants d’Anzère se rappellent encore aujourd’hui du personnage généreux et sympathique. Ce charisme avenant n’empêche pas les rumeurs. «Nous habitions à côté de son chalet de colonies, se rappelle une voisine. Il gérait seul les séjours des enfants. Il n’y avait que des garçons mineurs.» La justice valaisanne rattrape R. T. en 1990. Dans ce deuxième dossier pénal, pas d’accusation de viol à Anzère. Pour le reste, en revanche, la récidive est reproduite à l’identique. L’enquête révèle qu’une dizaine d’enfants, âgés de 14 à 17 ans, ont subi des abus. «Il a tenté de mettre sa main dans sa culotte, mais le mineur de moins de 16 ans a résisté. Le lendemain soir, R. T. a récidivé et a pu lui toucher le sexe, voire le masturber un peu», écrit le tribunal valaisan. L’éducateur est accusé de savonner les corps des enfants sous la douche. Il prend en photo un autre pensionnaire «entièrement nu alors qu’il avait son sexe en érection», poursuit la cour. R. T. nie en bloc. Puis avoue une partie des faits, pour ensuite revenir sur ses déclarations. Il dénonce des mensonges et tente de postdater les faits pour vieillir certaines victimes. Selon lui, elles avaient 16 ans et non 15 au moment des faits. Il ne peut pas, en revanche, contester les photos obscènes séquestrées chez lui. Le 13 novembre 1991, le Tribunal du canton du Valais confirme sa condamnation à deux ans de prison ferme pour «attentat à la pudeur des enfants, débauche contre nature et publication obscène». Jean-Pierre Guidoux, l’avocat valaisan qui a défendu R. T. dans ce dossier, se rappelle que son client n’a pas attendu le verdict pour s’enfuir à l’étranger. Il y disparaît pendant quatre ans. Folco Galli, de l’Office fédéral de la justice, précise que le fugitif a été arrêté le 31 mai 1995 dans la région de Pattaya en Thaïlande: «Il a pu être remis aux autorités suisses le 26 juin 1995.» Après avoir purgé sa peine à Crêtelongue en Valais, il s’installe officiellement en Thaïlande. Les relations sont globalement bonnes. Mais les polices allemandes et des USA nous informent davantage sur le passé pénal de leurs ressortissants. En cas d’arrestation d’un étranger, je suis favorable à un échange automatique de ses antécédents pénaux. Il y a beaucoup de pédophiles récidivistes occidentaux qui s’installent dans notre pays. La Suisse, comme d’autres pays, peut nous aider à mieux protéger nos enfants. Que se passe-t-il aujourd’hui avec R. T.? Sur les accusations d’abus sur mineurs et de possession de photos illégales, il a été acquitté. Mais une deuxième enquête continue. Nous le soupçonnons d’alimenter, via Internet, un réseau européen pédocriminel de ventes de photos. R. T. vit aujourd’hui en liberté? Oui. Mais il représente toujours un danger pour les enfants, en Thaïlande ou ailleurs. Je suis persuadé que R. T. est susceptible de faire du mal aux enfants. Il les paie pour les prendre nus en photos. Cela ne va pas. Vus ses antécédents pénaux en Suisse et les soupçons contre lui en Thaïlande, il n’a plus rien à faire chez nous. Il doit quitter notre pays. Les autorités suisses devraient le rapatrier. Dominique Botti Aujourd’hui, il est libre Le Suisse s’est fait un nom à Pattaya. Il est l’ex-patron du Gentlemans’club, un go-go bar masculin dans le Boyztown, un quartier chaud de Pattayaland. Aujourd’hui, il travaille dans l’immobilier, selon la police thaïlandaise. Il a plusieurs maisons. Celle de H. H., où il a été arrêté, est une résidence secondaire avec piscine. Le Suisse avait l’habitude de prêter de l’argent aux familles du village, puis d’inviter leurs enfants dans sa propriété, selon Palissorn Noja, chef de l’ATCC, une ONG qui lutte contre la pédocriminalité à Pattaya. R. T. est aujourd’hui libre. Mais une question persiste dans cette affaire: la Suisse aurait-elle dû informer auto- matiquement la police thaïlandaise du pedigree de R. T.? Aomsin Sukuarnkha en est persuadé. Sonja Isella, porteparole du Département des affaires étrangères, répond que des informations judiciaires peuvent être communiquées à un Etat étranger dans le cadre de la coopération internationale policière. En revanche, poursuit-elle, la loi suisse ne prévoit pas d’échange automatique du casier judiciaire, sauf si un accord entre Etats le prévoit. Mais «avec la Thaïlande, il n’existe pas un tel accord». Début juin, R. T. a mis en vente sa maison de H. H. Pour un nouveau départ? Contacté, il n’a pas voulu répondre à nos questions. x