Initiation de l`Emir ABD-EL-KADER

Transcription

Initiation de l`Emir ABD-EL-KADER
Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
L Henri IV
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Tenue Solennelle
Du 1er septembre 1864
Initiation de
l’Emir ABD-EL-KADER
Version réalisée pour l’association CRP Trad Noeux les mines
Réservée à ses membres, hors commerce
Circulation et Usage Initiatique autorisés
Septembre 2012
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Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
La Franc-Maçonnerie a initié peu de chefs religieux remarquables, citons : Aga Khan II (Muhammad
Shah) ; Geoffray Fisher, archevêque de Canterbury, Vivekananda.
« Si tous les trésors du Monde étaient disposés à mes pieds, et s’il m’était donné de choisir entre
eux et ma liberté, je choisirais ma liberté. »
L’Emir Abd-el-Kader, in « Conseil au Sage, instructions à l’ignorant »
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Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
ABD EL KADER (Abd al-Qädir ibn Muhyï al-din al-Hasani al Gazä’irï)
(1808 - 26 mai 1883 ère chrétienne !).
Abdelkader saint, savant, poète, héros, militaire et homme d’Etat, est né près de Mascara,
en Algérie. Son activité intellectuelle est colossale ; même ses ennemis décrivent sa culture
philosophique et théologique.
Le Diwan, recueil de 760 poèmes publiés plusieurs fois, traite de tous les sujets qui
préoccupèrent l’émir de 1832 à 1883.
Son œuvre théologique est moins connue. Le Kitäb al-Mawäqif a fait l’objet de nombreuses
éditions en langue arabe. La traduction française de Michel Chodkiewicz est acceptée par les
lettrés Arabes.
Abdelkader est l’héritier légitime d’Ibn Arabi, Sceau de Sainteté, (Espagne, 1165- Syrie 1240).
Il prend part à la renaissance de l’Islam indicible.
Son enseignement est celui d’un maître tassawuf (soufi). Il enseigne l’histoire de la théologie
en Syrie, à Damas pendant 20 ans. Pour avoir une idée de la qualité de cet enseignement il
suffit de lire quelques pages du Kitab al-Mawäqif1 tirées de sa pratique quotidienne.
1
"Dites: nous croyons en ce qui nous a été révélé et en ce qui vous a été révélé; votre Dieu et notre Dieu
sont un seul Dieu, et nous Lui sommes soumis (muslimun)" (Cor. 29: 46)
Ce que nous allons dire ici relève de l'allusion subtile (ishara) et non de l'exégèse (tafsir) proprement dite.
Dieu prescrit aux muhammadiens de dire à toutes les communautés appartenant aux "Gens du Livre"chrétiens, juifs, sabéens et autres: "Nous croyons en ce qui nous a été révélé", c'est-à-dire en ce qui s'est
épiphanisé à nous, à savoir le Dieu exempt de toute limitation, transcendant dans son immanence même, plus
encore: transcendant dans sa transcendance même; et qui en tout cela demeure pourtant immanent. "Et en ce
qui vous a été révélé", c'est-à-dire en ce qui s'est épiphanisé à vous dans les formes conditionnées,
immanentes et limitées. C'est Lui que Ses théophanies manifestent à vous comme à nous. Les divers termes qui
expriment la "descente" ou la "venue" de la révélation ne désignent rien d'autre que des manifestations
(zuhurat) ou des théophanies (tajalliyat) de l'Essence, de Son verbe ou de tel ou tel de Ses attributs. Allah n'est
pas "au-dessus" de quiconque, ce qui impliquerait qu'il faut "monter" vers Lui. L'Essence divine, Son verbe et
Ses attributs ne sont pas localisables dans une direction particulière d'où ils "descendraient" vers nous.
La "descente" et les autres termes de ce genre n'ont de sens que par rapport à celui qui reçoit la théophanie et
à son rang spirituel. C'est ce rang qui justifie l'expression de "descente" ou les expressions analogues. Car le
rang de la créature est bas et inférieur alors que celui de Dieu est élevé et sublime. N'eût été cela, il ne serait
pas question de "descendre" ou de "faire descendre" [la Révélation] et on ne parlerait pas de "montée" ou
d"'ascension «, d "'abaisser" ou d"'approcher".
C'est la forme passive [dans laquelle le sujet réel de l'action exprimée par le verbe reste occulté] qui est
employée dans ce verset car la théophanie dont il s'agit ici se produit à partir du degré qui totalise tous les
Noms divins. De ces Noms ne s'épiphanisent, à partir de ce degré, que le nom de la divinité (c'est-à-dire le nom
Allah), le nom al-Rabb ("le Seigneur") et le nom al-Rahman ("le Tout-Miséricordieux"). [Parmi les témoins
scripturaires de ce qui précède] Allah a dit: "Et ton Seigneur viendra" (Cor. 89: 22), et, de même, on trouve
dans une tradition prophétique: "Notre Seigneur descend...'' Allah a dit encore: "Sauf si Allah vient" (Cor. 2:
210), etc. Il est impossible qu'un des degrés divins s'épiphanise avec la totalité des Noms qu'il renferme. Il
manifeste perpétuellement certains d'entre eux et en cache d'autres. Comprends!
Notre Dieu et le Dieu de toutes les communautés opposées à la nôtre sont véritablement et réellement un Dieu
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Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
Il est né dans un milieu religieux : son père fut son initiateur, il porte le même prénom
qu’IBN ARABI ; Muhyf al-din – vivificateur ou « introducteur de la religion ». C’est un
musulman, un théologien, et un initié « sur la voie ». Abdelkader voyage avec son père en
Orient, il parvient au niveau où l’on met en œuvre son propre itinéraire mystique.
Abdelkader arrive à la réalisation de al-insan al-kamil, l’homme parfait. Il est donc légitime
de le considérer comme un saint. Abdelkader fait oublier son action de Sabreur magnanime,
en étant considéré comme un très grand mystique de l’islam après son maître Ibn Arabi.
unique, conformément à ce qu`II a dit en de nombreux versets: "Votre Dieu est un Dieu unique" (Cor. 2: 163;
16: 22; etc.) Il a dit aussi: "Il n'y a de dieu qu'Allah" (wa ma min ilahin ila Llahu, Cor. 3: 62). Il en est ainsi
nonobstant la diversité de Ses théophanies, leur caractère absolu ou limité, transcendant ou immanent, et la
variété de Ses manifestations. Il S'est manifesté aux muhammadiens au-delà de toute forme tout en Se
manifestant en toute forme, sans que cela entraîne incarnation, union ou mélange. Aux chrétiens, Il s'est
manifesté dans la personne du Christ et des moines, ainsi qu'il le dit dans le Livre. Aux juifs, Il s'est manifesté
sous la forme de 'Uzayr et des rabbis; aux mazdéens sous la forme du feu, et aux dualistes dans la lumière et la
ténèbre. Et II s'est manifesté à tout adorateur d'une chose quelconque- pierre, arbre ou animal...- sous la forme
de cette chose: car nul adorateur d'une chose finie ne l'adore pour elle-même. Ce qu'il adore, c'est l'épiphanie
en cette forme des attributs du Dieu vrai- qu'il soit exalté!-, cette épiphanie représentant, pour chaque forme,
l'aspect divin qui lui correspond en propre. Mais [au-delà de cette diversité des formes théophaniques], ce
qu'adorent tous les adorateurs est un, leur faute consistant seulement dans le fait de le déterminer
limitativement [en l'identifiant exclusivement à une théophanie particulière].
Notre Dieu, celui des chrétiens, des juifs, des sabéens et de toutes les sectes égarées, est Un, ainsi qu'il nous l'a
enseigné. Mais Il S'est manifesté à nous par une théophanie différente de celle par laquelle Il S'est manifesté
dans Sa révélation aux chrétiens, aux juifs et aux autres sectes. Plus encore: Il S'est manifesté à la communauté
muhammadienne elle-même par des théophanies multiples et diverses, ce qui explique que cette communauté
à son tour comprenne jusqu'à soixante-treize sectes différentes, à l'intérieur de chacune desquelles il faudrait
encore distinguer d'autres sectes, elles-mêmes variées et divergentes, ainsi que le constate quiconque est
familier avec la théologie. Or tout cela ne résulte de rien d'autre que de la diversité des théophanies, laquelle
est fonction de la multiplicité de ceux à qui elles sont destinées et de la diversité de leurs prédispositions
essentielles. En dépit de cette diversité, Celui qui s'épiphanise est Un, sans changement de l'éternité sans
commencement à l'éternité sans fin. Mais II Se révèle à tout être doué d'intelligence à la mesure de son
intelligence. "Et Allah embrasse toute chose, et Il est le Savant par excellence" (Cor. 2: 115).
Il y a donc en fait unanimité des religions quant à l'objet de l'adoration- cette adoration étant co-naturelle à
toutes les créatures, même si peu d'entre elles en ont conscience- du moins en tant qu'elle est inconditionnée,
et non point quand on la considère sous le rapport de la diversité de ses déterminations. Et nous, musulmans,
ainsi qu'II nous l'a prescrit, sommes soumis au Dieu universel et croyons en Lui. Ceux qui sont voués au
châtiment ne le sont qu'en tant qu'ils L'adorent sous une forme sensible exclusive de toute autre. Seule connaît
la signification de ce que nous disons l'élite de la communauté muhammadiennne, à l'exclusion des autres
communautés. Il n'y a pas au monde un seul être- fût-il de ceux qu'on appelle "naturalistes", "matérialistes" ou
autrement-qui soit véritablement athée. Si ses propos te font penser le contraire, c'est ta manière de les
interpréter qui est mauvaise. L'infidélité (kufr) n'existe pas dans l'univers, si ce n'est en mode relatif. Si tu es
capable de comprendre, tu verras qu'il y a là un point subtil: à savoir que quiconque ne connaît pas Dieu de
cette connaissance véritable n'adore en réalité qu'un seigneur conditionné par la croyance qu'il a à son sujet, et
qui ne peut donc se révéler à lui que dans la forme de sa croyance. Mais le véritable Adoré est au-delà de tous
les "seigneurs"!
Tout cela fait partie des secrets qu'il convient de celer à quiconque ne suit pas notre voie. Prends garde! Celui
qui les divulgue doit être compté parmi les tentateurs des serviteurs de Dieu; et nulle faute ne peut être
imputée aux docteurs de la Loi s'ils l'accusent d'être un infidèle ou un hérétique dont on ne peut accepter le
repentir. "Et Dieu dit la Vérité, et c'est Lui qui conduit sur la voie droite" (Cor. 33: 4).
Mawqif 246
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Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
Il rejoint Damas dans son exil, en 1855, pour vivre dans la maison du maître andalou mort six
siècles plus tôt. Il est enterré de la tombe d’Ibn Arabi, puis les autorités algériennes
ramènent ses cendres à Alger en 1966.
Son itinéraire spirituel est marqué par son initiation à au moins trois confréries : la Quadiya,
la Naqshabandiya et la Chadhiliya.
C’est en ce sens que la franc-maçonnerie lui apparaît comme la tarîqa (la voie) occidentale,
ce qui explique en partie son acceptation ultérieure.
Parce qu’il est musulman, il s’oppose aux Français. Il proclame le jihad en 1832 et défend la
Dar al-Islam. Il crée un Etat indépendant et éphémère qui fera de lui le fondateur de la
nation algérienne.
Après sa reddition, il commence une période où, malgré les promesses françaises,
Abdelkader est, de fait, retenu prisonnier en France, tout en étant libre d’étudier,
correspondre, écrire et recevoir. Napoléon III l’autorise à quitter la France le 16 octobre
1852. C’est lors des émeutes antichrétiennes, qui se produisent à Damas en 1860, que se
crée une hagiographie française : le fait qu’il protège les chrétiens lui vaut d’être couvert
d’honneurs en Europe. Napoléon III rêvait de reconstituer un Empire arabe au Proche Orient
mais il se heurte au refus catégorique d’Abdelkader qui en aurait été l’empereur désigné.
A Damas, il est en exil, c’est alors que l’émir devient franc-maçon. Il a réalisé tout son
parcours spirituel et il s’occupe des affaires privées, économiques et publiques. C’est donc
en homme complet qu’il accepte l’invitation maçonnique.
Après les événements sanglants de Damas, Abdelkader protecteur des chrétiens devient un
héros. Les francs-maçons se rapprochent de lui.
Pendant son parcours algérien, des maçons sont « en place » autour de Bugeaud : citons :
Bugeaud, Ben Duran, baron Desmichels, l’interprète et commandant Abdallah. Les choses
sont honorables mais toujours ambigües, avec pour « objectif de remplir les objectifs de la
France ».
Après avoir reçu la première lettre de la loge Henri IV, l’émir se fait expliquer ‘l’honorable
société’ par un Libanais, maçons arabo-musulmans et ami : Shahin Makarius. C’est lui qui
initie deux des fils de l’émir (Muhyiddin, l’ainé, et Mohammad) dans sa loge «La Palestine » à
Beyrouth, un troisième fils sera reçu à Damas. L’émir Omar, initié à « La Lumière de Damas »,
atteindra les ‘Hauts Grades’ de la loge « Les Admirateurs de l’Univers » à Paris. Un quatrième
fils de l’émir a été maçon : Ali ibn Khalil. Le témoignage du franc-maçon étatsunien, Robert
Morris, est précis sur la rencontre qu’il fit à Damas le 7 avril 1868 ; le frère Nazif Meshaka
l’emmena, après la tenue maçonnique chez l’émir qui lui donna « l’accolade fraternelle ». Ce
jour-là étaient présents, outre les fils maçons de l’émir, le Marseillais Joseph Pilastre,
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Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
membre de la loge « La Vérité », ainsi que plusieurs membres de la grande famille Azm de
Damas…
C’est donc dans ce contexte euphorique que les francs-maçons se manifestent pour féliciter,
eux aussi, l’émir. Une première lettre émane de la loge parisienne Henry IV, qui a d’abord
offert un bijou à l’émir. Celui-ci ne pouvait pas rester insensible à cette médaille qui était un
symbole très parlant : un cercle posé sur un double carré rayonnant avec, au centre, sur fond
d’émail vert, une équerre à laquelle sont suspendus les éléments du théorème du carré de
Pythagore. Abdelkader a pu se dire que les francs-maçons possédaient des éléments de la
science des initiés. Il y a eu plusieurs demandes adressées à l’émir. Il n’a répondu qu’à celleci. L’émir a dû être sensible à l’invitation de devenir maçon. Comme il a pu être intéressé
d’apporter à la maçonnerie une lecture non enfantine de l’islam. L’émir pense à la gnose, au
courage et à la sensualité, comme on peut le constater dans ses propres réponses, et cela
pose des problèmes de traduction.
La loge Henry IV tente de montrer une connaissance culturelle arabo-musulmane, ainsi faitelle allusion à ce « Dieu que nous adorons tous ». L’émir, malgré d’autres courriers, choisit
de répondre à la loge Henri IV. Celle-ci s’est inscrite dans le thème accessible : Père-Frère,
qui est celui du monde du Maghreb. Le père de l’Emir est l’élément moteur de son initiation
soufi. Sa mère en mourant l’a libéré pour son voyage final.
L’image d’Epinal maçonnique d’Abdelkader commence par la relation de l’initiation de
l’Emir. Les francs-maçons du GODF marquent le monde initiatique avec le fait qu’ils se soient
attachés le sauveur de 125 000 chrétiens.
Certains diront : Abdelkader a agi comme un musulman2 pieux qui protège ses protégés : les
dhimmis qu’il place dans la pratique du horm, ou protection dans une enceinte sacrée3.
Des maçons ont considérés que l’Emir était ce qu’il est convenu d’appeler « un maçon sans
tablier » dont l’entrée en loge ne fait que reconnaître les qualités maçonniques de la vie de
l’impétrant.
Il est encore possible d’imaginer une opération de simple prestige ; une opération politique
puisque Napoléon III voulait faire d’Abd-el-Kader un empereur d’Arabie…
Certains arabes prétendent que l’initiation ne fut pas une initiation réelle.
Etc.
2
L’auteur d’une telle remarque supposerait-il que ceux qui attaquent les chrétiens ne seraient ni musulman, ni
pieux !
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Je ne développe pas ce thème qui est assez simple à retrouver dans l’imagerie liée au fait d’armes de l’Emir.
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Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
Permettez-moi de vous offrir un point de vue :
L’initiation de l’Emir constitue un point de rencontre qui, sans obligatoirement favoriser la vie
commune, permet des échanges jusqu’au moment où il est devenu possible de se comprendre, de
s’apprécier, de partager.
Ceci me paraît important puisque les traducteurs, ceux des maçons semblent prestigieux, ont
rencontré de grandes difficultés pour proposer un texte qui soit non seulement lisible mais colle à la
réalité des mentalités.
Ainsi, l’Emir, à qui l’on a traduit testament philosophique par recommandation, écrit avec beaucoup
d’honnêteté qu’il ne comprend pas le sens de la question posée. Je me permets une hypothèse sur le
verbe recommander dont l’une des expressions engage à « recommander son âme à Dieu » et donc à
lui adresser une « recommandation » une sorte de bilan de vie. Dans une telle logique, traduire
testament par recommandation me paraît valable. Encore faut-il suivre, et accepter, les méandres
d’une pensée. Si je travaille sur des repères qui ne sont pas logiques en fonction d’une mentalité
autre qu’occidentale, les problèmes de traduction s’accumulent. Ce problème nous est bien connu,
puisque, en loge aussi, nous argumentons parfois sur des sens de mots auxquels nous attribuons des
valeurs différentes. Tel frère protestant de m’avoir entendu dire « liberté de penser » parce qu’il a
cru écouter « libre pensée » sera « rectifié » par une autre intervention fraternelle.
Problème de langue, problème de culture, problème d’honnêteté intellectuelle surtout, pour être
résolu, cela nécessite du temps, des rencontres et en premier une sincérité réelle dans la volonté de
se rapprocher.
Que l’on puisse considérer que la maçonnerie ait tenté une récupération, de tromper l’Emir, ma
réponse y sera de simplicité : plusieurs des fils de Abd-el-Kader deviendront maçon. Il sera possible à
un esprit tatillon de mettre en cause leurs motivations. Permettez-moi, pourtant, de douter que
plusieurs enfants de maçon aient le désir d’entrer dans une société qui aurait floué leur père ou qui
l’aurait utilisé pour des fins de basse besogne.
Autre centre d’intérêt de ce texte : il nous rappelle l’égalité fraternelle qui exige que le puissant soit
traité comme le sans grade de la vie profane.
Il m’apparaît donc que cette initiation de l’Emir constitue un beau fleuron de la franc-maçonnerie
française et de son esprit d’ouverture. Ajoutons que cela a pu accroître les distances entre les loges
anglaises et les loges du GODF et conduire à une volonté de séparations.
Cyvard MARIETTE-LENGAGNE
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Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
Page de couverture :
Loge HENRI IV
TENUE SOLENNELLE
DU 1er SEPTEMBRE 1864
INITIATION DE L'ÉMIR ABD-EL-KADER
PARIS
TYPOGRAPHIE D'ALEXANDRE LEBON
Imprimeur DU GRAND ORIENT DE FRANCE
Rue des Fossés-Saint-Victor, 5.
1865
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Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
(3)
Loge HENRI IV
TENUE SOLENNELLE
DU 1er SEPTEMBRE 1864
INITIATION DE L'ÉMIR ABD-EL-KADER
PARIS
TYPOGRAPHIE D'ALEXANDRE LEBON
Imprimeur DU GRAND ORIENT DE FRANCE
Rue des Fossés-Saint-Victor, 5.
1865
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Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
Texte manuscrit
Orient de Paris le 1er juin 1863
La loge Henri IV à la respectable loge
Orient de
Très Chers Frères
Nous avons la faveur de vous offrir un
Exemplaire de la brochure de l’initiation de l’Emir
Abdelkader
Nous avons cru rendre service à la Maçonnerie
en publiant cet heureux événement dans tous ses détails.
Puissiez-vous en juger comme nous.
Agréez, Très chers Frères
L’assurance de nos sentiments les plus forts
Suivent les signatures des officiers de la loge Henri IV
Vénérable Poullain, Surveillants Acarry Fils & Arnoult
L’orateur, Duboc, le secrétaire Bertin
Nota bene : Cette brochure est mise en vente au prix de 75 centimes
S’adresser au vénérable de la loge ou au Concierge du Grand Orient
Lithographie du Frère Lambert, rue de Grenelle St-Honoré, 23
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Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
AVIS PRÉLIMINAIRE.
Toute l'Europe, tout le monde civilisé a frémi de douleur et d'indignation au récit des évènements qui
ensanglantèrent la Syrie, alors que le fanatisme, animant de sa rage des masses ignorantes et
aveuglées, les ruait sur les malheureux Chrétiens. L'humanité, muette d'horreur à la vue de tant
d'atrocités, éprouva pourtant une consolation en voyant un Musulman, un homme qui nous avait si
longtemps combattus, faire de sa vaillante et généreuse poitrine un bouclier pour nos frères. L'Émir
Abd-el-Kader sauvant au péril de sa vie 12,500 malheureux voués au glaive, offrit à tous un de ces
faits glorieux qu'on ne saurait oublier. Aussi l'admiration ne lui fit-elle pas défaut. Tout ce qui sent en
soi un cœur susceptible d'émotion noble et d'amour de l'humanité acclama celui qui venait de
donner un si grand exemple de dévouement et de tolérance.
La Maçonnerie s'émut aussi en présence d'actes aussi conformes à ses principes et au but de son
institution. La Loge Henri IV, entre autres, décida qu'une lettre de félicitations serait adressée à l'Émir
avec un bijou d'honneur.
Cette lettre qu'on trouvera plus loin dans le procès-verbal de la séance de proclamation se terminait
en ces termes :
« A ce titre, nous vous l'offrons (le bijou), et si vous daignez l'agréer, lorsque vos regards viendront à
le rencontrer, vous vous direz que là-bas, bien loin, dans l'Occident, il y a des cœurs qui battent à
l'unisson du vôtre, des hommes qui ont votre nom en vénération, des Frères qui vous aiment déjà
comme un des leurs, et qui seraient fiers si des liens plus étroits leur permettaient de vous compter
au nombre des adeptes de leur institution. »
La réponse de l'Émir ne se fit guère attendre; elle contenait, comme on le verra plus tard, une
demande formelle d'initiation. La Loge Henri IV, envisageant la portée d'une telle initiation pour
l'avenir de la Maçonnerie en Orient, accueillit cette demande avec empressement et s'occupa
immédiatement de chercher les moyens de réalisation. Une deuxième lettre fut écrite à l'Émir pour
lui poser les conditions de l'initiation et les questions à résoudre. Il y répondit de la manière la plus
franche et la plus ca[4]tégorique. Satisfaite de ses réponses, la Loge chargea le Frère Wannez, alors
son Vénérable, de s'entendre avec le Grand Orient de France sur la manière dont on pourrait
procéder à cette initiation qui offrait un grand obstacle dans l'absence du récipiendaire. S. A. le
prince Lucien Murat, désireux de faire pour la Maçonnerie une aussi glorieuse acquisition, s'était
prêté avec bonne grâce à tout ce qui pouvait la faciliter, et nous nous apprêtions à consommer ce
grand acte quand les événements qui vinrent troubler la bonne harmonie dans le sein de l'Ordre
amenèrent un retard fâcheux dans l'exécution.
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Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
Après l'élévation de l'Illustre Maréchal Magnan à la grande Maîtrise, la Loge voulut donner suite à
son projet, en vertu de l'autorisation que lui avait accordée l'Administration précédente. Des
obstacles lui furent opposés On sut alors qu'il y avait à Alexandrie une Loge Française : les Pyramides
d'Égypte ; on parlait en même temps d'un voyage de l'Emir dans ces contrées. La Loge Henri IV pensa
que, par cette Loge, on pourrait enfin arriver au résultat tant désiré et décida qu'on écrirait à ce
Respectable Atelier pour le mettre au courant de toute cette affaire et lui proposer de faire, le cas
échéant, l'initiation de l’Émir Abd-el-Kader, au nom de la Loge Henri IV.
Avec une bienveillance et une courtoisie toute maçonnique, le Frère Custot, Vénérable, nous fit
savoir que la Loge les Pyramides d'Égypte se mettait tout à notre disposition, et qu'on allait suivre les
démarches de l'Emir, — alors à la Mecque ou à Médine, — afin de profiter de l'occasion quand elle se
présenterait. Toutes les pièces furent donc expédiées, et, à la fin du mois de juin 1864, nous
apprenions officiellement que l'Emir avait été initié au 1er grade dans la Loge des Pyramides
d'Égypte, et que, pour compléter son œuvre, cet Atelier avait conféré à l'illustre récipiendaire les 2e
et 3e grades, en se conformant au délai fixé par les statuts. Cette nouvelle, qui comblait nos vœux les
plus chers, le Frère Poullain, Vénérable de la Loge Henri IV, fut prié de la faire parvenir
immédiatement à notre Illustre Grand Maitre. Il devait en même temps lui faire part de notre
intention de convoquer une tenue solennelle pour donner à cet événement la publicité qu'il nous
semblait mériter, et acclamer le nouvel initié en mettant sous les yeux de nos Frères de tous les Rites
la correspondance échangée à ce sujet.
Le 13 juillet, l'Illustre Frère Blanche, Grand Maitre adjoint, nous adressait, au nom de l'Illustre Grand
Maitre, la planche ci-jointe :
No 476, V. 27 de la CORRESPONDANCE CABINET du Grand Maitre adjoint chargé de l’Administration
Grand Orient de France SUPREME CONSEIL POUR LA FRANCE ET LES POSSESSIONS FRANÇAISES.
Orient de Paris, le 13 juillet 1864 (ère véritable)
Très Chers Frères,
C'est avec le plus vif intérêt que notre Très Illustre Grand Maitre a reçu communication de la planche
par laquelle vous l'informez que la Respectable Loge les Pyramides d'Égypte a initié, au nom de votre
Atelier et en vertu d'une délégation que vous lui aviez donnée, l'Emir Abd-el-Kader.
Il me charge de vous adresser ses félicitations pour cette initiation due à votre initiative et à votre
persévérance; il recevra avec intérêt le procès-verbal que vous lui annoncez.
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Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
Toute la Maçonnerie française s'associera avec empressement, Très Chers Frères, aux sentiments de
notre Très Illustre Grand Maitre, et je serai heureux pour ma part de faire insérer au Bulletin officiel
le procès-verbal que vous nous avez annoncé.
Recevez, Très Chers Frères, l'assurance de nos sentiments affectueux.
Le Grand Maître adjoint
Chargé de l'Administration ALFRED BLANCHE
RESPECTABLE LOGE Henri IV,
Orient de Paris.
[6]
La tenue solennelle fixée au 1er septembre suivant eut lieu avec beaucoup d'éclat, et nous a paru
d'un intérêt si majeur pour la Maçonnerie, que l'Atelier a décidé l'impression du procès-verbal in
extenso avec toutes les pièces qui y ont été communiquées.
C'est le sujet de la présente publication.
[7]
A La Gloire Du Grand Architecte de l'Univers
A N\ET Sous les auspices du Grand Orient de France
TENUE SOLENNELLE DU 1er SEPTEMBRE 1864
L'an de la vraie Lumière 5864 le 1er jour du 1er mois (ère vulgaire 1er septembre 1864).
La RESPECTABLE LOGE Saint-Jean, sous le titre distinctif Henri IV, régulièrement convoquée et
fraternellement réunie, a ouvert ses Travaux au 1er Grade symbolique sous la présidence du Très
Cher Frère Acarry fils, 1er Surveillant Titulaire en l'absence du Très Cher Frère Poullain, Vénérable
Titulaire.
Le Frère Schneitz d'officier tenant le 2e maillet.
Le FRÈRE Arnoult, 2e Surveillant, tenant le 3°.
Le FRÈRE Duboc, Orateur, occupe la tribune.
Le FRÈRE Bertin tient le pinceau.
Les autres offices remplis par qui de droit.
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Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
Le FRÈRE Acarry donne Lecture d'une dépêche télégraphique du FRÈRE Poullain, nous accusant
l'impossibilité où il se trouve d'assister aux Travaux de ce jour.
Lecture faite de la tenue du 4 août et du Conseil du 18 même mois, les tracés parfaits sont adoptés
sans rectifications.
L'entrée du Temple est donnée aux Frères visiteurs qui, en un instant, garnissent les Colonnes
Le FRÈRE 1er Surveillant annonce que des députations sont dans les parvis du Temple.
[9]
La Loge debout et à l'ordre, reçoit les Loges dont les noms suivent :
Saint-Auguste de la Bienfaisance, Orient de Boulogne.
Les Bienfaiteurs réunis, Orient de Paris.
L'Espérance fraternelle, Orient d'Argenteuil.
La Buche philosophique, Orient de Paris.
Les fidèles d'Hiram, Orient de Rueil,
Les Amis du Peuple, Orient de Pontoise.
Des Frères Vénérables de tous les rites prennent place à l'Orient.
Le Vénérable porte à la connaissance de la Loge que, par communication officieuse du secrétariat du
Grand Orient, il a été informé que l'Illustre FRÈRE Blanche, Grand Maître adjoint, absent de Paris, ne
pourra assister à notre tenue de ce jour.
Sur la proposition du FRÈRE Schneitz, le FRÈRE Orateur entendu en ses conclusions, un vif
remerciement et des félicitations sont adressées au nom de la Loge au FRÈRE Morin, Vénérable de la
Loge La Persévérance, pour la bienveillance toute fraternelle avec laquelle il a bien voulu conférer la
maîtrise à nos Frères Compagnons.
Le Vénérable en quelques mots fait connaître le but de la réunion de ce jour; il explique les faits qui
ont eu pour résultat l'Initiation de l'Emir Abd-el-Rader par la RESPECTABLE LOGE les Pyramides
d'Egypte Orient d'Alexandrie au nom de la Loge Henri IV, et il annonce que ce nouvel initié va être
solennellement proclamé et acclamé membre actif de la RESPECTABLE LOGE Henri IV.
Les Frères chargés de représenter dans cette cérémonie l'Emir et la Loge d'Alexandrie, se rendent
dans les Pas-Perdus; ils sont aussitôt annoncés par le 1er Surveillant et, sur l'invitation du Vénérable,
une députation se rend au devant d'eux.
Les Frères étant debout et à l'ordre, glaive en main, le Vénérable ordonne qu'on ouvre la porte du
Temple, et le cortège entre dans l'ordre suivant :
Le FRÈRE Grand Expert,
14
Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
Les deux Maîtres des cérémonies,
La bannière de la Loge,
Trois Maitres munis d'étoiles,
Les trois délégués, celui du milieu portant sur un plateau les pièces officielles,
Puis fermant le cortège les deux Frères Expert.
Parvenus à l'Orient, en passant sous la voûte d'acier, les délégués par l'organe du FRÈRE Silbermarm,
l'un d'eux, s'expriment ainsi :
[9]
« Très Cher Vénérable et vous tous mes Frères, nous délégués de la
« RESPECTABLE LOGE les Pyramydes (sic) d'Égypte, Orient d'Alexandrie, avons la
« faveur de remettre entre vos mains les pièces officielles constatant
« l'initiation de l'Emir Abd-et-Kader au Grade d'Apprenti maçon, ini« tiation faite par notre Atelier sur l'invitation et au nom de la Respectable
« Loge Henri IV, Orient de Paris, le 18 juin 1864. »
Le Vénérable, au nom de la Loge, donne acte de cette remise.
Les délégués prennent place et la parole est accordée au FRÈRE Arnoult, 2e Surveillant, qui donne
lecture de la première lettre adressée à l'Emir par la Loge :
« Très Illustre Emir,
« Partout où la vertu se produit avec éclat, partout où la tolérance et l'humanité ont été
sauvegardées et glorifiées, les Francs-Maçons accourent pour acclamer et reconnaître celui qui, au
prix des plus grands sacrifices, sait accomplir l'œuvre de Dieu sur la terre et prêter à l'opprimé un
appui tutélaire et désintéressé.
« C'est que la Franc-Maçonnerie sent que ces hommes sont les siens, qu'ils marchent dans sa voie, et
elle éprouve le besoin de leur crier merci et courage ! au nom de l'infortune, au nom de la Société, au
nom des grands principes sur lesquels elle repose.
« Voilà pourquoi, Très Illustre Emir, nous, membres de la Loge maçonnique Henri IV, Orient de Paris,
nous venons, après tant d'autres, mais avec non moins d'ardeur et de reconnaissance, ajouter un
modeste fleuron à la couronne de bénédictions que le monde civilisé pose aujourd'hui sur votre
noble et sacrée tête. Nous venons offrir notre tribut d'admiration à celui qui, supérieur aux préjugés
15
Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
de caste et de religion, s'est montré homme avant tout et n'a écouté que les inspirations de son
cœur pour opposer un inexpugnable rempart aux fureurs de la barbarie et du fanatisme.
« Oui, vous êtes bien le représentant, le véritable type de cette vigoureuse nationalité arabe à
laquelle l'Europe doit, en grande partie, sa civilisation et les sciences qui l'éclairent. Vous avez prouvé
par vos actes et la magnanimité de votre caractère que cette race n'a pas dégénéré et que si elle
semble assoupie, elle peut se réveiller pour les grandes œuvres, aux évocations d'un génie aussi
puissant que le vôtre. Après l'avoir soutenue de votre glaive avec une [10] gloire et une grandeur que
la France, alors votre adversaire, a su apprécier et admirer, vous la glorifiez plus encore par la
générosité et le dévouement dont vous venez de donner des preuves en faveur de la civilisation. Les
Omar, les Averroès, les Alfarabi, vous résumez en vous seul les guerriers, les savants, les philosophes
dont votre nation est fière à si juste titre.
« A vous donc. Très Illustre Émir, à vous, gloire et merci de nouveau ! Puisse, le Dieu que nous
adorons tous, ce Dieu qui a son trône au fond de tous les cœurs généreux, achever son œuvre par
vos mains ! Ne semble-t-il pas en effet, vous avoir amené, après tant de vicissitudes et par un dessein
secret de sa providence, au milieu de ces contrées, pour y dissiper les ténèbres de l'ignorance,
éteindre les torches d'un fanatisme abruti et faire remonter au rang de peuple civilisé ces
malheureux égarés par l'ignorance ? Aussi, nous confions-nous assez en sa miséricorde pour attendre
ce résultat de votre sainte influence, de l'ascendant de vos lumières et de vos vertus.
« La Franc-Maçonnerie, qui a pour principes l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme, et pour
base de ses actes, l'amour de l'humanité, la pratique de la tolérance et de la fraternité universelle, ne
pouvait assister sans émotion au grand spectacle que vous donnez au monde. Elle reconnaît, elle
revendique comme un de ses enfants (par la communion d'idées tout au moins) l'homme qui, sans
ostentation et d'inspiration première, met si bien en pratique sa sublime devise : UN POUR TOUS.
« C'est sous cette impression, Très Illustre Émir, que la Loge Henri IV, petit groupe de la Grande
Famille maçonnique, a cru devoir vous adresser cette faible, mais bien sincère expression de ses
ardentes sympathies, et vous offrir comme hommage son bijou symbolique. Ce modeste bijou n'a de
valeur que par ses emblèmes: équerre, niveau, compas; Justice, Egalité, Fraternité; mais il brille sur
des poitrines dévouées à l'humanité et dévorées de l'amour de leurs semblables. A ce titre, nous
vous l'offrons, et, si vous daignez l'agréer, lorsque vos regards viendront à le rencontrer, vous vous
direz que là-bas, bien loin dans l'Occident, il y a des cœurs qui battent à l'unisson du vôtre, des
hommes qui ont votre nom en vénération, des frères qui vous aiment déjà comme un des leurs et qui
seraient fiers si des liens plus étroits leur permettaient de vous compter au nombre des adeptes de
leur Institution.
Orient de Paris, le 16 novembre 1860 (E. V.)
[14]
Le FRÈRE Laverrière, représentant l'Émir, lit la réponse suivante :
« Louange à Dieu seul !
16
Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
Honorables et respectables Messieurs, chefs et dignitaires de l'éminente Société franc-maçonnique,
que Dieu Très-Haut les protège !
« Après vous avoir fait parvenir nos souhaits ,les meilleurs et notre considération qui provient de la
sincérité de notre cœur, je dois vous dire que pendant que je considérais vos nobles discours
antérieurs, et que je pensais que le grand Créateur du monde n'accorde pas à ses serviteurs tous ses
bienfaits en une seule fois, mais peu à peu pour qu'ils puissent en savourer constamment le goût et
avoir envers lui une continuité de reconnaissance non interrompue, j'ai reçu la lettre bienveillante de
vos seigneuries, lettre que je dois à votre bonne amitié dont je ne doute aucunement, ainsi que la
belle fleur dont l'excellence allégorique surpasse l'odeur de la rose précieuse et parfaite, et qui, par
l'indication de la justice, des nivellements et de la fraternité qu'elle représente, surpasse la sagesse
d'Aristote et comprend les excellentes qualités et le désir de les posséder. Cela est donc parvenu à
votre fidèle et l'a comblé d'une indicible joie :
« 1° A cause de la chose elle-même, puisque je me considère comme ayant découvert là les vrais
trésors du monde;
« 2° A cause de la bonne rencontre de son arrivée sur laquelle je ne comptais pas de la part du
Créateur; qu'il soit loué et exalté ! car je considère ce que vous désirez de la communauté de mes
pensées avec les vôtres, comme une faveur entre les faveurs de Dieu dont j'avais été privé jusqu'ici,
don particulier sans qu'il m'ait coûté aucune peine.
« Louange à Dieu ! et à moi félicité et bonheur parfait de ce que vous m'accordez cette faveur, car je
corrobore et approuve la pensée que vos intentions sont bonnes et vos idées justes. Il n'y a pas de
meilleur témoignage que votre inclination vers moi, parce que vous avez appris que j'ai secouru mes
frères par humanité et que je leur ai été en aide lors de la barbare animosité qui a eu lieu. Quelle est
l'excellence qui surpasse l'amour des hommes? La philanthropie! si cet amour ne se trouvait pas en
moi, aurais-je une [12] religion sincère ? A Dieu ne plaise! Certes, l'amour est le vrai fondement de la
religion. Dieu est le Dieu de tous et il nous aime tous.
« Actuellement, j'adresse à votre Compagnie très excellente ma lettre à trois fins, conformément à
mon désir :
1° De manifester ma gratitude à vos seigneuries sur les insignes bénis que vous voulez me faire
accepter, lesquels me sont parvenus, bien que je n'en sois pas digne (si ce n'est à cause de ma grande
affection pour vous tous et de ma propension particulière pour votre belle association); car leur prix
est à mes yeux plus grand que celui de la couronne qui ornait Alexandre, fils de Philippe le grec, c'est
pourquoi je les ai reçus avec joie et grande vénération ;
2° Pour que vos seigneuries sachent bien que j'ai le désir très réel de m'associer à votre confraternité
d'amour et de participer à vos vues dans la généralité de vos excellentes règles, car je suis disposé à y
déployer mon zèle;
« Et lorsque vous m'aurez fait connaître les conditions et les obligations qui me sont imposées, je les
observerai fidèlement conformément à ce que vos seigneuries m'indiqueront. Et je me trouverai
17
Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
extrêmement heureux quand je rencontrerai quelqu'un des membres les plus considérables et les
plus distingués de votre Société, à cause de l'idée avantageuse que vous avez eue de moi;
« 3° Afin que dorénavant une correspondance amicale ait lieu entre nous, sans interruption,
car je suis prêt à faire tout ce que vous croirez devoir me marquer, en exécutant avec joie ce que les
statuts de votre amitié exigeront de moi, quand je saurai à quoi je suis tenu pour l'accomplissement
de mes obligations.
« Je finis, en renouvelant l'expression de ma reconnaissance envers vous tous, en tout temps et en
tout lieu, et en adressant l'assurance de ma considération respectueuse à toute la Société, dans les
quatre points cardinaux.
« Que Dieu très-haut vous rendent contents et satisfaits. Amen.
« L'ami fidèle,
„LE SAÏYED ABD-EL-KADER.
« Fils de MUHI EDDIN. »
(Suit l'apposition du cachet qui contient les mêmes mots.)
Traduit par M. GORCIT DE TASSY, membre de l'Institut.
[13]
Le FRÈRE Schneitz lit la seconde lettre adressée par la Loge à l’Émir, et ainsi conçue :
« Très-Illustre Emir,
« C'est avec un sentiment indicible de bonheur et de gratitude que nous avons reçu la très-belle et
très excellente réponse dont vous avez honoré nos félicitations fraternelles, et il nous a fallu des
impossibilités bien absolues pour que nous n'ayons pas répondu plus tôt au désir que vous avez
manifesté de vous unir à nous par le lien de la fraternité maçonnique. Nous nous empressons de
réparer ce retard aussi involontaire que pénible, et nous arrivons sans autre préambule au point
capital de la question.
« Dans votre vénérée lettre, Très-Illustre Emir, vous nous dites :
« Actuellement, j'adresse à votre compagnie ma lettre en trois fins;
« 1° Pour vous manifester ma gratitude;...
« 2° Pour que vos seigneuries sachent bien que j'ai le désir très-réel de m'associer à votre
confraternité d'amour, et de participer à vos vues dans la généralité de vos excellentes règles; car je
suis disposé à y déployer mon zèle, et lorsque vous m'aurez fait connaître les conditions et les
obligations qui me sont imposées, je les observerai fidèlement. »
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Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
« Nulle chose ne pouvait être plus agréable à nos cœurs, et nous avons considéré cette déclaration
d'un aussi illustre représentant de la nationalité arabe, comme la plus glorieuse récompense que le
Très-Haut ait daigné accorder à nos travaux, glorieuse surtout dans ses résultats pour le progrès et la
civilisation. C'est que vous êtes appelé, par le fait de l'Initiation qui vous sera conférée, à être pour
l'Orient l'apôtre de la grande religion humanitaire. Et c'est à ce point de vue que nous vous devons
avant tout des notions aussi claires que précises sur les engagements que l'on contracte en entrant
dans la Franc-Maçonnerie.
« Un mot sur le point de vue général de l'institution simplifiera beaucoup la question. Nous allons
donc essayer de vous bien démontrer notre point de départ, notre but, nos aspirations.
« Nous sommes obligés, à cet effet, de vous faire connaître les premiers articles de notre
constitution, articles qui renferment toute notre profession de foi.
[14]
ARTICLE PREMIER.
« L'Ordre des Francs-Maçons a pour objet la bienfaisance, l'étude de la morale universelle et la
pratique de toutes les vertus;
« Il a pour base l'existence de Dieu, l'immortalité de l'âme et l'amour de l'humanité;
« Il est composé d'hommes libres, qui, soumis aux lois, se réunissent en société régie par des statuts
généraux et particuliers.
ART. 2.
« La Franc-Maçonnerie ne s'occupe ni des diverses religions répandues dans le monde, ni des
constitutions des Etats. Dans la sphère des idées où elle se place, elle respecte la foi religieuse et les
sympathies politiques de chacun de ses membres.
« Aussi, dans ses réunions, toute discussion à ce sujet est-elle formellement interdite.
ART. 3.
« La Maçonnerie conserve toujours son ancienne devise : Liberté, Égalité, Fraternité; mais elle
rappelle à ses adeptes que, travaillant dans le domaine des idées, un de leurs premiers devoirs,
comme Maçons et comme citoyens, est de respecter et d'observer les lois des pays qu'ils habitent.
ART. 4.
« La Maçonnerie considère l'obligation au travail comme une des lois impérieuses de l'humanité, elle
l'impose à chacun suivant ses forces, et proscrit en conséquence l'oisiveté volontaire. »
19
Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
Voilà tout le code maçonnique dans son essence, et c'est de la pratique bien
entendue de ces principes que part le rayonnement de la Maçonnerie sur la société moderne
et le bien qu'elle est appelée à y produire.
«
« Essayons donc de les développer, ces principes, comme nous les comprenons et comme nous
avons la douce conviction que vous les comprenez vous-même, Très-Illustre Emir.
«Notre société a pour objet, la bienfaisance, l'étude de la morale et la pratique de toutes les vertus.
« Nous n'avons à ce sujet aucune explication à vous donner : vos [15] actes ont prouvé que ce
paragraphe vous concerne et semble avoir été écrit pour vous. De ce chef donc, vous faites déjà
partie intégrante de la Franc-Maçonnerie.
« Elle a pour base l'existence de Dieu, l'immortalité de l'âme et l'amour de l'humanité.
« Scrupuleux observateur du Coran, les deux premiers points sont aussi la base de votre foi
religieuse. Ici encore, nouvelle communion d'idées avec nous. Quant à l'amour de l'humanité vous
avez fait vos preuves de manière à ce que le doute à cet égard ne soit plus permis.
« Quant à l'art: 3, c'est ici que se révèle toute notre institution et le fondement le plus solide sur
lequel elle repose.
« La maçonnerie n'a pas égard aux diversités de cultes, elle admet dans son sein tous ceux qui ont foi
clans le Créateur de toutes choses, sous quelque nom qu'ils l'invoquent. Elle a inscrit sur son drapeau
le mot TOLÉRANCE, et voici comment elle l'explique. Cette tolérance n'est pas une indifférence
systématique pour les dogmes, mais bien une éclatante manifestation de respect pour le libre
arbitre, pour le libre examen, pour les convictions basées soit sur le résultat des recherches
scientifiques, soit, et plus encore, sur le for intime de la conscience, Voilà pourquoi, tout en exigeant
de ses membres l'honorabilité la plus intègre, elle respecte la foi religieuse et les sympathies
politiques de chacun ; voilà pourquoi elle s'interdit dans ses réunions toute discussion sur ces
matières.
« Elle a conservé pour devise ; Liberté, Égalité, Fraternité.
« Liberté de pensée et d'examen avant tout : l'homme, dans le domaine de l'intelligence, ne devant
relever que de Dieu et de sa conscience; liberté d'action selon les lois éternelles de la nature,
subordonnées aux lois de la justice primordiale et sociale;
« Égalité, quant au moral, pour l'instruction et l'éducation progressive des masses ; quant au
physique, par la réalisation d'un bien-être général relatif, fruit d'un travail commun ;
« Fraternité, amour de soi dans les autres, sentiment par lequel tous vivent en un seul, qui fait de
toutes les vies une seule vie, qui confond tous les efforts en un seul et suprême effort, ayant pour
but d'atteindre à la répartition d'une somme égale de bonheur sur chaque membre de la famille
humaine.
« La maçonnerie prescrit le travail mais loin de le considérer comme un châtiment, elle en fait une
obligation honorable et sacrée parce qu'à ses yeux, le travail est la base de la société. Il con-[16]court
au développement physique de l'être, il donne à l'homme la perfection de sa force physique, la
20
Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
perfection de son intelligence ; il concourt à l'amélioration du sort de l'humanité, puisque tout en ce
monde n'est que le fruit du travail individuel, qui, par une loi providentielle, forme la somme du bien
social.
« Cette exposition sommaire de nos principes, exposition qui sera complétée, Très-Illustre Émir,
progressivement avec les grades qui vous seront conférés, suffit déjà pour vous démontrer que la
Franc-Maçonnerie est une œuvre d'édification, de droit et de justice, que ses moyens d'action sont
l'amour, la bienfaisance, l'étude de la vérité et du bien.
« Il est donc très-naturel que, sachant ce que vous voulez, connaissant ce que vous pouvez apporter
de concours au but que nous poursuivons, nous ayons accueilli avec empressement la demande que
vous nous avez adressée. Il nous semble, et notre espoir ne saurait être déçu, il nous semble, que par
vous, l'Orient est appelé à une régénération morale ; par vous, la Maçonnerie va continuer aux lieux
qui furent son berceau, le travail d'émancipation intellectuelle déjà si glorieusement commencé dans
ces derniers temps, sur les marches du trône de la Perse.
« Un obstacle immense, causé par votre éloignement, semblait au premier abord,
s'opposer à la réalisation de votre désir, qui est aussi le nôtre. L'initiation maçonnique, symbolisée
par des cérémonies et des emblèmes d'une signification morale et philosophique, doit être conférée
d'une manière toute personnelle, afin que l'initié, par ses réponses aux questions qui lui sont posées,
ouvre son cœur devant ceux qui sont ses juges avant de devenir ses frères, et laisse pénétrer,
jusqu'aux dernières profondeurs de sa pensée, jusqu'aux replis les plus secrets de son âme.
« Cette condition essentielle, mais impossible à remplir aujourd'hui, nous avons obtenu du pouvoir
qui dirige notre Ordre l'autorisation d'y suppléer en vous demandant de nous envoyer par écrit votre
opinion sur la manière dont vous entendez et interprétez les trois questions fondamentales posées à
tout néophyte de la Maçonnerie.
« Ces trois questions les voici :
« Quels sont les devoirs de l'homme envers Dieu ? envers ses semblables ? envers lui-même ?
[17]
Après avoir répondu à ces trois questions, veuillez, comme corollaire, nous dire vos idées :
1° Sur l'immortalité de l'âme ;
2° Sur l'égalité des races humaines aux yeux de Dieu ;
3° Sur la manière dont vous entendez la tolérance et la fraternité.
« Voilà sur quoi, Très Illustre Emir, vous êtes prié de nous donner le résultat de vos mûres réflexions,
résultat qui, nous n'en doutons pas, sera conforme à ce que nous attendons de vous.
« Cette formalité remplie, il vous restera à nous adresser votre TESTAMENT. Ce mot a droit de vous
surprendre, et nous nous hâtons de vous en expliquer la portée en cette circonstance.
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Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
« Le néophyte admis à subir les épreuves de l'initiation est d'abord introduit dans un endroit sombre,
tendu de noir, loin du bruit des hommes et de la lumière du jour, où il voit inscrites sur les murs des
inscriptions qui le rappellent à la vanité des grandeurs, au néant de la vie.
« En présence d'un squelette, seul, livré à lui-même, il doit songer à sa dernière fin. C'est alors qu'il
trouve devant lui, sur une table, un papier où sont inscrites les trois premières questions dont nous
avons parlé plus haut et auxquelles il doit répondre par écrit. Au-dessous de ces questions se trouve
une lacune indiquée par le mot testament qu'il doit également remplir.
« Par ce mot nous avons voulu lui faire comprendre que son entrée dans la Maçonnerie est la mort
au monde égoïste, au monde du chacun pour soi, et qu'en dehors des devoirs de la famille, il devait,
en ce moment suprême, songer aux malheureux que nous soulageons tous les jours et leur venir en
aide.
« Nous nous résumons. Nous attendons votre réponse aux questions que nous vous avons posées,
réponse claire et catégorique, comme nous sommes en droit de l'attendre de celui qui sent et pense
avec nous, et, immédiatement, dans les délais conformes aux règlements, nous vous adresserons la
collation aux différents grades, avec les instructions qu'ils comportent et les droits qu'ils confèrent.
« Quand vous serez pénétré de leur esprit, vous sentirez le besoin de les propager pour le bien de
l'humanité ; vous appellerez à la lumière les nations qui dorment encore à l'ombre de la mort; vous
réveillerez en elles le feu sacré en les conviant au grand œuvre de [18] la fraternité universelle; et
Dieu vous bénira, car vous serez véritablement son apôtre; et nous nous réjouirons en lui parce que,
par vous, son œuvre croîtra et multipliera avec la majesté du cèdre du Liban, avec le parfum des
roses de Sâron, et que grâce à vos glorieux efforts, les générations futures goûteront en paix, les
fruits de l'arbre de vie.
« Que le Très-Haut daigne nous exaucer en répandant sur vous toutes ses bénédictions, tel est, Très
Illustre Emir, le vœu le plus ardent de vos Frères dévoués.
Les Maçons de la Loge Henri IV.
Le Frère Laverrière continue par la communication de la réponse de l'Emir à cette lettre :
« Louange au Dieu unique !
Aux seigneurs illustres et directeurs clairvoyants, à tous les Francs-Maçons, et en particulier au
supérieur, chef de la Loge Henri IV.
« Votre lettre m'est arrivée et votre discours m'a honoré. Je ne puis rendre ce qu'elle m'a apporté de
joie. J'y réponds succinctement, en suivant la version du traducteur de votre lettre, sans savoir si
cette traduction est ou non conforme à votre pensée.
PREMIERE QUESTION.
« Quels sont les devoirs de l'homme envers Dieu? »
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Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
Réponse.—L'homme doit honorer le Dieu Très-Haut, l'aimer, se hâter d'accomplir ce qui lui est
agréable, se rapprocher de lui, se modeler sur ses attributs : miséricorde, pardon, protection, générosité, science, justice, bienveillance, etc., le suivre dans ses actions, s'efforcer de faire sa volonté,
se résigner à ses commandements, se complaire dans ses arrêts; supporter ses épreuves avec
patience, se persuader qu'on ne peut empêcher ce qu'il a établi dans l'avenir, être convaincu que
tout bien dont on jouit vient de ce Dieu qui est le Très-Haut, l'Unique, et n'a pas d'associé dans la
création.
[19]
Deuxième Question.
« Quels sont les devoirs de l'homme envers ses semblables ? »
« Réponse.—Il faut qu'il leur donne de bons conseils en les dirigeant vers les avantages de ce monde
et de l'autre; qu'il les aide en cela, en instruisant l'ignorant et en avertissant l'indifférent, en les
protégeant, en respectant le grand sans lui porter envie, en compatissant au petit et pourvoyant à
ses besoins, amenant à eux les choses utiles et repoussant d'eux le mal.
«Toutes les lois reposent sur deux bases : la première de glorifier Dieu, la seconde, d'avoir
compassion des créatures de ce Dieu Très-Haut. L'homme doit considérer que leur âme et la sienne
ont une même origine, et qu'il n'y a entre elles d'autre diversité que leur enveloppe et leur extérieur;
car l'âme entière provient d'un esprit entier qui, comme Eve provenant d'Adam, est l'origine de
toutes les âmes. L'âme est une, elle n'est pas multiple. La multiplicité n'est que dans les enveloppes
par lesquelles elle se montre, et dans les formes par lesquelles elle brille. C'est que les corps sont des
maisons obscures, de noires régions qui, lorsque les lumières de l’âme entière les enveloppent,
brillent et luisent par ces lumières qui débordent d'elles. C'est ainsi que des lieux enveloppés par la
lumière du soleil, brillent quoique la lumière de cet astre soit une et non multiple. Le disque du soleil
est unique, c'est là son essence. Cependant la lumière qui en émane éclaire de nombreux endroits
qui se multiplient par le rayonnement.
« La multiplicité vient des divers côtés des lieux éclairés et non du côté de la lumière qui, dans son
essence, ne change pas : il en est de même du soleil. La lumière qui est en Syrie est autre que la
lumière de France forcément. Ainsi, le vêtement des âmes est un, il brille dans les endroits extérieurs
et la multiplicité se trouve dans ces endroits et non dans ce qui les éclaire.
« Il en est de même des nombres. Us se multiplient par une des unités, des dizaines, des centaines,
des mille : chaque degré de ces classes de nombres n'est que l'unité; car, deux, par exemple, n'est
que un et un qui, réunis, font deux; ce n'est jamais que un répété. Il en est de même de tous les
degrés de nombre à l'infini : ils se réduisent tous à l'unité, ils sont nombreux, l'unité est toujours une.
[20]
«Autre comparaison. L'âme totale est comme le centre d'un cercle, et les âmes particulières comme
le cercle. Le cercle tout entier est formé de lignes et de points liés les uns aux autres. Le point central
fait face à tous les points du cercle et chaque point du cercle est un œil du point central par rapport à
son isolement et à son opposition à ce point central qui est ainsi entouré de tous les points.
23
Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
« C'est pourquoi il est bon pour l'homme d'aimer sa personne (son essence) dans un autre que lui 4
(I).
TROISIÈME QUESTION.
« Quels sont les devoirs de l'homme envers son âme? »
« Réponse. —Il doit la purifier, l'émonder de tout vice, et l'embellir en l'ornant de vertus et de
mérites. Quoique ces mérites soient en grand nombre, on peut les réduire à quatre principaux qui,
atteints et harmonisés, les renferment tous. Ce sont : la science, le courage, la passion et la justice,
qui est entre les trois autres.
«L'harmonisation et la bonté de la science consistent en ce qu'on parvient par elle à saisir la
différence entre la sincérité et le mensonge dans les paroles, entre la vérité et la fausseté dans les
croyances, entre la beauté et la laideur dans les actions. Quand la science est harmonisée, pondérée,
son fruit est la sagesse, et la sagesse est le premier mérite.
«L'harmonisation du courage est de le refréner et de le relâcher dans la limite tracée par la sagesse. Il
en est de même de la passion, il faut la placer sous les ordres de la sagesse, c'est-à-dire, de la raison
et des lois divines.
« La justice est le frein de la passion et du courage : celui-ci har-[21]monisé, devient la bravoure; audelà, c'est la témérité, en deçà, c'est la lâcheté, la faiblesse : les deux extrêmes sont blâmables.
«L'harmonisation de la science, c'est la sagesse; il y a excès lorsque son possesseur en use pour
tromper les hommes; on l'appelle alors ruse, tromperie; quand elle fait défaut, on l'appelle ignorance
: les deux sont blâmables.
Quant à la justice, elle est chargée de diriger la passion et le courage conformément à la sagesse.
«Un autre devoir de l'homme envers son âme, est d'observer à l'égard du corps le droit qui lui
appartient, car le corps fait partie du monde, de la création et de la destruction. Le corps réclame des
satisfactions matérielles : la nourriture, la boisson, l'habillement, l'union sexuelle. Il n'a pas été créé
sans but sérieux, utile, ni joint à l'âme pour n'en recevoir qu'une vaine direction. Quand l'âme a pris
cette direction, l'obscurité de la nature l'enveloppait, et elle avait besoin des sens pour acquérir les
sciences et les connaissances. Il faut donc s'efforcer de trouver ce qui convient et apprendre à se
servir des choses que Dieu a mises sur la terre comme moyens de faire durer ce corps et ces sens.
4
(1) Cette pensée de l'Émir semble avoir quelque rapport avec celle de Pascal : Comme nous
ne pouvons aimer ce qui est hors de nous, il faut aimer un être qui soit en nous et qui ne soit
pas nous. Or, il n'y a que l'être universel qui soit tel : le royaume de Dieu est en nous; le bien
universel est en nous-mêmes et ce n'est pas nous. » (Pensées.)
La forme du raisonnement d'Abd-el-Kader rappelle assez celle de la Scolastique. Mais quant
au fond des idées, l'Émir se montre assez spiritualiste dans le sens moderne, son style est net,
précis, mais la nature philosophique de cette lettre en rend la traduction très-difficile. (Note du
traducteur.)
24
Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
Négliger entièrement le corps et l'exposer à la mort est un des grands péchés, c'est se mettre en
opposition avec son créateur et contrarier sa sagesse. Il est le Très-Haut.
« Quant à l'immortalité de l'âme, la raison et les lois divines sont d'accord sur ce point, car la mort est
une corruption, une disparition, et la corruption est un des attributs des corps. Ils quittent une forme
pour en revêtir une autre, comme l'eau quand elle se change en air, comme la plante lorsqu'elle
devient terre, ou la terre lorsqu'elle devient plante. Quant à ce qui n'est pas corps et n'a pas besoin
de corps pour durer, on n'en peut imaginer la corruption. L'âme n'est pas un corps ni un accident,
elle ne se divise, ni ne se réduit, elle n'est ni inhérente à une chose, ni dans un lieu; elle ne peut se
désigner par aucune des qualités des corps; sa compréhension ne lui vient pas des sens et ce n'est
que par elle-même qu'elle arrive à les connaitre; elle est ce qui connait, ce qui est connu et la
connaissance; il n'y a là aucune distinction, car la distinction (différence) est un attribut des corps.
L'âme est une essence spirituelle, sans composition, et ce qui n'est pas composé ne meurt ni ne finit ;
le spirituel n'est pas soumis au temps, et ce qui n'est pas soumis au temps ne change point; l'âme est
donc immortelle.
[22]
QUATRIÈME QUESTION.
« Si tous les hommes sont égaux devant Dieu ? »
« Réponse. —En ce qui touche l'essence, l'état qui fait que les hommes appartiennent au genre
humain, nous avons dit qu'en cela, ils sont égaux, et que leur être est un, quoique les enveloppes de
cet être, ses formes, ses noms soient multiples. Ainsi est une, la qualité blanche ou la blancheur dans
le vêtement, dans la pierre précieuse, le papier, la farine, le teint. Certes la blancheur apparaît une
dans le papier, dans la pierre précieuse ; on ne peut pas dire qu'elle ne soit représentée que comme
une partie de blancheur dans la pierre précieuse; il en est de même de la qualité ligneuse dans un
morceau de bois, une chaire, un cercueil, une chaise et autres objets réels.
« Quant à l'égalité des hommes devant Dieu, sous le rapport du contentement ou du
mécontentement qu'il peut avoir d'eux, cette égalité n'a pas lieu; car la raison et la loi divine
décident que le traître et le menteur ne sont pas égaux au fidèle et au sincère , celui qui a des vices à
celui qui a des vertus, celui qui ravit les biens des faibles, des pauvres, des orphelins et tue leur âme à
celui qui les soulage de son bien et les fait vivre. Non, les âmes ne seront pas égales en rémunération
devant Dieu ; car il y a quatre sortes d'âmes :
« La première, les âmes qui, par les recherches de la raison et le désir de leur cœur, réussissent à
connaître le créateur et à acquérir la possession de la vérité des choses, autant qu'il est au pouvoir
de l'homme de le faire ;
« La deuxième, les âmes qui ne font ni ne combattent ces recherches, mais qui possèdent la vérité
par la miséricorde (la grâce) de Dieu. L'état de ces âmes est uni, heureux;
25
Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
« La troisième sorte est celle de ces âmes ignorantes, qui, par habitude, suivent le contraire, l'opposé
de ces vraies recherches qui amènent au centre des choses, mais qui, sans fermeté dans leur
opposition, y renoncent au premier accident. Il arrive alors que ces âmes se trouvent, à l'égard des
vérités dans le même état que les âmes qui les ont reçues de la miséricorde de Dieu;
[23]
« La quatrième est celle de ces âmes malheureuses qui ont choisi le contraire de la vraie raison des
choses, et y persévèrent toujours malgré tout. Les âmes de cette catégorie sont perdues.
« Les âmes particulières sont à la grande âme, à rame entière, ce que sont les gouverneurs des villes
au grand Imam. Ils sont récompensés lorsqu'ils sont justes envers leurs sujets, et punis s'ils sont
injustes. Cette comparaison s'applique aux âmes qui gouvernent les corps humains et qui sont
chargées de dominer les sens de la part de l'âme entière (universelle), qui est l’âme des âmes. Elles
recevront récompense ou punition, au moment où l'Imam (Dieu) les destituera de leur
gouvernement, à la mort.
« Néanmoins, à cause de leur noblesse originelle, les âmes seront visitées par la miséricorde de Dieu,
lorsque la colère divine sera apaisée envers celles qu'il veut châtier. Les âmes souffrent par leur
entrée dans le feu (l'Enfer), mais il en sera comme des maladies, des chagrins qu'elles souffraient sur
la terre et qui ont pris fin. Ces maux n'ont point laissé de traces sur leur noblesse, car elles viennent
du monde le plus noble. Dieu agira à leur égard comme l'exige leur noblesse : de même que l'origine
les réunit, la miséricorde divine les réunira. Les âmes arriveront toutes au bien et à la félicité5 (1).
CINQUIEME QUESTION.
« Comment comprenez-vous la réalisation de la tolérance et de la fraternité ? »
« Réponse. —Nous savons que Dieu n’a pas créé les hommes en vain, sans but, car il est sage, il ne
fait rien sans utilité. Il ne les a pas créés seulement pour manger, boire, jouir et peupler la maison de
ce monde; s'il ne les avait créés que pour cela, il ne les ferait pas déménager de ce monde, il les y
ferait durer toujours. Sans doute qu'il les a créés pour une autre chose dont il est lui-même l'objet;
car ce n'est pas vers un autre que lui que doivent tendre les mérites, les aspirations (efforts) des
hommes.
[21]
« L'intention de Dieu, dans la création, a été que ses créatures le connussent par ses attributs et par
ses œuvres. L'ouvrier doit avoir pour attribut la science de la chose qu'il a faite, et la puissance de la
faire, de plus, il faut qu'il soit vivant; car la science et la puissance ne sont pas dans celui qui n'a pas la
vie.
5
(1) On voit que les âmes, chez les Musulmans, ne sont pas condamnées sans retour. L'Enfer
d'Abd-el-Kader n'est pas celui du Dante, où l'Espérance est ravie aux damnés. — (Note du
traducteur.)
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Version CRP Trad
« Lorsque les hommes connaissent Dieu par ses attributs et ses perfections, il faut qu'ils se
prosternent, qu'ils s'humilient devant lui; la prosternation, c'est l'adoration. L'adoration a lieu par le
cœur, par la science, par le corps, par l'emploi des richesses, c'est-à-dire par les aumônes.
« Toutes les créatures adorent Dieu et veulent se rapprocher de lui; mais, parmi les hommes, les uns
se dirigent bien et atteignent le but, les autres le manquent en s'égarant. Car Dieu a des attributs
contraires : il est bienfaisant et avare (retenant les bienfaits); il humilie et élève; il donne et il refuse;
il égare et il conduit dans la droite voie. Il n'est aucun de ses attributs divins qui ne laisse de trace
dans le monde. Ainsi les uns s'égarent et manquent le bien; les autres suivent la bonne voie et
atteignent le bien. Dans le monde, il y a des nobles et des vils, des riches et des pauvres, des
bienfaisants et des égoïstes. Tout le monde adore Dieu et se prosterne devant lui; tous ses actes sont
déterminés par sa volonté, et c'est de cette manière que toute chose dans la créature lui est
soumise.
« Les sectes et les religions sont infinies en nombre; mais on peut les rapporter à dix principales : - 1°
les idolâtres; 2° les naturalistes6 (1 ); 3° les philosophes; 4° les dualistes ; 5' les madjous7 (2); 6° les
dahéristes8 (3); 7° les brahmes; 8° les juifs; 9° les chrétiens; -10° les musulmans. Tout roule autour de
ces dix sectes.
« Il n'y a aucune de ces sectes de laquelle Dieu n'ait tiré des hommes pour le Paradis et des hommes
pour l'Enfer; car les idolâtres, dans les temps antérieurs aux prédications des apôtres, étaient divisés
en gens qui faisaient le bien et que Dieu rétribuait par le Paradis, et en gens qui faisaient le mal et
que Dieu punissait par l'Enfer.
[25]
« Il en est de même de ceux qui ont été instruits par les livres saints, tels que les juifs, les chrétiens et
les musulmans. Le bien, avant la descente des lois divines et la mission des prophètes, les cœurs ne
l'avaient pas reçu, les âmes ne l'aimaient pas, les esprits ne s'en délectaient pas; mais après cette
mission, Dieu, par l'intermédiaire des prophètes, a ordonné de pratiquer le bien. Le mal, avant la
mission des prophètes et la descente des lois divines, les cœurs ne l'avaient pas rejeté, les âmes ne le
détestaient pas et les esprits n'en souffraient pas. Mais, après la mission des prophètes, Dieu, par
leur intermédiaire, a défendu de servir le mal.
« C'est que la perfection de l'homme consiste à connaître la vérité en elle-même, et à connaître le
bien en le pratiquant. Je veux dire que d'une part sa faculté spéculative (ou d'examen) doit devenir
complète, en sorte que les formes et la réalité des choses lui apparaissent d'une manière parfaite,
exempte d'erreurs et de fautes, et que, d'autre part, sa faculté active (pratique), doit aussi devenir
6
1. Philosophes
naturalistes musulmans qui rejettent l'immortalité de l'âme et la résurrection.
(Note du traducteur.)
7
2. Adorateurs du feu, les Mages. (Note du traducteur.)
8
3. Philosophes naturalistes musulmans qui croient que le monde existe de toute éternité, n'a
ni créateur ni modérateur; que tout finit avec cette vie; que l'âme périt avec le corps, (Note du
traducteur.)
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Version CRP Trad
complète, en sorte que celui qui la possède acquiert une force surnaturelle qui lui donne le pouvoir
de pratiquer les actions bonnes et vertueuses. J'entends par actions bonnes et vertueuses ce qui
place l'homme dans deux états, dont l'un l'oblige à fuir les jouissances corporelles, et l'autre à désirer
le monde spirituel : il n'y a pas de bonheur pour l'homme s'il n'arrive à ces deux états.
A cet égard, les hommes se divisent en trois classes :
« 1° Ceux qui sont imparfaits, à la fois sous le rapport de la connaissance et des œuvres : c'est la
multitude, le commun des hommes;
« 2° Ceux qui sont parfaits dans ces deux états, mais qui sont impuissants à guérir les défectueux : ce
sont les sages;
« 3°Ceux qui sont parfaits dans les deux états, et qui peuvent guérir les défectueux et les faire passer
du pied de l'imperfection au faite de la perfection : ceux-là sont les prophètes.
« Il faut que l'homme connaisse d'abord la vérité et la sincérité dans les croyances, ce qu'elles sont,
et ce que c'est que le bien dans les actions. Lorsqu'il sait cela, et qu'il voit ensuite un homme appeler
les autres hommes à la vérité, et laisser une forte trace de sa parole qui pousse les hommes des
choses vaines à la vérité, il reconnaît que c'est là un prophète sincère qu'il faut suivre.
« Les prophètes n'ont rien apporté qui soit contraire à la saine raison; mais quelquefois ils apportent
une chose que l'esprit n'arrive pas à comprendre; toutefois lorsque les prophètes l'ont expli[26]quée, les esprits la comprennent et la trouvent bonne (excellente). C'est que la nature de la
prophétie est supérieure à la nature de l'esprit, comme les lumières de l'âge du discernement sont
supérieures à celles de l'âge de l'enfance.
« Quant à la tolérance, pour la pratiquer, il ne faut pas combattre le partisan d'une religion et le
forcer à l'abandonner par le sabre, par la force. Toutes les lois divines sont d'accord sur ce point, à
l'exception de la loi musulmane et autres9 (1). Les ignorants, parmi les musulmans et autres, pensent
que les musulmans, en combattant les chrétiens ou autres de religion différente, les combattent
seulement pour les forcer à renoncer à leur culte et à entrer dans 'la religion de l'Islam. C'est là une
erreur; la religion de l'Islam ne contraint personne à quitter sa religion. Mais c'est un devoir à celui
qui connaît la vérité dans la croyance et le bien dans les actions, et qui voit un homme errer et
sortir du droit chemin, de le ramener avec douceur et de lui montrer la voie de la vérité par ses
raisonnements et des indications que les esprits comprennent. Ces moyens sont de la catégorie de
ceux qui apportent de l'utilité à nos frères et qui les garantissent du mal. C'est même un des
devoirs les plus importants.
9
(1) Il y a là une obscurité qui doit tenir à la traduction. La contradiction entre la phrase qu'on
vient de lire est trop évidente avec celle où l'Émir dit quelques lignes plus bas que la religion
de l'Islam ne contraint personne à quitter sa religion.
28
Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
« Quant à la recommandation10 (2), je n'en ai pas compris l'intention et je vous prie de me l'indiquer.
« Les pauvres sont nombreux chez nous, et celui qui s'en occupe, peu s'en faut qu'il ne meure à la
tâche. Nous, louange à « Dieu! nous faisons à leur égard tout ce que nous pouvons11 (3). »
Milieu de Rabi second
Le pauvre à l'égard de son Dieu riche !
(Signé), ABD-EL-KADER, fils de Muhi-EDDIN
(Ici l'empreinte du cachet de l'Émir portant ces mots : ABD-EL-KADER, fils de Muhi-EDDIN.)
Traduit par M. GUSTAVE DUGAT
[27]
Sur l'invitation du Vénérable, le FRÈRE Bertin, secrétaire donne lecture du procès-verbal du procèsverbal de l’initiation de l'émir Abd-el-Kader au Grade d'Apprenti par la Respectable loge les
Pyramides d'Egypte, Orient d'Alexandrie au nom de la Loge Henri IV, en date du 18 juin 1864 (Ere
Vulgaire).
LE 18 JUIN 1864
N°
Extrait du livre d’architecture de la loge les Pyramides Orient d’Alexandrie Egypte
A la gloire du Grand Architecte de l’Univers
Et sous les auspices du Grand Orient de France
S L V C AU ZENITH
PAR LE 31° 21me 58me Latitude NORD
10
(2) Il est probable qu'on n'a pu donner à l'Émir une traduction fidèle du passage relatif au
testament maçonnique, puisqu'il ne l'a nullement compris en le traduisant par ce mot
recommandation qui n'a là aucun sens.
11
(3) Cette dernière phrase est de la main même de l'Émir; le corps de, la lettre a été expédié
par un secrétaire syrien. (Note du traducteur.)
29
Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
Le 18ème jour du 4ème mois de l'an de la Vraie Lumière 5864, ou le -18 juin 1864 (ère véritable).
La Respectable Loge Saint-Jean, régulièrement constituée sous le titre distinctif : les Pyramides,
Orient d'Alexandrie (Egypte), et ses membres fraternellement réunis dans un lieu très-fort, trèséclairé, à l'abri des profanes et où règne le silence, la paix, l'union et l’égalité,
MIDI PLEIN,
Les travaux ont été ouverts au 1er grade symbolique et au Rite français par :
Le FRÈRE CUSTOT
Vénérable tenant le 1er Maillet.
Le Frère HENRI AMIC
1er Surveillant tenant le 2e Maillet.
Le Frère CHARNAUX.
2e Surveillant tenant le 3e Maillet.
Le FRÈRE NICOULLAUD
Orateur.
Le FRÈRE ÉMILE BRUN
Secrétaire tenant le pinceau.
Le Frère BOVET
Maitre des Cérémonies.
La porte d'airain est gardée par le Frère BREUVARD.
La parole est donnée au FRÈRE Secrétaire pour la lecture de la planche résumant les travaux de la
dernière tenue. Le FRÈRE Orateur entendu dans ses conclusions, l'Atelier adopte la planche.
Le FRÈRE Maître des Cérémonies ayant parcouru les parvis du Temple annonce la présence de
nombreux visiteurs. Les diplômes ayant été soumis à la vérification de l'Orateur, il leur est donné
l'entrée. Les Frères visiteurs sont placés chacun suivant les honneurs dus à son grade. L'assemblée
est nombreuse et en tout digne de la solennité qui va occuper ce Respectable Atelier
Notre Très Chère Sœur la loge Pompeia a envoyé une députation: Sa [28] bannière est mise à l'Orient
et le chef de la députation prend place aussi à l'Orient.
La parole est donnée au FRÈRE Orateur qui donne lecture des réponses écrites fournies par l'Émir
Abd-el-Kader et traduites en français par les soins de la Loge Henri IV. Un sentiment de profonde
admiration accueille cette lecture. Les pensées philosophiques développées avec le poétique élan de
cet esprit oriental révèlent un libre penseur élevé aux idées de la plus parfaite civilisation. Elles font
voir la grande Ame qui n'a pas voulu d'autres maîtres que la nature et Dieu.
Les définitions psychologiques de la Fraternité, de la Charité, de l'Ame, de son immortalité, sont
frappées au coin de la logique la plus serrée. L'Émir se montre, dans cette œuvre, sous un jour
nouveau. La force de son raisonnement ne le cède en rien à la valeur de ses armes; et depuis qu'en
Syrie cet illustre néophyte a sorti du fourreau une épée protectrice, il a fait voir quelle force ajoute à
la bonne cause le puissant secours d'une vaillante foi, l'invincible fraternité.
Le néophyte est alors introduit dans le Temple; il exécute les voyages d'épreuve prescrits par le rituel
; il prête le serment d'usage, le FRÈRE Vénérable le consacre Maçon, la lumière lui est donnée, et il
est reconnu membre actif de la RESPECTABLE LOGE Henri IV.
30
Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
Prenant place à la droite du FRÈRE Vénérable, le nouveau FRÈRE montre un visage rayonnant. Son
regard parcourt l'assemblée silencieuse et donne des signes non équivoques de la plus sincère
gratitude pour tous ses nouveaux Frères qui l'entourent.
Le FRÈRE Vénérable portant alors la parole exprime en quelques phrases chaleureuses toute la
sincère et fraternelle amitié que l'Émir est en droit d'attendre de ses Frères. — Cette allocution est
traduite en arabe au FRÈRE nouvel initié.
Le FRÈRE Orateur s'applique à montrer à l'Atelier les titres que présente le néophyte à toute l'amitié
de ses Frères. Il retrace à l'Émir les devoirs et les obligations de la Maçonnerie. Il termine l'œuvre du
Vénérable en donnant en quelque sorte le baptême intellectuel après la consécration morale et
symbolique. — Ce discours est aussi traduit en arabe séance tenante.
Le FRÈRE Vénérable présente aux nombreux visiteurs les remerciements de l'Atelier, et il est échangé
avec eux une vive et triple batterie pour leur faire honneur.
Le sac des propositions circule et revient vide à l'Orient.
[29]
Le tronc de bienfaisance circule et revient à l'Orient avec un produit de 141 francs.
N'ayant plus rien à mettre sous le maillet, et minuit ayant sonné, l’Atelier a fermé ses travaux en la
manière accoutumée, et les Frères se sont retirés en paix.
(Suivent les signatures.)
A la suite de ce procès-verbal se trouve la mention officieuse annonçant que la même Loge a conféré
à l'Émir les 2e et 3e Gr. Le Vénérable, après cette communication, lit l'allocution adressée par le
Vénérable FRÈRE Custot au Frère nouvellement initié :
« Illustre Émir et Très Cher Frère,
« Votre haute intelligence vous a fait apprécier la base de notre doctrine. Vous avez été initié à nos
mystères avant la consécration maçonnique qui vient de vous être régulièrement conférée. Votre
Intuition des choses qui viennent de vous être révélées provenait des nobles inspirations de votre
cœur dirigées vers le but auquel doit tendre tout homme de bien : le bonheur de ses semblables et
par conséquent la fraternité humaine.
« Nous ne professons ici aucun culte, nous n'avons qu'une seule croyance : Dieu, créateur de toutes
choses et l'immortalité de l'âme. Chacun est donc libre de croire, suivant ses convictions, ce qu'il a
appris et ce que sa conscience lui prescrit d'observer. Mais tous les Maçons réunis par ce lien sacré
que nous appelons la chaîne d'union, emblème pris aux lois divines, qui veulent que tous les êtres
soient solidaires entre eux, tous les Maçons, dis-je, sont tenus de se consacrer ensemble à la
propagation de la morale universelle et à la pratique de la bienfaisance.
31
Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
« Et c'est pour obéir à ces prescriptions fondamentales de notre société, que nous faisons abnégation
de toute pensée étrangère aux besoins d'union et de solidarité seuls propres à maintenir parmi nous
la paix et la concorde sans lesquelles il n'y a pas d'harmonie possible.
« Vous comprenez donc, Illustre Émir et Très Cher Frère, qu'il n'y a dans ce temple que des hommes
libres, animés du désir d'établir au sein de l'humanité le dogme auquel nous obéissons et qui relève
de Dieu, puisque nous ne voulons qu'imiter ses actes dans le bien que nous cherchons à réaliser.
[30]
«Nous sommes heureux et fiers d'avoir été choisis comme intermédiaires de notre sœur la Loge
Henri IV pour la consécration que nous venons de vous donner en son nom, en réclamant de plus
pour nous, comme c'est notre droit, l'honneur de vous compter parmi les membres actifs de cette
RESPECTABLE LOGE.
« Nous espérons que vous voudrez bien vous tenir en communication avec nous, autant que votre
position vous le permettra, afin de nous aider, comme c'est votre devoir, à répandre la lumière parmi
les hommes et maintenir entre nous l'union fraternelle qui est la première et la plus sainte de nos
obligations. »
123
Le FRÈRE Duboc donne à son tour lecture du remarquable discours du FRÈRE Nicoullaud, orateur de
la Loge les Pyramides :
« Illustre Emir, Très Cher FRÈRE,
« La Franc-Maçonnerie est au monde ce que le Nil est à l'Egypte; elle lui apporte le bien sans lui
découvrir son origine.
« Elle a pris l'homme à son enfance pour le conduire à ses fins immortelles. Imitant le Grand
Architecte de l'univers qui lui avait donné pour Temple la terre entière et pour flambeaux les astres
qui brillent à la voûte céleste, elle lui a fait comprendre que la loi incessante du travail lui était
imposée, qu'il devait rendre à son Créateur, ce qu'il en avait reçu; lui élever des temples en luimême, en les éclairant des seuls feux qu'il put y faire briller, je veux dire des vertus qui font la
splendeur et la gloire de sa nature.
« Elle est née du besoin qu'ont éprouvé les hommes de bien de rester unis dans la pratique de la
véritable loi, malgré les divisions que le temps et l'esprit de discorde devaient semer dans l'humanité,
de rester égaux malgré les distinctions de caste et de rang créées par les caprices de la fortune, de
rester enfin libres malgré la tyrannie.
« Aussi prit-elle pour devise les principes immortels appelés à régir les Sociétés et formulés dans ces
trois mots magiques, Liberté, Égalité, Fraternité !
« Lorsqu'un peuple a le courage de les écrire dans sa conscience, en même temps que sur ses
monuments, il leur fait faire le tour du monde.
« Mais bientôt pareils à des éclairs, ils rentrent dans le nuage et semblent disparaître pour toujours,
parce que la nation qui les
32
Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
[31] avait mis à son front ne les avait hélas! encore laissé pénétrer ni dans son âme ni dans sa
volonté.
« Mais où vont-ils se cacher, lorsqu'ils fuient effarés au bruit des cataclysmes sociaux ? Dans le sein
de celle qui les fit naître !
« De même que c'est dans les bras toujours ouverts de leur mère que vont se réfugier l'enfant
désolé, le jeune homme désabusé ou l'homme vaincu; de même que la terre, après avoir porté
l'homme avec amour, lui ouvre, quand il meurt ou plutôt quand il semble mourir, ses propres
entrailles pour mieux l'embrasser, ainsi quand les horreurs de l'univers profane chassent et
maudissent ces fils puinés de la Maçonnerie, celle-ci les recueille.
Elle peut gémir avec eux et mêler ses pleurs à leurs souffrances, mais éternellement
fière d'avoir enfanté ces principes qui sont sa vie et celle de l'humanité, elle les abrite
tendrement, les conserve, les développe pour les rendre bientôt plus forts et plus vivaces à
l'univers qui les attend, comme la terre ne reçoit l'homme que pour le restituer
immortellement plus jeune à la nature, au principe de toutes choses, à Dieu, à la vie éternelle
!
«
« La liberté Maçonnique, n'est point cette déesse au regard farouche, à la tête échevelée, qui
communique quelquefois au monde ses sublimes tressaillements et ses terribles aspirations, qui
secoue les chaînes des nations d'une main, et de l'autre tue les Rois; qui réveille, il est vrai, les
peuples de leur léthargie et leur apprend à se redresser, mais, leur mettant en même temps des
armes meurtrières dans les mains, leur enseigne à se venger, qui, d'hommes indépendants fait ainsi
de nouveaux tyrans, et, après avoir arraché le monde à l'esclavage de la féodalité et des princes, le
précipite dans celui de la terreur !
« Non! La liberté maçonnique, c'est la libre pratique des actions qui découlent d'une juste
connaissance du droit et du devoir.
« Elle consiste à marcher hardiment dans la voie de la conscience sans plus s'inquiéter des clameurs
ennemies et du bruit des passions, que l'aigle ne s'occupe du cri des oiseaux qui le poursuivent en
enviant la majesté de son vol.
« Elle consiste à comprendre que l'homme peut être libre dans les fers et esclave sur un trône.
« Quand on parle d'égalité, il ne peut être question que d'égalité morale. Existerait-elle sur la terre
sans la Maçonnerie ? Il est permis d'en douter. C'est elle qui l'a introduite dans les consciences pour
la faire passer ensuite dans les codes; c'est elle qui la déve[33]loppe et la conserve dans son propre
sein, la cimente avec soin pour la répandre peu à peu au dehors. Tous les Maçons sont égaux, quels
que soient leur rang, leur position, leur fortune; ils ne puisent leur grandeur que dans celle de leur
mérite et de leurs vertus.
« C'est cette douce égalité qui nous aide à appliquer cet autre principe fondamental de notre Ordre :
la Fraternité maçonnique. — Pas plus que la liberté, sa sœur, elle ne ressemble à la vertu profane
que l'on désigne sous le même nom. Seule la fraternité maçonnique n'engendra jamais que des actes
de dévouement, il serait impossible d'énumérer les miracles qu'elle a produits.
33
Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
« Effacer parmi les hommes les distinctions de couleur, de rang, de croyance, d'opinion, de patrie,
anéantir le fanatisme et la superstition, extirper les haines nationales, et avec elles le fléau de la
guerre; faire, en un mot, de tout le genre humain une seule et même famille unie par le dévouement,
par le travail et par le savoir, tel est le grand œuvre qu'elle a entrepris, telle est la mission qu'elle
accomplit chaque jour !
« Il lui suffit pour cela de mettre en pratique son unique précepte, qui se confond avec celui de
toutes les religions :
« Aimer son prochain comme soi-même.
« Aussi, plus sage que bien d'autres institutions, s'empresse-t-elle d'annoncer à ses adeptes, que le
titre de Maçon ne suffit pas pour l'être et qu'on cesse de le mériter en cessant de pratiquer la vertu
qu'il impose !
« De même que les écritures disent : « N'est pas circoncis celui qui l'est dans la chair, mais bien celui
qui l'est dans son esprit; ainsi nous disons : N'est pas Maçon celui qui se dit Maçon, mais celui-là qui
fait de son Ame un temple assez pur pour que l'esprit a divin s'y complaise, celui qui, mettant en
action la sublime charité, est prêt à donner son pain et à verser son sang pour ses « frères. »
« Personne plus que vous, Illustre Frère, ne mérita par ses vertus ce signe de dévouement et
d'amour, personne n'est appelé à le porter plus glorieusement.
« Que d'actes dans votre carrière d'après lesquels nous pouvons vous dire : Il y a longtemps que vous
êtes Maçon ! »
« Mais elles sont surtout encore présentes à l'esprit, ces scènes de [33] deuil et de carnage, où un
peuple en délire, déchaîné par le fanatisme et la trahison, massacrait par le fer et le feu toute une
population désarmée ! Il retentit encore à nos cœurs, ce discours tenu au représentant de la France
par l'Illustre Émir : « Écoute : moi vivant, un seul de mes Mogrebins vivant, on ne touchera pas à ta
personne .... Mais le danger grandit, je dois agrandir tes moyens de défense : si tu persistes à
demeurer ici, tu m'obliges à diviser mes forces ; si tu consens à devenir mon hôte, je puis appliquer à
secourir les chrétiens, les soldats que j'emploierais à te protéger. Tu m'as dit toi-même : Là où est le
drapeau de la France, là est la France. Eh bien ! emporte avec toi ton drapeau, plante-le sur ma
demeure, et que la demeure d'Abd-el-Kader devienne la France. »
En effet, le pavillon tricolore dominait bientôt la sainte maison qui devenait le refuge des chrétiens,
et je ne sais pas sous les cieux un dôme, où il eût pu flotter avec plus d'orgueil.
« Mais là ne se borne pas la tâche que cet homme de Dieu s'est imposée. Les armées de la civilisation
sont absentes; il s'est donné lui, descendant du Prophète, la mission de les remplacer. Il ose, avec
une poignée de fidèles, prendre l'offensive contre le massacre. A la tête de trois cents hommes à
peine, suivi de ses deux fils, il s'enfonce résolument dans les quartiers où sévit la révolte, suppliant
les Musulmans de se joindre à lui, invitant les chrétiens à se réfugier parmi les siens : « Oh ! les
chrétiens! s'écriait-il, oh ! les malheureux ! venez à moi, venez ! Je suis Abd-el-Kader, fils de MuhiEddin, le Mogrebin, ayez confiance en moi et je vous protégerai. »
34
Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
« Au son de cette parole d'espérance, quelques visages affolés de terreur apparaissaient derrière les
petites fenêtres des maisons chrétiennes, un immense cri de joie retentissait dans la demeure
désolée et chacun se précipitait au-devant du secours inattendu que Dieu lui envoyait.
« Parmi les 12,500 chrétiens qu'il sauva ainsi de la mort, se trouvaient les lazaristes, les sœurs de
charité et les 400 enfants, leurs élèves. Ce dut être un grand et beau spectacle que le passage à
travers les rues ensanglantées de Damas, de ce descendant du Prophète, marchant entouré de
prêtres, de religieuses, d'enfants, qu'il venait d'arracher à la mort, — de ces soldats, anciens combat[34]tants de la guerre sainte, conduisant maintenant d'une main de pauvres orphelins dont ils sont
devenus les protecteurs, et repoussant de l'autre à coups de crosse de fusil les égorgeurs qui
s'efforcent de leur arracher le dépôt sacré confié à leur fidélité.
« Mais la multitude ne tarda pas à venir réclamer avec insolence les chrétiens réfugiés chez l'Émir. Il
essuya paisiblement leurs injures, lui, le sultan vénéré; il sortit sans armes pour apaiser la foule, et les
annales de la civilisation inscriront en lettres d'or ses nobles paroles qui résument la doctrine
maçonnique en religion.
« Oh ! mes Frères ! leur dit-il, votre conduite est impie. Sommes-nous donc dans un jour de poudre,
pour que vous ayez le droit a de tuer des hommes ? A quel degré d'abaissement êtes-vous
descendus, puisque je vois des musulmans se couvrir du sang de femmes et d'enfants. Dieu n'a-t-il
pas dit : « Celui qui aura tué un homme sans que celui-ci ait commis un meurtre ou des désordres
dans le pays, sera regardé comme le meurtrier du genre humain tout entier. » N'a-t-il pas dit encore :
« Point de contrainte en matière de religion; la vraie route se distingue assez du mensonge. »
« Arrêtez, il en est temps encore; si vous ne m'écoutez pas, c'est un signe que Dieu ne vous a pas
départi la raison ; vous n'êtes que des brutes que la vue de l'herbe et de l'eau peut seule émouvoir !
»
« Les chrétiens ! les chrétiens ! » criait la foule frémissante, comme autrefois le peuple romain dans
ses arènes, « livre-nous les chrétiens, infidèle, sinon nous t'enveloppons dans la même proscription,
nous te réunissons à tes nouveaux Frères. »
« Les chrétiens ! répond Abd-el-Kader, dont les yeux commençaient à lancer des éclairs, tant qu'un
seul de ces vaillants soldats qui m'entourent sera debout, vous ne les aurez pas, car ils sont mes
hôtes. »
« Égorgeurs de femmes et d'enfants l essayez donc d'enlever de chez moi ces chrétiens auxquels j'ai
donné asile, et je vous promets de vous faire voir un jour terrible, car vous apprendrez comment les
soldats d'Abd-el-Kader savent faire parler la poudre. »
« Puis se tournant vers son fidèle Hara-Mohammed :
« Hara, dit-il, mon cheval ! mes armes ! Et vous, mes Mogrebins, [35] que vos cœurs se réjouissent,
car, j'en prends Dieu à témoin, nous allons combattre pour une cause aussi sainte que celle pour
laquelle nous combattions autrefois ensemble. »
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Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
« Ce cri de guerre fut la fin de la lutte; il restera gravé dans la mémoire reconnaissante du monde
civilisé, et nous cause une juste émotion, car il révèle à lui seul la puissance des sentiments
maçonniques qui dominaient l'âme de notre Illustre Frère !
« Oui, c'était déjà un glorieux Maçon, celui qui, sans distinction de race et de religion, nommait tous
les hommes ses frères, et était prêt à verser son sang pour eux !
« La joie remplit nos âmes, quand nous songeons au concours qu'un ouvrier si puissant par sa
sagesse et la vénération qu'il inspire, va nous apporter dans l'édification du temple de la sagesse. Un
immense besoin de prière nous domine, nous devons remercier et bénir dans ses desseins secrets et
ses vues infinies, Dieu, qui récompense ainsi l'homme vertueux en lui faisant goûter les douceurs
d'une amitié aussi vaste que son âme; et en même temps, la Maçonnerie, de ses constants efforts
vers le bonheur du genre humain et la fraternité religieuse et morale des peuples !
« Prions-le qu'il donne à notre illustre frère de longs et heureux jours, afin qu'il puisse longtemps
avec nous déblayer les ruines de la barbarie, et faire fructifier dans ces pays hostiles et ignorants les
germes de la vérité universelle.
« Honneur donc, honneur, trois fois honneur, à la Maçonnerie, qui a maintenu les hommes à l'état de
Frères !
« A la Forte! à l'Invincible!
« A celle qui nous apprend à subjuguer nos passions et à suivre avec amour les principes vivifiants et
éternels de la charité !
« A celle qui a donné à l'Univers les deux lois qui le régissent et le font graviter vers le progrès moral
et physique :
« Son Droit et sa Liberté !
« A celle qui apprend à l'homme à manier le ciseau et l'épée, et enseigne que le travail est le plus sûr
moyen de conquérir !
« Gloire à la Maçonnerie !
« C'est elle qui est appelée à assurer l'avenir de l'humanité !
« Elle a cru! elle a multiplié! gloire à elle! Ses enfants sont ré-[36]pandus sur toute la terre. Elle a créé
partout des foyers de paix et d'amour où doivent infailliblement venir se consumer et s'éteindre les
haines aveugles et les guerres impies !
« Elle est à la fois la religion, la langue et la patrie universelle! Quelle plus frappante preuve en
donner que notre réunion de ce jour !
« Divisés de religion enseignée et pratique, nous sommes unis dans son sein, comme des amis,
comme des Frères, comme des membres d'un seul et même corps.
« Nous venons de toutes les parties du monde et des quatre points cardinaux ! Elle seule a le pouvoir
de nous faire aimer les uns les autres comme des enfants d'une même patrie.
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Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
« Elle est la langue universelle; nous nous reconnaissons et comprenons tous et chaque jour à ses
signes. Gloire à l'immense chaîne d'union dont elle enveloppe le monde!
« C'est par ses signes d'amour qu'elle arrête les vagues furieuses des tempêtes humaines ! La haine
disparaît, les hommes, déjà moins ennemis, se sentent invinciblement attirés dans le cercle
grandissant et sympathique de ses liens mystérieux !
« Gloire à elle!
« Le miracle de fraternité qu'elle accomplit aujourd'hui doit porter ses fruits ! Le glaive maçonnique
que nous confions aux mains si pures de notre bien-aimé frère, ne jettera pas moins d'éclat que
l'épée du guerrier, et il me semble voir, à la clarté de notre étoile, un nouveau jour se lever pour
l'Orient ! ! »
La nombreuse assemblée était encore sous l'impression de ce morceau d'une si haute éloquence,
lorsque le Vénérable, sur les conclusions du Frère Orateur tendant à la reconnaissance de l'Émir
comme membre actif de la Loge Henri IV, invite les Frères à se mettre debout et à l'ordre, glaive en
main, proclame l'Émir Abd-el-Kader membre actif de la Loge Henri IV, au grade d'Apprenti, et,
considérant que l'Initiation de ce jour est un fait concernant la Maçonnerie universelle, il fait tirer la
batterie au Rite français et au Rite écossais. Tous alors, d'un même élan et dans un sentiment
commun d'amour et de fraternité, font retentir sous la voûte du Temple le triple accord des
percussions mystérieuses.
L'émotion causée par cet événement étant calmée, le FRÈRE Duboc, Orateur, obtient de nouveau la
parole et s'exprime en ces termes :
[37]
« Très Cher Vénérable et vous tous mes Frères,
« Après les éloquentes et chaleureuses paroles qu'on vient de vous faire entendre, il semble que la
prudence devrait conseiller le silence à votre Orateur, et certes, ce serait aussi son avis si, au-dessus
des suggestions de l'amour-propre individuel qui redoute un échec, ne planait de toute sa hauteur la
voix du devoir.
« Organe officiel de la Loge Henri IV, nous avons pour mission de faire bien comprendre ici quel a été
le but de cet Atelier en provoquant la réunion de ce jour. C'est donc ce que nous allons essayer de
faire aussi brièvement que possible, afin de ne pas fatiguer plus longtemps votre attention, mes
Frères, et surtout afin de vous laisser tout entiers sous l'impression du grand événement qui
s'accomplit en ce moment.
« En donnant à l'initiation du FRÈRE Abd-el-Kader autant de retentissement, nous devons avant tout
proclamer ici que ce n'est point l'Emir seul que nous avons en vue de glorifier. Quels que soient son
mérite et ses vertus, que tous nous nous plaisons à reconnaître, nous sommes trop imbus du grand
et salutaire principe de l'égalité maçonnique pour nous prosterner devant un de nos Frères et pour
37
Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
penser, comme l'a écrit à tort un des principaux organes de la publicité, qu'un homme si élevé qu'il
soit clans la vie civile puisse honorer la Maçonnerie en se faisant admettre dans son sein. Association
d'hommes libres et probes, d'amis de la vertu et de l'humanité, la Maçonnerie affirme le mérite des
hommes qu'elle veut bien convier à la participation de son œuvre en leur conférant l'initiation, mais
n'entend et ne veut tirer aucune vanité de leurs titres extérieurs. Une fois admis dans nos Temples,
tous les initiés sont nos Frères à titre égal, et la seule différence qui puisse s'établir, consiste dans le
mérite personnel, dans le zèle plus ou moins ardent que chacun apporte à l'étude des questions
morales, à la pratique du bien, à la tendance au progrès moral et physique des sociétés.
« Ce que nous avons vu dans l'initiation que nous consacrons aujourd'hui, après en avoir poursuivi
si longtemps l'accomplissement, c'est la Maçonnerie implantée en Orient dans le berceau de
l'ignorance et du fanatisme, c'est le drapeau de la tolérance remis [38] entre des mains vénérées,
confié à un bras qui a fait ses preuves et arboré par lui, tel est notre vœu le plus cher, arboré sur
les plus hautes mosquées en face de l'étendard du Prophète. L'Emir Franc-Maçon, c'est pour nous
le coin entré dans le roc de la barbarie, c'est la cognée placée à la racine du mancenillier de
l'ignorance aux fruits mortels, et destinée à l'abattre dans un temps prochain. Les conséquences de
cette initiation, on peut les apprécier quand on a entendu les réponses de l'Emir aux questions qui lui
ont été posées par nous à ce sujet, d'une part, et d'autre part les actes sublimes que nous a si bien
retracés le pinceau du FRÈRE Nicoullaud. L'homme qui, au service d'une intelligence aussi haute,
possède une telle énergie, une telle puissance de fascination, ne saurait rester inactif pour le bien.
Armé du flambeau de la vérité, il le fera rayonner autour de lui. Après avoir éclairé ses fidèles
Mogrebins d'abord, il les enverra à leur tour porter la bonne parole, prêcher de bouche et d'action
l'amour et la tolérance, et leurs doux enseignements confirmés par l'exemple et incessamment
répétés, feront sur ces générations l'effet de l'eau qui, tombant goutte à goutte, mais sans cesse, finit
par creuser son lit clans le roc le plus dur.
« Ce que nous avons vu par-dessus tout clans cette initiation, mes Frères c'est d'arriver par l'Emir à
constituer dans l'Orient des Loges indigènes. Nous désirons que la Maçonnerie s'orientalise en
quelque sorte, qu'elle reporte aux lieux qui furent son berceau tous les bienfaits dont elle est
susceptible, qu'elle déchire le bandeau de l'ignorance, qu'elle brise à jamais le glaive du fanatisme et
ramène enfin ces nations dévoyées au grand Temple de l'humanité par les doux chemins de l'amour
et de la fraternité.
« Nous savons bien que déjà dans l'Orient, à Constantinople, par exemple, il existe des Ateliers
maçonniques qui portent haute et fière notre bannière; nous le savons et nous nous en réjouissons;
mais ces Loges, fondées par les nombreux européens qui habitent ces contrées, ne sont fréquentées
que par eux et ne font pas, que nous sachions, d'adeptes parmi les musulmans. Nous croyons que
c'est là un fait regrettable et auquel il y a lieu de porter remède. Aussi, ne saurions-nous trop donner
d'éloges et de remerciements à notre bonne sœur, la Respectable Loge les Pyramides d'Égypte,
Orient d'Alexandrie qui, entrant résolument clans une plus large voie, a bien voulu combler nos
désirs en donnant la lumière au plus Illus-[39]tre, au plus méritant sans contredit, des enfants du
Prophète, à celui dont la Maçonnerie peut le plus attendre pour la propagation de la morale et de ses
principes.
« Si nous avons parlé de l'énergie qui caractérise l'Emir et sur laquelle nous comptons pour le succès
de notre œuvre devenue désormais la sienne, c'est que nous savons combien cette énergie lui sera
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Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
nécessaire en présence des résistances que ne manquera pas de lui opposer la superstition appuyée
sur des mœurs barbares. Ainsi, nous voyons un prince indien, initié à Calcutta12, (1) « devenir l'objet
de la persécution fanatique de ses compatriotes qui ne peuvent s'imaginer qu'il ait pu devenir Maçon
sans abjurer sa foi. » Pourquoi sommes-nous forcés d'ajouter que cette réception, faite par une Loge
anglaise, a été l'objet des réclamations du Grand Maître provincial qui, lui, est opposé à l'admission
des musulmans, Nous vous livrons ce fait à enregistrer auprès de celui des Loges qui n'admettent pas
encore d'Israélites, et nous passons à un acte plus consolant et qui nous porte à espérer, qu'en Syrie,
du moins, la mission de l'Emir rencontrerait moins d'obstacles qu'on ne le pourrait craindre.
« Le 4 août dernier, à Damas, de si douloureuse mémoire, à Damas même, sur un terrain naguère
peut-être arrosé du sang des chrétiens, une foule nombreuse composée d'hommes de tous les cultes
parmi lesquels se faisaient remarquer le corps consulaire et Buchdi-Pacha, gouverneur-général,
assistait avec recueillement à la pose de la première pierre pour une école israélite. C'était un beau
et touchant spectacle assurément que cette union de pensée dans une œuvre éminemment
civilisatrice sur le lieu qui fut le théâtre de tant de crimes et de barbarie.
« Nous voyons là un germe de paix et de concorde qui, s'il est bien cultivé, facilitera d'autant la tâche
de notre FRÈRE Abd-et-Kader auprès de ses compatriotes et coreligionnaires. Son ascendant, qui est
celui du courage et de la vertu, fera fructifier sa parole. C'est dans le but de l'aider encore que, par
une correspondance régulière et suivie, nous allons le tenir au courant de nos travaux et autant que
possible de la marche de la Maçonnerie à travers le monde. Et si le Grand Architecte de l'Univers
daigne seconder ses efforts et les nôtres, nous verrons enfin l'Orient, secouant son linceul, sortir
autre Lazare [40] de son tombeau et renaître plein de vigueur pour la vie morale et la civilisation.
« Voilà pourquoi, Très Chers Frères Visiteurs, voilà pourquoi la Loge Henri IV a cru devoir célébrer
cette initiation comme un événement gros d'avenir pour la Maçonnerie. Aussi est-ce le cœur rempli
de joie que nous voyons l'empressement avec lequel des Frères de tous les rites ont répondu à notre
appel. L'aspect de cet Orient, décoré d'aussi illustres et Vénérable Frères, la vue de ces colonnes si
nombreuses et si bien garnies, nous prouvent que nous ne nous sommes pas trompés dans notre
appréciation; que, comme nous vous comprenez toute l'importance d'un tel acte, et que vous
unissez vos vœux aux nôtres, pour en voir sortir un jour la régénération sociale de toute la race
arabe. Nous nous garderons bien d'enlever à notre Très Cher Vénérable l'heureux droit de vous
adresser officiellement les remerciements de la Loge entière, mais nous éprouvons, en terminant, le
besoin de vous dire que, pour ce qui nous concerne personnellement, ce jour prendra une place
remarquable dans nos souvenirs maçonniques, et que votre présence sympathique en ces lieux ne
sera pas un des moindres charmes de ce souvenir. »
La Loge Henri IV reconnaissante de la bienveillance de la Loge les Pyramides en cette circonstance
avait, par un vote unanime, décidé que l'affiliation serait demandée à cet Atelier, elle le prévenait en
même temps que le 1er septembre aurait lieu la proclamation de l'Emir. Par une attention aussi
délicate que fraternelle, le jour même de cette tenue une dépêche télégraphique arrivait
d'Alexandrie conçue en ces termes :
12
Voir le monde maçonnique, juin 1864. p. 94.
39
Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
« Au FRÈRE Poullain, 35, rue Saint-Lazare :
« Lettre du 5 reçue le 26, tenue extraordinaire de la Loge le 29, affiliation acclamée, planche officielle
prochain courrier.
La lecture de cette dépêche, faite par le Vénérable excite dans l’as[41]semblée un sentiment de
satisfaction qui est régularisé par une triple batterie.
Le Vénérable adresse aux nombreux visiteurs, de chaleureux remerciements.
Un des Vénérables qui décorent l'Orient répond à l'allocution du Frère Acarry.
Le FRÈRE Humbert, visiteur, prend également la parole et corrobore le discours du FRÈRE Orateur en
se félicitant qu'une aussi imposante réunion ait eu pour but, non de glorifier un homme, mais
d'affirmer la puissance morale et la grandeur de la Maçonnerie.
L'ordre du jour étant épuisé, le Vénérable fait circuler le tronc de bienfaisance et le sac aux
propositions. Les travaux sont fermés en la manière accoutumée, et chacun se retire emportant dans
son cœur un doux souvenir de cette soirée qui, nous le croyons, prendra rang dans les fastes de la
Maçonnerie française.
La Loge n'avait pas attendu cette séance solennelle pour adresser à l'Émir ses félicitations. Elle lui
avait écrit aussitôt la nouvelle parvenue d'Alexandrie, et dans le courant du mois d'août, elle recevait
une réponse qui n'a pu être lue dans la séance, attendu qu'elle n'était pas encore traduite. Nous
avons cru toutefois devoir la joindre ici.
Nous sommes certains qu'on nous en saura gré. Qu'on en juge:
« Damas, 10 août 1864.
« Aux Très Illustres et Très Vénérables Président et Officiers de la Loge Henri IV :
« Que Dieu le tout-puissant les bénisse et qu'il leur donne l'accomplissement de leurs vœux.
« J'espère que vous recevrez cette missive empreinte de vœux et d'expressions cordiales.
« Je commence par vous souhaiter la santé et un bien-être constant; d'autre part, votre missive
honorée m'est parvenue, et je [42] m'en suis réjoui comme on se réjouit de félicitations adressées
40
Loge Henri IV Grand Orient de France
Initiation de l’Emir ABD-EL-KADER
Version CRP Trad
par des gens éminents. J'ai su que les bases de votre noble Société sont le désir d'être utile aux
serviteurs de Dieu, d'éloigner d'eux ce qui peut leur nuire, et de se conduire selon les règles de
l'égalité des hommes et la fraternité, et cela est la volonté de Dieu, qu'il demande à tous ses
serviteurs, et il l'a ainsi exprimée par la bouche de ses prophètes. Bonheur à celui qui connaît cette
maxime sublime et se dirige selon ses préceptes ! Et quant à moi, ce sont les opinions de mon âme,
et je me conformerai toujours à ces idées ; et moi je fais des vœux pour votre prospérité féconde en
utilité. Vos principes me seront une lumière et une ligne de conduite, et j'arriverai avec leur aide au
but de ce que je me suis proposé quand je me suis élevé jusqu'à votre Société bien aimée.
« J'en demande la protection à Dieu .et je la demande chaleureusement et de tout mon cœur.
« Je souhaite à vous tous bonheur et une vie exempte de soucis.
« Je vous salue,
« ABD-EL-KADER Fils de MUHI-EDDIN.
Traduction du Frère J. OPPERT, Professeur du Sanskrit ¢ la Bibliothèque impériale.
Pour copie conforme
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