Sur les pas du Junior United Alpine Club – Premier voyage en
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Sur les pas du Junior United Alpine Club – Premier voyage en
SurlespasduJuniorUnitedAlpineClub–PremiervoyageenSuisseorganiséparThomasCook Le 26 juin 1863, quelques 130 touristes, sous la houlette de Thomas Cook, quittent la gare de London Bridge en direction de Newhaven. Le vapeur sur lequel ils embarquent met le cap sur Dieppe, d’où ils prennent le train pour Paris. Après une brève nuit de 4 heures, une partie des voyageurs rejoignent à l’autre bout de la ville la gare de la Compagnie du Paris-Lyon. Après changement de train et de compagnie à Macon, leur train pénètre en Suisse après Ambérieu et atteint Genève samedi à minuit, où notre groupe gagne l’Hôtel de la Couronne sur le quai Gustave-Addor. Fig.1.ItinéraireduvoyageentraindeLondresàGenève C’estlogiquementàpartirdeGenèvequenoussuivronslerécitdeMissJemima. Genève(dimanche28juin1863). «Legrandjourarévélél’emplacementdenotrehôteletnousafaitdécouvrirànospiedslelac dontByroncélèbreleseauxd’unbleuintensedanssesCantos,tandisqueVoltairelesafaits siennesàFerney,queCalameenacouvertsestoilesetqueDavylesaanalyséesdansson laboratoire.L’enjambant,depuisl’entréedenotrehôtel,unélégantpontdedouzearchesmène auxesplanadesetaubelHôteldesBergues.LeRhônes’échapped’unétranglementavecune vélocitéquirendlecouranttotalementinnavigable.» Jemimaetsescompagnonsserendentàl’Egliseanglaisepourassisteràl’officeanglicanavantde dîner(lerécitnedonnepaslenomdurestaurant,maisdonneles12platsconstituantlemenu!). Dansl’après-midi,ilsdéambulentdanslavieillevilleàlarecherchedelamaisondeCalvinetcelle où J-J. Rousseau serait né. Ils se heurtent aux portes fermées de la Cathédrale, passent par l’Esplanade de la Treille (le récit de J. évoque l’Escalade et sa commémoration!), avant de descendresurle«boulevard»dePlainpalais…Lecielmenaçantlesinciteàrenonceràserendre à la pointe de la Jonction. Ils s’y rendront toutefois le lundi matin sous la pluie avant le petitdéjeuneretledépartendiligencepourChamonix. J’airetenude«cetteexpédition»lecommentaireironiquedeMissJemima: «Ondoitàl’équitédepréciserquecettesingulièreexpéditionfutentreprisedansledésirlouable devoirlesbeautésnaturellesdulieuetque,pourcertainsmembresduclub,ilestplussatisfaisant del’«avoirfait»,qued’avoirvudetellesmerveilles.» 1erjourduvoyagedanslesAlpes:Genève–Chamonix(lundi29juin1863) Fig.2.ItinéraireduvoyagedanslesAlpes UnservicerégulieretefficacedediligencesfonctionneentreGenèveetChamonix.Letrajetdure 11heuresavecchangementàSaint-Martinpour84km. «Chaque tour de roue nous fait découvrir un panorama nouveau, ou un ancien sous un nouvel angle. Le Mont-Salève paraît se dresser telle une monstrueuse sentinelle au-dessus de la plaine. BientôtleMôle,montconiquede1860mètresd’altitude,paraîtnousboucherl’horizon,maisnous descendons[sic]lavalléedel’Arve,traversantlarivièresurunbeaupontàdoublerangéed’arches. Apartirdesblocsdegranitdispersésdansleval,àl’évidencearrondisparleseaux,nouspouvons nousfaireuneidéedelaforcedutorrentlorsqu’ilcessesesfantaisiesestivalesetqu’ildépêcheses ambassadesàtraverslesvalléesjusqu’àlamer.NouspassonsparNangy,unvillageoùsubsistent quelquesruinesduChâteaudeFaucigny,jadisréputé,aujourd’huiseulementpittoresqueet,après une trentaine de kilomètres, nous voici dans le bourg de Bonneville, où nous faisons une escale d’une heure dans la chaleur de la journée: quelle chaleur! Une chaleur immobile, blanche, étincelante, qui se réverbère sur ces maisons de stuc blanchies à la chaux, une chaleur qui engendrelesilenceetdoitenvoyerles1500habitantsaulit,caroùsont-ils?» «Mais bientôt, dès cet instant, nous n’avons plus d’yeux que pour le Mont-Blanc, car dans la lumièrevespéralequifaiblitnousavançonssoussacolossaleombred’ébène.Tandisqu’ilétendses gigantesques contreforts des kilomètres devant nous, ses crevasses paraissent plus profondes en comparaisondestorrentsdeglacegelésqui,pareilsàdesbrastendusdepuissonsommetenneigé, l’attacheraient à la terre. Nous roulons en silence jusqu’à Chamonix, ses hôtels et son ancien prieuré.» 2ejour:Montenvers(mardi30juin1863) «Il nous faut choisir des bâtons ferrés: abusant de notre innocence, on nous en demande 2.50 francs, voire davantage, quand huit sous nous suffiraient. Mais qu’importe? Nous délions notre bourse dans l’allégresse car nous n’étions que des débutants avant d’avoir acquis cet insigne officieldel’alpiniste.» «Puisilnousfautengagerunguideparmilamultitudedeceuxquisepressentautourdeshôtels, chacunattendantsontour:règlequelesautoritésfontappliqueravecrigueur.Notreguideporte lenomfameuxdeBalmat:probablementdoit-ilsapositionaunomplutôtqu’àquelquesmérites éclatants qui les distingueraient. Même à Chamonix, il importe d’avoir un nom: en voilà une illustration.» «Huitcentsmètresdemarchedanslavalléeetnousbifurquonspourcommencerl’ascensiondu Montanvert:nouspeinonssurcescheminsenzigzag,saraideurneparaissantpasaussialarmante, loindelà,quecelledelaFlégère,bienqueBalmatnousaitassuréducontraire.» «Arrivés au petit hospice, nous nous retournons sur les 2000 m que nous venons de gravir puis regardons,devantnous,laMer-de-Glace,quisurladroiteétendsesdixkmdeplainesaccidentées. Al’opposés’élèventquelques-unsdesplushautssommetsdelarégion,l’ensembleconstituantl’un despanoramaslespluscélèbresdumonde:L’AiguilleduDru,l’AiguilleduMoineetl’AiguilleVerte qui forment une palissade devant les nuages à quelques 2200 m au-dessus du glacier et de Montanvert, sur la terre duquel nous nous tenons. La Mer-de-Glace elle-même, il est vain de chercher à la décrire, car aucune description ne saurait donner une impression exacte de la réalité.» SiJemimarevenaitaujourd’hui,elleauraitbeaucoupdepeineàreconnaîtrelepaysagedécrit… Depuis1850,laMerdeGlaceareculéde2,4km.LeglaciologueChristianVincentprécisequeles glaciersalpinsontperdu50%deleursurfaceenmoyenne.«Aprèsunepériodelenteetrégulière dedécrueentrecoupéed’unepetiteavancéeentre1954etlemilieudesannées80,depuis1963, lafontedesglaciersalpinss’estfranchementemballée.Nousconstatonsunevraierupture.Depuis 30ans,lesbilansdemassedesglaciersalpinssonttrèsnégatifs.Etilslesontencoreplusdepuis 2003».CettefontesetraduitàlaMerdeGlaceparunreculde700mdepuis1993etuneperte d’épaisseurd’environ80mauniveaudelagrottedeglace.(Source:SylvainCoutterand,Nature& PatrimoineenHaute-Savoie,nov.2015). 3ejour:Chamonix-Sion(mercredi1erjuillet1863) Unelongueétapeattendle«Club»… «A quatre heures du matin, le tintinnabulement des cloches d’un troupeau de bestiaux qui traversentlevillagenousarracheausommeil.(…)Notregroupecompteneufpersonnesetquatre mulets, pour nous permettre tour à tour de marcher et de chevaucher. A cinq heures, notre cavalcades’ébranlesouslahoulettedenotreguidedelaveille,PierreBalmat.(…).Deuxheuresde marchenousconduisentauvillaged’Argentièresdanslequelsembles’écoulerleglacierdumême nom» IlsatteignentleColdesMontets:«Bientôt,écritJemima,nousvoiciàVallorcine,villagequiaété plusd’unefoisemportéparlesavalanches.» «Nousfranchissonslecontrefortd’uneautremontagne,lorsquelaTêteNoireelle-même,coiffée de pins noirs, surgit devant nous depuis une élévation plus formidable encore. Une demi-heure, noustraversonscetteforêtsiobscurequec’estàpeinesinousentrevoyonsleciel.(…)Alasortiede laforêt,nousentronsdanslagrandeprairievallonneuseduTrientdontlesflansdésolésportent encorelestracesdesavalanches.(…)Aveclesoleilauzénithquinoustapesurlesépaulestandis quenousgravissonspéniblementleplusraidedessentiers,l’idéed’unfroidglacialdépassenotre imagination.Etpourtant!ilsuffitdeleverlesyeuxunpeuplushautpourquenotreregardsepose surleplateaudeneigeducoldeBalmeà2204mau-dessusduniveaudelamer.(…)Enfinnous voicisurlacrête.Lecielsoitloué:del’ombre,durepos,desfraisesdesbois,etdulaitquenous trouvonssouscetteaccueillantebaraqueausommetdelaForclaz! SuitunelonguedescentesurMartigny… «Lacompagnieseretrouvetoutentièreautourdelatableaccueillantedel’hôtelClercdeMartigny. (…)Assisdanslasalleàmanger,autermedenotrepremièrelonguejournéedemarche,avecnotre faim nous sentons notre fatigue. Mr. James a parcouru les quarante km à pied, tandis que les damesontmarchéenmoyennesurvingt-cinqkm.N’étaientnospiedsfatigués,nouseussionsété ravisdefaireencoreunedemi-heurederoutejusqu’auxruinesduChâteaudelaBâtiaz:nousnous contentons de le contempler au loin, cependant que notre artiste en fait un croquis à la hâte». [D’aprèslecasting,ils’agitdeMissJemima!]. «Noussautonsdansletrainpourunetrentainedekmsurcettelignedechemindeferqui,unefois achevée,seralamerveilledel’ItalieduNordetletriomphedugéniemoderne.(…)C’estalorsque nousarrivonsauterminusdeSion[LalignedechemindeferarriveàSionen1856etletunneldu Simplonserainauguréen1906].» Aprèsavoirpasséenvironunesemaineàguiderungroupedontl’effectifnecessaitdedécroître, Thomas Cook abandonne les sept derniers participants les laissant se débrouiller tout seuls. Il rentre à Londres en passant par Lausanne et Neuchâtel. Nous retrouvons désormais nos sept AnglaisàSion. «Nousarrivonsàl’HôtelduLiond’Or,sinistrebâtissedegranitauxalluresdeprison,oùtoutparaît s’opposeràcequenousrestions,maislesecondétagenoussemblepropreetnousyprenonsnos quartierspourlanuit.(…)Ilestvingt-deuxheuresetlefonddel’airestsiplaisammentfraisque nousnepouvonsrésisteràl’idéed’unepetitepromenadepourvoirl’undeschâteauxdeSion.» 4ejour:Sion-Leukerbad(jeudi2juillet1863) «Maisrevenonsaupetit-déjeuner.Onn’échappejamaisaumiel,servisurunecoupeouenpot,et onluifaithonneur.Nousavonsaussidroitàdescraquelins[biscuitdurquicraquentsousladent] devingtcmdelongpouruncmdelarge.Ilssontaussifortappréciés,maisondiraitlepaindece cantonsoigneusementcalculépourirriterundyspeptique,ettouslesadeptesdu«Quinegaspille pastrouvetoujours»oudu«Quiépargnegagne»croiraientvoirunindigentfaméliqueenchaque touriste qui extrait un cube de pain de dix cm d’une épaisse croûte immangeable. Question (la réponse ne se trouve ni dans les recommandations de Murray, ni dans celle de Baedeker): les dentistesseraient-ilsdemècheaveclesboulangers?» «NotrevoiturespacieusepartàneufheurestrentepourLoèche-les-BainsouLeukerbad(…).Nous remontonslavalléesurunevingtainedekmentreleseauxturbulentesduRhôneetlavoieferrée, surnotredroite,lespentescouvertesdevigneetdemaïssurnotregauche.» «Siluxuriantequesoitlavégétationetpittoresquesquesoientlespaysages,nousremarquonsici quantité de crétins et de goitreux qui font peine à voir. En vérité, ce magnifique canton a la singularité d’être l’un des plus misérables et des plus mélancoliques de l’Europe du Nord. La superstition,l’ignorance,lamisèreetlemanqued’hygiène,s’ajoutantàl’insalubritéd’unevallée étroiteetbasse,sontlescausesdecetteflagranteinfortune.» LapremièredescriptiondelamaladiedanslesAlpesdatede1220(JacquesdeVitry).Depuislors, le phénomène et l’accumulation des cas furent confirmés par des voyageurs et des savants tels FélixPlatter(1536-1614),AlbertdeHaller(1708-1777),Horace-BénédictdeSaussure(1740-1799) etHeinrichZschokke(1771-1848).Leterme,médical,decrétinismedatedu18es.etasonorigine en Valais. Elle vient de crétin ou crestien, expression dérivée du latin cristianus qui désignait un pauvrechrétien.(Commeungrosgoitrepassaitpourunsigned’imbécilité,le«crétindesAlpes» trouva sa place dans les arts plastiques. Ainsi, dans bien des représentations de la Passion, les bourreauxsevoientattribuerungoitreetdestraitslourds.) Les savants suisses furent des pionniers en ce qui concerne le traitement et la prévention du crétinisme.Lachirurgiedugoitredéveloppéeàpartirdudernierquartdu19es.etlesobservations scientifiquessurlecrétinismes’yrapportantvalurenten1909àTheodorKocherleprixNobelde médecine,décernépourlapremièrefoisàunchirurgien.Lesmesuresdeprévention(iodagedusel) appliquéedès1922danslesRhodes-Extérieures,puisdanstoutelaSuisse,furentlespremièresau monde. Aucun crétin ne naquit plus en Suisse et le dernier s’est éteint dans les années 1970. (Source:DictionnairehistoriquedelaSuisse). MissJemimapoursuitsonrécit: «Puis, nous bifurquons et amorçons notre ascension de la Dala, l’une des plus belles gorges du pays.Laroute,autreexempledelaprouessetechniquedesSuisses,grimpesurunequinzainede kmjusqu’àLeukerbad,à1400mau-dessusduniveaudelamer.Larouten’estqu’unesuccession dezigzags,avecdesparoisrocheusesd’uncôté,desprécipicesdel’autre.» «LevillagedeLeuk,quenousvenonsdetraverser,possèdeunsingulierhospicefortifié,pareilàun donjon,dontchaqueangleestgarnid’unetourelleetpercéd’unebarbacane,vestigedelaguerreà l’arbalèteetdestempsféodaux.» «Parmi les merveilles de la route, il est un pont de trois arches, haut de 130 m, qui enjambe l’abysse béant, où s’engouffre la Dala contractée.» [La route moderne l’emprunte encore aujourd’hui]. «Nous atteignons Leuekerbad, ville estivale de bains et chalets-hôtels, que protège l’immense amphithéâtredelaGemmiqui,surplusde3km,couvresespentesvertesdesonombre.Apeine avons-nousmispiedàterrequelaclochesonne,sibienqu’aprèsunetoilettehâtivenousprenons placedanslasalleàmangerdel’HôteldesFrèresBrunner.» 5ejour:Leukerbad-Kandersteg(vendredi3juillet1863) Aprèsunréveilà5h,nosAnglaisvontobserverdiscrètementlescuristes: «Dansl’undesbassins,nousreconnaissonsunedamequiétaitnotrevis-à-visàlatabled’hôtela veille.Elleprendsonpetit-déjeunerenfoncéedansl’eaujusqu’auxépaulesens’aidantd’unplateau deboissurlequelsontposéesuneminusculecafetière,uneportiondebeurreetdestranchesde pain.Toutautourdubassin,onaperçoitdessiègesoudesbancsoùsontassisesdespersonnesen robes rouge ou bleu foncé. Un monsieur moustachu, qui se considère dans la fleur de l’âge, travaille le cuir sur sa table flottante; d’autres baigneurs se préparent à une partie de dames, cependantqu’unbonhommeventruauxépaulesvoûtéesfaitquelquesbrassesàtraverslebassin pourallersaluerquelquesdamesinstalléesdansl’angleopposé.» «A7h,nosdeuxmulets,nosguidesetnous,tournonsledosauxscènesamusantesdeLeukerbad pourentamerl’ascensiondelaGemmi.» «Les 4 premiers km de notre expédition à travers de verts pâturages au pied de la Gemmi perpendiculaire:parcourantdesyeuxsaparoiverticaleetnue,nousavonsdelapeineàdécouvrir unsentieretàcomprendrecommentnousallonsl’escaladerjusqu’ausommet.Acertainsendroits, lecheminseréduitàunsimplecouloircreusédanslaparoidecetteimmensefalaise,justeassez largepourlaisserpasserunmulet;àchaquezigzag,noussurplombonsunprécipicede150mou plus.» «Voiciquecommencepournousletempsdesépreuves:nousabordonsleslacetsintermédiaires. Auxpassageslespluspérilleux,aétéinstalléunpetitparapetetunecordeenguisedeprotection. Nousabandonnonsicinosmulets,carnouspensonsquedeuxpattesrequièrentmoinsdeprudence quesix.» Miss Jemima avait-elle connaissance de l’accident survenu deux ans auparavant et relaté dans l’édition 1870 du Baedeker: «Eviter la descente à cheval: en 1861, une certaine comtesse d’Herlincourtaglissédesaselledansleprécipiceetaététuéenet». «Le sommet atteint, nous saluons notre premier champ de neige: récompense qui suffit à nos peines.» S’ensuitunebatailledeboulesdeneige,quivoitl’undesparticipantsperdresonœildeverre! «Puis commence notre descente, par le sentier muletier qui longe le redoutable Daubensee, «bonneimagedemalaise,deténèbresetdepeines».Celacd’eaunoire,quinereçoitquelaneige fondue, est bordé de «roches calcaires nues et flétries, qui paraissent trop ingrates pour nourrir jusqu’aulichenlepluscoriace».(…)C’estunvraisoulagementqued’apercevoirauloinl’auberge solitaire du Schwarenbach et quelques signes d’habitation humaine. Nous nous arrêtons à cette petiteaubergepourprendrelethédemidi.» «Notre descente vers Kandersteg est raide et rapide(…).Fleurs, forêts et herbages foisonnent parmilescalcairesverdoyantsdemousseetdelierre,cependantquelaKanderbondit,murmure, oujoueànoscôtés(…).Lapremièrehabitationquenouscroisonsestl’Hôteldel’Ours,oùunejolie etbonneaubergistevientànotrerencontre.(…)Nousdécidonsdepassericilanuitplutôtquede marcherjusqu’àFrutigen,àquelqueskmdelà.» 6ejour:Kandersteg-Interlaken(samedi4juillet1863) Aprèsunpetit-déjeunerhâtivementavalé,legrouped’Anglaissautedansunevieillecarriolequi dévaleversFrutigen… «Les chalets qui bordent la route sont les plus sophistiqués que nous ayons pu voir jusqu’ici, et leursjardinssontlesmieuxtenus,commecenouvelhôtelauxpelousesimpeccables.Noussommes désormais,etvisiblement,enpaysprotestant»,constateMissJemima. ASpiez,notregroupesautesurunebarquequileurpermetderejoindreunbateauàvapeurqui les conduit à Neuhaus, où une calèche les attend pour Lauterbrunnen. But de la course: la cascadeduStaubach,«l’unedescascadeslespluscélèbredeSuisse,claire,hardie,céleste»,selon leguideWorldworth. Voicicequ’enditMissJemima: «Motsquiprennenttoutleursenslorsque,levantlatête,oncontemple,perduedanslesnuageset lefirmament,cettechutede300m.Ellealaparticularitédejaillirperpendiculairementàlaparoi rocheuse,etdesedéployergracieusementenéventail,pousséeparlesmouvementsimprévisibles duzéphyrcommeunvoilescintillantausoleil.» «LecheminquimèneduStaubachàl’aubergeestbordéedenombreusespetiteséchoppestaillées danslebois.Dejeunesmendiantsvousproposenticiunefleur,làuncaillou.» DeretouràInterlaken,nosinfatigablesvoyageursprennentleursquartiersàl’HôtelduLac,situé enborduredulacdeBrienz.IlsrécupèrentleursmallesenvoyéesdepuisChamonix,cequipermet enfin à ces dames de paraître «dans leurs plus beaux atours» pour arpenter le Kursaal et déambulerlelongdesalléesplantéesdenoyers. 7ejour:Interlaken(dimanche5juillet1863) Encejourde«repos»,nosAnglais,enbonsanglicans,commencentparassisterauculteluthérien, puis visitent les ruines du Château de Ringgenberg et enfin le cimetière luthérien et le cloître d’Unterseen,oùlegroupesuitlespasdePaulFlemming… 8jour:Interlaken-Grindelwald(lundi6juillet1863) VoicidéjànosAnglaisàcinqheuresetdemieenroutesurleurcabrioletquiremontelavalléede Lauterbrunnen. «ALauterbrunnen,nousabandonnonsnotrevoiture,necomptantdèslorsquesurnosjambeset nos alpenstocks. Puis, sacs au dos, nous tenons tête aux propositions scandaleusement élevées d’un essaim de guides. Devant notre détermination, ceux-ci reconsidèrent finalement leurs prix. L’und’entreeuxl’emporte,quidevientàlafoisnotreguideetnotreporteur,etnotrepaquetage ingénieusementagencédansunesortedechaiseenboissursesépaules,nousvoilàpartis.» «Après la dernière escalade, nous faisons halte devant le merveilleux panorama. A gauche la Jungfrauetsessatellitescouvertsdeneige,àdroiteInterlakenassoupiedanslesoleil–leChâteau d’Unspunnen,lescollines-,leslacsdeThouneetdeBrienz,l’isthmequilesreliecommeunruban deterre.PlusloinencoresedressentleNiesenetbiend’autrespicsdontnousignoronslenom.Une demi-heuredemarchenousmèneausommetdeWengernalp,enfaceduquelsetientl’Eiger,droit etpointucommeunesentinelle,leMönchencapuchonné,laJungfrauchatoyante,leSilberhorn,et leSchrekhorn,appeléàjustetitrel’EmpereurdelaVallée.» S’ensuit une longue descente sur Grindelwald et l’Hôtel Adler où notre groupe se remet de sa fatigue… 9ejour:Grindelwald-Giesbach(mardi7juillet1863) LamatinéeestconsacréeàuneexcursionsurleglaciersupérieurdeGrindelwald.Aprèslerepas pris à l’hôtel Bär de Grindelwald, une diligence – redescend le club à Interlaken où il embarque pourGiessbach: «L’après-midiestmagnifique,etcettecroisièretranquillesurlelac,délicieuse.Nousabordonsun ponton proche des chutes de Giessbach. Cette merveille se compose de plusieurs cascades, qui grimpentparpaliersàplusdecentcinquantem.Bienquededimensionplusmodeste,Giessbach rivalise en beauté, et en richesse avec ses ainées. Les sombres futaies et les talus herbeux qui l’environnentluiconfèrentl’aspectd’unparcbientenu.» «Nous demandons à être hébergé dans le Grand Hôtel, mais sans succès. Les 150 lits sont tous occupés. La direction nous propose un chalet dans le parc de l’hôtel, où nous serons de l’avis du directeur,àl’abridetouteintrusion.Noussaisissonscetteoccasionquicadresibienavecnosgoûts. (…) Après nous être copieusement abreuvés de [thé], nous voilà descendus de notre balcon pour explorerleparc,etfranchirentoussenslespontsquienjambentchaquecoursd’eau.L’ombredes conifères,puisdevertescollines,nousconduisentàlavueduChâteaudeRinggenberg,quiétend sacapenoiresurl’amplefeuilledeverrequefaitlelacsouslesrayonsdorésdusoleilcouchant.» 10ejour:Giesbach-RigiKulm(mercredi8juillet1863) «Aprèsunedemi-heuredenavigationsurlelacdeBrienz,nousaccostonsàl’embarcadèredela citédumêmenom.» Delà,lesmembresduclub-répartissurunediligenceetunecalèche–prennentlarouteducol duBrunig… «Cette route, comme celle qui surplombe la Dala, a valu aux Suisses, le titre de meilleurs cantonniersdel’Europe.Lachausséeestétayéed’arcs-boutantsdegranit.Enunendroit,ellepasse sousunimmenserocherquilarecouvreentièrement.» «AAlpnach,noustroquonslafournaisedeladiligencepourlafraîcheurd’unbateau.» «Aprèsledéjeuner[àLucerne]etnospréparatifspourl’ascensionduRigi,nousvoilàsurlebateau qui nous conduit au pied de la montagne, en compagnie de passagers d’aspect et de caractères variés.(…)LebateauaccosteàWeggis.» «Sichaquehommeoumuletier,quifondsurnousànotrearrivéeavaitétéuneguêpe,etchacune deleursparolesunepiqûre,Weggisauraitcertainementeuraisondenous.Cesimportunsnous encerclentetnousassaillentdepartout.Nousnelésinonsdevantaucuneffort,etrusonsdenotre mieuxpouréchapperàleurstentacules.Maislesderniersespoirsdecesquêteurss’évanouissent lorsquelaplusjoliedame[MissSarah]leurannoncequenousavonsfaitleMont-Blanc.» MissJemimadonnedesinformationsprécises,vraisemblablementpuiséesdanssonguide,surla naturegéologiqueduRigi: Le nagelfluh est formé de matériaux charriés par la Reuss primitive, cimentés et agglomérés en rocherésistante.Lesnombreusescouchesdenagelfluhalternentavecdescouchesgréseuseset marneusesplustendre.Alafindel’orogénèsealpine,ellessesontdresséesetorientéesdebiais tandisquedansl’estduRigilefrontd’unplicalcaireglissaitsurlamolasse. Reprenonslerécit:«Multiplesserontlesressourcesquenoustrouveronspourconquérirsesflancs escarpés. Le rythme est d’abord enlevé, puis il ralentit. Nous tentons de marcher par trois, en battantlamesureàl’aidedenosalpenstocks.» «Nous passons devant la petite chapelle de la Sainte-Croix, pas plus grande qu’une maison de vacances.Danslechaletquilajouxte,oùnousnousarrêtons,nousvidonslesgobeletsdecristal, pleins à ras bord, que tendent nos hôtes aux pèlerins déshydratés que nous sommes. (…) Notre chemindevientplusombragé,etnousdevonsadmettrequelesoleilsecoucheraavantquenous n’ayonsatteintleKulm.Nousn’avonspaspenséque14kmenmontagneenvalentàpeuprès20 enplaine.Noussommescependantdécidésàallerjusqu’auboutsansl’aidedemuletsnidechaises àporteurs.» «Unearchenaturelleenjambelechemin.Ellesecomposede2énormesblocsdepierredominés parunpignon,quilestientsolidementamarrésl’unàl’autretoutenproduisantlemeilleureffet.» [Felsentor] «Quelqu’unannonceunemaisonenvue.Nousproduisonsungrandeffort,convaincusqu’ils’agit du Staffel, à une vingtaine de minutes de marche du sommet. Pas de chance, ce n’est que le bâtimentdecurethermale.»(CelieucorrespondantvraisemblablementàRigiKaltbad,stationqui connutungrandsuccèsavecl’arrivéeduchemindeferVitznau–RigiKulmen1871). «Enfin,autermedepatientsefforts,nousaccédonsàunesortedeplateau.Etsiétrangequecela puisseparaître,toutetracedefatigues’estdissipée–chasséeparl’airenivrantdelamontagne. Nousmarchonsàprésentàgrandspas,agilesetdégagés,lelongdupicquel’onvoitdisparaître danslespremièresténèbresdelanuit,etquidominelelacd’unehauteurvertigineuse.Iciencore, uneélévationnousmasqueunepenteescarpée,aussiabruptequelesbarresdelalettre«W»-la dernière,dansunderniereffortcaràprésentnousapercevonslasilhouetteduRigi-Kulmau-dessus denous.» «Nousnenoustraînonspas[àtable],carilestdéjàdixheures.Atroisheuresdumatin,nousnous lèverons avec la multitude du Kulm, aussi fervents que des dévots persans pour rendre notre hommageausoleil.» «Ouvrantnosfenêtresàdeuxheuresdumatinpouradmirerlesmajestésdel’Oberlandettoute leur cour, nous recevons en guise d’accueil, la morsure du froid. Ces kilomètres de pyramides enneigées,sedétachantsurlevided’ungrisprofond,àcetinstantoùlanuitexpireetlejourse lève, forment dans leur silence, une scène d’une beauté redoutable! Assez émouvante, vous pouvezm’encroire,etgravantpourtoujoursdansnoscœursuneimpressionsublime.» «Atroisheures,lesnotessinueusesducormatinalnousparviennent,leuréchograndissantaufur etàmesurequ’ilapprochedenosportes.(…)enmoinsdedixminutes,laruchebourdonne,etse lanceàl’assautdespentesherbeusesduKulm.Legroupedesassaillantsestaussidisparatequele décriventlesguidesetlesarticles.» «Deux vendeurs ambulants de trousses brodées, stimulés par l’appât du gain, étalent la marchandise de leurs boutiques improvisées. Hommes crédules qui pensent pouvoir briser le monopole du lever de soleil sur le Rigi, à l’instant où celui-ci, dans la majesté de son apparition, émarge des couches brumeuses du petit matin et, de son œil rubis, éclaire le teint de cendre de l’arènedeglacedecerosecélestequ’onappelle«cuissedenympheémue». «L’ampleurdecepanoramagrandioseestinouïeet,retenantnotresouffle,nouscontemplonsle jourseleversurcecirquedecinqcentskilomètresdesommet,devallées,delacs,etdevillages.» Commentcomprendrel’attractivitéduRigiautempsdeMissJemima? Le Cook’s Tourist’s Handbook affirmait: «Vous ne verrez jamais plus beau lac de votre vie». La forme tortueuse du lac des Quatre-Cantons confère au rivage accidenté une proximité quasi permanente,commesilesmontagnesdescendaientjusqu’àl’eauclairepourytremperleurspieds. L’unedecesmontagnesestleRigi,quel’onappelleaussila«reinedesmontagnes»(monsregina). Cependantdansunpaysquipossède48sommetsdépassantles4000m,leRigi,avecses1797m, faitfiguredesimplebutte.Alorspourquoi1,25millionsdepassagersprennent-ilschaqueannéele Rigi Bahn qui monte jusqu’à son sommet? Ils veulent tout simplement admirer le panorama à 360°: le Rigi se tient se tient magnifiquement à part des montagnes environnantes, presque totalemententouréparlelacet,partempsclair,onpeutyvoirtouteslesAlpes–«Toutautour,la splendeurdumonde»,commentaGoethedanssonjournal. En1863,ilyavaitenviron1000litsàdispositiondeshôtesduRigiet,20ansplustard,mêmedeux fois plus. Peu de chose rappellent encore cette période faste du tourisme. L’âge d’or prit fin au coursdel’été1914,commepartoutenSuissed’ailleurs.Lorsdelarepriseàlafindesannées20,il étaittroptardpourqueleshôtelsduRigipuissentseremettre.LepremierhôtelduKulmbrûlaen 1935,etlesdeuxrestantscommencèrentàtomberenruine. En1952,lesgrandshôtelsduKulmétaientlaids,malentretenus,etsigrandsqu’ilsgâchaientla vue que l’on avait du sommet. Une campagne du Heimatschutz (PatrimoineSuisse aujourd’hui) baséesurlaventedel’Ecud’orpermitdecollecter330'000francspourrestaurerleRigidansson étatnaturel.LeReginaMontiumetleSchreiber,quiavaientsymboliséspendantsilongtempsle triomphedutourisme,furentdémolisetremplacésparunhôtelpluspetitetplussombredansle styled’unhospicealpin. Pourle50eanniversaireduHeimatchutz,lesderniersvestigesdeshôtelsfurentréduitsencendre dans un feu de joie géant au sommet du Rigi. L’âme de la montagne fut sauvée – pour être finalementvendue10ansplustardsouslaformed’unegigantesqueantenneradio-télécoms… La plupart des hôtels où nos Anglais ont séjourné ont disparu. Par chance, les propriétaires du nouvel hôtel Rigi Kulm ont conservé à Schwytz les registres depuis 1816 et, à la demande du journalisteDiconBewes,ontretrouvélapagedu8juillet1863. C’est sur ces hauteurs que mon chemin s’écarte de celui de la petite troupe du Junior United AlpineClubquiredescendducôtédeKussnachtpourembarquerunedernièrefoissurlevapeur quilesramèneàLucerneoùelleprendletrainpourNeuchâtel,puisParis,avantderegagnerla terrenatale… Bibliographie Touteslescitationsproviennentdupremierouvrageci-dessous: MORRELJemima.VoyagedanslesAlpesen1863,Cabédita,Yens,1995. TraductiondeMissJemima’sSwissJournal.ThefirstConductedTourofSwitzerland,Putnam, Londres,1963(centièmeanniversairedu1ervoyageenSuisse). BEWESDiccon.UntrainpourlaSuisse,Helvetiq,Lausanne,2014. FINCKHeinzDieter.ViaCook-EineTourdeSuissezuFuss,perSchiff,perBahn,ViaStoria– KulturwegeSchweiz,WeberAGVerlag,2013. RUTTIMANNSylvie,SCHMIDTCarlo&al.Loècheetenvirons,ViaStoria–Centrepourl’histoiredu trafic,WeberAGVerlag,2013. TISSOTLaurent.Naissanced’uneindustrietouristique.LesAnglaisetlaSuisseauXIXes.,Payot, Lausanne,2000.