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Lexbase Hebdo édition publique n˚316 du 23 janvier 2014
[Responsabilité administrative] Jurisprudence
Les conséquences de la demande prématurée de concours
de la force publique en matière d'expulsion
N° Lexbase : N0295BUH
par Victoire de Bary, Avocat Associé, Océan Avocats AARPI
Réf. : CE 4˚ et 5˚ s-s-r., 18 décembre 2013, n˚ 363 126, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase :
A7969KSX)
La saisine prématurée du préfet, pour obtenir le concours de la force publique afin de faire exécuter une
décision de justice, est valable ; seuls les effets de cette saisine sont reportés, indique le Conseil d'Etat
dans un arrêt rendu le 18 décembre 2013.
Si, dès 1923, le Conseil d'Etat a fixé le principe de la responsabilité de l'Etat pour refus de prêter son concours
à l'exécution d'une décision de justice (1), les conditions d'engagement de cette responsabilité font encore couler
de l'encre. Avant de nous attacher à déterminer les apports et conséquences de la dernière jurisprudence de la
juridiction suprême, il convient de procéder à un bref rappel des conditions d'engagement de la responsabilité de
l'Etat en ce domaine.
I - Le principe de la responsabilité de l'Etat
La jurisprudence "Couitéas" (2), qui constitue la première jurisprudence retenant la responsabilité sans faute de
l'administration du fait de la rupture de l'égalité devant les charges publiques, trouve souvent à s'appliquer en cas
de défaut de concours de la force publique pour assurer l'exécution d'une décision de justice. Dans ce cadre, les
juges considèrent que, quand bien même l'exécution de la décision risquerait de troubler gravement l'ordre public,
ce qui rendrait le refus de concours légal, le préjudice qui en résulte crée une rupture de l'égalité devant les charges
publiques.
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Le juge administratif considère, en effet, que la puissance publique peut légalement faire supporter, au nom de
l'intérêt général, des charges particulières à certains membres de la collectivité. Toutefois, le principe d'égalité
devant les charges publiques, tiré de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, justifie qu'une
compensation leur soit accordée.
Pour que cette compensation leur soit allouée, le dommage doit être anormal et spécial, c'est-à-dire qu'il doit atteindre un certain degré d'importance et ne concerner que certains membres de la collectivité. Dans l'hypothèse
d'un refus de concours de la force publique en matière d'expulsion, le préjudice est anormal au-delà d'un certain
délai puisqu'une décision de justice exécutoire doit être exécutée. Le préjudice est également spécial dès lors que
seul le bénéficiaire de la décision de justice en est victime.
Une décision légale pouvant engager la responsabilité de l'Etat, il est logique qu'il résulte d'une jurisprudence
constante des juridictions administratives que la responsabilité de l'Etat est engagée lorsque l'assistance des forces
de police pour assurer l'exécution d'une décision de justice est refusée "sans motif valablement tiré des nécessités
de l'ordre public" (3). En effet, faute de motif tiré des nécessités de l'ordre public (ce qui est nécessairement le cas
d'un refus implicite), le refus est nécessairement illégal, ne serait-ce qu'en raison de son absence de motivation.
Face à la position constante du juge administratif, la loi a consacré le principe même de cette responsabilité. Ainsi,
l'article 16 de la loi n˚ 91-650 du 9 juillet 1991, portant réforme des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase :
L9124AGZ) -aujourd'hui codifié à l'article L. 153-1 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L5830IRD)—
prévoit que "l'Etat est tenu de prêter son concours à l'exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le
refus de l'Etat de prêter son concours ouvre droit à réparation".
II - Les conditions d'engagement de cette responsabilité
D'un point de vue pratique, la responsabilité de l'Etat est engagée à compter de l'expiration du délai de deux mois
donné au préfet pour déférer à la réquisition d'avoir à prêter le concours de la force publique.
En matière d'expulsion d'occupants de logements à usage d'habitation, les dispositions du Code des procédures
civiles d'exécution imposent au titulaire du titre d'expulsion de faire délivrer aux occupants un commandement de
quitter les lieux sous deux mois.
En effet, l'article L. 412-1 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L5898IRU) prévoit que, "si
l'expulsion porte sur un local affecté à l'habitation principale de la personne expulsée ou de tout occupant de son
chef, elle ne peut avoir lieu qu'à l'expiration d'un délai de deux mois qui suit le commandement [...]". De plus, et en
application de l'article L. 412-5 du même code (N° Lexbase : L5902IRZ), "dès le commandement d'avoir à libérer
les locaux, l'huissier de justice chargé de l'exécution de la mesure d'expulsion en informe le représentant de l'Etat
dans le département en vue de la prise en compte de la demande de relogement de l'occupant dans le cadre du
plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées [...] A défaut, le délai avant l'expiration
duquel l'expulsion ne peut avoir lieu est suspendu".
Dans ces conditions, ce n'est qu'à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la dénonciation à la préfecture
qu'il est possible de solliciter le concours de la force publique, le préfet disposant alors d'un délai de deux mois pour
faire connaître sa position sur une expulsion forcée.
III - Les apports de l'arrêt du 18 décembre 2013
Jusqu'à l'arrêt n˚ 363 126 du 18 décembre 2013, le Conseil d'Etat considérait que la demande de concours de la
force publique qui intervenait prématurément n'était pas valable. Ainsi, tout huissier sollicitant le concours de la
force publique alors que le commandement de quitter les lieux signifié à l'occupant n'avait pas été dénoncé à la
préfecture depuis au moins deux mois voyait sa demande considérée comme non valable et devait donc la réitérer.
C'est ainsi que, dans un arrêt du 18 février 2010 (4), le Conseil d'Etat a rappelé que, le concours de la force publique
ne pouvant être légalement accordé avant l'expiration du délai de deux mois qui suit la notification au préfet du
commandement d'avoir à quitter les lieux antérieurement signifié à l'occupant : "le préfet saisi d'une demande de
concours moins de deux mois avant l'expiration de ce délai [...] est légalement fondé à la rejeter en raison de son
caractère prématuré [...] il appartient alors à l'huissier de renouveler sa demande à l'expiration du délai de deux
mois suivant la notification du commandement" (5).
Par son arrêt du 18 décembre 2013, le Conseil d'Etat a renversé cette jurisprudence. Il indique que la demande
de concours de la force publique, formulée prématurément au regard des règles applicables en ce domaine, est
valable, ses effets en étant seuls retardés. Dans l'affaire portée à l'attention de la juridiction suprême, il s'agissait
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de mettre à exécution la décision autorisant l'expulsion d'occupants d'un logement à usage d'habitation.
Malheureusement, la demande de concours de la force publique était intervenue trois jours avant l'expiration du
délai de deux mois à compter de la dénonciation au préfet du commandement de quitter les lieux. Se fondant
sur la jurisprudence bien établie en cette matière, le tribunal administratif de Melun avait considéré cette première
demande comme n'étant pas valable et avait donc retenu que l'Etat n'avait engagé sa responsabilité qu'à compter
de l'expiration du délai de deux mois suivant l'itérative réquisition.
Dans sa décision, le Conseil d'Etat retient que "le concours de la force publique ne peut être légalement accordé
avant l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la réception par le préfet du commandement d'avoir à quitter
les lieux antérieurement signifié à l'occupant ; que le préfet saisi d'une demande de concours avant l'expiration de
ce délai, qu'il doit mettre à profit pour tenter de trouver une solution de relogement de l'occupant [...] est légalement
fondé à la rejeter, par une décision qui ne saurait engager la responsabilité de l'Etat, en raison de son caractère
prématuré ; que, toutefois, lorsque, à la date d'expiration du délai, la demande n'a pas été rejetée pour ce motif par
une décision expresse notifiée à l'huissier, le préfet doit être regardé comme valablement saisi à cette date ; qu'il
dispose alors d'un délai de deux mois pour se prononcer sur la demande ; que son refus exprès, ou le refus implicite
né à l'expiration de ce délai, est de nature à engager la responsabilité de l'Etat".
Par conséquent, lorsque le préfet est saisi d'une demande de concours de la force publique avant l'expiration
du délai de deux mois suivant la dénonciation du commandement de quitter les lieux antérieurement signifié aux
occupants, deux solutions s'offrent à lui :
- ne pas répondre dans le délai de deux mois qui lui est imparti pour ce faire, auquel cas la responsabilité de l'Etat
sera considérée comme engagée immédiatement à compter du 1er jour suivant l'expiration du délai de deux mois
consécutif à la dénonciation du commandement ;
- prendre une décision explicite de rejet, fondée sur le caractère prématuré de la demande, et la notifier à l'huissier,
lui imposant ainsi de formuler une nouvelle demande de concours de la force publique lorsque le délai sera arrivé
à son terme.
Dans ce deuxième cas, toute décision de rejet opposée à la demande prématurée serait illégale si elle n'était pas
fondée sur le caractère prématuré. Notons que le préfet dispose d'un délai de deux mois pour refuser le concours
demandé prématurément. Ainsi, dans la situation dont avait à connaître le Conseil d'Etat, l'intervention d'une décision de rejet fondée sur le caractère prématuré de la demande de concours aurait eu pour conséquence de retarder
la date à compter de laquelle la responsabilité de l'Etat était engagée de plus de trois mois.
L'objectif de cette jurisprudence est donc clairement de protéger les deniers publics en ouvrant une possibilité de
retarder l'engagement de la responsabilité de l'Etat, ce qui imposera toutefois aux préfectures de répondre de façon
explicite aux demandes formulées prématurément.
(1) CE, S., 30 novembre 1923, n˚ 38 284, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0959B9E), GAJA.
(2) CE, S., 30 novembre 1923, n˚ 38 284, publié au recueil Lebon, préc..
(3) Voir, par exemple, CE 2˚ et 6˚ s-s-r., 20 mars 1985, n˚ 46 731, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3144AME).
(4) CE 4˚ et 5˚ s-s-r., 18 février 2010, n˚ 316 987, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0230ESC).
(5) Voir, également, CE 5˚ s-s., 8 octobre 2010, n˚ 328 646, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3532GBG).
Décision
CE 4˚ et 5˚ s-s-r., 18 décembre 2013, n˚ 363 126, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7969KSX)
Censure (TA Melun, 28 juin 2012, n˚ 1 001 075/4)
Lien base (N° Lexbase : E3796EU7)
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