Alice Ferney - Alliance Française van Oost

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Alice Ferney - Alliance Française van Oost
Alice Ferney
“Revivre ce qu’on n’a pas vécu”
jeudi 13 octobre 2016
Auditorium 61, Recollettenlei 3, 9000 Gent
Alice Ferney est née Cécile Brossolet en 1967 et a
réussi le concours d'entrée à l'ESSEC. Elle s'inscrit
ensuite en doctorat à l'EHESS et choisit pour sujet
la division du travail dans la famille, étudiée d'un
point de vue économique. Elle est alors nommée
à l'université d'Orléans où elle est maitre de
conférence. Pour son premier roman, paru en
1993, Le ventre de la fée, elle prend le
pseudonyme d'Alice Ferney plutôt que son nom
de mariage, Cécile Gavriloff, en hommage à
Voltaire (qui résidait à Ferney) et à Lewis Carroll,
ou du moins à son Alice. Grâce et dénuement, son
troisième roman, obtient en 1997 le prix Culture
et bibliothèque pour tous.
Ses thèmes préférés, qui se retrouvent de livre en
livre, sont la vie de couple, la féminité, la
différence des sexes, la maternité, ce qui explique
qu'elle ait pris position contre la PMA
(procréation médicalement assistée) et les mères
porteuses dans le débat sur le mariage homosexuel.
Mère de famille, universitaire, critique au Figaro Littéraire, elle publie un livre tous les deux ou trois
ans seulement, mais chacun est remarqué, même si les prix littéraires l'ont jusqu'à présent boudée.
Paradis conjugal, une mise en mots, selon ses propres termes, du film de Joseph Mankiewicz Chaines
conjugales et l'histoire de deux couples sur deux générations, Cherchez la femme, ont trouvé un large
public et des échos très favorables.
En 2014, elle publie Le Règne du vivant, un « roman documentaire » inspiré de l'action du militant
écologiste Paul Watson pour protéger les baleines et lutter contre la surpêche et le braconnage. Par
ce livre, elle revendique de rendre hommage à des militants controversés et leur donne raison.
D’après: http://www.laprocure.com/biographies/Ferney-Alice%20/0-1226496.html et
https://fr.wikipedia.org/wiki/Alice_Ferney
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Bibliographie
Le Ventre de la fée, Actes Sud, 1993
Un conte cruel qui suit de l'intérieur, et sans complaisance, la trajectoire de l'ogre,
cet étrange tueur en série qu'enfanta le ventre de la fée.
L'Élégance des veuves, Actes Sud, 1995
Dévidoir d'une série de destins de femmes confisqués par les règles de la société
conservatrice et bourgeoise du début du XXe siècle, ce roman dénonce la
redoutable transmission de valeurs mortifères de génération en génération.
Adapté au cinéma en 2016.
Grâce et Dénuement, Actes Sud, 1997 (Prix Culture et Bibliothèques pour tous.)
Une bibliothécaire de banlieue entreprend d'initier à la lecture des enfants de
Gitans. Elle finira par entrevoir le destin d'une mère qui, comme elle, a perdu ses
parents dans les camps, et élève seule ses cinq enfants.
La Conversation amoureuse, Actes Sud, 2000
Une conversation amoureuse typique entre un homme et une femme qui se
laissent aller à un adultère séduction, grisés par leur secret.
Dans la guerre, Actes Sud, 2003
"Ah Dieu ! pensait la jeune femme, ce temps à traverser! Les chagrins vous guettent
à tous les coins de la vie. Pourquoi donc fait-on des enfants si on fait la guerre ?
Pourquoi fait-on la guerre si on fait des enfants?" Comme des milliers d'autres
autour de lui, Jules Chabredoux est mobilisé au début du mois d'août 1914. Il laisse
derrière lui un tout jeune enfant, une femme enceinte, ce qu'il ignore, un frère un
peu idiot et sa mère, méchante femme dont il sait qu'elle causera bien de la tristesse
à Félicité, son épouse. Et puis son chien, Prince. Brave et distant dès les premiers
combats, il regarde dans les yeux cette guerre d'un genre nouveau. Et cherche dans
le souvenir de sa famille la foi nécessaire pour ne pas céder au désespoir absolu. Là-bas, dans la ferme
qu'il a quittée, la vie sans lui s'organise. Entre la ferme des Landes et le front de l'Est, il y a la séparation,
mais il y a aussi Prince, qui parcourt cette distance pour rejoindre son maître, et les lettres de Jules et
de Félicité, bouleversantes.
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Les Autres, Actes Sud, 2006
Autour de Théo, pour son vingtième anniversaire, il y a sa mère, son frère aîné
Niels et sa fiancée, une amie d'enfance et son petit garçon, un ami de son frère et
sa petite amie. Son père ne passe pas la soirée avec eux, et sa grand-mère malade
est restée dans sa chambre. Niels offre un jeu de société à Théo et tient à en faire
une partie, mais des secrets de famille vont être alors révélés.
Paradis conjugal, Albin Michel, 2008
En l'absence de son mari, Elsa Platte, mère de famille de quatre enfants, ne cesse de
visionner le DVD de Joseph Mankiewicz, Chaînes conjugales. Les trois héroïnes du
film lui tendent un miroir, véritable révélateur de sa situation conjugale, dans lequel
elle se projette. Elle finit par céder à l'apitoiement puis au désir de reconquête de
son mari qui ne revient toujours pas.
Passé sous silence, Actes Sud, 2010
Un grand homme d'Etat qui trahit ses engagements, un conjuré pour qui rien ne
vaut plus que l'honneur : leur affrontement met en jeu les notions de devoir et
d'intégrité. Le récit, sous forme de conte historique, d'un événement réel de la
seconde moitié du XXe siècle.
Cherchez la femme, Actes Sud, 2013
Histoire du couple formé par Marianne Villette et l'égocentrique Serge Korol, de sa
formation à l'épreuve du temps, entre rapprochement et défaite.
Le Règne du vivant, Actes Sud, 2014
Aiguillonné par la curiosité, et très vite porté par l'admiration, un journaliste
norvégien s'embarque sur l'Arrowhead avec une poignée de militants
s'opposant activement à la pêche illégale en zone protégée. À leur tête,
Magnus Wallace, figure héroïque et charismatique qui lutte avec des moyens
dérisoires - mais un redoutable sens de la communication - contre le pillage
organisé des richesses de la mer et le massacre de la faune. Retraçant les
étapes de cette insurrection singulière, témoignant des discours et des valeurs
qui la fondent, Alice Ferney s'empare d'un sujet aussi urgent qu'universel pour
célébrer la beauté souveraine du monde marin et les vertus de l'engagement.
Alors que l'homme étend sur les océans son emprise prédatrice, Le Règne du
vivant questionne le devenir de "cette Terre que nous empruntons à nos enfants" et rend hommage
à la dissidence nécessaire, face au cynisme organisé.
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Entretien à propos du Règne du vivant
"Je rends hommage aux 'éco-terroristes' !"
BibliObs
Publié le 20 novembre 2014
Des activistes de Sea Shepherd abordent un baleinier japonais, en février 2012. (Sipa)
Dans "le Règne du vivant", Alice Ferney raconte la vie et l'oeuvre d'un militant écologiste
fortement inspiré de Paul Watson, le couleur de navires. Entretien.
Alice Ferney a travaillé sur «le Règne du vivant» pendant deux ans. Le roman retrace l’épopée d’un
journaliste norvégien qui rejoint l’expédition d’un célèbre activiste écolo pour filmer sa lutte contre la
surpêche et le braconnage.
Derrière ce personnage, les lecteurs reconnaîtront peut-être Paul Watson, écologiste contesté qui a
fait partie de Greenpeace, avant de s’en faire expulser à cause de son tempérament plus que sanguin,
puis de fonder sa propre ONG et de se mettre à couler des navires à la sauvage.
Dans ce «roman-documentaire engagé», Alice Ferney décrit aussi bien la beauté des océans que la
cruauté de ceux qui les pillent, et nous pousse à reconsidérer notre usage du monde en posant les
bonnes questions. Entretien.
BibliObs D’où vous est venue l’envie de parler d’écologie?
Alice Ferney Il y a eu deux sources : d’abord un intérêt pour les relations entre l’animalité et
l’humanité, qui date de l’écriture de mon roman «Dans la guerre» en 2002. La lecture que j’ai faite à
cette époque des travaux d’Elisabeth de Fontenay m’a durablement marquée, et comme liée au
monde animal. Dans ces années, de grands films sur la Terre m’ont touchée, comme «Océans»,
«Home», ou «Un jour sur terre».
Et puis surtout j’ai découvert l’action de Paul Watson, le créateur de la «Sea Shepherd Conservation
Society». Je le crois en sa manière de faire: compte tenu de la corruption et de l’apathie politiques, je
pense comme lui que la seule intervention actuellement utile est l’action directe. Paul Watson est un
héros moderne, j’ai eu envie d’en faire un personnage de roman et ainsi de lui rendre hommage.
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Dans votre livre, Paul Watson devient Magnus Wallace et défend les baleines au péril de sa vie. On
pense d’abord à Morel, le héros des «Racines du ciel» de Romain Gary, qui se bat contre
l’extermination des éléphants, mais surtout à «Moby Dick»...
C’était un peu extraordinaire de s’inscrire dans la lignée de Melville. Paul Watson est l’inverse moderne
du capitaine Achab, qui chasse les baleines. Je suis toujours curieuse de voir comment des romanciers
ont traité le sujet sur lequel je travaille. Quand je relisais Melville ou Conrad − qui sont les deux grands
écrivains de la mer − c’était une expérience d’humilité.
Leur prose possède une densité qui paraît inaccessible. «Moby Dick» est d’ailleurs un livre difficile qui
n’a pas connu le succès à sa parution. Lire ces chefs-d'œuvre a quelque chose d’exaltant et de
démoralisant. Ce qui sauve du découragement, c’est justement de chercher ce que Melville n’aurait
pas pu écrire à son époque, parce que le monde a changé.
Paul Watson (Sipa)
Votre narrateur, Gérald Asmussen, tient un journal de bord et embarque avec Magnus Wallace pour
réaliser un documentaire sur le trafic des ailerons de requins. N’était-il pas étrange de confier sa
plume à un caméraman?
Je voulais un narrateur témoin de l’action. Par ailleurs, ce livre est presque une mise en mots d’images
que nous avons vues, comme la découpe des ailerons de requins. J’ai eu envie d’écrire un romandocumentaire. Être littéraire, c’est se demander tout ce qu’on peut faire avec des mots. Je voulais voir
si, par les mots, je pouvais retrouver la force des images. Évidemment, ce personnage du caméraman
m’a aidée dans cette voie.
Il écrit: «L’image se suffit, l’abomination se donne en spectacle». Est-ce que l’écriture peut apporter
quelque chose de plus à l’image?
Je me demande si un livre ne s’inscrit pas plus profondément dans les esprits qu’un film, si finalement
l’émotion qu’il suscite n’est pas plus lente, certes – moins intense et immédiate – mais aussi plus
persistante. Quand j’ai écrit la scène des mutilations de requin, je ne savais pas du tout ce qu’elle valait
littérairement, mais je constate que les gens sont touchés quand ils la lisent, tant mieux.
Le prologue est très poétique, presque lyrique: «J’ai vu le monde, j’ai couru les océans [...] J’ai
réclamé les eaux profondes, j’ai respiré leur haleine salée.» On se sent comme sur le «Bateau ivre»
de Rimbaud.
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Oui ! et le plus étonnant, c’est que je n’avais jamais lu «le Bateau ivre» quand j’ai écrit ce
commencement. J’étais très inspirée par mon sujet, lancée dedans comme un projectile, chargée de
tout ce que j’emmagasinais depuis plusieurs mois, et ça a donné ces premières pages très gonflées.
Et pour la première fois, vous utilisez la première personne…
C’est le seul mode narratif que je n’avais jamais employé. Je trouve que le «je» qui parle d’un «il» est
vraiment une bonne construction romanesque. Je voulais que le «je» soit un témoin qui raconte parce
que je suis un peu ce témoin qui raconte. Dans le livre, le journaliste suit mon parcours: il est admiratif,
il se documente... C’était une expérience pour moi, une nouvelle manière d’écrire, et je n’ai pas trouvé
ça facile.
Ce qui m’a frappée, techniquement, c’est que le «je» qui parle du «il» sans parler de lui-même, est
finalement assez absent. Il s’avère que le personnage principal n’est pas Gérald Asmussen mais
Magnus Wallace. Au début, je le vivais comme un problème. Quand j’ai remarqué que c’était pareil
dans «Moby Dick», cela m’a rassurée: on sait peu de choses sur Ismaël, le narrateur qui parle du
capitaine Achab. En réalité, il est évident que c’est Melville.
Diriez-vous que «le Règne du vivant» est un roman engagé?
Oui, forcément. Je rends hommage à des militants controversés et je leur donne raison. On reproche
aux «éco-terroristes» d’être dangereux, mais ce sont souvent eux qui sont assassinés. À travers ce livre,
je m’engage à leurs côtés.
Je n’ai pas une âme de militante. Dans la vie, je me tais; mais un livre, c’est une voix. Je joue le jeu. J’ai
simplement besoin de connaître mon sujet. La rapidité de l’actualité et de la parole m’inquiète
toujours, c’est sans doute pourquoi j’écris. J’essaie d’apprendre à écrire des histoires et tant mieux si
elles font réfléchir ensuite. Mais je ne vais pas me transformer en militante écologiste - ceux dont je
parle dans ce roman sont plus habilités que moi à prendre la parole.
J’ai essayé de retranscrire la force de leur engagement. Le roman leur donne très souvent la parole en
style direct, sans qu’elle soit restituée par le narrateur. J’espère que ça mettra en lumière l’action de
«Sea Shepherd». Une pétition a circulé, il y a un an, pour que la France accueille Paul Watson en tant
que réfugié écologiste. Je l’ai signée. J’espère que les gens vont découvrir cet homme et signer la
pétition à leur tour.
Avez-vous déjà fait le voyage en Antarctique, pour voir les baleines?
Non, je n’ai pas fait ce voyage… D’une certaine façon je me sens proustienne dans beaucoup de
domaines. On ne rêve et on n’imagine que ce qui n’est pas présent, nous dit Proust, et il y a de cela
dans mon écriture. Quand j’écris, je vis une expérience intérieure, je rentre dans un fantasme où la
réalité me gênerait presque.
Pensez-vous aussi que «la seule vie réellement vécue, c’est la littérature»?
Oui, et c’est une idée terrible ! C’est souvent après avoir écrit que je me confronte à la réalité. Le livre
crée des curiosités nouvelles et des rencontres. Aujourd’hui, j’aurais plaisir à rencontrer Paul Watson.
J’avais d’abord envie de comprendre ce qu’il faisait. De la même façon, j’irais volontiers voir les
baleines. Depuis deux ans, je pense à elles, je lis tout ce qui s’y rapporte.
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Deux points de vue s’affrontent dans le roman: celui du journaliste qui place l’homme au-dessus des
autres espèces, et celui de Wallace, «l’activiste biocentrique» qui pense que les autres espèces ne
sont pas inférieures à la nôtre. Quel est votre avis?
Cette conversation est présente dans le livre car c’est une question centrale. Il paraît naturel de penser
que nous sommes une espèce à part, si l’on juge ce qu’on a fabriqué, notre conscience de nous-même,
et la masse de nos connaissances. Mais les origines animales de la culture sont de plus en plus avérées
par les travaux des éthologues et des philosophes. Je pense qu’il faut avoir en tête ces deux postures.
Paul Watson est obligé d’être extrémiste, il voit les choses dans leur globalité et s’occupe des animaux.
Il explique très bien par exemple comment le christianisme, en plaçant l’homme au-dessus des
animaux et la Terre, régnant sur eux, a été à l’origine d’un usage du monde qui s’avère aujourd’hui
impraticable.
La politique peut-elle résoudre ces problèmes écologiques?
Elle le doit, mais va-t-elle le faire ? Récemment, les députés français ont été amenés à voter pour ou
contre le chalutage profond. La question était simple, documentée, on connaît l’impact de ces
chalutiers monstrueux.
La seule politique valable est celle de la prudence: il faut prendre la décision qui comporte le moins de
risques, ici en l’occurrence, il fallait interdire. Or l’interdiction n’a pas été votée! Pourquoi?
Inconscience? Indifférence? Trafic d’influences?
Le lobbying a pris une dimension incroyable. C’est pourquoi je suis d’accord avec Watson: la seule
chose à attaquer, c’est l’argent. Il faut que l’écologie devienne quelque chose dont on mesure le coût
et qu’on fasse payer ceux qui s’autorisent tout.
Que pensez-vous du roman contemporain?
C’est une belle profusion ! J’admire inconditionnellement certains auteurs. Les stylistes
particulièrement, comme Michon, Millet, ou Grainville. J’admire certains étrangers malgré la
médiation de la traduction: Javier Marias, Lobo Antunes, et Philip Roth, qui est un modèle. J’ai lu avec
passion l’œuvre entière de Pierre Bergounioux. C’est un immense écrivain qui n’a pas la diffusion qu’il
mérite. Sylvie Germain est à mes yeux un auteur merveilleux…
Dans cette rentrée, j’ai été impressionnée par le roman de Christian Chavassieux, «l’Affaire des
vivants» (Phébus), qui à mes yeux un chef-d’œuvre, et je mesure le mot. Emmanuel Carrère a vraiment
l’art de choisir ses sujets et sa manière de travailler m’intéresse de plus en plus. Quand on parle de la
littérature contemporaine, il faudrait savoir peser les livres. J’aime les livres qui ne sont pas des
anecdotes.
Propos recueillis par Chloé Thibaud
Source : http://bibliobs.nouvelobs.com/romans/20141119.OBS5507/alice-ferney-je-rends-hommage-aux-ecoterroristes.html
Ecoutez aussi Alice Ferney sur Le règne du vivant dans Les bonnes feuilles sur France Culture :
http://www.franceculture.fr/emissions/les-bonnes-feuilles/alice-ferney-le-regne-du-vivant
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