Transcription de la Conférence sur «L`Image du Japon dans les

Transcription

Transcription de la Conférence sur «L`Image du Japon dans les
Transcription de la Conférence sur
«L’Image du Japon dans les années d’après-guerre »
donnée par le Professeur Gérard SIARY
Université Paul Valéry (France),
organisée par l’Ambassade du Japon, l’Ambassade de France,
l’Institut Français et l’Université Omar Bongo
le 10 décembre 2013 à l’Institut Français de Libreville
Mesdames, Messieurs,
Bonsoir,
Gabon, Japon j’avoue ce soir ne plus savoir où je suis, tant les mots se ressemblent
mais il sera ce soir question des relations de la France et du Japon, des relations
presque aussi anciennes que l’arrivée des premiers européens au Japon, en
occurrence les portuguais vers la fin du XVIe siècle. Au-delà des phénomènes de
nippophilie et de nippophobie , mon propos de ce soir porte sur ces images du Japon
utopiques ou idéologiques, plutôt culturelles qu’économiques et politiques que la
France a captées, acclimatées, entretenues du Japon au fil des échanges qui ont
scandés les relations historiques des deux pays. Mais, avant d’entrer dans le vif du
sujet d’un trait de phrase, la suite des images qui se sont succédées du Japon en
France, des origines à nos jours, un kaleidoscope qui est le suivant, du Japon aux
murs couverts d’or dont le mirage guident Christoph Collomb, ce Japon parangon de
vertu, de la vertu naturelle, où certains humanistes reconnaissent une terre destinée
par Dieu à servir de modèle aux nations ; de cet empire, brusquement refermé sur
lui-même, qui va faire revivre pour la chrétienneté le temps terrible et fascinant des
martyrs, au pays d’artisanat raffiné que feront apprécier les importations hollandaises
de porcelaine et de laque ; du Japon de l’estampe, enthousiasmant rénovateur de
notre art et de nos goûts, au Japon héroïque de Madame Chrisanthème, de Pierre
Loti et de la bataille de Claude Farrère ; du raide et menaçant Japon militaire au
Japon victime de l’haulocoste ou de l’accident atomique ; du Japon dépouillé qui est
celui du Zen au colosse technologique et commercial dont le savoir-faire et la
résolution nous effraient(d’après Bernard Franck).
L’histoire du Japon et de l’occident en deux mots, le Japon laisse entrer l’occident au
XVIe siècle, le refoule jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle et se voit contraint de
se rouvrir à l’occident à partir de 1854. La suite d’images que je viens de présenter
ce sont suivies, superposées, chevauchées pas forcément annulées les unes les
autres. A vrai dire on saisit moins bien les images du Japon en France après-guerre,
si l’on a aucune idée de celles qui les ont précédées et qui contribué à les infléchir
dans le sens d’un accueil plutôt favorable. Car les images que la France retient du
Japon dans les années d’après-guerre, au lendemain de la guerre d’asie-pacifique
1930-1945, s’inscrivent dans le prolongement de celles qui ont circulé auparavant et
qui sont marquées au coin de l’esthétique en général et du japonisme en particulier.
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Ce n’est pas que la France n’ait pas entendu parler du Japon avant 1868. La source
majeure de l’idée du Japon en France émane des missionnaires chrétiens, mandatés
par le pape, qui entreprennent de convertir l’archipel au beau milieu de guerres
féodales où s’affrontent les clans de guerriers à la fin du XVIe siècle. C’est d’ailleurs à
cette époque qu’un seigneur de la guerre japonaise, Oda Nobunaga, rencontre pour
la première fois un noir, un esclave venu de Mozambique abord du bateau de
missionnaires, de l’ethnie mokua et en fera un samouraï, baptisé Sakura Shiroi, shiroi
voulant dire blanc.
A partir de 1600, le vainqueur final des luttes féodales, la Junte des Tokugawa,
expulse peu à peu tous les européens, à savoir les marchands et les missionnaires
portugais en majorité, tous censément catholiques, et autorise de séjour que les
seuls Hollandais, des protestants, qui occupent un comptoir de commerce à la pointe
de Nagasaki et qui ont aidé les japonais à se débarrasser des catholiques. Les
missionnaires sont dûment martyrisés avec tout le raffinement dont les japonais sont
capables en la circonstance. Les chrétiens nippons doivent pratiquer leur foi en
cachette. Ils reparaîtront plus de deux et demi plus tard, à la réouverture du Japon.
De cette époque, il reste en France la conviction que le Japon Japon est terre élue de
missions, sinon de martyre, l’antichambre de la canonisation. Plus tard dans les
années 1920, il n’est pas jusqu’au poète diplomate Paul Claudel, Ambassadeur au
Japon, catholique en diable, convertisseur intempestif, qui ne fasse de Japonais des
préchrétiens à leur insu.
Jusqu’à la date de 1858, la France ne connait plus guère le Japon que par les pièces
édifiantes du théâtre chrétien, le théâtre catholique, le théâtre des missionnaires, par
les lettres édifiantes des missionnaires que Didérot entend lire au réfectoire de son
collège religieux, mais aussi par les objets d’artisanat, de laque et de porcelaine, des
produits d’origine ou des contrefaçons qui transitent par le comptoir hollandais de
Nagasaki et qui viennent décorer, les intérieurs, on en trouve des exemplaires encore
aujourd’hui en France, dans les musées, les arts décoratifs à Bordeaux par exemple.
Au XVIIe siècle Louis XIV entreprend la course vers l’orient, il rentre en contact avec
un Huguenot d’origine française, un certain Francois Caron qu’il veut utiliser pour
tenter d’engager des relations commerciales avec l’empire du Japon, Louis XIV écrit
même une lettre à l’Empereur du Japon, mais en vain.
Au XVIIIe siècle, la référence en France sur le Japon, c’est l’ouvrage d’un voyageur
allemand Engelbert Kaempfer, qui a écrit the History of Japan, très vite traduit par
histoire du Japon et qui présente le Japon comme le pays, qui a su se fermer à
l’église chrétienne et l’encyclopédie va retenir cela, faire du Japon le pays qui a su se
garder de la colonisation et expulser les missionnaires.
Vers le milieu du XIXe, grâce à la navigation à vapeur, l’Europe industrielle et les
Etats-Unis reprennent pied au Japon, les vraies relations du Japon et de la France
débutent quand, le 9 octobre 1858, le Baron Jean Baptiste Louis Gros, Chef de la
mission diplomatique française envoyée en Chine et au Japon, signe à Edo
(aujourd’hui Tokyo), un traité de paix, d’amitié et de commerce à vrai dire c’est un
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traité, qui grève lourdement les tarifs douaniers et qui impose au Japon une
juridiction extraterritoriale, c’est un traité dont le Japon n’aura de cesse de se
débarrasser. En 1862, pour obtenir un délai dans la ratification du traité, le Shogun
l’autorité exécutive du Japon mais qui n’a pas le pouvoir symbolique de l’Empereur
le Shogun envoie une mission qui séjourne trois semaines à Paris et l’un de ses
participants, Fukuzawa Yukichi, grand penseur du nouveau Japon, bientôt fondateur
de l’université privée Keiō, qui est l’équivalent de sciences politique aujourd’hui,
rencontre Léon de Rosny, premier enseignant de japonais aux Langues orientales,
mais qui ne mettra jamais les pieds au Japon.
Les premiers français arrivent dans les années 1860 pour le tourisme, mais aussi
pour les affaires, la maladie du ver à soie, la pébrine menace la sériciculture
française, aussi les soyeux de la région de Lyon y viennent pour acheter des graines
locales, seules résistantes à cette maladie, la pébrine, et sauvent ainsi sériciculture
française, et Lyon devient tributaire de la soie asiatique les rapports sillon rhodaniens
et du Japon sont de très longue date.
Et un nombre de français viennent aussi au Japon en qualité de coopérants car le
Japon a décidé de moderniser le pays et forme en un demi-siècle ses cadres locaux.
La France participe dans le domaine militaire et pour le droit, dans le domaine
militaire, de 1865 à 1876 l’ingénieur français François Léonce Verny lance l’industrie
navale, décisive pour les visées militaires du Japon, avec la construction de l’arsenal
de Yokosuka. Les missions militaires se suivent. L’attaché militaire à l’Ambassade de
France à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, Gaston de Renondeau, se forme
aussi en japonais et deviendra le premier traducteur de littérature classique et
contemporaine du Japon dans les années 1950. Les Juriste aussi s’imposent dans les
années 1870, un certain Georges Bousquet, auteur sans doute la meilleure relation
de voyage sur le Japon, précurseur de l’idée du péril jaune, car dit-il l’occident donne
aux pays d’Asie des armes qu’ils pourraient bien un jour retourner contre lui, et puis
Gustave Emile Boissonnade de Fontarabie, le grand juriste de la Sorbonne qui passe
22 ans au Japon et dont l’action est durable il promeut l’abolition de la torture dans
les interrogatoires, aide à la révision des traités inégaux qui imposent au Japon des
tarifs douaniers désavantageux et une juridiction extraterritoriale, contribue à la
rédaction du code civil, d’ailleurs code Boissonnade, et puis comme tout le monde, il
collectionne les objets d’art japonais.
En France, depuis de la première participation du Japon à l’exposition universelle de
Paris en 1867, l’engouement pour l’estampe japonaise se répand, l’estampe en deux
mots c’est l’Ukiyoe, c’est le tableau du monde flottant, c’est-à-dire un monde
absolument impermanent, d’un monde où rien ne dure. Et ces estampes
reproduisent les paysages, mais surtout des scènes de la vie urbaine, des scènes de
la jokamachi, c’est-à-dire de la ville autour du château où s’active toute la population
qui travaille pour la classe dirigeante, pour la classe des samouraïs, lieu où se forge
la culture du Japon classique entre maisons closes et théâtre.
La circulation des objets nippons suscitent la vogue du japonisme dans le roman
d’Emile Zola, au bonheur des dames on vend déjà des objets japonais, des récits de
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voyage et de reportage se multiplient dans les revues, la littérature n’est pas en reste
avec Judith Gautier, les Gondourt et surtout Pierre Loti, auteur d’une œuvre durable,
Madame chrisanthème, l’histoire de son mariage volontairement raté avec une
Japonaise, pas toujours tendre avec son épouse Japonaise, elle ne lui inspire pas de
passion érotique comme en Turquie, mais le public apprécie d’abord le pittoresque
des paysages et Loti a l’art de décrire le Japon comme un bibelot.
Dans cette veine littéraire il importe d’ajouter l’œuvre de Lafcadio Hearn, écrivain
anglophone, très francophile, traducteur de livres français, qui consacre plusieurs
récits, plusieurs essais au Japon, vite traduits en français, dans lesquels il assimile le
culte des ancêtres, l’animiste, le shintoïsme au culte des lards, des grecs, des
romains en s’inspirant de la cité antique de notre grand phirologue Fustel de
Coulanges, et Hern qui est aussi un partisan du révolutionnisme, considère que le
Japon à travers ce culte des ancêtres a atteint un sommet de l’évolution, qui sait
concilié l’éthique et l’esthétique. Les japonais un peuple d’artistes religieux.
La japonaise enrichit l’imagination érotique des français sous les espèces de la
Geisha, on l’appelle parfois musume, qui vient de musume, qui veut dire simplement
la fille, la fille de son père. Les albums érotiques nippons aident les clients à patienter
dans les grandes maisons de tolérance. Les milieux artistiques et littéraires
découvrent ainsi une civilisation originale qui leur procure la nostalgie de l’antiquité
et du modèle grec et ce dans un monde industriel envahissant et de plus en plus
laid.
Un industriel Emile Guimet s’intéresse ainsi à l’asie et au Japon en particulier il y
voyage dans les années 1870. A son retour du Japon, le lyonais passionné
d’exotisme et de religions, collectionneur insatiable, aménage avec succès au
Trocadéro une salle qui exhibe documents religieux, objets d’arts, peintures, la
céramique, fait même tenir des offices religieux buddhiques, les groupes de
collègues se succèdent et découvrent ainsi les religions orientales. En 1989 Guimet
consacre aux arts asiatiques le musée qui porte aujourd’hui son nom.
Mais cette vogue du japonisme combiné à celle de l’exotisme masque la
modernisation du Japon, elle se fait par essais et erreurs, mais elle avance
irréversiblement surtout dans le sens de la formation d’Etat national épaulé par un
puissant appareil militaire et centré sur la figure mythique de l’Empereur. Mais les
français ne voient pas. Ils sont d’autant surpris par la victoire du Japon sur la Chine
en 1894-95, qu’ils imputent à la décrépitude de la Chine. Et encore plus surpris, eux
qui ont perdu l’Alsace et Lorraine par la victoire du Japon en1904-05, peuple jaune
contre la Russie, peuple blanc.
Mais le contraste commence à s’imposer peu à peu entre le Japon pittoresque, si
policé et le Japon militaire, tant celui du samouraï que du troupier, flanqué bientôt du
Japon industriel et commercial.
Même un diplomate aussi averti que Paul Claudel voit le Japon sous l’angle de
l’esthétique avant tout. Sans doute en sa qualité de diplomate, il oeuvre aux relations
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du Japon moderne et de la France. En 1924, il met en place le projet de création de
la futsukaikan, la maison franco-japonaise avec l’aide du gouvernement japonais
pour faire mieux se connaître au plan culturel la France et le Japon. En cette maison
qui existe toujous se forment de générations de japonologues, qui viennent renforcer
les deux puissantes institutions orientalistes Françaises : l’une déjà ancienne depuis
la révolution , l’école spéciale des langues orientales, et l’autre crée au début du
XXe siècle, l’école française d’Extrême-Orient. Claudel s’acharne à nouer un traité
d’alliance avec le Japon, à lui montrer notamment l’importance de l’Indochine
française, mais sans suite, mais c’est le beau Japon, le Japon Japoniste qui, dans son
œuvre poétique, offre à Claudel, qui se veut Inspecteur de la création, le lieu de
l’harmonie universelle dans la connaissance de l’est. Claudel le découvre au
mausolée du fondateur de la dynastie Tokugawa au mausolée de Yeasu à Nikko et
prend conscience de l’harmonie du monde.
Puis, lors de la défaite du Japon, après que la bombe atomique a frappé le pays,
c’est encore Claudel qui crédite le Japon de son art qui contribuera à son futur salut.
Epiphénomène du japonisme, encore.
Malgré sa croissance hégémonique régionale, le Japon bénéficie en France d’un
préjugé favorable qu’il doit à ses vertus artistiques et industrielle, et ce par
opposition à la Chine qui peine en ce début du début du XXe se rendent compte que
le centre de gravité de l’Histoire est en train de basculer du bassin de la
Méditerranée au bassin du pacifique. Durant la guerre d’Asie-pacifique, l’image
favorable du Japon ne décline guère en France. En effet, le régime de Vichy protège
les français du Japon et l’incursion japonaise imposée en Indochine, suivie de
l’occupation japonaise du territoire contribue à attiser le mouvement anticolonial local.
A la différence des Etats-Unis qui perdent nombre de leurs boys dans la guerre du
pacifique, qui stigmatise d’autant la cruauté, la frénésie, voire le fanatisme guerriers
du Japon, la France n’a pas, elle, de contentieux historique avec le Japon.
De ces incidents, des générations de français, de 7 à 77 ans se souviendront ils se
souviendront de l’incident de moukden au début des années 30, quand les militaires
japonais imputent le sabotage d’une voie ferrée aux chinois et s’en servent comme
prétexte pour lancer la guerre en Chine.
De même ils se souviennent encore dans un album de Tintin « le lotus bleu » et de
ce diplomate japonais un peu beaucoup espion, infâme, qui déclare froidement à
Tintin regarde son nez, c’est toujours toi, Monsieur Tintin, mais la charge d’Hergé ne
dépasse pas la charge de la bulle des bandes dessinées et se fond dans le tableau
des troubles de l’Extrême-Orient entre chinois sadiques et cruels nippons.
En 1946, le grand journaliste Ludovic Nodeau, qui a publié avait le Japon moderne
en 1909 pour stigmatiser la frénésie guerrière et la versatilité internationale du
Japon, fait sortir un nouveau livre, le Japon. Son crime et son châtiment, où il
montre comment la mégalomanie militaire a conduit le Japon à la défaite
catastrophique de 1945, a pleinement méritée pour son ingratitude envers la race
blanche l’avait pourtant instruit. Et, estimeNaudeau, la bombe atomique n’a fait que
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répondre à l’arme fatale des unités spéciales d’assaut, à savoir les avions kamikaze,
nouvelle marque de cette frénésie japonaise poussée jusqu’à la mort volontaire. Mais
le livre de Naudeau, suivi de celui de Guillain, correspondant au Monde, le Japon en
guerre, passent inaperçus dans la France en construction. Le japonisme continue de
bénéficier de La réputation d’esthétisme du Japon et revient par d’autres canaux.
A la fin des années 50, alors que le Japon n’est plus sous l’occupation américaine
depuis 1952, certains livres assez rares, présentent des visions globales de l’archipel
aux français. Visa pour le Japon en 1958 de Marcel Giuglaris, est l’un deux. Il
présente des portraits japonais inattendus des chauffeurs de taxi kamikaze, de
Tokyoïstes, de la cuisine locale avec tonkatsu, le porc pané, le sashimi et le sushi, la
manie de copier des Japonais, le chômage endémique, toute la société y passe.
Mais le magnifique petit album intitulé le Japon de Doré Ogrizek redore l’image du
joli Japon, continue à garder l’image du japonisme du Japon. un ouvrage collectif
cette fois, fait aussi le tour du Japon avec sympathie. Ces auteurs sont des
connaisseurs du Japon. Parmi eux, René Sieffer, qui traduira bientôt toute la
littérature classique japonaise. Ce petit album reste tout de même attaché à la
période classique pour cinquante pages consacrées au théâtre traditionnel, contre 10
à peine sur le cinéma.
Dès les années 50, à la faveur des festivals du cinéma, le Japon refait surface
auprès des cinéphiles et remporte des prix. Mizoguchi, Kurosawa et bien sûr Ozu font
découvrir ou redécouvrir le Japon. si non un Japon esthétique si le cinéma japonais a
si bonne presse en France c’est parce que les amateurs apprécient par-dessus tout le
cinéma d’auteur et pas trop des règles et des contraintes des compagnies
cinématographiques japonaises. Le nouveau cinéma japonais laisse ses visages
Mizoguchi Kenji, avec les comptes de la pluie et de la lune vague offrent des images
esthétiques du Japon féodal. Kurozawa reconduit l’image du samouraï et à bien des
égards le cinéma japonais c’est de l’estampe animée. Le cinéma d’OZU n’arrive
vraiment en France que vers 1978. Et film le plus cité, c’est le voyage à Tokyo. OZU
met en scène une société qu’encadre la vie d’entreprise qui bouche pratiquement le
paysage dans une société où les nouvelles mœurs démocratiques et économiques
bouleversent les anciennes solidarités, bouleversent les rites traditionnels, des
générations s’affrontent au quotidien, se heurtent à l’occasion, mais pic
dramatique ,au Japon on se retient émotionnellement.
La littérature n’est pas en reste mais là encore pour un public limité à happy few. Les
trois phares qui vont s’imposent sont Tanizaki, Mishima et Endo. Tanizaki fait
rayonner son esthétique érotique, Mishima,lui exalte une esthétique de la cruauté
tandis que Endo, écrivain japonais catholique illustre la difficulté d’implantation du
christianisme dans ce qu’il considère comme le marais moral du Japon.
En fait, le cinéma américain contribue beaucoup à diffuser largement certaines
images du Japon. A commencer en 1954 par Le pont de la rivière Kwai, notamment
qui rappelle la guerre du Pacifique et véhicule le stéréotype de officier Nippon
sadique. Toutefois c’est en 1967 soit trois ans après les jeux olympiques Tokyo, qui
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marquent le retour du Japon sur la scène internationale qu’il revient à James Bond
de faire découvrir un Japon en mêlant tradition et modernité. L’espion de sa
gracieuse majesté se japonise, se brident les yeux pour sauver sa peau, apprend à
devenir un japonais. The Last Samuraï d’Edouard Zwick s’en souviendra en 2003. Le
captaine américain incarné par Tom Cruise , capitaine hâlé par la guerre de sécession
devient lui-même un samouraï. Mais le devient en apprenant le Japon par la base,
en recommençant tout depuis le début, un véritable processus de japonisation. Le
Japon de James Bond frappe par sa beauté insulaire, ses rites, celui du mariage
autant que par son efficacité martiale avec les ninjas et surtout par sa technologie
avancée. Le stéréotype qui marque le contraste entre la tradition et la modernité
s’impose pour longtemps. Mais l’esthétisme japonais ne désarme pas. L’année
suivante en 1968, soit cent ans après, en 1868 au début de l’ère Meiji Kawabata
Yasunari remporte le prix nobel de littérature et reconduit l’idée de la beauté du
Japon, du japonisme à son tour.
L’une de ses œuvres, Kyoto dans les années qui suivent est même mise au
programme de l’agrégation de lettres modernes au grand désespoir des préparateurs
peinent à comprennent le mode de composition poétique de Kawabata, la pétique
japoanise ne répond pas aux techniques d’analyse littéraire occidentales,
l’enchaînement haïkaïste de la prose se laisse difficilement appréhender. Mais
l’ouvrage qui marque les intellectuels français en 1970, c’est bien sur l’empire des
signes de Roland Barthes, un essai de sémiotique qui célèbre l’esthétique du
signifiant en tant, qu’il ne laisse jamais déborder la signification.
Les années 80 et 90 sont marquées par l’irruption du Japon dans la vie économique.
Le Japon fascine, mais rebute aussi, inquiète et exaspère. Maintes observateurs
parlent alors d’une concurrence économique que le Japon comme une guerre. Le
pays travaille, mais n’est ni riche ni heureux dit-on aussi. Et certains japonologues
de gauche, il est vrai, de postuler que le Japon n’est pas le pays du consensus qu’il
prétend, que la discrimination sociale existe aussi notamment à l’endroit de la
population japonaise mais paria, les burakumin, mais aussi bien des étrangers, que
la corruption ronge le pays.
Mais le mystère du Japon s’approfondit et le Japon devient objet herméneutique .
Les Japonais, eux, font dans la le traité de japonité, forme de litanie identitaire qui
relance l’impénétrable mystère du Japon sous prétexte de l’éclairer.
Mais l’image de ses années 80 et 90 n’est pas nécessairement bonne à l’endroit de
l’entreprise japonaise à l’endroit de la Gaisha, l’œuvre littéraire qui contribue sans
doute le plus à donner une image noire de la condition de la femme au sein de
l’entreprise japonaise est Stupeur et tremblement(1999) d’Amélie Nothomb, dont je
crois, le lecteur n y a pas compris grand-chose, il s’agit du roman de formation d’une
jeune femme surdiplômée, employée dans une entreprise japonaise, qui n’est pas
reconnue pour ses qualités et ses talents, et petit à petit, elle dégringole les étages
de la hiérarchie, jusqu’à devenir dame chiffon et puis c’est un choc parce que tout le
monde interprète ce traitement comme la contrainte de l’entreprise japonaise alors
qu’il s’agit en fait d’un romain de formation dont la scène est le Japon.
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C’est
durant
cette
période
des
années
80
et
90,
que s’accumulent un certain nombre d’images figées, tantôt anciennes tantôt
nouvelles, pour la plus part figées depuis Tokyo, la vitrine du Japon que le romancier
Philippes Forest dans sarinagara (2004) les gens vous diront : la pollution, le
masques posés sur le nez et la bouche , les embouteillages, les métros bondés, les
employés chargés de pousser les voyageurs dans le wagon pour permettre la
fermeture automatique des portes. Et encore, la pègre contrôlant la ville, le crime et
la prostitution, la foule lobotomisée, la fourmilière des grandes compagnies, la
servitude volontaire du travail salarié, l’esclavage consumérite, la misère grossissante
dans les coulisses de la société-spectacle. Mais Forest met un bémol, je cite tout cela
existe sans doute mais je connais aucun voyageur de bonne foi qui l’ait vu. En
revanche, essayez de dire : le luxe d’une société policée, l’éducation généralisée, la
curiosité à l’égard du monde. Ou encore : le bonheur vrai de se retrouver à marcher
la nuit dans les quartiers Shinjuku et de Shibuya. Il ne se trouvera personne pour
croire où que ce soit dans la pauvre petite province française.
Mais le constat n’est pas meilleur en 2010 de la part de Jean Noël Robert, chaire de
philosophie de la civilisation japonaise au collège de France : malgré le nombre et la
qualité des travaux, malgré la prolifération des traductions ne serait qu’en français,
on reste confondu devant le caractère répétitif, superficiel et formulaïque des
reportages de grande diffusion sur le Japon, que ce soit dans la presse écrite ou
télévisuelle. Il n’est de mois où telle chaîne de télévision ne vienne présenter un
commentaire flattant de façon si outrancière qu’on devient presque innocente, le
voyeurisme le plus banal, du public ou des réalisateurs, on ne sait. La société
japonaise toute époque confondue y est révélée comme un conglomérat de pervers
polymorphes où chacun se délivre de ses frustrations (un maître mot) qui revient
sans cesse par des réactions à la mesure de l’oppression subie. La conclusion de ses
douteuses moralités revient inlassablement : dans une société ou nulle place n’est
laissée à l’individu, ces échappatoires singulières n’ont rien d’étonnant.
Mais ces images négatives font apparaître un creux l’auto-image de la société
japonaise et française qui se croisent et s’imaginent libres non aliénées etc. Malgré
ses zones d’ombre le boom économique du Japon a pour effet de relancer l’intérêt
pour le Japon culturel. c’est ainsi l’exposition du Grand Palais sur le japonisme en
1988 rappelle que le Japon était à la mode au siècle dernier. Mais, après une assez
longue éclipse, cette mode, toutes les proportion gardées, revient en force en France,
avec des représentations de Nō et Kabuki, des joutes de Sumo, des expositions sur le
Japon des avant-gardes au centre Pompidou à Paris, ainsi que l’organisation de
festivals de manga et de cinéma japonais. Les metteurs en scène de théâtre voire de
cinéma reprennent les procédés de théâtre classique, notamment du bunraku, le
fameux théâtre de marionnette, Philippes Car en 2009 dans sa mise en scène au
théâtre du Bourgeois gentilhomme ou Pierre Schoeller dans l’exercice de l’Etat en
2011. Le japonais s’enseigne à l’école, il entre dans la carte universitaire des langues,
une agrégation de japonais se crée du fait du prince, d’alors, le président François
Mitterrand, conseillé dans l’avion par feu Jean-Louis Origas (1937-2003), professeur
de japonais à l’Institut des langues orientales et vivantes, qui forme lui-même
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nombre de japonologues de rangs desquels sortent la génération des japonisants
d’aujourd’hui et donc des traducteurs.
Les grands auteurs de littérature japonaise continuent d’être traduits Oe Kenzaburo
obtient en 1994 le Prix Nobel dans son discours, il choque en faisant du Japon un
pays du tiers-monde incapable d’importer sa culture ou de s’intéresser aux autres
cultures du monde. Le Japon a répudié son statut tiers-mondiste et a des rapports
avec le tiers-monde, avec ses voisins asiatiques. Il considère que les intellectuels
japonais ne changeront jamais car ils pensent toujours le Japon à travers l’Europe et
l’Amérique et ne forgent la moindre théorie culturelle de leur cru. Aussi Oe
Kenzaburo passe-t-il en France pour l’écrivain japonais engagé, celui qui met le doigt
là où ça fait mal, tel n’est le cas de la kyrielle de nouveaux auteurs qui s’imposent de
Murakami Haruki qui réintroduit le rêve contre le monde industriel et de mainte
écrivaine femme.
La force économique du Japon, combinée à la passion des jeunes français pour les
films d’animation et les mangas, explique la pérennité de l’intérêt renouvelé d’autres
mutations en 1970 pour la culture japonaise. La traduction de la littérature japonaise
a connu une accélération spectaculaire, de pair avec la publication de livres écrits par
les français sur le Japon. Nombre de français ont ainsi besoin de comprendre un
Japon qu’ils côtoient jusque dans les aspects les plus déterminants de leur vie
matérielle de tous les jours et dont l’esthétique ne cesse de les piquer.
Un dernier mot. Cette relation Franco-japonaise elle se retrouve au Gabon à plus
d’un égard. L’université française entretient avec l’université Omar Bongo un échange
qui se manifeste par un Master où figure un enseignement de civilisation et
littérature japonaise. Les étudiants gabonais y découvrent une autre forme
d’animisme des masques de Nö, étrangement ressemblant aux masques locaux, une
forme autre de l’essor économique, une altérité aux antipodes de toute forme
d’ethocentrisme occidentaloïde.
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