INTERVIEW DE CATHERINE POZZO DI BORGO

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INTERVIEW DE CATHERINE POZZO DI BORGO
INTERVIEW DE CATHERINE POZZO DI BORGO
Quels souvenirs avez-vous gardé de votre reportage au sein du Lycée
professionnel de Montrouge, pendant l'année scolaire 1997-1998
(pour les besoins de votre film : "Tu seras manuel, mon gars"?)
En ce qui concerne le film "Tu seras manuel, mon gars", après avoir
réalisé plusieurs documentaires sur le monde du travail, j'ai eu envie
d'aller voir en amont comment étaient formés les ouvriers. J'ai donc
passé une première année d'observation au lycée professionnel de
Montrouge, observant les différentes filières proposées et les
problèmes qui se posaient. J'ai ensuite rédigé un scénario qui m'a
permis d'obtenir une aide du ministère du Travail, ainsi qu'une coproduction avec la 5. Puis j'ai tourné par étapes tout au long de
l'année scolaire suivante. Le lycée professionnel de Montrouge,
comme tous les établissements de ce genre, est devenu
malheureusement une voie de garage où l'on envoie tous les jeunes
qui n'arrivent pas à suivre l'enseignement normal. Or les métiers
manuels qui faisaient la fierté des ouvriers sont aujourd'hui fortement
dévalorisés. Les jeunes qui se retrouvent dans les lycées
professionnels sont en majorité issus de l'immigration. Beaucoup
n'ont pas de père et quand ils en ont, ce sont très souvent d'anciens
ouvriers au chômage. Il n'y a plus comme autrefois cette
transmission des savoir-faire du père au fils. Et les jeunes
d'aujourd'hui ne veulent surtout pas être comme leurs pères, usés
prématurément par le travail et trop souvent menacés par le
chômage. Ils se rêvent dans des bureaux, mais sont incapables, pour
des raisons essentiellement sociales, d'obtenir les diplômes requis
pour ce type d'emploi. En outre, il est rare qu'ils puissent choisir leurs
filières d'apprentissage. Ce travail m'a laissé deux impressions très
fortes. La première était l'ordre et le calme qui régnaient au lycée de
Montrouge. Certes, les jeunes avaient du mal à se tenir tranquille
pendant les cours, mais en deux ans je n'ai assisté à aucune scène
de violence et les rapports que j'ai eu avec eux ont toujours été très
courtois. Ce qui va à l'encontre des présupposés que l'on a trop
souvent sur les jeunes des banlieues. La deuxième impression était
beaucoup plus négative. C'était d'être confrontée à des jeunes,
certainement aussi intelligents ou talentueux que d'autres, mais qui,
en raison de leurs origines sociales, n'avaient pour ainsi dire pas
d'avenir. Et cela, il me semble, est inacceptable dans un pays comme
le notre.
II. Quelle a été la motivation de votre parcours de réalisatrice de
documentaires sur le monde du travail et avez-vous des projets en
cours?
Le monde du travail m'a toujours fascinée pour sa richesse et ses
contradictions et pour les personnages remarquables qu'on y
rencontre parfois. Les documentaires que j'ai réalisés ne sont pas
des films de divertissement. Ils exigent l'attention du spectateur, mais
je pense qu'ils sont nécessaires en ce qu'ils contribuent à une
meilleure compréhension critique de la société dans laquelle nous
vivons. Je viens de terminer un film totalement différent. "Les Cris de
Paris" dont voici le résumé:
"Les Non Papa*, un ensemble de jeunes et talentueux chanteurs,
préparent un spectacle autour des « cris de Paris » au temps de la
Renaissance. Les cris étaient ceux que poussaient les petits
vendeurs de rue sur une ou deux notes de musique et que des
compositeurs de l¹époque ont recueillis pour en faire des chansons
savantes ou populaires. Du déchiffrage des partitions au spectacle
final, en passant par la fabrication des costumes, la recherche
d¹accessoires et des essais de mise en scène - un documentaire où
la beauté de la musique côtoie des séquences prises sur le vif,
pleines d¹émotion, de fantaisie, voire de franche gaieté. Une plongée
dans le mystère de la création musicale." Je dois dire que cette
échappée dans le monde de la musique m'a procuré un immense
plaisir qui, je l'espère, sera partage par les spectateurs.
J'ai deux projets en cours, plus tournés cette fois vers le monde
paysan: un film sur le Larzac et un autre sur les petites fermes, ou la
survie de la petite paysannerie française.
III. Vous avez des origines corses, quel regard portez-vous sur l'île?
Je n'ai malheureusement aucune attache en Corse, ce que je regrette
car c'est un pays magnifique. Si quelqu'un veut m'inviter....
IV. Dans vos documentaires, vous montrez une réalité qui sert
souvent de décor dans la Noire et le neopolar. Etes-vous lectrice de
romans noirs et, de façon plus générale, quels sont vos auteurs
préférés dans la littérature ?
Je suis une grande lectrice de romans policiers. Avec une prédilection
pour les auteurs américains: Dashiell Hammett, Ross MacDonald,
Elmore Leonard, James Ellroy, James Lee Burke. Il y a aussi
quelques français que j'aime beaucoup: Fred Vargas, Jean-Patrick
Manchette, Tonino Benaquista, Jean-Claude Izzo. Sans oublier le
merveilleux Paco Ignacio Taibo II.