Pour un dub politique
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Pour un dub politique Extrait du L'Insatiable http://linsatiable.org/spip.php?article147 Pour un dub politique - Espace ouvert - Articles - Date de mise en ligne : mardi 13 mai 2014 Description : La musique électronique ne serait-elle plus qu'un produit commercial condamné aux grands clubs des capitales du monde entier ? À sa modeste échelle Dubamix redonne au dub, cet héritier électronique du reggae, toute sa puissance politique. Copyright © L'Insatiable - Tous droits réservés Copyright © L'Insatiable Page 1/4 Pour un dub politique [JPEG - 182.8 ko] La musique électronique ne serait-elle plus qu'un produit commercial condamné aux grands clubs des capitales du monde entier ? À sa modeste échelle Dubamix redonne au dub, cet héritier électronique du reggae, toute sa puissance politique. Rencontre avec Greg, à l'origine du groupe, au milieu de ses deux chats : Bakou, pour Bakounine, et Lulu, pour Rosa Luxemburg. "On est pas sectaire" me confie-t-il. 10 ans de dub militant "Je ne ferai pas partie de votre révolution, si je ne peux pas danser." C'est la pierre angulaire de Greg, fondateur de Dubamix, ce groupe de dub qui a acquis une certaine renommée ces dernières années au grès des manifs et des apparitions sur les scènes underground. En faisant sienne cette maxime attribué à l'anarchiste américaine Emma Goldman, Greg se place dans la longue tradition des chansons et des fêtes révolutionnaires. Ce qui est plus original c'est que, bien qu'il soit par ailleurs saxophoniste dans le groupe de reggae Lion Stepper, il ait choisi les armes de la musique électronique pour revitaliser cet héritage. "Quand j'ai découvert les logiciels musicaux, je me suis mis à faire du dub naturellement. Sur l'ordinateur on ne peut pas faire de bon reggae à cause des carences des son synthétisés. Pour retrouver le son des vrais instruments, il faut faire du sampling. Choper des musiques à droite à gauche et les coller sur une base de basses, de rythmes et de synthé que je compose." Mais au delà du mixage des musiques, ce collage de sample permet aussi, via des bribes de discours politiques ou de films, de faire émerger un message ou une critique politique. A partir de 2003, Greg alors en fac de musicologie, se plonge dans ce mode de composition. Les chansons naissent aléatoirement au rythme des épisodes de la vie politique et des mouvements sociaux. Ces premiers jets sont regroupés en 2008 dans l'album "Mix a dub". Il donnera naissance à une formation live qui compte outre Greg, Bonj, qui mixe les sons en live, Buss, qui compose des vidéos en direct, et Niko, qui s'occupe des éclairages. Le deuxième album parait en février 2014 sous le nom "Pour qui sonne le dub". Plus dense et plus mûr que le premier, on le sent nourri de cette expérience de la scène. "Pour ce disque, j'ai pris comme fil conducteur le parallèle entre les années 1930 et aujourd'hui, la crise économique, la montée du fascisme et les résistances qui se sont développées. D'où la référence dans le titre au livre d'Hemingway sur la guerre d'Espagne Pour qui sonne le Glas. Ensuite, chaque piste est construite autour d'une thématique : par exemple l'horreur de la barbarie nazie sur Ils ne cherchaient personne." On y retrouve entre-autre des extraits des procès d'Oradour-sur-Glane, le thème des Loups de Régiani et des mélodies du quatuor pour la fin des temps de Messiaen, qui a été composé en camp de concentration. Le tout est complété par le flow du rappeur E.One du groupe Première ligne qui étoffe le morceau de couplets sur l'actualité du mouvement antifa. Repolitisation de la musique électronique [JPEG - 112.4 ko] La musique de Dubamix révèle que le sampling a en lui même une dimension proprement politique. La répétition en boucle et déformée des mots tirés de discours politiques laisse apparaître une langue de bois qui prend des tons de Novlangue autocratique. Plus encore, ce collage de son d'origines variés rassemble au delà des limites habituelles des genres musicaux. "Le parti pris de mélanger du dub, de l'électro ou du reggae à de la musique classique ou de la chanson, permet Copyright © L'Insatiable Page 2/4 Pour un dub politique d'avoir un public métissé. Notre public est composé, en gros, de militants, de gens qui aiment le dub et d'autres qui aiment plutôt les musiques électroniques. Ces gens là ne sont pas forcément amenés à se côtoyer au quotidien. Et là, ils sont rassemblés, ils vont être amené à aller fumer leurs clopes ensemble ou à se regrouper autour de notre table à la fin du concert etc. Cela crée potentiellement des échanges. Et peut être se rendent-ils compte qu'ils peuvent faire des choses ensemble..." Le côté festif de la musique électronique devient le socle d'un collectif réuni à la fois autour de l'esthétique de la musique et de son message politique. On est bien loin de l'ambiance de drague lourdingue qui plane dans les grosses boites parisiennes et à laquelle la musique électro est trop souvent assimilée. Dans ces endroits la qualité de la musique reste secondaire et le modèle politique demeure proche de celui du super-marché. Greg reconnaît toutefois préférer ne pas jouer trop tardivement pour éviter un public apathique qui ne demande que de la basse. Dub politique, dub autoproduit [JPEG - 99.6 ko] Dans ce cadre, Dubamix participe à la renaissance d'une tradition politique du dub. Une forme électronique issue du roots-reggae, un temps héritière du message anti-oppresseur de ce dernier et trop souvent oublié dans ses formes actuelles. "Aujourd'hui, ces musiques ne portent plus forcément ce message de liberté car il a été bouffé par l'aspect commercial ou religieux. Ça reste pour moi majoritairement des musiques rebelles et underground. Même des stars du genre, Alborosie par exemple, ne passent jamais à la radio en France et c'est tant mieux... On utilise d'autres canaux de diffusion notamment les festivals de reggae, l'autoproduction, le net. Dans ces conditions faire du dub en France aujourd'hui est en soi politique. Même si la plupart des dubbeurs ne se déclarent pas révolutionnaires ou libertaires comme on peut le faire. " Autoproduit, Dubamix l'est résolument. Le choix de ne pas vivre de la musique est clairement assumé. Tous ont un travail à côté. Greg enseigne la musique en collège. Ainsi, le groupe conserve la liberté de jouer pour des petites associations militantes sans le sous et de proposer leur musique en téléchargement gratuit sur internet. "Ce modèle nous convient, mais je ne dis pas pour autant à tout le monde de faire la même chose. Depuis une vingtaine d'année, c'est devenu techniquement et financièrement plus facile de s'autoproduire. Mais je ne pense pas que cette démocratisation ait cassé le statut d'artiste. Pour sortir son épingle du jeu au milieu de toutes ces productions, il faut quand même passer énormément de temps à bosser sa technique et ses compositions et de fait devenir artiste professionnel." L'autonomie financière leur permet aussi de se passer de la SACEM : "ça me paraîtrait étrange de demander des droits d'auteurs dans la mesure où on reprend la musique où les films des autres." Pour une reconnaissance artistique du sampling Les déclinistes de tous poils sous leur coupole patrimoniale verraient dans cette récupération de musiques et de sample un abâtardissement de la création artistique. Au contraire, on peut reconnaître dans la lente récolte de ces sons sur internet ou ailleurs une réelle flânerie poétique. Un procédé assimilable à la composition des poèmes par Aragon dans Le paysan de Paris à partir des mots glanés sur les affiches, les prospectus ou les vitrines des boutiques des passages. "Comme je reprends beaucoup la musique des autres," reprend Greg, "on peut se demander si je crée vraiment quelque chose ? J'ai souvent ce débat avec mon père. Pour lui la vraie musique c'est la musique classique ou le Copyright © L'Insatiable Page 3/4 Pour un dub politique jazz. Mais lorsque Picasso fait un collage, on ne lui demande pas s'il a créé les journaux qu'il utilise. De même, un musicien ne crée pas l'instrument dont il joue. Au lieu d'utiliser un instrument, j'utilise une musique qui existe déjà et avec laquelle je joue. Quand je compose, en plus de l'écriture des lignes de basses, des rythmiques et des synthés qui portent la cohérence du morceau , je dois recaler les samples, les mettre dans la bonne tonalité, les accorder à l'esprit de la musique. Avec l'informatique, c'est très facile à faire. Mais ces procédés de compositions sont très vieux. On les retrouve dans les messes polyphoniques médiévales. Les compositeurs utilisaient une mélodie populaire préexistante, un cantus firmus, qu'ils déformaient, en étendant le thème et en y greffant d'autres voix polyphoniques. Haydn, Brahms puisaient aussi dans les musiques populaires." C'est là une autre des qualités du sampling que révèlent les sons de Dubamix. En réutilisant et réactualisant des sons historiques, des musiques classiques, des discours politiques, le sampling permet de transmettre un patrimoine parfois oublié sans le figer. C'est le cas du film Le caporal épinglé de Jean Renoir dont la phrase finale "la vue des croix gammées me déprime" scandent le morceau Liberté au côté de musiques de Theodorakis, de Régiani, de Barbara ou du reggae-man Ken Booth. Dans le live, Buss travaille de manière similaire la vidéo mixant composition abstraite, images d'archives et extraits de films. [JPEG - 110.8 ko] Un patchwork de musiques, de mots et d'images qui signe l'essence même de Dubamix et toute la qualité de ses propositions musicales. Rien n'oblige à être accord avec le message politique du groupe, mais on peut tout de même lui reconnaître un certain prophétisme parfois un peu troublant. Ainsi l'album pourtant publié en février dernier comporte une chanson nommé "Valls in Dub". Inutile de dire que le morceau a désormais acquis une actualité toute particulière. Post-scriptum : Site internet : http://www.dubamix.net/ Crédit photos : Antoine Tricot - Fête de la CNT à la Maison de l'arbre - Mai 2014 Copyright © L'Insatiable Page 4/4