Marie Béatrice UMUTESI, Fuir ou mourir au Zaïre. Le vécu d`une
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Marie Béatrice UMUTESI, Fuir ou mourir au Zaïre. Le vécu d`une
Marie Béatrice UMUTESI, Fuir ou mourir au Zaïre. Le vécu d'une réfugiée rwandaise. Paris, L'Harmattan, collection "Mémoires - Lieux de savoir", 2000. 312 pages. Publié avec le soutien du Monde selon les Femmes. Préface de Catherine NEWBURY et postface de Ivan GODFROID. Cartes. Prix : 952 BEF. En septembre 1996, éclatait à l'est du Zaïre, actuelle République Démocratique du Congo, une rébellion dont l'objectif affiché était la lutte contre la dictature de MOBUTU. Mais comme dans toutes les guerres, d'autres objectifs, certains difficilement avouables, n'étaient pas moins visés par les "seigneurs de guerre" qui pullulent dans la région des Grands Lacs. En effet, dès le début des combats, les camps des réfugiés rwandais furent l'objet d'attaques meurtrières et un nouveau calvaire commença pour eux. Diabolisés, affamés, humiliés et abandonnés presque par tout le monde, les réfugiés rwandais constituaient une cible facile pour ceux qui voulaient les exterminer. Étant donné qu'on leur a refusé le droit à la parole, il a été difficile de connaître ce qu'ils ont vécu et leurs souffrances. Mais un jour ou l'autre un témoin devait se lever et parler pour que la vérité, qu'on a toujours voulu étouffer pour des raisons diverses, soit connue. Car, il faut tout le temps le répéter, au risque d'agacer certains, la paix au Rwanda ne se construira jamais sur le mensonge, l'hypocrisie et la duplicité dans lesquels semblent se complaire et exceller certains Rwandais. C'est dans ce cadre qu'on peut situer le témoignage de Marie Béatrice UMUTESI. Elle parle de ce qu'elle a vécu, de ce qu'elle a vu, de ce qu'elle a senti, perçu et surtout de toutes les souffrances qu'elle a dû endurer et qui ne furent pas épargnées aux réfugiés. Son livre est divisé en 11 chapitres. Cependant il est possible de scinder son contenu en trois parties principales : avant la guerre d'octobre 1990, la période de 1990 à 1994 et après 1994. Ces trois périodes renferment chacune des expériences spécifiques dont l'auteur a voulu partager la quintessence et les moments forts dans un style simple, vif et accessible sans tomber dans le vulgaire. Dans la première partie, l'auteur livre quelques éléments marquants de sa biographie : quelques événements de son enfance, des souvenirs de son parcours scolaire et académique, notamment à l'Université Catholique de Louvain, son parcours professionnel, etc. On sent chez l'auteur une véritable volonté de secourir le prochain, une attention particulière pour le sort des exclus, des démunis et des pauvres. Ce qui explique sans doute son engagement pour les paysans qui l'amène à quitter la capitale et ses avantages pour aller travailler en province et plus tard sa profonde conversion au plus profond des malheurs qu'elle a endurés. Dans cette partie, elle parle aussi des relations entre les ethnies au Rwanda et de la manière dont elle a vécu les troubles des années 60 et en 1973. Dans la deuxième partie, l'auteur montre comment l'attaque du Rwanda par le FPR à partir de l'Ouganda a modifié la vie de la société rwandaise. Des membres de sa famille et des amis seront tués et elle devra accueillir d'autres dans sa maison comme déplacés de guerre. Alors qu'avant octobre 1990 le Rwanda connaissait une paix que beaucoup lui enviaient, il va progressivement sombrer dans l'enfer de la violence jusqu'à l'embrasement total du pays en 1994. Dans une atmosphère alternant des moments d'espoir, d'angoisse, de peur voire même de panique, la vie de l'auteur va continuellement subir les conséquences de cette guerre. Cela ne l'empêchera pas cependant de continuer à s'occuper du sort des laissés-pour-compte. C'est de cette manière qu'on la retrouvera dynamique, entreprenante et attentive aux problèmes des réfugiés au milieu desquels elle va vivre à partir de 1994 jusqu'à la destruction de leurs camps et sa fuite dans la forêt équatoriale congolaise. C'est ce dernier épisode qui constitue la partie principale du livre (pages 123 à 293). On peut dire que l'essentiel de son témoignage y est concentré. On y apprend ainsi comment les réfugiés rwandais, traqués par les rebelles et le FPR comme des bêtes sauvages, ont dû affronter un milieu humain et naturel très hostile. Rien de ce que l'homme peut connaître comme malheur ne leur a été épargné : faim, soif, maladies de toutes sortes, bombardements, massacres, marches forcées et le comble du malheur, la mise à prix (dix dollars pour un réfugié) par l'organisation des Nations Unies qui, normalement, doit s'occuper du sort des réfugiés. Même le plus génial des réalisateurs de Hollywood n'aurait pu imaginer certaines scènes racontées par l'auteur. C'est à croire que le monde entier avait abandonné les réfugiés à leurs bourreaux qui utilisèrent alors toutes leurs capacités d'imagination pour les supplicier et les exterminer. Si certaines pages du livre sont difficiles à supporter, tant l'horreur qui est dénoncée est inhumaine, il faut par contre reconnaître à l'auteur le mérite d'avoir mis en exergue quelques rares événements ou aspects positifs que les réfugiés et en particulier l'auteur, ont pu connaître dans cet enfer. Aussi appréciera-t-on particulièrement les gestes inoubliables de ces villageois des environs de Mbandaka qui n'épargnèrent aucun effort pour rendre la vie de l'auteur et de ses compagnes la moins rude possible. Certains les aidèrent même au risque de leur vie, en particulier lorsqu'il était facile de gagner des dollars en ramenant au HCR des réfugiés rwandais. D'autres acceptèrent de partager le peu qu'ils avaient de manière tout à fait désintéressée. La lecture de ce livre incite à réfléchir non seulement sur le sort des réfugiés mais aussi et surtout sur la nature humaine. Quand on dépose le livre, plusieurs questions se bousculent à l'esprit : Pourquoi l'homme doit-il infliger tant de souffrances à son semblable ? La paix serait-elle une illusion ? Comment expliquer que les auteurs des crimes commis contre les réfugiés rwandais, et ce livre en donne de nombreux témoignages que ce soit à Bukavu, à Tingi-Tingi, à Mbandaka et ailleurs, n'ont jamais été inquiétés et poursuivis ? Faut-il admettre que seule la vieille loi de la jungle continue toujours à diriger le monde malgré les apparences trompeuses de progrès ? Si on peut concéder que ceux qui se sont rendu coupables de crimes doivent être poursuivis, quelle justification peut-on donner au supplice des innocents, en particulier les enfants, notamment ceux qui sont nés après les événements de 1994 ? L'auteur s'est refusée à tout commentaire dans un sens comme dans un autre. Elle donne des faits que l'on pourrait dire bruts, sans procéder à une analyse approfondie, que ce soit du point de vue sociologique ou anthropologique, des malheurs de ce peuple dont l'histoire est jalonnée par des guerres, des massacres et autres épisodes sanglants. Peut-on espérer que ce peuple martyrisé sortira un jour de cet enfer à l'image de l'épilogue heureux du témoignage de l'auteur ? Même si des criminels ont maintenant le vent en poupe et croient qu'ils sont intouchables, il faut garder l'espoir que la vraie justice se réalisera un jour et qu'ils devront répondre de leurs actes. On ne peut que recommander la lecture de ce livre à tous ceux qui sont épris de justice, de paix et surtout de vérité. Michel HAKIZIMANA Juillet 2000