Terrains éducatifs L`interdisciplinarité dans l`enseignement de l

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Terrains éducatifs L`interdisciplinarité dans l`enseignement de l
Terrains éducatifs
L’interdisciplinarité dans
l’enseignement de l’histoire
des arts au collège :
l’identité de l’enseignant en question
Christie Douet1
L
’étude qu’il est proposé ici d’appréhender a été réalisée
pour l’ISFEC de Basse Normandie dans le cadre d’un
mémoire de fin d’étude, nécessaire à l’obtention d’un
Master « Éducation et formation ». Ce dernier s’intitule « Interdisciplinarité et liberté, les difficultés de mise en place de l’enseignement de l’histoire des arts au collège à la rentrée 2010 ». Il
avait pour but de recueillir le témoignage des enseignants sur la
question de la mise en place de l’enseignement de l’histoire des
arts au collège et d’analyser les difficultés principales qui se
révèlent entre les textes officiels sur ce sujet et la réalité du terrain.
Diplômée de l’université en arts plastiques et en histoire de l’art,
issue du milieu professionnel de la conservation-restauration des
œuvres d’art, l’auteur est professeur suppléante au collège en éducation artistique, discipline arts plastiques, et se trouve directement
impliquée dans la mise en place de l’enseignement de l’histoire
des arts. Dans ce contexte, la méthodologie choisie est celle d’une
étude de terrain, basée sur l’expérience concrète d’une transposition
didactique, s’appuyant sur l’analyse d’une œuvre d’art, selon différents points de vue, dans le cadre d’un éventuel cours en histoire
des arts autour de cette œuvre. Cette mise en situation effective est
destinée à se poser la question de la méthode d’enseignement inter1
Professeur d’arts plastiques. Courriel : [email protected]
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Éduquer|Former, n° 43, 2012|1
disciplinaire que les textes officiels préconisent et de s’interroger sur
la manière de se l’approprier. En effet, l’histoire des arts n’est pas
l’histoire de l’Art, et il est nécessaire de bien les différencier pour
proposer une pédagogie adaptée.
L’enseignement de l’histoire de l’Art n’est pas celui de l’histoire
des arts
La différence lexicale entre l’histoire de l’Art et l’histoire des arts
indique une extension du champ d’étude de l’une par rapport à
l’autre. Mais le pluriel est également le signe d’une distinction plus
profonde, liée à la méthodologie de ces deux activités de recherche.
!"#$%&#'()*()+!,'%)-(.%)/.0&.'*!".#)1%'()*234#()5&66().4()*#$5#pline qui étudie les œuvres d’art et les discours, théories, interpréta%#&4$)7.#)(4)&4%)2%2)8/#%($)/.)5&.'$)*()+!"#$%&#'(9)(4)+($)#*(4%#3/4%9)(4)
les classant et en les hiérarchisant. Elle concerne les arts majeurs :
musique, littérature et arts visuels, comprenant les beaux-arts,
l’architecture, la photographie, le design et l’art numérique. Elle
étudie l’art dans sa fonction métaphysique et analyse les conditions de création : les contextes culturels, économiques, sociaux et
politiques. Elle est une affaire de spécialistes, qui ont développé,
dans une approche transdisciplinaire ou multidisciplinaire, cinq
orientations méthodologiques principales : formaliste, marxiste,
sociologique, iconologique et sémiologique (Barral I Altet, 1989).
L’histoire des arts est « une approche sensible et approfondie des
œuvres travaillées à partir de leur forme, leurs techniques, leur
$#:4#35/%#&4)(%)+(.').$/:(9)*/4$).4()-('$-(5%#;()"#$%&'#7.()(%)5.+%.relle. » (Duvin-Parmentier, 2010). Elle concerne tous les arts, même
mineurs, qui ont été réunis en six domaines (arts de l’espace, du
langage, du quotidien, du son, du spectacle vivant et arts visuels),
et étudie l’ensemble des œuvres créatives, y compris artisanales et
#4*.$%'#(++($9)*/4$)+(.')34/+#%2)(<-'($$#;(=)>++()/4/+?$()+($)@.;'($)(4)
tenant compte du public concerné, selon une démarche transversale et pluridisciplinaire. Elle met en relation tous les phénomènes
créatifs dans leurs dimensions historiques, thématiques, spirituelles,
sociales, esthétiques et culturelles. Son approche est sociologique :
elle étudie par quel processus un objet fonctionnel devient un objet
d’art, en fonction de l’intention de l’artiste, l’interprétation du spectateur et les conditions de création, de conservation et de diffusion.
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Christie Douet
La méthode utilisée en histoire de l’Art, qui consiste à se baser
sur le général pour ensuite resserrer l’analyse vers le particulier
est inversée en histoire des arts, qui, sur les pas d’Erwin Panovsky
( !"#$%&'(!)%*'&*'+&+'+,-.,/0)*,1.+2 1955), utilise une approche basée sur
+!#4%('-'2%/%#&49) */4$) +/7.(++() +() *2%/#+) *(;#(4%) $#:4#3/4%=) A+) $!/:#%)
cependant de ne pas effectuer d’interprétations abusives, dans une
société qui : « cherche l’artiste derrière chaque objet créé de main
d’homme » (Werckmeister, François). L’enseignement de l’histoire des arts est là pour répondre à ce besoin métaphysique de la
manière la plus juste et équilibrée, en la modérant par une analyse
#4%('*#$5#-+#4/#'(9)'2B25"#()(%)&C0(5%#;(=
L’histoire des arts n’est pas une nouvelle discipline, mais une for6/%#&4)#*(4%#32(9)7./4%#32(9);2'#3/C+(9)*()D)5.+%.'()/'%#$%#7.()-/'%/gée ». C’est un enseignement humaniste interdisciplinaire, qui relie
le sensible et l’intellectuel pour faire de l’expérience une connaissance, qui donne du sens aux disciplines scolaires, en apportant une
cohérence à la diversité des connaissances et en les reliant à des
problématiques existentielles.
I. LES MODALITÉS DE L’ÉTUDE : UNE MISE EN SITUATION CONCRÈTE
Pour la mise en place de cette étude, la problématique a été de
choisir un protocole qui permette de soulever les difficultés que ces
spécificités de l’enseignement de l’histoire des arts impliquent et de
leur trouver des éléments de réponse méthodologiques.
Terrain de l’étude et prise de contact
L’étude de terrain a été proposée à des professeurs de quatre collèges
de petites villes à environnement rural, accueillant entre 300 et 700
élèves. Trois sont des collèges privés sous contrat d’association avec
l’État, le quatrième est un collège public.
La prise de contact avec les professeurs a été effectuée en deux
temps : après un rendez-vous avec les directeurs d’établissement,
qui ont tous donné leur accord pour la réalisation de l’étude au
sein de leur collège, les enseignants ont été sollicités directement
par courrier, afin de leur proposer une rencontre et expliquer les
motivations et modalités de cette enquête. Dans chaque établissement, des liens amicaux, familiaux ou professionnels ont ensuite
permis de présenter en personne le projet d’étude à un maximum
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d’enseignants, notamment les plus concernés par l’enseignement de
l’histoire des arts.
Ces démarches ont constitué une étude préalable qui s’est avérée fort
utile : les réponses, qu’elles aient été positives ou négatives, étaient
en général argumentées. Grâce à cette phase d’observation, l’étude
de terrain sous forme de questionnaire est vite apparue comme trop
réductrice, face à la diversité des réactions et aux confusions concernant l’enseignement de l’histoire des arts, qui n’avait pas du tout été
mis en place ou en était encore au stade expérimental et optionnel
dans ces établissements. Le comportement des professeurs, enclins
à discuter, mais uniquement de manière informelle, a permis de
définir la forme de l’enquête : celle d’une conversation entre collègues. Ainsi, une grille d’entretien a pu être construite autour de
sujets de dialogue, permettant de définir des problématiques qui
semblaient particulièrement préoccuper ou intéresser la majorité
des enseignants issus de différentes disciplines (cf. tableau 1).
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M
F
M
F
F
F
M
F
M
M
F
F
Sujet A
Sujet B
Sujet C
Sujet D
Sujet E
Sujet F
Sujet G
Sujet H
Sujet I
Sujet J
Sujet K
Sujet L
Sexe
35
ans
37
ans
38
ans
57
ans
49
ans
47
ans
48
ans
40
ans
47
ans
51
ans
42
ans
39
ans
Age
14 ans
20 ans
29 ans
10 ans
15 ans
27 ans
24 ans
28 ans
35 ans
11 ans
6 ans
15 ans
Français
Histoiregéo
Histoiregéo
Histoiregéo
oui
non
non
oui
oui
oui
Éducation
musicale
Français
non
oui
oui
non
oui
oui
Autre
discipline
Espagnol
Français
Espagnol
Éducation
musicale
Éducation
musicale
Arts
plastiques
Discipline
non
non
non
oui
non
oui
non
non
oui
non
oui
oui
Autre activité
professionnelle
Titulaire Certifié
Titulaire Certifié
Titulaire Certifié
Délégué Rectoral
Titulaire Certifié
Titulaire Certifié
Titulaire Certifié
Titulaire Certifié
Titulaire Certifié
Titulaire Certifié
Titulaire Certifié
Titulaire AECE
Statut
Tableau 1 : profils des enseignants ayant accepté de participer à l’entretien
Nombre d’années
d’enseignement
Collège
Collège
Collège
Collège, lycée
Collège, lycée
Collège
Collège
Collège, lycée
Collège, lycée
Collège, lycée
Collège
Collège
Niveaux enseignés
Christie Douet
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Déroulement de l’entretien
L’entretien proposé a pour objectif de faire émerger au grand jour
les problématiques inhérentes à l’enseignement de l’histoire des
arts en amenant les enseignants à expérimenter concrètement, sans
qu’ils en soient véritablement conscients, la démarche particulière
de cet enseignement, puis à analyser cette démarche en temps réel,
de manière à mieux la définir. Par l’étude disciplinaire d’une œuvre,
le décentrement multidisciplinaire de cette analyse et la réflexion
sur les liens interdisciplinaires qui peuvent ainsi émerger, les professeurs réalisent la première étape didactique de l’enseignement
de l’histoire des arts, en se posant la question du sens que peut
susciter l’exploration d’une œuvre d’art. La formulation explicite
des interrogations concernant les contenus, les formes et les raisons
de l’enseignement de l’histoire des arts incite ainsi les enseignants
à prendre conscience des problématiques que suppose la mise en
place des méthodes pédagogiques qui lui seraient le mieux adaptées.
Choix du dialogue amical
Proposée sous la forme d’une discussion, autour d’un café, l’entretien enregistré a été effectué dans les conditions les plus agréables
possibles, dans un lieu calme et confortable, à l’abri des oreilles indiscrètes, mais sans allure de conspiration ni d’interview solennelle.
L’objectif était que les professeurs soient détendus, sans appréhension d’un quelconque jugement, afin de pouvoir s’exprimer le plus
librement possible à propos des sujets de discussion proposés.
La forme de dialogue amical mise en place a été choisie avec l’intention de se situer au cœur de l’élaboration de la pensée par l’échange.
Il s’agissait de ne pas poser une série de questions à laquelle les professeurs auraient eu des réponses théoriques toutes faites à apporter,
mais bien au contraire de réfléchir ensemble. Cependant, l’objectif
était de laisser l’enseignant s’exprimer au maximum, l’intervention
de l’enquêteur se bornant à relancer la conversation en explicitant
ses propos et en posant quelques questions ciblées.
L’aspect en apparence informel et non préparé permet ainsi d’obtenir un discours qui n’est pas formaté, et qui s’objective sous forme
d’un questionnement. Celui-ci interpelle les protagonistes par la
spontanéité de son émergence et motive la pensée. Cette réflexion,
par son aspect naturel et improvisé, fait appel aux compétences des
enseignants à élaborer des idées au fur et à mesure d’une discussion,
100
Christie Douet
et à travailler en collaboration sur un sujet commun. Par le dialogue, dirigé selon une grille spécifique mais ouverte, les questions
qui se posent trouvent ainsi leur place les unes par rapport aux
autres, et ce positionnement devient en lui-même un élément de
réponse.
Choix du document : Guernica de Pablo Picasso
Afin de pouvoir engager la conversation, le début de la discussion repose sur l’analyse d’un document concret présenté aux enseignants,
à partir duquel se construit la réflexion. Il permet de motiver le
raisonnement sur l’histoire des arts en proposant un enracinement
de la pensée dans la réalité, autour d’une œuvre d’art. Cela oblige
également tous les professeurs participants à s’appuyer sur une base
commune, ce qui permet ensuite de créer des parallèles entre leurs
propos.
Pour l’enquête, la reproduction du tableau Guernica de Pablo
Picasso (1937) a été choisie pour son aspect pratique, directement
abordable et pérenne. L’oeuvre est suffisamment riche et ouverte
pour que tout le monde ait quelque chose à en dire, quel que soit
le point de vue sous lequel on l’aborde. C’est donc une œuvre qui
pourrait faire partie du référentiel d’histoire des arts au collège, son
aspect historique, artistique, géographique, sociologique, etc. en
un mot : humaniste, étant abordable sous l’angle de nombreuses
disciplines scolaires.
Afin que l’entretien soit cependant le plus pertinent possible,
seuls ont été sollicités des professeurs d’histoire-géographie, de
pratiques artistiques : musique et arts plastiques, de français et
d’espagnol ; tous plus directement concernés que les enseignants
des autres disciplines.
Le choix a également été motivé par la force esthétique mais aussi
émotionnelle de cette œuvre qui interpelle le spectateur, ne laisse
personne indifférent, et dont l’expérience sensible correspond au
projet de l’enseignement de l’histoire des arts : faire réagir les élèves
par rapport à leurs sensations.
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Les questions thématiques de la grille d’entretien semi-directif
La grille d’entretien constitue une base de travail permettant
d’orienter la discussion sur la question de l’enseignement de l’histoire des arts vers les problématiques qui émergent de l’analyse des
textes officiels, sans pour autant fermer le dialogue. Le choix de cet
outil permet de mener l’entretien de la même manière pour tous,
tout en l’adaptant au déroulement de la conversation.
La question de l’histoire des arts dans la discipline du professeur
concerné
La première question posée, au regard de l’œuvre proposée comme
document de réflexion, concerne la manière dont l’enseignant envisage l’histoire des arts au sein de sa discipline : il s’agit de l’encourager à s’interroger sur les notions qu’il pourrait aborder dans l’œuvre,
de son point de vue disciplinaire. Cet exercice concret, basé sur les
compétences professionnelles que l’enseignant utilise chaque jour
dans son métier, permet de mettre en évidence les possibilités, mais
aussi les difficultés que suscite la prise en compte d’éléments de
connaissance éclairés par sa discipline, mais introduits sous une
autre forme, selon un autre statut.
La question de l’histoire des arts dans les disciplines de ses collègues
Il s’agit ensuite de pousser l’exercice en demandant au professeur
d’imaginer quelles notions ses collègues pourraient, dans leurs disciplines respectives, faire émerger de cette même œuvre, dans le
cadre de l’histoire des arts. Cette question cherche à sensibiliser
l’enseignant sur les rapports qu’il entretient avec les autres professeurs et à porter ses interrogations sur leur complémentarité. Il est
ainsi invité à se placer selon un autre point de vue et à envisager les
potentialités des autres disciplines ainsi que les obstacles rencontrés
par ses collègues, pour la mise en place de l’enseignement de l’histoire des arts dans leurs cours.
La question du lien et du sens pour les élèves
À partir de ces deux postures, se pose alors la question de savoir
comment aider les élèves à faire le lien entre ces différentes notions
envisagées dans différentes disciplines. Cette fois, l’enseignant est
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Christie Douet
amené à se mettre à la place de ses élèves et à exprimer ce qu’il
imagine être la vision qu’ils ont de leurs professeurs, des disciplines
qu’on leur enseigne et du système du collège en général. Cette question suscite l’émergence de problématiques liées à la définition de
l’enseignement de l’histoire des arts, à son statut, sa nature et sa
légitimité.
Questions annexes
Au cours de l’entrevue, certaines questions servent à relancer l’entretien, d’autres à engager la conversation sur une problématique
attendue qui n’a pas été abordée. Quelques questions annexes sont
ainsi envisagées et répertoriées, mais elles ne sont pas posées systématiquement, tandis que d’autres sont improvisées en fonction du
cheminement de la discussion. Ces questions ne sont pas anodines :
elles viennent nourrir la réflexion en soulevant des problématiques
qui demandent à être explorées dans le cadre de l’obligation d’enseigner l’histoire des arts au collège.
Afin d’ancrer cette étude dans la réalité, il était nécessaire dans la
conversation d’aborder l’articulation entre l’enseignement de l’histoire des arts et celui des différentes disciplines, le rapport entre
les professeurs, les relations entre l’action pédagogique et l’action
éducative, ainsi que les moyens de mise en place de l’histoire des
arts au collège qui permettent d’insérer concrètement cet enseignement dans l’organisation des différents apprentissages. Il s’agissait
de pousser les professeurs à réfléchir sur le contrôle continu, les
items du socle commun de connaissances et de compétences, les
épreuves du Brevet National des Collèges, les outils pédagogiques,
qui sont les parties visibles et effectives de cet enseignement.
II. ÉTUDE PRÉALABLE : APPRENDRE AUTANT DU REFUS DE L’ENTRETIEN
QUE DE L’ENTRETIEN LUI-MÊME
L’étude réalisée ne s’arrête cependant pas à l’utilisation des entretiens comme base de réflexion, mais s’appuie également sur les
idées évoquées par les enseignants lors de leur refus de participer
à l’entretien (cf. tableau 2). Les arguments avancés par les professeurs contactés (quels que soient leur discipline et l’établissement
dans lequel ils enseignent), pour justifier une réponse négative à la
demande de participation à cette enquête, soulèvent en eux-mêmes
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Éduquer|Former, n° 43, 2012|1
un très grand nombre de problématiques concernant la mise en
place de l’enseignement de l’histoire des arts au collège. Ce refus,
toujours très courtois, ne signifie pas un désintérêt pour la question en général, mais relève plutôt de réticences et d’appréhensions
d’enseignants désabusés.
Nombre
d’enseignants
contactés
Nombre de
réponses
positives
Nombre
de
réponses
négatives
Nombre
de non
réponses
Français
14
3
5
6
Hi s t o i re géographie
14
3
(+1
informel)
4
6
Espagnol
6
2
2
2
Arts
plastiques
5
1
(+1
informel)
2
1
Éducation
musicale
5
3
0
2
Total
44
12
(+2
informels)
13
17
Discipline
Tableau 2 : réponses des professeurs, par discipline, aux sollicitations en vue d’un
entretien
Rejet de l’entretien pour raisons personnelles
La question du temps
Un des arguments avancé pour refuser la participation à cette
enquête a été dans presque tous les cas un manque de temps à lui
consacrer, même s’il était prévu que l’entretien dure entre un quart
d’heure et une heure. L’absence de motivation sous-tendait parfois
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Christie Douet
cette réponse et un bon nombre de professeurs ont eu l’honnêteté
de me dire qu’ils n’avaient pas envie de prendre part à cette étude.
La pudeur du professeur
De plus, quelques-uns avaient une appréhension particulière du
fait de l’enregistrement audio, par peur de ce qui pourrait en être
fait, malgré l’assurance du respect de l’anonymat. La crainte que
« quelque chose » puisse leur « échapper » est à l’origine de leur
inquiétude, car dans ce métier, la parole non maîtrisée se retourne
souvent contre la personne.
De plus, l’idée d’exprimer son avis personnel, sans y avoir réfléchi
par avance (ce qui fausserait l’enquête), leur est difficile à accepter,
car cela met à nu le processus intime de la pensée.
Ces excès de pudeur, ces difficultés à se dévoiler, surtout devant un
futur collègue, constituent la principale raison des enseignants (en
termes de cause décisive) pour ne pas accepter l’entretien.
Refus de l’entretien considéré « sans intérêt »
Certains professeurs n’ont pas consenti à participer à l’étude, considérant que la question de l’histoire des arts ne se pose pas : ils
pensent avoir déjà mis en place un enseignement d’histoire des arts
dans leurs cours. Ils ne voient donc pas l’intérêt de cette enquête,
considérant que chaque enseignant doit se plier aux textes officiels
et que, si les autres professeurs n’enseignent pas l’histoire des arts
dans leurs cours, cela ne concerne qu’eux.
Rejet de l’enquête par rejet de l’histoire des arts
Trop peu de temps pour enseigner
Le temps constitue pour les enseignants la principale difficulté pour
mettre en place l’enseignement de l’histoire des arts. Que ce soit en
classe ou en termes de préparation, le temps qui leur est imparti
pour leurs cours disciplinaires leur semble déjà trop court pour
« boucler le programme » et ils ne voient pas comment « ajouter de
l’histoire des arts ».
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Éduquer|Former, n° 43, 2012|1
Un enseignement illégitime
À cela s’ajoute que la plupart du temps, ils ne s’en sentent pas capables, car ils considèrent ne pas avoir de compétences en histoire
des arts n’ayant pas reçu la formation nécessaire.
De plus, ils estiment ne pas avoir été engagés pour cela, mais pour
enseigner leur discipline et pas une autre : l’histoire des arts ne les
intéresse pas.
De ce fait, un grand nombre de ces professeurs considère que le
projet de l’introduction de l’histoire des arts au collège, sous cette
forme, est illégitime. Ils ne sont pas d’accord avec le principe de
l’interdisciplinarité et trouvent que l’enseignement de l’histoire des
arts devrait concerner des professeurs spécialisés dans cette discipline. Certains vont même jusqu’à présumer que l’histoire des arts
ne concerne pas l’école, que les enfants en ont déjà suffisamment à
apprendre, et que cela regarde les parents, du fait que l’histoire des
arts fait partie de la culture générale.
La sensation d’être manipulé
D’autres professeurs avancent des mobiles qui sont de l’ordre de
leur rapport avec l’État : ils ont peur d’être manipulés au sens
politique du terme. Ils prêtent au Ministère de l’Éducation nationale des arrières-pensées qui viseraient par exemple à supprimer
certaines disciplines artistiques pour les remplacer par l’histoire
des arts, qui serait enseignée transversalement par les professeurs
d’autres matières à seule fin de faire des économies en diminuant le
nombre d’enseignants. Cette crainte est parfois partagée également
par les professeurs qui ont accepté de se prêter à l’enquête.
Pourtant, c’est à l’inverse un excès d’implication antérieure qui démotive le plus les enseignants refusant de répondre à ma demande.
Ils disent être désabusés par ces types de projets, pour lesquels ils
se sont souvent investis au cours de leur carrière, mais qui ont été
abandonnés en cours de route, rendant tous leurs efforts inutiles.
Ils ne veulent donc pas mettre en place l’enseignement de l’histoire
des arts dans leurs cours tant que ce dernier n’a pas été enteriné par
sa longévité dans le temps.
106
Christie Douet
III.
RAPPORT D’ENTRETIEN : LES PROBLÉMATIQUES POSÉES PAR LES
ENSEIGNANTS CONCERNANT L’ENSEIGNEMENT DE L’HISTOIRE DES ARTS
La partie suivante de l’étude consiste ensuite à réaliser une description des pratiques déclarées ou projetées, ainsi que de leurs représentations. Le but est d’en effectuer une classification à partir des
thématiques préalablement définies, ou définies après l’entretien,
afin d’en faire émerger les problématiques et les possibles réponses
à y apporter.
Tous les entretiens, semi-directifs, sont retranscrits intégralement,
ce qui permet de proposer à d’autres chercheurs un substrat à partir
duquel il est possible d’ouvrir à d’autres analyses.
L’histoire des arts déjà présent dans les enseignements
disciplinaires
La pertinence de l’œuvre
La première constatation que l’on peut faire, vis-à-vis de la question des notions pouvant être dégagées de Guernica en histoire des
arts, est que les enseignants abordent presque tous, plus ou moins
directement, la pertinence du choix de cette œuvre. En fonction de
sa discipline, chacun lui prête des vertus quant à sa force expressive,
son aspect universel et intemporel mais aussi événementiel, son
apparence à la fois abordable car figurative mais qui interpelle par
son aspect déconstruit, sa puissance symbolique, l’originalité de son
historique et de la démarche de son créateur, etc… Ils considèrent
qu’elle est parfaitement adaptée pour créer une relation entre leur
discipline et l’histoire des arts. Ainsi, le Sujet B en fait une « œuvre
de référence », qu’il aborde sous l’angle de l’expression, mais pense
que « c’est un tableau qui pourrait être abordé dans d’autres sujets »,
au sein de son cours.
Par contre, en histoire-géographie, les professeurs font remarquer
que malgré tout, cette œuvre n’est pas vraiment adaptée à leur
cours car elle ne « colle pas » à leur programme, ce qui implique
qu’ils ne la choisiraient pas ou qu’elle serait traitée très rapidement
et très sommairement. Ils proposent même des œuvres qui leur
paraîtraient plus appropriées (le thème des gueules cassées avec les
tableaux d’Otto Dix par exemple, plutôt que la montée du fascisme
à laquelle sont liés les bombardements de Guernica).
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Éduquer|Former, n° 43, 2012|1
À l’inverse, on constate que les enseignants envisagent souvent
l’œuvre, plus du point de vue disciplinaire que de celui de l’histoire des arts. Le Sujet A, par exemple, précise même que « c’est
un document qui pourrait être intéressant presque plus en cours
de musique que finalement en histoire de l’art », ajoutant qu’il s’en
servirait alors de « parenthèse », tandis que dans sa discipline, ce
pourrait être la « thématique et l’essentiel de sa séquence ».
L’histoire des arts enseignée actuellement dans les disciplines
On constate également que l’ensemble des enseignants participants
pensent déjà enseigner l’histoire des arts dans leur discipline : certains d’entre eux étudient même déjà Guernica dans leur cours. Ils
considèrent prodiguer cet enseignement, car ils réalisent autour de
l’œuvre un certain nombre d’exercices pédagogiques.
Contextualisation historique
D’une manière générale, ils placent cette peinture dans son
contexte historique, géographique et politique. Par l’événement
qu’elle représente, les conditions dans lesquelles elle a été créée et
les raisons qui ont poussé Picasso à la réaliser, cette œuvre se prête
en effet facilement à ce type d’exercice. De manière évidente, tous
ramènent le tableau à la guerre civile espagnole et à la montée des
fascismes en Europe à cette époque.
Contextualisation disciplinaire
Quelques-uns, moins nombreux, resituent également l’œuvre dans
l’évolution du champ de connaissance lié à leur discipline. Parlant
de la cassure entre le XIXe et le XXe siècles, « comme il y en a eu en
peinture », le Sujet G précise par exemple : « Bien sûr, ça suit l’évolution musicale aussi. » Le Sujet E montre la nécessité de « resituer
l’œuvre par rapport à une pensée, à un moment donné ». Il explique
à ses élèves qu’« il y a une espèce de pensée universelle qui fait que
les artistes sont les porte-parole de ce que nous, on est incapable de
formuler », qu’ils « appartiennent à un mouvement », et que « c’est
ça leur boulot », parlant des poètes comme des peintres.
Dans l’entretien, beaucoup d’enseignants omettent souvent de
contextualiser de cette manière ce tableau dans le monde des idées
ou l’environnement artistique, même lorsqu’ils sont professeurs de
langue ou de pratique artistique.
108
Christie Douet
Utilisation de l’œuvre comme document
Par contre, tous les enseignants utilisent l’œuvre d’art dans leur discipline : elle sert de point d’appui à leur enseignement disciplinaire.
Ils en sont d’ailleurs parfaitement conscients : en histoire-géographie par exemple, le Sujet J explique que l’histoire des arts « est au
service du fait historique ». Elle vient en quelque sorte l’illustrer,
l’éclairer, afin de le rendre plus présent. De plus, cette démarche
aide les élèves à mémoriser les éléments d’un cours en les enracinant
dans une image.
Généralement, les enseignants utilisent l’œuvre comme un document qu’ils mettent en parallèle avec un élément de leur discipline,
afin de réussir à faire comprendre aux élèves un enseignement par
un autre. Le tableau de Picasso devient ainsi la traduction d’une
notion disciplinaire sous forme picturale. Dans son cours, le Sujet
G ferait le parallèle entre musique dodécaphonique et cubisme
pour pouvoir initier ses élèves aux œuvres musicales qui ne sont pas
écrites dans les normes, afin de leur montrer la différence avec une
œuvre musicale qui, elle, respecte les règles de composition de base.
L’œuvre peut être également comprise comme un document prétexte à une pratique disciplinaire, un document de départ, à partir
duquel les élèves travaillent. En français par exemple, le Sujet H
propose de réaliser une lecture d’image de l’œuvre afin de dégager
préalablement des pistes de lecture d’un texte avec lequel elle serait
mise en relation. Le Sujet A, quant à lui, pense qu’il serait intéressant de créer une œuvre musicale avec ses élèves qui traduirait les
bruits suggérés dans l’œuvre peinte.
L’oeuvre est également souvent envisagée comme le prolongement
d’un enseignement disciplinaire. Elle sert de tremplin pour passer
à la suite du cours. Par exemple, le Sujet K l’utiliserait pour passer
d’un processus historique à un autre : de la montée du fascisme à
l’art officiel chez les nazis et la propagande.
Elle constitue également une ouverture, car elle permet de relativiser et de consolider une notion disciplinaire en la plaçant dans
un autre champ de connaissance. En arts plastiques, par exemple,
elle permet de faire le passage entre la pratique sur la construction
d’une image et l’idée de propagande étudiée en histoire.
La verbalisation
La verbalisation autour d’une œuvre d’art met en jeu la « mémoire
affective » (Flores, 1972) parallèlement à la « mémoire cognitive »
des élèves. Les enseignants, dans leur grande majorité, disent utiliser
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ce procédé pour rendre l’œuvre abordable par les élèves et en faire
un point d’ancrage de connaissances disciplinaires. Ils effectuent
ainsi, généralement tous, une description de l’œuvre, en essayant
de faire utiliser au mieux le vocabulaire spécifique qu’ils veulent
apprendre à leurs élèves. La peinture de Picasso est ici considérée
comme un lieu de communication, elle sert de support d’expression, d’un point de vue technique et disciplinaire.
Mais la possibilité de poser du vocabulaire sur les choses permet
aussi de faire le lien entre ce que voient les élèves et ce qu’ils ressentent. Il s’agit de relier les savoirs à la sensation pour permettre
aux élèves d’exprimer leurs émotions, leurs impressions, leurs sentiments, de manière à marquer les esprits en explicitant ce qu’ils
ressentent, afin qu’ils n’oublient pas. Le Sujet J explique par sa
propre expérience d’élève à quel point la sensibilisation esthétique
peut avoir d’influence sur les centres d’intérêt, sur lesquels viennent
se greffer les connaissances qui peuvent y être associées.
La difficulté d’enseigner l’histoire des arts au sein d’une discipline
Quel que soit le processus utilisé, le sentiment général des professeurs est de déjà « faire » de l’histoire des arts dans leur discipline.
Cependant, au questionnement, qui part de l’exemple d’une
œuvre, certains enseignants, quelque peu poussés dans leurs retranchements, prennent conscience qu’ils ont du mal à « sortir du fourreau » de leur discipline pour envisager l’œuvre autrement, selon
un autre éclairage qui serait celui de l’histoire des arts, au sein de
leur discipline, pratiqué autrement. L’histoire des arts perturbe leur
identité d’enseignant, car elle nécessite de rechercher une nouvelle
posture, tout en restant soi-même.
L’histoire des arts telle qu’imaginée dans les différentes
disciplines
Beaucoup de bonnes idées dans un monde de confusion
D’une manière générale, lorsqu’il est demandé aux enseignants
d’imaginer ce que feraient leurs collègues en histoire des arts dans
leurs disciplines respectives, la première réaction est de dire qu’ils
n’en savent rien, qu’ils ne connaissent pas les programmes.
110
Christie Douet
Pourtant, petit à petit, au cours de la réflexion, ils proposent des
idées qui paraissent très intéressantes, lorsque l’on reste dans le
cadre général de l’histoire des arts. « Le prof d’art pourrait étudier les grandes caractéristiques au niveau artistique, le courant
pictural. » « Le prof de musique parlerait de la notion de rythme. »
« En français, on pourrait aussi voir la narration. »
Cependant, si on pousse un peu plus en détail ces notions, ils
remarquent eux-mêmes qu’ils sont perdus et qu’ils connaissent très
peu la discipline de leurs collègues.
De nombreuses confusions apparaissent en effet très vite entre les
éléments de discipline et ceux qui peuvent relever de l’histoire des
arts. Lorsqu’ils analysent les exemples qu’ils proposent, ils regrettent
généralement de ne pas en savoir suffisamment sur les contenus et
les démarches de leurs collègues pour faire la différence. Mais, s’ils
confondent les enseignements disciplinaires avec l’enseignement de
l’histoire des arts dans ces disciplines, c’est encore, malgré tout, dans
l’approche de cet apprentissage qu’ils restent les plus cohérents. Le
Sujet E, par exemple, n’arrive pas à envisager ce que fait dans son
cours le professeur d’arts plastiques : il sait juste qu’il n’enseigne
plus du « dessin ». De ce fait, il envisage difficilement ce que celui-ci
pourrait faire en histoire des arts, dans le cadre de son cours d’arts
plastiques… Pourtant, par comparaison avec ce qu’il ferait, lui, en
histoire des arts, il entrevoit la possibilité pour son collègue d’analyser l’image du point de vue de sa construction, ce qui est déjà plus
proche de la réalité.
À chacun son rôle
L’ensemble des enseignants réussit ainsi à envisager ce que ferait
son collègue en histoire des arts, les hypothèses émises étant plutôt
intelligentes lorsqu’on reste dans un cadre général. Les professeurs
élargissent même la possibilité d’enseigner l’histoire des arts dans
des disciplines qui sont en apparence éloignées du monde des arts.
Ils pensent ainsi spontanément à des activités possibles, en éducation sportive, en technologie ou en mathématiques. Ils évoquent
assez peu le domaine des sciences physiques ou biologiques, mais
éprouvent le besoin de préciser que selon les œuvres étudiées, toutes
les matières peuvent être impliquées. Ils pointent ainsi du doigt
l’importance de multiplier les points de vue pour pouvoir considérer l’enseignement de l’histoire des arts comme un enseignement
de culture générale.
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Éduquer|Former, n° 43, 2012|1
Cependant, leur grande peur est de « faire le travail de son collègue », car il leur paraît évident que certains angles d’analyse
pourraient être adoptés par plusieurs disciplines, mais que certains
professeurs sont plus à même que d’autres de le faire. Ils évoquent
la « peur du ridicule » et distribuent des légitimités différentes aux
professeurs en fonction des notions qui pourraient être abordées.
La question du lien
À la question de savoir comment aider les élèves à faire le lien entre
les notions d’histoire des arts qu’ils ont évoquées dans le cadre de
leur discipline ou celles enseignées par leurs collègues, les enseignants ont des avis partagés, mais qui, au final, peuvent très bien
s’articuler les uns avec les autres.
La nécessité du lien pour les élèves
La première constatation, partagée par tous est qu’il est indispensable « d’éviter une appréhension trop morcelée » de l’histoire des
arts, pour que celle-ci devienne un véritable enseignement. D’après
le Sujet D, pour que les élèves puissent se l’approprier, l’enseignement de l’histoire des arts doit « devenir un cheminement dans la
tête des élèves ». Analysant sous cet angle leurs pratiques actuelles
en histoire des arts, les enseignants admettent qu’ils ne doivent
pas rester au stade de l’illustration, du prolongement de leur cours
(dans lequel l’œuvre n’est qu’un document), mais aller plus loin
dans l’élaboration de liens, chez les élèves, entre les différents éléments d’histoire des arts, enseignés dans des disciplines différentes.
Comment faire travailler les élèves pour créer des liens ?
Certains enseignants pensent que les élèves sont capables de faire les
liens eux-mêmes entre les choses, sans dispositifs particuliers, tandis
que d’autres affirment que cela est impossible, les enfants n’en ayant
pas encore, vu leur jeune âge, toutes les capacités et que c’est aux
professeurs d’aider les élèves à construire ces liens. « Les élèves ont
tendance à s’éparpiller. S’il n’y a pas quelqu’un qui leur fait relier
tous ces événements, je pense qu’ils n’y arriveraient pas. »
Dans le détail, on s’aperçoit que les professeurs considérant que les
élèves peuvent se débrouiller tout seuls utilisent en fait des procédés pédagogiques, tout comme les autres enseignants. Ils travaillent
112
Christie Douet
sur la « spontanéité des élèves », qui est une manière informelle
et peut-être inconsciente de construire des liens, mais qui constitue un moyen réel de relier les choses entre elles. Ainsi, le Sujet J
explique qu’il suffit d’« impliquer les élèves émotionnellement »,
tandis que d’autres professeurs ajoutent que les « élèves font le lien
d’eux-mêmes par comparaison de leurs ressentis ». Certains professeurs proposent même de décorer les salles avec des reproductions
d’œuvres d’art, afin de créer une sorte d’imprégnation, de proximité avec les œuvres, qui peuvent suggérer des relations possibles.
Il s’agit donc de créer des liens par la sensation, par le vécu, l’expérience, dont tous les professeurs s’accordent à reconnaître l’importance, sans pour autant penser que cela suffit.
La majorité des enseignants pensent ainsi qu’il est nécessaire, mais
non suffisant, de renvoyer les élèves vers d’autres professeurs lorsque
le développement de la question évoquée est plus approprié dans
une autre discipline. Cela ne veut pas dire que le questionnement
spontané d’un élève doit rester sans réponse, mais qu’il ne suffit pas
de dire : « ça vous le verrez avec Monsieur untel ou Madame X ».
Beaucoup d’enseignants, face à cette question, insistent sur l’investissement personnel des élèves, que tous les moyens pédagogiques
peuvent susciter. Demander aux élèves de travailler en groupe, de
faire des dossiers, les inciter à créer des projets, à aller voir plus loin,
paraît pour de nombreux enseignants, parmi les meilleures façons
de faire, car cela développe leur curiosité, leur autonomie, leur implication personnelle. « Le lien, c’est tout ce que tu apportes pour
que l’élève soit curieux » et c’est par cette curiosité qu’il va créer de
lui-même des connections, qui en seront d’autant plus fortes.
Quelques professeurs signalent alors le rôle fondamental que
peuvent jouer les professeurs documentalistes dans cette approche.
Une des autres solutions suggérées est celle de poser directement
la question aux élèves, de leur demander ouvertement quels liens
ils feraient avec telle ou telle autre discipline. « Souvent ils ont de
bonnes idées aussi les élèves », précise le Sujet B qui propose ainsi
de faire émerger des notions, qu’il signalerait comme étant des éléments d’histoire des arts, sans pour autant les développer dans son
cours, mais qui pourraient être abordés plus en détail dans d’autres
disciplines.
Un certain nombre d’enseignants signalent également l’importance de créer un lieu commun qui rassemblerait concrètement
les connaissances en histoire des arts. Le cahier histoire des arts,
les TICE, les outils pédagogiques de toutes sortes, leur semblent
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Éduquer|Former, n° 43, 2012|1
nécessaires pour que l’élève puisse répondre au besoin de continuité qu’implique l’enseignement de l’histoire des arts. Dans cette
optique, l’idée d’un contrôle continu leur paraît également importante pour motiver les élèves à relier les connaissances entre elles.
Une cohérence visible
Un des critères sur lequel insiste la majorité des enseignants pour
aider les élèves à lier les connaissances en histoire des arts entre elles
est celui de la visibilité. Il faut « trouver quelque chose d’identique
sur plusieurs séquences communes, construites, dont ils auraient la
trame, pour que, peut-être, les choses soient plus probantes » admet
le Sujet F, tandis que le Sujet J pense que si on ne donne pas aux
élèves les moyens de comprendre comment fonctionne l’histoire
des arts, « ça va se finir par un apprentissage par cœur et si c’est ça,
ça ne sert à rien : les élèves apprennent sans comprendre ».
D’une manière générale, tous les professeurs s’accordent pour dire
qu’il est nécessaire de donner aux élèves des pistes de travail qui
rendent la structure de l’enseignement de l’histoire des arts visible
et cohérente. Tout d’abord, en « identifiant les moments où on fait
de l’histoire des arts », mais aussi en étant bien conscients que les
professeurs travaillent tous sur cet enseignement. « Il est important
que les élèves le sachent : que les rôles sont répartis et qu’ils doivent
se rappeler ce qui a été fait par l’un et par l’autre. » Pour les élèves,
savoir que les professeurs travaillent les uns avec les autres, en complémentarité, les motive à chercher les liens qu’ils peuvent créer.
Pour les professeurs, travailler en interdisciplinarité
La transparence de l’enseignement de l’histoire des arts est aussi
ressentie comme nécessaire par les professeurs, qui aimeraient travailler plus en collaboration, ce qui implique pour eux de savoir
ce que font les uns et les autres, pour pouvoir mettre leur propre
enseignement en lien avec ceux de leurs collègues.
Une équipe pédagogique soutenue par la direction
L’ensemble des enseignants considère que « l’idée est excellente
de vouloir faire quelque chose avec l’histoire de l’art », mais que
finalement ce n’est pas tant une « mini révolution » que le développement de ce qui se passe déjà, même si cela peut devenir encore
plus constructif, si cet enseignement est institué, formalisé et s’il est
organisé de manière lisible.
114
Christie Douet
Les professeurs regrettant de ne pas travailler davantage avec leurs
collègues pensent que la nécessité d’un travail collectif doit être
soutenue par la « politique de l’établissement ». Le Sujet C, par
exemple, insiste sur le fait que « pour que ça fonctionne, on a
besoin de se réunir et de rencontrer des gens, encouragés par le chef
d’établissement ».
Seul un enseignant émet pendant l’entretien la possibilité qu’un
professeur d’histoire des arts soit spécifiquement chargé de cet enseignement, qui rassemblerait les connaissances vues par les uns et
les autres pour pouvoir créer des liens… hypothèse très vite écartée,
au profit d’un travail multidisciplinaire, mais cohérent et construit
en équipe.
La complémentarité
Cette volonté de travailler en équipe est évoquée par les professeurs
dans la complémentarité des enseignements que chacun d’entre eux
peut prodiguer pendant ses cours : « En complémentarité, ça peut
être intéressant que mon collègue fasse ça. » « Chaque professeur
développe ses propres compétences et se fait relayer par les autres
enseignants. »
Certains d’entre eux ont même tendance à hiérarchiser à tort la légitimité des compétences et de leurs complémentarités en fonction
des qualifications de chacun. Ils se rendent cependant bien compte
que ce type d’enseignement demande une collaboration entre ces
complémentarités, pour pouvoir devenir cohérent : il s’agit de créer
une osmose entre ces connaissances complémentaires.
Pas question pourtant de « formaliser l’interdisciplinarité avec des
choses extrêmement lourdes », comme le dit le Sujet K : « Il suffit de
se communiquer les choses. » Pour le Sujet F d’ailleurs, il n’y a pas
besoin de décloisonner totalement les disciplines, mais de les relier
entre elles de manière subtile.
Si chacun définit ses optiques, ses angles d’analyse, les professeurs
considèrent qu’il est indispensable de coopérer, de se rencontrer
pour se mettre d’accord et prévoir à l’avance un certain nombre de
choses.
Définir les liens
Les professeurs sont ainsi tous persuadés qu’il est nécessaire de
définir les complémentarités, de se répartir les enseignements, mais
également de créer une base commune qui permet de mettre les
choses en corrélation. Cela leur paraît indispensable de se « mettre
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Éduquer|Former, n° 43, 2012|1
d’accord sur un certain nombre d’œuvres que chacun doit étudier
dans l’année » dit l’un, « pour que les profs ne fassent pas n’importe
quoi » renchérit l’autre.
La cohérence s’établit déjà dans le choix des œuvres (beaucoup
pensent par exemple que le cinéma est une bonne approche car il
convoque un très grand nombre d’arts différents), et que cela est
intéressant si chacun les étudie non pas pour elles-mêmes, mais
réussit à « faire le lien à travers le thème » établi par l’équipe pédagogique. Le Sujet L suggère par exemple que si Guernica est étudié
selon le thème du bombardement, alors, tous les professeurs de
langue pourraient eux aussi étudier le tableau, à l’instar du professeur d’espagnol, en le comparant par exemple avec une œuvre qui
représente les bombardements de Londres, ou les bombardements
de Berlin, créant un lien avec les enseignements de civilisation dans
toutes les langues vivantes étrangères.
Chacun pense par ailleurs que l’idée de se soumettre au programme
d’histoire est plutôt une bonne idée pour pouvoir cibler les choses
par période et travailler selon la même progression, afin que les
liens historiques soient solides. Certains ont émis l’idée de suivre
le programme d’histoire, cours après cours. Ils se sont très vite rendus compte que cela serait trop compliqué pour être réalisable, de
même que de suivre le programme d’histoire chronologiquement,
dans chaque niveau.
En fonction des cas, les suggestions se sont alors divisées en deux
groupes. L’enseignement peut être réparti sur toute l’année, dans
toutes les disciplines, avec un phénomène de « piqûre de rappel »
qui n’est pas inintéressant puisque, par la répétition, il aide les
élèves à consolider les liens entre les œuvres et les repères chronologiques qu’ils ont déjà. Mais il est également possible « d’organiser
des temps forts, sur des périodes courtes », intenses et identifiées,
afin « d’étudier une œuvre tous en même temps » : cette méthode
aurait pour avantage de marquer l’esprit des élèves et de créer des
liens grâce à la simultanéité.
Principes de base pour réussir l’enseignement de l’histoire des arts
L’ensemble des professeurs émettent un certain nombre de principes
sans lesquels ils pensent que l’enseignement de l’histoire des arts,
selon cette approche interdisciplinaire, ne peut pas fonctionner.
116
Christie Douet
La formation
Tout d’abord, quelques-uns abordent la question de leur compétences. Ils sont peu sûrs d’eux, pensent ne pas avoir été suffisamment
formés sur les connaissances requises en arts pour pouvoir proposer
une qualité d’enseignement suffisante : « ça peut paraître curieux
qu’on nous demande de devenir un petit peu des spécialistes de la
peinture » ironise le Sujet F. Pour les enseignants, il paraît évident
que même s’ils travaillent ensemble, chacun doit quand même en
savoir un minimum sur les œuvres (d’où l’idée de se mettre d’accord
sur un certain nombre d’œuvres incontournables), mais de ne pas
être trop ambitieux. Ils sont conscients qu’ils doivent eux-mêmes
travailler leur culture générale sur les sujets artistiques avant de
pouvoir proposer cet enseignement.
Le rapport au temps
Les enseignants qui ont participé à l’entretien considèrent, pour
beaucoup, qu’il leur manquera du temps pour pouvoir étudier euxmêmes les œuvres définies par l’équipe pédagogique dans l’enseignement de l’histoire des arts. De plus, ils envisagent difficilement
avoir le temps de remanier toutes leurs séquences pour introduire
ces œuvres dans leur progression de cours. Certains sont également peu optimistes quant à l’obligation de les introduire dans
leurs séances, car ils pensent ne pas avoir le temps de finir leurs
programmes.
À la rigueur, ils entrevoient cet enseignement possible comme une
parenthèse entre deux séquences, mais ne voient pas bien comment
faire le lien avec leur discipline dans ce cas-là.
Principe de liberté
Par différents propos pendant la conversation, les professeurs soulèvent ouvertement la question de la liberté de l’enseignant, dans
l’exercice de sa mission. Ils expliquent qu’il est primordial, certes de
se mettre d’accord sur les œuvres à aborder dans l’année, afin qu’il
y ait une cohérence dans l’enseignement de l’histoire des arts, mais
aussi que les professeurs aient le choix de « l’intégrer ou non dans
leurs cours ». « Et de la manière qui leur semble la meilleure pour
leur discipline. » « On entre par les moyens qu’on désire. »… Et
d’ajouter que cela est aussi valable dans le temps : « les professeurs
pourraient ne pas se sentir concernés pendant un trimestre par
exemple », mais avoir envie de s’investir pendant les autres périodes
de l’année.
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Éduquer|Former, n° 43, 2012|1
Histoire des arts ou culture des arts…
Ce principe de liberté ramène également selon eux au principe
d’interdisciplinarité. Si l’histoire des arts est enseignée comme une
autre discipline, ils considèrent que cela n’a pas beaucoup d’intérêt. L’idée que le terme pourrait être à reformuler sous la forme de
culture artistique ou culture des arts séduit nombre d’entre eux. « Je
préfère et de loin le terme culture des arts, qui serait complètement
transdisciplinaire et qui ne serait pas imposé par un programme
propre. » Sans interdisciplinarité, la culture serait alors réduite à un
corpus d’œuvres précis, qui pourrait être « le même pour tous les
enfants de France », étudié sous le même angle pour tous, enseigné
par n’importe quel pédagogue. L’ensemble des enseignants est totalement contre ce totalitarisme culturel, qui nierait la diversité et
dénaturerait ce qu’est la culture en soi : l’uniformisation leur paraît
être le pire des maux pour cet enseignement.
De même, certains posent la question de savoir s’il est vraiment
nécessaire de quantifier les choses avec contrôle continu et épreuve
au brevet. Si ce n’est en termes de motivation pour les élèves,
l’aspect « gratuit » d’un enseignement de ce type leur paraît plus
intéressant qu’une notation. Ils admettent cependant que cela peut
être constructif si l’évaluation est effectuée en termes d’acquis et de
non acquis, et relaie ainsi le socle commun de connaissances et de
compétences. Dans cette optique, l’enseignement de l’histoire des
arts prend du sens. D’ailleurs, le Sujet L précise : « Ce n’est pas une
nouvelle discipline où il y a un prof précis chargé de l’histoire des
arts, parce que là on est à côté de la plaque si on fait ça. L’histoire
des arts, c’est entre les disciplines. »
Conclusion
L’interdisciplinarité est un des points particulièrement souligné
par les enseignants, qui en mesurent la complexité, mais aussi le
caractère fondamental pour l’enseignement de l’histoire des arts.
C’est donc sur cette question et les difficultés qu’elle suppose,
que se porte l’attention de l’étude dans sa phase d’analyse et de
problématisation.
De par la nature de son objet d’étude, « hybride et sans cesse changeante» (Delporte et al., 2010), l’enseignement de l’histoire des arts
nécessite une organisation indispensable à sa cohérence, mais qui
reste souple et adaptable. Par l’interdisciplinarité, l’histoire des arts
118
Christie Douet
ne se présente pas sous la forme d’un bloc disciplinaire, mais d’un
réseau entre disciplines, ce qui permet de ne pas la dénaturer, grâce
aux immenses possibilités de diversité culturelle qu’une telle organisation peut proposer.
Cependant, comme l’exprime le malaise des enseignants ayant participé à l’étude, vis-à-vis de la mise en place de l’enseignement de
l’histoire des arts, les contraintes d’un enseignement interdisciplinaire touchent un des aspects fondamentaux du métier d’enseignant,
à savoir sa liberté dans la manière de prodiguer ses connaissances
disciplinaires. S’adapter à ce type de pédagogie interpelle l’identité
de l’enseignant, car il s’agit de changer de posture pour partager,
avec ses collègues, un enseignement décloisonné et déhiérarchisé,
tout en restant identifié dans sa discipline.
De plus, l’interdisciplinarité de l’enseignement de l’histoire des arts
demande au professeur de mettre en jeu sa capacité à positionner
son travail d’histoire des arts dans sa discipline et d’adopter une
double attitude lorsqu’il prodigue son cours. Il est ainsi amené à
exercer une gymnastique intellectuelle afin d’articuler plusieurs
types de raisonnement au sein d’un même cours, chaque enseignement impliquant une manière particulière de réfléchir en fonction
de son objet d’étude, l’histoire des arts ne faisant pas exception.
La gestion de la liberté de chacun se retrouve alors au cœur de
l’enseignement de l’histoire des arts, indispensable de par sa nature
même, mais aussi car elle permet de répondre au besoin d’autonomie des enseignants. Les professeurs mettent l’accent sur la liberté
de choisir leur niveau d’implication dans cet enseignement, que
ce soit au niveau du choix des œuvres de référence abordées, de la
forme de leur enseignement ou du moment d’apprentissage.
Mais c’est surtout le choix de l’évaluation qui attire leur attention,
car la difficulté est de rester équitable, tout en appréciant des paramètres culturels, des plus diversifiés par nature. Comment en effet
évaluer la culture : « ce que nul n’est censé ignorer » (d’après une
définition de Pierre-Henri Tavoillot, maître de conférences en philosophie à l’Université de Paris–Sorbonne au XIXe siècle) et « ce qui
reste quand on a tout oublié » (Herriot, 1961).
Les grilles d’évaluation du socle commun de connaissances et de
compétences peuvent alors servir de guide aux enseignants, en tant
que base d’une évaluation à la fois diagnostique, sommative et formative, qui valorise les compétences des élèves et les aide à donner
du sens aux enseignements.
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Éduquer|Former, n° 43, 2012|1
Ainsi, se mettent en place peu à peu les nouvelles orientations du
Ministère de l’Éducation nationale, qui cherche à répondre aux
accords européens d’uniformisation des niveaux de diplôme, tout
en respectant la convention de l’UNESCO pour la protection et
la promotion des diversités culturelles, érigées au rang de patrimoine commun de l’humanité. Comme le fait remarquer Christine
Albanel (2007), « la priorité accordée à l’éducation artistique et
culturelle par les Ministères de la Culture et de l’Éducation nationale, doit être lue aussi comme un atout pour fournir à chacun les
outils du dialogue interculturel qui promeut la diversité culturelle,
à la fois révélée et mise à mal par la mondialisation ». Toute la
question est de savoir, comme le craignent certains enseignants qui
ont refusé de participer à l’étude, dans quelle mesure l’interdisciplinarité de l’histoire des arts ne débouchera pas sur la suppression
des pratiques artistiques, ni sur la disparition des professeurs d’arts
plastiques et de musique dans l’Éducation nationale, afin de respecter également les accords internationaux d’ouverture au marché des
services publics, qui comprennent en partie également les services
de l’éducation.
120
Christie Douet
Références bibliographiques
Albanel, C. (2007). De la diversité culturelle au dialogue
interculturel. Éditorial du dossier homonyme. Culture et
Recherche, 114-115, hivers 2007-2008.
Barral I Altet, X. (1989/2009). Histoire de l’art. Paris :
Presses Universitaires de France.
Delporte, C., Mollier, J.-Y. et Sirinelli, J.-F. (2010). Dictionnaire
d’histoire culturelle de la France contemporaine. Paris : Presses
Universitaires de France.
Duvin-Parmentier, B. (2010). Pour enseigner l’histoire des arts.
Regards interdisciplinaires. Cahiers pédagogiques. Amiens :
CRDP Académie d’Amiens.
Flores, C. (1972). La mémoire. Paris : Presses Universitaires de France.
Herriot, E. (1961). Notes et maximes. Paris : Hachette.
Panofsky, E. (1955/1969). L’œuvre d’art et ses significations. Paris :
Gallimard.
Werckmeister, F. L’évolution récente de l’enseignement
artistique en France. Contribution sur le site de l’Enseignement Religieux à l’École du Service diocésain de l’enseignement et de la catéchèse en Alsace : http://www.ere-oca.com/
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