Les Juifs marocains, par Sanaa el Aji
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Les Juifs marocains, par Sanaa el Aji
Panoramaroc- 7 décembre Les Juifs marocains, par Sanaa el Aji André Azoulay, conseiller du roi et président de la Fondation Anna Lindh a reçu le 25 novembre dernier à Milan le Prix Saint-Augustin pour le Dialogue interreligieux en Méditerranée. J’ai pris donc connaissance de l’information, puis je me suis mise à méditer la chose. « Le Dialogue interreligieux »… Quand donc se présentera l’inévitable commentateur qui viendra nous dire que, finalement, André Azoulay n’a reçu ce prix que parce qu’il est juif ? Je me rappelle de ce Marocain qui, un jour, voici plusieurs années, lui avait demandé de choisir entre le Maroc et Israël, empruntant ainsi un raccourci facile – mais ô combien dangereux – qui fait la confusion entre le judaïsme, le sionisme et l’appartenance à l’Etat israélien. Il y a quelques jours à peine, un chauffeur de taxi s’est mis à son tour au sarcasme, prophétisant que « l’influence des Juifs a énormément grandi au Maroc »… Je lui ai alors rappelé qu’ils sont marocains et que le Maroc est leur pays au même titre qu’il est le nôtre, mais notre ami a tenu à camper sur sa position. Où en sommes-nous donc, dans notre réalité quotidienne, de ce dialogue interreligieux et du respect de la liberté de chacun de pratiquer sa religion et du respect du droit de chacun d’appartenir à cette nation ? Je suis extrêmement gênée par la confusion faite – jusques-y compris par des étudiants et des intellectuels, ou plutôt des pseudo-intellectuels – entre le judaïsme et le sionisme. Or, le problème est que la plupart des gens assurent faire la distinction entre les deux, mais en leur parlant, on constate qu’ils terminent toujours leurs soliloques par cette affligeante réflexion que « malgré tout, un Juif restera toujours d’abord et avant tout un Juif ». Je ne comprends pas que des gens, supposément rationnels, puissent confondre Dieu et la nation. Que signifie donc que l’on parle de « l’écrivain juif Edmond Amrane el Maleh »,du « conseiller royal juif André Azoulay « ,du « chanteur juif Samy el-Maghribi », du « militant de gauche juif Abraham Serfaty », et bien d’autres encore ? Pour rester conséquents envers nous-mêmes, il nous faudrait alors parler désormais du « ministre musulman Nizar Baraka », du « sélectionneur musulman de l’équipe national de football Rachid Taoussi », de « la chanteuse musulmane Naïma Samih », et ainsi de suite… La chose semble en effet risible, mais il se trouve qu’ils sont très rares ceux qui sont dérangés par l’ajout du qualificatif « juif » aux noms des personnes de cette confession dont ils sont amenés à parler. Nous ne discutons ni n’excusons bien évidemment pas les crimes commis par Israël contre les Palestiniens, de même que nous ne justifions en aucune manière à travers ces propos toutes les abjections dont se sont rendus coupables les sionistes, mais cela ne signifie pas qu’il faille franchir le pas et confondre l’appartenance à une nation, la croyance dans une religion et la défense d’une idéologie. Et puis, si nous sommes capables de faire l’amalgame, avec toute cette facilité et même cette bêtise, entre juifs et sionistes, pourquoi donc nous plaignons-nous quand les sociétés et médias occidentaux confondent avec tant de légèreté les musulmans et les terroristes, l’islam et la violence ? C’est donc en réalité la même facilité et insignifiance qui nous conduit à exiger de citoyens marocains de choisir entre le Maroc et Israël (une affligeante « initiative » prise depuis quelques années par certains personnes), et qui fait que de nombreux responsables populistes prennent sur eux de tout mélanger et d’appeler à la violence contre les juifs marocains. Je ne suis pas ici, ni ne dit cela, pour défendre les juifs, pas plus que je n’essaie de trouver parmi les Marocains de confession juive ceux qui ne seraient pas sionistes, car j’estime que cela est déjà de nature à porter atteinte à leur dignité. En effet, entreprendre d’identifier des Marocains juifs mais non sionistes implique nécessairement que nous les accusons tous d’épouser les thèses sionistes et de s’y retrouver et que nous croyons fermement à ce que la majorité d’entre eux sont des sionistes, mêmes dissimulés, mais que nous – dans un puissant élan de générosité et un remarquable esprit de tolérance – nous essayons de trouver parmi eux des « bons »… Je refuse catégoriquement cela et je rejette vigoureusement cette classification des gens, car je considère que tous les Marocains, quelles que soient leurs religions, sont égaux dans leur amour et leur loyauté pour leur pays. Appartenir à une nation est en effet une chose, et croire à une religion en est une autre. André Azoulay, Botbol, Edmond Amraneel Maleh, Gad el Maleh, Abraham Serfaty et tant d’autres sont des Marocains comme les autres, qui ont « soixante et douze quartiers » de marocanité, comme les autres ; ils ont des droits et ils ont des obligations, de même qu’ils sont tenus de respecter les lois de leur pays, toujours comme les autres. Qu’ils soient juifs est leur affaire. Leurs croyances (ou leur absence de croyance) les concerne. Pourquoi diable demandons-nous au monde de nous respecter et de respecter notre religion alors que nous dénions le droit à des Marocains de pratiquer leurs cultes et de croire en ce qu’ils veulent ? Je comprends aisément que certains protestent contre les idées sionistes d’un Marocain, quelle que soit sa foi ; mais je n’admets pas que l’on accuse de sionisme tous les juifs marocains, jusqu’à preuve du contraire, alors que dans le même temps, nous tous, peuples, médias et militants, nous dénonçons cette accusation systématique portée contre tous les musulmans d’être naturellement des terroristes, des voleurs et des sousdéveloppés, jusqu’à preuve du contraire là aussi… Une philosophie rétrograde et une conception sous-développée, dans les deux camps… Pourquoi rejeter celles des occidentaux à l’égard des musulmans et accepter la nôtre contre les juifs ? Nous sommes, il faut le reconnaître, un peuple malade… Nous ne cessons d’évoquer cette fameuse nation arabe, à laquelle si peu de choses nous relient, et nous oublions allégrement notre pays qui affiche tant de diversité qui aurait pu l’enrichir mais qui, fort malheureusement, représente aujourd’hui une bombe à retardement entre les mains d’imbéciles ignorants…