ONANA, François-Xavier Université de douala, ENSET, Canada

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ONANA, François-Xavier Université de douala, ENSET, Canada
UN ESSAI D'ANALYSE THÉORIQUE DES MOTIVATIONS DES FEMMES À
ENTRER EN AFFAIRES AU CAMEROUN
ONANA, François-Xavier
Université de douala, ENSET, Canada
[email protected]
7ème Congrès de l’Académie de L’Entrepreneuriat et de l’Innovation
Paris, 12-15 octobre 2011
UN ESSAI D'ANALYSE THÉORIQUE DES MOTIVATIONS DES FEMMES À
ENTRER EN AFFAIRES AU CAMEROUN
Résumé
Les motivations à entrer en affaires sont généralement étudiées sous le prisme d’un
modèle générique : le modèle push et pull. A partir d’une enquête quantitative et des
observations empiriques menées au Cameroun, cet article essaie de montrer que dans
l’ensemble, les motivations de nécessité et de volonté que recouvre le modèle push/pull sont
essentiellement tirées par la recherche de l’autonomie. Un détour par la psychologie sociale
révèle l’importance du contexte et la diversité qu’il introduit dans les motivations des femmes
à entrer en affaires, notamment par le système d’apprentissage social, les valeurs du groupe
social, les normes et les lois. Ainsi, l’analyse des motivations entrepreneuriales selon la
double approche empiriste et situationnelle nous prête à avancer que si la femme occidentale,
influencée par des règles de compétition essentiellement individualistes, entre en affaires pour
accéder à une autonomie de soi, sa consœur du Sud, et singulièrement la femme entrepreneur
au Cameroun entre en affaires pour permettre à son groupe d’appartenance (famille, clan,
ethnie…), d’accéder à une autonomie économique et sociale. Les contraintes financières et
techniques expliquent la prééminence de l’entrée des femmes en affaires par le secteur
informel.
Mots clés : motivations – secteur informel – secteur formel – femmes entrepreneurs –
Cameroun
D’une manière générale, l’intérêt des chercheurs pour les problématiques associées à
l’entrepreneuriat féminin est globalement récent. En effet, les premiers travaux de recherche
focalisés entièrement ou intégrant partiellement les femmes entrepreneurs datent de la fin des
années 1970 (Brush, 1992 ; Barret, 1994 ; Richier et St-Cyr, 2007). L’importance des travaux
ainsi développés fait de l’entrepreneuriat féminin un sujet de recherche intéressant qui le situe
aujourd’hui au rang des spécialités singulières relevant du champ de l’entrepreneuriat (Filion,
1997). Mais, il convient de souligner que cette popularité de l’entrepreneuriat féminin comme
objet de recherche est restée limitée dans l’espace par rapport au contexte de réalisation des
travaux et à l’origine des auteurs. En fait, la plupart des travaux de recherche effectués sur le
sujet proviennent des Etats-Unis et du Canada (Stevenson, 1990 ; Lerner, Brush et Hisrich,
1997) et très récemment, et quoique dans une proportion moindre, de la France (Ducheneaut
et Orhan, 2000). En l’état actuel de nos connaissances, force est de reconnaître que les
chercheurs du monde francophone se sont très peu penchés sur les problématiques associées à
l’entrepreneuriat féminin (Cadieux, Lorrain et Hugon, 2002).
Pourtant la montée en puissance de l’entrée des femmes en affaires dans les pays en
développement au cours de ces vingt dernières années est clairement constatée (Chea, 2008 ;
Pillania, Lall et Sahai ; 2010), consacrant ainsi le caractère universel de cette percée des
femmes dans un monde socialement construit au masculin (Duchéneaut et Orhan, 2000).
Aujourd’hui, le nombre sans cesse croissant d’entreprises créées par les femmes en Afrique
en général, et singulièrement au Cameroun, appelle à expliquer si non pourquoi certaines
femmes sont disposées à créer plus que les autres, du moins à analyser les facteurs qui
expliquent pourquoi les femmes décident de se mettre à leur propre compte par la création
d’entreprises.
Une synthèse des travaux effectués sur l’entrepreneuriat féminin au cours des vingt cinq
dernières années a récemment été réalisée (Carrier, Julien et Menvielle, 2006). De ce bilan de
recherche, les motivations font partie des sept thèmes de recherche ayant alimenté les
réflexions des auteurs. Selon les pays, leur ordre d’importance varie quelque peu. Dans le
contexte de la France par exemple, les femmes entrent en affaires globalement parce qu’elles
recherchent l’ « autonomie et la flexibilité », la « réalisation personnelle », la « possibilité de
faire des bénéfices », la « possibilité de devenir son propre patron » (Ducheneaut et Orhan,
2000). Viennent ensuite la « reconnaissance extérieure », la « saisie d’une opportunité » et
l’ « influence de la famille ». Hughes (2006) observe que dans des recherches similaires
effectuées dans les contextes canadien, britannique et américain, les motivations d’autonomie
sont prédominantes (citées par 67 % des femmes entrepreneurs) ; elles sont suivies du besoin
d’exploiter une opportunité financière identifiée (39 %). « Relever un défi » constitue la
troisième motivation des femmes à entrer en affaires (28 %). Même si les auteurs de la
synthèse évoquée ci-dessus laissent glisser habilement que « ces thèmes ne sont pas restrictifs
et que leur importance relative n’est pas toujours du même ordre », un constat se dégage
cependant. En effet, comme bien d’autres travaux de recherche consacrés à l’entrepreneuriat
féminin ont eu à le souligner (Hayes et Robinson, 2010), cette synthèse renseigne peu sur les
réalités du sujet dans le contexte africain. Nonobstant une contribution certaine au recul de la
pauvreté et des inégalités par la création d’emplois et d’autres richesses, l’entrepreneuriat
féminin en Afrique reste globalement l’objet d’études partielles et parcellaires. A titre
d’illustration au Cameroun où le taux d’activité entrepreneuriale des femmes est compté
parmi les plus élevés en Afrique au Sud du Sahara (Rajemison, 1995), les pouvoirs publics,
les chercheurs et d’autres partenaires au développement se sont rarement interrogés sur les
motivations des femmes à entrer en affaires et encore moins à ce qui les détermine. Bien plus,
l’importance du secteur informel en Afrique et la forte présence constatée de femmes
entrepreneurs en son sein, nous amènent aussi à nous interroger sur les déterminants du choix
des femmes entrepreneurs à entrer en affaires davantage par le secteur informel.
Partant des données issues d’une enquête effectuée auprès de 117 femmes entrepreneurs,
l’objet de cette communication est de caractériser les déterminants des motivations des
femmes à entrer en affaires au Cameroun d’une part, et d’autre part, s’il y a lieu, les facteurs
explicatifs de la forte présence des femmes entrepreneurs dans le secteur informel.
Ainsi, après une tentative d’explication des fondements théoriques et conceptuels des
motivations entrepreneuriales des femmes, la démarche méthodologique retenue pour
conduire cette recherche sera présentée. Puis suivra une caractérisation des motivations des
femmes à entrer en affaires au Cameroun. La communication se terminera par une discussion
sur les déterminants de ces motivations ainsi que sur les fondements du choix d’entrer en
affaires par l’informel ou le formel.
1. Les fondements théoriques et conceptuels des motivations entrepreneuriales : un
détour par la psychologie sociale
Si les différentes approches de l’entrepreneuriat s’intéressent au concept de motivation
qu’elles abordent, soit comme une composante de la dimension cognitive (Verstraete, 2001) –
approche phénoménale de l’entrepreneuriat – soit comme une variable psychologique de
l’entrepreneur (Gartner, 1985 ; Hernandez, 2001) – approche processuelle de
l’entrepreneuriat, il convient de rappeler que c’est vers les années 1930 que le concept de
motivation a été créé par les spécialistes de la publicité subliminaire (Muchuelli, 2001). A la
base de tout ce qui pousse l’individu à l’action, la motivation renvoie à un ensemble de
facteurs conscients et inconscients agissant sur les conduites.
Le caractère abstrait du concept de motivation et l’ambition de rendre compte des
facteurs explicatifs des conduites individuelles ont donné lieu à un foisonnement de théories
regroupées en deux grandes catégories : les théories des contenus des motivations qui
expliquent par quoi on est motivé et les théories de processus des motivations qui tentent
d’expliquer comment on est motivé. Elles sont régulièrement mobilisées dans l’élucidation de
certaines problématiques associées à l’animation des hommes dans les organisations.
Ainsi, même si leur portée limitée est très souvent dénoncée (Louart, 1997), la théorie
de McClelland (besoins d’accomplissement, de pouvoir, d’appartenance), l’échelle de besoins
de Maslow ainsi que la théorie bi factorielle de Herzberg (motivations intrinsèques et
extrinsèques) s’illustrent comme les plus représentatives des théories dites de contenu et
viennent en soutien aux démarches explicatives des ressorts des comportements des acteurs en
contexte organisationnel. De même, dans le registre de récusation de la pertinence des
théories dite de contenu, les théories de processus, très souvent présentées comme les plus
pratiques et opérationnalisables, et par conséquent plus à même de faire le lien entre facteurs
motivationnels et objets motivants, dévoilent elles aussi leurs limites par rapport à leur portée
explicative puisqu’elles se fondent sur l’hypothèse de la rationalité parfaite des acteurs. A titre
d’illustration, dans la recherche des fondements ou facteurs explicatifs de l’action d’un
individu, peut-on véritablement écarter l’abstraction du lien entre l’effort et les résultats qui
en découlent ? Cet exercice semble pourtant possible au regard de la théorie des attentes.
Certes, il semble assez délicat d’interroger les ressorts psychologiques de l’action d’un
individu (la création d’entreprise) en recourant à des démarches éprouvées dans la recherche
d’éléments explicatifs du comportement des acteurs au sein d’un contexte donné
(l’entreprise). Toutefois, la visée téléologique d’une recherche portant sur les tenants
psychologiques de la décision de créer une entreprise n’est pas l’organisation dont il faut
contribuer à l’amélioration du fonctionnement mais plutôt l’identification des déterminants
psychosociologiques des motivations qui vont donner naissance à une nouvelle organisation.
En fait, il ne s’agit pas ici de rendre compte des déterminants du comportement des acteurs
(employés) que l’on voudrait pouvoir influencer. L’objectif de la recherche commande de
privilégier une démarche ontologique de l’étude des motivations à entrer en affaires en
questionnant leurs sources.
Dans cette texture et en rapport avec le foisonnement des théories de la motivation,
Muchielli (2001) a construit un cadre conceptuel qui ressort des hypothèses qui fondent les
différentes conceptions des motivations en établissant tout l’intérêt qu’il y a à aller interroger
et à prendre en compte les déterminants des motivations pour comprendre les conduites et les
comportements des individus.
Tableau 1. Les principales conceptions des motivations et positionnement de la recherche
Hypothèse
Facteurs
motivationnels
Quelle approche (s)
des motivations à la
base de l’entrée des
femmes en affaires ?
Positionnement
Conceptions
Conceptions
Conceptions
innéistes des
empiristes des
situationnelles des
motivations
motivations
motivations
Pourquoi les individus sont-ils motivés ?
Le comportement ou
Le comportement ou
Les déterminants du
les conduites sont
la conduite sont
comportement sont façonnés par le milieu
contraints par les
innés, référence aux
et l’apprentissage
réalités du contexte,
facteurs biologiques
social, référence aux références aux lois et
valeurs du groupe
normes
Besoins, désirs, tendances, impulsions, instincts…


Les motivations à entrer en affaires sont
façonnées par le milieu ou suscitées par les
réalités du contexte
Le tableau ci-dessus fait la synthèse de ce cadre conceptuel. Les possibilités d’analyse
qu’il donne jettent la lumière sur les limites de la plupart des travaux en entrepreneuriat qui se
focalisent sur les facteurs motivationnels qu’ils essayent de classer sous le prisme du modèle
push/pull. Trois conceptions des motivations résultent des travaux de Muchielli : les
conceptions innéistes des motivations, les conceptions empiristes des motivations et les
conceptions situationnelles des motivations. Si ces conceptions des motivations permettent
une lecture fructueuse des déterminants des comportements et conduites des individus de
façon générale, la double conception situationnelle et empiriste des motivations semble
indiquée dans la recherche des déterminants des motivations des femmes à entrer en affaires.
Les conceptions innéistes des motivations se réfèrent essentiellement au niveau
biologique des facteurs motivationnels en supposant qu’il existe chez l’individu des
caractéristiques fondamentales, constitutives de la nature humaine qui déterminent son
comportement. Il s’agit de forces opérant à un niveau infraconscient c'est-à-dire à l’intérieur
de l’individu et déterminant son comportement (Bandura, 1980). Au regard de la littérature en
entrepreneuriat, cette première conception des motivations renvoie à l’ensemble de travaux
que recouvre l’approche par les traits, plus singulièrement les travaux qui ont investigué sur
les traits de personnalité de l’entrepreneur et qui ont cherché à répondre à la question : « qui
devient entrepreneur ? » Même si l’unanimité semble établie sur l’absence d’entrepreneur
typique, dans la synthèse effectuée par Belley, cité par Hernandez (2000), le besoin
d’accomplissement, l’internalité du lieu de contrôle ainsi que la propension à la prise de
risque constituent des traits de personnalité positivement associés au désir d’entrer en affaires.
Ils sont plus accentués chez les entrepreneurs et permettent de les distinguer des non
entrepreneurs.
Les conceptions empiristes des motivations attribuent un rôle majeur au milieu et à
l’apprentissage social dans le déterminisme des facteurs motivationnels. En effet, les
caractéristiques de l’entrepreneur, notamment ses motivations, semblent contingentes au lieu
d’où émerge celui-ci (Verstraete et Saporta, 2006). L’emprise du contexte d’émergence de
l’acteur sur ses comportements et rationalités est une réalité qui, par rapport à la création
d’entreprises qui en résulte comme conséquence, apparaît avec plus d’acuité dans certains
contextes. Ainsi, si la culture s’affirme aujourd’hui comme une variable pertinente pour
comparer les motivations des entrepreneurs par delà les frontières ou alors, au sein d’un même
pays, entre plusieurs régions, la thèse des différences des motivations défendue par la plupart
des analyses se fonde sur l’hypothèse selon laquelle les conditions culturelles différentes sont
susceptibles de produire des entrepreneurs différents parce que les pratiques de socialisation
des enfants sont différentes dès le départ (Cochran, 1971). En réalité, c’est la perception que
les retombées du comportement entrepreneurial seront personnellement et socialement
désirables qui explique finalement la désirabilité de l’entrepreneuriat (Gasse, 2003). Mais,
cette perception est influencée par le type de valeurs que le milieu associe à l’entrepreneuriat.
Ainsi, la force du désir d’entrer en affaires peut tirer sa source dans une incitation publique,
une initiative privée de la part de « capitalistes », mais aussi, et sans doute surtout, d’une forte
légitimité culturelle et sociale associée à la fonction entrepreneuriale (Marchesnay,
Chabchoub et Ellouze, 2006).
Dans le contexte des pays développés, l’incitation publique apparaît plus qu’un adjuvant
dans les facteurs de diffusion de l’esprit d’entreprise. C’est elle qui se trouve au départ de la
création d’entreprises dans une large échelle dans des zones ou régions précises, transformées,
à l’occasion, en districts industriels, technopoles, pépinières d’entreprises, etc. On peut
évoquer l’exemple de la silicon valley aux Etats-Unis, ou les districts Marshalliens dans
l’Italie du Nord, la Catalogne en France, etc. divers démembrements de l’Etat, tels que les
collectivités territoriales décentralisées, servent souvent de bras séculier dans la
matérialisation de cette incitation publique à la création d’entreprises et à la diffusion de
l’esprit d’entreprise.
Mais comme le rappellent Durance et Mousli (2010 : 7) dans le rapport du Conseil
d’Analyse Economique, ce ne sont pas les infrastructures qui font le développement, ni même
la taille des villes ; mais l’esprit d’entreprise des habitants dont le passé a créé des liens et une
ambiance propice au désir de vivre et d’entreprendre. Dans les pays en développement et
singulièrement en Afrique, la diffusion de l’esprit d’entreprise est beaucoup plus le fait de
« familles » ou de « groupe ethnique » au point où l’entrepreneuriat comme pratique ou fait
social au sens de Mauss est associé à certaines communautés. Ces analogies culturellement
entretenues s’illustrent parfois avec force dans le contenu du référentiel des pratiques, des
usages et orientations socioéconomiques des acteurs des différentes communautés. Ainsi,
certains facteurs liés à la trajectoire historique et culturelle des communautés ethniques sont
parfois avancés pour expliquer le succès de leurs ressortissants dans les affaires. Dans sa
psychologie économique africaine, Binet (1970) donne une illustration de la géographie des
activités socioéconomiques du Cameroun à partir des aires culturelles de ce pays. Ce travail
empirique permet de comprendre pourquoi plus que les autres, les ressortissants des aires
culturelles des régions des grass field s’adonnent aux activités commerciales tandis que les
ressortissants des régions de la forêt sont plus attirés par les carrières administratives dans la
fonction publique. Même si les raisons historiques et culturelles ne peuvent pas seules
expliquer leur succès en affaires, les ressortissants Soussou en Guinée (Diakité, 2004), les
Bamilékés au Cameroun (Warnier, 1993) et les Dioulas au Mali et en Côte d’Ivoire tiennent
leur suprématie dans les affaires, d’abord dans l’importance des valeurs qu’ils accordent à la
création d’entreprise par rapport aux autres opportunités d’activités. Ensuite, ces
communautés ont un mode d’organisation socioéconomique plus contraignant qui incite les
membres à la prise d’initiative, donc à la prise de risque ; des dispositions psychologiques qui
« subliment » la nouveauté et l’innovation, et favorisent finalement la création d’entreprises.
Enfin, on a constaté que les ressortissants des groupes ethniques à fort potentialité
entrepreneuriale ont en commun, et plus que les ressortissants des autres communautés au
sein du même pays, une forte propension à l’âpreté au gain et à l’accumulation. C’est tout un
ensemble de dispositions psychologiques favorables à l’investissement, donc à la création
d’entreprises.
Les conceptions situationnelles des motivations constituent la troisième catégorie
dans la classification de Muchielli (2001). Elles renvoient à l’ensemble des motivations qui se
signalent en général à des moments qui marquent des ruptures dans la trajectoire de vie d’un
individu (fin d’une formation scolaire, universitaire ou professionnelle, licenciement, etc.).
Les ruptures peuvent être provoquées tout comme elles peuvent être subies. A l’origine, il
s’agit des forces qui agissent sur l’individu et l’incitent à dévier de sa trajectoire de vie. Selon
la littérature en entrepreneuriat, ces forces ou facteurs motivationnels découlent de
l’environnement immédiat et la situation personnelle de l’entrepreneur potentiel. C’est un
ensemble d’ « évènements déclencheurs » de sa décision d’entrer en affaires. Ces évènements
précipitatifs (Emin, 2003) encore appelés « déplacements » ou « discontinuités » au sens de
Lacasse (1990) peuvent être de nature négative ou positive. Les « déplacements » négatifs
sont ceux qui échappent au contrôle de l’individu, parce qu’imposés de l’extérieur. Arocena et
al. (1981) les assimilent à un mode traumatique de déclenchement du processus de création,
caractérisé par une rupture subie et non provoquée par le créateur. En revanche, le désir de
mettre en pratique des connaissances acquises consécutivement à une formation scolaire ou
professionnelle tout comme le besoin d’exploiter une occasion d’affaire identifiée constituent
à proprement parler des facteurs motivationnels qui caractérisent les « déplacements » positifs
du créateur.
Incontestablement, l’étude des motivations entrepreneuriales a généralement été
abordée sans grande considération de l’influence que peuvent avoir le milieu et le groupe
d’appartenance sur les motivations et finalement sur le comportement de l’individu. Pourtant,
comme le souligne Muchielli (2001), citant Parsons, toute action s’inscrit dans quatre
contextes à la fois (biologique, psychique, social et culturel) et résulte toujours d’une
interaction de forces ou d’influences provenant de chacun d’eux. La plupart des travaux
consacrés aux motivations entrepreneuriales se sont contentés de les caractériser. Cette
démarche a donné lieu à deux types de motivations qui constituent désormais les facteurs d’un
modèle générique du fait qu’elles reflètent le résultat final vers lequel convergent la plupart
des travaux qui s’intéressent aux motivations des entrepreneurs : les motivations de type push
ou les motivations de nécessité et les motivations de type pull ou les motivations de volonté.
Si les deux types de motivations apparaissent indéniablement à un moment donné dans la
trajectoire de vie de l’individu qu’elles « traumatisent » par la mise en œuvre de la décision
qui en découle (l’entrée en affaires), les motivations de volonté sont suscitées par des
évènements précipitatifs positifs (identification d’une occasion d’affaires, rencontre d’un
partenaire en affaires…). En revanche, les motivations de nécessité sont produites par un
ensemble de facteurs négatifs associés à la situation personnelle de l’entrepreneur potentiel ou
alors à son environnement immédiat (licenciement, fin d’une formation, tracasseries de
l’environnement professionnel …). Le modèle de motivations pull/push qui résulte de ce
regroupement des motivations entrepreneuriales a mainte fois été éprouvé dans l’examen
aussi bien des déterminants de l’entrée en affaires que de la performance des petites
entreprises (Robichaud, Cachon et Haq, 2010). L’observation des résultats issus de la plupart
de ces travaux révèlent cependant que ce modèle recouvre un ensemble de variables dont le
degré d’importance varie selon les contextes.
Ainsi, les motivations entrepreneuriales des femmes du contexte des pays développés
semblent recouvrer une certaine homogénéité aussi bien par rapport à ce qui les sous tend que
dans l’ordre d’importance qui a prévalu dans leur classement par les différents chercheurs qui
s’y sont intéressés. Elles semblent plus proches des motivations de type pull. En effet, il
semble que dans les pays développés, la plupart des femmes entrent en affaires au départ
d’une situation d’employée, dans une entreprise ou une administration. La création
d’entreprise apparaît alors comme une solution permettant de contourner le « plafond de
verre1 », de rompre avec les règles et carcans de l’entreprise (Cornet et Constantinidis, 2004).
66 % des femmes interrogées par ces deux auteurs dans le contexte de la Belgique
travaillaient avant de lancer leur propre activité. Les motivations à entrer en affaires seraient
donc fortement influencées par la situation professionnelle ou sociale précédant l’entrée en
affaires. Les tendances observées dans le contexte de la Côte d’Ivoire établissent que la
situation professionnelle, la force des stéréotypes socialement construits sur son rôle dans la
société ainsi que les représentations qu’elle se fait sur sa trajectoire de vie restent
déterminantes dans le désir de la femme à se mettre à son propre compte. L’enquête effectuée
par Hernandez (1997) sur les femmes entrepreneurs en Côte d’Ivoire révèle que près de 95 %
des femmes interrogées travaillaient en majorité dans le même secteur avant de créer leurs
entreprises respectives. Au Ghana, les motivations des femmes à entrer en affaires sont
portées par la force du système de soutien familial et celle des réseaux sociaux et
professionnels (Chea, 2008). Ce constat souligne l’intérêt d’interroger les déterminants de
l’entrée des femmes en affaires. Il soulève la nécessité d’approfondir des développements sur
la relation entre la situation sociale et professionnelle de la femme entrepreneur potentielle et
son désir d’entrer en affaires dans une perspective de théorisation de l’entrepreneuriat
féminin. Enfin, ce constat appelle aussi à élargir l’investigation à des candidates à la création
d’entreprises répondant à des statut socialement et professionnellement différents, et de
surcroît dans un contexte marqué par des réalités différentes. C’est ce que nous essayons de
montrer dans cette recherche.
2. Méthodologie
1
Le plafond de verre ou barrière invisible est une expression désignant le fait qu’au sein de l’entreprise, les
femmes sont empêchées de gravir les derniers échelons de la hiérarchie du fait de stéréotype endogènes et
exogènes
Le contexte de la recherche, le Cameroun, à l’instar des autres pays en développement,
se caractérise par une dualité des activités qui s’y déploient. Ces activités se regroupent au
sein de deux grands secteurs : le secteur formel et le secteur informel. Au regard de son
importance et son emprise sur l’organisation socioéconomique, le secteur informel fait partie
des caractéristiques des économies africaines qu’il contribue à singulariser. Il est entendu ici
au sens de l’Institut national de la statistique (INS), inspiré lui-même des résolutions de la
15ème conférence internationale des statisticiens du travail tenue à Genève en 1993 et qui
retient dans le secteur informel « l’ensemble des unités de production dépourvues de numéro
de contribuable et/ou ne tenant pas une comptabilité écrite formelle au sens du plan comptable
OHADA ». Évidemment, les entreprises du secteur formel sont celles qui remplissent ces
conditions d’identification et de tenue d’une comptabilité écrite au sens du plan comptable
OHADA2.
Afin de conduire notre processus de recherche, une démarche méthodologique en deux
étapes a été retenue. En effet, suite à des séminaires que nous avons animés au profit de
quelques femmes entrepreneurs basées dans la ville de Douala et à l’enquête préliminaire qui
en a découlée, une revue de la littérature a été effectuée dans un premier temps. Il s’agissait de
positionner les motivations des femmes entrepreneurs au Cameroun sur les motivations
entrepreneuriales avancées par la littérature. Dans un second temps, une enquête quantitative
conduite sur un échantillon de femmes entrepreneurs construit à partir de la base de données
la plus récente de la CCIMA3 de Douala a été effectuée. La structure de l’échantillon ainsi
constituée restitue la dualité de l’économie nationale au niveau de sa configuration. Ainsi, sur
un total de 166 femmes entrepreneurs ayant volontairement accepté de participer à l’enquête,
117 ont effectivement rempli le questionnaire, à raison de 65 femmes entrepreneurs du secteur
formel et 52 femmes entrepreneurs du secteur informel.
Il est généralement admis aujourd’hui, et bien plus qu’hier, que les hommes et les
femmes ne sont pas différents du point de vue de leurs motivations à entrer en affaires
(Cahoon, Wadhwa et Mitchell, 2010). Ceci étant, notre recherche se fonde sur un dispositif
théorique découlant à la fois de nos observations et de la littérature en entrepreneuriat, plus
précisément des motivations entrepreneuriales identifiées par Blais et Toulouse (1990). Plus
concrètement, les motivations entrepreneuriales retenues et que nous nous sommes attaché à
contextualiser sont finalement regroupées dans le tableau ci-après.
Tableau 3. Motivations à entrer en affaires
Motivations entrepreneuriales
-être mon propre patron
-m’occuper des affaires et de la famille
-être libre vis-à-vis de mon travail
-relever un défi
-être indépendante financièrement
-suivre un modèle d’homme d’affaires
-continuer une tradition familiale
-tirer profit de ma formation
-avoir plus d’influence dans mon milieu
-quitter la situation de sans emploi
-élever le statut et le prestige de la famille
-échapper aux frustrations de l’emploi précédent
-besoin d’argent pour survivre
-assurer le bien être de la famille
-faire plus d’argent pour être riche
-aider ma communauté
-assurer l’avenir de mes enfants
-établir mon propre horaire de travail
2
3
Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires
Chambre de commerce, de l’industrie, des Mines et de l’Artisanat.
Les facteurs motivationnels énumérés ci-dessus sont généralement avancés dans la
littérature en entrepreneuriat pour expliquer pourquoi les hommes et les femmes décident
d’entrer en affaires. La sélection de ces facteurs se fonde sur leur capacité à appréhender et à
rendre compte des réalités d’un contexte marqué à la fois par l’influence des systèmes
institutionnels (marché du travail, système éducatif, système financier…) et l’emprise de la
culture sur les rationalités et finalement le comportement de celui qui en émerge. En effet le
comportement de la femme entrepreneur est façonné par les valeurs de son groupe (famille,
clan, ethnie…) et auxquelles elle se réfère constamment, le besoin d’entrer en affaires n’est
pas moins influencé par l’état du contexte économique et légal dans lequel se trouve la femme
et qui fait désormais de la création d’entreprise l’ultime solution pour accéder à lautonomie.
3.
Profil des femmes entrepreneurs et de leurs motivations à entrer en
affaires
Avant d’analyser le poids des motivations des femmes à entrer en affaires, les
caractéristiques des femmes entrepreneurs et l’examen des déterminants de leurs choix
d’entrer en affaires par le secteur informel ou formel sont d’abord présentés.
Femmes entrepreneurs : caractéristiques et déterminants de l’entrée en affaires par le
formel ou l’informel
Si l’entrepreneuriat féminin comme objet de recherche connaît aujourd’hui une montée
en puissance, c’est en raison de la nécessité d’investiguer qu’appelle un certain nombre de
singularités qui ont été identifiées aussi bien chez les femmes entrepreneurs que dans les
entreprises créées par les femmes. Au Cameroun, comme dans la plupart des pays en Afrique
au Sud du Sahara, la géographie des activités économiques révèle une dualité dans leur
configuration ; dualité caractérisée par l’existence de deux secteurs plutôt complémentaires au
niveau de l’offre mais complètement différents, d’abord au regard de la lecture qu’en donne la
loi et qui apparaît dans les différentes définitions qui en découlent, ensuite par rapport aux
conditions de création des entreprises et aux modes de gestion privilégiés par leurs dirigeants :
le secteur formel et le secteur informel. Certains travaux identifient un lien positif entre
l’entrepreneuriat féminin et le secteur informel lui trouvant même une forte intensité. C’est
ainsi que le secteur informel est généralement présenté comme cadre de prédilection des
activités économiques de femmes qu’il accueille soit comme employées ou alors comme
entrepreneurs (ECAM4, 2001 ; BIT, 2007).
Voulant en savoir davantage dans le contexte singulier du Cameroun, les
caractéristiques qui permettent de cerner les femmes entrepreneurs sont présentées et
analysées. L’analyse s’étend à l’influence que ces caractéristiques sont susceptibles d’avoir
sur le choix de la femme entrepreneur à exercer ou non dans le secteur informel ou formel
lorsqu’elle décide d’entrer en affaires.
Le tableau ci-dessous donne une illustration de l’importance de ces caractéristiques et la
mesure de la force de leur relation avec le choix de la femme entrepreneur à exercer dans le
secteur informel ou formel.
Tableau 4. Caractéristiques des femmes entrepreneurs
FESF
FESI
Total
Niveau de formation
4
Enquête sur l’emploi et le secteur informel au Cameroun, Phase2, 2006.
Mesures d’association
Primaire
Secondaire
Bac
Bac+3
Plus Bac+3
Age de la femme
entrepreneur
Moins de 31 ans
31 à 35 ans
36 à 40 ans
Plus de 40 ans
10 (8,5 %)
19 (16,2 %)
9 (7,7 %)
11 (9,4 %)
13 (11,1 %)
9 (7,7 %)
18 (15,4 %)
17 (14,5 %)
18 (15,4 %)
13(11,6 %)
27 (23,1 %)
10 (8,5 %)
4 (3,4 %)
1 (0,9 %)
21 (19,7 %)
15 (12,8 %)
14 (12 %)
5 (4,3 %)
23 (19,7 %)
46 (39,3 %)
19 (16,2 %)
15 (12,8 %)
14 (12 %)
117 (100 %)
χ² = 15,236
DDL = 4
Sig. = 0,05
Contingence = 0,337
30 (25,6 %)
33 (28,2 %)
31 (26,5 %)
23 (19,7 %)
117 (100 %)
χ² = 12,33
DDL = 3
Sig. = 0,006
Contingence = 0,313
α = 0,05
Expérience
professionnelle avant
l’entrée en affaires
Oui
Non
43 (36,8 %)
19 (16,2 %)
31 (26,5 %)
24 (20,6)
74 (63,2 %)
43 (36,8 %)
117 (100 %)
χ² = 2,123
DDL = 1
Sig. = 0,146
Contingence = 0,131
α = 0,05
Situation
matrimoniale
Mariées
Célibataires
Divorcée
42 (35,9 %)
15 (12,8 %)
5 (4,3 %)
34 (29,1 %)
16 (13,7 %)
5 (4,2 %)
76 (65 %)
31 (26,5 %)
10 (8,5 %)
117 (100 %)
χ² =0,457
DDL = 2
Sig. = 0,796
contingence = 0,062
α = 0,05
χ² = 0,001
DDL = 1
Sig. = 0,972
Contingence = 0,003
α = 0,05
Existence
d’un
entrepreneur dans la
famille
Oui
Non
37 (31,6 %)
25 (21,4 %)
33 (28,3 %)
22 (18,7 %)
70 (59,9 %)
47 (40,1 %)
117 (100 %)
Capital de départ
Moins de 100 000
100 001-300 000
300 001-500 000
500 001-1000 0000
1000 001-1500 000
1500 001-3000 000
3000 001-5000 000
Plus de 5000 000
5 (4,3 %)
7 (6 %)
9 (7,7 %)
5 (4,3 %)
11 (9,4 %)
11 (9,4 %)
6 (5,1 %)
8 (6,8 %)
5 (4,3 %)
19 (16,1 %)
16 (13,7 %)
9 (7,7 %)
2 (1,7 %)
3 (2,6 %)
1 (0,9 %)
0 (0 %)
10 (8,6 %)
26 (22,1 %)
25 (21,4 %)
14 (12 %)
13 (11,1 %)
14 (12 %)
7 (6 %)
8 (6,8 %)
117 (100 %)
χ² = 30,706
DDL = 7
Sig. = 0,000
Contingence = 0,456
α = 0,05
FESF : femmes entrepreneurs du secteur formel ; FESI : femmes entrepreneurs du secteur informel
Ce tableau permet de savoir que sur les 117 femmes entrepreneurs enquêtées, 94 (c'està-dire 80, 3 %) au moins ont le niveau du secondaire. En révélant ainsi que le niveau de
formation scolaire des femmes qui entrent en affaires dans ce contexte est élévé, ces résultats
indiquent que les problèmes de formation insuffisante des femmes entrepreneurs
généralement avancés par certaines études (BIT, 2005 ; Tchamanbé et Tchouassi, 2001) sont
davantage liés à la formation professionnelle, en gestion notamment, qu’à une insuffisance de
la formation académique. En effet, 48 ( soit 41 %) femmes entrepreneurs sont titulaires du
Bac ; 14 (12 %) femmes entrepreneurs disposent au moins d’un diplôme équivalent à la
licence (Bac + 3). Bien que ne défendant pas l’ambition d’une généralisation, fut elle à
l’échelle nationale, ces résultats recouvrent des réalités à analyser au regard de la littérature en
entrepreneuriat.
Ce niveau de formation relativement élevé et constaté chez les femmes entrepreneurs est
en phase avec le taux de scolarisation du pays estimé à 63,4 % (PNUD, 2001). C’est une
conséquence du relâchement progressif de certains préjugés défavorables sur la formation des
femmes et qui permet finalement un accès égal des hommes et des femmes à la formation
scolaire. Néanmoins, par rapport au nombre d’années de formation, le taux de 41 % constaté
au Cameroun pour ce qui est de la formation post secondaire reste faible à côté des 71 %
enregistrés au Québec (Borges, Simard et Filion, 2005). Dans le contexte québécois, 29 % de
femmes entrepreneurs justifient même d’une formation post licence contre 12 % des femmes
enquêtées dans le contexte du Cameroun. C’est ce qui expliquerait la quasi absence des
femmes entrepreneurs du Cameroun dans les secteurs technologiques et techniques.
Certaines études établissent un lien positif entre le niveau de formation académique et la
propension à créer une entreprise. Ainsi en France, le rapport entre les femmes créatrices
d’entreprises et la population féminine totale de plus de 15 ans, selon le niveau de formation,
est estimé à 10 % chez les créatrices sans diplômes et à 88 % chez celles qui ont un niveau de
formation bac + 3 (Duchéneaut et Orhan, 2000 : 88). Les données issues de notre enquête
révèlent le même constat mais avec une prépondérance des femmes entrepreneurs ayant arrêté
leurs études au niveau du secondaire (39,3 %). Mais le plus intéressant dans ces résultats se
trouve dans leur distribution entre les secteurs formel et informel. En effet, les résultats
indiquent l’existence d’une relation significative entre le secteur d’activité (secteur formel vs
secteur informel) et le niveau de formation de la femme entrepreneur. Les femmes
entrepreneurs justifiant d’un niveau de formation post bac semblent avoir une préférence pour
le secteur formel tandis que celles qui ont un niveau secondaire et moins privilégieraient le
secteur informel.
25,6 % des femmes entrepreneurs de notre échantillon ont moins de 31 ans. Alors que
plus de la moitié (soit 54,7 %) ont un âge compris entre 31 et 40 ans. 19, 7 % des femmes
entrepreneurs sont âgées de plus de 40 ans. Ces résultats contrastent avec les résultats obtenus
en France où 33 % seulement de femmes entrepreneurs ont moins de 40 ans (Duchéneaut et
Orhan, 2000) et au Québec où la proportion est estimée à 36 % (St-Cyr, 2001). Ce
déséquilibre peut se justifier par le fait que contrairement au Québec ou en France où les
femmes entrent généralement en affaires au départ d’une situation d’employée, au Cameroun
comme dans la plupart des pays en Afrique au Sud du Sahara, c’est à l’âge de 30 ans que la
plupart des femmes entre dans la vie active, soit comme employée ou en s’établissant à leur
propre compte.
Les femmes mariées sont majoritaires dans l’échantillon. Elles possèdent le plus
d’entreprises dans le secteur formel. Ce résultat renseigne sur les contours de la trajectoire
entrepreneuriale des femmes. En dehors de celles qui ont un niveau de formation élevé, les
femmes entrent en affaires essentiellement par le secteur informel. Les coûts d’entrée dans ce
secteur étant réputés faibles par rapport aux coûts de formalisation. L’entrée dans le secteur
formel se fait plus tard quand l’affaire a gagné en envergure. En général, la femme accède à
cette phase de son parcours entrepreneurial quand elle est déjà mariée.
Le capital de départ se révèle aussi comme une variable force dans les déterminants de
l’entrée des femmes en affaires. Il est positivement associé au choix d’entrer dans le secteur
informel ou dans le secteur formel. En effet, les résultats obtenus à l’issue de l’enquête
indiquent que plus le capital de départ est important plus la chance que la femme entre en
affaires par le secteur formel est grande. On trouve là une explication de la forte présence des
femmes entrepreneurs dans le secteur informel. Près de 53 % des femmes entrepreneurs de
l’échantillon sont entrées en affaires avec un capital de départ inférieur ou égal à 500 000
FCFA, dont plus de 33 % dans le secteur informel. La proportion tombe à moins de 13 %
pour les femmes entrées en affaires avec un capital supérieur à 500 000 FCFA. C’est plus par
contrainte que par volonté que les femmes entrent en affaires par le secteur informel.
Globalement, les caractéristiques des femmes entrepreneurs ont été présentées. Elles
recouvrent des spécificités susceptibles de défendre la singularité de l’entrepreneuriat féminin
en Afrique. Ces spécificités tiennent notamment à l’âge de la femme entrepreneur, son niveau
de formation, le niveau du capital de départ qui détermine son entrée en affaires dans le
secteur formel ou dans le secteur informel. Si les caractéristiques des femmes entrepreneurs
de l’échantillon dégagent des tendances qui établissent leur spécificité par rapport aux
femmes entrepreneurs des pays du Nord, il convient maintenant d’examiner ce que recouvrent
leurs motivations.
4.
Entre les références aux valeurs du groupe et la situation de la
femme entrepreneur : la prééminence des motivations
communautaires et d’autonomie
La littérature récente en entrepreneuriat ne pointe pas de différences significatives entre
hommes et femmes en matière de motivations à entrer en affaires ; rendant du coup recevable
le dispositif de recueil de données utilisé et dont les variables sont issues, pour la plupart, des
conclusions des premiers travaux sur les motivations fondés sur des échantillons
d’entrepreneurs essentiellement masculins. 19 variables motivationnelles ont été finalement
retenues et servies à la construction d’une échelle de mesure des motivations à entrer en
affaires. La cohérence de l’échelle a été éprouvée par un test de validité qui, avec un alpha de
Cronbach de 0,781 a finalement révélé une très bonne fiabilité du dispositif utilisé. Les
composantes découlant du modèle factoriel retenu sont présentées dans le tableau ci-dessous.
Tableau 5. Analyse factorielle en composantes principales des motivations entrepreneuriales
des femmes (après rotation varimax)
Composantes et variables
Composante I (motivations d’autonomie1)
Etablir mon propre horaire de travail
Etre libre vis-à-vis de mon travail
Etre mon propre patron
Etre indépendante sur le plan financier
Composante II (motivations d’autonomie2)
Faire plus d’argent et être riche
Avoir plus d’influence dans mon milieu
Echapper aux frustrations de l’emploi précédent
Composante III (motivations communautaires1)
Aider ma communauté
coefficients
Variance en %
Réelle Interne
0,836
0,790
0,744
0,621
21,838
33,53
0,784
0,669
0,659
9,175
14,09
0,814
8,637
13,25
S’occuper des affaires de la famille
0,667
Composante IV (motivations communautaires2)
Assurer l’avenir des enfants
0,777
7,301
Assurer la sécurité et le bien être de la famille
0,675
Elever le statut et le prestige de la famille
0,512
Composante V (motivations d’évasion)
Continuer la tradition de la famille
0,671
6,520
Quitter la situation de sans emploi
0,661
Besoin d’argent pour vivre
0,657
Composante VI (motivations de défi1)
Suivre un modèle d’homme d’affaires
0,619
6,099
Relevé un défi
0,611
Composante 7 (motivations de défi2)
Tirer meilleur profit de ma formation
0,815
5,574
Total
65,143
Mesure de précision d’échantillonnage de Kaiser-Meyer-Olkin
Test de sphéricité de Barlett
χ²
DDL
Signification de Barlett
Alpha de Cronbach
11,21
10,00
9,36
8,56
100
0,689
526,721
171
0,000
0,781
Le modèle factoriel explique 65 % des motivations des femmes à entrer en affaires.
Même si près de 35 % de ces motivations restent inexpliquées par les variables choisies, les
valeurs des tests KMO et Barlett justifient l’intérêt de remplacer les 19 variables initiales par
7 composantes ou principaux facteurs explicatifs de l’entrée des femmes en affaires. Les
résultats de la recherche révèlent finalement sept types de motivations entrepreneuriales chez
les femmes entrepreneurs au Cameroun, avec une prééminence des motivations d’autonomie
et communautaires.
L’analyse en composantes principales a dégagé sept facteurs représentant désormais les
types de motivations entrepreneuriales des femmes dans le contexte du Cameroun. Cependant,
trois principaux types de motivations entrepreneuriales et qu’il convient d’analyser se
dégagent du tableau 5 : « les motivations d’autonomie », « les motivations communautaires »
et « les motivations de survie ».
 La première composante regroupe les motivations d’autonomie de type 1. Avec une
variance interne de 33,53 %, ces motivations sont d’un grand intérêt pour les répondantes. En
effet, les femmes entrepreneurs enquêtées expliquent leur entrée en affaires par le désir d’être
indépendantes sur le plan financier, mais surtout d’accéder à une autonomie par rapport à la
conduite et à l’organisation de leur travail. Pour la majorité de ces femmes, obtenir une
flexibilité et plus d’autonomie dans l’organisation de leur travail devient une possibilité en
créant soi même sa propre entreprise. La hiérarchie des variables caractéristiques des
motivations d’autonomie laisse transparaître l’influence de la situation sociale ou
professionnelle précédant l’entrée de la femme en affaires. En effet, même si une proportion
de femmes ne justifiant pas d’une expérience professionnelle avant leur entrée en affaires
(36,8 %) a été introduite dans l’échantillon, l’envie d’en finir avec les « tracasseries de
l’organisation » semble manifestement sous tendre le désir des femmes à créer.
 Les motivations d’autonomie de type 2 sont constitutives de la deuxième
composante du modèle factoriel. A la différence des motivations d’autonomie du type 1, ce
groupe de motivations exprime le désir d’affirmation de la femme vis-à-vis du contexte d’où
elle émerge. Comme dans la plupart des pays en Afrique au Sud du Sahara, les femmes
subissent de nombreuses contraintes dans les sociétés patriarcales au Cameroun (Yana, 1997).
Dans la famille, à l’école ou en entreprise, les rapports entre Hommes et Femmes et les
représentations qu’ils ont de leurs rôles respectifs renvoient aux modèles culturels transmis au
sein de chaque ethnie et intériorisé dans le processus de socialisation. Mais les comportements
observés dans le contexte actuel commencent à s’écarter de ce schéma traditionnel.
Aujourd’hui, dans la plupart des villes africaines, des changements réels sont perceptibles
dans les rapports sociaux. Des changements qui s’imposent par les effets inévitables de la
mondialisation et qui détonnent sur les rapports que des individus entretiennent avec leurs
cultures d’origine, provoquant généralement un relâchement de l’emprise des normes et
valeurs caractéristiques des cultures sur le comportement social. A titre d’illustration, l’argent
qui apparaît comme la variable la plus importante au sein de la deuxième composante de notre
modèle, est un moyen d’échange qui s’impose désormais comme tel en Afrique où dans un
passé pas assez lointain, les échanges étaient basés essentiellement sur le troc. De nos jours,
l’argent confère autorité et pouvoir à celui qui le possède sur son environnement. Dans
certaines sociétés, comme l’Ouest du Cameroun par exemple, l’accumulation de l’argent en
tant que richesse permet même d’accéder à certains titres nobiliaires à l’accès pourtant
lignagère (Warnier, 1993).
Les motivations communautaires sont regroupées au sein des composantes 3 et 4. Le
poids de la variable « aider ma communauté » donne une indication sur l’étendue de la
famille. Il illustre la longueur et l’importance de la chaîne des attentes que doit
nécessairement tirer tout acteur qui a réussi dans ce contexte. En effet, la famille dans le
contexte africain dépasse le cadre restreint que lui réserve sa conception moderne ou
occidentale (père, mère et enfants). C’est une famille dynastique avec des contours difficiles à
délimiter. C’est ainsi qu’on retrouve facilement, vivant sous un même toit, le père, la mère,
les enfants et des membres des deux belles familles (la famille du mari et celle de la femme).
Evidemment, pour les deux époux, cela représente un ensemble complexe d’attentes et de
besoins à satisfaire. Si la théorie néo institutionnelle présente l’entreprise comme un lieu
d’internalisation des coûts du marché, plus que dans d’autres contextes, en Afrique,
l’entreprise apparaît comme un lieu d’internalisation des coûts sociaux. En Afrique, l’acteur
qui a réussi (la femme entrepreneur dans notre cas) a des « obligations communautaires ».
Elle doit apporter des réponses favorables aux sollicitations de sa communauté d’origine. Cela
semble d’autant plus important que la famille intervient de façon prépondérante dans
l’alimentation du processus entrepreneurial en ressources matérielles, financières et humaines.
Ce potentiel du projet entrepreneurial en termes de satisfaction des attentes familiales et
communautaires en fait un facteur qui influence positivement l’attraction ; c'est-à-dire la
désirabilité de l’entrepreneuriat.
Par ailleurs, dans la répartition des rôles sociaux notamment, l’éducation des enfants
semble davantage relever de la sphère des obligations de la femme dans le contexte africain.
Faire face à cette exigence devient donc une obsession pour la femme d’autant plus que
l’ « avenir des enfants » en dépend. Ce qui tend à établir que si la performance économique
constitue d’une manière générale l’un des objectifs dont la réalisation assure la pérennité de
l’entreprise, la pérennité de l’entreprise créée par la femme dans le contexte africain semble
reposer sur un bon arbitrage entre coûts sociaux et coûts de marché. La prééminence des coûts
sociaux qu’induisent les contrats (implicites et explicites) au sein de l’entreprise soumet le
fonctionnement de cette dernière non plus à la coordination de l’autorité de la femme
entrepreneur mais à « un mode de coordination sociale et communautaire ».
Néanmoins, par delà les sociétés le poids des « contraintes communautaires » reste à
relativiser. Tout comme il semble important de souligner qu’à l’intérieur de chaque
communauté, les contraintes de la vie moderne aidant, apporter des réponses aux appels de la
communauté ne constitue pas toujours une démarche unanimement partagée par l’ensemble
des membres. En adoptant une stratégie de contournement de la pression de la parentèle,
certains entrepreneurs réussissent à transformer la contrainte de la communauté d’origine en
opportunité au double plan économique et social. Cet endiguement de la parentèle (Warnier,
1993) permet de préserver la pérennité de l’affaire tout en se mettant à l’abri des pressions de
la communauté. Elle consiste pour les entrepreneurs Bamilékés par exemple, en matière de
recrutement du personnel, à recruter les membres de la famille de préférence dans des
entreprises peu rentables.
Les cinquième et sixième composantes de notre modèle factoriel recouvrent les
motivations d’évasion. Découlant essentiellement d’ « évènements préciptatifs négatifs », le
besoin d’évasion est une motivation associée au désir de quitter une situation (active ou non)
manifestement peu enthousiasmante par rapport à la situation d’emploi à laquelle l’on aspire.
Cette motivation est généralement forte chez les chômeurs et les jeunes diplômés à la
recherche d’un premier emploi. Elle est également accentuée chez les employés qui se
trouvent dans des conditions d’emploi précaires ou chez ceux qui partagent le sentiment que
leurs compétences ne sont pas suffisamment valorisées. Dans la littérature en entrepreneuriat,
ce type de motivations est souvent associé aux facteurs explicatifs de l’entrée en affaires de
micro entrepreneurs locaux dans le contexte des pays en développement (Torrès, 2001 ;
Saporta et Kombou, 1999). En Asie, ces motivations sont plus accentuées chez les femmes
entrepreneurs (Das, 2000 ; Tambunan, 2009) qui, dans la plupart des cas entrent en affaires
pour « s’occuper » ou parce qu’elles sont contraintes par des circonstances difficiles (décès de
l’époux, difficultés financières de la famille…). Chez les femmes entrepreneurs enquêtées, si
l’évasion constitue un facteur explicatif indéniable de l’entrée en affaires, il s’agit plus d’une
évasion par rapport aux contraintes auxquelles la femme entrepreneur potentielle fait face tant
au niveau de la famille que dans son milieu professionnel. Ainsi, l’entrée en affaires va
permettre à l’entrepreneur potentiel d’accéder à l’argent dont elle a besoin pour vivre et faire
vivre les membres de la famille ou alors d’échapper aux frustrations subies dans sa situation
d’employée.
La dernière composante du modèle factoriel regroupe les motivations de challenge ou
de défi. Ce type de motivation qu’on pourrait facilement associer au need for achievment se
trouve plus accentué chez les femmes entrepreneurs totalisant un nombre élevé d’années de
formation. Le challenge caractérise aussi les femmes entrepreneurs dont l’entrée en affaires a
fortement été influencée par l’existence d’un modèle d’entrepreneur dans l’entourage
immédiat. Dans le contexte singulier du Cameroun, les motivations de challenge ou de défi
révèlent aussi leur lien positif avec l’entrée des femmes en affaires dans le secteur formel. Du
coup apparaît de façon implacable la relation entre le niveau de formation et la création
d’entreprises à forte valeur ajoutée, les entreprises technologiques notamment. Le niveau de
formation généralement faible des entrepreneurs potentiels dans les pays en développement ne
fait pas jouer l’influence du modèle d’entrepreneur en faveur de la création des entreprises
technologiques pourtant plus créatrices de valeurs. Cette situation semble plus marquée chez
les femmes dont le taux de formation scolaire et professionnelle reste faible malgré
l’évolution favorable des politiques locales de formation.
5. Discussion des résultats de la recherche
En nous référant à la littérature en entrepreneuriat, les résultats obtenus par cette
recherche polarisent essentiellement sur deux aspects liés, l’un aux caractéristiques
psychologiques de la femme entrepreneur (les motivations à entrer en affaires) et l’autre aux
conditions de mise en œuvre de l’entreprise ; on parlera, dans une optique explicative, de la
dimension praxéologique de l’entrepreneuriat (Verstraete, 2001) non pas comme un
phénomène, mais comme un processus conduit principalement par la femme entrepreneur
avec un intérêt particulier sur les déterminants de son choix d’entrer en affaires par le secteur
formel ou informel.
Motifs d’entrer en affaires : autonomie personnelle vs autonomie communautaire
Le modèle factoriel a conduit au regroupement des motivations entrepreneuriales en six
grandes catégories. Ces facteurs enclencheurs de l’entrée des femmes en affaires recouvrent
des réalités qui appellent des explications par rapport à leurs spécificités et du point de vue de
leurs fondements. La nécessité et la volonté étant indéniablement des antécédents de la
décision d’entrer en affaires, c’est incontestablement que le modèle push/pull domine les
résultats de la plupart des travaux qui s’intéressent aux motivations des entrepreneurs.
Seulement ce modèle dichotomique qui peut aujourd’hui réclamer une portée universelle se
limite à expliquer par quoi l’entrepreneur potentiel est motivé établissant ainsi la suprématie
des théories de contenue des motivations. Il reste impuissant devant la nécessité de préciser
les déterminants de ces motivations, donc leurs fondements comme l’impose pourtant la
diversité des contextes et des environnements d’où émergent les entrepreneurs potentiels.
Dans tous les cas, les motivations entrepreneuriales semblent de types push ou de type pull, et
ce, quel que soit le contexte. Mais la force explicative de ce modèle est faible lorsque certains
référents contextuels (système d’apprentissage social, valeurs socioculturelles, normes,
lois…) ne sont pas pris en compte ; d’où la nécessité d’étudier les motivations
entrepreneuriales sous la double approche empiriste et situationnelle.
Dans le contexte du Cameroun, à l’instar des autres pays de l’Afrique au Sud du Sahara,
la division sexuée des tâches est de nature hiérarchique. Elle constitue une réalité qui a connu
cependant une évolution dans le temps. En effet, d’une division primaire qui réservait les
activités de faible valeur ajoutée aux femmes (productions vivrières), les cultures
d’exportation (cacao, café, coton…) étant essentiellement effectuées par les hommes, les
activités socio économiques des femmes ont connu un enrichissement dans la quantité et
même dans la qualité. Le positionnement de cette évolution par rapport à l’entrepreneuriat
s’illustre par le nombre de plus en plus accru d’entreprises créées par les femmes et même
dans les secteurs réputés essentiellement masculins. La division sexuée des tâches a eu
l’avantage de donner aux femmes une certaine autonomie financière ; elles étaient libres
d’utiliser à leur guise leur production et les revenus générés (Guérin, 2008). Cependant cette
division des tâches, toujours effective, est assortie d’une répartition des responsabilités ; aux
pères la responsabilité économique et la protection de la famille ; aux femmes le devoir de
procréer et d’assumer l’éducation des enfants (Diop, 1981). Devant le poids de plus en plus
croissant des responsabilités à assumer par les femmes dans le cadre familial, le cadre
institutionnel plus incitatif à l’initiative privée (promotion de l’entrepreneuriat féminin,
création d’organismes de soutien et d’accompagnement strictement dédiés aux femmes
entrepreneurs…) et la position favorable de l’entrepreneuriat dans le système de valeurs
partagées par la communauté constituent le ferment de sa faisabilité et sa désirabilité par les
femmes. C’est donc moins aux types de motivations (push vs pull) qu’il est utile de
s’intéresser qu’aux effets des valeurs du groupe, des lois et normes du contexte sur le
comportement de la femme. En effet, si la motivation c’est ce qui pousse à agir, le désir de
passer à l’acte a besoin d’une légitimité sociale qui le rend désirable et d’un dispositif
institutionnel qui facilite sa faisabilité. D’où la nécessité d’aborder les motivations des
femmes à entrer en affaires sous une approche empirico-situationnelle.
En effet, qu’il soit par volonté ou par nécessité, le désir d’accéder à l’autonomie
constitue la principale motivation à entrer en affaires. L’autonomie est marquée toutefois de
l’empreinte des réalités socioéconomiques du contexte. Ainsi l’entrée en affaires des femmes
dans les pays développés serait dominée par des motifs d’affirmation personnelle tandis qu’en
Afrique au Sud du Sahara, par la création d’entreprise, la femme accède à une autonomie qui
lui permet de faire face aux obligations familiales et communautaires, tel que le lui imposent
la culture et la précarité économique et sociale de son environnement. En effet, comme
l’illustre la figure ci-dessous, si l’accès à l’autonomie constitue finalement la caractéristique
principale des motivations des femmes à entrer en affaires, force est de constater que cette
autonomie se partage entre l’individualisme et le communautarisme.
Figure 1. Entrée en affaires des femmes : individualisme vs communautarisme
Apprentissage social
Valeurs du groupe
Normes
Lois
Motivations Push/Pull
Etablir mon propre horaire de travail
Etre libre vis-à-vis de mon travail
Etre mon propre patron
Etre indépendante sur le plan financier
Faire plus d’argent et être riche
Avoir plus d’influence dans mon milieu
Echapper aux frustrations de l’emploi précédent
Création d’entreprise
=
Autonomie personnelle
(individualisme)
Création d’entreprise
=
Autonomie de la famille
(communautarisme)
Entrée en affaires par le secteur informel : Prééminence de la nécessité sur une volonté
apparente
Le deuxième aspect exploré par cette recherche concerne les conditions d’entrée des
femmes en affaires au Cameroun. Il s’agissait de pointer les déterminants du choix d’entrer en
affaires par le secteur formel ou par le secteur informel. Les conditions d’entrée en affaires
par le secteur informel (absence totale de barrières à l’entrée) font de ce dernier le cadre
d’exercice idéal des micro entrepreneurs aux moyens de financement modestes ; une catégorie
qui compte l’essentiel des femmes qui entrent en affaires. Dans le contexte du Cameroun, le
secteur informel n’est pas exclusivement réservé aux micro entrepreneurs. L’accès au secteur
formel soumet l’entrepreneur à des obligations administratives qui ont des répercussions sur
les finances et sur l’organisation interne de l’entreprise (identification de l’entreprise et du
personnel, lorsqu’il existe, auprès des administrations fiscale (impôts) et parafiscale (CNPS5),
tenue d’une comptabilité conforme à l’OHADA, etc.). Un ensemble de contraintes
inaccessible pour la majorité des femmes entrepreneurs. Les résultats de la recherche révèlent
cependant l’existence d’un lien positif entre certaines caractéristiques de la femme
entrepreneur et son choix d’entrer en affaires par le secteur informel ou formel. Il s’agit
notamment de l’âge de la femme entrepreneur, son niveau de formation, le niveau de son
capital de départ ainsi que l’existence d’un modèle d’entrepreneur dans la famille. Néanmoins
en dehors de cette dernière caractéristique, comme l’attestent les coefficients de contingence
correspondants, la force de l’association reste globalement faible. L’association semble se
consolider avec le temps qui lui-même contribue à la consolidation de l’affaire initiée par la
femme. Ce qui indique finalement qu’il existe un lien positif entre l’envergure (financière et
structurelle) de l’affaire et le secteur formel en dépit de la présence en son sein de micro
entreprises.
Conclusion et perspectives
A défaut d’inviter à une relecture des motivations des femmes à entrer en affaires de
façon générale, les résultats obtenus par cette recherche tendent à établir un fait : qu’elles
soient de type push ou de type pull, les motivations à entrer en affaires des femmes sont
essentiellement des motivations d’autonomie, d’une part, et d’autre part, que leur
caractérisation doit tenir compte de l’influence des réalités socioéconomiques et du niveau de
développement du contexte d’où émerge la femme entrepreneur. Dans cette veine et au regard
des résultats obtenus, l’on peut se prêter à avancer que si la femme occidentale, influencée par
des règles de compétition essentiellement individualistes (Albagli, 1996) entre en affaires
pour accéder à une autonomie de soi, sa consœur du Sud, et singulièrement la femme
entrepreneur au Cameroun entre affaire pour permettre à son groupe d’appartenance (famille,
clan, ethnie…), d’accéder à une autonomie économique et sociale. Finalement, par rapport au
développement de l’entrepreneuriat féminin, ces résultats appellent à s’intéresser moins à la
caractérisation des facteurs motivationnels qu’à travailler à la valorisation des systèmes
d’apprentissage sociaux, à l’identification des normes et lois propices à la diffusion de l’esprit
d’entreprise en Afrique, et singulièrement au Cameroun.
Références bibliographiques
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