alerte client - Gide Loyrette Nouel

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alerte client - Gide Loyrette Nouel
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OBLIGATIONS DE COMMUNICATION
D’INFORMATIONS A L’ETRANGER :
La Cour d’appel anglaise juge que la « loi de blocage »
française ne fait pas obstacle à ce que des défendeurs
français soient enjoints de produire des informations
dans le cadre de procédures en Angleterre.
Si vous êtes impliqué dans une procédure judiciaire au Royaume-Uni et détenez des
documents utiles à la procédure situés en France (que vous ayez ou non la nationalité
française) ou ailleurs (dans le seul cas cette fois où vous êtes ressortissant français), le risque
est important que vous soyez confronté au dilemme suivant : soit refuser de vous conformer à
une décision anglaise ordonnant la communication d’informations (et risquer une procédure
pour contempt of court1), soit refuser de s’y conformer et risquer d’être poursuivi pénalement
en application d’une loi française qui interdit ni plus ni moins de se conformer à une telle
décision. Que faire? Malheureusement, la récente décision de la Cour d’appel anglaise dans
l’affaire Servier2, confirme ce problème mais n’apporte aucune solution concrète.
CONTEXTE
Les tensions qui entourent la communication d’informations à l’étranger sont liées aux
différences essentielles qui existent entre les systèmes judiciaires des pays de tradition
romano-germanique et des pays de Common law.
Les pays de Common law exigent généralement la production de tous documents qui tout à la
fois aident une partie et en gênent une autre, et quelle qu’en soit la forme, en ce compris ceux
stockés électroniquement tels que des emails. Le champ d’une telle production peut donc
s’avérer vaste. Aux Etats-Unis, l’obligation de production peut porter non seulement sur des
informations pertinentes et utiles au litige mais également sur des informations qui permettront
la divulgation ultérieure d’autres informations utiles. Cette obligation peut porter sur des
informations situées en dehors du territoire américain. En Angleterre, cette obligation de
communication peut également s’avérer très lourde, comme le montre l’affaire Digicel v Cable
& Wireless LLC dans laquelle un examen initial portant sur plus d’un million de documents fut
considéré comme insuffisant (signalé dans [2008] EWHC 2522). En revanche, les pays de
tradition romano-germanique ont une approche bien plus restrictive des procédures de
1
Une société reconnue coupable de contempt of court peut être condamnée à une amende d’un montant
illimité et ses dirigeants emprisonnés pour une durée maximum de deux ans.
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Appels joints dans les affaires Secretary of State for Health and Ors v Servier Laboratory Ltd and Ors;
National Grid Electricity Transmission Plc v ABB Ltd and Ors [2013] EWCA Civ 1234.
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communication d’informations. En droit français, par exemple, chacune des parties a la charge
de prouver les faits sur lesquels elle fonde ses arguments et il n’existe aucune obligation
générale de divulgation. Dès lors, chaque partie est libre de décider quels documents produire
ou non. Un tribunal ne pourra ordonner à une partie (ou même à un tiers) la production forcée
d’un document que sous des conditions très strictes (parmi lesquelles la preuve qu’un
document dûment identifié et en possession du destinataire de la demande de production est
nécessaire à la résolution du litige).
« Les tensions qui entourent la communication transfrontalière
d’informations sont liées aux différences essentielles qui existent
entre les systèmes judiciaires des pays de tradition romanogermanique et des pays de Common law »
DECISIONS DANS L’AFFAIRE SERVIER
Les procédures d’appel dans cette affaire faisaient suite à des questions préjudicielles
(« interlocutory orders ») introduites dans le cadre de deux actions au fond distinctes engagées
en Angleterre contre les membres de cartels accusés de violer le droit européen de la
concurrence. Dans l’une de ces procédures, il avait été enjoint aux défendeurs français de
fournir des informations supplémentaires qui auraient permis au demandeur de construire son
argumentation. Dans l’autre, il avait été ordonné aux défendeurs français de produire certains
documents.
Dans ces deux affaires, les défendeurs ont fait valoir qu’ils ne pouvaient faire droit à ces
demandes sans risquer de violer les dispositions de la loi française n° 68-678 du 26 juillet
1968, telle que modifiée par la loi n° 80-538 du 16 juillet 1980 (la ‘loi de blocage’).
L’article 1 bis de la Loi de blocage dispose que :
« Sous réserve des traités ou accords internationaux et des lois et règlements en vigueur, il est
interdit à toute personne de demander, de rechercher ou de communiquer, par écrit, oralement
ou sous toute autre forme, des documents ou renseignements d'ordre économique,
commercial, industriel, financier ou technique tendant à la constitution de preuves en vue de
procédures judiciaires ou administratives étrangères ou dans le cadre de celles-ci. »
L’article 3 de la Loi assortit cette disposition d’une sanction pénale de six mois maximum
d’emprisonnement et/ou d’une amende pouvant aller jusqu’à 18.000 €, montant porté à
90.000 € pour une personne morale telle qu’une société.
3
L’expert sollicité pour apporter son éclairage sur ces dispositions a expliqué que le droit pénal
français s’applique non seulement à tous les faits intervenus sur le territoire français mais
également à toute infraction commise par un ressortissant français ou étranger en dehors du
territoire national dès lors que la victime est française au moment des faits. Ainsi, en l’espèce,
les défendeurs français commettraient une infraction en faisant droit à la demande de
production de documents, peu importe que ceux-ci soient situés en France ou à l’étranger.
Dans les deux affaires, la Cour anglaise (respectivement les juges Henderson et Roth)
considéra que la divulgation d’informations et la production de documents ordonnés violaient
l’article 1 bis de la loi de blocage, mais que cela n’emportait pas automatiquement pour le juge
anglais impossibilité de demander la communication de telles informations. La Cour d’appel a
jugé qu’il ressortait de son pouvoir discrétionnaire de prendre de telles ordonnances et qu’à
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Jean-Paul Béraudo, ancien juge à la Cour de cassation.
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partir du moment où le risque de poursuites pénales était faible, voire entièrement
hypothétique, ces ordonnances devaient être prises.
Les appels échouèrent dans les deux affaires. La Cour d’appel a jugé que, nonobstant le fait
que répondre favorablement aux ordonnances de communications d’informations soit illégal en
vertu de la loi française de blocage, les Tribunaux anglais avaient le pouvoir de prendre de
telles ordonnances dans le cadre d’une procédure civile ordinaire de production d’informations
dans la mesure où le droit anglais, en tant que lex fori, était seul applicable à de telles
questions.
La Cour d’appel a pris en compte le risque réel de poursuites pénales induit par l’exercice de
ce pouvoir. Elle estima que sur la base des informations dont disposaient les juges de
première instance au moment où ils prirent les ordonnances, il ne pouvait être valablement
soutenu qu’ils avaient exercé leur pouvoir discrétionnaire de manière erronée. Tout d’abord, la
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loi de blocage n’a donné lieu qu’une seule fois à des poursuites pénales depuis son entrée en
vigueur en 1968, et dans des circonstances très différentes de celles des présentes affaires.
De plus, la France étant signataire des traités européens qui fondent les demandes au fond en
l’espèce, le droit français doit céder devant le droit européen en application du principe de
primauté. Cela rend toute tentative d’utiliser la loi de blocage française pour contourner les
dispositions européennes très improbable.
COMMENTAIRE
« Bien que la Cour anglaise ait un intérêt légitime évident à définir
et faire appliquer ses propres règles de procédure (y compris
sur la production d’informations), dès lors qu’il y a conflit
avec le principe de courtoisie internationale5,
ce dernier devrait prévaloir6. »
La décision de la Cour d’appel n’est pas surprenante. Elle confirme la jurisprudence des
7
juridictions anglaises de première instance depuis l’affaire The Heidberg en 1993, qui a
survécu à l’introduction des Règles de Procédure Civiles (Civil Procedure Rules) dans l’affaire
8
9
Morris , et a été confirmée plus récemment dans l’affaire Elmo-Tech Limited . Cette tendance
se retrouve dans des décisions rendues dans d’autres pays de Common Law où l’existence de
législations étrangères de blocage n’a pas fait obstacle à ce que soient rendues des injonctions
10
de production de documents dans la plupart des cas . En pratique, la raison pour laquelle ces
juridictions ont estimé que leurs règles procédurales devaient prévaloir sur les dispositions
d’une loi étrangère est simple : si le droit étranger prévaut, la procédure de production, qui
constitue la pierre angulaire de la procédure contentieuse de common law, pourrait être réduite
à néant. En poussant le raisonnement à l’extrême, toute partie à un procès pourrait se
soustraire à cette obligation en plaçant les documents pertinents à l’abri, en France par
exemple.
4
Cass. Crim., 12 décembre 2007, n°07-83.228.
Principe de Comity en droit anglais
6
Voir commentaires similaires de Arden LJ dans Joujou & Ors v Masri [2011] EWCA Civ 746 at [78]. Il est
intéressant de noter que Rimer LJ, qui a donné le jugement principal dans l’affaire Servier, faisait
également partie de la cour dans l’appel de l’affaire Joujou.
7
Partenreederei M/S « Heidberg » v. Grosvenor Grain & Feed Co Ltd [1993] I.L.Pr. 718.
8
Christopher Morris v. Banque Arable et Internationale d’Investissement SA [2001] I.L.Pr. 37.
9
Elmo-Tech Limited v. Guidance Limited [2011] EWHC 98 (Pat).
10
En Australie, pour exemple, voir Michael Wilson & Partners Ltd v. Nicholls [2008] NSWSC 1230
(Kazakhstan); au Canada, voir Comaplex Resources International Ltd v. Schaffhauser Kantonalbank
(1991) 84 DLR (4th) 343 (Suisse); aux Etats-Unis, voir Société Internationale pour Participations
Industrielles et Commerciales SA v. Rogers 357 US 197 (1958) (France) et plusieurs autres cas similaires.
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Ainsi que plusieurs juridictions en Angleterre et aux Etats-Unis l’ont relevé, le risque de
poursuite en France pour violation des dispositions de la loi de blocage est faible. Un article
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récent identifie ainsi sur vingt-cinq affaires jugées aux Etats-Unis dans lesquelles ladite loi a
été invoquée sans succès et dans lesquelles des ordonnances de production forcée de
documents ont été rendues, sans cependant que des poursuites pénales soient engagées en
France. L’unique affaire à ce jour ayant abouti à des condamnations pénales en France sur ce
fondement ne concernait pas des démarches consécutives à une demande de production ou à
une ordonnance rendue par une juridiction étrangère, et ne permet pas de savoir si les
autorités françaises auraient réellement l’intention de poursuivre une partie faisant droit de
bonne foi à une telle ordonnance, rendue par exemple en Angleterre.
Cette approche est cependant sujette à caution, à tout le moins en ce qui concerne la
courtoisie internationale. On peut se demander si une juridiction anglaise est fondée à
ordonner à un plaideur français de faire quelque chose qu’elle sait pertinemment être constitutif
d’une infraction pénale en France simplement en considérant qu’il est improbable que des
poursuites pénales y soient par la suite engagées. La charge de ce risque pèse sur le plaideur
et non sur la juridiction britannique. Bien que cette dernière ait de toute évidence un intérêt
légitime à définir et faire appliquer ses propres règles de procédure (y compris celles relatives
à la production d’information), dès lors qu’il y a conflit avec la courtoisie internationale, cette
12
dernière doit prévaloir . Même aux Etats-Unis, l’American Bar Association a reconnu qu’un
grand respect devait être accordé aux législations de pays amis établies de longue date parce,
et qu’à défaut cela pouvait ‘entraver à terme le commerce mondial, nuire aux intérêts de
plaideurs américains engagés dans des instances pendantes devant des juridictions
13
étrangères et provoquer des mesures de représailles’ .
La Cour d’appel anglaise aurait-elle pu ou aurait-elle du adopter une autre position ? L’affaire
Servier laisse plusieurs arguments en suspens. D’une part, l’article 1 bis de la loi de blocage
semble créer une infraction qui serait commise en Angleterre soit par un plaideur présentant
une demande de production à l’encontre d’un défendeur français, soit par un défendeur qui
accepterait d’affirmer l’existence en France de documents (en communiquant une liste), ou
permettrait l’examen. Dans l’affaire Morris, le Juge Neuberger estimait que si un acte impliquait
la commission d’une infraction en Angleterre ou au Pays de Galles, alors cet acte ne pouvait
être ordonné par un Tribunal anglais. Cette solution pourrait être retenue lorsqu’une
ordonnance anglaise a pour effet la commission d’une infraction sanctionnée par un droit
étranger. D’autre part, si des documents se trouvent sur le territoire français et que leur
production est ordonnée, alors la recherche de ceux-ci ne peut intervenir qu’en France, ce qui
est prohibé par la loi de blocage. Une ordonnance enjoignant à un plaideur de commettre à
l’étranger une démarche considérée comme constitutive d’une infraction pénale n’est pas
14
quelque chose que le Privy Council est disposé à tolérer. Dans l’affaire Brannigan , le Privy
Council a autorisé une ordonnance enjoignant à une personne se trouvant en NouvelleZélande d’y communiquer des documents, bien qu’il s’agisse d’informations qui ne pouvaient
être rendues publiques en application du droit des îles Cook. Lord Nicholls avait pourtant
déclaré que :
« …les règles contradictoires de différents états peuvent engendrer de sérieux problèmes pour
les justiciables. La résolution ou l’atténuation de tels problèmes est un des objets du principe
de contrainte exercée par un Etat étranger… La commission a reconnu qu’il ne serait pas
raisonnable d’attendre de Peat Marwick de KPMG qu’il produise des documents
actuellement situés aux îles Cook ».
11
The French Blocking Statute, the Hague Evidence Convention, and the Case Law: Lessons for French
Parties Responding to American Discovery, Pierre Grosdidier, Haynes Boone LLP (2011).
12
Voir note 5.
13
Décision (« Resolution ») de l’American Bar Association en date du 6 février 2012.
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Brannigan and Ors v. Ronald Davidson [1996] UKPC 35.
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Dans l’affaire Morris, le Juge Neuberger évacua ce problème en indiquant qu’en application de
son ordonnance, le défendeur français était seulement enjoint de faire quelque chose en
Angleterre. Toutefois, si la divulgation nécessite une recherche de documents en France, il
devient difficile de concilier la position adoptée dans l’affaire Servier avec l’approche
précédente de Lord Nicholls.
QUE FAIRE ?
« Heureusement, l’écueil peut être évité. »
15
En droit français, la Convention de La Haye sur l’obtention des preuves constituait le seul
instrument permettant à une autorité judiciaire étrangère d’obtenir des éléments de preuve en
16
France . La convention a depuis été remplacée (du moins pour les cas où les autorités
judiciaires d’autres pays membres de l’UE sont concernées) par le règlement européen
n°1206/2001. En application de la convention et du règlement, une juridiction étrangère peut
adresser une commission rogatoire à une juridiction française afin qu’elle recueille des
éléments de preuve en son nom, ou que la juridiction étrangère puisse directement recueillir
celles-ci en France. La convention et le règlement sont tous les deux applicables entre la
17
France et la Grande-Bretagne . Dans l’affaire Morris, le Juge Neuberger a admis que
demander des éléments de preuve par l’intermédiaire des procédures mises en place par la
Convention était ‘attractif’ eu égard à la courtoisie internationale et permettait d’éviter au
défendeur tout risque - même hypothétique - de poursuite, et qu’il avait raison de
18
recommander cette voie .
Une incertitude a malheureusement été introduite par le Ministère français de la Justice. Le
Juge Roth avait approuvé une commission rogatoire mais celle-ci a été rejetée par le Ministère
19
français de la Justice qui indiquait :
« afin qu’une des parties produise les documents considérés comme nécessaires à la
résolution d’un litige pendant, une juridiction n’a pas besoin d’émettre une commission
rogatoire aux fins d’obtention de preuve : il lui suffit d’ordonner à la partie concernée de
produire lesdits éléments de preuve. Certainement, le recours à une commission rogatoire
basé sur des instruments internationaux permet aux parties d’éviter tout risque de poursuites
en France sur la base de la législation connue sous le nom de loi de blocage, mais ceci est un
abus de procédure puisqu’aucune procédure d’obtention de preuves n’est en réalité nécessaire
pour atteindre le résultat voulu par le juge. »
Cette position est sans aucun doute mal fondée. L’article 23 de la convention permet
expressément aux Etats contractants de déclarer qu’ils n’exécuteront pas les commissions
rogatoires qui ont pour objet une procédure connue dans les Etats de Common Law sous le
nom de ‘pre-trial discovery of documents’. Si la convention ne concernait pas ces procédures,
alors une telle déclaration n’aurait pas été nécessaire. La France a cependant procédé à une
telle déclaration. Elle reconnaît ainsi que répondre à une demande de ‘pre-trial discovery of
documents’ constitue un acte d’’obtention de preuves’ au sens de la convention. Ce fut par
ailleurs la position adoptée par la France dans un amicus curiae déposé devant la Cour
15
Convention sur l’obtention des preuves à l’étranger en matière civile ou commerciale du 18 mars 1970.
Confirmé par Journal Officiel de l’Assemblée Nationale - Questions et réponses, 26 janvier 1981, p. 373.
17
Le règlement prévaut sur la convention (article 21(1) du Règlement). La Grande-Bretagne n’a plus
d’accords bilatéraux avec la France mais la convention est évidemment multilatérale.
18
En fin de compte, il ordonna une production directe en évitant ainsi de recourir à la procédure mise en
place par la Convention parce que la partie défenderesse avait déjà du retard et n’avait pris aucune
mesure (quoiqu’en ayant la possibilité) de formuler une demande devant une juridiction française en
application de la convention.
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Lettre de Madame Clémentine Blanc en date du 21 janvier 2013.
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suprême américaine
et dans laquelle elle déclarait : « la République française croit
fermement que la langue et l’historique des négociations de la convention démontrent qu’elle
prévoit des procédures qui doivent impérativement être utilisées pour l’obtention de preuves
situées à l’étranger, à moins que le pouvoir souverain ne permette autre chose ».
Il n’y a en principe aucune raison d’adopter une approche différente s’agissant du règlement.
S’il est peu probable qu’un juge anglais se laisse convaincre d’adresser une commission
21
rogatoire , alors une alternative pourrait consister à solliciter une décision énonçant que la
communication d’informations qui serait ordonnée n’implique aucune violation du droit pénal
français. Cette proposition peut sembler surprenante mais les juridictions anglaises semblent
22
disposées à se prononcer sur ce qu’est ou n’est pas le droit français . Dans l’affaire Servier, la
juridiction anglaise a agi en se fondant sur l’hypothèse qu’une infraction pénale serait commise
si les ordonnances étaient respectées. Cela est loin d’être clair. Le Juge Beatson a fait
référence aux obligations de la France au titre du droit de l’Union européenne et à leur
23
primauté sur la loi de blocage . Cette dernière est applicable sous réserve des autres
législations en vigueur. L’une de celles-ci est le règlement UE concernant la compétence
judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. Bien
que le Juge Beatson ne l’affirme pas clairement, si la juridiction anglaise est compétente en
application dudit règlement, alors elle doit appliquer, s’agissant d’ordonnances de procédure, le
droit anglais en tant que lex fori. Ce faisant, elle ne fait rien d’autre qu’agir en application et
donc conformément au règlement. Si la loi dite de blocage prend effet sous réserve de ce
règlement, alors l’ordonnance de la juridiction compétente prise conformément audit règlement
24
doit prévaloir . On pourrait soutenir qu’une telle décision devrait même être reconnue en
France (à nouveau, en application du règlement). Les juridictions françaises ont jugé que la loi
25
de blocage était d’ordre public et pourraient en conséquence refuser l’exequatur en France
d’ordonnances étrangères la violant, mais à ce jour aucune ordonnance dont l’exequatur était
poursuivie en France n’émanait d’une juridiction d’un Etat membre de l’UE qui aurait ainsi pu
tirer sa compétence du règlement communautaire.
En attendant, des mesures pratiques peuvent et doivent être prises :

Soulever la loi de blocage dès le début de la procédure puisqu’il est possible de considérer
qu’un demandeur commet une infraction pénale en vertu du droit français (qui est
applicable en dehors du territoire français) par la simple demande de production. Souligner
ceci très tôt dans l’instance pourrait favoriser l’émission d’une commission rogatoire.

Dans la mesure du possible, demander l’émission d’une commission rogatoire en
application de la convention de La Haye sur l’obtention des preuves à l’étranger ou du
règlement européen relatif à la coopération entre les juridictions des Etats membres dans le
domaine de l’obtention des preuves afin d’éviter tout risque de poursuite en France.
20
Société Nationale Industrielle Aerospatiale v US Dist. Ct. For the S. Dist. Of Iowa 482 US 522 (1987).
Le temps que la procédure pourrait prendre et son coût sont des éléments clés. En pratique, dans de
futures affaires, un magistrat pourrait être réticent à formuler une demande de commission rogatoire à
moins que et jusqu’à ce que la position adoptée par le ministère français de justice ne soit corrigé.
22
Voir la décision de la Cour Suprême dans l’affaire Dallah Real Estate and Tourism Holding Company v.
The Republic of Pakistan [2010] UKSC 46.
23
Voir note 19.
24
Roth J se rapproche de cette position au paragraphe 47 du jugement.
25
Voir note 14.
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
Des orientations en matière de gestion de la procédure seront souvent convenues entre les
parties. Ne jamais consentir à une ordonnance de production ou d’examen de documents.
Le contraire pourrait être interprété comme l’intention délibérée d’enfreindre la loi de
blocage et encourager des poursuites pénales. Les conséquences négatives d’un tel refus
peuvent être évitées en ne s’opposant pas à ce qu’une ordonnance de communication
d’information soit rendue dans des circonstances appropriées.

La réforme dite Jackson signifie que la procédure standard de demande de communication
de documents (discovery) par liste n’est plus la norme. La France autorise les procédures
de discovery, dans le cadre de la Convention de la Haye, si la demande est suffisamment
précise et qu’elle a un ‘lien direct et précis’ avec l’objet de la procédure. Par conséquent, au
moment de choisir parmi les différentes procédures de production forcée (discovery)
qu’offre le droit anglais, il est préférable de solliciter la communication de documents
spécifiques, par opposition à l’ancien usage de demande de communication de documents
par liste.
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CONTACTS
MICHEL PITRON
[email protected]
ADAM ROONEY
[email protected]
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