Le doute : ami ou ennemi

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Le doute : ami ou ennemi
Votre qualité de vie
Par Marie-Josée Lemieux, M.Ps.
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Le doute : ami ou ennemi ?
Coûts et bénéfices du sens des responsabilités très élevé et de ses dérivés
SANS ÊTRE BANALE, la situation est
fréquente dans le bureau du médecin :
un patient présente des malaises diffus
et poser un diagnostic ne s’avère pas
évident. Qu’est-ce qui poussera alors le
médecin, comme la très grande
majorité de ses collègues, à démontrer
la minutie, la rigueur et la persévérance
qui lui permettront d’identifier
éventuellement la maladie de son
patient? Vous demandez-vous souvent
si vous avez fait tout ce qui était en
votre pouvoir pour aider vos patients et
les soulager de leurs souffrances? La
personnalité des médecins est souvent
caractérisée par un sens des responsabilités très élevé, un certain perfectionnisme et des sentiments fréquents
de doute et de culpabilité. La médecine
étant une science hautement complexe, le parcours académique du
médecin en soi renforce et exacerbe
ces caractéristiques.
Jusqu’à un certain point, ces traits
obsessionnels sont hautement souhaitables chez un médecin. Le doute est
moteur de perfectionnisme. Il vous
motivera à analyser les résultats d’un
examen avec minutie et vous permettra
de percevoir les indices souvent subtils
vers l’identification de la maladie; ce
qu’une autre personne moins consciencieuse n’aurait peut-être pas pris la
peine de considérer. Vos patients
chériront votre perfectionnisme, car leur
état de santé en est tributaire. En effet, le
doute et ses dérivés sont, dans une certaine mesure, un mécanisme adaptatif.
Du point de vue de la société, ces traits
obsessionnels sont très précieux; par
contre, du point de vue personnel du
médecin, ils peuvent être très coûteux et
avoir des effets pernicieux.
Là où le bât blesse, c’est lorsque le doute
devient envahissant et contre-productif,
lorsque le perfectionnisme apparaît de
façon non discriminante. En effet,
lorsque le stress est accru, alors que le
médecin n’a pas des habitudes de vie
qui lui permettent de décompresser et
de prendre du recul, il est possible que
ces traits de personnalité soient exacerbés au point de devenir une source additionnelle de souffrance et de complications. Ainsi, en période de grand stress,
il semblerait que les individus associés à
ce style de personnalité ont tendance à
augmenter leurs activités professionnelles plutôt que d’envisager un temps
d’arrêt et se reposer. Le peu de temps
accordé aux loisirs personnels est souvent un problème associé aux traits
obsessionnels. Le temps de loisir que
s’accordent les médecins est souvent
hanté par la culpabilité ou les préoccupations. Entre le besoin de développer
ses connaissances, s’occuper des tâches administratives, passer du temps
avec sa famille et s’accorder un moment
de loisir personnel, la personne avec des
traits obsessionnels aura souvent tendance à négliger ce dernier. Ce qui la
rend alors plus susceptible de devenir
prisonnière du doute, de la culpabilité et
d’un perfectionnisme obsessionnel.
Si c’est parfois votre cas, vous savez que
la première étape de résolution d’un
problème est son identification et celle
de ses particularités. Pour ce faire, vous
avez besoin de recul et de détente
(sport, loisirs, échanges avec un collègue, etc.) pour en arriver à développer
une perspective plus globale de la situation. En effet, on dit souvent que, dans
certaines circonstances, les perfectionnistes ont tendance à « s’enfarger dans
les fleurs du tapis », à perdre la vision
d’ensemble. Il est ensuite souhaitable de
réévaluer la situation, vos priorités
(autant personnelles que professionnelles) et de rétablir les limites.
Vouloir éliminer totalement les sentiments fréquents de doute et de culpabilité n’est donc pas souhaitable, pas plus
que le perfectionnisme, traits tous associés à la personnalité du médecin. Il vaut
mieux en accepter l’utilité dans l’exercice
de vos fonctions et de tenter d’en faire
une gestion constructive. ⌧
L’auteure est psychologue et pratique en cabinet privé ainsi qu’à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont
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