Comment la variété des formes et des procédés
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Comment la variété des formes et des procédés
Comment la variété des formes et des procédés permet-elle à tous les textes de ce corpus de donner du sens à ce banal phénomène météorologique qu’est la pluie ? On verra que tous visent à en exprimer l’aspect sensuel, plus nettement chez Bertrand et Botquin, mais que Verlaine et Apollinaire vont jusqu’à une signification plus sentimentale, et Ponge jusqu’au symbole. La pluie parle au poète, chez Bertrand, manière de dire que ce phénomène a du sens à ses yeux : personnifiée et féminisée, avec un beau prénom, elle cherche à le séduire, et il restitue ce dialogue. L’image du chagrin ou du dépit, lignes 11-12, décrit une femme boudeuse, capricieuse, et l’éclaboussement de la vitre le montre. En même temps, le texte de Bertrand évoque ses attributs sous une forme étrange : les « flots », le « palais », et l’eau courante est représentée sous la forme de divinités qui « caressent de leurs bras d’écume les fraîches îles d’herbes ». Cet univers humide, parallèle au monde des humains, est donc vivant et parlant, très sensuel, et la féminisation au sousentendu amoureux fait comprendre que cette eau fantastique est animée de sentiments. Le haïkaï final, dans sa brièveté paradoxale, exploite la capacité du langage poétique à dire davantage que la somme de tous ses mots, et rejoint la sensualité de Bertrand. En effet il évoque plus qu’il ne dit : plaisir visuel, mouvement, sensation tactile, et métaphore à la limite de l’oxymore, dans « soleil d’eau ». L’absence de ponctuation accentue encore cela : chaque syntagme peut constituer un ensemble suffisant, certains peuvent se lire seuls ou regroupés. L’arc-en-ciel et la buée sont perceptibles derrière le minimalisme du lexique et de la syntaxe, et le haïkaï s’avère une forme idéale pour faire ressentir une impression fugitive et riche, comme celle de l’éclaboussement final du poème de Bertrand. La pluie chez Verlaine est au contraire employée comme image symbolique du chagrin, et il développe une longue métaphore filée, par permutations entre les deux verbes pleuvoir et pleurer, dès la première strophe. Cela devient une occasion de rêverie nostalgique et un peu mélancolique, et le paysage extérieur est peu à peu le prétexte à description de l’état d’âme du poète. L’unique sensation qui sert à décrire la pluie est l’ouïe, et l’image se réduit à une abstraction, ou une banalité : « Ô bruit doux de la pluie, Par terre et sur les toits ! », reprise dans « Ô le chant de la pluie ! ». En revanche, l’image du vers 1, « Il pleure dans mon cœur », reprise dans la strophe 3 avec une légère variante, « Il pleure sans raison », constitue l’équivalence entre paysage intérieur et extérieur, équivalence renforcée par la proximité phonétique des deux verbes « il pleure » et « il pleut ». Le calligramme d’Apollinaire utilise une tout autre méthode d’écriture pour exprimer une sentimentalité, et peut-être les larmes, puisque la pluie est représentée visuellement, grâce au décrochage typographique donnant l’impression de filets d’eau qui tombent du ciel, ce qui est accrédité par l’abondance du champ lexical. La forme même du discours adressé aux soldats, dans un contexte de guerre, fait imaginer le désagrément que cela peut être dans les tranchées. Or Apollinaire transcende cette vision pessimiste, et le texte dit autre chose : les soldats perdus sont invités à la consolation, tout le paysage pleut, puisque la lune est « liquide », et le leitmotiv répétitif de la « pluie si douce », « pluie si tendre et si douce », « pluie fine », illustre cette perpétuelle chute d’eau, dans des sonorités apaisantes, un lexique apaisant, puisque les « Flandres à l’agonie » sont baignées de cette consolation. La lecture non linéaire imposée par la verticalité fait voir et entendre ce phénomène. Francis Ponge utilise un procédé totalement différent, dans son poème en prose. Déjà, la forme descriptive et narrative apparente le poète à un savant qui voudrait comprendre et expliquer la pluie, et montrerait qu’elle est un spectacle total, son, mouvement, lumière. Les éléments liquides, sous leur diversité due aux changements de point de vue, constituent le monde du spectateur-écrivain. Tout le lexique s’organise autour de ces notions scientifiques : « allures », « réseau discontinu », « météore pur », et même « précipitation », jeu de mots météorologique. On dirait une observation minutieuse, attentive aux bruits, aux formes, aux mouvements, et les nombreuses comparaisons ont toutes quelque chose d’à la fois précis et inattendu : gouttes de la grosseur d’un grain de blé, ou d’un pois, suspension sous la forme de berlingots convexes. Le paragraphe deux énonce clairement l’ambition scientifique de cette écriture : « mécanisme compliqué » producteur à la fois de mouvement et de musique, comparé à une « horlogerie dont le ressort est la pesanteur d’une masse donnée de vapeur en précipitation ». Tous les termes sont rigoureusement, exacts, mais leur expression sous forme de métaphores, ou leur aspect inattendu, sont les éléments poétiques de ce texte. Ponge va même, dans le jeu de mots final, laisser comprendre qu’il a non seulement décrit un phénomène, mais encore pris plaisir à le faire, car la phrase « il a plu » contient, dans sa forme grammaticale, deux verbes : plaire, et pleuvoir. Cette description signifie presque le travail de l’écriture, puisque le texte se clôt lorsque l'averse a cessé. Donc le phénomène de la pluie, dans toutes les variétés poétiques de sa description, a davantage de sens qu’une simple chute d’eau : elle est vivante, presque à la limite du fantastique ou du magique, elle parle au poète, évoque autre chose par assimilation, et ce sont cinq manières complémentaires de la décrire.