Dossier Joconde p.5. La Pietà du Rosso p. 8. La lisibilité comme
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Dossier Joconde p.5. La Pietà du Rosso p. 8. La lisibilité comme
BULLETIN D’ INFORMATION DE L’ARIPA (ASSOCIATION POUR LE RESPECT DE L’INTEGRITE DU P ATRIMOINE ARTISTIQUE) OCTOBRE 1998 N°18 PRIX : 30 F ☛ Sommaire : La souris et la Joconde par R.H. Marijnissen, p. 3. Dossier Joconde p.5. La Pietà du Rosso p. 8. La lisibilité comme critère ? p. 10. La cathédrale d’Amiens p. 11. Réversibilité : fiction ou réalité ? par James Beck, p. 12. A propos des antiques du Louvre p.16. ◆ Editorial, par James Blœdé Agréable Joconde, douloureuse Pietà Donc, le Louvre a tranché. Par la voix de son responsable du département des peintures, JeanPierre Cuzin, il a clairement fait savoir son opposition au dévernissage de la Joconde. Ainsi, le Louvre prend part au débat initié par le Journal des Arts (n° 65 du 28 VIII 98) – et, d’une certaine manière, il le clôt. S’appuyant sur deux photos, l’une montrant la Joconde telle qu’elle est (?) et l’autre telle qu’elle pourrait être d’après l’ordinateur, le Journal des Arts, sous le titre : « La Joconde pourra-t-elle enfin retrouver ses vraies couleurs ? », a demandé leur avis à une dizaine de spécialistes. Question sans doute maladroite. Qu’est-ce qu’en effet cet « enfin » et que signifie « retrouver ses vraies couleurs » ? Celles que nous montre la reproduction du tableau virtuellement nettoyé ? Notons, sans commentaire, que l’équivalent anglais de cette publication, The Art Newspaper, pousse plus loin l’exigence, qui titre pour sa part : « Nous voulons voir la Joconde ». L’ARIPA avait été consultée dès juillet par le Journal des Arts. Par la suite, Michel Favre-Félix a rédigé une analyse des divers propos des intervenants (parue dans le J. des A. n° 67 du 25 IX 98). Nos lecteurs la trouveront dans le présent bulletin. L’auteur du Dialogue avec les œuvres ravagées après 250 ans de restauration, R.H. Marijnissen, réagit, pour sa part, à la publication de cette Joconde fictive nettoyée « avec la souris ». Nous ne saurions trop le remercier pour cette contribution à Nuances. Merci aussi à James Beck qui nous livre ses réflexions sur la notion de réversibilité, basées, pour partie, sur la restauration d’une autre œuvre de Vinci, La Cène de Milan. S’il faut en croire certaines interventions du débat sur la Joconde – celle d’Alastair Laing (expert pour les peintures au National Trust, Londres), ou même celle de Federico Zeri – le choix du Louvre serait dicté par la peur : peur de changer l’aspect d’une œuvre appartenant, telle qu’elle est, à l’imaginaire collectif, peur aussi d’être responsable devant les siècles d’un ratage évidemment possible, chaque restauration ayant sa part d’impondérables. Ce n’est pas ce que nous pensons. Le gros des arguments avancés par Jean-Pierre Cuzin peut se résumer à l’une de ses phrases : « Je me méfie par principe d’une restauration qui serait considérée comme sensationnelle, dans la mesure où celle-ci n’est pas rendue indispensable par la conservation de l’œuvre ». Il ne viendrait à personne l’idée de désapprouver cette simple phrase. Mais elle est lourde de conséquences. Elle met d’un coup le Louvre devant ses contradictions, ses responsabilités aussi. L’institution n’est-elle pour rien dans l’organisation de restaurations à grand spectacle ? (suite page 2) 2 (suite éditorial) N’a-t-elle pas usé de tous les médias pour diffuser du sensationnel, du publicitaire, proclamer partout une prétendue infaillibilité et propager des absurdités telles que : la restauration restitue aux œuvres leur état d’origine, leur splendeur première, les fait renaître, les ressuscite ? En outre, affirmer que cette restauration n’est pas indispensable compte tenu du bon état du tableau ne revient-il pas, ipso facto, à condamner vingt ans de restaurations hasardeuses de peintures comme de sculptures qui n’en avaient aucunement besoin, en parfaite santé et moins jaunes que la Joconde ? Pendant que le Louvre entreprenait la drastique et combien sensationnelle restauration des Noces de Cana, tableau qui, faut-il le rappeler, venait d’être constaté en bon état, d’autres tableaux étaient en réel danger. Ainsi de la Pietà de Rosso Fiorentino que l’on savait depuis des lustres sujette à des soulèvements de matière et dont on refixait épisodiquement des écailles. Pourtant, en 1976, sa « fiche de santé » porte la mention « bon état ». En 1977, elle mentionne que le support est solide et l’adhérence de la couche picturale bonne. Nouvel examen en 78 : « Etat satisfaisant ». Puis le tableau est quelque peu négligé jusqu’à l’examen de 85, apparemment motivé par la préparation d’une expos ition Rosso à Washington. On note alors : « L’ensemble est fragile (et a été très fragile : tableau en prémonition de soulèvements). » En 88, on le dépoussière et on refixe une écaille. Ensuite, quatre longues années se passent avant que l’on daigne l’examiner, là encore – si ce dossier est clair, mais rien n’est clair dans ce dossier – parce que Sé- ville prépare une exposition. Et voilà que « l’adhérence générale [est] mauvaise : très graves soulèvements sur l’ensemble. La matière est prête à tomber sur le corps du Christ : la transposition est à reprendre d’urgence. Tableau à apporter à plat à l’atelier. » Six ans après, le tableau nous est rendu, méconnaissable, couleurs et matières profondément dénaturées. Qui sait si sa restauration aurait été moins destructrice si elle avait été entreprise à temps ? A l’ARIPA, nous voulons penser que cet échec comme ce refus d’entreprendre un dévernissage de la Joconde, marquent, dans l’esprit des conservateurs, la prise de conscience qu’en matière de restauration nul ne saurait être tout puissant. C’est pour une telle prise de conscience que nous n’avons cessé d’œuvrer et nous nous félicitons de pouvoir enfin constater qu’une évolution se dessine. Rendons grâce à Mona Lisa et à son sourire persuasif. Nous ne pouvions souhaiter meilleure embassadrice pour dire haut et fort que la restauration peut faire plus de mal que de bien et qu’il ne faut pas y soumettre une œuvre, en bon état qui plus est, sans véritable nécessité. Une œuvre quelle qu’elle soit. Alistair Laing déclare au Journal des Arts : « Si l’on considère la Joconde comme une œuvre d’art et non comme une icône, il n’y a aucune raison de la traiter différemment de n’importe quel tableau. » Et bien non, Monsieur Laing ! Il ne faut pas traiter la Joconde comme n’importe quel tableau. Il faut traiter tous les tableaux comme des Jocondes. J.B. ......................................... Vient de paraître Bientôt ▼ ▼ Jean Bazaine. Couleurs et mots. Le Cherche-Midi éditeur. Dans ce livre abondamment illustré – le choix des œuvres reproduites permet de suivre toute l’évolution du peintre –, Jean Bazaine, chaleureux à son habitude, s’entretient tout à tour avec Roger Lesgards, Henri Maldiney, Vonick Morel, Paul Ricœur et Catherine de Seyne Bazaine. Sont évoqués sa vie de peintre, ses rencontres avec les grands peintres et poètes de ce siècle, sa participation à des mises en scène théâtrales. Divisé en huit « séquences », ce livre permet à Jean Bazaine de revenir à loisir sur ses conceptions d’art et de préciser ce que représente pour lui l’acte de peindre. La sixième séquence, intitulée La robe de l’Arétin, est l’occasion pour Jean Bazaine – qui, rappelons-le, fut le premier président de l’ARIPA – de critiquer l’abus des restaurations et leurs effets. Un autoportrait en quelque sorte où, sous les Couleurs et les Mots, parle un homme libre. ARIPA Nuances 18, Octobre 98 Nous informons nos lecteurs qu’ils pourront bientôt se procurer la totalité des numéros de Nuances, en fac-similé, réunis en un livre unique par les éditions IVREA, sous le titre : Chronique d’un saccage, la restauration en question Parution prévue : mars 1999 3 La souris et la Joconde par R.H. Marijnissen* * historien de l’art et restaurateur, a été de 1958 à 1988 chef du Département conservation à l’Institut Royal du patrimoine artistique de Belgique (IRPA/KIK). Il est depuis 1970 membre de la Koninklijke Academie (l’équivalent de notre Institut). Il a publié de nombreux articles et livres dont Dégradation, conservation et restauration de l’œuvre d’art (1967) et, avec L. Kockaert, Dialogue avec l’œuvre ravagée après 250 ans de restauration (Ed. Fonds Mercator, 1995). E n 1911, une foule ébahie vint regarder le clou d’où la Joconde avait été décrochée par un voleur. Soupçonné de collusion, Guillaume Apollinaire passa quelques jours en prison avant d’être mis hors de cause. La Joconde est sans doute le tableau le plus célèbre du Louvre. Il fait partie de l’imagerie universelle et médiatisée. Malraux envoya l’italienne comme ambassadrice de la France au Pays du Soleil Levant. Le temps accordé aux japonais pour contempler le fameux sourire était chronométré en secondes. Depuis peu, on parle de nettoyage. D’aucuns estiment qu’il faut intervenir pour que « la Joconde retrouve enfin ses vraies couleurs ». Ils en parlent en connaissance de cause ; mais d’autres connaisseurs, tout aussi avertis, affirment que l’œuvre est en parfait état et qu’en ce moment elle n’a nullement besoin d’un traitement. Le ton général du tableau est en effet jaunâtre. Point n’est besoin d’être technicien pour savoir que c’est la couche de protection, à savoir le vernis, qui explique le phénomène. Limpide et pratiquement incolore au moment de l’application, le vernis jaunit et se ternit en vieillissant. Encore faut-il en identifier la nature : est-il à base d’une résine synthétique (donc relativement récent) ou bien est-il fabriqué à partir d’une résine naturelle molle (mastic ou dammar) ou dure (copal, ambre) ? Il faut aussi tenir compte des produits éventuellement ajoutés (colorant, huile, cire, etc.). Parfois la composition de la couche protectrice s’avère techniquement étrange, pour ne pas dire insensée. Sans oublier le cas d’une résistance inattendue qui s’explique tout simplement par la présence d’une couche de blanc d’œuf. Et nous savons que la Joconde est recouverte de différentes couches de vernis qui ne sont pas toutes de la même nature. Jadis le restaurateur entamait le nettoyage après avoir fait des essais empiriques avec une série de dissolvants doux, moins doux ou franchement caustiques. De nos jours, l’étude microchimique fournit des données précises qui permettent de sélectionner au préalable le mélange de solvants indiqué pour l’intervention qu’on prépare. Dans le contexte de la restauration des œuvres d’art, le nettoyage des maîtres anciens est sans doute le chapitre le plus âprement discuté. Les esthètes et les amateurs de peinture crient au scandale depuis le XVIIIe siècle. Souvent ils avaient raison. Parfois ils étaient insuffisamment informés. De nos jours leurs adversaires sont des scientifiques qui démontrent, binoculaire et documents techniques à l’appui, ce qu’il faut entendre par un « vernis sale ». De part et d’autre le ton monte quand on discute de la « patine » du temps. Pour les premiers, il s’agit de l’ennoblissement de la matière, un phénomène indéfinissable, mais d’une grande signification artistique. Les techniciens de laboratoire ont horreur de l’indéfinissable et qualifient carrément la patine de crasse. Que penser de l’attitude de ceux qui nient la valeur de choses qui ne peuvent être mesurées ni pesées ? « La peinture de Léonard de Vinci semble défier les méthodes d’examen. Les photographies de détails en exaltent certes la beauté, mais ne permettent pas de découvrir les traces du pinceau ni la direction de la brosse. L’examen au microscope révèle l’utilisation par le maître de laques subtiles, en suspension dans un liant lisse et transparent, dont la structure physique s’évanouit sous les diverses radiations. Les rayons ultraviolets ne mettent en évidence que les restaurations, d’ailleurs peu nombreuses. La célébrité et la renommée qui s’attachent depuis plus de quatre siècles à ces œuvres les ont protégées du zèle parfois excessif des restaurateurs anciens… » Ces commentaires ont été publiés en 1964 par Madeleine Hours, à l’époque chef du Laboratoire du Musée du Louvre. L’esprit scientifique exige que tous les moyens disponibles soient mis en œuvre pour arriver à une connaissance approfondie de l’objet examiné. Voilà que l’ordinateur nous offre parmi tant d’autres possibilités époustouflantes un outil prodigieux, à savoir la réalité virtuelle. Elle permet la visite d’édifices qui n’existent plus ou qui n’existent pas encore. Elle permet aussi d’éclaircir la Joconde à la carte. C’est ce que nous propose le Laboratorio Nicola de Turin. ARIPA Nuances 18, Octobre 98 4 Pourvu qu’une telle démarche reste au niveau de l’hypothèse – à moins que ce soit au niveau d’un jeu vidéo – il n’y a rien à redire. Mais, de grâce, ne parlons pas de science, sauf si on désire effectivement remplacer la réalité palpable par la réalité virtuelle, mais alors il y a lieu de parler de science bidon. Que l’introduction de la science (dite exacte) dans l’examen des œuvres d’art ait révolutionné la recherche, personne ne le conteste, mais reconnaissons qu’elle fait aussi des ravages dans les esprits. « S’il n’y avait aucun danger à alléger le vernis de la Mona Lisa, vous lecteurs, seriez-vous prêts à redécouvrir l’œuvre créée par Léonard ? » Formulée de la sorte, la question est certes très judicieuse… du point de vue de la technique médiatique. Or elle est en réalité un modèle de désinformation. Intervenir sur le vernis d’un tableau comme celui qui nous occupe en ce moment, est toujours une entreprise périlleuse. C’est plutôt une agression, jamais une caresse. Quant à l’allégement du vernis, j’estime que la terminologie frôle l’euphémisme. Fréquemment, le problème réel se présente sous une forme assez dramatique : souvent on se trouve devant l’alternative d’un nettoyage superficiel sans ramollissement du vernis ou le dévernissage ; en d’autres mots, on a le choix entre un toilettage du tableau ou le dégagement de la couche picturale. L’allégement – pour autant qu’il soit réalisable – aboutit rarement à un résultat homogène et durable. Et puis, il y a le principe universel brandi comme l’étendard de la restauration moderne, à savoir la réversibilité des interventions. En quoi un nettoyage ou un allégement du vernis sont-ils réversibles ? Non, cet article n’est pas un réquisitoire. Dès le moment où on déclare adhérer à telle ou telle école, on fait fausse route. Qui a tort, qui a raison ? De toute façon, c’est l’œuvre qui aura raison. Faisons en sorte qu’elle n’ait pas raison trop tard. Un tableau comme la Joconde doit être entouré de tous les soins possibles pour assurer sa sécurité. Ecoutons-le attentivement. Le jour où il aura besoin d’une intervention, il nous le dira. « N’exagérons pas en matière de conservation. Nous avons le droit de consumer les œuvres », tels étaient les propos d’un critique d’art lors d’une interview radiophonique. Obtenir une copie de la bande magnétique fut malheureusement impossible, car l’interview avait été effacé par inadvertance… R.H. Marijnissen La Joconde et tous les autres chefs-d’œuvre Au-delà du seul cas de la Joconde, le Journal des Arts pourrait faire renaître un vrai débat sur le nettoyage des peintures, étouffé depuis plus de vingt ans. Mission impossible ? D ans le numéro 13-14 de Nuances, nous avions évoqué l’historique « Querelle des vernis ». Ouverte après 1947 et prolongée durant deux décennies, elle avait vu en particulier René Huyghe au Louvre et Cesare Brandi en Italie s’opposer vigoureusement aux dévernissages radicaux de la National Gallery, prétendument objectifs – en rien différents de ceux qu’elle pratique aujourd’hui d’ailleurs. Cette querelle ouverte, publiée alors dans les plus sérieuses revues d’art, avait été l’occasion de réflexions capitales. La doctrine « nuancée » du Louvre s’y trouvait clairement définie. Brandi avait posé dans ces mêmes années les fondements d’une restauration modérée et critique, dans sa Teoria del Restauro, mise en pratique à l’Istituto de Rome qu’il dirigeait. Une défense de la modération qui n’était pas muette. Huyghe : « Combie n de restau rateurs impavi des et assuré s ne soupço nnent même pas les dégâts incontrôlab les qu’ils ont accomp lis ! (…) Il est vrai que si les nettoy ages trop radica ux devena ient d’un usage univer sel, il ne rester ait plus ni preuve ni vestig e de ce que l’on peut encore consta ter sur des tablea ux intact s… » Brandi : « On n’aura pas fait un pas dans la conservation des œuvres d’art et, particulièrement, des tableaux, tant qu’on ne se convaincra pas que le problème de la conservation de la patine n’est pas un postulat du goût, à la merci de chacun (…) Et que dire alors, quand le problème de la patine se lie et succède presque toujours à celui du respect des velature et des vernis anciens. » (dans Principes de la restauration des œuvres d’art). ARIPA Nuances 18, Octobre 98 5 Paul Philippot, qui fut à la direction de l’ICCROM1 jusqu’en 1977, présente en 1986 la dérive de la restauration dans des termes qui ressemblent singulièrement aux nôtres : « Observons immédiatement à cet égard que la tendance à faire du nettoyage “radical” une position de principe, si elle semble venue du monde anglo-saxon et généralement nordique, s’est peu à peu répandue sur tout le continent. Or cette expansion s’est faite, pratiquement, sans provoquer de discussion, laissant dès lors supposer qu’il ne s’agissait de rien d’autre que d’un progrès technique, conséquence d’une restauration devenue de plus en plus scientifique. » L’effet de ces nettoyages pseudoobjectifs est clairement une « altération de la construction formelle de l’image, faite de ruptures des rapports d’espace et de l’unité lumineuse. (…) L’exposition des peintures nettoyées de la National Gallery, au lendemain de la guerre, avait soulevé un véritable débat international, dont l’ICOM 2, en particulier, s’était fait le lieu, avec sa “Commission pour le traitement des peintures”. Qui le souhaite peut retrouver, dans les publications d’alors, les arguments en présence. Aujourd’hui on est cependant frappé par une constatation : alors que le problème pratique reste entièrement ouvert, le débat méthodologique s’est complètement tu. Triomphe évident, non de la vérité, mais de l’empirisme techniciste, dont on connaît assez l’emprise sur la culture mondiale. »3 C’est pourquoi, pour qu’ait lieu un débat honnête – ainsi que le souhaite le Journal des Arts – il sera indispensable de dire enfin au grand public que le problème du nettoyage n’est nullement une « vaine polémique » d’amateurs offusqués. L’enquête, publiée fin août, centrée sur la question : « Etes-vous favorable à un allégement du vernis de la Joconde ? », présente onze avis : 5 pour, 5 contre ou réservés, que nous résumerons ci-après. Le onzième peut être vu comme atypique (Federico Zeri aurait été pour, mais non sans crainte : « Elle est rentrée dans l’imaginaire collectif avec cet aspect-là, qu’on le lui laisse. »). De l’autre côté de la Manche, la rédaction de The Art Newspaper, qui a collaboré au même dossier, en incorporant six autres avis « pour » et trois autres « contre », parvient ainsi à « une claire majorité en faveur d’un nettoyage » (« a clear majority in favour of cleaning »). Ce détail mathématique intéressera les futurs historiens de la restauration. Michel Favre-Félix Notes : (1) L’ICCROM est un centre international d’étude sur la conservation/restauration (établi par l’UNESCO depuis 1959). (2) L’International Council of Museums (ICOM), créé en 1946, a pour but les échanges, la réflexion, la formation et la collaboration entre musées (120 pays). Lié à l’UNESCO. (3) Dans Le Nettoyage des peintures. Réflexions critiques - 1986. Université Libre de Bruxelles. ☛ Dossier Joconde Résumé des avis recueillis par le Journal des Arts du 28 août 98 sur l’idée d’un allégement Avis Pour • Neil MacGregor, directeur de la National Gallery de Londres, se réfère à la réussite de l’allégement du Portrait de Baldessari Castiglione peint par Raphaël. • Alastair Laing, expert pour les peintures au National Trust de Londres : « Si l’on considère la Joconde comme une œuvre d’art et non comme une icône, il n’y a aucune raison de la traiter différemment de n’importe quel autre tableau. » • Bruno Zanardi, restaurateur, estime qu’en termes techniques, il n’existe aucun problème pour ôter un vernis d’un tableau, « qu’il s’agisse de la Joconde ou d’un autre. » Il signale, en plus des solvants, les nouveaux tensioactifs de Richard Wolbers « qui permettent un respect absolu de la matière originale. » Il indique aussi qu’en 1625, l’humaniste Cassiano del Pozzo, décrivant la Joconde, se lamentait déjà sur la présence d’un vernis offusquant le tableau. • Antonio Rava, restaurateur, est conscient de la grande délicatesse du travail, mais estime que nous avons aujourd’hui les moyens pour le faire « en toute tranquillité ». Il cite « la réflectographie, les systèmes de lecture de surface, qui garantissent la plus parfaite sécurité » et aussi l’objectivité du nettoyage. • Frederik Duparc, directeur du Mauritshuis de La Haye est très favorable à un nettoyage et pense qu’il ne devrait y avoir aucun risque. Avis Contre ou réserv és • Jean-Pierre Cuzin, conservateur en chef du département des peintures du Louvre, affirme qu’il n’est pas question d’entreprendre une quelconque restauration, le vernis étant très régulier et l’œuvre en parfaite santé. • Jacque s Franck , consul tant perman ent auprès du Armand Hammer Center for Leonar do Studie s, rappel le l’extr ême fragil ité des glacis et le problè me de la lixivi ation. • Ian McClur e, direct eur du Hamilt on Kerr Instit ute de Cambri dge, est contre , « sauf si cela s’avér ait indisp ensable pour une raison de conser vation. » • Martin Kemp, direct eur du départ ement d’Hist oire de l’Art à l’Univ ersité d’Oxfo rd, ayant pu étudie r de près le tablea u, s’oppo se au nettoyage. • Mark Leonar d, du Getty Museum , pense à un très léger nettoy age qu’il vaudra it mieux, s’il n’étai t pas faisab le, laisse r à la procha ine généra tion. ➙ ARIPA Nuances 18, Octobre 98 6 ☛ Dossier Joconde Commentaire sur ces différents avis (publié dans le J. des A. du 25 IX 98) Qui ne souhaiterait que le nettoyage d’un tableau fût aussi simple que l’essai virtuel présenté dans votre numéro 65 ? Cette image très séduisante, mais fictive, ne doit pas nous égarer, y compris par ses hypothétiques couleurs. Le débat scientifique et honnête que vous souhaitez devra écarter aussi l’idée simpliste qu’un nettoyage puisse retrouver les « vraies » couleurs de la Joconde, telles qu’en 1506. On l’a dit, des roses transparents disparaissent, d’autres persistent ailleurs, les glacis verts à base de cuivre brunissent…, le vernis original blondit. Seule la Joconde réelle doit être l’objet de votre question : faut-il, peut-on la nettoyer ? La réponse doit être trouvée dans l’œuvre ellemême, dans son esthétique et sa matière – non chez Raphaël. Il est significatif de voir que les personnalités ayant une connaissance concrète du tableau sont plutôt opposées à une intervention pour lors – telle la position réaliste et responsable de Monsieur Cuzin. En regard, les arguments avancés en faveur d’un nettoyage sont si étranges qu’en effet un débat précis semble indispensable. Contrairement à ce que semble penser Monsieur Laing, aucun tableau n’est à traiter comme « n’importe quel autre tableau », et ce n’est pas comme « icône » mais justement comme œuvre d’art que chaque tableau est unique. Certaines généralités sur les techniques et les moyens sont tout aussi redoutables. Qu’il « n’existe aucun problème », que notre génération travaille désormais « en toute tranquillité », garantie de « la plus parfaite sécurité », était déjà une conviction pour certains dans les années 70-80, dont nous mesurons aujourd’hui les dégâts qu’elle a pu provoquer : solvants que l’on croyait inoffensifs, vernis nouveaux que l’on pensait parfaits… et qui ont tourné au gris. « Nous avons découvert depuis que ce vernis synthétique se mélangeait avec les pigments… ce qui veut dire que la suppression du vernis est extrêmement difficile, voir impossible » a déclaré dernièrement le conservateur des peintures européennes au Metropolitan1, Keith Christiansen (qui n’est pas en cause dans leur utilisation des années 60-70). Au chapitre des problèmes persistants, Monsieur Franck a raison de rappeler qu’aucune garantie n’existe contre une possible « lixiviation ». Ce phéno- mène mis en évidence entre 1959 et 19652 peut se résumer comme suit : une couche picturale étant composée de pigments (colorés) et d’un liant (huile), un apport de solvant va la faire gonfler. Puis en s’évaporant, le solvant va entraîner avec lui une partie du liant (petites molécules). Cette perte qui peut être de 25% du liant, et jusqu’à 47% avec des solvants aussi courants que l’acétone, va provoquer un affaiblissement très réel de la couche picturale. En outre, une peinture ancienne présente une structure où le liant, en séchant, s’est porté davantage à la surface, par exsudation, formant une peau émaillée. Crever cette peau revient à mettre à vif une couche plus crue en pigment et brute. C’est une des raisons fortes des défenseurs de l’allégement – préservant le vernis ancien et l’exsudat de la peinture, qui tous deux participent à la patine de l’œuvre 3 – contre le dévernissage total pratiqué entre autres à la National Gallery. La « surface » d’une peinture doit être comprise dans sa profondeur, à laquelle notre œil est en fait ultrasensible. J’aimerais que l’on débatte de ces « systèmes de lecture de surface » qui garantiraient « la plus parfaite sécurité ». Et quelle « objectivité » ? Chimique ? Esthétique ? En tout cas, la « réflectographie » citée par Monsieur Rava n’est pas très adéquate pour les vernis (elle est utilisée pour lire les traces de dessins préparatoires « sous » la couche de peinture). Les ultraviolets serviront pour des contrôles par intervalles, mais il serait inquiétant de s’en remettre à un nettoyage sous « lumière noire » en continu4. Puisque la sécurité est une condition reconnue par tous, signalons que les produits étudiés par Richard Wolbers (intéressants comme alternative aux solvants pénétrants/évaporants) dont il a été parlé, ont sûrement un avenir, mais des effets assez déroutants encore. A savoir : la persistance de résidus du produit (puisqu’il n’y a pas évaporation) et des effets contredisant les prévisions. Le mieux, je crois, est de renvoyer aux articles scientifiques parus 5. Mais revenons à La Joconde, car on ne peut parler que de cas particuliers. Pour un allégement, la présence de couches diverses « gomme-laque et résines » demanderait à être étudiée de près. Car la gommelaque, très peu maniable, n’est pas allégeable ellemême. En principe, elle doit être soit gardée, soit enlevée et l’on emploie pour cela l’acétone, parfois additionnée d’un alcool. Ces solvants font partie d’une catégorie active, capable de dissoudre déjà la plupart des résines naturelles. Une pénétration des solvants, par les craquelures, en lixiviation, pourrait atteindre le vernis de Léonard et les glacis qu’il enveloppe. Il semble donc que la présence de gomme-laque peut s’avérer bien plus un obstacle qu’un atout. Intervention ou pas, les recherches historiques peuvent être approfondies déjà grâce à votre débat. ARIPA Nuances 18, Octobre 98 7 Ainsi, lorsqu e Cassia no del Pozzo se lament ait sur la présen ce d’un vernis « offusq uant » en 1625 (Vinci est mort en 1519), que voyait -il exacte ment ? Dans quelle mesure n’étai t-ce pas la Jocond e avec les seuls vernis et glacis de Léonar d ? Il passe pour avoir retrav aillé ce portra it des années durant . Vernis de Vinci – certes déjà trop « altéré » au goût de Del Pozzo après un siècle , mais l’on connaî t bien d’autr es ratage s techni ques de Léonar d – et vieill issement prémat uré de ses œuvres . Par ailleu rs il faudrait cherch er si c’étai t l’habi tude de surajo uter de nombre ux vernis sur les grands chefs- d’œuvre à la cour de France entre 1520 et 1625… Dans ce cas, Cassia no del Pozzo n’aura pas manqué de faire la même remarq ue sur d’autr es tablea ux. Ce sont des points à éclair er, je pense. La recher che annonc ée d’une lumièr e très adaptée à la Jocond e pourra it sûreme nt nous faire progresse r en conser vation muséal e. Car nombre ux sont les tablea ux en bon état comme celui- ci qui, par le seul fait d’être mal éclair és, parais sent sombre s et ainsi devien nent candid ats à des nettoy ages dont ils n’ont pas besoin . M. F.-F. Notes : (1) Dans le Times du 14 IV 1998, article de D. Alberge. (2) N. Stolow, R.L. Feller & E.H. Jones – puis P.L Jones :The Leaching of Linseed Oil Films (1965). Pour réf., Alessandro Conti : Sul Restauro – Einaudi editore, 1988. (3) Défenseurs de la « patine », au nombre desquels il faut citer bien sûr Cesare Brandi, figure fondatrice de la restauration moderne (Teoria del restauro – 1963). Cf. The cleaning of pictures in relation to Patina, Varnish and Glazes in Burlington Magazine N° 556 (1949), et aussi Paul Philippot qui fut à la direction de l’ICCROM (UNESCO) de 1959 à 1977. (4) Il n’est pas exclu que se pose ici un problème de manque de précision dans le texte rapportant les propos d’Antonio Rava. Alors qu’en France, la réflectographie désigne une technique utilisant les infrarouges, pénétrants, on trouve mention dans un article anglais de « reflectography in the ultraviolet » à laquelle il pouvait penser. Quelques soient les moyens de récupérer une image ultraviolette des vernis, se posera encore le problème des solvants ou du peu de recul que nous avons encore sur les expériences de laser appliqué aux peintures et, à mon avis, toujours celui de la sensibilité esthétique du restaurateur. (5) Cleaning of a 19th century Painting with Deoxycholate Soap : mechanism and residues studies, J. Koller – Doerner Institute. Vient de paraître • La revue Esprit (n° 245, AoûtSeptembre 98) vient de publier un essai d’une trentaine de pages rédigé par James Blœdé (actuel président de l’ARIPA) qui s’intitule : Soumettre les œuvres à la question. Considérations sur l’abus des restaurations. Tout en citant des exemples, l’auteur montre certaines impostures (au rang desquelles vient en bonne place la caution scientifique). Dénonçant la confiscation des œuvres au nom de l’histoire de l’art par ceux qui ont mission de les préserver, il analyse les causes de cette saccageuse dérive. Extrait : « A l’opposé d’un chimérique état d’origine, ce que la restauration procure aux œuvres, c’est une nouvelle nouveauté. Ce qu’elles y perdent, bien évidemment, c’est leur ancienneté. Elles semblent en devenir banales, sans plus de particularités, toutes semblables. A l’usage des solvants, s’est dilué leur mystère. L’œil se fait alors superficiel et glisse de l’une à l’autre pour n’embrasser plus que des collections. Entre le spectateur et l’œuvre manque une dimension essentielle, inhérente au désir de voir, la distance. Seraitce pour rallumer ce désir que la pratique se répand de mettre sous verre tant de chefs-d’œuvre ? Mais les vitres — qui dérobent aux regards les tableaux plus efficacement qu’aucun vernis — ne sauraient recréer une distance qui était, pour une bonne part, temporelle. Privées d’ancienneté, il manque aux œuvres le lustre que leur avait donné le temps, qui les faisait vénérables, les sacralisait. Il leur manque l’autorité que leur conférait leur durée. Dépouillées de leur passé lors même qu’on prétend les y renvoyer, elles sont sorties de l’histoire — la leur et non pas celle, fictionnelle et fonctionnelle, de l’historien — pour tomber dans une actualité fossilisée. Les secteurs du Louvre où cette nouvelle nouveauté se révèle dans l’horreur de sa platitude, où l’on prend le mieux conscience de l’illusion qui consiste à croire que l’on restaure des œuvres quand on ne peut restaurer que des choses, mais aussi que la restauration fait perdre à l’œuvre sa stature (son statut) et la ravale, précisément, au rang de chose, ces secteurs sont ceux où les campagnes ont été conduites tambour battant et de façon exhaustive. » On peut se procurer Esprit en téléphonant au siège de la revue : 01 48 04 08 33 ou par commande à Esprit, 212 rue Saint-Martin, 75003 Paris. Prix : 100 F port compris. ARIPA Nuances 18, Octobre 98 8 PIETÀ, le retour Sa restauration est un échec manifeste ☛ Après de longues années d’absence, la Pietà de Rosso Fiorentino est à nouveau visible dans la Grande Galerie du Louvre. Sa restauration est un échec manifeste. Bien des gens le savaient dont certains avaient prévenu l’ARIPA depuis longtemps. Mais la restauration contemporaine fait des « miracles ». Le tableau a été patiemment reconstitué. Pour l’heure, l’administration refuse de nous communiquer les pièces relatives à ces six années de travaux. En attendant, nous proposons à nos lecteurs ces quelques considérations inspirées par le compte rendu de la Commission de restauration et l’état actuel de l’œuvre. E n quoi a consisté la séance de la Commission de restauration réunie le 20 mai 1992 afin de décider des travaux à effectuer sur la Pietà de Rosso Fiorentino ? En pas grand chose si l’on se fie à son compte rendu officiel : lecture du constat d’état rédigé un mois plus tôt par un restaurateur, mention sans autre précision de la présentation d’un dossier du laboratoire et présentation d’une radiographie dont il n’est pas dit que, pour être complètement opaque, elle ne laissait rien transparaître. Puis, propositions du service de restauration, à savoir : « la reprise de la transposition, l’allégement du vernis, le dégagement des repeints, la réintégration des lacunes. » Enfin, une ou deux interventions anodines des membres de la commission. Au nombre de quatre – Madame Volle, Mademoiselle Bergeon, Messieurs Cuzin et Thuillier – ceux-ci s’accordent rapid ement pour ordonner : « Dans un premier temps, reprise de la transposition, en essayant si possible de conserver l’état actuel jugé assez satisfaisant. »1 On chercherait en vain quelques propos sur les risques d’une opération aussi nuisible que la transposition. A lire ce compte rendu, il semble que la décision ait été prise en toute légèreté, mais le peu qui y est dit pourrait aussi bien être le signe de beaucoup d’inquiétude. Ainsi, l’on s’étonne de lire : « en essayant si possible de conserver l’état actuel… » La déontologie, en effet, n’interdit-elle pas d’entreprendre quoi que ce soit dans une telle ignorance de ce qui adviendra ? De même, que penser du propos rapporté de Jean-Pierre Cuzin ? Celui-ci « trouve le tableau très équilibré avec son côté sourd. Il faut le soigner, mais sans trop toucher à son apparence. » Chacun sait pourtant que le remède choisi est de nature à modifier radicalement l’apparence de n’importe quel tableau. Dans un article récent intitulé : « Restauration à la mode. Les risques des techniques dernier cri » et publié par la revue Beaux-Arts , Georges Brunel, directeur des études de restauration à l’Ecole nationale du Patrimoine, écrit : « La transposition a des conséquences redoutables et irréversibles sur la couche picturale. Non seulement des fragments de celle-ci disparaissent presque fatalement dans l’opération, mais ce qui subsiste reçoit l’empreinte du nouveau support. S’ajoutent à ces pertes les effets du repassage et de la chaleur : la couche picturale du tableau transposé est écrasée, elle perd sa qualité matérielle. L’image est (dans les bons cas) sauvée, mais elle n’a plus de corps. Solution de désespoir que l’on a employée à tort comme mesure préventive, la transposition est aujourd’hui bannie des ateliers de restauration, mais les dégâts d’autrefois ne se répareront jamais. » Le nouvel aspect de la Pietà illustre parfaitement cet énoncé des effets de la transposition que l’on peut compléter en évoquant la disparition de la couleur des carnations du Christ et de Saint Jean maintenant gris violacé et, en plusieurs endroits, des parties repeintes et d’autres privées de leurs nuances, ou encore ces traces d’accident qui zèbrent le dos de Saint Jean. Rosso Fiorentino. La Pietà. Détail avant restauration. Les carnations du Christ et de Saint Jean, naguère colorées, sont maintenant grises. Le drapé de Saint Jean présente un aspect chaotique ARIPA Nuances 18, Octobre 98 et des zébrures lacèrent son dos. 9 dons en outre la publication annoncée par les responsables d’un compte rendu dans la Revue du Louvre. Nous sommes curieux de savoir comment ils vont s’y prendre pour justifier un tel échec. James Blœdé (1) La transposition consiste à détacher la couche picturale de son support d’origine afin de la refixer sur un autre support. L’opération est dite ici « reprise » car la Pietà avait déjà été transposée de bois sur toile en 1802, puis de toile sur toile en 1947. ..................... Juste quelques gouttes Rosso Fiorentino. La Pietà. Détail avant restauration. La couche picturale a souffert de la reprise de transposition sur l’ensemble du tableau, perdant toute consistance. La matière s’en trouve partout appauvrie, lessivée, repassée, en particulier dans les draperies. Il y a des transpositions plus ou moins ratées. Celleci est particulièrement ratée, preuve de plus, s’il en fallait, qu’on ne devrait jamais livrer une œuvre à d‘incertaines entreprises. Et ce, même lorsqu’on est servi par le meilleur spécialiste qui soit, Yves Lepavec, à qui nous devons la réparation exemplaire de la toile déchirée des Noces de Cana après sa chute. Il faut noter que les deux précédentes transpositions effectuées sur la Pietà (voir note 1) n’avaient pas causé, au contraire de celle-ci, l’écrasement de la couche picturale, désormais diaphane et immatérielle, lisse comme un marbre. Voici comment un restaurateur, Georges Zezzos, décrivait l’aspect du tableau dans un rapport daté de mars 1953 : « Le fait est que sur ce tableau peint sur bois (sapin probablement) et transposé deux fois sur toile, on a dû conserver l’apprêt composé d’un plâtre non broyé et présentant des grumelots qui, à la surface peinte, apparaissent comme autant de soulèvements. Certaines fresques ont de ces granulations irrégulières, et il ne faut pas oublier que le Rosso est un fresquiste, dont cette œuvre rappelle la technique ». Dans ce rapport, Georges Zezzos explique comment Madame Hours, chef du Laboratoire, avait tort de prendre ces effets de matière pour des soulèvements de la pellicule picturale. A cette époque, le tableau est donc solide. Depuis, il a eu à subir de fortes et néfast es variat ions hygrom étrique s, une inonda tion même, lorsqu e, transp orté à l’atel ier pour un refixa ge, il fut entièr ement trempé par de la neige fondue s’écou lant d’une verriè re non hermétiqu e. Nous ne manquerons pas de revenir sur cette restauration dès que notre demande de consulter le dossier administratif de la Pietà aura abouti. Nous atten- Avant qu’ils n’aient été transférés dans la nouvelle aile Richelieu du Louvre, les tableaux peints par Rubens pour Marie de Médicis avaient été bichonnés. Rappelons que le bichonnage, dans le langage de la restauration, désigne toutes sortes d’opérations, en principe légères, qui peuvent se pratiquer sur place, sans qu’il soit nécessaire de transporter l’œuvre à l’atelier. Rien à dire pour ce qui est de l’ensemble qui s’est révélé satisfaisant. Un détail pourtant, mais pas n’importe lequel. On sait que sur la cuisse de l’une des sirènes s’ébattant dans le port de Marseille (Le débarquement de Marie de Médicis à Marseille), Rubens a peint des gouttes d’eau, trois ou quatre seulement, mais une source pour le jeune Delacroix peignant son Dante et Virgile. Ces gouttes d’eau, bien visibles auparavant, sont maintenant à moitié effacées. J.B. Corot volé Après le vol d’un tableau de Corot, Le Chemin de Sèvres, en mai dernier, on pouvait lire dans Le Monde (3 juin) la déclaration suivante de Pierre Rosenberg : « Nous avons négligé la sécurité, c’est vrai. Mais le Louvre est un chantier permanent depuis près de quinze ans. Nous sommes tirés par le projet. Chaque année, ou presque, on a ouvert de nouveaux espaces, sans reprendre haleine. Il est temps de mettre à plat tous les problèmes laissés de côté. » Madame Wanda Diebolt, directrice générale du Louvre, avoue : « Cette prise de conscience, à tous les niveaux, nous a amenés à nous poser des questions… » Alors, on a « débarqué » le supérieur hiérarchique des surveillants du musée. Cet acte vengeur va-t-il résoudre les problèmes de sécurité ? Cette tardive prise de conscience aboutira-t-elle à des réformes sensibles ? Ce n’est pas le premier vol au Louvre, ni le premier acte de vandalisme. Diriger c’est prévoir, dit-on à juste titre. Y a-t-il une direction au Louvre ? ARIPA Nuances 18, Octobre 98 10 De la lisibilité comme critère de restauration des peintures Conservateurs et historiens d’art aiment à justifier les dévernissages d’œuvres en bon état en arguant d’un critère de lisibilité. Mais un tableau ne demande pas à être lu. Il nous invite au plaisir de voir. Je pense que le mot « lisibilité » peut se révéler bien dangereux car il est ambigu. En effet, depuis la mode des sémiologies et des linguistiques, il est de bon ton de « lire » les images ; il y a des épreuves de lecture d’image dans des concours d’Arts plastiques. Pourquoi pas, si on n’a garde d’oublier qu’il s’agit d’une métaphore, qu’une image n’est pas un texte, que les mots ne peuvent en rendre totalement compte. On sait qu’il y a des images et de l’imagerie dans la peinture, plus ou moins selon les époques et les écoles. Poussin était « un grand inventeur d’histoires » selon Bernin1. Mais il n’était pas que cela et disait « faire profession de choses muettes »2 Il est important de distinguer ce qui est propre au domaine pictural de ce qui ressort davantage de l’imagerie, les deux étant parfois bien liés. L’analyse des thèmes, des sujets, l’iconographie, l’iconologie concernent évidemment la part de l’imagerie. C’est, me semble-t-il, un espace privilégié de l’histoire de l’art. Lorsqu’il s’agit du pictural, il ne faut pas perdre de vue que l’on est dans un autre domaine. Comme le dit dans son livre Peinture et Réalité Etienne Gilson, il faut souligner « l’hétérogénéité foncière de la peinture et du langage ».3 Et c’est bien là le danger du mot « lisibilité ». Face à une peinture assombrie ou avec des lacunes, la première tentation, pour qui n’est pas peintre, n’estelle pas de privilégier le sujet, de retrouver l’histoire, de savoir s’il s’agit d’une courge ou d’un lapin, d’une cabane ou d’autre chose ? Je me souviens avoir entendu devant les Noces de Cana lessivées : « Maintenant, on peut voir ce qu’il y a dans les assiettes ». Ne fait-on pas passer l’image avant le pictural ? N’est-ce pas l’inversion de la phrase connue de Maurice Denis ? Que devient l’œil sensible, ce que François Fosca appelait si bien : « la sensualité du regard » ?4 Lorsqu’on récuse le regard des peintres comme subjectif, non scientifique, c’est qu’on oublie que l’on entre alors dans le domaine de l’expérience sensible. « L’expérience sensible a son évidence propre à partir de laquelle on peut justifier certaines conclusions, mais qui n’est pas elle-même une conclusion et que l’on ne saurait par conséquent justifier ». 5 On sent bien ce qu’il peut y avoir là d’irritant pour un esprit soi-disant scientifique, mais c’est aussi ce qui rend le regard des peintres ou des sculpteurs irremplaçable. Lor sque la res taura tion d’u n che f-d’œ uvre est ent repri se, la « l isibi lité » à res pecte r ou à ret rouve r ne peu t-ell e ser vir d’a libi à des rec herch es has ardeuses ? Pour terminer en beauté, deux citations de Bonnard éclairant magnifiquement la question : « Le tableau est une suite de taches qui se lient entre elles et finissent par former l’objet, le morceau, sur lequel l’œil se promène sans aucun accroc. » « Le seul terrain solide du peintre, c’est la palette et les tons, mais dès que les couleurs réalisent une illusion, on ne les juge plus et les bêtises commencent ». C’est pour tout cela que je préférerais le remplacement de « lisibilité » par « visibilité ». Marcel Siret Notes : (1) Chantelou : Voyage du Cavalier Bernin en France (2) Poussin : Lettre à Sublet des Noyers (3) Etienne Gilson : Peinture et Réalité - Paris - Vrin 1972 (4) « Chez certains individus… le sens de la vue ne se borne pas à les renseigner ; il leur procure des jouissances très vives qui peuvent devenir très raffinées. Ces jouissances ne naissent pas seulement à la vue de spectacles ou de choses dont la valeur esthétique est admise par tous, édifices, sculptures, peintures, objets d’art, être humains et animaux, paysages, arbres, fleurs, etc. mais aussi d’autres spectacles qui laissent complètement indifférents la plus grande partie de l’humanité. Par exemple le gris tirant sur le violacé d’un jour de printemps sans soleil, des choux rouges dans un plat d’argent, l’élan souple d’un jeune arbre. « Pour celui dont la sensualité visuelle est très développée, le simple fait de regarder devient un plaisir… L’objet le plus familier, le plus banal, une poire à l’épiderme lisse, un amas de livres, un caillou, offre a ses yeux un régal qu’il savoure… » François Fosca : De Diderot à Valéry - Albin Michel 1960. (5) Etienne Gilson : ouvrage déjà cité (note 3). ARIPA Nuances 18, Octobre 98 11 Amiens : des couleurs qui ne se laissent pas ressusciter Il était une fois un projet inédit de nettoyage pour un joyau de cathédrale gothique. Le laser Nd:YAG, expérimenté jusque là en laboratoire, devait permettre de sauvegarder l’intégrité de la pierre (enfin) et tout autant les vestiges de polychromies. Comme nous étions à l’aube du millénaire, la municipalité souhaitait y voir ajouter une pincée de rêve : la « recoloration partielle et réversible » de tout un portail. Nos lecteurs se souviennent de l’intervention de R.H. Marijnissen expliquant l’inconscience du projet à notre ministre de la culture, de nos courriers aux responsables (Nuances 12, mars 97) et de la rassurante réponse du ministère – néanmoins déconcertante puisqu’il n’y était question que du laser version touristique : son et lumières colorées… réversibles, forcément. Pendant ce temps, le vrai laser Nd:YAG était mis en œuvre in situ, tout en explorant les multiples effets de ses paramètres variables (fréquence / énergie / diamètre du faisceau / nombre d’impacts, etc.). Ses capacités réelles ont été peu à peu établies : parfaite désincrustation des difficiles « croûtes noires » alors que le carbonate d’ammonium donnait un résultat médiocre. Préservation de la fine surface de la pierre que le microsablage rabotait jusqu’ici impitoyablement. Une réussite telle, dans le rendu des délicates ciselures médiévales, qu’elle rend consternants les traitements prodigués auparavant à nos monuments (le premier miracle était d’ailleurs qu’Amiens eût échappé au sablage à la mode dans les années soixante). Mais, manque de chance, le point faible du laser est justement la polychromie. Il noircit irréversiblement le vermillon, le vert de malachite, brunit le rouge de plomb. Des ocres jaunes et rouges, ainsi que des noirs, peuvent être « facilement éliminés par les impacts laser ». L’or est très sensible, le blanc de plomb, risquant de brunir, délicat à traiter. En outre la pierre apparaît plus jaunâtre après nettoyage.1 Le laser était donc à éviter sur les zones ou les fragments de polychromies présents un peu partout. Or il reste un point d’interrogation. Une vue en cours de travail le montre utilisé sur tout le corps d’une statue, avec pour résultat une pierre uniformément beige, ceci jusqu’au ras de la tête qui, elle, reste nonnettoyée. Cette photographie d’Amiens est accompagnée d’une étonnante légende : « Les résultats se sont avérés concluants. (…) En revanche, le laser n’a pas encore été adapté à la complexité des statues polychromes, pour lesquelles le nettoyage manuel est toujours recommandé. »2 De fait, sur un grand nombre de statues que nous découvrons aujourd’hui, n’apparaissent en polychromie que les têtes et les mains… tranchant net sur le beige impeccable des vêtements et drapés (comme le montrent les vues publiées dans le dernier numéro de la revue Connaissance des Arts). Aurait-on ainsi « tranché » la question ? D’autre part, s’il est prouvé que ce sont bien là des couleurs préservées, parfois discernables de près, elles n’en forment pas moins à distance des visages en puzzle de tons gris marbrés. Le rôle du laser serait à présent réduit, et les techniques alliant microsablage et carbonate d’ammonium réutilisées. Dernière surprise : nous avons pu entendre ce printemps 3 le responsable de la culture de la ville d’Amiens défendre toujours ardemment l’idée de la recoloration « réversible ». Où l’on a appris que la couleur avait « une connotation à la fois sociale et culturelle extrêmement forte ». Où il nous a été expliqué que « les façades des cathédrales n’auraient jamais existé sans l’apport des autres cultures et que les autres cultures ont inventé la couleur. » Où l’on a pu comprendre qu’il souhaitait « que ce message culturel puisse être porté, jusqu’à envisager une recoloration partielle, pour qu’il puisse y avoir dans trois ans, à l’aube du troisième millénaire, un témoignage [et Amiens serait la seule de toutes les cathédrales du monde] qu’elles ont été peintes. » Et qu’enfin, « la façade appartient à tout le monde. » Par le miracle de la radio, et grâce à cette émission bien préparée, nous avons eu le plaisir d’entendre ensuite Stephen Murray, historien de l’art à Columbia University de New York, spécialiste de la cathédrale d’Amiens, qui fit remarquer que, déjà, Viollet-le-Duc avait fait beaucoup d’erreurs et qu’il suffirait que toutes ces couleurs soient mises dans un livre. Michel Favre-Félix Notes : (1) The « Portail de la Mère Dieu » of Amiens cathedral : its polychromy and conservation. C.Weeks. Studies in Conservation. Vol. 43 - N°2 - 1998. (2) L’Art et la Science. J.P. Mohen. Ed. Gallimard - Musées Nationaux - 1996. (3) Emission de France-Culture : Changement de décor, consacrée à Amiens le 29 avril 1998. ARIPA Nuances 18, Octobre 98 12 Réversibilité : fiction ou réalité ? James Beck, historien d’art spécialiste de la Renaissance italienne, professeur à Columbia University et président d’ArtWatch International, dénonce ici comme fiction le concept de réversibilité, notion théorique imparfaite qui ne se trouve pas confirmée par la pratique. L a réversibilité, pierre de touche de toutes les exmême du tableau ait été réparée et nettoyée. Or rapplications données au public en matière de pratipelons que ce qui a été fait lors de la phase de netque moderne de la restauration des œuvres d’art, est toyage n’est jamais réversible puisque l’action conun concept destiné à faire une claire distin ction entre siste alors à supprimer. On a certes le choix entre ce les interventions trompeuses d’autrefois et les restauqui doit être enlevé, saleté, vernis oxydés, repeints rations fidèles, responsables et « scientifiques » anciens, etc. mais ce qui a été enlevé ne peut être red’aujourd’hui. La réversibilité tient lieu de garantie ; mis… Ainsi force est de constater que nous sommes comme si, indépendamment de ce qui a pu se proen plein paradoxe, ce qui est considéré comme transduire au cours du travail de restauration, l’apparence formation réversible étant surimposé sur une transfinale d’une œuvre pouvait toujours être ramenée à formation irréversible. son état antérieur avec un petit coup d’éponge huCe concept de réversibilité a pourtant un impact mide. Et cela parce que chaque repeint et chaque réaussi subtil qu’important sur la phase première de intégration effectués en fonction du principe de réve rnettoyage, chose dont on ne parle jamais mais qui sibilité peuvent être retirés du fait qu’ils sont réalisés peut affecter grandement le résultat final. La conavec de la peinture soluble à l’eau. Tous les problèscience qu’a le restaurateur, depuis le début de son mes causés par des interventions discutables peuvent travail, qu’il peut, lors de la seconde phase, modifier être éliminés en un instant puisque ces surpeints, l’aspect de la surface initiale sous-jacente – y compris nous assure-t-on, sont apposés sur une couche de les réintégrations des parties perdues – influence vernis neuf qui sépare efficacement la surface peinte dangereusement sa façon de procéder dans la prenettoyée des applications réversibles nouvelles. mière phase. Il sait trop bien qu’avec cette méthode, Remarquons que cette argumentation soulève la tout peut être « corrigé » ou en tout cas harmonisé lors question du statut de la couche de vernis posée avant de la deuxième phase grâce à des surpeints, des verles surpeints, tout comme celui du vernis appliqué nis colorés et à l’ajustement des lumières et des omdans la phase finale sur l’ensemble pour recouvrir le bres. Autrement dit, le concept de réversibilité donne tout, y compris les retouches à l’eau réversibles. En toute licence au restaurateur lors de l’opération de effet, le vernis n’est nettoyage parce qu’il pas soluble à l’eau et sait qu’il peut ultérieune peut être retiré rement rattraper à sa Le concept de réversibilité donne toute qu’avec un solvant toute interve nlicence au restaurateur lors de l’opération guise chimique. On nous dit tion dommageable. de nettoyage parce qu’il sait qu’il peut qu’il s’agit d’une praCette situation est tique sans risques, facile à comprendre si ultérieurement rattraper à sa guise toute mais les solvants sont l’on se réfère à la resintervention dommageable des solvants et ils tauration laborieuse et peuvent agir de façon hautement médiatisée imprévisible ou indésirable. Mais ceci est une quesde La Cène de Léonard de Vinci, œuvre profondément tion annexe et j’en reviens à ce qui est l’objet même de mise à mal par le vieillissement, de multiples intermon propos. ventions aux cours des siècles derniers et probableL’œuvre d’art, à en croire les explications officielment même, à l’origine, les expériences de Léonard. les, est toujours à l’abri d’altérations irrémédiables De nombreuses zones révèlent de minuscules îlots de grâce à la réversibilité des couleurs apposées… Cette pigments d’origine perdus au milieu d’une surface assertion, qui est au centre même de la rhétorique des criblée de trous, état encore aggravé par l’actuelle restaurateurs, est-elle crédible ? Je me propose de campagne de restauration qui, depuis vingt ans, démontrer qu’il convient de considérer avec la plus s’acharne à enlever tous les repeints (même les plus grande méfiance ce qui peut sembler à première vue récents) et réparations antérieures dans le but avoué une méthode impeccable. La réversibilité, comme on de mettre à nu ce que l’on considère comme les vestil’a déjà compris, ne peut concerner que la seconde ges de l’original. Ce traitement drastique n’a été posphase du travail de restauration, après que la surface sible que parce que la restauratrice savait depuis le ARIPA Nuances 18, Octobre 98 13 début qu’elle pourrait finalement colmater ou du Question pratique : pourquoi retirer des applicamoins ajuster les pertes de la surface par des appl itions réversibles ? Il n’y a certainement aucune raison cations d’une substance plus ou moins neutre à base de le faire si on n’est pas décidé à les remplacer par d’eau ainsi que par des repeints substantiels que l’on des applications nouvelles présumées meilleures. Sipeut distinguer facilement sur les têtes de certains non, ce qu’on verrait serait le tableau décapé, avec les Apôtres et sur celle du Christ. Remarquons que ce espaces vides, les erreurs, les traces laissées par le dernier procédé n’a rien à voir avec une restauration travail de préparation, etc. Il serait impossible d’offrir mais relève de la reconstruction ou plutôt de aux regards du public une œuvre aussi mutilée. La l’interprétation. réversibilité n’aurait donc de raison d’être que si elle Même si l’enlèvement des anciens repeints a été était l’occasion d’une autre intervention réversible. particulièrement soigneux et consciencieux, les bords Hypothèse hautement improbable au demeurant si irréguliers et déchiquetés de la peinture d’origine sont l’on est quelque peu réaliste. Après tout le travail de forcément plus ou moins altérés. Comme il reste de nettoyage et de réintégration payé par un mécène contoute façon si peu de la peinture de Léonard, savoir vaincu – banque, compagnie d’assurances, géant inqu’elle aura la possibilité de corriger tout ce qu’elle ternational du pétrole, marque de vêtements ou de cisouhaitera corriger a donné à la restauratrice le cougarettes, agence gouvernementale, musée ou église – rage de faire disparaître à jamais plus qu’elle n’aurait qui accepterait d’apporter des fonds pour démanteler fait autrement : tout une restauration répeut se rattraper à cente et hautement Une fois créée, une apparence particulière l’étape suivante. louée (toutes les resCette situation imprègne le souvenir et elle restera dans la taurations sont hauconcerne non seulelouées de nos mémoire collective pendant des générations tement ment la restauration jours) ? Une fois que des peintures murala publicité pour les (dans le cas considéré c’est la mystérieuse technil’intervention a atteint son but, la possibilité – en terque du a secco de Léonard qui est concernée tout aumes de public relations – de défaire ce qui a été fait tant que le buon fresco) mais encore les peintures sur est très compromise : on ne trouverait pas les crédits bois ou sur toile exécutées à l’huile ou a tempera. En pour cela. effet lorsque la peinture s’est écaillée, le restaurateur Il nous faut maintenant aborder le problème de la est pratiquement obligé de reprendre les bords des réversibilité sous un angle résolument différent, non parties restantes pour arrêter le processus en colmaplus celui des propriétés physiques de la peinture ou tant les portions manquantes, petites ou grandes, et de la fresque mais celui auquel la critique artistique finalement il lui faut ajuster et surpeindre ces zones moderne s’attache presque exclusivement, c’est-à-dire avec de la peinture à l’eau. l’image reçue par le spectateur. Le discours officiel Mais revenons à notre question premiè re : les résur la restauration moderne a été jusqu’ici préservé intégrations, surpeints et repeints seront-ils jamais de toute approche critique, cette dernière étant consiréversibles ? Dans les zones, par exemple, où une dérée sans objet étant donné le caractère présumé nouvelle couche de fond a été appliquée puis repeinte scientifique et/ou technique de la dite restauration. avec des pigments solubles dans l’eau, plusieurs L’apparence d’une peinture ou d’une fresque après facteurs doivent être pris en considération. Comme restauration, réversible ou pas, est évidemment crudans le cas de La Cène, enlever le surpeint moderne à ciale pour sa perception. Or l’apparence est rarement l’aquarelle serait dangereux pour les bords précaires réversible dans la mémoire que l’on a de l’œuvre. Une des îlots de peinture d’origine. La moindre pression fois créée, une apparence particulière imprègne le peut entraîner des pertes. Et le simple passage d’un souvenir et elle restera dans la mémoire collective chiffon, d’une compresse d’ouate ou d’une éponge est pendant des générations. Ce phénomène est particususceptible de soulever ou boursoufler les contours. lièrement fort de nos jours où notre imaginaire est Autre problème inhérent à la question : les couconditionné par les reproductions, les vidéos, les leurs à l’aquarelle ont tendance à s’éclaircir en queldiapositives et les images de synthèse. Depuis la ques décennies, de sorte que ce qui avait pu paraître restauration, il y a deux ans, de L’Amour Sacré et Proune réintégration réussie sur une peinture ou une fane du Titien à la Villa Borghèse et celle de la Vénus fresque peut s’avérer totalement inadéquat dans le d’Urbino du même artiste au Musée des 0ffices, les futur. Et cela entraînera probablement une nouvelle images des œuvres trompeusement « remises à neuf » intervention. La rapidité de l’éclaircissement dépend sont dans le domaine public sous forme de cartes évidemment de la quantité de lumière à laquelle postales, posters, illustrations de monographies et de l’œuvre est soumise. En conséquence, il pourra semlivres d’art. Les fresques de la Chapelle Sixtine traîbler souhaitable de placer les œuvres restaurées dans treusement récurées puis rectifiées à l’aide de nomune obscurité relative ou bien de les protéger par une breux repeints et réajustements – réversibles ou pas – vitre teintée – ce qui semble être le cas dans certains sont maintenant le Vrai Michel-Ange car le souvenir musées – bien que les désavantages soient grands de la version non restaurée devient de plus en plus dans les deux cas pour le visiteur sensible. ARIPA Nuances 18, Octobre 98 14 flou. Des millions de visiteurs s’imprègnent de la restauration « réversible ». L’apparence trafiquée mais « réversible » du Christ dans La Cène de Léonard a été récemment présentée aux mass médias comme « plus proche de l’original » qu’elle n’était auparavant. Elle a été lourdement réinterprétée par la restauratrice moderne mais elle va très vite devenir – réversible ou pas – l’image correcte, la seule image du Christ de Léonard. En dernière analyse, le concept de réversibilité n’est qu’un subterfuge utilisé par les restaurateurs pour faire accepter par le public, et même les spécialistes, leurs transformations et leurs interprétations. Si je ne me trompe pas et que la réversibilité n’est qu’une notion théorique imparfaite qui ne se trouve pas confirmée par la pratique, nous devons être plus vigilants que jamais sur les effets des restaurations modernes. Ces interventions sont inséparables du tout, un tout qui n’est plus l’œuvre du maître. Comprendre ce phénomène doit nous amener à nous montrer très prudents et même sceptiques devant les restaurations de tableaux. Il existe évidemment des cas où une restauration minutieuse est nécessaire et même désirable : quand ils ont été sinistrés, par exemple lors d’une inondation, d’un acte de vandalisme ou d’une guerre. Sans parler de l’humidité ou d’un défaut de conservation. Mais en temps normal, toute restauration entreprise pour tenter de retrouver ou de se rapprocher d’un état d’origine doit être considérée avec méfiance. James Beck trad. Jean Courthial L’affaire Giotto et la presse italienne Jean Courthial revient ici sur les efforts d’ArtWatch et de l’ARIPA en faveur de la Chapelle Scrovegni et sur l’anti-américanisme que suscite, dans la presse italienne, l’intervention de James Beck. L es lecteurs de Nuanvirulent des projets offices1 savent les efforts ciels, ont été invités à titre déployés par ArtWatch d’observateurs passifs International et l’ARIPA avec interdiction de prenpour préserver les fresdre la parole. Il ont éviques de Giotto dans la demment refusé, tout en Chapelle Scrovegni de réitérant la demande d’un Padoue d’une restaurasymposium. tion probablement injusEn l’état actuel des tifiée et à coup sûr danchoses, les initiateurs du gereuse. projet donnent pour une Flavio Zanonato, maire fois la priorité à la conse rde Padoue, avait répondu vation (ce n’est guère de façon favorable aux l’usage en Italie, cf. Nuannombreuses pétitions ces 15)… en vue, hélas, Les tuyaux qui rejettent au dehors l’eau du dedans (laquelle retourne adressées par des perd’une restauration ultéimmédiatement dans la crypte par infiltration). Photo 1996. En 1997, à sonnalités des arts et des rieure à laquelle ils n’ont lettres de divers pays, la suite de remarques de James Beck, on a rajouté 2 mètres de tuyau pas renoncé. Car c’est notamment la France, bien de conservation qu’il pour atteindre une bouche d’égout proche l’Angleterre et le Etatss’agit dans l’immédiat, les Unis. Mais à Rome, le Ministère de la Culture en a défresques étant sérieusement menacées par l’humidité cidé autrement. Zanonato a du renoncer à la rencontre des murs. Depuis l’abattage de grands arbres dont les internationale et publique entre experts indépendants racines drainaient un sol spongieux, la remontée de la et parties intéressées qu’il avait initialement acceptée, nappe phréatique maintient la crypte inondée sous au bénéfice d’un colloque entre les seules parties im50 cm d’eau. Beck et De Simone soutiennent que c’est pliquées : le Ministère, la Direction Régionale des la cause première de l’humidité des murs et qu’il conBeaux-Arts et la Municipalité de Padoue. James Beck vient d’assainir la crypte par des travaux appropriés. et l’architecte Ferdinando de Simone, autre critique ARIPA Nuances 18, Octobre 98 15 Les initiateurs du projet actuel ont jugé, eux, que l’humidité destructrice était due essentiellement à la pénétration dans l’édifice du smog (brouillard chargé de pollution) local aggravée par le grand nombre de visiteurs aux vêtements imbibés d’eau les jours de pluie. Pour y remédier, ils ont construit un sas de décontamination de verre, métal et béton adossé à la chapelle. Ce sas sera le passage obligé pour les vis iteurs quand une porte de communication avec la chapelle aura été percée dans le mur contigu. Aux grands maux les petits remèdes : une pompe bruyante fonctionnant en permanence rejette au dehors l’eau de la crypte tout en y maintenant les quelques centimètres d’eau nécessaires à son fonctionnement ! La presse italienne (nourrie par les communiqués officiels) s’est faite l’écho du différend mais – comme d’habitude – en calomniant Beck pour le discréditer aux yeux du public. Voici, à titre d’exemple, quelques citations éloquentes tirées d’un article intitulé « La dernière croisade de Monsieur Beck » dans l’Espresso du 23 avril 98 : « L’association ArtWatch International, hébergée par Columbia University, s’en prend continuellement à l’Italie… Après avoir contesté à grands cris la restauration de la Chapelle Sixtine, ainsi que celle de la Cène de Léonard et plusieurs interventions à la Galerie des Offices, il [Beck] s’en prend maintenant à la Chapelle Scrovegni dans une guerre USA-Italie dont la rumeur a déjà fait le tour du monde… “Les chefsd’œuvre de la Renaissance font partie du patrimoine de l’humanité”, dit Beck : “il est bon de ne pas les laisser aux italiens ”… » Pour accréditer la thèse du complot américain, le même article présente comme suit la pétition internationale : « En quelques semaines est arrivé des quatre coins des Etats-Unis un torrent de 700 lettres. Sous le titre “Pétition pour sauver Giotto”, des artistes, chercheurs, étudiants et amateurs d’art américains man i- pulés par ArtWatch, ce groupe de pression grandissant dirigé par Beck, pressent “l’ancienne et éminente ville de Padoue d’organiser…” » (suit le texte de la pétition). James Beck s’était félicité du nombre et de la qualité des signataires français ; il pensait que leur contribution avait joué un rôle décisif dans l’adhésion du Maire de Padoue. Pour les lecteurs de L’Espresso, ils n’ont jamais existé… On peut lire plus loin : « Que dans le domaine de la restauration les italiens soient de dangereux dilettantes est une thèse osée. Que celui qui les fustige soit un historien de l’art qui n’a probablement pas eu l’occasion d’étudier à fond le dossier Scrovegni est tout aussi osé. Mais c’est là l’effet New York. New York contre Padoue, Columbia University contre Zanonato. C’est comme les cancans sur la Sixtine repris par la presse de nombreux pays. » La presse française, toujours respectueuse de tout ce qui se passe au Vatican, ne saurait être visée par la déclaration finale. Mais la mafia internationale de la restauration sait jouer sur les amours-propres nationaux pour consolider son emprise. En France, la presse ne parle pas de complot américain ; mais elle s’est faite maintes fois l’écho de la thèse officielle opposant la « prudence » et la « modération » françaises aux excès anglo-saxons en matière de restauration. Au vu des résultats, il est permis d’en douter. Chacun proclame sa supériorité pour se donner le droit de faire autant de mal que l’autre dans cette course effrénée vers l’uniformité. J. C. Notes : (1) Nuances 11 : « Action Giotto » Nuances 12 : « Giotto, premiers succès » Nuances 15 : « Zéro de conservation » ....................................... Beck/Daley ▼ ART ET RESTAURATION Enjeux, Impostures et ravages de James Beck et Michael Daley, (traduction de Jean Courthial) Editions Aléas, 314 p. est toujours disponible, sur commande à l’ARIPA. A travers des exemples pris en Italie (Chapelle Sixtine, Chapelle Brancacci...) et en Angleterre (National Gallery), les auteurs dénoncent les dégâts commis ainsi que le contexte général qui les sous-tend, les multiplie et les impose. James Beck et Michael Daley démontrent les dangers de ces interventions faites – pour des raisons souvent fort éloignées des simples exigences de la conservation – au moyen de produits ARIPA Nuances 18, Octobre 98 dont on ignore les effets à long terme sur les œuvres d’art traitées. Nous avons présenté cet ouvrage capital, plus en détail, dans Nuances 16-17. Commande à notre adresse : 97, Boulevard Rodin, 92130 – Issy-les-Moulineaux. Règlement par chèque à l’ordre de l’ARIPA. Montant pour chaque exemplaire : 140 F TTC (port compris). 16 A propos de la restauration des marbres antiques du Louvre ☛ A la suite d’une communication d’Alain Pasquier et Brigitte Bourgeois à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Robert Turcan, de l’Institut de France, est intervenu devant ses pairs (séance du 7 février 1997). Nous le remercions de nous avoir transmis le texte de ses «J e n’ai ni a priori ni avis autorisé à propos du dossier sur lequel vous avez bien voulu nous éclairer. Je voudrais seulement dire un mot sur les sarcophages de Saint-Médard d’Eyrans. Ils avaient naguère encore une belle patine qui donnait à leur marbre un ton d’ivoire doré. En les revoyant dans la nouvelle présentation des antiquités romaines au musée du Louvre, j’avoue avoir déploré le lessivage auquel on les a soumis. Il me paraît assez vain de prétendre restituer à tous les monuments leur apparence antique, en particulier dans le cas des sarcophages qu’il faudrait alors repeindre ! Mais on ignore les couleurs et les ingrédients qui servaient à les fabriquer… En revanche, je crois qu’il convient souvent d’attacher un certain prix à la marque des siècles, à l’aspect que le temps et l’histoire ont donné aux œuvres d’art. Cette marque, cet aspect ont aussi par eux-mêmes une valeur documentaire. » observations et de nous avoir autorisés à le publier. In : Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Fascicule 1 (janvier-mars), 1997, Paris, Diffusion De Boccard. .................................... Désireux d’en savoir plus sur l’acte de vandalisme qui a endommagé la patine du Gladiateur Borghèse à l’été 93 (cf. Nuances 16-17), nous avons écrit à Alain Pasquier. Une affaire à suivre… Monsieur le conservateur en chef, Lors de l’examen du dossier de restauration du Gladiateur Borghèse, nous avons appris avec surprise que le nettoyage opéré, à l’été 93, sur la cuisse droite et le sexe n’était pas, contrairement à ce que nous avions d’abord supposé, un test préfigurant la restauration de l’œuvre mais un acte de vandalisme. Cependant, le dossier que l’on nous a remis à Versailles ne comportait pas certaines pièces qui auraient dû, selon nous, y figurer. Il s’agit, d’une part, des documents relatifs au constat que n’a pas manqué de dresser la police, ainsi que ceux que vous avez vousmême établis pour votre administration, aussitôt l’acte de vandalisme découvert. Il s’agit, d’autre part, des résultats des analyses qui ont suivi afin de déterminer la nature du produit nettoyant utilisé par le vandale. Il s’agit enfin du document relatif à l’ordre donné à l’atelier des marbriers de repatiner les parties endommagées ainsi que le rapport du restaurateur rendant compte de l’exécution du travail. Vous n’êtes pas sans connaître l’attention particulière que nous portons au Gladiateur Borghèse et, plus généralement, à la politique de conservation et de restauration du patrimoine national. Nous souhaitons donc pouvoir prendre connaissance de ces di- verses pièces indispensables à nos yeux pour l’objectivité de notre analyse. En conséquence, nous vous demandons de bien vouloir nous indiquer où et quand nous pourrons consulter ces documents. Dans l’attente de votre réponse, l’ARIPA vous prie de bien vouloir agréer l’expression de ses sentiments distingués. James Blœdé A cette lettre que nous avons envoyée le 20 mai 98, Alain Pasquier répond le 17 juillet : Monsieur, Par courrier en date du 20 mai, vous m’avez demandé la communication de documents concernant l’état de conservation du Gladiateur Borghèse. Pour l’incident de l’été 1993, j’ai le regret de vous informer que les documents que vous évoquez n’existent pas, hormis le constat établi conjointement par le département et le service de restauration des musées de France, dont je vous transmets une photocopie, ainsi que celle du rapport concernant l’intervention qui a suivi.1 Je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments distingués. Alain PASQUIER Conservateur général, chargé du département (1) NDLR : Le rapport sur l’intervention concerne le repatinage des parties nettoyées. Pour ce qui est du constat, il n’est ni signé ni daté. ARIPA Nuances 18, Octobre 98 17 Extrait du Journal officiel de la République française Débats parlementaires - Assemblée nationale ▼ Question. - 1er juin 1998. - M. Alfred Recours appe lle l’attention de Mme la ministre de la culture et de la communication sur les procédés utilisés pour le nettoyage des sculptures. Des patines authentiques semblent avoir été supprimées sur bon nombre d’antiques grecs et romains du Louvre. Pour ce faire, des procédés chimiques et/ou mécaniques auraient été mis en œuvre, entraînant une abrasion de la surface de ces sculptures, alors qu’il existe des moyens plus doux de nettoyage. Il ne s’agirait donc pas d’un simple entretien. Les préoccupations d’ordre esthétique, historique ou archéologique n’apparaissent pas évidentes dans ces interventions ; en conséquence, il souhaiterait connaître les raisons qui auraient poussé le conservateur des antiques à procéder de la sorte. Réponse. - La collection des sculptures grecques et romaines du musée du Louvre est en grande partie constituée d’œuvres provenant d’anciennes collections, où les interventions des restaurateurs d’autrefois doivent faire l’objet de révisions et de contrôles réguliers, comme l’usage en est courant depuis longtemps, au musée du Louvre tout comme dans les grandes collections européennes. Un bon nombre de marbres du Louvre, exhumés à date ancienne, ont subi dans le passé des décapages très poussés par lavage à l’acide, ponçage, grattage et retravail des surfaces à l’outil. Ces pratiques étaient habituelles chez les sculpteurs chargés de la restauration des antiques, depuis la Renaissance jusqu’au XIXe siècle. Puis les sculptures étaient artificiellement repatinées à l’antique, c’est-à-dire qu’elle s recevaient des applications de jus, vernis ou repeints de nature variée, visant à dissimuler le contraste entre les parties antiques et les ajouts en marbre moderne ainsi qu’à uniformiser l’apparence de l’œuvre plus ou moins marquée par l’enfouissement. Ces patines artificielles, auxquelles s’ajoutent les résidus des produits de moulage des marbres, sont souvent altérées et encrassées au point de dénaturer le caractère de l’œuvre antique. Il est alors nécessaire d’opérer un allégement ou un dégagement de ces badigeons d’époque moderne, selon les procédés décrits plus bas. En un temps où la fréquentation du musée s’est accrue d’une manière spectaculaire, un autre élément doit être pris en considération : les contacts trop fréquents des mains des visiteurs, malgré toutes les mesures prises pour les éviter. Ces manipulations inopportunes noircissent vite maintes zones de nombreuses pièces, qu’il convient de remettre dans un état décent. Les principes et les méthodes mis en œuvre pour le nettoyage des marbres antiques du Louvre (Antiquités grecques, étrusques et romaines) ont fait l’objet de communications et de publications officielles, dans le cadre du Louvre, de congrès internationaux et devant l’Académie des inscriptions et belles-lettres (voir par exemple les comptes rendus des séances de l’année 1997, janvier-mars, pp. 130-155). Fréquemment, une étude préliminaire approfondie, comprenant des examens et des analyses scientifiques, précède le traitement et sert à établir un diagnostic précis et objectif. Chaque œuvre fait l’objet d’une réflexion particulière, prenant en compte l’ensemble de la problématique, et menée de façon collégiale. Le nettoyage est toujours opéré avec beaucoup de prudence, sur la base de tests préliminaires, et ne met en œuvre que des méthodes inoffensives pour l’épiderme des marbres, aussi bien dans le choix des produits employés que dans les modes d’application retenus. On procède le plus souvent à un lavage à l’eau pure, additionnée d’un peu de savon neutre ou d’un sel basique (carbonate d’ammonium). Ce lavage est effectué soit à l’éponge et à la brosse douce, soit par compresses, ou bien par nébulisation. Les altérations spécifiques liées au vieillissement des matériaux d’anciennes restaurations (adhésifs, mastics, repeints, etc.) sont traitées ponctuellement à l’aide de solvants organiques ciblés. Ceux-ci sont appliqués au moyen de coton-tiges, par compresses ou par gel. On n’a jamais recours à l’emploi de solutions acides, ni au microsablage des surfaces. Lorsque la surface porte encore des restes de terre d’enfouissement, ceux-ci sont tantôt conservés (cas des marbres cycladiques, archaïques et du Gladiateur Borghèse par exemple), tantôt atténués ou éliminés très précautionneusement, au moyen d’un appareil à ultrasons permettant un dégagement des dépôts très localisé et précis (cas des Métopes d’Olympie par exemple). La patine naturelle des marbres est donc toujours respectée ; quant aux vestiges de décors peints antiques, ils sont souvent rendus perceptibles, là où l’encrassement de la surface les dissimulait. Ainsi donc, les restaurations entreprises sur les marbres de la collection du Louvre, avec toute la prudence requise, répondent au souci des conservateurs du département des Antiquités grecques et romaines de présenter les chefs-d’œuvre de la sculpture grecque et romaine dans l’état le plus propice à l’admiration et à la connaissance, avec le respect conjugué de l’esthétique, de l’histoire et de l’archéologie. Notre réponse à cette réponse. — « Bon nombre des marbres du Louvre, exhumés à date ancienne, ont subi dans le passé des décapages très poussés… » Si cela était vrai, nos collections n’auraient pas valu le détour. Mais il est toujours bon de faire passer pour barbare ce qui a été fait jusqu’à nous. Les décapages ARIPA Nuances 18, Octobre 98 18 dont parle le rédacteur de la réponse concernent quelques détails de quelques statues. — Quant aux patines anciennement posées afin « d’uniformiser l’apparence de l’œuvre plus ou moins marquée par l’enfouissement », un mot suffit à les discréditer en bloc : « badigeons ». Et ces « badigeons » – fort belles colorations – il faudrait les « dégager » sous prétexte que, le Louvre n’ayant pas su (ou pas voulu) les entretenir, ils seraient altérés et encrassés. Comme si l’on ne pouvait pas, tout aussi respectueusement que de la Renaissance au XIXe siècle, les réunifier, une fois la statue nettoyée ! — « Ces patines… sont souvent altérées et encrassées au point de dénaturer le caractère de l’œuvre antique. Il est alors nécessaire… » Voir en page précédente les propos de Robert Turcan dont l’autorité ne saurait être contestée. La patine des sarcophages de Saint-Médard d’Eyrans n’était ni altérée, ni encrassée. Elle a pourtant été supprimée. — « Les contacts trop fréquents des mains des visiteurs, malgré toutes les mesures prises pour les éviter ». Voir par exemple au Louvre la Suppliante Barberini, l’une des plus précieuses pièces de nos collections, jusqu’à présent intacte de restauration, laissée (exprès sommes-nous tentés de dire) au milieu d’un étroit passage entre deux grandes salles peu surveillées, et très nouvellement encrassée. Voir aussi le Gladiateur Borghèse dans sa nouvelle présentation, sur lequel s’appuient les visiteurs pour se faire prendre en photo. Ou les sarcophages, sur lesquels grimpent les enfants pour voir l’intérieur des cuves, et qui sont d’autant plus marqués par les traces de chaussures qu’ils ne sont plus protégés par leur patine et leur poli. Or, on ne voit jamais un gardien intervenir. — « … des analyses scientifiques… [qui servent] à établir un diagnostic précis et objectif… » Aussi surprenant que cela puisse paraître, ces analyses n’ont pas permis jusqu’ici de faire la distinction entre traitements de surface antiques (encaustique, ganôsis) – patine du temps aussi – et couches d’époque moderne, patine naturelle et artificielle datant d’après la découverte des œuvres. C’est ce qu’affirme le rapport de restauration du Gladiateur Borghèse (Nuances 15). — « Le nettoyage est toujours opéré avec beaucoup de prudence… On procède le plus souvent à un lavage à l’eau pure, additionnée d’un peu de savon neutre ou d’un sel basique (carbonate d’ammonium). » L’eau et le savon ne permettent évidemment que d’enlever la couche superficielle de poussière et de saleté. Cette phase du nettoyage n’est donc qu’une première étape, contrairement à ce que semble indiquer la réponse. Elle est incapable d’extraire les substances infiltrées en profondeur par la micro-porosité du marbre. Sont aussi employés l’acétone et le trichloroéthane (exemple : Gladiateur Borghèse). Pour ce qui est du carbonate d’ammonium, toujours utilisé et appliqué en emplâtres, il laisse un aspect blanchâtre difficile à supprimer (on ne nous dit pas comment on le supprime). Son action sur la coloration est irrégulière. Il est souvent additionné de butylamine (exemple : Satyre au repos). Le butylamine est un décapant très pénétrant, dangereux pour les marbres dans l’immédiat comme à long terme. On le trouve également renforcé par de l’EDTA (acide éthylène diamide tetra acétique ) sous sa forme de sel disodique (Cratère Borghèse par exemple), produit capable de dissoudre le carbonate de calcium du marbre, comme aussi la fine couche de gypse transparent (sulfate de calcium) qui constitue la patine « minérale » présente à la surface de certains marbres. 1 — « On n’a jamais recours à l’emploi de solutions acides, ni au microsablage des surfaces ». Depuis quand ? Voir les photos ci-dessous. — « La patine naturelle des marbres est donc toujours respectée ». La suppression incontestable des patines était au cœur de la question du député. Loin d’y apporter une réponse, l’argumentaire ne définit pas ce qu’étaient ces patines. Il assimile, tout au long, à de la crasse, les patines d’origine (colorations voulues par les artistes et traitements de protection antiques : ganôsis), les patines de fouille (colorations dues aux oxydes de la terre ayant pénétré les marbres Des pratiques qui n’auraient plus cours ? Sceaux identifiant les antiques du Musée Royal (à l’origine des collections du Louvre) Intact Coulures d’acide Microsableuse (Légendes sous réserve d’explications jamais fournies par le Louvre) ARIPA Nuances 18, Octobre 98 Scalpel 19 durant leur enfouissement) et les patines modernes (données par les artistes afin d’harmoniser les marbres restaurés après leur découverte – à signaler que la tradition de l’encaustiquage à des fins esthétiques et protectrices ne s’était pas perdue). La patine naturelle (celle du temps comme celle de l’enfouissement) s’est intimement et indissociablement mêlée à la patine artificielle (celle de l’art). Ces patines ont été largement supprimées. Exemples : Sarcophage des divinités marines (voir Nuances 7), Gladiateur Borghèse (Nuances 15), Métopes d’Olympie (Nuances 16-17) lesquelles ont tout l’air désormais de moulages en plastique. Et tant d’autres, restaurées sans réelle nécessité, qui ne demandaient qu’un simple entretien. L’ARIPA (1) Cf. Cleaning Poultices based on EDTA. E. De Witte & M. Dupas. Royal Institute for cultural Heritages. Bruxelles. ..................... été décidé de ne pas restaurer ces œuvres assombries par le temps car les couleurs ont vieilli différemment : les rouges, par exemple, sont restés vibrants, tandis que les bleus et les verts ont passé. Le vernis a foncé mais il harmonise le tout et, en l’allégeant, on aurait désaccordé les couleurs. Afin d’éclairer autant que faire se peut les tableaux, la solution retenue a été de redorer les cadres et d’augmenter la puissance de l’éclairage. Tels qu’ils sont ainsi exposés, les Sept Sacrements démontrent le bien-fondé de ce choix des conservateurs écossais. Malheureusement tous les tableaux de ce beau musée ne sont pas traités avec la même prudence : Le journal Scotland on Sunday du 29 mars 98 titre : « La restauration de maîtres anciens aux Galleries bouleverse le monde de l’art ; l’intervention des National Galleries of Scotland sur des Titien inestimables est critiquée par le corps des restaurateurs. » Ces chefsd’œuvre sont Diane et Callisto et Diane et Acteon, qui font partie du cycle Les Poésies, commandé au Titien par Philippe II. Brèves ´ ❖ A l’occasion de l’ouverture d’un nouveau musée de peinture à Berlin, la Gemäldegalerie, Pierre Rosenberg commente dans Le Monde du 30 juin 98 le choix « révolutionnaire » des architectes : exposer les tableaux dans des salles couvertes de grandes verrières afin qu’ils bénéficient d’un éclairage par lumière du jour. Le directeur du Louvre s’en déclare ravi : « Le grand succès de la Gemäldegalerie, c’est la lumière. La lumière du jour permet d’appréhender l’œuvre dans tous ses détails, de suivre les nuances de la couleur. J’ai visité le musée par un jour gris, pluvieux, les tableaux étaient vivants, ils ne resse mblaient plus à ces cartes postales aux couleurs cria rdes auxquelles tant de musées et galeries nous ont habitués. » Que n’avait-il pris conscience de cette vérité et fait nettoyer la verrière de la salle des Etats avant de consentir à la restauration des Noces de Cana. On aurait peut-être évité une restauration bien mutilante. Il conviendrait cependant de faire preuve d’un peu plus de retenue, car des « cartes postales aux couleurs criardes », il y en a beaucoup au Louvre, et de plus en plus. ❖ A Edinbourg, la National Gallery of Scotland possède l’un des deux magnifiques ensembles des Sept Sacrements de Nicolas Poussin, mis en valeur par son exposition dans une salle octogonale que l’on dirait faite à sa mesure. Ces tableaux sont volontairement présentés non restaurés et les conservateurs ont choisi d’expliquer au public les raisons de cette décision : on peut lire en effet sur un panneau placé à l’entrée de la salle, qu’après un débat approfondi, il a Courrier des lecteurs * (…) A l’exposition baptisée « Au temps des rois maudits » (pour la publicité de Monsieur Druon ?) il y avait, entre autres, une des plus jolies vierges en ivoire, et des plus grandes (0,45 m), que je connais bien : j’ai vécu de 1943 à 1945 à côté d’elle à Villeneuve-lès-Avignon. Il lui manquait la main droite, mais elle était en parfait état. Quand j’avais le cafard, je traversais l’église et j’étais mieux à cause de cette exquise petite vierge. Dans ce temps là, Jacques Dupont n’était pas encore le président des Amis du Louvre, mais inspecteur des musées nationaux. Il pestait à chaque visite parce que le curé avait fait faire une main droite. Il la retirait à chaque visite. Le curé la remettait le lendemain. La dernière fois, il a emporté la main. Pauvre curé. S’il voyait ce qu’on a fait ! « Cette grande statuette aux dimensions exceptionnelles et à la polychromie somptueuse ». La vierge est maquillée, l’enfant Jésus a les cheveux roux, tous deux portent des chemises brodées à bandes vertes et or, et la vierge une sorte de jupon bleu à broderies d’or. Le Petit Journal dit : « Polychromie et dorure ravivées ». Pauvre curé avec, modestement, sa main droite… Je suis restée sidérée devant ce nouvel exploit des restaurateurs. On était si fier à la fin de la guerre de faire disparaître toutes les sulpiceries des églises ! Maintenant ce sont les musées nationaux qui transforment les belles vierges en sulpiceries. ARIPA Nuances 18, Octobre 98 Simone Gröger 20 Rappel ... Chronique d'une protestation L'ARIPA 1975. Jean Bazaine est le seul peintre nommé membre de la Commission consultative de restauration. Il en démissionne, son utilité dans ce comité lui paraissant, pour diverses raisons (modes de concertation, rapports de force), parfaitement illusoire. Les autorités ne jugeront pas nécessaire de le remplacer. 1983. Une pétition protestant contre l’absence d’artistes au sein de cette Commission, signée par un certain nombre de professeurs des Beaux-Arts et d’élèves, reste sans suite. 1983-84. Serge Bloch tente sans succès de faire cesser les restaurations de sculptures gréco-romaines du Louvre. 1986. La chapelle Sixtine. Toute la partie du travail de Michel-Ange exécutée « a secco », en grisaille, maintes fois restaurée dans le passé, est cette fois carrément supprimée pour dé couvrir le travail préalable « a fresco ». Un texte, signé par de nombreux artistes et personnalités, demande la suspension des travaux. Il n’est suivi d’aucun effet. 1989. Début de la restauration des Noces de Cana. Le pro gramme est sensationnel : pour une somme considérable, un des plus grands et célèbres tableaux au monde sera complè tement « purifié ». 1991. Choqué par l’extrémisme des interventions de décapage en cours, Jean Bazaine, entouré d’autres artistes, en visage la création d’une association (Jean Bazaine avait, dans le passé, animé un mouvement de protestation ana logue qui permit de sauver les vitraux de la Cathédrale de Chartres, menacés par de malencontreuses restaurations). M. Jacques Sallois lui écrit le 1er Août : « Il va de soi qu’une fois votre association constituée, un mode de concertation entre la commission de restauration et les délégués de l’association pourrait être envisagé ». 1992. Création de l’ARIPA. Infructueuses tentatives de dia logue au sujet des Noces de Cana. La direction des Musées de France fait savoir qu’en raison des accords passés avec l’entreprise mécène de la restauration, « aucune explication ne sera fournie avant l’ouverture de l’exposition ». Juin 1992. Noces de Cana. Les opérations visant à réaccrocher le tableau après sa restauration aboutissent à ce qu’il s’écroule et se crève. Il faudra six mois de restauration supplémentaire, toutes portes closes (la restauration devait avoir lieu « en pu blic ») pour recou- dre et masquer les déchirures (accident qui a finalement moins endommagé le tableau que l’ensemble des opérations menées délibérement sur toute sa surface). Septembre 1992. Texte de l’ARIPA demandant un moratoire et un débat public sur les problèmes de la re stauration. Depuis, plus de deux cent signataires, dont : Rémy Aron. Balthus. Paul Baudiquey. James Bayle. Jean Bazaine. Laure de Beauvau-Craon. James Beck. René Belletto. Jacques Bertin. Vincent Bioulès. Serge Bloch. Alain Blondel. James Blœdé. Yves Bonnefoy. Jacques Bony. Alain Bosquet. Maurice Breschand. Robert Bresson. Pierre Bulloz. Pierre Cabanne. Elisabeth Caillet. Jean Cardot. Pierre Carron. Edmonde Charles Roux. Christo et Jeanne-Claude. Louis Clayeux. Julien Clay†. André Comte-Sponville. Jean Courthial. Leonardo Cremonini. Jean Dasté†. Christine de Guerville. Catherine de Seynes. Michel Deguy. Jean Delannoy. Jean Desailly. Deverne. Jean-Philippe Domecq. André du Bouchet. Georges Duby†. Jacques Dupin. Henri Dutilleux. Jean Dutourd. Georg Eisler. FrançoisXavier Fagniez. Michel Favre-Félix. Jean-Michel Folon. Georges Formentelli. Marc Fumaroli. Julien Gracq. André Green. Jean-Pierre Greff. Simone Gröger. Luigi Guardigli. Carlo Guarienti. Masao Haijima. André Heinrich. Jean-François Jaeger. Georges Jeanclos†. Jacques Kerchache. Pierre Klossowski. Léo Kockaert. François Lallier. Marc Le Bot. Pierre Le Cacheux. Philippe Leburgue. Jean Leyris. Pierre Leyris. Gérard Macé. Daniel Marchesseau. Raymond Mason. Gregory Masurowski. François Mathey†. Yehudi Menuhin. Judith Miller. Philippe Noiret. Maurice Novarina. Clémentine Odier. Olivier O. Olivier.Gérard de Palezieux. Geneviève Picon†. Christian Pouillon. Henri Raynal. Maurice Rheims. Marc Riboud. Paul Ricoeur. Claude Roy†. Colette de Sadeleer. Charles Sacchi. André Sarcq. Toti Scialoja. JeanBaptiste Sécheret. Claude Simon. Marcel Siret. Pierre Skira. Gustave de Staël. Sam Szafran. Lap Szé-to. Jean Tardieu†. Yvan Theimer. Jacques Tiné. Jean-Max Toubeau. Etienne Trouvers. Paolo Vallorz. Xavier Valls. Vieira da Silva†. Jean-Noël Vuarnet†. Guy Weelen. Zao Wou Ki. Jano Xhenseval. Fred Zeller... Adresse de la rédaction : 97, bd Rodin - 92130 Issy les Moulineaux - Directeur de la publication : J. Blœdé http://www.mygale.org/06/ar4749 - Trimestriel - Abonnement annuel (4 numéros + port ) : 145 F - ISSN : 1270-1955 ✁ -----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------BULLETIN D'ADHESION Nom - prénom ............................................................................ profession ou qualité .................................. 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