Modifier le lien social dans et par les équipes de travail social
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Modifier le lien social dans et par les équipes de travail social
ARIANE/Initiatives DC3 1 MODIFIER LE LIEN SOCIAL DANS ET PAR LES EQUIPES DE TRAVAIL SOCIAL. 1. Modifier le lien social. Le travail social peut être pensé comme la mise en œuvre d’interventions spécialisées et localisées visant à modifier la construction du lien social. Ces interventions, qui sont et seront les vôtres dans toute votre vie professionnelle, ont été instituées historiquement par la clairvoyance de certaines fondations, de certaines personnalités charismatiques, mues par les valeurs qui étaient les leurs. Actuellement, cette « institution » spontanée a tendance à passer le relai à des institutions émanant directement de la volonté politique. Depuis toujours ces « institutions » ont donné lieu à des organisations dont le but était de répondre de la façon la plus pertinente possible aux objectifs fixés par leurs fondateurs au regard des besoins d’enfants ou d’adultes en état de faiblesse ou de vulnérabilité. 2. Les modèles des organisations du Travail Social Les organisations du Travail Social, c'est-à-dire les établissements, les foyers, les services, les équipes… ont été conçus historiquement sur le modèle des autres organisations : militaires, ecclésiastiques et ensuite industrielles de l’époque de leur fondation (ou institution). Actuellement, le modèle dominant est celui de l’entreprise néolibérale, entreprise de production de biens ou entreprise de services. Le fonctionnement de cette entreprise et son organisation ont été analysés par la psychosociologie, la sociologie des organisations et la sociologie du travail. La transposition des modèles d’organisation, de communication, de management, de marketing aux dispositifs sociaux pose de multiples questions. La première de ces questions concerne les buts, les autres concernent la nature des services rendus aux enfants et adultes accueillis ou accompagnés. Je ne m’étendrai pas sur la question des buts, sinon pour dire que les impératifs financiers ne peuvent être des buts de dispositifs institués pour établir ou rétablir du lien social ou une solidarité défaillante. Même dans le domaine industriel, le management par la compétitivité entre salariés est contreproductif, comme le montre l’exemple de Watermann qui a dû fermer après avoir conçu une organisation fondée sur la compétition et l’auto-évaluation1. 1 Exemple cité oralement par Patrick Viveret - Le « chaos management », Tom Peters, Dunod, juillet 1998 ________________________________________________________________________________________________ Association de Sociologie et de Psychologie Cliniques ARIANE - 46 rue Raspail 94140 ALFORTVILLE 01 43 96 05 42 - [email protected] - http://www.aspsariane.fr ARIANE/Initiatives DC3 2 3. La question La véritable question est ailleurs et peut être condensée ainsi : peut-on concevoir l’accompagnement des personnes vulnérables, l’éducation des enfants, comme la fourniture de « services » à des individus porteurs de « besoins à satisfaire » ? Disons tout de suite que la réponse est non, parce que les enfants ou les adultes en situation de vulnérabilité particulière ne sont ni des choses interchangeables, ni même des individus au sens démographique du terme, mais des sujets qui pensent, qui imaginent, qui ont une histoire, des désirs parfois contradictoires, un environnement familial ou social particulier et, disent certains dont je suis, un inconscient. Ceci a été pris en compte par la volonté politique : des textes législatifs et règlementaires depuis la loi de 2002, puis par les textes sur les majeurs vulnérables, sur la Protection de l’Enfance, les plans Alzheimer, le plan Santé Mentale et la récente loi HPST (Hôpital Patient Santé Territoire)2 partent de ce postulat. En peu de temps, les buts et les établissements et dispositifs médico-sociaux ont dû opérer une révolution culturelle. A travers la notion de « projet personnalisé » dont l’enfant et sa famille, l’adulte en situation de précarité, la personne âgée ou la personne vulnérable sont les principaux acteurs, on est passé d’une culture de l’assistance, de l’asile à une culture de l’accompagnement, de l’autonomisation et de l’intégration en milieu ordinaire. Ce changement de cap n’a pas été facile et de nombreuses résistances se sont mises en place, et pas seulement dans les établissements de type Bon Pasteur qui avaient dérivé depuis leur fondation par St Vincent de Paul jusqu’à devenir des établissements carcéraux pour jeunes filles abandonnées. Mon ambition aujourd’hui est de développer ce point en ce qui concerne l’organisation du Travail Social au sens large, en y incluant la répartition du pouvoir, l’organisation hiérarchique, la communication et la structuration des équipes. 4. Les résistances au changement Les origines des résistances au changement de nos établissements et dispositifs de Travail Social ne sont nullement, ou très peu, le détournement de ces organisations par des gens peu soucieux de la misère des autres et préoccupés uniquement de leurs profits personnels. On peut penser que les causes principales des résistances rencontrées, et par conséquent des dysfonctionnements que nous trouvons dans les services et les équipes 2 Nous faisons référence aux lois : N°2002-2 du 02/01/2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale N°2005-102 du 11/02/2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées • N°2007-293 du 05/03/2007 réformant la protection de l’enfance • N°2005-706 du 27 juin 2007 relative aux assistants maternels et assistants familiaux • N°2002-303 du 04/03/2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé • 2005-370 du 22/04/2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie • N°2009-879 du 21/07/2009 relative aux patients, à la santé et au territoire (HPST), à leurs décrets d’application et aux textes de l’ANESM • • ________________________________________________________________________________________________ Association de Sociologie et de Psychologie Cliniques ARIANE - 46 rue Raspail 94140 ALFORTVILLE 01 43 96 05 42 - [email protected] - http://www.aspsariane.fr ARIANE/Initiatives DC3 3 sont à mettre en relation avec ce qu’Eugène Enriquez3 appelait les six angoisses fondamentales de toute organisation quand cette organisation n’est pas conduite de façon à garantir le sens de son existence et l’adaptation de ses objectifs au contexte qui est le sien : - la peur de l’informe, - la peur des pulsions, - la peur de l’inconnu, - la peur des autres, - la peur de la parole libre, - la peur de la pensée Faute de vouloir, et de savoir « gérer » ces peurs fondamentales, nombre d’organisations sont en quelque sorte mues par une dérive non intentionnelle qui les conduit progressivement à devenir ce que Bergson appelait des sociétés closes, c'est-àdire des sociétés centrées sur l’autodéfense, parfois meurtrières et toujours maltraitantes. C’est en relation avec les angoisses fondamentales de toute organisation qu’on peut dégager une première typologie des dysfonctionnements et par conséquent donner des points de repères de bonnes pratiques, spécifiques au travail social et médicosocial. 5. Du côté de l’organisation proprement dite Le désir de mimer l’organisation productive peut être mis en relation avec la peur de l’informe, la peur de l’affectif. L’entreprise de production maîtrise totalement l’ensemble des désirs et des pulsions de ses employés, du moins se l’imagine-t-on de l’extérieur. On peut remarquer que l’usage de la force et de la violence, qui a été autrefois fréquente dans les entreprises a été un moyen ordinaire de régulation dans des établissements d’assistance, des écoles, des foyers pour enfants pauvres, des asiles pour les fous et les vieillards jusqu’à une époque tardive : il y a seulement quelques dizaines d’années, l’usage de la force physique permettait de ramener les déviants ou les futurs délinquants à la norme dominante. Certaines institutions comme l’armée ont pratiqué le droit de vie et de mort non seulement vis-à-vis des adversaires ou des civils, mais vis-à-vis de leurs propres hommes. Actuellement de nombreux observateurs font état de pratiques désignées comme celles du « soft power » qui sont enseignées dans les formations à la gestion du personnel : la lutte des places remplace la lutte des classes, comme le dit Patrick Viveret en dénonçant les dérives de l’évaluation et de l’autoévaluation. Ainsi que l’a souligné Jean-Pierre Halter, les formes modernes d’organisation de l’entreprise ont pour effet d’aplatir la chaîne hiérarchique. L’organigramme moderne est plutôt celui de l’organisation matricielle fondée sur le projet que celui de l’entreprise pyramidale ou fordiste. (Exemple d’organigramme matriciel) 3 Eugène Enriquez : Revue Connexions n°41, Structure d’organisation et contrôle social, p.99 ________________________________________________________________________________________________ Association de Sociologie et de Psychologie Cliniques ARIANE - 46 rue Raspail 94140 ALFORTVILLE 01 43 96 05 42 - [email protected] - http://www.aspsariane.fr ARIANE/Initiatives DC3 4 6. Une typologie des responsables et des cadres ? La psychosociologie, depuis Kurt Lewin, a distingué plusieurs types de chefs ou de responsables : - le chef autoritaire, - le chef « laisser faire » - le chef « charismatique » - le chef « bureaucratique » - le chef « coopératif » Nous pouvons y ajouter la figure très actuelle et envahissante de «l’expert ». Même si les grandes heures de « l’institution » des dispositifs et établissements ont permis à des personnes dotées de charisme particulier (et de réseaux relationnels conséquents) d’être reconnus comme les guides, les prophètes, les pasteurs qui les autorisaient « naturellement » à prendre la tête des équipes, des services, des associations de travail social (l’Abbé Pierre, etc…), on peut noter que cette typologie ne met pas suffisamment en évidence la cohérence qui existe toujours entre un type d’organisation et le choix de ses responsables voire le modèle proposé à ses cadres. Dans l’article que nous avons cité4, Eugène Enriquez distingue et analyse quatre structures de fonctionnement des entreprises : - la structure charismatique, - la structure bureaucratique, - la structure technocratique, - la structure coopérative. On peut facilement, sur le mode du jeu des 7 familles, faire correspondre à chaque structure des types de responsables caractérisés. On peut aussi noter que les structures qui ont été pertinentes dans le travail social, sont la structure charismatique, au « moment instituant », et la structure coopérative, les structures bureaucratiques et technocratiques se révélant à l’usage en partie ou totalement contre productives étant donné la nature du travail exigé. Actuellement, les fonctions que l’on peut exiger d’un cadre dans une institution de travail social sont les suivantes : - 4 Fonction institutionnelle : rendre présents les buts de l’institution Fonction de coordination : favoriser la coopération, la parole et l’écoute de tous les acteurs et de tous les groupes d’acteurs. Fonction de régulation : aider chacun à se saisir d’un problème individuel ou collectif, à le penser en l’analysant et en confrontant ses préconisations avec celles des autres acteurs Eugène Enriquez : Structures d’organisation et contrôle social, Revue Connexions, n°41, 1983 ________________________________________________________________________________________________ Association de Sociologie et de Psychologie Cliniques ARIANE - 46 rue Raspail 94140 ALFORTVILLE 01 43 96 05 42 - [email protected] - http://www.aspsariane.fr ARIANE/Initiatives DC3 5 - Fonction de médiation lors de conflits ou de méconnaissances - Fonction de facilitation : optimiser les conditions de travail de chacun. Dans ce type de structure une décision est le terme d’un processus où le responsable n’est pas seul, sinon de façon exceptionnelle. On voit que les établissements et dispositifs de travail social n’ont nullement à choisir entre les différents types de chefs ou de leader, mais au contraire à susciter l’émergence de cadres et de dirigeants « coopératifs », qui mettent en œuvre et favoriser un travail collectif. 7. La nature des communications Les communications dans un service ou un établissement social ne sauraient naturellement pas être réduites à « une bonne circulation » des informations entre des « émetteurs et des récepteurs ». La personnalité et les affects des personnes qui parlent, écrivent, écoutent et lisent, doivent être pris en compte et faire l’objet de soins attentifs. Yves Clot souligne l’importance de la reconnaissance dans un cadre professionnel, qui ne peut être seulement formelle (cf. Le triangle de Sigault). 8. Les établissements, équipes, services ont-ils un inconscient ? D’un point de vue théorique, non. Il n’est pas question de parler d’un « inconscient collectif ». Cependant certains phénomènes de groupe sont observables et peuvent faire penser à des résonnances inconscientes entre les acteurs d’une même structure. Paul Fustier5 parle des « organisateurs inconscients » à l’œuvre dans certains services accueillant des enfants. Ces organisateurs inconscients peuvent oblitérer le regard de professionnels travaillant ensemble. Comment par exemple, accepter l’idée que certaines femmes « victimes de violences conjugales » peuvent être ordinairement délinquantes, au sein des foyers qui les accueillent, ou maltraitantes de leurs propres enfants ? « Elle nous a déçues », disait une éducatrice parlant d’une femme accompagnée. René Kaës6 parle également de phénomènes inconscients, les « ancêtres fondateurs » : tel patient qu’il est hors de question d’aider à rejoindre le milieu ordinaire parce qu’il représente dans la structure où il est les objectifs institutionnels de la fondation… Ces phénomènes inconscients sont fréquents. Ils sont ordinairement mis au jour par une parole libre, en réunion d’équipe ou en analyse des pratiques… à condition 5 Paul Fustier : « Le Travail d’équipe en institution – clinique de l’institution médico-sociale et psychiatrique » Paris – Dunod, 1999 6 René Kaës : « Alliances inconscientes et pacte dénégatif dans les institutions » - Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe, n°13, Ed. Erès, 1989 ________________________________________________________________________________________________ Association de Sociologie et de Psychologie Cliniques ARIANE - 46 rue Raspail 94140 ALFORTVILLE 01 43 96 05 42 - [email protected] - http://www.aspsariane.fr ARIANE/Initiatives DC3 6 bien entendu que la fonction de cette parole libre ne soit pas seulement expressive mais ait un impact sur l’organisation du travail. Contre exemple : un psychologue de l’institution (IMP) qui analyse les pratiques de ses collègues. La psychosociologie clinique, l’analyse institutionnelle aident les professionnels ainsi que les bénévoles à élucider et résoudre de tels phénomènes. 9. Travail sur projets, travail en équipe En conclusion de ce texte, je me contenterai de souligner à nouveau deux concepts clefs, qui ont fait l’objet d’autres enseignements : le travail sur projets personnels et le travail en équipe - Travail sur projets personnels - Travail en équipe, c'est-à-dire travail de coopération au sein d’une équipe pluridisciplinaire où il est possible de se parler et de s’écouter quels que soient les statuts et les rôles. Patrice LORROT Janvier 2012 ________________________________________________________________________________________________ Association de Sociologie et de Psychologie Cliniques ARIANE - 46 rue Raspail 94140 ALFORTVILLE 01 43 96 05 42 - [email protected] - http://www.aspsariane.fr