ceo - PwC

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ceo - PwC
Juin 2012
Le magazine des décideurs
La valeur des relations
Intégrité et confiance sont le fondement de la réussite économique.
Des relations stables sont essentielles à toute activité dans de nombreux
secteurs. Des dirigeants suisses donnent leur avis.
Markus R. Neuhaus,
administrateur délégué, PwC Suisse
La Suisse réussit toujours à valoriser
ses atouts.
Éditeur: PricewaterhouseCoopers SA, magazine ceo, Birchstrasse 160, 8050 Zurich
Rédacteurs en chef: Alexander Fleischer, [email protected], Franziska Zydek, [email protected]
Directeur de la création: Dario Benassa, [email protected]
Concept, rédaction et conception: purpur ag, publishing and communication, Zurich, [email protected]
© 2012 PricewaterhouseCoopers. All rights reserved.
Les opinions exprimées par les différents auteurs ne correspondent pas forcément à celles de l’éditeur.
Le magazine ceo paraît trois fois par an en français, en allemand et en anglais. Tirage: 24 000 exemplaires
Commande d’abonnements gratuits et changements d’adresse: [email protected]
Lithographie, impression: ud-print AG, Lucerne. Papier: Claro Bulk mat FSC, sans bois, couché, extra-blanc
C’est la dernière fois que je m’adresse à vous
ici, car l’éditorial du magazine ceo est un privilège réservé au CEO. Parvenu au nombre
maximal de trois périodes de mandat de trois
ans chacune en tant que CEO de PwC Suisse,
je passe le relais à Urs Honegger, élu à cette
fonction par les associés suisses en automne
dernier. Le même processus démocratique,
caractéristique de notre système de partenariat, m’a désigné en tant que président
du conseil d’administration. Aujourd’hui, je
suis encore CEO à temps complet et goûte au
plaisir de rédiger ce dernier éditorial. À partir
du 1er juillet, je me consacrerai entièrement à
mes nouvelles tâches.
Face au thème de notre forum «Tout ou rien»,
ma réaction personnelle ne peut qu’être un
«exactement!» convaincu. Il y a cinq ans,
alors que j’étais déjà CEO de PwC Suisse, j’ai
en outre pris la direction de notre organisation européenne. À ce poste, j’ai pu initier
une évolution internationale qui a renforcé
aujourd’hui le poids de la voix de PwC Suisse
dans l’organe de direction mondial. Je continuerai à exercer mon rôle de membre de
la direction mondiale (Network Executive
Team) qui sera même étendu après le 1er juillet. En effet, je serai chargé de développer des
stratégies concernant la qualité, la réglementation et la signification de notre métier, c’està-dire visant à garantir la compétitivité des
prestations de nos divisions Audit, Conseil
juridique et fiscal et Conseil économique.
Julie Fitzgerald, associée chez PwC, présente
dans son article l’évolution réglementaire
que connaît l’audit dans l’UE. Nous pourrions
estimer ne pas être réellement concernés
par ces règles de l’UE en Suisse. Pourtant,
nous savons tous que ces règles auront très
prochainement un impact en Suisse. À votre
tour, vous pourriez estimer, en tant que chef
d’entreprise, ne pas être réellement concerné
par ces règles faites pour les auditeurs. Mais
là aussi ce serait un leurre, car les entreprises
suisses ressentiront directement les changements proposés qui se traduiront par davantage de travail administratif, de nouvelles
tâches, sans parler de coûts supplémentaires
si ces règles devaient être mises en place dans
leur version actuelle. La réglementation proposée place notre secteur d’activité devant de
grands défis. Nous comprenons que le mauvais fonctionnement du système financier
pendant la crise crée le besoin de se doter de
nouvelles règles. Nous cautionnons certaines
propositions et en dénonçons d’autres. Nous
exposons notre position en toute transparence dans ce numéro de ceo. Nous serions
heureux de connaître la vôtre.
Le Conseil fiscal doit lui aussi se poser la
question de la pertinence. Avec la mondialisation et les déplacements politiques, la justice
fiscale et le financement des dettes publiques
colossales occupent plus que jamais le devant
de la scène. Le débat lui aussi passe toujours
plus du niveau individuel à celui des entre-
prises et des États. Cette question ne nous
touche pas uniquement, en tant que conseillers fiscaux, mais concerne également de
nombreuses entreprises suisses et la Suisse
elle-même en tant que lieu d’implantation.
Notre système fiscal est un élément essentiel de l’attrait de la Suisse en tant que lieu
d’implantation. C’est ce que démontre notre
étude sur les sièges des entreprises, que Clive
Bellingham, associé chez PwC, analyse pour
nous dans son article.
La Suisse réussit toujours à valoriser ses
atouts. Le portrait du projet de centrale
hydroélectrique à accumulation par pompage
dans le val Poschiavo en est un exemple aussi
impressionnant que celui d’Art Basel. Dans
un cas, il s’agit d’un avantage géographique,
dans l’autre, d’un avantage culturel. Mais ces
deux cas ont en commun une gestion avisée
des relations. La présente édition de notre
magazine montre de manière explicite, à
l’aide d’exemples variés, quelle peut être la
valeur fondamentale des relations dans l’économie et à quel point le soin investi dans leur
élaboration est important dans une société
toujours plus connectée. Dans ce numéro, des
clients, des partenaires commerciaux et des
amis s’expriment. Je considère la confiance
qu’ils nous accordent, lorsque nous leur
demandons de répondre aux questions que
nous posons dans notre magazine, comme
une confirmation éclatante de nos relations
solides. Ces relations servent de thème central à la présente édition de ceo magazine;
au-delà, elles sont pour moi le fil rouge d’une
collaboration que j’ai pu marquer de mon
empreinte en tant que CEO de PwC ces neuf
dernières années. Une nouvelle constellation
de relations, propre à notre nouveau CEO
Urs Honegger, va s’instaurer. Je m’en réjouis
tout particulièrement, et je sais aussi qu’il se
réjouit de collaborer avec vous.
Je vous souhaite une agréable lecture.
Markus R. Neuhaus
ceo éditorial 3
ceo 1/12 sommaire
Forum tout ou rien
Anton Affentranger, CEO d’Implenia: «Je veux savoir où me mène
ce que je fais. Sinon, cela ne
m’intéresse pas.»
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Room with a view
Esther Süss, sportive de haut
niveau: «Le VTT est un sport
dangereux et qui demande une
certaine dose de courage.»
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Simon Reding, expert-comptable
chez PwC, vit au quotidien la
diversité culturelle de la dynamique métropole Singapour.
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Christoph Sigrist, pasteur:
«Je ne supporte pas l’indifférence, je n’aime pas que tout
soit banalisé.»
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Valeur ajoutée
Toujours plus de multinationales privilégient des modèles
d’affaires centralisés. Offrant de
nombreux avantages concurrentiels, la Suisse est donc un
site très prisé pour les sièges
d’entreprises internationales.
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Conjuguer audit et conseil
est souvent judicieux pour
les entreprises qui peuvent
ainsi tirer pleinement parti des
connaissances de la société
d’audit. Un catalogue clair
des services autorisés et des
processus stricts garantissent
l’indépendance de l’auditeur.
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En Suisse, les jeunes entreprises bénéficient de chances
exceptionnelles. Pour réussir,
les start-up ont besoin de trois
choses: une bonne équipe,
l’intuition du bon moment et un
réseau de relations.
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Les relations sont le fondement de nombreuses réussites économiques.
Dans de nombreuses professions et branches, rien ne se passe sans elles.
Des dirigeants suisses s’expriment sur leur valeur.
La plupart des enquêtes
conduites sur les systèmes de
rémunération insistent sur le
profit pour les actionnaires et
sur les coûts pour les entreprises. Mais comment les
managers les perçoivent-ils?
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L’ambassadeur Luzius Wasescha
est l’un des acteurs les plus expérimentés et les plus talentueux de
la diplomatie suisse. Son réseau
de relations lui est aussi utile que
son opiniâtreté de grisonnais.
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4 ceo sommaire
«Nous considérons nos collaborateurs comme notre bien
le plus précieux», déclare Ruth
Sandelowsky, CEO du négociant
en matières premières Kolmar
Group, à Zoug.
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Harry Hohmeister, CEO de
SWISS, parle de mauvaises nouvelles, de contexte politique
et de gestion relationnelle.
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Pour la centrale hydroélectrique
à accumulation par pompage
Lagobianco, Repower préfère la
coopération à la confrontation. De
bonnes relations avec les défenseurs de l’environn ement portent
leurs fruits.
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Zurich Insurance Group a abordé
l’année 2012 sur des chiffres
élevés. Son CEO Martin Senn y
voit un signe que la stratégie est
juste.
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Art Basel est la plus grande foire
mondiale d’art contemporain. Sa
co-directrice Annette Schönholzer
nous parle de son rôle d’intermédiaire, des échanges entre l’Ouest
et l’Est et de la conquête de nouveaux marchés.
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Marc P. Bernegger a étudié le
droit. Au lieu de devenir avocat,
il est chef d’entreprise dans le
domaine des nouveaux médias.
Sa spécialité: le réseautage.
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Service: Publications et
formation continue. Abonnements et adresses.
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Photo de couverture:
Ruben Wyttenbach
ceo sommaire 5
forum tout ou rien
Anton Affentranger:
«Je n’aime pas faire les choses à moitié,
qu’elles soient personnelles ou professionnelles. La vie est trop courte pour cela»
Tout ou rien. J’ai été élevé dans l’idée que chacun naît avec des talents
qu’il se doit de mettre en pratique. Que celui qui exploite ses points
forts a toujours quelque chose à apporter. Mon père m’a toujours dit
que cela lui était égal que je fasse des études ou que je devienne boulanger. Si je devenais boulanger, la seule chose qui comptait était que
je fasse les meilleurs petits pains. Mes enfants ont aussi entendu ce
genre de réflexion de ma part.
Personnellement, je suis souvent catalogué comme un adepte du tout
ou rien. Cela me dérange car je n’aime pas le catalogage en soi. Pourtant, dans bien des situations, je me décrirais sans doute moi-même
ainsi si je ne disposais que de trois mots pour le faire. Je n’aime pas
faire les choses à moitié, qu’elles soient personnelles ou professionnelles. La vie est trop courte pour cela. Ce que je fais, je le fais en
m’investissant complètement ou je ne le fais pas du tout: j’estime que
tout ce qui se situe entre les deux ne mérite pas qu’on s’y attarde.
Noir ou blanc: la question se pose dès qu’il s’agit de quelque chose
de fondamental qui ne supporte aucun compromis. Opter pour blanc
et contre noir est une chose. S’y tenir en est une autre. Lorsqu’Implenia a été attaquée par le hedge fund Laxey, il y a quatre ans, nous
nous sommes défendus. Dès le premier jour, nous savions que nous
étions du bon côté, tant sur le fond que d’un point de vue purement
juridique. Nous savions que nous avions raison. Mais avons-nous bien
agi? J’ai beaucoup et souvent parlé de cette question avec mes collaborateurs les plus proches. Nous sommes toujours arrivés à la même
conclusion et avons campé sur nos positions. À un moment donné,
quand Laxey détenait 50% de notre capital, tout le monde me conseillait de lâcher. Aujourd’hui, je suis très heureux que nous n’ayons pas
cédé à la pression. Si nous l’avions fait, Implenia n’existerait sans
doute plus.
Ce conflit nous a occasionné beaucoup de tracas pendant trois ans, à
l’entreprise comme à moi-même, et il a fortement inquiété les 6000
collaborateurs. Mais il a aussi consolidé Implenia. S’il y a un aspect
que nous avons négligé au cours de cette période, c’est la planification
méticuleuse de la succession du CEO. Nous pensions avoir trouvé la
meilleure solution pour notre entreprise, mais nous nous sommes
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trompés. Pour moi, il était donc évident d’accéder à la demande de
notre conseil d’administration et de reprendre en charge la responsabilité opérationnelle. Je l’ai aussi fait car j’étais convaincu de porter
personnellement une part de responsabilité. Dès que j’ai trouvé une
solution pour ma propre entreprise et que j’ai su que ma famille était
derrière moi, j’ai quitté Genève pour retourner dans mon ancien
bureau, à Dietlikon.
Pour moi, avoir des objectifs est très important car cela me motive.
Lorsque j’ai décidé d’arrêter de fumer et de me mettre au jogging pour
compenser, j’ai pu atteindre mon objectif car, dès le début, je visais
le marathon de New York. Je voulais y participer. Depuis, j’ai couru
ce marathon plusieurs fois. Sans la course, j’aurais du mal à supporter un rythme de travail comme celui qui est actuellement le mien.
Malgré tout, je ne m’y adonnerais pas s’il n’y avait pas le marathon
de New York: je veux savoir où me mène ce que je fais. Sinon, cela ne
m’intéresse pas. Tous les entraînements et tout le sérieux du monde
ne servent à rien sans la passion. Cela est valable pour la course de
42,195 kilomètres comme pour la tâche consistant à susciter l’enthousiasme de 6000 collaborateurs.
Anton Affentranger, 56 ans, économiste et expert bancaire,
a été nommé CEO d’Implenia en octobre 2011. Auparavant,
il avait travaillé 13 ans déjà pour cette entreprise, ou plus
précisément pour le groupe Zschokke dont elle est issue. De
mars 2006 à septembre 2011, il a été président du conseil
d’administration d’Implenia et d’avril 2009 à août 2010,
il a exercé par intérim les fonctions de président du conseil
d’administration et de CEO.
Photo: Helmut Wachter
ceo forum 7
forum tout ou rien
Esther Süss:
«Ma devise: foncer dans les montées,
doser dans les descentes»
Le 11 août prochain sera pour moi la journée la plus importante de
l’année. C’est en effet à cette date qu’aura lieu à Londres l’épreuve
olympique de cross-country VTT. Mon quotidien est entièrement
rythmé par la préparation de cette course. Cela me poursuit même la
nuit: je rêve d’un titre olympique. Les JO représentent pour chaque
sportif le couronnement d’une carrière. À Londres, je participerai à
mes premières olympiades, et probablement à mes dernières.
Je suis devenue sportive professionnelle sur le tard. C’est mon ami
Erich Birchler, rencontré en 1998, qui m’a fait découvrir le cyclisme.
J’ai d’abord enfourché un vélo de course, avant de prendre goût au
VTT. Pour suivre le rythme imprimé par Erich, je devais m’entraîner
tant et plus. Tout ce travail m’a progressivement donné l’ambition
de me mesurer à d’autres. Je me suis donc mise à la compétition. En
2003, j’ai été championne du monde de VTT marathon chez les amateurs (84 km) et, en 2010, je l’ai été chez les professionnels.
À 38 ans, je fais partie des coureuses les plus âgées. D’une part, cela
implique que je dois m’entraîner davantage, entre 15 et 22 heures
par semaine mais, d’autre part, mon expérience de vie m’aide à
mieux évaluer les risques. En vieillissant, on réfléchit davantage à ce
qui pourrait se passer en cas de chute dans une pente; on apprend à
connaître ses limites.
Le vélo est la seule discipline sportive dans laquelle la topographie du
parcours est caractérisée par des montées et des descentes. Le VTT se
pratique de surcroît en pleine nature. C’est un sport potentiellement
dangereux et qui demande une certaine dose de courage. Lorsqu’on
est confronté pour la première fois à une «rocaille», il faut se surpasser. Une rocaille est une descente parsemée de pierres relativement
grosses; ce n’est pas une partie de plaisir. Ceux qui n’osent pas l’emprunter peuvent prendre la «chicken line», un tronçon moins dangereux, mais qui implique un détour et donc une perte de temps.
Les chutes sont assez fréquentes en VTT, mais on s’en tire la plupart
du temps à bon compte, avec quelques égratignures et contusions. Les
fractures ou déchirures peuvent en revanche mettre un terme à une
saison. J’y pense de plus en plus dans l’optique des JO. Il n’est toutefois pas question de lever le pied, que ce soit à l’entraînement ou en
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compétition. Mes efforts ont été récompensés fin mai: c’est officiel,
j’ai été sélectionnée par la commission de sélection de Swiss Olympic pour les Jeux Olympiques d’été 2012 à Londres, avec la vététiste
Katrin Leumann!
C’est peut-être en raison de mon respect pour les descentes «cassecou» que les montées sont mon point fort. Dans une montée, je peux
faire valoir ma condition physique et ma combativité. Ma devise:
foncer dans les montées, doser dans les descentes. La peur des descentes ne m’abandonne jamais, mais elle diminue lorsque je gagne en
confiance en moi. Or, on peut s’entraîner à améliorer sa confiance en
soi. Je travaille avec un préparateur mental, bien que je sois peut-être
trop rationnelle dans ce domaine. Et avec mon entraîneur, Beat Stirnemann, j’affine également les aspects techniques.
Même si je venais à remporter le titre olympique à Londres, mon avenir financier ne serait pas assuré et je devrais continuer à travailler
une fois ma carrière terminée. Les cyclistes professionnels devraient
être mieux rémunérés. Mais ce qui me dérange surtout, c’est le peu
d’attention portée par le public à notre discipline. Dans les médias,
nous n’occupons souvent qu’une place marginale.
Le VTT est au cœur de ma vie actuelle. Mais je sais que mon bonheur
n’en dépend pas. Je paie un lourd tribut à la pratique de mon sport:
j’ai trop peu de temps pour ma vie sociale, pour mes amis – et pour
moi-même.
Esther Süss, 38 ans, a été championne du monde de VTT
marathon en 2010. Aux Jeux Olympiques de Londres, elle veut
terminer sa carrière sur une médaille. Elle vit à Küttigen,
dans le canton d’Argovie, et travaille à mi-temps comme enseignante en travaux textiles.
Photo: Anne Gabriel-Jürgens
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forum tout ou rien
Christoph Sigrist:
«La perte de la foi en Dieu me rend
complètement dingue»
Lorsque j’avais environ cinq ans, j’ai vu passer un chapeau noir devant
la fenêtre de notre cuisine. J’ai demandé à ma mère: «Qu’est-ce?» Elle
m’a répondu: «C’est le pasteur.» À compter de ce jour, j’ai su que je
voulais devenir pasteur. À supposer que je doive porter un chapeau
noir, symbole ambivalent, ce ne serait pas pour mettre de la distance
en tant que «Monsieur le Pasteur», car je l’ôterais devant chaque personne.
Le pasteur a une mission d’assistance spirituelle. Si je remplis correctement ma mission, j’apporte un soutien aux personnes qui viennent
me voir. Mais ces personnes représentent pour moi un soutien tout
aussi important. Le regard de l’autre m’amène à me reconnaître moimême. Je suis absolument convaincu que le regard de l’autre est la
chose la plus importante.
Corps et âme, je suis inconditionnellement dévoué à mon travail de
pasteur. La diaconie, c’est-à-dire le service d’aide et de médiation
aux personnes issues des couches et groupes sociaux les plus divers,
me tient vraiment à cœur. Ma porte est toujours ouverte à ceux qui
me cherchent. Je n’ai pas besoin d’une motivation particulière pour
effectuer mon travail quotidien; je n’ai encore jamais connu de phase
d’épuisement. Ce qui me fatigue, c’est la bureaucratie qui fait fi des
aspirations des gens.
La foi en Dieu m’aide à voir et à entendre ce qui préoccupe autrui. Elle
nourrit l’attention que l’on porte aux gens et à leur dignité humaine.
Dieu m’est apparu il y a onze ans, lorsque je suis tombé dans une
crevasse et que je suis resté coincé à 15 mètres de profondeur. J’ai
été secouru, et je n’ai compris qu’ultérieurement ce qui venait de se
produire. Dieu peut faire en sorte que le sol s’effondre sous vos pieds,
mais il vous offre sa protection pendant la chute.
Je ne supporte pas l’indifférence, je n’aime pas que les choses soient
tièdes, ni blanches ni noires, que tout soit banalisé, que les gens
n’aient plus la curiosité d’oser la nouveauté afin de se redécouvrir, que
l’envie de faire le premier pas sans savoir où mènera le second disparaisse. La perte de la foi en Dieu me rend complètement dingue.
D’où mon engagement, en plus de mon travail quotidien de pasteur,
en tant que président du Zürcher Spendenparlament. En 2006,
10 ceo forum
Zurich a été la première ville suisse à créer une telle institution, la
toute première ayant vu le jour à Hambourg en 1996. Le Zürcher
Spendenparlament se réunit pour débattre des projets qui méritent
un soutien financier. Il peut s’agir de projets sociaux, comme le projet «Marktlücke», qui permet à des femmes de tout âge, sans emploi,
de rester actives, malgré des conditions de vie difficiles, et de ne pas
perdre le lien avec le marché du travail. Il peut aussi s’agir de projets
culturels, à l’image de la pièce de théâtre «Songe d’une nuit d’été»,
que 30 requérants d’asile mineurs et 20 jeunes d’une classe spéciale E
ont répétée et jouée ensemble à Affoltern am Albis.
Tous les projets ont un objectif commun: l’intégration. Les requérants présentent leurs idées personnellement, ce qui crée un contact
direct entre les donateurs et les bénéficiaires des dons. Un membre
individuel du parlement verse 500 CHF de cotisation annuelle et
une personne morale 2500 CHF. Fin 2011, 820 000 CHF ont pu être
répartis entre quelque 70 projets. On est étonné par le nombre de gens
qui sont prêts à donner de l’argent sans faire de bruit pour une bonne
cause. Je préside ce parlement avec enthousiasme et je me suis engagé
à renforcer sa popularité. Sa devise me correspond par sa brièveté et
sa pertinence: «On possède. On agit. Ça porte ses fruits.»
Christoph Sigrist, 49 ans, est pasteur à mi-temps à la Grossmünster de Zurich depuis 2003. Il est aussi chargé de cours en
sciences de la diaconie à l’Université de Berne et, depuis 1990,
aumônier de l’armée. Christoph Sigrist préside l’association
Zürcher Spendenparlament, qui finance des projets contribuant à l’intégration sociale dans le canton de Zurich. Il est
marié et a deux fils.
Photo: Markus Bertschi
ceo forum 11
diplomatie
«Le capital le plus important est la
confiance»
L’ambassadeur Luzius Wasescha est l’un des acteurs
les plus expérimentés et les plus talentueux de la
diplomatie commerciale suisse. Depuis 2008, il est
président du groupe de négociation de l’OMC pour
la libéralisation du commerce des biens industriels.
Pour faire face aux cycles de négociation longs et
délicats, son réseau de relations lui est aussi utile
que son opiniâtreté de grisonnais.
Monsieur Wasescha, vous vous appuyez,
en tant que diplomate commercial,
sur un réseau de relations. Qu’est-ce
qui compte en la matière?
Dans notre domaine, il existe trois matières
premières: les connaissances techniques, le
réseau de relations et l’expérience. Toutefois, la difficulté dans le suivi de relations
entre États tient au fait qu’elles doivent être
constamment retissées: tous les deux ou trois
ans, nous avons affaire à de nouveaux interlocuteurs.
Comment vous accommodez-vous de ces
changements permanents?
Il importe d’investir immédiatement dans de
bonnes relations. Pour ce faire, il existe certaines formules, comme la visite de politesse.
La première fois que j’étais en poste à Genève,
je me suis rendu dans toutes les missions: à
l’époque, il y en avait environ 70. L’effet s’en
fait encore sentir aujourd’hui. Les cérémonies
d’adieu et les dîners d’accueil comptent aussi.
Ces rituels permettent d’entrer plus vite en
contact avec un nouveau collègue. Naturellement, la chimie joue un rôle important en
la matière. Mais même si l’on n’éprouve pas
de sympathie particulière, il faut trouver le
moyen de s’entendre. Ces relations personnelles peuvent être déterminantes lorsqu’une
12 ceo relations
phase de négociation active vous amène à
siéger ensemble des nuits durant dans une
pièce mal aérée. Outre les affinités, l’élément
culturel joue lui aussi un grand rôle. Vous ne
pouvez pas vous comporter avec un interlocuteur asiatique comme avec un Américain.
En quoi consiste ce suivi de relations
dans le quotidien de l’OMC à Genève?
Luzius Wasescha
Depuis 2007, ce docteur en
droit est directeur de la mission
permanente auprès de l’OMC
et de l’AELE, à Genève. En tant
que délégué du Conseil fédéral
aux accords commerciaux, il est
l’un des chefs des négociateurs
suisses à l’OMC et l’un des responsables des accords de libreéchange. Luzius Wasescha a
travaillé pour la Confédération et
occupé différents postes depuis
1980. Il donne en outre des cours
de conduite des négociations à
l’Université de Saint-Gall et au
secrétariat d’État à l’économie
(SECO). Il prendra sa retraite cet
été.
Les réunions se tiennent officiellement de
10 à 13 h et de 15 à 18 h. Ne restent alors
Photo: Cédric Widmer
Quelle est véritablement l’importance
des relations personnelles au sein d’une
grande organisation internationale
comme l’OMC?
Elle est essentielle! L’absence de relations personnelles est l’une des raisons pour lesquelles
les conférences multilatérales fonctionnent
moins bien que par le passé. Bien des négociateurs croient qu’il suffit de parler avec
des représentants des États-Unis, de l’UE,
du Japon, de la Chine, de l’Inde et du Brésil.
Bien sûr, ce sont les principales nations et il
faut entretenir les contacts avec elles mais
il existe 130 autres pays avec lesquels il faut
aussi compter. Il convient de parler avec leurs
représentants également.
ceo relations 13
pour entretenir les contacts que la pause de
midi et la soirée: cela signifie donc qu’il faut
aller manger ensemble. Souvent, ces repas
sont l’occasion de discussions autour d’un
thème donné. Et il y a aussi, bien sûr, les
réceptions. Ce soir, je passerai en coup de
vent dans deux d’entre elles. Les pays les plus
défavorisés, en particulier, sont très reconnaissants quand on honore d’une visite leurs
fêtes nationales.
tant y était opposé. Je l’ai invité à dîner. À la
fin de la soirée, je savais qu’il avait personnellement créé son formulaire et j’avais appris
qu’il prenait sa retraite dans un an. J’ai donc
proposé: attendons un an! C’était la solution.
Le contact personnel est un bon moyen pour
se procurer des informations. Un échange
d’idées permet de mieux comprendre la personnalité de celui ou de celle qui vous fait
face et donc aussi ses éventuels problèmes.
de l’OSCE où il ne se passait rien, et Hillary
Clinton s’ennuyait à ses côtés. Toutes deux
ont donc commencé à se parler. Et un jour,
Madame Calmy-Rey a eu le numéro du portable privé de Madame Clinton. Lorsque nous
étions ensemble chez le président à Moscou,
elle a parfaitement bien joué. Elle a dit à
Medvedev: «Tu sais, Dimitri, j’ai le numéro de
portable d’Hillary Clinton, mais je n’ai pas le
tien.» Il le lui a immédiatement donné!
Aucune autre ville suisse ne peut se prévaloir d’autant de restaurants étoilés
Michelin que Genève. Est-ce dû aux nombreux repas entre diplomates?
Vous avez déjà évoqué les aspects interculturels. Où se situent, par exemple, les
différences entre le Japon et la Russie,
pour vous qui avez négocié des accords de
libre-échange avec ces deux pays?
Un accord de libre-échange est actuellement en cours de négociation entre la
Suisse et la Chine. La Chine est-elle vraiment intéressée par un tel accord?
C’est possible, bien que, personnellement, je
ne me rende pas toujours dans les restaurants
les plus chers. J’essaie d’initier mes interlocuteurs aux coutumes locales. Par exemple,
demain, j’ai une rencontre bilatérale avec une
délégation géorgienne et nous irons dans un
bistrot très simple. Cela plaît beaucoup, car
souvent les gens ne connaissent que les hôtels
cinq étoiles, qui sont les mêmes partout dans
le monde.
La note personnelle dans l’entretien des
relations est-elle appréciée?
Absolument! Pour les réceptions auxquelles
j’invite dans ma résidence, j’organise le plus
souvent une dégustation au cours de laquelle
un viticulteur de Genève, du canton de Vaud
ou du Valais nous fait déguster sa production.
Mais lorsque vous en venez aux choses
sérieuses, vous devez tous défendre les
positions de vos gouvernements respectifs. Là, le fait d’avoir bu un verre de vin
ensemble la veille ne compte pas…
... mais l’on comprend peut-être mieux l’autre
partie. Un petit exemple: au tout début de ma
carrière, nous avons harmonisé les formulaires de déclaration pour l’enregistrement
des médicaments au sein de l’AELE. Nous
étions en fait tous d’accord, seul un représen-
Les Japonais pratiquent une communication
nécessitant un degré élevé d’harmonie et
doivent pratiquement tout faire approuver
par Tokyo. Il ne faut donc attendre aucune
spontanéité de la part d’un interlocuteur
japonais. De plus, tous les ministères concernés souhaitant vérifier si leur représentant
défend vraiment la position commune sur le
front, les groupes de négociation comptent de
nombreux participants. Cela peut parfois être
désespérant, notamment au niveau ministériel, où les barrières linguistiques viennent
s’ajouter aux différences culturelles. Un politicien japonais parle rarement anglais, il parle
japonais! C’est alors que vous êtes confrontés
au phénomène «Lost in Translation».
Et comment vous entendez-vous avec les
Russes?
Ils ont un fantastique négociateur qui s’est
occupé de leur adhésion à l’OMC du début à
la fin. Nous nous connaissons depuis plus de
dix ans, je sais même lire son langage corporel. La relation de confiance que j’entretiens
avec lui est sensationnelle. Il y a plusieurs
années déjà, quand je travaillais encore à
Berne, il téléphonait parfois en disant qu’il
souhaitait mon avis sur deux ou trois questions. C’est là que l’on voit à quel point les
réseaux sont précieux. D’ailleurs, Madame
Calmy-Rey le savait aussi. Elle s’ennuyait souvent pendant les conférences multilatérales
Oui, bien sûr. C’était également le cas du
Japon. Ces deux pays veulent devenir des
puissances mondiales stratégiques et ont
donc intérêt à avoir des relations contractuelles avec l’Europe. Si ces relations
s’avèrent plus faciles avec la Suisse qu’avec
l’UE, c’est avec nous qu’elles seront testées.
Que fait exactement jour après jour un
diplomate spécialisé dans les problèmes
commerciaux pendant les années que
durent les négociations pour un accord?
(Luzius Wasescha se lève, va jusqu’à son
bureau et revient avec deux épaisses liasses
de papiers agrafés.)
Ce sont les listes d’engagements pris par la
Russie lors de son adhésion à l’OMC. Elles
ont été établies lors de négociations bilatérales avec environ 50 pays qui y ont participé
activement. Voici le résultat que tous ont
approuvé: 3 kilos de papier! Et vous avez là
le traité entre l’OMC et la Russie. Les négociations ont duré 18 ans. Durant le cycle de
Doha, nous avions environ dix groupes de
négociation qui se sont réunis régulièrement.
J’en ai dirigé un. On y discute pendant deux
heures pour savoir si l’on utilise «promptly»
ou «immediately» dans un paragraphe. Si
aucune volonté commune n’émerge, de tels
détails futiles peuvent tout bloquer. Il faut
alors voir ce qu’il est possible de faire.
«Le Japon et l’Europe sont distancés, et la Suisse l’est elle aussi.
Toutefois, cela ne veut pas nécessairement dire que c’est une
catastrophe pour notre économie. La catastrophe se situe plutôt
au niveau politique où nous ne pouvons plus – comme autrefois –
compter sur la compréhension des pays de l’UE.»
14 ceo relations
Le cycle de Doha de l’OMC a été considéré
à plusieurs reprises comme un échec. Va
t-il se poursuivre malgré tout?
Théoriquement oui. Cependant, les antagonismes sont tout simplement trop forts.
Cela tient à ce que, par le passé, un cycle de
négociation avait toujours pour but de créer
un équilibre. Pour le cycle en cours, il faudrait
rectifier le déséquilibre apparu en raison de
la montée en puissance de la Chine. Alors
qu’elle n’était même pas encore membre de
l’OMC il y a dix ans, la Chine est aujourd’hui
la deuxième plus grande nation exportatrice du monde. Les autres États ne peuvent
pas ouvrir leurs marchés, sinon ils seraient
inondés de produits chinois et les entreprises
locales seraient contraintes de fermer. J’ai
compris ce que cela signifiait lors d’un entretien bilatéral avec un collègue indien. Il m’a
dit: «Notre problème n’est pas celui de la
puissance de la Chine, mais celui de savoir
comment occuper les 10 millions de personnes qui arrivent chaque année chez nous
sur le marché du travail.»
Vous avez déclaré à plusieurs reprises
que l’UE et, avec elle, la Suisse avaient
été fortement marginalisées sur la scène
internationale ces dernières années.
Comment jugez-vous cette évolution?
Le monde s’habitue lentement à la réalité
que le Brésil, l’Inde et la Chine ont aussi du
poids. Le Japon et l’Europe sont distancés,
et la Suisse l’est elle aussi. Toutefois, cela ne
veut pas nécessairement dire que c’est une
catastrophe pour notre économie. La catastrophe se situe plutôt au niveau politique
où nous ne pouvons plus – comme autrefois
– compter sur la compréhension des pays
de l’UE. La plupart d’entre eux ont encore la
même vision que nous. Ce ne sont toutefois
pas les membres qui négocient, mais la Commission européenne. En matière de politique
commerciale, un politicien tel que le premier
ministre britannique Cameron est comparable au président du Conseil d’État d’un canton suisse. La politique commerciale ne relève
pas de ses compétences.
Aucune branche de l’économie suisse
n’est aussi durement touchée que l’agriculture par la suppression des barrières
douanières, exigée notamment par
l’OMC. Vos rapports avec les paysans se
sont-ils envenimés?
Les représentants des paysans savent que je
m’efforce honnêtement de défendre leurs
intérêts, dans la mesure naturellement où le
Conseil fédéral fait siens ces intérêts. Je suis
originaire des Grisons et je sais ce que signifie
Traité OMC avec
la Russie:
18
ans de
négociations
le travail de la terre. Dans le cycle de l’Uruguay, nous avions été les seuls à parler de la
multifonctionnalité de l’agriculture. Nous
avons ainsi réussi à ancrer juridiquement les
paiements directs. Notre politique agricole
a certes évolué, mais depuis que la menace
sérieuse du cycle de Doha s’est estompée, on
n’entend plus parler de ces réformes. Je le
déplore, et je ne cesse de le rappeler: agriculteurs, prenez garde, un jour, il vous faudra
pouvoir vivre sans protection douanière!
Est-ce grâce à vos racines grisonnes que
vous êtes le président du plus grand parc
naturel suisse, le Parc Ela?
Oui. Le Parc Ela est l’œuvre des 21 communes
des vallées de l’Albula et de la Julia. Bien sûr,
il existe des rivalités. Un habitant de Bergün
n’aime pas qu’un citoyen de Savognin lui dise
ce qu’il doit faire. Je suis arrivé là comme un
grisonnais certes d’origine mais expatrié, qui
n’était pas impliqué dans des conflits vieux
de plusieurs générations. Je trouve passionnant de mettre ici en pratique un modèle de
développement durable, même si cela signifie
qu’il est parfois difficile de concilier tous les
intérêts.
Faut-il, pour négocier avec 21 communes
de montagne rivales, cultiver un type de
relations différent de celui régissant la
diplomatie commerciale?
World Trade Organization
L’Organisation mondiale du
commerce OMC s’occupe des
règles mondiales du commerce
entre les nations. Son objectif
est de supprimer les obstacles
au commerce, comme les droits
de douane, les subventions ou
les restrictions d’accès pour les
entreprises de services. Elle s’engage en faveur de la libéralisation
des échanges internationaux
de marchandises, dont profitent
notamment les pays exportateurs
tels que la Suisse. L’OMC, dont
font actuellement partie plus de
150 pays, a son siège à Genève.
Les mesures et disciplines figurant dans les règles de l’OMC
s’appliquent aux biens (depuis
1947, GATT), aux services (depuis
1994, GATS), à la propriété intellectuelle (depuis 1994, ADPIC)
et aux procédures de marchés
publics (depuis 1979, pour environ 40 membres aujourd’hui,
AMP).
www.wto.org
Non, elles reposent sur les mêmes principes.
Ce qui compte, ce sont les connaissances, la
compétence linguistique et le réseau de relations. Et dans toutes les relations, le capital le
plus important, c’est la confiance.
ceo relations 15
matières premières
«Les collaborateurs sont notre bien
le plus précieux»
Ruth Sandelowsky, CEO du négociant en matières
premières Kolmar Group, à Zoug, parle de la Suisse
en tant que place économique, du fait que les
ressources naturelles ne sont pas inépuisables et de
l’art de nouer des relations pérennes.
Madame Sandelowsky, par son chiffre
d’affaires, Kolmar se classe parmi les 50
plus grandes firmes suisses. Comment se
fait-il que cette entreprise soit pratiquement inconnue au public?
Nous sommes une entreprise privée qui n’a
pas besoin de faire connaître ses activités
en dehors de sa propre branche. Mais dans
notre secteur économique, les protagonistes
importants nous connaissent très bien. Nous
sommes considérés comme une partie intégrante de la branche, et nous remplissons une
fonction très demandée.
Kolmar réalise des chiffres d’affaires
énormes…
… oui, nos chiffres sont effectivement assez
impressionnants. En 2011, le chiffre d’affaires
s’élevait à 6,7 milliards de USD, mais cette
valeur dépend fortement des conditions du
marché et au prix du pétrole brut. C’est pourquoi nous faisons davantage porter notre
attention sur les quantités traitées. En 2011,
Kolmar a vendu 6 millions de tonnes de produits. Pour nous, la croissance de ce chiffre-là
est plus éloquente que le chiffre d’affaires.
16 ceo relations
Pourquoi le groupe Kolmar a-t-il décidé
d’établir son siège principal à Zoug lors
de sa fondation en 1997?
Il y avait et il y a encore de nombreuses raisons qui ont menées à cette décision…
… parmi lesquelles les impôts bas?
Oui, la législation fiscale est sans doute la
raison la plus évidente et la plus connue, mais
nous ne nous serions pas installés là uniquement pour des raisons fiscales. Les conditions
économiques sont très bonnes en Suisse,
et surtout dans le domaine des services. Le
pays bénéficie d’une position géographique
centrale et dispose d’une infrastructure bien
développée. Les aéroports sont facilement
accessibles et offrent des liaisons avec le
monde entier. S’ajoute à cela une éthique
professionnelle exceptionnellement forte: ici,
on tient sa parole. Et pour terminer, la qualité
du travail satisfait à des standards extrêmement exigeants. La main-d’œuvre est très
bien formée. Il existe un réseau de banquiers,
Ruth Sandelowsky
a longtemps travaillé pour le
géant des matières premières
Phibro. En 1997, la néerlandaise
a quitté Phibro pour fonder sa
propre entreprise dont le siège
est à Zoug. La société, Kolmar
Group AG, occupait au total 170
personnes en 2011, le chiffre d’affaires réalisé dans le monde s’élevait à 6,7 milliards de USD. Outre
le siège de Suisse, la société
est représentée dans 26 sites à
travers du monde entier, dont
les plus importants sont Bridgeport, Connecticut, États-Unis,
et Singapour. Kolmar s’occupe
du négoce d’une large gamme
de produits: du pétrole brut aux
dérivés de pétrole, des produits
pétrochimiques aux biocarburants
et au charbon. L’entreprise offre
également des services financiers
et d’autres fonctions de support
à ses clients dans le domaine des
matières premières et s’occupe
aussi du transport et du stockage
de matières premières.
Photo: Ruben Wyttenbach
ceo relations 17
170
collaborateurs
6,7
milliards de USD de
chiffre d’affaires
d’avocats et d’autres professionnels, comme
les médecins et les dentistes, qui sont tous
très qualifiés. Tout cela constitue un environnement intéressant, aussi bien pour les entreprises que pour leurs collaborateurs.
Ces dernières années, la place financière
suisse a subi une forte pression internationale. Des observateurs voient se profiler une évolution analogue dans le secteur des matières premières, par exemple
en ce qui concerne les avantages fiscaux.
Partagez-vous cette opinion?
Jusqu’à présent, nous étions très satisfaits de
l’environnement économique suisse et nous
espérons qu’il ne va pas changer.
Votre firme compte seulement 170 collaborateurs. Dans le secteur des matières
premières, d’autres entreprises de taille
comparable emploient beaucoup plus de
personnel.
Nous avons effectivement une organisation
très légère et efficace, à dessein. Kolmar est
présente dans le monde entier et travaille
depuis un grand nombre de sites différents,
mais en tant qu’entreprise intégrée. Nous
comptons sur la présence et la compétence
locales. En même temps, nous tirons un maximum d’avantages de notre structure matricielle.
Vous parlez du groupe Kolmar comme
d’une entreprise intégrée «virtuelle».
Qu’entendez-vous par là?
Kolmar est une entreprise de services mondiale qui – loin d’être uniquement une entité
traditionnelle – à ce jour ne possède aucune
installation de production. La gamme de
produits que nous proposons à nos clients
englobe la totalité de la chaîne de création
de valeur au sein de certains segments industriels. Prenons, par exemple, la chaîne du
pétrole brut. Nous proposons des services
dans le domaine du produit pétrole brut et
dans la raffinerie. Nous fournissons aussi des
prestations pour différents produits pétrochimiques, fabriqués à partir de produits de
raffinerie qui représentent à leur tour de la
matière première pour d’autres étapes de
traitement. La gamme de produits de Kolmar
couvre toutes ces étapes, ce qui est assez
exceptionnel. Le tout est virtuel car nous ne
fabriquons pas les produits nous-mêmes. Le groupe Kolmar participe-t-il
également à l’extraction des matières
premières?
Nous proposons toute une série de prestations: de l’acquisition des produits aux informations relatives au marché, aux conseils
sur les projets et à l’ensemble des autres
offres qui aident nos clients à atteindre leurs
objectifs commerciaux, en passant par le
financement, la logistique et le stockage.
Pour les opérations dites de transformation,
ce sont par exemple des capacités inutilisées par les industriels de la transformation
qui sont mises à profit. Nous concluons un
accord dans ce sens, nous livrons la matière
première, nous suivons toute l’exécution et
nous payons à la fabrique une redevance pour
la transformation. Cependant, pour l’avenir,
nous envisageons également de prendre des
participations dans des mines ou des raffineries.
Dans le secteur des matières premières,
les relations sont capitales. Comment
les établissez-vous et de quelle façon les
entretenez-vous?
Nous pouvons effectivement faire état de
relations de longue date avec nos partenaires
commerciaux. Cela ne se fait pas du jour au
lendemain, mais résulte d’un processus d’expansion qui se développe au cours du temps.
La plupart de nos cadres travaillent dans ce
domaine depuis plus de 20 ans, voire davantage dans certains cas. Au cours de cette
période, des relations ont été nouées, basées
sur la confiance et sur un succès effectif, ainsi
que sur un dialogue permanent pour savoir
comment aider nos partenaires le mieux possible. Contrairement à d’autres entreprises
de négoce, nous ne sommes pas intéressés
par les activités de spéculation. Notre métier
consiste à fournir des prestations avantageuses pour toutes les parties concernées.
«Nous essayons de jouer un rôle responsable en respectant les
prescriptions actuelles et en soutenant activement des mesures
visant à respecter strictement les procédures de conformité.»
18 ceo relations
Comme un nombre d’autres entreprises
du secteur des matières premières,
le groupe Kolmar a été fondé par une
équipe de commerciaux transfuges.
Comment évitez-vous que vos propres
employés ne se mettent à leur compte?
C’est exact, Kolmar a effectivement été fondée par une équipe qui avait quitté son ancien
employeur. Les fondateurs avaient une vision
précise de la manière dont ils souhaitaient
créer une affaire qui ne soit pas seulement
financièrement prospère, mais qui soit en
même temps un endroit où les employés se
sentent bien et jouissent de la confiance de
leur employeur. Cette confiance s’entend
dans l’avenir de l’entreprise comme dans
les perspectives personnelles, ainsi que des
aspects tels que la satisfaction dans le travail
et des possibilités de carrière que nous tenons
à cœur. Kolmar a une culture d’entreprise
très forte, considérée comme unique dans le
monde des entreprises de négoce. Nous avons
une rotation du personnel très faible. Nous
considérons nos collaborateurs comme notre
bien le plus précieux et nous faisons tout ce
qui est en notre pouvoir pour leur offrir des
conditions de travail stimulantes et satisfaisantes. Des cours internes et des efforts permanents pour élargir leur horizon personnel
et faire progresser leur carrière font partie de
cette attitude.
Les produits dont vous faites le négoce
reposent sur des ressources limitées.
Qu’est-ce que cela signifie pour l’évolution à long terme de l’entreprise?
C’est effectivement le cas en ce qui concerne
le pétrole brut. Cependant, des sources alternatives sont recherchées en permanence, et
il existe des matières premières de remplacement, comme le gaz et le charbon. Décider
de celles qui sont utilisées est autant une
question de coûts que de durabilité. Mais en
dernier lieu, nous devons être conscients du
fait que notre niveau de vie actuel dépend
dans une large mesure de la disponibilité de
ces ressources. En tant qu’entreprise, nous
sommes très flexibles et nous pouvons nous
adapter très rapidement – dans le cadre
de notre responsabilité sociale – à tous les
changements des conditions du marché, tant
que les besoins de prestations de service subsistent, voire augmentent.
Quel est l’avenir des carburants bio?
La production d’éthanol, par exemple,
est fortement critiquée car elle fait
concurrence à la culture de denrées
alimentaires.
Le développement durable intéressant l’environnement, l’énergie, l’approvisionnement
alimentaire, voire même le niveau de vie
actuel, concerne tout autant l’économie
que la politique. Ces thèmes suscitent des
inquiétudes, et Kolmar en est parfaitement
consciente. Nous essayons de jouer un rôle
responsable en respectant les prescriptions
actuelles et en soutenant activement des
mesures visant à respecter strictement les
procédures de conformité. Par exemple,
nous et d’autres fournisseurs de matières
premières ne pouvons fournir le marché allemand des carburants bio que si nous sommes
en mesure de produire des certificats de
durabilité pour nos produits.
Ces dernières années, beaucoup d’entreprises du secteur des matières premières
ont disparu ou fusionné avec de grandes
firmes. Pensez-vous qu’il n’existera plus
à l’avenir qu’une poignée de méga-entreprises qui participeront à l’ensemble
de la chaîne de création de valeur, de la
production à la livraison des matières
premières en passant par la vente?
C’est difficile à dire. Le marché est vaste et il
y aura toujours de la place pour des acteurs
de niche qui n’ont pas besoin d’une grosse
organisation pour être rentables. Mais nous
croyons fermement qu’un modèle commercial
doit prévoir une certaine taille et une certaine capacité lorsqu’on souhaite travailler au
niveau mondial. Ces critères sont nécessaires
car, en définitive, les marchés que nous fournissons en profitent aussi.
ceo relations 19
secteur aérien
«Les coteries créent des
dépendances»
Le marché des compagnies
aériennes traverse des turbulences et subit d’énormes
pressions. Nous nous sommes
entretenus avec le CEO de
SWISS, Harry Hohmeister, qui
nous parle de mauvaises
nouvelles, de contexte politique
et de gestion relationnelle.
Début 2012, la compagnie SWISS accusait des pertes et le groupe Lufthansa
supprimait des emplois. Comment gérezvous ces mauvaises nouvelles?
Elles font partie du quotidien du métier. Bien
évidemment, on se fait parfois du souci et on
passe des nuits agitées. Ce sont tout de même
des collègues qui sont touchés. Aujourd’hui,
nous devons rapidement retrouver une énergie positive en nous appuyant sur les projets
de changement. 2009 a aussi été une année
difficile, et nous l’avons bien surmontée.
Nous y arriverons également cette fois-ci,
même si aucune reprise rapide du marché
n’est attendue pour 2012.
Vous affichez un optimisme de circonstance.
Harry Hohmeister
est CEO de SWISS depuis 2009.
Après une formation d’agent
commercial dans le transport
aérien, il a occupé des fonctions
dirigeantes au sein de Lufthansa
de 1988 à 2000. Il a ensuite passé
cinq ans chez Thomas Cook AG,
où il a occupé différents postes
de cadre de gestion, avant de
rejoindre SWISS en 2005 et, en
tant que membre de la direction,
il a été chargé de la planification du réseau, puis a assumé la
responsabilité des activités de
distribution et de vente. À 48 ans,
il est marié, a un fils et vit avec sa
famille non loin de l’aéroport.
Photos: Cédric Widmer
Dans notre secteur d’activité, l’optimisme doit
toujours être de mise. Ceci dit, si vous vous
contentez d’espérer que les choses tournent
bien, vous n’arriverez à rien. Dans le secteur
aérien, la recherche continue d’améliorations
est primordiale. À cet égard, une certaine
dose d’optimisme peut s’avérer utile pour
tenir le coup. Mais cela reste une question
d’attitude, pas la solution.
SWISS vise un bénéfice d’exploitation
annuel de 400 millions de CHF. N’avezvous pas placé la barre très haut?
Nous avons besoin de ces revenus pour
garantir notre capacité d’investissement et
notre succès à long terme. Plusieurs projets
concrets ont été mis sur pied pour améliorer
nos résultats. Ainsi, nous optimisons le trafic
de proximité en collaboration avec Lufthansa,
essayons d’être plus efficaces au niveau des
achats et réexaminons une fois encore nos
processus. Je suis convaincu que nous reprendrons notre marche en avant d’ici 2014.
Les mesures prévues pèseront-elles sur les
relations avec les travailleurs?
Nous avons réalisé des améliorations considérables dans les conventions salariales de nos
employés depuis 2006. Aujourd’hui, les temps
sont plus difficiles et il n’y a aucune marge
pour une augmentation des salaires. La sécu20 ceo relations
rité des emplois est pour l’heure la priorité
numéro un. En dernier recours, il serait plus
opportun de réduire le salaire d’un travailleur
de 5% plutôt que de le licencier. Jusqu’à présent, SWISS a toujours entretenu le dialogue
social.
Des coupes salariales sont-elles prévues?
Pas pour l’instant, car notre entreprise
gagne de l’argent. Nous faisons le maximum
pour que tous nos collaborateurs puissent
travailler dans un climat aussi serein que
possible. Mais si le prix du pétrole passe la
barre des 200 USD ou que le franc s’apprécie
encore, nous devrons envisager une baisse
des salaires. Pour l’heure, ce ne sont pas les
salaires qui sont au cœur du débat, mais les
gains d’efficacité. Je vous entends me demander si les citrons ne sont pas déjà pressés…
Est-ce le cas?
Lorsque j’ai pris mes fonctions de CEO en
2009, nous avons chargé un consultant
externe de réaliser une analyse réaliste de la
situation de l’entreprise. Résultat: nous étions
sensiblement meilleurs que les plus mauvais
élèves, mais nous occupions seulement le
milieu du classement dans notre secteur.
Je n’en étais pas satisfait. Depuis lors, nous
avons réduit de 22% les frais généraux, les
fameux coûts unitaires administratifs, sans
licencier ni alourdir exagérément la charge de
travail du personnel. Grâce à l’automatisation
et à la standardisation, nous pourrons encore
abaisser nos frais généraux de 15% au cours
des trois prochaines années.
En période difficile, le patron doit-il aussi
endosser le rôle de communicateur?
Je dois m’imposer en maître de la situation.
Celui qui a peur de devoir annoncer des nouvelles parfois désagréables à 500 personnes
ne doit pas faire ce travail. Nous organisons
régulièrement des actions de communication
pour les collaborateurs.
ceo relations 21
Nouvelle image, nouvelles offres pour les clients: le SWISS Arrival Lounge de l’aéroport de Zurich avec un nouveau design de nature à satisfaire les plus exigeants.
Vous avez déclaré que vous n’arrêteriez
jamais de jouer à l’agitateur au sein de la
compagnie. L’agitateur, pour le moment,
c’est plutôt le marché.
«Sans transport
aérien, une part considérable du produit
national brut de la
Suisse s’envolerait
en fumée; ce secteur y
contribue six fois plus
que l’agriculture.»
Effectivement, j’ai moins à jouer ce rôle
désormais. Nous sommes très touchés par le
prix élevé du pétrole, l’évolution monétaire
caractérisée par un franc fort et la présence
de compagnies concurrentes bénéficiant
d’aides publiques. Mais le monde est fait de
perpétuels changements. Une entreprise qui
s’installe dans un certain confort ne sera pas
une bonne entreprise sur le long terme. On a
besoin de dirigeants qui remettent les choses
en question et encouragent à rester compétitif, créatif et innovant.
Seriez-vous là où vous êtes sans votre
réseau professionnel?
Ce sont avant tout les compétences qui priment. Les réseaux ont plusieurs dimensions.
Mon réseau privé est très important pour moi.
Un patron a vite tendance à prendre la grosse
tête. Les réseaux aident alors à objectiver et
à garder les pieds sur terre. J’ai aussi mon
réseau dans le secteur aérien. Par principe,
j’ai toujours veillé à rester indépendant et à
ne m’affilier à aucune coterie, car cela crée
toujours des dépendances.
Avez-vous postulé à la fonction de CEO
de SWISS?
Non. Je n’ai posé qu’une seule candidature
dans ma vie. Depuis, on est toujours venu me
chercher. Je me suis toujours montré ouvert
aux nouveaux défis et ne me suis jamais installé dans une fonction. C’est encore le cas
aujourd’hui. Je suis CEO depuis trois ans chez
SWISS et j’aimerais le rester quelques années
22 ceo relations
encore. Mais l’employabilité est un important
facteur de succès. Car à partir d’une certaine
fonction, on n’est plus l’artisan de son bonheur – d’autres ont leur mot à dire.
La compagnie SWISS fait partie du
groupe Lufthansa. La survie de l’entreprise dépend-elle de cette coopération?
SWISS n’existerait plus dans sa forme
actuelle sans ce rattachement qui a ramené la
confiance des clients. Nous profitons d’économies d’échelle dans le cadre de l’achat du carburant et des appareils ainsi que des ventes
et des programmes de fidélisation de la clientèle. Cela représente quelque 150 millions de
CHF par an pour chaque compagnie. Nous
allons investir près de 4 milliards de CHF
dans de nouveaux avions d’ici dix ans. Cet
argent, nous ne l’aurions obtenu de personne
à l’époque, sauf si l’État était intervenu.
C’est la taille qui fait la différence?
La taille du groupe permet des économies
d’échelle. Notre stratégie consiste toutefois à
couvrir le marché domestique suisse. Si nous
étions beaucoup plus grands, nous devrions
investir massivement dans le trafic de correspondance, ce qui comprimerait la structure
des coûts. La taille seule n’est pas la panacée.
Le transport aérien est aussi régi par la
politique. Dans quelle mesure devez-vous
être un homme politique?
La politique crée les conditions-cadres dans
lesquelles nous pouvons agir. Sachant cela,
je soigne particulièrement mes relations
avec les responsables à Berne, à Berlin et à
Bruxelles. Le monde des affaires et celui de
la politique doivent collaborer de manière
plus étroite dans le cadre du transport aérien,
indépendamment de la couleur politique, et
ce, dans l’espoir d’élaborer les solutions optimales pour l’économie.
En tant que patron d’une compagnie
aérienne, vous n’êtes pourtant pas satisfait des restrictions politiques imposées
au transport aérien…
personnes – qui viendront par exemple d’Extrême-Orient – iront là où on leur proposera
des liaisons aériennes directes.
À l’automne dernier, les électeurs se sont prononcés clairement en faveur du développement de l’aéroport de Zurich. Une partie du
monde politique considère que le transport
aérien est une industrie du luxe. C’est totalement absurde. Nous ne volons pas par plaisir,
nous créons de la valeur ajoutée par milliards
et nous faisons autant partie des transports
publics suisses que les CFF.
Beaucoup considèrent le doublement du
trafic aérien comme une menace.
Il vous faudra encore beaucoup de travail
de persuasion.
Oui. Nous devons nous engager davantage
en tant qu’entrepreneurs, comme c’est le cas
dans d’autres secteurs. Ceux qui politisent à
nos dépens, par exemple sur la question du
bruit, nuisent au final à l’économie nationale.
Sans transport aérien, une part considérable
du produit national brut de la Suisse s’envolerait en fumée; ce secteur y contribue six fois
plus que l’agriculture.
L’aéroport de Zurich peut accueillir au
maximum 66 décollages et atterrissages
par heure, contre 120 à Francfort. Pourtant, la construction de nouvelles pistes à
Kloten suscite des oppositions.
La Suisse doit décider de sa stratégie future et
de l’avenir des infrastructures de l’aéroport.
Comment procéder pour maintenir l’attrait
d’une économie? Le trafic aérien devrait
encore doubler d’ici 2030. Or, toutes ces
C’est pourtant une opportunité pour la plupart. Le besoin ne se crée pas artificiellement;
nous répondons aux besoins des clients.
Et nous nous développons en fonction du
progrès technologique. Regardons 20 ans
en arrière: à l’époque, Kloten accueillait
un trafic aérien bien moins dense mais les
nuisances sonores étaient 70% plus élevées
qu’aujourd’hui. On devrait s’en tenir aux faits
et ne pas diaboliser irrationnellement le secteur aérien.
Vous êtes de nationalité allemande.
Comprendre le «schwyzerdütsch» est-il
une nécessité dans le cadre de vos
relations professionnelles?
Chiffre
d’affaires
4,9
milliards
de CHF
SWISS
Swiss International Air Lines Ltd.
(SWISS) fait partie du groupe
Lufthansa et de l’alliance internationale de compagnies aériennes
Star Alliance. SWISS transporte
chaque année quelque 15 millions
de passagers à bord de ses 90
avions. En 2011, la compagnie,
qui compte 7600 collaborateurs,
a réalisé un chiffre d’affaires de
4,9 milliards de CHF et un bénéfice opérationnel de 306 millions
de CHF.
L’important, c’est surtout d’être en mesure
d’adapter son comportement. Je n’attends pas
de mes collègues suisses qu’ils parlent tous le
«hochdeutsch» pendant les réunions. Si je ne
comprends pas quelque chose, je peux toujours demander. Mais il y a apparemment un
automatisme en Suisse: quand je me joins à
un groupe, le dialecte local fait place à l’allemand après quelques secondes.
Vous avez la réputation d’avoir l’esprit
vif. Est-ce un atout ou un inconvénient?
Si c’est le cas, c’est assurément utile pour
prendre une décision lorsque quelqu’un passe
en revue des problèmes complexes. Dans
notre milieu, les résultats dépendent souvent de la vitesse de réaction. Mais cela peut
être un inconvénient sur le plan émotionnel,
lorsqu’on progresse trop vite et que les autres
n’arrivent pas à suivre.
ceo relations 23
marché de l’électricité
Autrefois, il y avait au col de la Bernina deux petits lacs naturels: le Lago Bianco
et, au sud de celui ci, le Lago della Scala. En 1910–1911 furent édifiés les
deux barrages sur la Scala (côté sud) et l’Arlas (côté nord), qui amenèrent la
formation d’un lac de retenue d’un volume de 18,6 millions de mètres cubes.
«Une réflexion électrisante»
Pour le projet de centrale hydroélectrique à accumulation par pompage Lagobianco, l’exploitant
Repower préfère la coopération à la confrontation.
Entretenir de bons rapports avec les défenseurs
de l’environnement porte ses fruits mais constitue
toujours un défi pour les deux parties.
Photos: Ruben Wyttenbach
24 ceo relations
ceo relations 25
Depuis 2009, on s’assied à une table et on cherche
des «solutions, pas des problèmes».
Dans la salle de réunion du producteur
d’énergie Repower, à Poschiavo GR, Roberto
Ferrari montre comment il est possible
d’illustrer des procédures complexes. Le chef
de projet pour la nouvelle centrale hydroélectrique à accumulation par pompage
Lagobianco saisit son verre d’eau d’un geste
démonstratif et le pousse un peu sur le côté
avec précaution: «Lorsque nous rencontrions
un problème au cours du processus de planification, nous ne brisions pas le verre, mais le
considérions sous un autre angle.»
Par «nous», R. Ferrari entend non seulement
son équipe de projet, mais aussi et surtout
le groupe d’accompagnement, composé de
représentants d’organisations de protection
de l’environnement, des pêcheurs, des communes locales et du canton. Depuis 2009, on
s’assied à une table et on cherche «des solutions, pas des problèmes», déclare R. Ferrari.
Il en a longtemps été autrement. Dans les
années 1980 et 1990, le WWF, Pro Natura et
la fondation Greina avaient fait opposition à
un premier projet de grosse centrale à accumulation dans le val Poschiavo, et l’affaire
avait été portée jusqu’au Tribunal fédéral.
Repower avait auparavant gagné à tous les
échelons judiciaires. Les adversaires étaient
tout sauf d’accord entre eux: les producteurs
d’électricité voulaient produire davantage
d’énergie en hiver en élevant de 17 mètres le
niveau du lac de retenue au col de la Bernina
et en ne laissant s’écouler qu’une quantité
réduite d’eau résiduelle, alors que les défenseurs de l’environnement réclamaient davantage de nature.
Prêt à la négociation: Roberto Ferrari, chef de projet pour la centrale hydroélectrique
à accumulation par pompage de Lagobianco.
Galerie de reconnaissance: des stratifications dans la roche peuvent entraîner
des modifications du projet.
À surélever: le vieux mur sud du lac de retenue Lago Bianco.
Galerie d’amenée
env. 18 km
Lago Bianco
Le projet Lagobianco
Conduite forcée
env. 2,5 km
Lago di Poschiavo
26 ceo relations
Repower souhaite construire dans le haut du val Poschiavo une centrale hydroélectrique à accumulation par pompage d’une puissance de 1000 mégawatts, ce qui correspond à peu près à la
puissance de la centrale nucléaire de Gösgen. La future centrale utilisera comme réservoirs le
Lago Bianco, au col de la Bernina, à plus de 2200 mètres d’altitude, et le Lago di Poschiavo, à
environ 1000 mètres: de l’électricité sera produite quand demande et prix concorderont. L’eau
s’écoulera alors de haut en bas et sera turbinée dans la centrale. Inversement, pendant les
périodes de faible demande, l’électricité s’achètera à prix avantageux. Cela permettra de pomper
de l’eau pour la faire remonter jusque dans le Lago Bianco.
Les deux lacs seront reliés par une galerie d’amenée souterraine de 18 kilomètres, courant le long
du flanc de la vallée, et par une conduite forcée de 2,5 kilomètres. L’eau sera turbinée dans une
caverne au Camp Martin, au bord du Lago di Poschiavo. Le raccordement au réseau électrique
s’effectuera via une ligne internationale de 380 kilovolts déjà existante. La demande d’autorisation
de la concession a été déposée auprès du canton des Grisons fin 2011 par Repower et les trois
communes de Pontresina, Poschiavo et Brusio. Les coûts d’investissement s’élèvent à 1,5 milliard
de CHF environ; Repower cherche des partenaires de production qui participeront au projet. La
durée de construction de la centrale hydroélectrique à accumulation par pompage est de six ou
sept ans.
ceo relations 27
«Nous avons suspendu la procédure en cours devant le
Tribunal fédéral pour six mois et avons simultanément
considéré le dialogue avec les opposants comme une
expérience à tenter et une chance.»
Esprit d‘équipe: Felix Vontobel, CEO adjoint de Repower, à Poschiavo, dans le sud des Grisons.
Nouveau départ autour d’une table
Val Poschiavo: le percement des galeries d’amenée et la construction de la centrale-caverne généreront plus de 3 millions de
tonnes de matériaux. Les travaux pollueront fortement la vallée, mais apporteront aussi du travail et des revenus.
28 ceo relations
Les positions semblaient inconciliables
jusqu’à ce que, en septembre 2008, la fondation Greina propose une table ronde. Felix
Vontobel, CEO adjoint et responsable des installations chez Repower, se souvient: «Nous
avons suspendu la procédure en cours devant
le Tribunal fédéral pour six mois et avons
simultanément considéré le dialogue avec les
opposants comme une expérience à tenter et
une chance.»
Vontobel (54 ans), dans l’entreprise depuis
1987 après des études en technique énergétique et en courants forts, se dit convaincu
des bienfaits de l’esprit d’équipe: «Nous
risquons souvent d’accorder trop de poids
aux aspects techniques et pas assez aux rapports humains. Des idées différentes peuvent
ouvrir de nouvelles voies.» Exploitant luimême depuis 16 ans une installation solaire
à titre privé, il ne s’est pas laissé déconcerter
lorsque des personnes de son entourage lui
ont déconseillé de dialoguer avec les défenseurs de l’environnement, prétendument
imprévisibles.
Ces derniers ont eux aussi dû laisser tomber
les vieux clichés pleins d’animosité qu’ils
avaient à propos des producteurs d’électricité. «Pendant des années, la confrontation a
été totale», explique Gallus Cadonau, directeur de la fondation Greina. Ce pragmatique
militant vert estimait que les chances devant
le Tribunal fédéral étaient minces et craignait
une décision préjudiciable à propos des débits
résiduels. Il s’agissait en la matière du niveau
d’eau dans les exutoires des lacs de retenue.
Dans cette situation, négocier était la meilleure alternative.
Le virage électrique nécessite des
réservoirs
D’après Vontobel, une «réflexion créative» a
effectivement eu lieu. De son point de vue,
le changement d’attitude des défenseurs de
l’environnement a été déterminant: «Pour
la première fois, il a été reconnu qu’un
virage électrique vers les nouvelles énergies
renouvelables ne fonctionnerait qu’avec des
centrales hydroélectrique à accumulation
par pompage.» Jusqu’à présent, celles-ci
avaient la réputation de transformer de l’électricité bon marché provenant de centrales
nucléaires et thermiques en coûteuse électricité hydraulique et de ne servir qu’à assécher
rivières et ruisseaux: une hérésie écologique
aux yeux des organisations de défense de
l’environnement.
Le boom des énergies renouvelables en
Europe, notamment le solaire et l’éolien,
entraîne aujourd’hui des changements sur le
ceo relations 29
marché. Possible seulement quand le soleil
brille et que le vent souffle, la production
d’électricité à partir du soleil et du vent ne
correspond pas toujours aux besoins. Il faut
donc utiliser des batteries qui stockent le courant quand l’offre est excessive et le restituent
quand la demande augmente.
Hauts et bas de la production
d’électr icité
Lago di Poschiavo: quand il y a excédent de courant électrique, l’eau est pompée jusqu’au Lago Bianco, 1200 mètres plus haut, et elle est turbinée en sens inverse
quand des besoins en électricité se manifestent.
En 2011, Repower, qui emploie plus de 700 collaborateurs, a réalisé un chiffre d’affaires de 2,5 milliards de CHF.
30 ceo relations
L’entreprise d’approvisionnement en énergie Repower
En 2000, plusieurs sociétés
d’exploitation de centrales énergétiques des Grisons se sont
réunies pour former Rätia Energie,
aujourd’hui Repower. 46% des
actions appartiennent au canton
des Grisons, 24,6% à l’entreprise
d’approvisionnement en énergie Alpiq et 21,4% à la société
d’électricité Laufenburg. En 2011,
avec quelque 700 collaborateurs,
Repower a réalisé un chiffre
d’affaires de 2,5 milliards de CHF
et un bénéfice de groupe de 54
millions de CHF. Avec 40,7%
de fonds propres, Repower est
solidement financée. Deux tiers
environ du chiffre d’affaires correspondant aux 18 térawattheures
d’électricité produite sont réalisés
par la commercialisation, un tiers
par l’approvisionnement et la distribution. Le groupe dispose de
ses propres centrales en Suisse
(énergie hydraulique), en Italie
(centrales à cycle combiné au
gaz, éoliennes) et en Allemagne
(éoliennes). À certaines époques, la quantité d’électricité
éolienne et solaire produite est si élevée que
les prix dégringolent. Dans les cas extrêmes,
on paie même pour «caser» le courant excédentaire. Les centrales hydroélectrique à
accumulation par pompage profitent d’une
telle configuration: dans le cas de Lagobianco, en présence d’un excédent de courant, de l’eau du Lago di Poschiavo serait
pompée vers le Lago Bianco, au col de la
Bernina, 1200 mètres plus haut, puis serait
turbinée en sens inverse lorsque les besoins
en électricité augmentent (cf. encadré page
27). «Si la Suisse veut jouer un rôle au niveau
européen, cela ne peut être que celui de
réservoir d’énergies renouvelables. Sinon,
nous serons marginalisés et, dans le secteur
de l’énergie aussi, nous ferons les frais de la
politique européenne», déclare Vontobel.
Ayant un effet d’équilibrage, les centrales
hydroélectrique à accumulation par pompage
contribuent en outre largement à la stabilité
du réseau. En Suisse, trois nouvelles centrales
de ce type sont planifiées ou déjà en construction. «Il existe suffisamment de besoins.
Cependant, le réseau de transport doit être
étendu pour offrir des capacités supplémentaires», explique Vontobel.
Le tournant électrique n’est pas encore
un tournant énergétique
Pour ce qui est de l’avenir énergétique, le dirigeant de Repower est clair: «Faute de consensus pour de nouvelles centrales nucléaires au
sein de la société, nous devons trouver une
solution de substitution pour environ 40%
des besoins actuels en électricité. Penser y
arriver avant la sortie du nucléaire avec les
seules énergies renouvelables n’est pas réaliste. C’est la raison pour laquelle une génération de nouvelles centrales à gaz et à charbon
est encore nécessaire.»
Cependant, cette perspective se heurte à
une violente opposition dans toute l’Europe.
Vontobel renvoie aux conséquences: «Puisque
plus personne n’investit en raison des incertitudes actuelles, de vieilles centrales à faible
rendement et forts rejets de CO2 continueront
à être exploitées. L’âge moyen des centrales
européennes atteint déjà un niveau critique.»
F. Vontobel met les choses au point: «En
Suisse, la proportion de l’électricité dans la
consommation finale d’énergie est de 24%.
Ce sont essentiellement les énergies fossiles
qui se taillent la part du lion avec 76%. Mais
cela, on préfère ne pas en parler.»
Un tabouret à trois pieds
Pendant la période de construction, le projet
Lagobianco aura des conséquences importantes sur l’environnement. Le percement
des galeries d’amenée et la construction de
la centrale-caverne généreront plus de 3 millions de tonnes de matériaux et les travaux
pollueront fortement la vallée. Ensuite, pendant l’exploitation, des fluctuations de niveau
considérables se produiront sur les deux lacs
réservoirs.
Le groupe de projet s’est efforcé de trouver
des solutions aussi compatibles que possible
avec l’environnement. Environ 40% des
matériaux d’excavation pourront être recyclés
pour la fabrication de béton, la plus grande
partie pour le projet lui-même. La hauteur
des murs du barrage situé sur le Lago Bianco
n’augmentera pas de 17 mètres mais de seulement 4,3 mètres; les variations de niveau
seront définies et limitées. En aval, les changements de niveaux d’eau dus à la production
d’électricité qui, jusqu’ici, étaient fréquents
(problématique des éclusées) seront éliminés.
En effet, le turbinage s’effectuera désormais
via la galerie d’amenée et un débit réservé
suffisant alimentera le Poschiavino. Les poissons pourront à nouveau migrer et frayer. Des
mesures de revitalisation importantes sont
prévues pour les deux lacs et le Poschiavino.
Le processus participatif reste cependant un
travail relationnel exigeant. Repower et les
défenseurs de l’environnement ne sont pas
d’accord sur tous les points. Ainsi, dans les
Grisons, une initiative exige que les producteurs locaux renoncent à l’électricité produite
à l’étranger grâce au charbon. Repower souhaite cependant surtout utiliser cette source
d’énergie pour son important marché italien.
Si la concession pour la centrale hydroélectrique à accumulation par pompage
Lagobianco est accordée, il faudra élaborer
avec le groupe d’accompagnement un scénario pour les imprévus pendant la phase de
construction (p. ex. imprévus d’ordre géologique). «Nous n’avons pas encore toutes
les réponses», explique R. Ferrari, le chef de
projet.
Qu’est-ce qui pourrait encore arrêter le projet
si la concession devait être accordée? Ferrari
répond par la métaphore du tabouret à trois
pieds: «Les pieds représentent la technique,
l’écologie et l’économie. Il convient de leur
attribuer la même importance. Sinon, le siège
bascule.»
ceo relations 31
Clive Bellingham,
Responsable Headquarters
Initiative
ceo 1/2012
Valeur ajoutée
La Suisse en tant que lieu
d’implantation
Le meilleur choix pour
l’Europe
La Suisse en tant que lieu d’implantation
Le meilleur choix pour l’Europe
Page 33
Audit et conseil
Augmentation de la qualité et de l’efficience
Start-up
Les jeunes entreprises dynamisent l’économie
Systèmes de rémunération
Équité et simplicité indispensables
Page 42
Service
Publications et formation continue
Page 44
32 ceo valeur ajoutée
Page 36
Page 39
Toujours plus de multinationales privilégient des modèles
d’affaires centralisés. Offrant de nombreux avantages concurrentiels, la Suisse est donc un site très prisé pour les sièges
d’entreprises internationales.
La centralisation de secteurs
d’entreprise et le choix du siège
social sont étroitement liés. Les
modèles d’affaires centralisés
sont souvent le fruit d’une transformation. Lorsqu’elles prennent
la décision de centraliser certains
secteurs, les multinationales
se posent la question du lieu
d’implantation géographique de
ces fonctions centrales. La centralisation a donc très souvent pour
conséquence l’extension d’un
siège existant ou la création d’un
nouveau siège.
La Suisse est un lieu d’implantation très attrayant pour de nombreuses entreprises exerçant des
activités à l’international pour
coordonner les affaires européennes ou même mondiales.
En 2011, quelque 500 groupes
avaient un siège régional ou principal en Suisse. Dans une étude
empirique conduite auprès d’entreprises multinationales, PwC
a analysé la raison de ce phénomène (cf. encadré page 34) en se
concentrant sur deux questions
principales:
•Pourquoi les entreprises interrogées ont-elles opté pour une
centralisation?
•Quels sont les facteurs décisifs
qui conduisent à choisir la Suisse
comme site d’implantation pour
les secteurs décentralisés?
Les résultats sont instructifs.
Gain d’efficacité grâce à la
centralisation
Un modèle d’affaires centralisé
est attrayant pour les groupes
multinationaux et cette situation
devrait se maintenir à l’avenir.
Cette forme de transformation
d’entreprise conduit
– à une efficacité accrue en raison de l’harmonisation de pratiques commerciales et
– à des économies de coûts en
raison d’effets d’échelle.
Il est intéressant de constater que
les groupes suisses et étrangers
pondèrent différemment ces
deux arguments. Les groupes
suisses accordent aux gains d’efficacité une importance extrême
(87%) ou en tout cas assez élevée, et une importance moindre
aux réductions de coûts consécutives à des effets d’échelle. Quant
aux groupes étrangers, ils apprécient les deux arguments presque
à égalité.
Argument fiscal décisif
Les arguments ne manquent pas
en faveur de la place économique
suisse: sécurité juridique, possibilité d’entretenir des rapports
de partenariat avec les autorités,
infrastructure solide et qualité de
vie élevée. Et, bien sûr, la fiscalité. Tous les groupes multinationaux étrangers et quasiment tous
les groupes suisses citent l’environnement et les taux fiscaux
comme facteurs importants dans
le choix du lieu d’implantation.
ceo valeur ajoutée 33
Importance des facteurs d’implantation
Conditions-cadres et taux des impôts sur les sociétés
100%
Utilisation de l’anglais comme langue des affaires
91%
Qualité de vie
81%
Situation géographique
80%
Part des entreprises internationales
71%
Proximité du lieu de résidence des employés
68%
Connaissances spécifiques
62%
Proximité des clients existants et futurs
56%
Infrastructures routières et ferroviaires
Proximité des fournisseurs
54%
À l’origine, l’enquête devait se concentrer sur les groupes étrangers qui exercent des
activités à l’international et ont un siège en Suisse. Mais au cours de l’enquête, il est
devenu manifeste que tous les groupes multinationaux doivent maîtriser les mêmes défis,
qu’ils soient d’origine suisse ou étrangère. En conséquence, l’enquête a été étendue aux
groupes multinationaux d’origine suisse. L’étude analyse séparément les réponses des
deux groupes.
93 personnes ont été interrogées dans 74 entreprises. 68 d’entre elles sont des sociétés
holding dont 27 ont leur siège en Suisse, 27 aux États-Unis, 10 en Europe (hors Suisse)
et 4 dans la zone Asie-Pacifique. Le nombre élevé d’entreprises basées aux États-Unis
explique sans doute le fait que l’utilisation de la langue anglaise dans les affaires soit un
critère si important pour le choix du site d’implantation.
21% des entreprises interrogées réalisent un chiffre d’affaires inférieur à 1 milliard de EUR
et, pour 32%, il dépasse le seuil des 10 milliards de EUR. Les branches sont, par ordre de
fréquence: l’industrie manufacturière, le commerce de détail et biens de consommation,
les life sciences, la technologie, les télécommunications, l’information-communication et
les médias, l’énergie et l’approvisionnement, et enfin le secteur public.
La forte représentation du secteur industriel reflète une tendance observée par PwC
depuis une vingtaine d’années: ce sont avant tout des installations de production qui
centralisent leurs fonctions d’entreprise en Suisse. Cette situation est certainement liée
au fait que la standardisation et la centralisation de processus et de fonctions dans le
cadre de chaînes de création de valeur physiques permettent de plus fortes augmentations de l’efficience et de plus grandes économies de coûts par des effets d’échelle. Et au
fait que, d’une façon générale, le secteur des services et le secteur financier sont encore
peu développés en matière de standardisation et de centralisation.
Vous pouvez commander l’étude «HQs in Switzerland – maximising benefits and handling
challenges» (en anglais) gratuitement auprès de: [email protected].
La valeur élevée accordée par les
entreprises interrogées à l’utilisation de la langue anglaise dans le
monde des affaires est particulièrement révélatrice. Ce critère surpasse même celui de la qualité de
vie et de la disponibilité de personnel qualifié (cf. graphique).
La crise financière et de la dette a
encore accru l’attrait de la Suisse.
Elle est considérée comme un
havre de paix surtout par les
groupes étrangers.
La chaîne de création de
valeur en point de mire
Les résultats de l’enquête soulignent à quel point certains
groupes étrangers veulent renforcer leur présence en Suisse
dans tous les secteurs. Ils y ont
déjà centralisé de nombreux
maillons de leur chaîne de création de valeur ou envisagent de
le faire. C’est ainsi que plus de
90% des groupes multinationaux
étrangers interrogés ont déjà centralisé leur service d’approvisionnement en Suisse ou prévoient de
le faire. Pour les secteurs vente
et marketing, le chiffre se monte
à 81%. Les secteurs des finances
et de la fiscalité sont également
84%
Qualité de vie
92%
Présence de collaborateurs bien formés
63%
Situation géographique
76%
Part des entreprises internationales
Proximité du lieu de résidence des employés
69%
39%
Proximité des clients existants et futurs
39%
Infrastructures routières et ferroviaires
candidats à la centralisation; ces
prévisions valent aussi bien pour
les groupes étrangers que suisses.
Pour ces derniers, la centralisation en Suisse d’un autre secteur
est très importante: la propriété
intellectuelle ou – au sens plus
large – la propriété d’actifs
incorporels. Les entreprises
suisses sont manifestement très
attachées à un enregistrement
des droits des marques, des copyrights et des brevets dans leur
propre système juridique.
Défis de la centralisation
La centralisation ne fait pas
non plus partie du quotidien
des grands groupes; ils sont
confrontés à des défis qu’ils ne
connaissaient pas jusqu’ici, ou
pas sous cette forme. Rares sont
ceux qui ont déjà une expérience
en la matière. Si la centralisation
présente de nombreux avantages,
elle requiert aussi de gros efforts:
– Il faut créer et imposer de
nouvelles structures et responsabilités. Comment les employés
réagiront-ils?
Groupes étrangers
en Suisse
En 2010, les groupes étrangers
ont réalisé un chiffre d’affaires de
39 milliards de CHF en Suisse,
contribuant ainsi au PIB à hauteur
de 7,1%. Ces multinationales
représentent quelque 423 000
emplois, soit plus de 10%
de tous les emplois.
31%
Connaissances spécifiques
Proximité des fournisseurs
41%
92%
Utilisation de l’anglais comme langue des affaires
Qualité de la recherche et du développement
44%
Données de l’étude
34 ceo valeur ajoutée
Conditions-cadres et taux des impôts sur les sociétés
89%
Présence de collaborateurs bien formés
Qualité de la recherche et du développement
Évaluation des facteurs d’implantation
71%
31%
29%
– Des collaborateurs doivent
physiquement déménager et
s’adapter à un nouvel environnement de travail et de vie. Quid
des systèmes de rémunération?
Quelles seront les nouvelles
tâches pour le secteur des ressources humaines?
– Il faut changer les procédures
et les systèmes, procéder à de
nouveaux contrôles et réorienter
la gestion des risques à l’échelle
de l’entreprise. Comment y parvenir sans entraver l’activité commerciale?
– Une nouvelle présentation des
comptes a un effet sur la déclaration de TVA. Que se passerait-il
si le flux de marchandises et la
facturation divergeaient?
– Qui dit centralisation en Suisse
dit aussi imposition en Suisse.
Les autorités fiscales étrangères
sont vigilantes et surveillent si les
structures fiscales sont correctement appliquées.
Tels sont quelques-uns des nombreux aspects du processus à
prendre en compte lors d’une
transformation. Des erreurs lors
de la centralisation peuvent avoir
des conséquences fatales. Un
exemple: si les nouvelles responsabilités ne peuvent être ancrées
dans l’organisation, elles ne
seront pas crédibles à l’extérieur,
ce qui risque de prétériter toute
la stratégie visant à conduire les
affaires à partir de la Suisse.
La mise en œuvre d’un modèle
d’affaires décentralisé doit être
préparée de manière professionnelle. De plus, elle ne se fait
pas d’un jour à l’autre. Une fois
le processus de transformation
lancé, il faut réexaminer en permanence les différentes étapes et
les adapter à la nouvelle donne.
Enseignements pour le site
d’implantation suisse
Et la Suisse? Quelles conclusions
peut-elle tirer de l’enquête sur
les réflexions stratégiques des
groupes multinationaux? Les
milieux politiques et les autorités
n’ont qu’à écouter les principaux
arguments des entreprises et
orienter leur politique en conséquence: fiscalité, langue des
affaires (anglais), infrastructures
et qualité de vie. Aujourd’hui, la
Suisse remplit les critères que
doit offrir un bon site d’implantation. Elle ne doit pas pour autant
se reposer sur ses lauriers mais
étendre en permanence ses avantages.
La tendance à la centralisation
de modèles d’affaires va se
poursuivre. Étant donné que les
poids de l’économie mondiale se
déplacent de l’Ouest vers l’Est,
les multinationales se tournent
davantage vers l’Asie. Il ne faut
donc pas prendre à la légère ceux
qui déclarent que la place de
Singapour pourrait devenir une
«nouvelle Suisse». Mais il existe
un autre scénario, plus réaliste:
les multinationales disposeront
de trois plaques tournantes, une
en Europe, une en Amérique et
une en Asie. Singapour ou la
Suisse n’est donc pas une alternative. Il ne s’agit pas d’un soit –
soit. La Suisse doit tout faire pour
être le meilleur choix en Europe
– et continuer à jouer un rôle
mondial en Europe.
[email protected]
ceo valeur ajoutée 35
Julie Fitzgerald,
Assurance Markets Leader
Audit et conseil
Augmentation de la qualité
et de l’efficience
Depuis la publication, en
automne 2010, du Livre vert de
la Commission européenne, les
débats ont repris de plus belle
sur la réglementation du marché de l’audit. La procédure de
consultation du Livre vert désormais achevée, la Commission a
présenté un projet de directive.
Une chose est claire, les prescriptions seront plus sévères. Reste la
question de leur portée. Concilier
audit et conseil n’est qu’un aspect
de la future réglementation, mais
un aspect décisif pour la qualité
de l’audit.
L’expérience le montre: une
stricte interdiction de conseil aux
clients de l’audit conduirait à une
perte de savoir et d’efficience. Au
cours de son activité de contrôle,
la société d’audit acquiert une
vision approfondie de l’entre-
prise auditée et peut toujours
mieux s’identifier à l’activité de
cette dernière. Participer à un
projet permet à la société d’audit
d’apporter l’expérience qu’elle
a acquise au cours de l’audit. À
son tour, le travail d’audit profite
des connaissances acquises au
cours d’un projet. Un exemple
en est la due diligence lors de
transactions. La société d’audit
connaît l’entreprise, ses forces et
ses faiblesses. Elle peut souligner
les conséquences financières,
fiscales, humaines et opérationnelles d’une transaction et les
replacer dans le bon contexte.
L’auditeur sait donc ensuite à
quels risques spécifiques il devra
particulièrement porter attention.
En fournissant un conseil sur
des thèmes proches de l’audit,
Conjuguer audit et conseil est souvent judicieux pour les entreprises
qui peuvent ainsi tirer pleinement parti des connaissances de la société
d’audit. L’interdiction de procéder à une auto-révision et d’assumer
une fonction de direction par les auditeurs est un principe fondamental.
Il en résulte un catalogue clair de services autorisés et non autorisés.
Des processus stricts garantissent l’indépendance de l’auditeur.
36 ceo valeur ajoutée
l’auditeur apprend à connaître
toutes les facettes de l’entreprise;
il est ainsi en mesure d’observer
les opérations non seulement
d’un point de vue financier
mais aussi dans une perspective
opérationnelle. Il comprend
mieux les risques et peut ainsi en
déduire des éléments utiles pour
la présentation des opérations
dans les comptes annuels et les
comptes consolidés. Cela signifie
qu’il peut réagir immédiatement
de façon critique et apporter
rapidement son soutien en cas
d’irrégularités. Une activité de
conseil ne peut donc que renforcer le «professional scepticism»
de l’auditeur.
Il convient en outre de tenir
compte de la complexité des
audits d’aujourd’hui. Les
contrôles des états financiers,
notamment d’entreprises
exerçant des activités à l’international, sont aujourd’hui si
complexes que l’auditeur est
tributaire d’autres spécialistes
– notamment en matière de
fiscalité, d’IT ou d’évaluation.
Les grandes sociétés d’audit disposent de ce savoir en interne;
auditeurs et conseillers sont bien
rôdés et appliquent les mêmes
règles. En revanche, le fait de
trouver des experts à l’extérieur s’accompagne toujours de
difficultés de compréhension
et de risques de friction. Les
conséquences sont des pertes de
qualité et des coûts d’audit plus
élevés.
Conditions restrictives déjà
en vigueur
Le contre-argument avancé le
plus fréquemment quant à la
compatibilité de l’audit et du
conseil consiste à dire que l’activité de conseil conduirait à des
conflits d’intérêts et nuirait à
l’indépendance de l’auditeur,
et donc à la qualité de l’audit.
Dans de nombreux domaines,
c’est le contraire qui se produit:
un conseil, notamment dans des
domaines proches de l’audit,
peut augmenter sensiblement
la qualité des comptes annuels.
Qui connaît en effet mieux les
faiblesses des états financiers que
l’auditeur? Les réglementations
actuelles tiennent compte de
cette situation; aujourd’hui déjà,
elles autorisent les sociétés d’audit à fournir des services autres
que d’audit à leurs clients, mais à
des conditions très restrictives.
Le Sarbanes-Oxley Act promulgué par les États-Unis en 2002 y
veille. Il a déclenché dans tous
les pays une vague de réglementations. Les restrictions imposées
à l’activité de conseil de sociétés
d’audit reposent sur trois principes:
1. la société d’audit ne doit
assumer aucune fonction de
direction, c’est-à-dire ne prendre
aucune décision;
2. elle ne doit pas contrôler son
propre travail (auto-révision
interdite);
3. elle ne doit pas se charger de la
tenue de la comptabilité.
Ces principes sont judicieux. Un
auditeur est tenu de se forger une
opinion indépendante: il n’est
pas censé décider et doit se limiter à soumettre des propositions.
En effet, la responsabilité des
comptes annuels incombe à l’entreprise ou à son conseil d’administration. En Suisse, l’indépendance de l’organe de révision est
régie par le Code des obligations
(CO) et la Loi sur la surveillance
de la révision. Les articles 728 s.
CO stipulent notamment l’interdiction d’une auto-révision. La loi
interdit ainsi la fourniture de tout
service entraînant pour l’organe
de révision le risque de devoir
contrôler son propre travail.
Fourniture de services autorisés exclusivement
Pour mettre en œuvre les trois
principes susmentionnés, les
sociétés d’audit ont trié les prestations compatibles avec les
principes et celles susceptibles de
déclencher un conflit avec le postulat d’indépendance. Le résultat
est un catalogue de services autorisés (statement of permitted services). Chez PwC, ce catalogue
est très restrictif, mais comprend
néanmoins davantage de prestations que généralement supposé
(cf. encadré).
Pour autant, catalogues de services et réglementations internes
strictes sont de peu d’utilité si
leur respect n’est pas garanti.
PwC dispose d’une procédure –
uniforme à l’échelle mondiale
– garantissant qu’aucun conseiller de ses entreprises membres
n’exerce une activité non autorisée. Le fonctionnement de la
procédure d’«Authorisation for
Services» est sommairement
décrit ci-après:
La responsabilité de l’audit d’un
groupe international incombe
toujours à l’entreprise membre
de PwC du pays de domicile du
groupe à auditer. Le responsable
de mandat est tenu d’enregistrer l’ensemble des filiales de
ce groupe dans un système
(Central Entity Services) et de
tenir toutes les données à jour.
Si un conseiller d’une entreprise
membre de PwC veut fournir
un service à l’une des filiales du
groupe à auditer, il doit adresser
une requête (request) au responsable de mandat. Dans cette
requête, il doit justifier pourquoi
la prestation lui semble autorisée et quelles sont les directives
auxquelles elle est soumise. Le
responsable de mandat examine
la requête; il doit la rejeter si
un indice laisse supposer que la
prestation pourrait mettre en
péril l’indépendance. Dans des
cas particulièrement délicats ou
douteux, le responsable de mandat consulte l’associé responsable
de la gestion des risques. Une
fois la décision prise, le conseiller
et la société membre concernée
doivent s’y conformer sans discussion.
Propositions de la Commission
européenne en vue de réglementer le
marché de l’audit
Pour que les marchés financiers fonctionnent correctement, une qualité élevée de l’audit est importante. Elle est
en effet indissociable de la qualité du rapport financier. La
Commission de l’UE a expressément formulé sa volonté
de concevoir la réglementation du marché de l’audit dans
le sens d’une qualité accrue de l’audit. Une série de propositions sert cet objectif et est donc saluée par PwC:
•l’application des Normes internationales d’audit (ISA)
dans toute l’Europe comme référentiel d’audit uniforme et
comparable;
•la remise d’un rapport détaillé de l’auditeur au conseil
d’administration;
•la création obligatoire ou le renforcement d’un comité
d’audit et l’intensification du dialogue entre l’auditeur, le
comité d’audit et l’ensemble du conseil d’administration;
•le renforcement du dialogue entre les auditeurs et les
normalisateurs;
•la possibilité d’activités transfrontalières pour les auditeurs dans tout le marché UE.
Autres prescriptions que PwC considère en revanche
comme négatives:
•la rotation obligatoire non seulement des personnesclés du mandat d’audit mais de l’organe de révision en
tant que tel. Cela reviendrait à s’immiscer dans la gouvernance de l’entreprise à auditer car cette mesure restreindrait les possibilités de choix pour l’assemblée générale.
De plus, des études empiriques attestent qu’une telle obligation de rotation n’entraînerait qu’une faible amélioration de la qualité, mais une réelle augmentation des coûts
de l’audit.
•l’interdiction de la fourniture de tout service autre que
d’audit aux entités contrôlées. Cette mesure aurait pour
conséquence que les entreprises ne pourraient plus puiser
dans le réservoir d’expérience de la société d’audit. Une
telle réglementation générerait des pertes d’efficience
et – facteur encore plus important pour la gouvernance –
restreindrait la liberté de choix lors de l’octroi du mandat.
Aucune preuve empirique ne démontre que ces deux propositions renforceraient l’indépendance de l’auditeur et
amélioreraient la qualité de l’audit.
ceo valeur ajoutée 37
Mesures destinées à préserver
l’indépendance
La réglementation en vigueur
distingue clairement les services
autorisés de ceux qui ne le sont
pas. Les sociétés d’audit ont
institutionnalisé des mesures
étendues destinées à préserver
l’indépendance. La procédure
susmentionnée n’est que l’une
d’entre elles. Un système de gestion de la qualité à l’échelle de
l’entreprise, un code de conduite
interne, des attestations d’indépendance générales et liées aux
mandats ainsi que l’enregistrement et la publication de tous les
placements financiers personnels
en constituent d’autres.
En dépit de toutes ces mesures,
une sorte de loi informelle de
prudence s’est imposée en Suisse.
Les conseils d’administration et
les comités d’audit sont souvent
très réticents lorsqu’il s’agit de
charger l’organe de révision
d’effectuer des services d’audit
connexes. Beaucoup craignent
des critiques de leurs parties
prenantes et veulent être sûrs
de leur bon droit. Il s’agit par
conséquent ici d’une meilleure
prise de conscience d’une bonne
gouvernance. Parfois aussi, certaines entreprises anticipent les
attentes du public et des médias.
Il s’agit alors davantage d’une
question de communication que
de réglementation. Et renoncent
pour cela à un important potentiel d’efficience et à un savoir
précieux.
Un regard sur la situation
actuelle le montre:
•les prescriptions en vigueur sur
la compatibilité de l’audit et du
conseil garantissent qu’il n’y a pas
d’auto-révision et se sont avérées
suffisantes dans la pratique;
•ces dernières années, les entreprises ont nettement amélioré
leur gouvernance – y compris
en matière d’audit externe – et
octroient leurs mandats avec discernement;
•un audit, combiné à un conseil
connexe, peut accroître l’effica38 ceo valeur ajoutée
cité et l’efficience de l’audit.
Il n’est pas démontré empiriquement qu’une restriction encore
plus drastique des «permitted
services» améliorerait la qualité
de l’audit – le contraire devrait
même être le cas. Pourtant, le
dernier projet de la Commission
européenne contient quatre
options, dont deux remportent
ses faveurs: l’interdiction de la
fourniture de tout service autre
que d’audit aux entités contrôlées
et – option extrême – la création
de cabinets d’audit pur.
D’autres restrictions nuisent
à la qualité de l’audit
PwC apporte son soutien à de
nombreuses propositions de la
Commission de l’UE car elles
améliorent la qualité de l’audit
(cf. encadré page 37). Elle refuse
en revanche, comme d’autres
sociétés d’audit, une réglementation de la stricte séparation
de l’audit et du conseil. En effet,
c’est méconnaître la réalité des
entreprises et du processus
d’audit que de vouloir interdire
tout conseil proche de l’audit.
La qualité de l’audit n’en sera en
rien renforcée.
Ainsi qu’en témoignent plus de
700 prises de position sur le
Livre vert, PwC et la branche
de l’audit ne sont pas les seules
à partager cette opinion. L’Université Goethe de Francfort, qui
a analysé les prises de position,
est parvenue au résultat que
seuls 15% des entreprises et de
leurs parties prenantes ainsi
que les milieux scientifiques
approuvent une interdiction de
fournir des services autres que
d’audit (les sociétés d’audit sont
explicitement exclues de cette
évaluation). Par ailleurs, l’étude
PwC «European CFO & Audit
Committee Chair survey» de juin
2011 a révélé que les mesures
en vigueur destinées à garantir
Stefan Gerber,
Responsable du secteur
d’activité PME
l’indépendance de l’auditeur sont
considérées comme suffisantes
par 77% des sondés.
des fonds et met en réseau les
institutions publiques et privées.
Renforcer les comités d’audit
L’amélioration de la qualité de
l’audit dépend d’autres facteurs,
à savoir les compétences des différents organes dans le processus
de rapport et la communication
de ces organes. Il faut par conséquent accroître la compétence
des comités d’audit – y compris
envers le CFO – et intensifier le
dialogue avec l’auditeur externe.
La clé d’une meilleure qualité de
l’audit réside dans la communication. L’expérience montre qu’il
y a lieu avant tout d’intensifier
les échanges entre l’auditeur et
le comité d’audit. La communication ne fonctionne jamais à sens
unique. L’organe de révision est
tributaire de la volonté de l’entreprise de coopérer. Les parties
prenantes au sein de l’entreprise
devraient rechercher le dialogue
et donner à l’auditeur des informations sur la stratégie, l’évolution des affaires, les risques et
les opérations importantes. En la
matière aussi, la Commission de
l’UE a soumis des propositions
qui ne peuvent qu’être saluées.
La réflexion porte aussi sur un
autre point, celui de la compréhension de l’indépendance de
l’auditeur. Celle-ci est essentiellement une question de personnalité. L’indépendance ne signifie
pas que l’auditeur prend ses
distances par rapport aux responsables de l’entreprise. Pour pouvoir se forger une opinion objective, il doit mener des entretiens
à divers échelons hiérarchiques
de l’entreprise à auditer. C’est
avant tout la capacité de jugement, combinée à l’intégrité personnelle, qui garantit l’indépendance. Les entreprises devraient
considérer l’auditeur comme un
partenaire au jugement critique
et non comme une instance de
contrôle.
[email protected]
Une bonne préparation
Conclusion
Aujourd’hui déjà, les sociétés d’audit ne peuvent
fournir de services autres
que d’audit que dans des
conditions très restrictives.
D’une manière générale, le
conseil est interdit lorsque
les prestations pourraient
susciter un conflit avec le
rôle de l’auditeur ou faire
naître des doutes sur son
impartialité et son objectivité. D’autres restrictions,
voire la création de cabinets
d’audit pur pourraient
nuire à la qualité de l’audit
sans pour autant renforcer
l’indépendance de l’auditeur. C’est surtout dans des
situations difficiles qu’un
conseil peut – notamment
en matière de fiscalité ou de
due diligence – améliorer
sensiblement la qualité des
comptes annuels.
Start-up
Les jeunes entreprises
dynamisent l’économie
En Suisse, les jeunes entreprises bénéficient de chances exceptionnelles.
La moitié des entreprises nouvellement créées passent le cap des cinq
premières années. Pour réussir, les start-up ont besoin de trois choses:
une bonne équipe, l’intuition du bon moment et un réseau de relations
solide.
Les start-up dynamisent l’économie. Les jeunes entrepreneurs
ont des idées nouvelles, sont
convaincus de leur affaire et
croient en leur pouvoir de faire
bouger les choses. Ils apportent
un nouveau souffle à l’entrepreneuriat. Les start-up font
progresser toute l’économie. Leur
force d’innovation renforce aussi
l’image du site d’implantation
suisse pour le secteur recherche
& développement: pour preuve,
le grand nombre de spin-off des
dernières années, ces entreprises
issues des Écoles polytechniques
de Zurich (ETH) et de Lausanne
(EPFL). Leur savoir-faire et leur
esprit pionnier contribuent aussi
à faire de la Suisse un lieu d’innovation leader en Europe.
Autre atout, les start-up créent
des emplois. D’après l’Office fédéral de la statistique (OFS), les
11 471 entreprises créées en 2009
employaient 21 793 personnes.
Conscient du potentiel économique des nouvelles créations, le
Conseil fédéral exploite sa propre
institution de promotion de startup: la Commission pour la technologie et l’innovation (CTI), qui
souligne le lien entre la recherche
appliquée et le développement
(Ra&D), l’entrepreneuriat et le
développement de jeunes entreprises. Avec le «venturelab», la
CTI offre des modules de formation, examine des projets, fournit
La CTI joue un rôle incontestable dans la bonne préparation
des jeunes entrepreneurs à leur
future activité. Ils abordent
généralement leurs projets avec
prudence et réflexion, mais aussi
avec ambition. Cela se reflète
dans le taux de survie relativement élevé des entreprises nouvellement créées. La statistique
officielle de l’OFS pour les années
2003 à 2007 montre que la moitié (49,2% précisément) des
nouvelles entreprises passe le cap
des cinq premières années. Dans
le secteur industriel, cette part
(57,4%) est supérieure à celle du
secteur des services. Une belle
preuve de réussite.
Toutefois, décider de se lancer
dans une start-up requiert indiscutablement plus que du courage
et une bonne idée. Tout doit
être pensé et réfléchi, préparé
et structuré. Chaque phase de
l’activité entrepreneuriale – création, démarrage, croissance et
éventuellement ouverture vers
l’extérieur – connaît son lot de
difficultés. Exemple: le financement. Pour qui n’a pas la chance
de gagner un concours d’idées,
la chasse au financement commence généralement dans la
famille et auprès des amis. Celui
qui souhaite se développer, voire
vise l’international, a besoin de
davantage de bailleurs de fonds.
Or, aujourd’hui, les investisseurs professionnels sont très
circonspects. Ils n’analysent pas
seulement les business plans,
mais examinent chaque projet et
chaque produit à la loupe. Ils calculent le rendement interne du
capital et se penchent sur la création de valeur. Ils évaluent non
seulement l’activité mais aussi
ceux qui l’exercent: l’équipe.
ceo valeur ajoutée 39
Création de nouvelles entreprises en 2011
L’importance de l’équipe
Avoir une bonne équipe est la
principale condition du succès. Non seulement en termes
de financement, mais aussi et
surtout de conduite de l’entreprise. La notion d’équipe doit
être comprise au sens large. La
jeune entreprise qui parvient
à gagner des scientifiques ou
des dirigeants expérimentés de
sociétés cotées pour son conseil
d’administration ou son organe
consultatif démarre avec un
atout énorme. En témoigne le
succès affiché par les spin-off
des écoles polytechniques. Elles
ont souvent intégré, dans leur
organe consultatif, des professeurs de leurs anciennes écoles
qui, à leur tour, ont des contacts
avec le monde de l’entreprise.
Un conseil d’administration ou
un organe consultatif où siègent
d’éminentes personnalités
donne à la start-up une visibilité
et une garantie de savoir-faire
essentielles. Manquant souvent
de spécialistes dans le domaine
opérationnel – finances, controlling ou ressources humaines – les
jeunes entreprises en sont souvent tributaires. Et la pratique le
Zurich
Suisse du
nord-ouest
+5%
0%
Région
lémanique
+10%
Espace
Mittelland
+6%
Suisse
centrale
Suisse
orientale
+2%
+5%
Tessin
+8%
En 2011, le nombre des créations d’entreprises a atteint un nouveau record.
Pour cette période, 39 665 nouvelles entreprises ont été inscrites au registre du
commerce, soit 5% de plus qu’un an auparavant. C’est la région lémanique qui,
avec 10%, a affiché le plus fort taux d’accroissement.
Source: Dun & Bradstreet (Schweiz) AG
PwC s’engage aussi pour les
jeunes entrepreneurs
PwC est sponsor de «venture»,
un concours de business plans
organisé tous les deux ans par
l’EPF Zurich. Holger Greif, responsable du Consulting, fait partie du jury et Markus R. Neuhaus,
CEO, est membre de l’Advisory
Council. Partenaire Premium du
Swiss Economic Forum (SEF)
depuis de nombreuses années
déjà, PwC s’engage également
directement pour les jeunes
entreprises.
40 ceo valeur ajoutée
Warum eine externe
De la pertinence d’un
audit externe pour les
jeunes entreprises
Durant la phase de démarrage,
les start-up ont surtout besoin
de conseil. Mais dès qu’elles
étendent leurs activités, voire
visent l’international, un audit
externe solide est indispensable.
L’audit fournit aux jeunes entrepreneurs une sécurité en matière
de situation financière. Il crée, en
interne, une base de calcul solide
pour des plans de croissance et,
en externe, la confiance nécessaire dans les chiffres présentés.
En outre, l’organe de révision
décèle parfois des insuffisances
qui n’ont pas de lien direct avec
les comptes annuels mais qui
peuvent être lourdes de conséquences pour les affaires. En ce
sens, il crée une valeur supplémentaire.
Un exemple pratique
Le compte prévisionnel d’une
start-up très prometteuse que
PwC avait contrôlée la première
fois affichait une perte. Rien
d’inhabituel pour une entreprise
en phase de démarrage. Mais la
couverture de fonds propres pour
la fin de l’année était calculée très
juste. Les auditeurs sont parvenus à la conclusion qu’il y aurait
surendettement l’exercice suivant. Or, le financement externe
de la start-up étant assuré par
les banques, toute postposition
était exclue. Pour éviter le tribunal, il a fallu lever des capitaux
en cours d’année. La question
était: jusqu’à quand et pour quel
montant? Les calculs ont indiqué
qu’il serait nécessaire de disposer
de moyens financiers à hauteur
d’un demi-million au quatrième
montre: les entreprises bien établies aident volontiers les jeunes
entreprises.
Cette équipe clé (direction et
organe consultatif) devrait
être complétée par une équipe
externe qui conseille la start-up
sur des thèmes précis. L’équipe
externe peut se composer, par
exemple, d’avocats pour les
brevets et la propriété intellectuelle et de consultants pour les
questions d’audit, de fiscalité ou
de participation des collaborateurs. Elle aidera la start-up à
évoluer dans la bonne direction.
L’important est que les conseillers
pensent aussi comme des entrepreneurs, qu’ils attirent l’attention des jeunes entrepreneurs sur
des aspects de la gestion auxquels
ces derniers n’avaient peut-être
pas pensé: la comptabilité de
projets ou le choix du siège de
l’entreprise et sa forme juridique. Penser en entrepreneur,
c’est aussi choisir et rétribuer
les conseillers. Les jeunes entrepreneurs veulent des conseillers
jeunes et pas compliqués, qui
pensent et fonctionnent comme
eux. Cela aussi fait une bonne
équipe.
Un produit mûr pour un
marché mûr
Le deuxième facteur de réussite,
à côté de l’équipe, est le temps.
Une bonne idée et un produit
innovant ne servent pas à grandchose si le marché n’est pas
encore mûr pour eux. À l’inverse,
le besoin du marché peut avoir
été identifié correctement, mais
le développement du produit est
à la traîne. L’élément déterminant du timing est la maturité du
marché. Pour la CTI, elle est un
critère d’octroi de son label. Un
label start-up de la CTI confirme
que le nouveau produit a de
réelles chances sur le marché.
La maturité du marché facilite
l’accès au capital-risque et augmente l’attrait de l’entreprise
pour des personnes issues des
milieux scientifiques et économiques. Élément qui est, à son
tour, fondamental pour former
une équipe optimale.
[email protected]
trimestre. Mais au-delà de la
levée imminente des capitaux, il
est apparu que la jeune entreprise
avait certes établi des plans de
liquidité, des budgets approximatifs et des chiffres d’affaires prévisionnels, mais qu’elle ne disposait
pas d’instrument pour évaluer la
structure du capital. Il lui fallait
une base solide pour l’analyse
de bilan afin de pouvoir prendre
des décisions de financement
fondées. Avec les responsables
financiers, PwC a mis en place
un instrument de planification
complet. Cet outil permettait à
l’entreprise de faire des prévisions
mensuelles en termes de bilan, de
compte de résultat et de flux de
trésorerie.
La valeur ajoutée de l’audit
Pour qu’un audit externe puisse
créer de la sécurité et de la valeur
ajoutée, l’auditeur doit bien
connaître l’entreprise. C’est pourquoi un échange intense est si
important. Il existe, pour l’audit à
proprement parler, des check-lists
et des modèles qui simplifient
le travail de préparation. Mais
un auditeur doit savoir ce à quoi
l’entreprise tient vraiment. Dans
l’exemple mentionné, il s’agissait
du traitement de commandes à
long terme et de l’activation des
dépenses de recherche. Avec
PwC, l’entreprise a pu discuter
des avantages et des inconvénients des diverses possibilités et
des conséquences sur les états
financiers actuels et futurs. Cet
exemple illustre la valeur ajoutée
que les start-up peuvent tirer d’un
audit: pour maîtriser leurs difficultés spécifiques, elles peuvent
recourir à un vaste réseau international d’expérience.
Conclusion
Les jeunes entreprises
dynamisent l’économie.
Elles créent des emplois
et renforcent l’image de
la Suisse en tant que lieu
d’innovation. Pour réussir,
les jeunes entreprises ont
besoin d’un bon timing et
de la bonne équipe. Si les
start-up prennent ces exigences à cœur, elles seront
encore plus nombreuses
à perdurer. Ce qui rendra
la Suisse plus jeune, plus
dynamique et plus prospère
à long terme.
ceo valeur ajoutée 41
Robert W. Kuipers,
Leader Reward Switzerland
qu’ils soient escomptés sur leur
valeur actuelle. Il est intéressant
de constater que les managers
fixent des taux d’actualisation
nettement supérieurs à ceux qui
se basent sur l’hypothèse économique. Si économiquement
parlant, le taux approprié était de
5% par an environ, l’actualisation
subjective des managers se situe,
selon l’étude et en moyenne mondiale, à environ 30%.
Les managers d’Amérique latine
sont les plus gourmands, avec
45%. Les plus modestes sont les
managers néerlandais (11%) et
suisses (12%). Ces écarts traduisent l’importance du contexte
économique, culturel et social.
En Suisse, une promesse de
paiement semble plus digne de
confiance qu’au Brésil.
Systèmes de rémunération
Équité et simplicité
indispensables
PwC et la London School of
Economics se sont demandé
comment les managers apprécient et évaluent les différentes
formes de rémunération. Plus
de 1100 personnes ont été interrogées dans 43 pays. Le résultat
est clair: le bon fonctionnement
d’un système d’indemnisation,
c’est-à-dire fournir suffisamment
d’incitations aux managers pour
accroître leur performance,
dépend largement de facteurs
psychologiques. De plus, les
valeurs accordées aux différentes
incitations varient en fonction
des pays. Il reste néanmoins
possible de déduire quelques
grandes lignes générales:
1. Les managers n’aiment pas
les risques
Une simulation permet d’identifier l’attitude face au risque. Où
va la préférence de quelqu’un
42 ceo valeur ajoutée
entre la garantie d’une certaine
somme fixe et la promesse d’une
somme sensiblement plus élevée, mais sur laquelle pèse une
certaine probabilité, au risque
de ne rien obtenir (p. ex. le choix
peut se situer entre 40 000 CHF
garantis et 90 000 CHF dans deux
ans, avec une probabilité de 50%,
et donc une probabilité de 50%
de ne rien obtenir du tout). Plus
de la moitié des personnes interrogées s’est prononcée pour la
somme garantie. Il est intéressant
de relever que, contrairement au
sentiment général, les managers
du secteur financier ont autant
d’aversion du risque que d’autres.
2. La complexité et le flou sont
contreproductifs
Les managers veulent comprendre les règles du jeu.
Lorsqu’ils ont le choix entre différents systèmes de bonus, la majorité se prononce pour la variante
simple. Il est donc important de
prendre cette situation en compte
lors de l’élaboration de plans
d’incentives. Assortis de clauses
suspensives (deferrals), de possibilités de révocation (clawbacks)
et d’ajustements de risques, ils
sont extrêmement complexes.
De nombreux critères de performance, qui s’additionnent ou
se multiplient entre eux, déterminent le fait que le manager
reçoit effectivement la participation promise. Un plan de LongTerm Incentive, LTI (plan d’intéressement à long terme), peut
être directement associé à l’évolution absolue du cours de l’action ou reposer indirectement sur
un groupe de référence. D’autres
composantes comme des valeurs
cibles internes viennent s’ajouter
pour relativiser l’évolution générale des marchés. Des indicateurs
qualitatifs tels que la satisfaction
des clients ou des collaborateurs
sont également souvent intégrés
dans les plans. Lorsque les systèmes deviennent trop opaques,
ils n’attirent plus les managers.
Les plans destinés à honorer leur
performance doivent être aussi
simples que possible.
3. Plus l’attente est longue,
plus la valeur diminue
Les promesses contenues par les
LTI concernent l’avenir. Ces promesses sont donc toujours liées
à un facteur d’incertitude quant
à leur respect et au montant
du futur versement. Le truisme
selon lequel des paiements
futurs auront moins de valeur
que ceux d’aujourd’hui explique
6. Les plans de LTI motivent
par leur simple existence
Les entreprises aspirent à des
programmes de rémunération
équitables. Mais qu’entend-on
par équitable? S’agit-il du montant absolu de la rémunération
pour la performance personnelle? Ou plutôt de proportionnalité au sein du groupe de
référence? L’étude est claire:
la comparaison par rapport à
d’autres (cf. l’encadré «Jean et
Jacques») prévaut sur un montant nominal élevé. Mais il y a
des exceptions: les managers
d’Europe de l’Est, du Brésil et de
Chine doivent manifestement
être davantage motivés par des
chiffres absolus plus élevés.
Les managers apprécient que
leur entreprise offre des plans
de LTI. Pour la plupart, ils se
sentent motivés par le simple fait
de l’existence de ces plans et par
la possibilité de pouvoir y participer. Il s’agit ici du phénomène
psychologique du «vouloir en
faire partie». On est fier d’appartenir au cercle de ceux sur la performance desquels l’entreprise
mise tout particulièrement. Il n’y
a donc aucune contradiction dans
le fait que les managers peuvent
très bien se sentir motivés par des
plans de participation sans pour
autant les considérer comme
efficaces. En Suisse par exemple,
seuls 38% des managers interrogés le sont.
5. Il n’y a pas que l’argent
Il faut un «best fit»
Les gens travaillent pour recevoir
la contre-valeur de leur effort. Ils
recherchent également une satisfaction dans leur activité. Quelle
est, en termes d’argent, la valeur
de cette satisfaction interne? De
combien un manager accepteraitil de réduire sa rémunération s’il
avait le poste idéal? La réponse à
ces questions est déconcertante:
lorsque l’on parle d’une tierce
personne, la part considérée
comme «non indispensable» est
nettement plus élevée que si la
question concerne la personne
Quelle leçon pour les entreprises? L’enquête parvient au
résultat important suivant: un
modèle de rémunération doit
correspondre à l’entreprise et à
ses dirigeants. Il faut un «best
fit». Il n’est pas possible de développer un modèle standard applicable à toutes les entreprises,
à tous les secteurs, à tous les
managers et à toutes les régions.
Les entreprises d’envergure
internationale devraient avoir
conscience que les différentes
incitations n’ont pas les mêmes
effets dans toutes les régions du
globe. Si, au Brésil, en Inde ou
4. L’équité est fondamentale
La plupart des enquêtes conduites sur les systèmes de rémunération insistent sur le profit
pour les actionnaires et sur les coûts pour les
entreprises. Mais comment les managers à qui
s’adressent ces systèmes d’incitation les
perçoivent-ils? Quelles sont leurs attentes?
elle-même. Par exemple, on suppose qu’un manager expérimenté
pourrait renoncer à 60% de sa
rémunération en contrepartie
d’une satisfaction personnelle
suffisante. En revanche, l’intéressé lui-même n’accepterait
qu’une baisse de 28%. Les résultats sont les mêmes quels que
soient la position, le niveau de
revenu, la région ou le secteur
considérés. Lorsqu’une personne
est habituée à une certaine
situation de revenu, il lui est
difficile de s’imaginer travailler
en gagnant deux tiers de moins
– même pour le «job idéal». Si la
question s’applique à des tiers, le
résultat est tout différent.
en Chine, les marchés du travail
fonctionnent différemment, les
mentalités sont elles aussi différentes. Les systèmes d’incitation
doivent s’adapter aux situations.
Par ailleurs, il est important
pour les groupes internationaux
d’avoir une philosophie de rémunération uniforme qui apporte un
véritable soutien à la stratégie.
Mais il reste, au sein de ce cadre,
suffisamment de liberté pour
aborder les différents aspects en
fonction de la situation.
Un tel modèle devra tenir compte
des facteurs suivants:
•le salaire de base dépend largement de la fonction et des conditions du marché régional;
•le bonus en espèces à court
terme est lié aux objectifs et aux
résultats des différents départements et fonctions de l’entreprise;
Jean, Jacques
et l’équité
Jean et Jacques sont des amis, tous deux diplômés d’une
grande école de commerce. Ils sont à la recherche d’un emploi
attrayant. L’entreprise A propose à Jean d’entrer à la direction
et lui offre une rémunération totale de 187 500 CHF. De son
côté, Jacques obtient, pour une position comparable, une offre
de l’entreprise B. La rémunération proposée est de 195 000
CHF. Par hasard, Jean découvre que les membres de la direction
de l’entreprise A gagnent en moyenne 180 000 CHF. Du coup,
Jacques veut lui aussi en savoir davantage. Il apprend que les
membres de la direction de l’entreprise B reçoivent une rémunération moyenne de 202 500 CHF.
Qui est le plus motivé des deux? Jean qui gagnerait plus que la
moyenne, ou Jacques qui, certes, recevrait une rémunération
plus élevée que Jean, mais serait moins bien placé que les autres
membres de la direction?
Les managers interrogés pour l’étude sont (presque) unanimes:
Jean est plus motivé que Jacques. Gagner davantage que le
groupe de référence est plus important que gagner davantage en
chiffres absolus. L’équité relative joue donc un rôle essentiel.
ceo valeur ajoutée 43
•les plans de participation
permettent de participer à long
terme au succès de l’entreprise;
•les plans de prévoyance doivent
respecter les situations régionales
et veiller au cadre juridique qui
s’applique à la prévoyance vieillesse;
•les fringe benefits, ou compléments salariaux, dépendent
fortement des préférences des
managers qui en bénéficient.
Dans certains pays, les symboles
de statut social comme une voiture d’entreprise sont beaucoup
plus prisés que dans d’autres.
Publications et formation continue
Un projet commun de PwC Suisse et
Swiss Re récompensé
Modèles simples de LTI
La composante la plus délicate
du modèle de rémunération
est le plan de participation à
long terme. Le simple fait de
savoir qu’ils peuvent y prendre
part rassure la plupart des
managers. Mais l’absence de
promesses tenues fera naître
des frustrations. C’est pourquoi l’entreprise doit veiller à
structurer et à équilibrer les
modèles de manière équitable:
le modèle doit ménager une
participation juste au succès à
long terme afin que les incitations soient efficaces. Ce n’est
pas facile. Des facteurs externes
tels que la volatilité des marchés,
l’insécurité de l’environnement
économique ou le changement
de modèle d’affaires peuvent
donner lieu à des adaptations
permanentes. Sans oublier les
facteurs psychologiques. C’est
pourquoi les modèles devraient
être aussi simples que possible et
liés seulement à un petit nombre
d’indicateurs stratégiques de performance.
La responsabilité du modèle
de rémunération incombe au
conseil d’administration ou au
Compensation Committee. Elle
n’appartient pas aux actionnaires
ni à l’assemblée générale. S’il est
pertinent d’interroger les propriétaires à titre consultatif, il serait
erroné de les laisser décider du
bon système d’incitation.
[email protected]
44 ceo valeur ajoutée
Conclusion
La plupart des managers
préfèrent une indemnité
immédiate et garantie. Ils
ont peu de considération
pour les promesses d’avenir,
surtout si elles s’accompagnent de conditions. Les
entreprises devraient donc
développer un système de
rémunération adéquat,
attrayant, adapté à l’entreprise, aux managers et aux
propriétaires. Tâche complexe s’il en est, surtout en
ce qui concerne les modèles
de participation à long
terme qui devraient être
aussi équitables et simples
que possible.
L’étude PwC «Psychology of
incentives» peut être téléchargée en anglais sous:
www.pwc.ch/reward.
Dans le cadre d’un projet commun avec Swiss Re, PwC
Suisse a montré comment mettre en œuvre des changements
organisationnels dans le secteur financier. Les deux entreprises ont conçu et réalisé ensemble «F1», un programme lié
au changement culturel et à l’évolution des comportements,
couvrant plus de 33 succursales dans 21 pays. L’objectif était
de renouveler et de clarifier la vision et la stratégie de Swiss
Re dans le domaine financier. Il fallait en même temps définir et appliquer des valeurs et des comportements qui offrent
un environnement de travail attrayant aux collaborateurs et
augmentent ainsi les performances, notamment la collaboration entre les services.
Le projet a obtenu deux récompenses: l’Association of Management Consulting Firms (AMCF) lui a décerné l’AMCF
Award pour le projet de conseil le plus innovant et le plus
efficace dans la catégorie «Human Capital». La Management
Consulting Association (MCA) a quant à elle récompensé
ce projet en lui accordant un MCA Award dans la catégorie
«Finance and Risk Management».
Pour en savoir davantage:
www.amcf.org
www.mca.org.uk
www.pwc.com/utilities
Disclose
The shape of
power to come
Investment, affordability and security
in an energy-hungry world
Multi-channel – the changing
Swiss retail landscape
12th PwC Annual Global
Power & Utilities Survey
How the multi-channel
shopper is changing the
Swiss retail landscape
Juin 2011
L’actualité sur
la présentation
des comptes et
l’audit
Risque accru de pannes d’électricité
Acheter à tout moment et partout
En matière de production électrique, la
branche et les gouvernements sont face à
un trilemme qui consiste à trouver un juste
équilibre entre coûts, sécurité et durabilité.
Les 72 entreprises de production et d’approvisionnement en énergie interrogées par
PwC dans 43 pays pensent que le risque de
pannes d’électricité augmentera en Europe et
en Amérique du Nord ces prochaines années.
D’après l’étude, le gaz gagnera du terrain en
raison des besoins croissants en énergie.
L’étude «Annual Global Power & Utilities
Survey» peut être téléchargée en anglais sous
www.pwc.ch/energie.
De plus en plus de clients font du «Multichannel Shopping». Avant d’acheter un produit,
ils en discutent autour d’eux et effectuent
ensuite leur achat par le canal de distribution de leur choix. Aujourd’hui déjà, 88%
des clients utilisent au moins deux canaux
pour effectuer leurs achats, et ils sont même
34% à en utiliser quatre ou cinq. Les entreprises de commerce de détail doivent donc
s’adapter aux nouveaux comportements des
consommateurs pour ancrer leur succès dans
le temps.
C’est ce que révèle l’étude «Customers take
control» de PwC, qui peut être téléchargée en
anglais sous www.pwc.ch/multi-channel.
Événements
L’Academy de PwC aide des dirigeants tels que vous à
relever les défis professionnels de demain. Elle vous propose des outils de développement appropriés tout en vous
offrant l’opportunité de renforcer votre réseau. L’Academy
bénéfice de la longue expérience de PwC, de ses compétences techniques et de son engagement en faveur de
l’excellence. Chaque élément des événements et formations – du choix des thèmes appropriés aux intervenants
et formateurs spécialisés qui les présentent – est conçu de
manière à maximiser la valeur de votre apprentissage et le
développement de votre réseau.
La Newsletter de l’Academy de PwC vous permet de recevoir régulièrement des informations sur les événements et
formations.
Abonnez-vous sous pwc.ch/academy_newsletter.
Gros plan sur l’indépendance
Customers
take control
Harald Port, Responsable du secteur Insurance Advisory
PwC Suisse
Tél. +41 58 792 13 53
[email protected]
Academy
www.pwc.ch/disclose
www.pwc.ch/r&c
Conférences HQ régionales et internationales
Les conférences annuelles HQ de Genève et Zurich
traitent de thèmes intéressant les dirigeants de sièges
régionaux de multinationales domiciliées en Suisse et
d’entreprises suisses.
Le thème des conférences 2012: «Augmentation de la
valeur apportée par votre société mère suisse».
Au nombre des intervenants figurent non seulement des
experts PwC et des clients, mais aussi des personnalités
en vue de la politique suisse et des autorités fiscales. Les
inscriptions seront prises en considération dans leur ordre
d’arrivée (first come, first served). Coût de participation:
300 CHF.
Dates
4 octobre 2012, Zurich, Renaissance Zurich Tower Hotel
20 novembre 2012, Genève, Starling Hotel Geneva
Inscrivez-vous auprès de Sonja Riccoboni
([email protected]).
L’actualité sur la présentation des comptes
et l’audit
«Disclose», publication régulière de PwC,
présente dans un langage clair et compréhensible les principaux aspects de questions complexes relatives à la présentation des comptes
et à l’audit. L’édition de juin met l’accent sur
l’Integrated Reporting comme étant l’un des
modèles d’avenir du reporting d’entreprise.
L’Integrated Reporting couvre non seulement
le rapport financier mais aussi un large éventail d’informations pertinentes, approfondit
les éléments de rapport et les relie entre eux,
et augmente donc la qualité du reporting
pour les destinataires. Chaque édition comporte également une actualisation de certains
thèmes.
Les versions française et allemande de
«Disclose» sont en ligne sous www.pwc.ch/
disclose. Vous pouvez aussi en commander
un exemplaire imprimé auprès de
[email protected].
Abonnements:
ceo, le magazine des décideurs publié par PwC, paraît trois
fois par an (français, allemand, anglais). Abonnement gratuit
(indiquer la langue souhaitée) auprès de: [email protected].
com. Adresse: PwC, magazine ceo, Birchstrasse 160,
8050 Zurich.
Service lecteurs:
Pour plus d’informations, les auteurs des thèmes techniques
sont à votre disposition pour un entretien (l’adresse e-mail est
toujours indiquée).
Vous trouverez une liste complète de nos publications sous
www.pwc.ch. Commande de publications PwC et abonnements ou changements d’adresse: [email protected] ou
fax 058 792 20 52.
ceo valeur ajoutée 45
assurances
Une évolution et non une révolution
Le Zurich Insurance Group a démarré l’année
2012 avec des chiffres excellents. Son CEO,
Martin Senn, y voit le signe que la stratégie est
juste: «Nous nous concentrons exclusivement
sur ce que nous faisons le mieux et tâchons
de garder un modèle d’affaires aussi simple et
souple que possible.»
Monsieur Senn, de janvier à mars 2012,
Zurich Insurance Group a enregistré
19,63 milliards de USD de chiffre d’affaires. Cela représente 10% de plus que
l’année précédente. Êtes-vous satisfait?
Nous nous réjouissons beaucoup de cet
excellent résultat. Le fait d’avoir réussi à
générer de tels chiffres dans un environnement difficile montre que notre stratégie est
juste.
C’est à vous que Zurich doit d’avoir traversé la crise de 2009 sans trop de dommages. Comment y êtes-vous parvenu?
Tout d’abord, je dois dire que c’est le résultat d’un travail d’équipe. Une entreprise, ou
même un département, n’est jamais gérée par
une seule personne. Notre succès doit avant
tout être considéré comme une performance
remarquable de toute l’équipe. Ce que nous
avons fait et ce que nous continuons d’ailleurs
à faire, c’est de nous en tenir aux fondements
de notre métier. Nous assortissons nos actifs
à nos passifs en tenant compte des risques
et nous ne nous concentrons que sur des
affaires dont nous comprenons les tenants
46 ceo relations
et les aboutissants. Par exemple, nous analysons l’impact que des instruments comme
les CDO peuvent avoir sur notre bilan global.
Nous nous concentrons exclusivement sur ce
que nous faisons le mieux, à savoir gérer les
risques d’assurance, et tâchons de garder un
modèle d’affaires aussi simple et souple que
possible. Nous choisissons pour cela les meilleurs Asset Managers du monde. Travailler
avec les meilleurs et affiner en permanence
notre compréhension du marché, c’est ce qui
fait notre avantage par rapport à nos concurrents.
Voilà plus de deux ans que vous êtes CEO
de Zurich. Avez-vous apporté des changements dans la stratégie?
L’entreprise était en bonne forme lorsque je
suis devenu CEO; ce qu’il fallait alors, c’était
guider l’évolution et non pas mener une révolution. Nous gardons le cap, avec un bilan
sain, générons des flux de trésorerie abondants et tenons un portefeuille bien diversifié
de risques d’assurance. Notre développement
stratégique principal consiste à nous étendre
dans les marchés émergents, à l’instar de
notre acquisition des activités d’assurance
de Banco Santander en Amérique latine, qui
constitue un positionnement stratégique très
Martin Senn, 55 ans,
est CEO de Zurich Insurance
Group depuis 2010. Il est entré
dans l’entreprise en 2006 comme
Group Chief Investment Officer
et membre de la direction générale. Au cours de sa carrière,
il a occupé diverses fonctions
de management au sein de
l’ancienne Société de Banque
Suisse et du Credit Suisse Group,
et a été Group Chief Investment
Officer chez Swiss Life de 2003
à 2006.
Photo: Cédric Widmer
ceo relations 47
Suisse, ici en Suisse. Ce sont des accords d’exclusivité, mais nous avons aussi des accords
non exclusifs avec d’autres banques de par le
monde. Et, bien sûr, nous avons nos propres
collaborateurs sur le terrain. Nous maintenons une présence en Amérique latine depuis
des années et l’alliance avec Santander renforce notre position.
si les autorités de réglementation y répondent
par des mesures populistes, le rétablissement
de l’économie pourrait être compromis. Le
secteur public et le secteur privé sont entrés
ensemble dans la crise, et il faut qu’ils en
sortent ensemble. Pour nous, le dialogue
constructif est donc crucial et nous l’encourageons.
Avec un bilan solide, vous pouvez donc
réaliser de bonnes affaires aussi en ces
temps de crise?
Nous sommes dans une période de taux
d’intérêt particulièrement bas. Cela
change-t-il votre manière d’exercer le
métier d’assureur?
Zurich Financial Services Group est
devenu Zurich Insurance Group.
Pourquoi ce changement de nom?
Il est certain que, dans le contexte actuel,
notre bonne capitalisation nous offre des
opportunités, tout comme l’acquisition de
21st Century Insurance aux États-Unis, il y a
environ trois ans. Pour ce qui est des acquisitions, nous nous en tenons à une certaine
discipline. Il est important de résister aux
tentations et de ne pas procéder à des acquisitions dans le seul but de croître. Nous nous en
tenons strictement à nos principes ce qui est
d’autant plus important en période de fortes
incertitudes. Et qui dit incertitude dit risques.
Et il faut les maîtriser.
Les faibles taux d’intérêt représentent un défi
pour le secteur: cela signifie que ses principales sources de revenus sont sous pression.
Et les effets s’accentueront très probablement
avec le temps, car les assureurs investissent
en règle générale sur le long terme. Aussi,
lorsque nous réinvestissons nos actifs, nous
devons les placer dans des instruments à
plus faible rendement. Cela dit, Zurich est
en position de force: nous avons prouvé que
nous sommes capables de générer des flux de
trésorerie abondants, notre bilan est solide, et
nous sommes bien diversifiés.
important. Nous grandissons aussi en Asie,
où l’an passé nous avons racheté Malaysian
Assurance Alliance, qui est passé sous la
marque Zurich. En avril dernier, nous avons
signé un accord de distribution exclusif avec
HSBC au Proche-Orient. Une de nos priorités
est donc d’équilibrer notre solidité en Europe
et aux États-Unis, avec une croissance robuste
dans les marchés émergents.
Pour ce qui est de l’expansion dans les
marchés émergents, Zurich peut-elle s’y
aventurer seule ou faut-il préférer des
partenariats et acquisitions?
Pour une multinationale comme Zurich,
l’approche «partir de zéro» n’est pas la
meilleure, car elle nécessite trop de temps
pour porter ses fruits. Nous explorons donc
d’autres options, comme les coopérations et
les acquisitions. Notre alliance avec Santander en Amérique latine améliore nos capacités de distribution sur ce continent. Cela fait
d’ailleurs quelque temps que nous établissons
ce genre de coopérations. Nous avons par
exemple conclu un accord similaire avec
Deutsche Bank, en Allemagne, et avec Credit
Pensez-vous que les taux d’intérêt
resteront faibles à moyen terme?
Oui, pour le moment, car les autres scénarios
ne semblent pas réalistes.
Comme vous le savez, le secteur financier
est critiqué. Qu’en pensez-vous?
Je comprends que les erreurs commises par
le secteur financier aient irrité le public mais
ces erreurs ont plusieurs origines et elles ne
sont pas imputables au seul secteur financier. Le secteur de l’assurance a même été
au contraire un facteur de stabilité durant la
crise. Je comprends le mécontentement, mais
Zurich Financial Services a été rebaptisée
en Zurich Insurance Group pour refléter la
concentration de notre portefeuille d’affaires
sur l’assurance et faire passer en même temps
un message de marque clair à nos clients, à
nos actionnaires et aux autres partenaires.
Josef Ackermann a été nommé nouveau
président de Zurich. Vous attendez-vous à
un changement de stratégie?
Zurich a une stratégie clairement définie, fondée sur la continuité, et qui a fait ses preuves.
Cette stratégie est supervisée à la fois par le
conseil d’administration et la direction générale et adaptée à la nouvelle situation. Telle
est la voie que nous continuerons de suivre à
l’avenir aussi.
Que choisiriez-vous: des innovations
mûrement réfléchies ou des innovations
plus rapides?
Sans doute des innovations judicieuses qui
contribuent significativement et durablement
à nos activités. Dans tout ce que nous faisons,
la qualité est prioritaire.
Pensez-vous qu’actuellement c’est le
monde émergent qui fait avancer
l’innovation?
Oui, et c’est pour Zurich une tendance pleine
de promesses. Nous sommes une vaste entreprise et nous nous situons en plein cœur de
«Je choisirais sans doute, des innovations judicieuses qui
contribuent significativement et durablement à nos activités.
Dans tout ce que nous faisons, la qualité est prioritaire.»
48 ceo relations
nombreux marchés. Des opportunités en
Amérique latine, par exemple, peuvent trouver des applications en Asie ou en Europe.
C’est pourquoi nous encourageons nos collaborateurs à s’exprimer, à oser, et à penser de
manière originale afin de créer des solutions
pour nos clients partout dans le monde.
Recruter de nouveaux talents est-il
devenu plus difficile aujourd’hui qu’il y a
une dizaine d’années?
En tout cas, c’est un sujet de discussion plus
fréquent qu’il y a dix ans. Mais chez Zurich,
nous considérons cela plus comme un facteur positif que comme une difficulté. En
tant que multinationale forte et prospère,
nous sommes en mesure de procurer des
carrières passionnantes à des gens partout
dans le monde. C’est sûr que nous voulons
faire encore plus pour donner des opportunités à nos collaborateurs et les motiver, car
nos collaborateurs sont notre capital le plus
important.
Que recherchez-vous auprès des nouvelles
recrues?
Je recherche des gens qui ont une conscience
globale, et la capacité d’anticiper les changements tout en ayant la souplesse nécessaire
pour s’y adapter. Je mets aussi beaucoup
l’accent sur la personnalité: un bon caractère,
de l’intégrité et de la loyauté – voilà ce que
nous recherchons.
L’accord sur la libre circulation des
personnes a eu un impact notoire sur vos
activités en Suisse. Y a-t-il également des
aspects négatifs?
Pas du tout. Zurich est une véritable organisation mondiale. Au siège principal travaillent
plus de 1000 personnes provenant de 45
pays. L’ouverture des frontières suisses a été
féconde pour notre entreprise et pour l’économie du pays en général. C’est une des raisons
pour lesquelles un si petit pays joue un rôle
aussi important dans l’économie mondiale.
laborateurs à explorer de nouvelles régions
culturelles: c’est un élément important dans
le développement des talents.
La stabilité des relations et la confiance
mutuelle semblent être au cœur du
domaine des assurances. Comment
établissez-vous et maintenez-vous de
bonnes relations avec vos fournisseurs
et vos clients?
Soigner ses relations, qu’elles soient personnelles ou professionnelles, est fondamental.
Les ingrédients essentiels sont la confiance
mutuelle et la compréhension entre toutes
les parties. Bien entendu, la confiance doit
se mériter à la longue, mais l’expérience m’a
appris que cela vaut la peine d’y consacrer du
temps, car une bonne relation n’a pas de prix.
La façon dont vous répartissez votre
temps a-t-elle évolué ces dernières
années?
Je passe maintenant davantage de temps à
discuter avec les autorités de surveillance
sur la manière d’aborder la crise actuelle. Je
constate avec plaisir que ces autorités sont
à notre écoute. Notre entreprise a bien surmonté la crise et s’emploie à maintenir de
bonnes relations avec les principales autorités
de surveillance.
1er trimestre 2012
19,63
milliards de USD
de chiffre d’affaires
Envisagez-vous un jour de passer votre
temps plus normalement, si tant est que
cela signifie quelque chose?
Quelle que soit la signification que l’on donne
à «normal», chez Zurich, nous pensons positivement: quoi qu’il arrive, il y aura toujours un
lendemain. Cela fait partie de notre culture,
de notre façon de penser. Nous restons
concentrés sur notre stratégie et disciplinés
dans son exécution et je suis convaincu que
l’économie retrouvera le sourire.
Les migrations de la main-d’œuvre
dans le monde vont-elles augmenter ou
reculer?
Elles resteront élevées. Au cours de ma
propre carrière, j’ai eu la chance, en tant
que jeune salarié, d’être muté à Hong Kong,
où j’ai appris énormément de choses. Nous
continuerons d’encourager nos jeunes col-
ceo relations 49
marché de l’art
«Le système repose sur la confiance»
En 43 ans d’existence, Art Basel est devenue le principal
lieu de rencontre des galeristes, collectionneurs, négociants et amateurs d’art du monde entier. Sa codirectrice
Annette Schönholzer nous parle de son rôle d’intermédiaire, des échanges entre l’Ouest et l’Est et de la conquête
de nouveaux marchés.
Annette Schönholzer (48 ans)
codirige Art Basel, la plus grande
foire mondiale d’art contemporain, aux côtés de Marc Spiegler
depuis 2008. En 2002, elle a
rejoint Art Basel en tant que chef
de projet dans le cadre d’Art
Basel Miami Beach. Auparavant,
elle avait notamment occupé les
fonctions de chef de projet lors
de l’exposition nationale suisse
Expo 02 et de curatrice du festival
du film VIPER. Elle a étudié les
lettres anglaises et allemandes
ainsi que les sciences du film à
l’Université de Zurich et obtenu
un master en gestion culturelle
au Centre international pour la
culture et le management de
Salzbourg. Elle possède la double
nationalité américaine et suisse, a
grandi sur la côte Est des ÉtatsUnis et vit aujourd’hui avec son
époux à Bâle.
Photo: Andri Pol
50 ceo relations
Madame Schönholzer, le marché de l’art
est affaire de relations. Quelle est leur
fonction précise?
Où vous situez-vous, en tant que
codirectrice d’Art Basel, dans cette
toile relationnelle?
Une fonction très importante. Elles opèrent
à trois niveaux: celui des relations entre
l’homme et l’œuvre d’art, qui a une valeur
matérielle, mais aussi une grande valeur
immatérielle et émotionnelle. Puis celui de la
relation entre le galeriste et l’artiste, qui dure
généralement toute une vie. Et enfin celui
de la relation entre le galeriste et le collectionneur qui, souvent, devient une relation
triangulaire avec l’artiste. Il est intéressant de
constater que toutes les relations reposent sur
la confiance et qu’un contrat écrit intervient
rarement. Les choses se passent généralement de manière informelle, et une vente est
souvent conclue par une poignée de main.
Nous sommes une entreprise de services
qui offre une plate-forme d’échanges et de
transactions entre les galeristes et les collectionneurs. Je suis à la fois en plein cœur et
en marge de l’action. Les contacts d’Art Basel
dans le monde entier ne sont pas liés à ma
personne, mais ils m’ouvrent évidemment de
nombreuses portes. J’ai eu l’occasion de voir
les collections privées les plus prestigieuses,
mais je n’oublie jamais que je ne suis qu’une
invitée. Quelqu’un qui ne pourrait pas faire
la part des choses ne serait pas heureux à ce
poste, car d’énormes sommes d’argent sont
souvent en jeu.
Pour quelle raison?
Parce que la valeur d’une œuvre n’est pas
fixe. Son prix fluctue certes en général dans
une certaine fourchette, mais il est réévalué ou dévalué selon le degré de convoitise
qu’elle suscite auprès de particuliers ou
d’institutions. C’est un peu comme dans une
relation humaine, qui repose également sur la
confiance. À l’instar de l’être humain, chaque
œuvre d’art est unique et possède donc une
valeur immatérielle.
Les quelque 300 stands d’Art Basel sont
convoités et représentent une marque
honorifique pour chaque galerie. Comment gérez-vous les risques de dépendance et de conflit d’intérêts?
Marc Spiegler et moi sommes les deux codirecteurs et, à ce titre, sommes responsables
du bon déroulement et de l’équité du processus de sélection. Le choix des exposants
ceo relations 51
Photo: Christoph Kern
Art Collectors Lounge, Art Basel Miami Beach.
appartient exclusivement à un comité de
sélection composé de six membres. Bien que
Marc Spiegler et moi-même soyons de grands
amateurs d’art, nous ne sommes pas autorisés
à acheter une œuvre dans le contexte d’Art
Basel. Nous nous sommes imposé cette interdiction pour ne pas être taxés de favoritisme.
Nous gardons nos coups de cœur pour nous.
Vous parlez d’Art Basel comme d’une
plate-forme d’échanges. Pour quelle
raison fonctionne-t-elle aussi bien?
Le modèle de base est relativement simple.
Un comité sélectionne les meilleures galeries
dans le cadre d’une procédure de sélection
rigoureuse. Celles-ci sont ensuite invitées
à exposer leurs meilleures œuvres et leurs
artistes les plus prometteurs. Si cette phase
se déroule correctement, l’exposition attire
les bonnes personnes. Nous ne pouvons rien
faire d’autre que de favoriser et de stimuler
les interactions et, pour être honnête, nous
attendons chaque année les résultats avec
une certaine tension. Nous pouvons néanmoins encourager les diverses rencontres en
organisant des événements annexes à l’exposition proprement dite, où se réunissent des
personnes ayant des intérêts spécifiques…
52 ceo relations
… les fameux événements VIP. Que faitesvous pour satisfaire en permanence la
clientèle exigeante des collectionneurs
d’art les plus fortunés du monde?
Je ne pense pas que nous devions absolument
proposer plus de choses année après année,
mais nous devons à tout prix maintenir la
qualité de ce qui existe déjà. L’un des défis
d’Art Basel est d’accroître le cercle des collectionneurs intéressés par une visite durant les
premières heures. Cette croissance internationale a été énorme ces dernières années et elle
nous a amenés à définir de nouveaux critères
d’admission. Pour satisfaire le souhait des
collectionneurs d’admirer les œuvres dans le
détail et dans le calme, nous avons prolongé
la «preview» d’une journée. Nous avons aussi
mis sur pied un réseau de douze agents VIP
qui font office d’ambassadeurs d’Art Basel sur
les différents marchés et entretiennent les
contacts avec les collectionneurs et les galeristes.
Auparavant, le monde de l’art se limitait
essentiellement à l’Europe occidentale
et à l’Amérique du Nord mais, depuis dix
ans, les marchés asiatique et latino-américain gagnent en importance. Quel est
l’impact de cette internationalisation?
Tous les acteurs du marché de l’art voyagent
de plus en plus dans le monde entier. Le
«Dans des pays comme le Mexique et le Brésil, le marché
de l’art s’est considérablement développé ces dernières
années. Nous tournons aussi notre regard vers l’Inde.
Les collectionneurs indiens commencent à s’intéresser à
l’art occidental, ce qui pourrait ouvrir les portes d’un
marché immense.»
succès remporté par Art Basel Miami Beach
auprès des collectionneurs d’Amérique
latine a également attiré davantage de collectionneurs de cette région à Art Basel. En
général, les Européens et Nord-Américains
viennent à l’exposition seuls, en couple ou au
sein d’un groupe de musée. Les Sud-Américains arrivent en revanche aussi en groupes
privés organisés. De plus, nous accueillons
régulièrement des délégations complètes en
provenance d’Asie, ce qui nous pose parfois
problème, car nous ne pouvons pas laisser
entrer tout le monde. Les pays asiatiques ont
des exigences élevées en matière d’hospitalité et de disponibilité de l’hôte. Beaucoup
attendent que la direction accompagne la
délégation. Ils ne comprennent pas que ce
ne soit pas toujours possible. C’est aussi un
grand défi pour nous.
Le marché asiatique est considéré comme
le marché de l’art qui affiche la plus
forte croissance au monde. Comment
fonctionnent les échanges entre l’Ouest
et l’Est?
Les systèmes sont fondamentalement différents. En Europe et aux États-Unis, la
plupart des foires d’art sont initiées par les
galeries. En Asie, le commerce de l’art est
essentiellement géré via des salles de vente.
La confiance dans les galeries, sur lesquelles
notre système fonde sa réussite, doit tout
d’abord être bâtie en Asie.
Où en est cette évolution?
Nous n’en sommes qu’au début. Il y a déjà
quelques galeries actives en Chine, dont
certaines sont suisses. En 2013, nous organiserons pour la première fois une foire à
Hong Kong sur une superficie nette de 15 000
mètres carrés. L’objectif est d’exposer 50%
d’œuvres occidentales et 50% d’œuvres
asiatiques. À Bâle, la part de l’art asiatique
s’élève à l’heure actuelle à environ 5%. Cette
proportion relativement faible s’explique par
la difficulté de positionner l’art chinois dans
un contexte axé sur la présentation de l’art
occidental. La foire de Hong Kong est l’occasion idéale d’exposer une sélection équilibrée
d’œuvres occidentales et asiatiques.
Quels autres marchés suscitent pour
vous un intérêt particulier?
Dans des pays comme le Mexique et le Brésil,
le marché de l’art s’est considérablement
développé ces dernières années. Nous tournons aussi notre regard vers l’Inde qui, fait
intéressant, dispose d’un solide marché intérieur: les Indiens achètent généralement de
l’art indien. Mais cette habitude s’estompe
peu à peu. Les collectionneurs indiens commencent à s’intéresser à l’art occidental, ce
qui pourrait ouvrir les portes d’un marché
immense.
Vous vous rendez souvent dans des pays
émergents pour mieux les comprendre
et établir ou entretenir des contacts.
Comment abordez-vous ces cultures
étrangères?
Je m’aperçois toujours davantage que, si nous
disposons d’une langue commune avec l’anglais, les problèmes de compréhension sont
fréquents sur le fond. J’ai appris à être plus
prudente dans mes relations avec d’autres
cultures et à ne pas juger les gens en fonction
de leurs propos, mais sur leur comportement
et leurs actions.
pression du temps, le marché ne fonctionne
pas. En outre, pour les œuvres d’artistes
moins connus, il est plus difficile de prendre
des décisions d’achat sur Internet. Les foires
virtuelles sont donc des événements passionnants et importants, mais elles ne sont pas en
concurrence directe avec le marché physique
tel que nous le proposons. Je les considère
plutôt comme une offre complémentaire.
Dans quelle mesure la crise financière et
la crise de la dette perturbent-t-elles le
marché de l’art?
Depuis quatre ans, nous n’avons cessé d’enregistrer des fluctuations dans le comportement d’achat et au niveau des prix, mais
le marché est stable sur le long terme. Les
œuvres d’artistes cotés se vendent toujours
bien. Les galeries qui planifient à long terme
et collaborent avec des collectionneurs et des
institutions de qualité surmontent en général
les périodes de crise. Globalement, le marché
de l’art est plutôt anticyclique. C’est l’un des
grands mystères de ce marché.
Comment expliquez-vous cela?
En raison du caractère unique des œuvres,
le marché de l’art ne suit pas le cycle économique traditionnel de l’offre et de la
demande. L’art est un placement refuge
lorsque toutes les autres possibilités sont
épuisées. Au-delà de l’investissement matériel, une œuvre d’art conserve toujours sa
valeur immatérielle.
Internet modifie aussi les règles du jeu
sur le marché de l’art. Les foires virtuelles peuvent avoir un rayon d’action
avec lequel les foires physiques comme
Art Basel ne peuvent rivaliser.
Les foires virtuelles sont elles aussi limitées
dans le temps. Aucune galerie n’a intérêt à
exposer des œuvres indéfiniment sur Internet. Chaque œuvre d’art a besoin d’une
fenêtre limitée de disponibilité. Sans cette
ceo relations 53
start-up
«Je suis la nouvelle génération»
Marc P. Bernegger (33 ans) a étudié le droit
à l’Université de Zurich dans l’intention de
devenir avocat. Pourtant, un PC acheté quand
il avait 15 ans lui a fait suivre une autre
voie. Loin de la profession d’avocat, il est
aujourd’hui chef d’entreprise. Son domaine
d’activité: les nouveaux médias. Sa spécialité:
le réseautage.
Monsieur Bernegger, si on tape votre
nom dans Google, vous apparaissez partout – sur Twitter, Facebook, LinkedIn,
Google+. Pas un réseau sur lequel vous
n’êtes pas présent. Que vous apportent-ils
tous?
Ils décuplent mes activités. Mon carnet
d’adresses contient plus de 1000 entrées. La
possibilité de tisser des toiles virtuelles me
permet de gérer ces contacts sans perdre trop
de temps.
Sur ces 1000 contacts, combien en
connaissez-vous personnellement?
Tous. Même si j’évolue dans le monde virtuel,
je tiens à connaître personnellement toutes
les personnes avec lesquelles je suis en relation en ligne. C’est pour moi une règle de
base.
Pourquoi?
L’intérêt d’un réseau virtuel, c’est que
quelqu’un peut me contacter pour savoir par
exemple si telle ou telle personne de mon
réseau est «sérieuse» en affaires. Ou que je
peux m’adresser à quelqu’un en sachant à qui
j’ai affaire. Si je ne connais pas la personne,
je ne peux pas savoir ce qu’elle vaut et je ne
l’accepte donc pas dans mon réseau.
54 ceo relations
Cette manière de travailler relève-t-elle
plutôt de la règle ou de l’exception?
De plus en plus de gens ont un point de vue
similaire au mien. Mais je reçois toujours de
nombreuses demandes de contact sans commentaire de personnes que je ne connais pas.
Je les ignore, car elles n’apportent rien.
Et que vous apportent vos plus de 1000
contacts?
Je peux me reposer sur une large base et
activer à tout moment mon réseau, en fonction de mes besoins. Mais il est vrai que les
contacts qui comptent pour moi sont à peine
plus nombreux que si les réseaux sociaux
n’existaient pas.
Les nouveaux médias modifient-ils les
relations?
D’un côté, le fait que les réseaux sociaux permettent d’entretenir un nombre beaucoup
plus élevé de relations que dans la vie réelle
donne lieu à une certaine standardisation.
Mais d’un autre côté, on passe aujourd’hui
beaucoup plus de temps à entretenir ses
relations qu’à l’époque où il n’y avait que le
téléphone, les rencontres et le courrier postal.
Next Generation Finance Invest
En 2009, Thomas Winkler et
Robert Lempka ont fondé la
société de participations Next
Generation Finance Invest (NGFI),
dont le siège est à Zoug, dans
le but d’investir dans des entreprises idéalement positionnées,
grâce à des idées visionnaires
et des technologies innovantes,
pour profiter des nouvelles mégatendances dans le domaine de
la finance. Auparavant, Winkler
et Lempka étaient respectivement PDG d’ABN AMRO Suisse
et d’ABN AMRO marketindex.
Depuis 2011, le cyberentrepreneur Marc P. Bernegger est le
troisième associé de l’entreprise
NGFI. Next Generation Finance
Invest est cotée sur le marché BX
Berne eXchange.
Photo: Marc Wetli
ceo relations 55
nologiques. Les entreprises doivent aussi être
des «game changers» potentiels, c’est-à-dire
que nous cherchons des idées susceptibles
d’engendrer dans le secteur financier des
bouleversements radicaux basés sur le web.
De plus, pour quelqu’un comme moi, dont
l’activité consiste souvent à mettre des gens
en relation, il peut être intéressant d’avoir un
réseau s’étendant à tous les continents et à
tous les secteurs.
Marc P. Bernegger est un cyberentrepreneur. À 20 ans,
alors qu’il était étudiant en droit, il a fondé avec son collègue Simon Virlis la plate-forme zurichoise de sorties et
de loisirs usgang.ch, qu’ils ont revendue en 2008 à la maison d’édition Axel Springer. Il a ensuite lancé sur le réseau
le site amiando, en collaboration avec des collègues de
Munich. Ce système d’inscription à des événements s’est vu
décerner le Global Technology Pioneer Award par le WEF
en 2010, avant d’être racheté la même année par XING.
Vous vendez vos entreprises dès qu’elles
commencent à se faire un nom. Pourquoi?
C’est passionnant de participer au lancement
d’une nouvelle aventure. Lorsqu’une start-up
se développe bien, vient le moment où même
le fondateur de l’entreprise doit remplir son
planning de vacances. C’est pour moi le signal
qu’il est temps de partir. Avoir beaucoup
d’employés, c’est bien, mais c’est aussi une
lourde charge. En outre, chez amiando, des
investisseurs connus s’étaient engagés dès le
départ. Dans ces circonstances, lorsqu’une
bonne opportunité se présente de vendre
l’entreprise à un prix avantageux, c’est dans
l’ordre naturel des choses.
Vous avez ensuite participé en tant
qu’associé à la société fondée en 2009 et
cotée en bourse Next Generation Finance
Invest, dont le siège est à Zoug. De quoi
s’agit-il?
L’industrie de la finance est le dernier bastion dans lequel tout fonctionne plus ou
moins comme il y a 20 ans. Les technologies
nouvelles et innovantes ne sont utilisées
qu’avec parcimonie; l’activité a peu évolué,
même après la révolution numérique. Nous
investissons dans des modèles d’affaires qui
visent à accroître l’efficience dans l’industrie
financière par le biais des innovations tech-
56 ceo relations
Un exemple?
ayondo, l’un de nos investissements, est une
plate-forme qui joue le rôle d’interface entre
courtiers professionnels et investisseurs. Nous
travaillons avec les moyens technologiques
les plus modernes et une efficience telle que
l’on peut réaliser des profits intéressants tout
en permettant au client de gagner de l’argent.
Un investisseur peut profiter des services d’un
courtier professionnel de son choix à partir
de 100 EUR. Imaginez les réactions lorsque le
bruit court qu’il y a des alternatives au placement dans un fonds à des tarifs excessifs.
Vous n’êtes pas issu du secteur financier.
Quel est votre rôle chez Next Generation
Finance Invest?
Je suis la «next generation»! Mes associés,
anciens banquiers de haut vol, ont quelques
années de plus que moi. Dans l’entreprise,
je suis quasiment le représentant de la génération future. Depuis mes premiers pas en
informatique, je m’intéresse à la transposition
dans le monde virtuel de modèles d’affaires
établis, avec leurs processus et leurs chaînes
de création de valeur. Les mécanismes sont
toujours les mêmes.
Vous avez été fondateur et chef d’entreprise à deux reprises, et vous êtes
aujourd’hui investisseur en tant qu’associé de Next Generation Finance Invest.
Comment vous sentez-vous dans ce nouveau rôle?
Je ne me vois pas comme un investisseur,
mais toujours comme un entrepreneur. Ce
n’est pas l’argent qui m’intéresse en premier lieu, mais le projet de développer des
innovations qui s’inscriront dans la durée.
Notre implication entrepreneuriale dans ces
start-up est forte dès le moment où nous
investissons, ce qui nous distingue d’autres
investisseurs.
Quel est le secteur à l’avant-garde de ces
mutations?
C’est le monde des médias qui a essuyé
jusqu’ici les plus grandes secousses. Pourtant,
les dirigeants de ces entreprises sont encore
peu nombreux à réaliser ce qui se passe
réellement, sans quoi on assisterait à une
agressivité plus marquée encore en matière
de déplacement des activités sur l’Internet. Le
commerce connaît lui aussi des changements
profonds. On peut aujourd’hui acheter un
produit au prix le plus avantageux partout
dans le monde. Il est évident que le commerçant établi qui possède des magasins représentatifs bien situés sera tôt ou tard confronté
à des difficultés. Ces processus de transformation sont en plein développement et ils
sont inéluctables. Prenons par exemple les
smartphones. Ils n’existent que depuis peu et,
pourtant, beaucoup d’entre eux ont déjà subi
des changements révolutionnaires. N’importe
qui a accès à tout, peut faire des achats, réserver des vols, gérer ses réseaux – où et quand
il le veut. J’ai l’impression qu’une grande
partie des patrons actuels ne se rendent pas
compte des bouleversements en cours au sein
des générations qui leur succèdent. Comment comptent-ils s’y prendre pour attirer
quelqu’un comme moi? C’est absolument
impossible.
«J’ai l’impression qu’une grande partie des
patrons actuels ne se rendent pas compte des
bouleversements en cours au sein des générations qui leur succèdent. Comment comptentils s’y prendre pour attirer quelqu’un comme
moi?»
Bernegger attrape son iPhone, le soupèse et lève les yeux au
ciel: «Un bureau représentatif? Je n’en ai personnellement
pas besoin, ni d’une secrétaire. La génération qui arrive est
autonome, elle connaît les prix et elle attend de la transparence. Le statu quo actuel dans le secteur bancaire n’est
pas du tout adapté à ce nouveau groupe cible.»
À votre avis, de quoi le secteur a-t-il
besoin?
De changements qui mettent en place des
modèles d’affaires moins complexes et plus
efficients en matière de coûts. Les idées sont
là, les technologies aussi – les start-up de ce
secteur sont idéalement placées aujourd’hui
pour grappiller des parts de marché aux prestataires historiques de services financiers.
Si votre vision se concrétise, de nombreuses personnes perdront leur emploi.
Est-ce une raison pour freiner l’innovation?
Je ne me lance pas trop dans ce genre de
considérations; nous regardons tout cela d’un
œil nouveau, comme si nous repartions d’une
page blanche. À cet égard, notre manque de
connaissances du secteur bancaire et notre
peu d’imbrication dans le système sont des
atouts importants. Pourquoi ne se passet-il pas plus de choses au sein même des
banques? Parce que les secteurs traditionnels
regorgent de personnes qui ont beaucoup à
perdre en cas de changement. Les innovations radicales doivent venir et viendront de
l’extérieur.
Quel est votre plus grand défi en la
matière?
La première fois qu’un client entend parler de
nous, il est intrigué et admet qu’il ne connaissait pas l’existence de ce type de services.
Seul, il n’aurait d’ailleurs peut-être pas trouvé
ayondo par exemple, pas même via Google.
Car pour chercher quelque chose sur Google,
il faut savoir que cela existe. Il nous est donc
indispensable d’avoir une démarche proactive
en allant vers ceux dont nous pensons qu’ils
pourraient être intéressés par l’existence de
ces solutions innovantes.
Et c’est là qu’intervient votre gigantesque
réseau.
C’est exact, tout comme ceux de mes associés.
Grâce aux réseaux, nous pouvons très rapidement mettre quelque chose sur pied.
ceo relations 57
room with a view
Jeter des ponts
Simon Reding travaille comme expert-comptable pour PwC
dans le domaine des Financial Services à Singapour. Son lieu
de travail – le building PwC – se situe en plein centre-ville. Il vit
au quotidien la diversité culturelle de la dynamique métropole.
Mon lieu de travail se situe au 16e étage, en
plein quartier financier. Quand je regarde
par la fenêtre, je vois les tours de verre des
immeubles de bureaux environnants. 130
banques internationales sont représentées
dans la ville et en font l’un des centres financiers les plus importants d’Asie. À Singapour,
contrairement à ce qui s’est passé en Suisse,
on n’a jusqu’à présent pas touché au secret
bancaire. La Suisse est néanmoins considérée ici comme un modèle, y compris dans le
domaine de la réglementation bancaire.
Singapour est un site intéressant pour les
entreprises qui veulent être présentes en
Asie. Cette cité-État bénéficie d’une position
stratégique très favorable, à quelques heures
d’avion seulement de tous les marchés importants de Chine, d’Inde, d’Indonésie et de
Malaisie. La stabilité politique et un système
juridique bien développé offrent aussi un
environnement attrayant pour les entreprises
qui souhaitent s’installer ici. Des services officiels et des autorités favorables à l’économie
J’essaie de comprendre comment surmonter les différences
entre les mentalités, mais aussi et surtout entre les lois et les
règlements.
les aident à y parvenir en collaborant étroitement avec les secteurs économiques pour
booster la croissance dans certaines branches
industrielles. Une réglementation simple et
des impôts peu élevés sont d’autres raisons
importantes qui font de Singapour un site
apprécié.
Singapour est multiculturelle et attire des
travailleurs du monde entier. La plupart de
mes collègues sont des Singapouriens, des
Japonais, des Chinois, des Indonésiens, des
Malais et des Australiens: des gens d’origines
58 ceo relations
les plus diverses, avec de grandes différences
culturelles. Mes collègues asiatiques vivent
souvent chez leurs parents jusqu’à leur
mariage car, à Singapour, les logements sont
très chers. La plupart des expatriés habitent
dans ce que l’on appelle des condominiums,
des unités résidentielles offrant de nombreuses facilités. Ainsi, les contacts privés
entre autochtones et expatriés sont plutôt
rares en dehors des heures de travail. S’ajoute
à cela le fait que je suis venu à Singapour avec
ma famille et que je préfère passer mon temps
libre avec mon épouse et nos trois enfants.
Alors qu’en Suisse, nous pouvons organiser
très librement notre journée de travail, on
est attaché ici à des horaires de bureau communs. La journée de travail commence tard
et se termine en conséquence. Il est fréquent
que l’on aille brièvement dîner ensemble
avant de continuer à travailler. Pour mes collègues asiatiques, les relations personnelles
sur le lieu de travail sont très importantes;
l’entreprise a une valeur émotionnelle très
forte.
Je m’occupe de certains des nombreux clients
suisses de PwC qui exercent également
des activités à Singapour. À ce titre, je me
considère comme un lien entre les cultures
tant auprès des clients qu’en interne, et
notamment avec PwC Suisse. J’essaie de comprendre comment surmonter les différences
entre les mentalités, mais aussi et surtout
entre les lois et règlements et ceux qui les
édictent. Jeter des ponts n’est pas toujours
facile. Mais cela me paraît être une tâche très
importante, dont l’accomplissement permet
de grandir tant sur un plan personnel que
professionnel.
Photos: Darren Soh/laif
Financial District Singapour: lieu de travail multiculturel de Simon Reding, économiste chez PwC.
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ceo 1/2012
Valeur ajoutée
La Suisse en tant que lieu d’implantation
Le meilleur choix pour l’Europe
Page 33
Start-up
Les jeunes entreprises dynamisent l’économie
Systèmes de rémunération
Équité et simplicité indispensables
Page 42
Service
Publications et formation continue
Page 44
Page 36
Page 39
CORP-1205-11071
Audit et conseil
Augmentation de la qualité et de l’efficience

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