Elles sont à rebrousse-poils

Transcription

Elles sont à rebrousse-poils
Par Séverine Saas, stagiaire à L’Hebdo
Mise en ligne le 27 mai 2013
Elles sont à rebrousse-poils
Aïe ! A l'ère de l'épilation intégrale, notamment des zones intimes,
l'appendice pileux est traqué, conspué. Contre ce diktat du lisse, la
résistance féminine s'organise.
Après un déménagement particulièrement prenant, Sophie*, étudiante en
thérapie ayurvédique de 29 ans, a laissé pousser ses poils. C'était il y a un an.
Avec sa peau diaphane et ses longs cheveux noirs, le changement n'est pas
passé inaperçu. « J'ai eu des remarques, mais ça m'amuse. C'est comme une
coupe de cheveux : ça fait du bien de changer. S'épiler n'est pas une nécessité.
Je me sens bien comme ça », glisse-t-elle avec désinvolture. A l'instar de Sophie,
de nombreuses femmes renoncent à l'épilation, soit par rejet des normes
établies, soit par préférence esthétique. A l'époque où le paradigme du lisse règne
sans partage sur l'industrie cosmétique, elles font figure de résistantes.
S'il n'existe actuellement pas de statistiques, le magazine féminin Cosmopolitan,
très à l'affût des tendances, rapportait récemment que ce « mouvement » prenait
« chaque jour un peu plus d'ampleur ». En ce qui concerne l'épilation pubienne,
Christian Bromberger, anthropologue et auteur de Trichologiques. Une
anthropologie des cheveux et des poils, estime que certaines femmes craignent de
« singer la petite fille désérotisée ». Intriguée par ce retour à l'état de nature,
Emer O'Toole, journaliste au très sérieux quotidien anglais The Guardian, a
publié en mai 2012 « Mesdames, voici pourquoi vous devriez arrêter de vous
raser ». Dans cette tribune, elle avoue avoir abandonné son rasoir pendant 18
mois, sans que sa vie sexuelle n'en pâtisse. Du côté de la France, le Mouvement
international pour une écologie libidinale (MIEL) milite carrément pour la
revalorisation de la pilosité naturelle.
« Là où il y a du poil, il y a de la joie »
Garder ses poils n'a pas toujours été une pratique marginale. En France, par
exemple, le 19ème siècle est marqué par le proverbe « là où il y a du poil, il y a de
la joie ». Loin d'être conspuée, la pilosité féminine est synonyme de sensualité,
d'érotisme. « Quand les actrices ont commencé à se raser les aisselles à la fin du
19ème, les spectateurs étaient scandalisés. Ils regrettaient la disparition du
« point sur le i », explique Christian Bromberger. Il faut attendre le 20ème siècle
pour que l'appendice pileux devienne pour certains synonyme de saleté, de
sexualité débridée et d'animalité. Le poil disparaît progressivement des films
pornos, de la publicité, de la mode.
Désormais mondialisée, portée par l'ensemble de l'appareil culturel, la pratique
de l'épilation systématique s'est confortablement installée dans l'inconscient
féminin. « Quand leur pubis n'est pas épilé, les femmes qui me consultent
s'excusent, alors que ça ne change rien pour moi, s'étonne Jean-Claude
Rossinelli, gynécologue à Lausanne depuis plus de vingt ans. Elles ont
totalement intégré la pression de la société. »
S'épiler, c'est s'aliéner
Cette pression sociale, c'est ce que dénonce le MIEL, qui explique sur son site
internet que l'épilation méthodique ne relève pas d'un choix personnel. Les
femmes auraient « intériorisé » cette norme édictée par les hommes et l'industrie
cosmétique. Membre du mouvement contestataire Slutwalk, à Genève, Coline de
Senarclens partage l'analyse. Cette féministe déplore avec véhémence « la
fabrication des corps », soit la codification rigide des attributs des deux sexes:
aux hommes la virilité et le poil, aux femmes la fragilité et la peau lisse. «
Quiconque sort de ces codes se retrouve disqualifié aux yeux de la société. »
Pour autant, celle qui confie avoir un système pileux développé a-t-elle renoncé à
l'épilation ? « Non. Ca peut paraître contradictoire, mais l'émancipation, c'est
aussi accepter les canons de séduction imposés et jouer avec. Et être glabre, ça
peut être cool sexuellement.»
Exhausteur de goût
« Les filles épilées intégrales au niveau du pubis, ça me fait penser à
Auschwitz ! », s'offusque Patricia*. A 29 ans, cette pétillante brune arbore une
intimité en forme de triangle. Surtout, elle ne se rase plus les aisselles depuis six
mois. « Je trouve ça joli, et la fille avec qui je couche aussi. Le poil, si c'est
soigné, c'est sexy», assure-t-elle en dévoilant sa fosse axillaire.
Ce n'est pas Pascal*, la cinquantaine séduisante, qui la contredira.
Contrairement aux hommes de moins de 30 ans, ce journaliste cultive un amour
sans bornes pour l'appendice pileux féminin. « Les poils, c'est comme le gras du
jambon. C'est un exhausteur de goût, lâche-t-il, un verre de chasselas à la main.
Au niveau du sexe et des aisselles, on trouve des arômes qui ajoutent au
plaisir. Je regrette l'époque où les femmes restaient nature.» La touffe pourraitelle un jour redevenir la norme ? « Vraisemblablement pas. L'hygiénisation de la
société a atteint un point de non retour », répond Christian Bromberger. Que
Pascal se rassure: comme disait Frédéric Dard, « les femmes, c'est comme les
artichauts : le coeur est sous les poils. »
Séverine Saas, stagiaire à L’Hebdo
© Sauf accord de l’auteur et de la direction du CRFJ, ces travaux réalisés dans le
cadre de la formation ne sont pas destinés à la publication ni à la diffusion.