Le syndrome mains-pieds Rappel sur les antiangiogéniques

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Le syndrome mains-pieds Rappel sur les antiangiogéniques
Le syndrome mains-pieds
Bulletin infirmier du Cancer. Volume 12, Numéro 3, 74-8, Juillet - Août - Septembre 2012, Métier
Auteur(s) : Nuria Kotecki, Christine Janicki, Eve Desmedt, Interne, Département de cancérologie générale, Centre Oscar Lambret, 3 rue
Combemale, 59020 Lille cedex Infirmière, Unité de recherche clinique, Centre Oscar Lambret, 3 rue Combemale,59020 Lille cedex
Dermatologue, Service de Dermatologie, CHRU Lille, Hôpital Claude Huriez, Rue Michel Polonovski, 59037 Lille cedex .
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Illustrations
ARTICLE
Le syndrome mains-pieds (SMP) appelé aussi érythrodysesthésie palmoplantaire (EDPP) est une complication classique des chimiothérapies,
observée pour la première fois en 1974 (Zuehlke) chez un patient sous mitotane [1]. Il est redéfini comme EDPP ou SMP par Nagore en 2000
[20]. Sa présentation clinique est stéréotypée mais sa physiopathologie reste peu connue. Il ne met jamais le pronostic vital du patient en jeu
mais il est responsable d’une altération de sa qualité de vie non négligeable qui limite l’utilisation de drogues potentiellement actives. Les
drogues le plus souvent responsables de ce tableau clinique sont regroupées en 2 catégories : les chimiothérapies classiques notamment le 5
fluorouracile (5FU) et ses dérivés et plus récemment les thérapies ciblées dont certains antiangiogéniques à activité tyrosine kinase (TKI)
comme le sorafénib ou le sunitinib. Il n’y a pas d’effet classe retrouvé dans la fréquence de survenue du SMP comme décrit dans le tableau 1 .
Rappel sur les antiangiogéniques
Le VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor ) est un facteur de croissance endothélial surexprimé par les cellules tumorales. Il se fixe sur les
récepteurs VEGFR des cellules endothéliales et déclenche l’angiogenèse et le développement des néovaisseaux et induit ainsi la croissance
tumorale et sa dissémination [3]. Ainsi le VEGF et son récepteur sont des cibles thérapeutiques prometteuses. Le sorafénib et le sunitinib sont
deux inhibiteurs multikinases ciblant, entre autres, les récepteurs du VEGF. Ils font donc partie des médicaments à action antiangiogénique.
Leur spectre d’action et le type d’effets secondaires qu’ils induisent ne sont pas strictement superposables. Le bevacizumab est un anticorps
monoclonal utilisé dans le traitement du cancer colorectal et dirigé contre le facteur de croissance VEGF. Il a également un effet
antiangiogénique mais n’induit pas de modification cutanée notable [4]. Le sorafénib inhibe les fonctions kinases des récepteurs du VEGF, du
PDGF, des protéines RAF et FLT-3. Il est indiqué dans le cancer du rein et l’hépatocarcinome. Des effets cutanés sont retrouvés chez plus de
90 % des patients dont environ 30 % de SMP jusqu’à 60 % selon les séries [5]. Le sunitinib est un inhibiteur de c-kit et des récepteurs VEGFR
et PDGFR- utilisé dans le cancer du rein et les tumeurs stromales gastro-intestinales (GIST) résistantes à l’imatinib (inhibiteur de c-kit et de
PDGFR-������). Il induit certains effets secondaires similaires à ceux du sorafénib. La fréquence du SMP est moindre avec le sunitinib
(autour de 20 %) qu’avec le sorafénib [6].
Histologie
Il n’y pas de signes histologiques spécifiques du SMP. Ici encore, en fonction de l’agent en cause, la physiopathologie pourra être différente.
L’étude histologique ne permet en aucun cas un diagnostic positif qui reste avant tout clinique dans un contexte de traitement tumoral. Il est le
plus souvent décrit une toxicité directe sur les kératinocytes basaux avec des nécroses kératinocytitaires et une destruction totale de l’épiderme
dans les SMP de grade 3 ou 4 [7]. Il est décrit également une hyperplasie épidermique avec dyskératose ou hyperkératose retrouvée plus
souvent dans les SMP secondaires à un traitement par antiangiogéniques [8]. Enfin les vaisseaux sanguins des extrémités sont dilatés avec
des infiltrats lymphocytaires périvasculaires, témoins de l’inflammation locale [9].
Physiopathologie du syndrome mains-pieds
Durée d’exposition dépendant
Le type d’effets secondaires est influencé par le mode d’administration du traitement anticancéreux. En effet, lors de l’administration de 5FU, la
toxicité hématologique, notamment la neutropénie, est plus fréquemment limitante en cas d’administration en bolus et la survenue d’un SMP est
plus fréquente en cas de perfusion continue [10]. D’autre part la capécitabine, prodrogue du 5 FU est responsable de SMP plus sévères (grade
3 ou 4) après le premier cycle même si les premiers signes de toxicité apparaissent déjà au cours de celui-ci [11].
Localisation acrale de la toxicité
La physiopathologie, comme l’histologie, est peutêtre différente en fonction de la drogue utilisée. Lors de l’administration d’un cytotoxique, les
glandes sudorales eccrines semblent jouer un rôle important dans la survenue d’un SMP. En effet, elles sont présentes en nombre plus
important dans les extrémités et le cytotoxique, excrété dans la sueur serait alors responsable d’une toxicité cutanée accrue. Le turn-over élevé
des kératinocytes présents dans les extrémités peut expliquer également leur plus grande sensibilité à la chimiothérapie. Au cours des
traitements par antiangiogéniques inhibiteurs des tyrosines-kinases (sorafénib, sunitinib), il existe une interaction avec des voies de
signalisation des MAP kinases qui influencerait la différenciation des kératinocytes et expliquerait en partie la physiopathologie des SMP induits
par les TKI [8]. Une autre hypothèse séduisante repose sur des causes mécaniques. L’activité antiangiogénique de ce traitement induit des
changements dans la microvascularisation de l’organisme. Les extrémités sont plus exposées aux microtraumatismes répétés notamment dans
les zones de pression, ce qui induirait une rupture des petits capillaires et favoriserait la survenue d’un SMP par des phénomènes
inflammatoires dus à l’extravasation et une inhibition de la réparation induite par la thérapie ciblée [12].
Déficit enzymatique et SMP
Certaines enzymes, impliquées dans le métabolisme des chimiothérapies, sont responsables, quand elles sont défaillantes, d’une toxicité
accrue de la chimiothérapie. C’est le cas de la thymidine phosphorylase [13], impliquée dans le métabolisme de la capécitabine prodrogue du
5FU. Si cette enzyme est défaillante, il y aura alors une accumulation des métabolites de la capécitabine dans les kératinocytes notamment et
elle sera responsable d’un SMP plus sévère. La dihydropyrimidine déshydrogénase (DPD) est une enzyme impliquée dans l’inactivation du
5FU en produits inactifs ou peu actifs. Un déficit en DPD est donc responsable d’une accumulation des métabolites actifs du 5 FU et donc
d’une toxicité accrue [14-15]. En conclusion, la physiopathologie du SMP est complexe, mal comprise et dépendante du type de traitement
anticancéreux.
Présentation clinique
Les symptômes débutent par des sensations de dysesthésies des paumes et des plantes dans un délai variable après le début de la
chimiothérapie, s’en suivent un érythème, un oedème des extrémités voire même une sécheresse cutanée importante. Dans les formes plus
sévères peuvent survenir une desquamation importante, des érosions, fissures et ulcérations responsables de douleur et d’une gêne
fonctionnelle [2]. Il existe deux types de classifications qui permettent de grader les SMP, en particulier dans les études cliniques. Il s’agit de la
classification du NCI-CTC, la plus utilisée aujourd’hui (tableau 2) et celle de l’OMS très peu utilisée (tableau 3).
Particularités cliniques du SMP sous antiangiogéniques Comme démontré précédemment, l’histologie et la physiopathologie du SMP sont
différentes en fonction des drogues utilisées (cytotoxiques ou TKI). On note en particulier une tendance aux lésions hyperkératosiques
prédominant dans les zones de pression au cours des SMP secondaires aux TKI (interaction avec les voies de signalisation des kératinocytes
et anomalie de microvascularisation) alors que celui induit par les cytotoxiques peut affecter également d’autres régions comme le dos des
mains et prend un aspect clinique de type érythème et oedème douloureux des extrémités. Les détails de ces différences sont repris dans le
tableau 4.
Prise en charge thérapeutique
La prise en charge est difficile mais indispensable pour éviter une altération de la qualité de vie et un maintien du traitement aux doses
optimales. Pour ce faire, il est important que chaque intervenant (l’IDE et le médecin), soit impliqué. La prise en charge s’articule autour de 3
grands axes.
Mesures préventives et soins de support
La première mesure -sûrement la plus importanteest préventive. L’infirmier diplômé d’état joue un rôle essentiel dans la prévention en raison de
sa relation privilégiée avec le malade. Un dépistage précoce des premiers symptômes permet une prise en charge plus rapide et plus adaptée,
limitant la survenue de SMP sévère. Elle repose sur des règles hygiéno-diététiques et divers conseils à donner aux patients tels que : éviter les
chaussures trop serrées et les activités traumatisantes pour la plante des pieds, traiter les hyperkératoses plantaires en préthérapeutique (soins
de pédicure), éviter le port de chaussettes, gants serrés, bagues ou bracelets, application d’émollients, éviter l’eau chaude et la vaisselle. Il est
conseillé également l’utilisation de l’eau froide pour son action vasoconstrictrice [16]. Selon le même principe, les manchons réfrigérants sont
utilisés lors de l’administration de chimiothérapie intraveineuse sur une courte durée. Ceci n’est pas applicable pour les chimiothérapies per os
ou en continu.
Traitements locaux et généraux
L’utilisation d’émollients et de topiques kératolytiques contenant de l’acide salicylique ou de l’urée est préconisée. Les dermocorticoïdes
(Dermoval® ) sont utilisés dans les formes oedémateuses et inflammatoires [16]. L’utilisation d’anesthésiques locaux n’est pas recommandée
car elle aggrave l’irritation locale. Aucun traitement par voie générale n’a fait la preuve de son efficacité. Certains utilisent la vitamine B6 50 à
300 mg/j (curatif ou préventif), par analogie au syndrome d’acrodynie dû à un déficit en vitamine B6, avec quelques résultats encourageants
[17-18]. L’utilisation de la vitamine E est également discutée en curatif sans que cela ait été confirmé par des études randomisées. Enfin, la
corticothérapie générale a montré une efficacité mais son utilisation n’est pas validée dans le SMP [19].
Adaptation des doses
L’adaptation des doses se fait en fonction du grade de la toxicité et de l’étude clinique le cas échéant. Le plus souvent, il est proposé une
diminution voire un arrêt de traitement pour les grades 2 et 3 respectivement. La réintroduction est recommandée après résolution de la toxicité
à un grade 0-1. Il existe des algorithmes guidant la prise en charge comme celui de Lacouture concernant les SMP TKI induits [6]. L’adaptation
de dose doit toujours être discutée longuement avec l’oncologue et le patient. La régression des symptômes est rapide après l’arrêt du
traitement et la récidive à la réintroduction n’est pas systématique [20]. Il n’y a pas de réel consensus en ce qui concerne la prise en charge
thérapeutique de ces effets cutanés cependant indispensable à la bonne prise en charge des patients.
Références
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Conflits d’intérêts : aucun.
POINTS À RETENIR
• Le syndrome mains-pieds présente de nombreuses variations cliniques et physiopathologiques, surtout depuis l’émergence des
thérapies ciblées antiangiogéniques.
• Une prise en charge par les dermatologues en collaboration étroite avec les praticiens qui ont prescrit le traitement est nécessaire à la
bonne prise en charge du patient. Celle-ci doit être précoce dès l’apparition des premiers signes cliniques.
• L’éducation du patient est un élément essentiel de la prise en charge.
• Devant un SMP :
- modéré : mesures symptomatiques et traitement local ;
- sévère : réduction de dose voire pause thérapeutique.
• La récidive à la réintroduction n’est pas systématique.
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