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Comme le temps passe... * CAMILLE VALLEIX © Éditions Valeurs d’Avenir, 2012 Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, au terme de l’article L 122-5, 2e et 3e art, d’une part, que les « copies et reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faites sans le consentement de l’auteur ou de ses ayant droits ou ayant cause est illicite » (art L122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon, sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. Composition et mise en pages : Isabelle Boutet (www.ninalea.fr) Illustration de couverture : Lithographie de Paul Guiramand, Mise à disposition gracieuse par son fils Gilles. Avec nos remerciements. ISBN : 978-2-9539684-0-8 Si vous souhaitez recevoir notre catalogue et être tenu au courant de nos publications, consultez notre site internet, www.editionsvaleursdavenir.fr ou envoyez vos nom et adresse , aux Éditions Valeurs d’Avenir 6 , avenue Halphen 92410 Ville-d’Avray ou par mail : [email protected] Publications des Éditions Valeurs d’Avenir Collection Littérature de Camille Valleix Comme le temps passe... (Trilogie) I - La Dame de Marvejols , juin 2011 Réédition en avril 2012 II - Carole , à paraître en 2012 III - Olivier , à paraître en 2012 La Traversée de la Penfeld (Trilogie) I - Le Temps de l’Innocence , octobre 2011 II - Le Temps de l’Épreuve , octobre 2011 III - À Recouvrance , deuxième trimestre 2012 Collection Développement Personnel de Josette Lépine Le Coaching Somatique , janvier 2012 Comme le temps passe… La Dame de Marvejols CAMILLE VALLEIX À Jacqueline, sans laquelle je ne serais pas ce que je suis devenu. Première partie Chapitre 1 En arrivant à Valognes déjà , Carole sent son âme s’élever et ses sens excités par la présence proche de la mer . Après Les Tourterelles , elle atteint le rond-point à partir duquel commence la descente vers Cherbourg . Depuis le point de vue , Cherbourg apparaît dans toute sa splendeur de ville maritime , avec son immense rade protégée par les trois digues construites par Napoléon Empereur pour protéger la ville et le territoire national des attaques anglaises . À gauche la pointe de Querqueville ; devant elle la grande digue avec ses trois forts , en partie cachée par le Fort du Roule qui domine Cherbourg et à droite la troisième digue qui s’appuie sur l’Île Pelée . Plus près , le port lui-même à peine visible derrière les contreforts de la vieille ville . Un ferry quitte le port , en direction de Southampton ou de Portsmouth. Carole éprouve un vif sentiment de plaisir à retrouver sa ville natale , celle où elle a passé la plus grande partie de son enfance . Elle vit probablement ses dernières vacances d’étudiante ; d’ailleurs , l’est-elle encore , étudiante ? Elle a son diplôme de journaliste en main , ayant brillamment obtenu le Mastère du Centre de Formation des Journalistes de Paris . Deux mois de vacances , elle s’est donné deux mois de farniente , quoique la pratique du farniente ne soit pas vraiment dans sa nature . Après s’être imprégnée de l’air iodé du large et avoir embrassé le vaste panorama , elle se dirige vers sa voiture , une vieille R5 qu’elle abandonnera dès son embauche ; les pistes sont sérieuses avec Ouest-France et M6 . Et encore n’a-t-elle pas entrepris de prospection . 11 Voici la descente vers la ville , où sa mère possède une belle maison bourgeoise du début du XXème siècle . Elle se sent légère , presque redevenue enfant… Le Premar1 fêtera dans quelques jours son départ en retraite . Elle ne le connaît pas vraiment . D’ailleurs les officiers généraux se succèdent rapidement ; leurs affectations ne durent pas au-delà de deux ans . Elle a dû rencontrer l’amiral Cartroux à deux reprises , lors de manifestations . En tout cas , elle est invitée , ainsi que toutes « les jeunes filles bien » de la ville . Carole se souvient d’avoir participé au bal des débutantes il y a quelques années , l’occasion de rencontrer quelques jeunes officiers de marine dans une délicieuse atmosphère de Restauration . D’ailleurs , sa meilleure copine , Charlotte , est fiancée à un lieutenant de vaisseau – ou un enseigne de vaisseau de 2ème classe ? – Le pot de départ du Premar aura lieu le 27 juillet , dans quinze jours . D’ici là , il s’agit de prendre quelques couleurs , ce qui est possible à Cherbourg , mais oui ! La plage préférée de Carole se trouve au bout du Cap de la Hague , en baie d’Écalgrain , pour peu qu’il n’y ait pas de vent… parce que sinon , c’est la mer démontée , les embruns qui balaient jusqu’à la falaise . En deuxième recours , il faut aller à Saint-Vaast la Hougue , où la plage est abritée des vents d’ouest comme de tous les vents du nord et permet de profiter du moindre rayon de soleil . Barfleur , outre le charme indéniable de son port , possède également une plage sympa . En dernier recours , à une heure de trajet , Barneville-Plage si on ne craint pas le « tourisme familial ». En l’espace d’une dizaine de jours , Carole a déjà pris de jolies couleurs et son corps s’est musclé d’être exposé à la mer − « on se baigne et on nage tant que l’eau n’est pas prise en glace » , dit-on dans son groupe d’amis – et aux activités sportives terrestres , tennis et vélo en particulier . 1 - Préfet Maritime . Le préfet maritime de la deuxième région maritime est en général un Vice-amiral d’escadre (quatre étoiles). 12 Carole est une jeune femme éminemment sportive , grande − un mètre soixante quinze − , à la longue chevelure brune frisée qui lui descend jusqu’aux omoplates . Elle a des épaules de nageuse , un peu trop développées pour ne pas attenter à sa féminité . Fort heureusement pour elle , les courbes d’une poitrine épanouie et des hanches rondes de même qu’une peau délicieusement douce attirent tous les regards masculins , et pas mal de regards féminins ! Ses yeux clairs sous des sourcils bruns illuminent un visage comme taillé dans le marbre : menton volontaire , nez droit à la grecque dont la brisure manifeste qu’il a subi les chocs d’une enfance turbulente , large bouche aux lèvres pleines autour desquelles les joues forment des parenthèses quand elle sourit . Carole respire énergie et joie de vivre . Pourtant , de temps à autres , des ombres passent dans son regard , témoignant de souffrances et de doutes passés. Suivent des jours de grisaille et de vents mais Carole n’en a cure : jamais les conditions atmosphériques n’ont empêché de faire de longues virées à vélo ou de se mesurer aux éléments marins ! Quelles qu’aient été les soirées entre amis , ses activités physiques démarrent tôt le matin et se poursuivent tout au long de la journée , au point que sa mère , chez laquelle elle a repris ses marques , s’en inquiète : « Tu vas finir par tomber malade à tirer ainsi sur la corde ! » Marie-Christine , sa mère , est égale à elle-même . C’est une fort jolie femme , dont Carole ne comprend pas qu’elle ne se soit pas remariée après la mort de son père . Elle travaille au Crédit Mutuel , dont elle assure la direction régionale pour la Manche . Carole est parfois gênée en face d’elle ; il arrive fréquemment que Marie-Christine ait des périodes de mutisme , de vacuité dans le regard , comme si le vague à l’âme la prenait , des langueurs , comme la Dame aux Camélias . Sinon , elle est très courtoise , affable même et elle a tout fait pour assurer à Carole une existence confortable et des études supérieures . Et puis Carole est 13 allée rendre visite à Bernard Prévost , le vieil ami de la famille , qu’elle appelle tonton Bernard ; Bernard est notaire à Cherbourg depuis… ouah ! depuis bien longtemps . Il connaît tout le monde et a réglé les successions d’une bonne partie des bourgeois de la ville . C’est un homme discret , sobre , d’allure anglaise , avec sa moustache fine aux pointes légèrement relevées , ses rouflaquettes aujourd’hui blanchies , autrefois virant sur le roux . D’ailleurs , la veste de tweed et la casquette de laine renforcent son côté british . Carole le taquine sur sa « façade » qui ne correspond pas , dit-elle , à la réalité de son tempérament artiste . Bernard est célibataire . Carole n’a jamais réussi à percer le mystère de ce célibat volontaire , l’homme étant charmant et devant à tous coups faire un mari affectueux et attentionné , ce que de nombreuses femmes cherchent , au fond , au-delà du « plaisir de la chair » . Entre parenthèses , question plaisirs de la chair , les copains et copines de Carole ne se privent pas , ni ceux de Cherbourg et sans doute encore moins ses camarades parisiens . Carole est plus… comment dire , sélective . Quel plaisir y a-t-il à s’envoyer en l’air lors des nombreuses parties organisées ici comme là-bas ? À laisser libre cours à ses instincts , il y a de quoi perdre et sa dignité et sa capacité d’aimer . Pourtant Carole n’est pas bégueule ; certains amants , rares , peuvent en témoigner . Bernard donc lui raconte les derniers potins de Cherbourg , les rumeurs , les trahisons , les réconciliations − « dès qu’il y a des intérêts financiers en jeu , tu comprends » − , les projets également , dont celui , qui excite toutes les passions , de création d’un grand port en eau profonde capable de rivaliser avec Rotterdam ou Anvers . Pour cela , il faut un arrière-pays économiquement fort et des liaisons ferroviaires et aériennes renforcées ; bref , ce n’est pas gagné . Qui va investir ? Certes pas l’État dont les caisses sont vides ; la Région n’a pas les moyens ; des privés ? Des capitaux des pays pétroliers ? Ils achètent bien des banques américaines , dont la première banque mondiale , Citibank , ou des pays entiers , comme la Grèce ! 14 Le 27 juillet 2008 , à 21 heures , Carole se présente à l’Hôtel de la préfecture maritime de Cherbourg qui a accueilli de très nombreuses personnalités , et en particulier Napoléon III et l’Impératrice Eugénie . En cette occasion , une salle de bal a été construite et l’Hôtel continue à être un lieu de réceptions officielles . Elle est en compagnie de Charlotte , de son fiancé − effectivement lieutenant de vaisseau − et de trois autres amis d’enfance . Elle se présente , resplendissante , dans un fourreau mi-long couleur pêche qui met son hâle en valeur , les cheveux libres sur ses épaules , sans aucun bijou . Ses cils drus et longs sur ses yeux clairs font briller son regard intelligent . Sa taille , augmentée de sandales à talons hauts assorties à sa robe , ainsi que son naturel font que tous les regards se posent sur elle et que de nombreuses connaissances l’approchent et viennent la saluer . Le préfet maritime lui-même ! − Ma chère Carole , vous me faites un grand plaisir d’illuminer de votre présence notre trop sérieuse assemblée ! Il me reconnaît , pense-t-elle . Il a dû apprendre les noms de tous ses invités par cœur et disposer d’un trombino ! − Bonsoir , Amiral . Je suis très sensible à vos compliments et vous remercie de m’avoir comptée au nombre de vos amis , qui tous regretteront , comme moi , votre départ. − Oh vous savez , l’oubli vient vite , fort heureusement , pour que la jeunesse puisse s’épanouir . La vôtre est rayonnante et je lui rends hommage . Comme je souhaite rendre hommage à votre mère . Est-elle présente ? − Oui , Amiral… Je la vois là-bas. Ouaouh , quels compliments ! Au point que Carole sent les larmes lui piquer les yeux . Le préfet maritime ne s’attarde cependant pas et vogue vers d’autres groupes , serre d’autres mains , partage d’autres bises , et un groupe de jeunes gens se forme parmi tous les notables de la ville , pratiquement à l’opposé d’un autre groupe de messieurs en uniforme portant une flopée d’étoiles sur les manches 15 et des rangées de décoration sur la poitrine . Ici on se fait des confidences et on rit , là on boit du whisky et on parle de politiques régionale et nationale : « les élections municipales ont toujours été des élections locales ; c’est une erreur que de vouloir en faire un test national… » . Enfin , un dernier groupe se forme qui rassemble la jeunesse de Cherbourg , au moins la jeunesse dorée. À 23 heures , les petits fours et friandises ont été engloutis et le buffet est desservi . Les notables font valoir leurs devoirs professionnels pour s’esquiver , sauf quelques femmes seules et quelques messieurs en recherche d’aventure ; un petit groupe composé de musiciens de l’Orchestre de la Flotte attaque alors une valse . Une valse ! Il faut vraiment être dans un environnement coupé du monde , dans un milieu complètement ringard pour oser un truc pareil . Et dire qu’il y a deux boîtes de nuit de haut vol à Cherbourg . Cela étant , pas un mariage dont la soirée dansante ne démarre avec une valse , le père de la mariée invitant sa fille sur la piste , puis le marié invitant sa propre mère . Alors pourquoi pas ? Carole est l’une des premières sur la piste , invitée par un copain d’enfance aujourd’hui agent immobilier , fils d’agent immobilier , pur produit de la bourgeoisie locale et en présentant déjà les caractéristiques : calvitie naissante et léger embonpoint . Elle se laisse bercer par le rythme de la musique et conduire par son cavalier . Dans son champ de vision , son regard accroche celui d’un garçon… un fort bel homme ma foi , grand , le visage intelligent , le regard vif , la chevelure romantique , des lunettes stylisées . Au tour suivant , il a toujours les yeux sur elle . Elle en sourit intérieurement − alors on drague ? pense-t-elle . Et quand son cavalier lui rend sa liberté après cette première valse et que l’orchestre en entame une deuxième , ledit garçon se précipite vers elle. 16 − Mademoiselle , je ne laisserai personne d’autre vous inviter avant moi . M’accorderez-vous cette danse ? − Personne d’autre ne m’ayant invitée avant vous , je ne peux qu’accepter . − Olivier Bayron… − Vous êtes le fils du sous-préfet ? − Oui , mademoiselle , et non du préfet maritime… − Je suis du pays , vous savez . Je fais la différence entre la préfectorale et les gens de mer ! Carole de la RocheBajac , se présente-t-elle en entrant sur la piste de danse. − Je suis enchanté , Carole. − Je le suis aussi , d’autant que vous dansez bien , remarque-t-elle dès les premières mesures. Plus tard dans la soirée , Carole et Olivier dansent un slow . Olivier a parlé de lui , de ses études , HEC , Sciences Po , l’ENA , l’inspection des finances − rien que ça , penset-elle . Carole lui a aussi parlé d’elle , avec une facilité qui l’a déconcertée . Ils se sont dit qu’ils avaient l’impression de se connaître depuis toujours . Oh , quelle belle rencontre ! La soirée va se terminer , il n’est pas loin de deux heures du matin et il s’agit d’une soirée officielle : − Carole , que diriez-vous d’aller prendre un verre quelque part ? ou de poursuivre la soirée ailleurs ? Carole réfléchit très vite . Son cœur bat très fort . Il ne faut pas gâcher une rencontre pareille , pas se précipiter , laisser au contraire le temps faire son œuvre , goûter chaque instant , savourer dans la solitude le regard , les paroles , le contact de l’autre . Décidément , je suis indécrottablement fleur bleue ! se dit-elle. − Olivier , je préfère rentrer , la journée a été bien chargée . Remettons à plus tard. − Demain alors ? − Ho là , vous ne connaissez pas mon programme ! natation , tennis , thé , visites… répond Carole avec un petit rire de plaisir. 17 − Alors , je vais me saouler la gueule !… ou écrire un poème… ou les deux ! − Un poème ?… je vous laisse une journée pour l’écrire et vous donne rendez-vous après-demain. Ils fixent le rendez-vous sur le port , au bar-restaurant de la Marine − comme il se doit − le lundi à 11 heures et se quittent en échangeant deux baisers , sur les joues − comme il se doit − . « Il a la peau douce et les lèvres fermes… » « Elle a la peau douce et les lèvres sensuelles… » 18