6 Transitions de phases
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6 Transitions de phases
6 Transitions de phases Johannes Diderik van der Waals, 1837 - 1923 Enseignant à l’école secondaire, il étudie à l’université dans son temps libre et obtient des certificats d’enseignement en mathématiques et en physique. En 1873, il soumet une thèse de doctorat dont l’importance le rendra célèbre. Il reçoit le prix Nobel de physique en 1910. 6.8.1 Modèle de coexistence de phases On modélise la coexistence de phases d’une solution liquide contenant deux substances à une pression donnée. Soit NA le nombre de moles de substance A et NB le nombre de moles de substance B. On définit la concentration de la substance A comme c = NA / (NA + NB ) où 0 ≤ c ≤ 1. L’énergie libre de Gibbs est donnée par l’expression, NA NB G (T, NA , NB ) = NA R T ln + NB R T ln NA + NB NA + NB NA NB + ∆U NA + NB où ∆U > 0 est une énergie d’interaction entre les substances et les deux premiers termes trouveront une justification au chapitre 8. 68 La condition globale de stabilité requiert que l’énergie libre de Gibbs du système G (T, NA , NB ) soit une fonction convexe des variables extensives NA et NB . 1. Etudier la fonction sans dimension G (T, NA , NB ) / (R T (NA + NB )) en fonction sans dimension c et β = ∆U/R T > 0. g (β, c) = des paramètres 2. Esquisser le graphique de la fonction g (β, c) où 2 < β ≤ 4 ln (2) est constant. 3. Montrer que si 2 < β ≤ 4 ln (2), il existe un domaine de concentration c où le système se sépare en deux phases et déterminer les proportions r1 et r2 des phases 1 et 2 en fonction de la concentration c et des concentrations c0 et 1 − c0 des minimas de la fonction g (β, c). Solution : 1. La fonction sans dimension g (β, c) s’écrit, g (β, c) = c ln (c) + (1 − c) ln (1 − c) + β c (1 − c) où la concentration 0 ≤ c ≤ 1. La fonction g (β, c) est symétrique par rapport à c = 1/2 ∀ β. On peut vérifier ceci analytiquement en montrant que la fonction g (β, c) est invariante lorsque qu’on remplace c 68. Atkins’ Physical Chemistry, Peter Atkins, Julio de Paula, Oxford University Press, 7th Edition, 2002, chap. 6, p. 186 par 1 − c et vis versa. La fonction g (β, c) s’annule lorsque c → 0 et c → 1, lim g (β, c) = lim ln cc (1 − c)1− c = 0 c→0 c→0 lim g (β, c) = lim ln cc (1 − c)1− c = 0 c→1 c→1 La dérivée première de la fonction g (β, c) par rapport à c est donnée par, dg (β, c) = ln (c) − ln (1 − c) + β (1 − 2 c) dc ce qui implique que, dg lim (β, c) = 0 c→1/2 dc Par conséquent, la fonction g (β, c) est extrémale si c = 1/2 ∀ β. La dérivée seconde de la fonction g (β, c) par rapport à c est donnée par, d2 g 1 1 (β, c) = + − 2β 2 dc c 1− c ce qui implique que, lim c→1/2 d2 g (β, c) = 2 (2 − β) dc2 Par conséquent, si 0 < β < 2, le point g (β, 1/2) est un minimum et si β > 2, le point g (β, 1/2) est un maximum. De plus, β 1 + lim g (β, c) = ln 2 4 c→1/2 Ainsi, si β = 4 ln (2), alors g (β, 1/2) = 0. Par conséquent, si 2 < β ≤ 4 ln (2), la fonction g (β, c) ≤ 0 ∀ 0 ≤ c ≤ 1. De plus, cette fonction a un maximum en c = 1/2. Donc, il doit exister deux minima symétriques par rapport à c = 1/2 (Fig 52). Nous noterons les concentrations de ces minimas c0 et 1 − c0 où c0 < 1/2. Ces minima sont une fonction de β. L’ensemble de ces minima, obtenus en variant β, constitue la courbe de saturation. 2. Le graphique de la fonction g (β, c) pour 0 ≤ c ≤ 1 est esquissé pour β = 2.5 (Fig. 52). g 1.0 Figure 52 – La fonction g (β, c) pour 0 ≤ c ≤ 1 et β = 2.5 a deux minima symétriques en c0 et 1 − c0 . 3. La condition globale de stabilité de l’énergie libre de Gibbs requiert que la fonction g (β, c) soit une fonction convexe de c. Pour une concentration c ≤ c0 ou c ≥ 1 − c0 , le modèle est stable. Dans ce cas, la solution est constituée d’une seule phase contenant les substances A et B. Pour une concentration c0 < c < 1 − c0 , le modèle est instable. Cette instabilité est due au fait que la solution est constituée de deux phases contenant chacune les substances A et B. On dit alors qu’il y a ségrégation de phases. Pour une concentration c ≤ c0 seule la phase 1 contenant le soluté A en solution dans le solvant B existe et pour une concentration c ≥ 1− c0 seule la phase 2 contenant le soluté B en solution dans le solvant A existe. Les minima correspondent aux états où les solutions sont saturées. Pour une concentration c0 < c < 1− c0 , la proportion r1 de la phase 1 et la proportion r2 de la phase 2 varient linéairement entre 0 et 1 le long du segment qui relie les deux minima, i.e. r1 = 1 − c0 − c 1 − 2 c0 et r2 = c − c0 1 − 2 c0 Cette variation linéaire s’appelle la règle du levier. En absence de réaction chimique, le nombre de phases P est lié au nombre de substances pures C et au nombre de degrés de liberté par la règle des phases de Gibbs, 69 P =C − F +2 Dans ce modèle de coexistence de phases, il y a deux substances, i.e. 69. Atkins’ Physical Chemistry, Peter Atkins, Julio de Paula, Oxford University Press, 7th Edition, 2002, chap. 6, p. 176, 181 A et B, et deux degrés de libertés, i.e. β et c. Cela signifie que C = 2 et F = 2 et implique qu’il y a deux phases, i.e. P = 2. 6.8.2 Température de fusion de l’eau salée On considère un bloc de glace en équilibre avec de l’eau salée. Le potentiel chimique µs (T ) de la glace dépend de la température et le potentiel chimique de l’eau µ` (T, 1 − c) dépend de la température T et de la concentration de sel c suivant la loi suivante, µ` (T, 1 − c) = µ` (T ) + RT ln (1 − c) qui trouvera une justification au chapitre 8. Déterminer la variation ∆T de la température de fusion par rapport à la température de fusion Tf de l’eau douce en fonction de la concentration de sel c et de la chaleur latente de fusion Ls` dans la limite c 1 et ∆T Tf . Solution : Pour de l’eau douce, i.e. c = 0, l’équilibre chimique entre le sel et la glace à la température de fusion Tf s’écrit, µs (Tf ) = µ` (Tf ) Pour l’eau salée, i.e. c > 0, l’équilibre chimique entre le sel et la glace à la température de fusion Tf + ∆T s’écrit, µs (Tf + ∆T ) = µ` (Tf + ∆T ) + R (Tf + ∆T ) ln (1 − c) Dans la limite c 1 et ∆T /Tf 1, cette expression se réduit au 1er ordre en c à, µs (Tf + ∆T ) = µ` (Tf + ∆T ) − R Tf c car ln (1 − c) = − c + O c2 . Compte tenu de l’expression (6.36) de la différentielle du potentiel chimique d’une phase, les développments limités des potentiels chimiques µ` (Tf + ∆T ) et µs (Tf + ∆T ) au 1er ordre en ∆T /Tf s’écrivent, ∂µ` ∆T = µ` (Tf ) − s` ∆T ∂T ∂µs µs (Tf + ∆T ) = µs (Tf ) + ∆T = µs (Tf ) − ss ∆T ∂T µ` (Tf + ∆T ) = µ` (Tf ) + Par conséquent, compte tenu de l’équilibre chimique entre la glace et l’eau douce, − ss ∆T = − s` ∆T − R Tf c ce qui implique que ∆T = − R Tf c s` − ss A l’aide de la définition (6.35) de la chaleur latente de fusion Ls` , la variation de température s’écrit comme, ∆T = − R Tf2 c Ls` <0 Par conséquent, la température du point de fusion de l’eau salée diminue linéairement avec la concentration de sel si celle-ci est suffisamment faible, i.e. c 1. Pour cette raison, on ajoute du sel sur une chaussée enneigée ce qui abaisse la température de fusion et provoque la fonte de la neige. 6.8.3 Equilibre liquide-gaz Soit une mole de substance à une température T0 et une pression p0 où les deux phases liquide et gazeuse coexistent. La phase gazeuse peut être considérée comme un gaz parfait. Le volume molaire v` de la phase liquide est négligeable par rapport au volume molaire vg de la phase gazeuse. i.e. v` vg . De plus, on considère que la chaleur latente de vaporisation L`g est indépendante de la température et de la pression. Déterminer l’expression de la pression p (T ) le long de la courbe de coexistence de phase. Solution : D’après l’état (5.34) du gaz parfait, le volume molaire du gaz parfait s’écrit V RT vg = = N p Etant donné que le volume molaire de la phase liquide est négligeable par rapport au volume molaire de la phase gazeuse, i.e. v` vg , la relation de Clausius-Clapeyron (6.41) se réduit à, L`g dp = dT T vg et peut être mise sous la forme, L`g dT dp = p R T2 Après intégration entre les points (p0 , T0 ) et (p, T ), on obtient, L`g 1 p 1 =− ln − p0 R T T0 Par conséquent, l’expression de la pression p (T ) le long de la courbe de coexistence de phase s’écrit, L`g T0 p (T ) = p0 exp 1− R T0 T ce qui implique que si la chaleur latente de vaporisation est indépendante de la température, alors la pression augmente si la température augmente. 6.8.4 Coupure de glace On considère une expérience où un fil métallique tendu passe à travers un bloc de glace sans que ce bloc ne soit coupé en deux. En d’autres termes, la glace fond en-dessous du fil et se reforme après le passage du fil. Pour simplifier la mécanique du problème on modélise le fil par une barre métallique rigide, légère, de section rectangulaire, de masse négligeable posée sur un bloc de glace. Les bords de la barre dépassent du bloc de glace. La zone de contact entre le bloc et la barre est de longueur ` et de largeur d. Deux poids, de masse M chacun, sont suspendues aux extrémités de la barre (Fig. 53). Le système entier est à pression atmosphérique p0 et la glace est à une température Tf − ∆T où Tf la température de fusion à pression atmosphérique. Déterminer la valeur minimale des masses M pour que la barre passe à travers le bloc de glace dans l’approximation ∆T Tf . Solution : 1. Le processus de fusion de la glace dû à la pression exercée par les poids est représentée par une droite verticale sur le diagramme p (T ) (Fig 54). La variation de pression ∆p entre la pression atmosphérique p0 et la pression p0 + ∆p de fusion de la glace s’exprime sur le diagramme (p, T ) comme, Z p0 +∆p Z Tf − ∆T dp ∆p = dp = dT dT p0 Tf Figure 53 – Un fil métallique tendu auquel sont attaché deux poids de masses M chacun passe à travers un bloc de glace sans qu’il ne soit coupé en deux. En utilisant la relation de Clausius-Clapeyron (6.41) où la chaleur latente de fusion de la glace Ls` est considérée comme constante, la variation de pression ∆p s’exprime comme, i.e. Z Tf − ∆T dT Ls` ∆T L`s =− ln 1 − ∆p = − v` − vs T f T v` − vs Tf Dans l’approximation ∆T /Tf 1, en faisant le développement li 2 mité au premier ordre ln (1 − ∆T /Tf ) = − ∆T /Tf + O ∆T /Tf , l’expression de la variation de pression ∆p se réduit à, ∆p = Ls` ∆T Tf (v` − vs ) La variation de pression ∆p qui permet la fusion de la glace doit être égale à la pression exercée par le poids total minimal des deux masses sur la barre de surface ` d, ∆p = 2M g `d En identifiant les deux relations précédentes, on obtient l’expression de la valeur minimale M d’une masse, i.e. M= ` d ∆T Ls` 2 g Tf (vs − v` ) – ΔT Figure 54 – Diagramme (T, s) où la courbe représente la coexistence des phases solide et liquide. Le processus de fusion de la glace est dû à une variation de pression du point (Tf − ∆T, p0 ) au point (Tf − ∆T, p0 + ∆p). 6.8.5 Gaz de van der Waals 1. Déterminer l’expression de l’énergie interne U (T, V ) du gaz de van der Waals en considérant que la chaleur spécifique à volume constant V est indépendante de la température. 2. Montrer que lors d’une détente de Joule, où le volume augmente dans un système isolé, la température T du gaz de van der Waals diminue. Solution : 1. En utilisant la relation de Maxwell (4.73) et l’équation de van der Waals (6.42), on obtient le coefficient d’entropie latente d’expansion, ∂S ∂p NR = = ∂V ∂T V − Nb De plus, compte tenu de l’expression (5.8) de la capacité d’entropie, la différentielle de l’entropie s’écrit explicitement, dS = ∂S ∂S CV NR dT + dV = dT + dV ∂T ∂V T V − Nb A l’aide de la différentielle de l’énergie interne, ∂U ∂U dU = dT + dV ∂T V ∂V T la différentielle (4.40) de l’entropie s’écrit, dU p 1 ∂U 1 ∂U p dS = + dV = dV dT + + T T T ∂T V T ∂V T T Par identification des différentielles de l’entropie S compte tenu de l’équation de van der Waals (6.42), on obtient, ∂U = CV ∂T V ∂U NR T N2 a = − p= ∂V T V − Nb V2 En substituant ces expressions dans la différentielle de l’énergie interne, celle-ci devient, dU = CV dT + N2 a dV V2 Comme le gaz de van der Waals se réduit au gaz parfait lorsque le volume du système est suffisamment grand, la chaleur spécifique à volume constant du gaz de van der Waals, qui est indépendante du volume, doit être égal à la chaleur spécifique du gaz parfait, i.e. CV = c N R. 70 Par conséquent, en intégrant la différentielle on obtient l’expression de l’énergie interne du gaz de van der Waals, U (T, V ) = c N R T − N2 a V 2. Lors de la détente de Joule, on note les volumes initial et final Vi et Vf , et les température initiale et finale Ti et Tf . Dans un système isolé, l’énergie interne est constante, i.e. U (Ti , Vi ) = U (Tf , Vf ). Par conséquent, lors de la détente de Joule, la variation de température est liée à la variation de volume par, 1 1 2 c N R (Tf − Ti ) − N a − =0 Vf Vi qui peut être mis sous la forme Na Tf − Ti = cR Vi − Vf Vi Vf 70. C. Johnston, Advances in Thermodynamics of the van der Waals Fluid, Morgan & Claypool Publishers (2014). Lors de la détente de Joule, le volume augmente, i.e. Vf > Vi ce qui implique que la température diminue, i.e. Tf < Ti . On constate que l’introduction d’une force d’attractive, caractérisée par le paramètre a, rend compte du refroidissement. Pour un gaz réel, cela représente un changement d’environ 0.01 %. 71 71. G. Bruhat, Thermodynamique, Masson & Cie, 6ème édition, Paris, §63 (1968).