Risque oncologique des médicaments en rhumatologie Oncologic

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Risque oncologique des médicaments en rhumatologie Oncologic
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
Revue du Rhumatisme 75 (2008) 552–554
Risque oncologique des médicaments en rhumatologie
Oncologic risk of drugs used in rheumatology
Véra Lemaire
Fédération de rhumatologie, centre Viggo-Petersen, pôle appareil-locomoteur,
hospital Lariboisière, AP–HP, 75010 Paris, France
Accepté le 19 janvier 2008
Disponible sur Internet le 7 mai 2008
Mots clés : Polyarthrite rhumatoïde ; Méthotrexate ; Cyclophosphamide ; Lupus ; Azathioprine ; Biothérapie ; Lymphome ; Cancer
Keywords: Rheumatoid arthritis; Methotrexate; Cyclophosphamide; Lupus; Azathioprine; Biotherapy; Lymphoma; Cancer
1. Introduction
En 2008, le risque oncologique des médicaments utilisés en
rhumatologie est dominé par celui des agents anti-TNF ␣ : risque
de lymphome et de cancers solides. Il semble que l’augmentation
du risque de lymphome soit plutôt liée à l’évolutivité de la polyarthrite rhumatoïde (PR) et que, parmi les cancers solides, seul
celui des cancers cutanés soit augmenté.
Mais, dans l’histoire de la rhumatologie, l’augmentation du
risque oncologique remonte aux années 1970, lorsque, après dix
ans de traitement de la PR par le chloraminophène, une augmentation de la fréquence des leucémies lymphoïdes chroniques a
été rapportée, conduisant à l’abandon de ce traitement efficace
[1]. Ce délai de dix ans vient d’être atteint pour les agents antiTNF avec l’étanercept (ETA). Par ailleurs, les patients traités
par immunosuppresseurs après transplantation d’organes ont un
risque augmenté et bien documenté de lymphomes, comme les
patients atteints de sida.
2. Polyarthrite rhumatoïde
Une augmentation du risque de lymphome a été signalée
au cours de la PR, indépendamment des traitements immunosuppresseurs, avec un risque qui augmente avec l’activité
de la maladie : le risque de lymphome est estimé à deux
(3,06 pour la maladie de Hodgkin et 1,89 pour les lymphomes
non Hodgkiniens). Il faut remarquer que ce risque relatif est
resté relativement constant au cours des deux dernières décenAdresse e-mail : [email protected].
1169-8330/$ – see front matter © 2008 Publié par Elsevier Masson SAS.
doi:10.1016/j.rhum.2008.01.008
nies malgré l’introduction des traitements immunosuppresseurs
[2].
2.1. Traitements immunosuppresseurs
2.1.1. Azathioprine (AZA)
Silman et al. [3] ont étudié 202 PR traités par AZA à la
dose moyenne de 300 mg/j avec un recul allant jusqu’à 20
ans. Les patients ont été appariés pour l’âge, le sexe et la
positivité du facteur rhumatoïde à 202 PR non traités par ce
médicament. Il y a eu quatre affections lymphoprolifératives
dans le groupe AZA et deux seulement dans le groupe sans ce
médicament. L’augmentation du risque de lymphome était de
1/1000 années–patient. Comparé à la population générale, les
PR avaient un risque multiplié par cinq et les PR traités par
l’AZA multiplié par dix. Il y avait aussi plus de cancers dans le
groupe AZA (29 contre 19), fréquence qui augmentait avec la
durée du traitement, sans qu’il y ait un site spécifique.
2.1.2. Cyclophosphamide
Dans une étude [4], le cylophosphamide administré par voie
orale augmentait le risque de cancer à 1,5 chez 119 PR traitées
comparés à 119 PR appariées ne recevant pas ce médicament ;
il s’agissait surtout de cancer de vessie et de cancers cutanés. Il
y avait une relation avec la dose utilisée, et le cancer de vessie
pouvait apparaître jusqu’à 17 ans après l’arrêt du traitement.
2.1.3. Méthotrexate
Le méthotrexate (MTX) à faible dose a été introduit dans le
traitement de la PR à partir des années 1980 et il est devenu la
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pierre angulaire du traitement de cette maladie. Le mécanisme
d’action du MTX pourrait expliquer l’apparition de lymphome
par une diminution de la surveillance immunitaire du fait de
l’inhibition des polyamines, ce qui conduirait à la persistance
des cellules B infectées par le virus d’Epstein-Barr (EBV) les
transformant en clones [5].
Des observations de lymphome apparus sous traitement par
MTX ont été publiées. Elles partagent les caractéristiques des
lymphomes des patients immunodéprimés et, notamment, la présence du génome du virus EBV dans les cellules lymphoïdes ;
des régressions spontanées sont possibles après arrêt du seul
MTX.
Dans une enquête prospective sur trois ans menée en France,
Mariette et al. [6] ont rassemblé 25 cas de lymphome, 18 de
lymphomes non hodgkinien (LNH) dont trois associés au virus
EBV et sept maladies de Hodgkin dont cinq associés à l’EBV
chez des PR traités par MTX. Sur huit patients qui ont arrêté
le traitement, trois ont eu une rémission, mais deux patients ont
rechuté de leur lymphome. Il n’y avait pas d’augmentation de
la fréquence des LNH par rapport à la population générale ; en
revanche, celle de la maladie de Hodgkin était augmentée avec
un SMR augmenté à 7,4.
Le risque relatif de lymphome estimé à deux aux États-Unis
avant 1990 est resté stable à 1,9 pour les années 1988–2002 alors
que la proportion de patients traités par MTX est passée de 10
à 77 % [7]. Il n’y a pas d’association rapportée entre lymphome
et traitement par le MTX chez des patients ayant un psoriasis.
2.2. Traitements anti-TNF-α
2.2.1. Lymphomes
Comme pour le MTX, une augmentation de la fréquence des
lymphomes au cours du traitement de la PR par les agents antiTNF-␣ est discutée et comme pour le MTX, des observations
de régression à l’arrêt du traitement ont été rapportées [8]. Les
lymphomes peuvent apparaître dans un délai très court après
le début du traitement (six à huit semaines), ce qui amène à
se demander si les traitements anti-TNF ne révèleraient pas un
lymphome déjà présent.
Dans une méta-analyse, Bongartz et al. [9] ont retrouvé dix
lymphomes chez 3,493 PR traitées par anticorps anti-TNF et
aucun lymphome chez 1,512 PR ne recevant pas ces agents. Ces
résultats ont été discutés en raison du choix des études retenues.
Dans la première étude de Wolfe [10], publiée en 2004, intéressant 18 572 PR, il y a eu 29 cas de lymphomes identifiés, ce
qui fait un SIR de 1,9 et de 2,9 pour les PR traités par agents
anti-TNF-␣. Mais les PR traités par biothérapie sont des PR
dont l’activité est plus élevée. On pourrait même penser qu’en
cas d’efficacité des agents anti-TNF, il y aurait une diminution
relative de la proportion de lymphomes. Askling et al. [11] ont
rapporté une augmentation du SIR des lymphomes chez les PR
non traités par agents anti-TNF à 1,9 sans augmentation avec les
traitements anti-TNF-␣.
En 2007, Wolfe [12] a actualisé ses résultats et 95 cas de
lymphomes ont été identifiés ; il ne constate pas d’augmentation
de l’incidence des lymphomes chez 10 815 PR traités par agents
anti-TNF-␣ en comparaison à 8776 patients ne recevant pas de
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biothérapie, ni de différence entre ceux traités par agents antiTNF plus MTX et ceux traités par MTX seulement.
Mariette et al. [13] ont rapporté les résultats de l’observatoire
national des lymphomes en France (Ratio). Dans une étude prospective sur trois ans, 34 lymphomes survenus chez des patients
recevant un traitement anti-TNF ont été identifiés : 20 avec
l’infliximab, 13 avec l’adalimumab, 11 avec l’ETA (dix patients
ont reçu plus d’une molécule anti-TNF). Il s’agissait, dans 25
cas, d’une PR, dans trois cas d’une spondylarthrite ankylosante
(SPA), dans deux cas d’un rhumatisme psoriasique, dans trois
cas d’une maladie de Crohn, et d’un syndrome de GougerotSjögren dans un cas. La durée moyenne du traitement a été
de 24 mois. Il y avait 24 LNH et sept maladies de Hodgkin
avec, dans cette affection, cinq cas liés au virus d’Epstein-Barr.
Par rapport à la population générale, la fréquence des LNH
n’est pas augmentée, celle des maladies de Hodgkin pourrait
l’être.
2.2.2. Cancers solides
L’inhibition du TNF-␣ (tumor necrosis factor, faut-il le rappeler), qui est capable de tuer les tumeurs transplantées chez la
souris, a fait soulever l’hypothèse qu’elle pourrait conduire à un
excès de tumeurs malignes en diminuant l’immunosurveillance
et en accélérant la croissance de tumeurs déjà existantes. Les
patients ayant des antécédents de cancers solides de moins de
cinq ans ont été exclus des études de phase 2 et 3. Il n’y a pas ou
peu d’augmentation de fréquence des cancers solides chez les
malades atteints de PR, qu’il s’agisse de patients naïfs de biothérapies comme chez les patients traités par agents anti-TNF.
Néanmoins, il y a une augmentation de fréquence des cancers
cutanés (autres que mélanomes) et des cancers du poumon chez
les sujets atteints de PR et fumeurs [14].
Alors que Bongartz et al. [9], dans cette même méta-analyse
de sept essais contrôlés concernant les anticorps monoclonaux,
rapportent une augmentation du risque relatif de néoplasie à
3,3 avec une augmentation dose-dépendante, d’autres étude ne
retrouvent pas d’augmentation du risque des tumeurs solides
[15] chez 1152 PR traités par anti-TNF et 7306 traités par le
MTX). Askling et al. [14], dans une étude de population basée
sur trois cohortes (53 067 PR hospitalisés de 1990 à 2003, 3703
PR incidentes entre 1995 et 2003 et 4160 traités par anti-TNF
entre 1999 et 2003), rapportent une petite augmentation de la
fréquence des cancers solides, une augmentation de 20 à 50 %
de cancers liés au tabac et de 70 % des cancers cutanés autres
que mélanome ; une diminution de 20 % des cancers du sein et
de 25 % des cancers du colon. Les patients traités par agents
anti-TNF avaient les mêmes risques.
2.2.3. Autres biothérapies
Aucun cas de lymphomes ou de cancers solides n’a été rapporté avec le traitement de la PR par l’abatacept [16] mais le recul
de ces études de phase III n’est que de trois ans. Les études du
traitement de la PR par le rituximab [17] ne font pas état de lymphomes, ni d’augmentation du risque de cancers solides. Il n’y
a pas non plus de risque augmenté d’affections malignes avec
l’anakinra, ni avec le tolicizumab (anti-récepteur d’IL-6 mais
dont le recul d’emploi est court).
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3. Autres rhumatismes inflammatoires
Le risque de lymphome n’est pas augmenté au cours de la
SPA et il n’a pas été signalé d’augmentation du risque avec les
traitements, MTX ou agents anti-TNF.
Le risque de lymphome n’est pas non plus augmenté dans le
rhumatisme psoriasique. En revanche, c’est le risque de cancers
cutanés qui doit être pris en compte et une grande vigilance est
de mise, surtout chez les patients ayant reçu une Puvathérapie
ou surtout en cas de traitement antérieur par ciclosporine [2].
Au cours du syndrome de Wegener, dans un essai contrôlé
évaluant l’ETA pour éviter les rechutes [18], six cas de cancers
solides (deux adénocarcinomes mucineux du colon, un cas de
cholangiocarcinome, un cas de cancer rénal, un cas de cancer
du sein et une récidive de liposarcome) ont été rapportés alors
qu’il n’y a eu aucun cas dans le groupe placebo. L’association
avec le cyclophosphamide a été mise en cause et, de ce fait, elle
est contre-indiquée.
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[6]
[7]
[8]
[9]
[10]
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4. Maladie lupique [19]
[12]
Le cyclophosphamide qui a fait la preuve de son efficacité
dans la néphropathie lupique expose au risque de cancer de vessie : il provoque une cystite hémorragique chez 15 % des sujets,
cystite qui peut faire le lit d’une métaplasie vésicale préépithéliomateuse, puis d’un véritable cancer. Ce risque est bien moindre
lorsque le cyclophosphamide est utilisé en bolus intraveineux
avec importante hydratation [19]. On a tenté de prévenir la cystite hémorragique par l’utilisation de mesna (2-mecaptoéthane).
Le risque augmenté de cancer de vessie n’existe pas avec le
mycophénolate mofétil, ce qui est un avantage de ce médicament
dont l’efficacité parait équivalente.
[13]
[14]
[15]
[16]
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