REBELLION Coulommiers le lundi 9 août 1914, Ma bien chère

Transcription

REBELLION Coulommiers le lundi 9 août 1914, Ma bien chère
REBELLION
Coulommiers le lundi 9 août 1914,
Ma bien chère épouse,
Je t’écris pour te donner de mes nouvelles : Le mardi 4 août, à 8 heures, comme tu le sais, je
me suis présenté avec mon cheval à la caserne de Coulommiers. J’ai été incorporé dans le 5 ème
bataillon, 19ème compagnie du 276ème régiment d’infanterie commandée par le Capitaine
Guérin. La 4ème section est commandée pas le Lieutenant Péguy. Dans la 16ème escouade,
commandée par le Caporal Bury, j’ai été affecté à la popote et le cheval tirera la roulante de la
section (C’est le fourneau sur lequel on fait cuire les gamelles).
Comme tu peux le voir sur les photos que je glisse dans l’enveloppe, j’ai été équipé de tout un
barda. On le porte dans un havresac qui pèse très lourd.
Pour finir les moissons, tu peux faire appel à l’oncle Thanase, il est encore gaillard et connait
bien le travail. A la place du cheval, tu peux essayer d’atteler la Noiraude, c’est la plus docile
des vaches et elle est pleine, tu peux la tarir.
Demain, à 5 heures du matin, nous partons en train pour St Mihiel. Tu pourras m’écrire à la
caserne de là bas.
Je t’embrasse bien fort ainsi que ma petite Céline.
Ton mari : Emile
1
La Ferrière le 16 août 1914
Mon bien cher époux,
J’ai bien reçu ta lettre m’annonçant ton départ pour St Mihiel. Je suis contente que tu sois
dans un bataillon de réserve qui ne participera pas aux combats, mais quand même, bien fais
attention à ne pas prendre une balle perdue, c’est si vite arrivé. J’ai bien ri de te savoir affecté
à la popote, toi qui ne sais même pas faire cuire un œuf ! J’espère pour les soldats que tu n’es
pas tout seul à cuisiner.
Comme tu me l’as recommandé, j’ai demandé à ton oncle Thanase de venir m’aider à finir les
moissons mais il m’a fait dire qu’il était fort occupé ailleurs; Nous nous sommes organisées
entre les femmes qui restent, avec la Margueritte du Plessis et sa une paire de bœufs, la Jeanne
de l’Aulnoy, la Roberte des Essarts et son père, la Renelle de Sablonnière et son frère. C’est
la grand-mère de l’Aulnoy qui garde notre petite Céline et les huit autres enfants pendant
qu’on est aux champs. Sa petite fille qui a 10 ans l’aide et nous porte les petits, avec une
brouette, pour la tétée. On est donc 5 femmes avec 2 hommes et 6 enfants pour s’entraider.
Les moissons sont terminées au Plessis, c’est normal que ce soit là en premier, c’est la
Marguerite qui a les bœufs. Pour les quatre autres, on a décidé de faire un jour dans chaque
ferme en tirant au sort l’ordre. Comme ça on a toutes les mêmes chances de rentrer les blés
s’il pleut. Il ne reste plus que deux jours à faire chez nous. Ce sera donc terminé au début de
la semaine prochaine.
Tu vois, tu n’as pas à t’inquiéter : c’est dur, mais les récoltes se font et le reste aussi.
Dis-moi si tu reçois cette lettre et en retour, je te ferai un colis avec des choses qui te
manquent.
Je t’embrasse bien fort.
Ta femme qui t’aime,
Berthe
2
Darmstadt le 2 décembre 1914
Ma bien chère épouse,
Je t’écris d’Allemagne pour te donner de mes nouvelles.
Le 8 septembre, j’ai été fait prisonnier en allant chercher de l’eau à une source en même
temps que des soldats allemands. J’ai quand même eu de la chance qu’ils me fassent
prisonnier car ils ont tué mon camarade. Après un mois passé dans un camp de prisonnier du
côté d’Epernay, ils m’ont envoyé dans une ferme. J’aide une femme qui a deux bébés et dont
le mari est soldat en France. Ce que j’y fais n’est guère différent de ce que je faisais chez
nous : il y a 30 vaches. En ce moment, le vêlage a commencé pour un quart du troupeau. Ce
sont de belles bêtes qui donnent 20/25 litres de lait par jour. On vient de finir les semis de blés
sur environ 20 hectares. Tout ce qui est produit est acheté par les armées. C’est une ferme
moderne qui a tracteur à essence. Ça facilite drôlement le travail et je pense que j’en achèterai
un lorsque je rentrerai.
Il est inutile de m’envoyer quoi que ce soit, d’abord parce que ce n’est pas sûr que ça arrive et
ensuite parce que je ne manque de rien ici ;
Avant d’être fait prisonnier, il s’est passé une chose terrible : mon bataillon s’est retrouvé en
première ligne et a été presque totalement détruit. On a reçu l’ordre de prendre, à la
baïonnette, une colline du village de Villeroy. Les allemands fusillaient l’un après l’autre tous
les soldats qui tentaient l’ascension à découvert. Pour nous encourager, le lieutenant Péguy a
regardé sa montre gousset et nous a dit : "Il est 17 heures 20. A 18 heures, la colline sera à
nous !" Il a brandi son épée en criant "En avant" et était tombé, une balle en plein front. La
veille, il m’avait donné un poème qu’il avait écrit où il y parlait de moissons. Je te l’envoie.
Garde-le précieusement.
J’espère recevoir bientôt de tes nouvelles qui, je l’espère sont bonnes.
Je t’embrasse bien fort ainsi que ma petite Céline.
Ton mari, Emile.
Heureux ceux qui sont morts
Pour la terre charnelle.
Mais pourvu que ce fut
Dans une juste guerre.
Heureux ceux qui sont morts
Dans un dernier haut lieu
Parmi tout l'appareil
Des grandes funérailles.
Heureux ceux qui sont morts
Pour quatre coins de terre.
Heureux ceux qui sont morts
D'une mort solennelle.
Heureux ceux qui sont morts
Car ils sont retournés
Dans la première argile
Et la première terre.
Heureux ceux qui sont morts
Dans les grandes batailles.
Couchés dessus le sol,
A la face de Dieu.
Heureux ceux qui sont morts
Dans une juste guerre
Heureux les épis mûrs
Et les blés moissonnés.
3
La Ferrière le 6 janvier 1915
Mon bien cher époux,
J’ai bien reçu ta lettre d’Allemagne. Quand j’ai lu ça, je suis allée voir le Maire pour lui
demander un prisonnier. Il m’a ri au nez en disant qu’en France, on faisait travailler les
prisonniers allemands dans les usines, on ne les envoyait pas se tourner les pouces dans des
fermes ! J’ai cru que j’allais l’étrangler. Depuis qu’il est Maire, il a oublié d’où il vient celuilà ! C’est vrai qu’il était déjà maquignon avant d’être Maire. Il nous saignait déjà à blanc en
nous achetant nos bêtes aux cours les plus bas. J’espère qu’à ton retour tu ne voteras plus pour
lui qui a tant de mépris pour ceux qui le font vivre.
Le préfet a réquisitionné toutes nos récoltes. Ça s’appelle l’effort de guerre. Il nous achète
aussi tout le lait, le beurre et le fromage. Pour la récolte des pommes de terre, il nous a payé
d’avance une partie de la récolte de l’année prochaine sans nous en prendre une seule, mais en
nous demandant de tout garder sans en utiliser pour nous. Il faut les planter pour les soldats.
On a protesté pour le principe et il nous en a laissé un peu, pour finir d’engraisser le cochon.
Je ne sais pas si tu as reçu ma lettre précédente où je te disais comment nous nous étions
organisées entre femmes pour nous entraider et terminer les moissons. Et bien nous
continuons à travailler ensemble. Ça nous donne du cœur à l’ouvrage. Chacune notre tour,
nous avons fait les labours, le fumage et les semis (à l’ancienne, avec les bœufs, nous n’avons
pas de tracteur, nous !), charcuté tous nos cochons et fait la fête pour la Noël. C’était d’autant
plus la fête que Marcel de Sablonnière et André du Plessis ont eu une permission de 15 jours.
C’est là que l’oncle Thanase est arrivé. Il s’était bien gardé de venir quand on avait besoin de
ses bras ! Il dit que ce n’est pas prudent de laisser seule une femme dans une ferme isolée. Il
dit qu’il t’a promis de veiller sur nous… Quel menteur, il ne t’a même pas vu avant que tu
partes. Par respect pour ta famille, j’ai été obligé de le garder mais je sais bien que ce gros
fainéant vient se faire remplir la panse et chauffer la couenne sur mon dos. Je ne l’ai jamais
aimé : il a le regard sournois et les mains baladeuses. Je lui ai installé une paillasse dans le
galetas au dessus des vaches et je ferme à clef la porte de notre chambre quand je vais me
coucher.
Il y a un mois, j’ai recueilli une femme étrangère qui fuyait la guerre. Elle était grosse des
œuvres de soldats. Elle n’a pas voulu me dire si ces soldats étaient boches ou français. Autant
c’était les deux ! Elle ne parle pas bien français, mais pour ce qui est du travail, on se
comprend bien et tout le monde apprécie sa vaillance. Nous avons décidé d’acheter une coche
pleine et d’élever les porcelets. Elle va construire une soue d’engraissement adossée à l’étable
avec un foyer pour bouillir la soupe sur place et ne plus transporter les lourds chaudrons
brûlants. Elle a travaillé dans une ferme et a plein d’idées pour rendre le travail moins pénible.
C’est un soulagement pour moi qu’elle soit arrivée chez nous et elle s’entend très bien avec
notre petite Céline qui commence à se déplacer seule en se tenant aux meubles.
La Noiraude a fait une vêle que nous allons garder. Nous attendons d’un jour à l’autre que la
Lison, la Tâchée, la Grise, la Grosse et la Pâquerette mettent bas. Nous espérons que ce seront
aussi des vêles pour augmenter le troupeau.
Tu vois, tu n’as pas à t’inquiéter : si ta ferme allemande est moderne, ici, avec les méthodes
anciennes, tout va bien et si elle n’avait pas de veau, la Noiraude nous ferait aussi ses 20 litres
de lait.
Je t’embrasse bien fort. Ta femme, Berthe.
4
Darmstadt le 20 juin 1915
Ma chère épouse,
Qu’est-ce que c’est que cette histoire d’agrandissement du troupeau et d’élevage de
porcelets ? Tu ne crois pas que tu as déjà assez de travail avec 6 vaches et un cochon à
engraisser et puis quelle idée de construire un bâtiment contre l’étable ! Tu as toujours cuit la
soupe des cochons sur le fourneau de la cuisine sans te plaindre. On n’a ni le temps ni l’argent
pour entretenir deux feux. Mais je vois que depuis que vos époux sont partis, vous les
femmes, vous en profitez pour prendre vos aises. J’avais bien reçu ta lettre du mois d’août où
tu me détaillais vos « arrangements » qui ne me plaisaient pas du tout. C’est moi qui ai écrit à
l’oncle Thanase pour lui demander de surveiller ce que vous faisiez, je ne tiens pas à être
dépouillé de mon bien pendant que je suis prisonnier. Et j’exige que tu le traites avec tout le
respect du à son âge.
Tu m’écris que le Préfet achète toutes nos récoltes mais tu ne précises pas combien. As-tu mis
cet argent à la caisse d’épargne ? Combien avons-nous maintenant ? Je m’oppose
formellement à ce qu’un seul centime soit remis à cette putain d’étrangère. Si elle veut se
construire un lupanar, qu’elle retourne le faire dans son pays !
J’entends que tu me répondes par retour de courrier pour me dire que tout est rentré dans
l’ordre.
Emile qui, jusqu’à nouvel ordre est encore maître chez lui.
5
La Ferrière le 12 septembre 1915
Cher Emile,
Si je ne t’ai pas répondu par retour du courrier, c’est parce qu’entre les foins, les moissons, la
traite, les fromages, l’arrosage et les récoltes des légumes du potager dont nous avons doublé
la surface, l’élevage des porcelets, des lapins et des poulets, selon les méthodes anciennes, je
n’avais pas de temps à perdre.
Si nos « arrangements » ne te conviennent pas, tu peux toujours revenir faire le travail toimême, comme cela te convient. Mais tant que c’est sur mes épaules qu’en repose la
responsabilité, je fais du mieux que je peux et avec qui je veux.
Si tu appelles Ingeborg une putain d’étrangère, alors tous les soldats peuvent être traités de
violeurs. Il n’est absolument pas question qu’elle s’en aille : je n’ai jamais eu d’aide aussi
efficace que celle qu’elle m’apporte, y compris pour me protéger de ce vieux cochon de
Thanase que tu m’as mis dans les pattes.
Et puisque tu ne me le demandes pas, je t’informe que ta fille marche toute seule, qu’elle a 8
dents et commence à gazouiller. Papa n’est certainement pas le premier mot qu’elle dira.
Ton épouse, Berthe.
Darmstadt le 2 mars 1916
Ma petite Céline,
Je confie cette lettre au soldat allemand en permission chez qui je suis prisonnier. Il la postera
en France à son retour au front et j’espère qu’elle arrivera à temps pour te souhaiter un
heureux anniversaire. Je suis si triste de ne pas te voir grandir, mais j’espère que cette guerre
se terminera vite pour que je puisse revenir te serrer dans mes bras et t’embrasser autant que
nous en aurons envie.
Je t’envoie mille baisers que tu partageras avec ta maman.
Ton papa qui t’aime très fort.
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FICHE D’INSCRIPTION
CONCOURS DE NOUVELLES 2014 – TRETS
Dépôt des manuscrits en 5 exemplaires avant le
Samedi 19 Juillet 2014 jusqu'au 25 août 2014
NOM :…………SAINTEMARIE………………………………………………………………
……
Prénom
:………………MARIE……………………………………………………………………
En cas de prénom mixte, merci de préciser la mention « M. » ou « Mme »
Date de naissance : 27 /01 /1953
Âge : 61 ans………………………
(Merci de noter vos adresses e-mail et postales de manière lisible. Sauf en cas d’absence d’email, les contacts avec les participants se feront par ce biais. À noter qu’une adresse fausse
ou illisible nous empêcherait de prendre contact avec vous en cas de gain)
: …1 place des Pépinières………………..
………77500 CHELLES
………………………………
Titre de la Nouvelle ……Rebellion…………
Comment avez-vous eu connaissance de notre concours ?…sur le site bonnesnouvelles.fr
A renvoyer avec votre manuscrit à :
CONCOURS DE NOUVELLES 2014
Médiathèque La Mine de Mots
Les Jardins de la Mine
13530 Trets
04 42 37 55 34 [email protected]
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