Online Communication in Language Learning

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Online Communication in Language Learning
LECTURE CRITIQUE
Online Communication in Language Learning
and Teaching, une approche autonome ?
Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com
Marie-Noëlle Lamy et Régine Hampel,
Online Communication in Language Learning and Teaching
Palgrave Macmillan, 2007, 272 pages.
Cet ouvrage relève de l’apprentissage des langues assisté par ordinateur (CALL).
Ce domaine de recherche très dynamique, représenté par de nombreuses revues
(CALL Journal, Calico Journal, Language Learning & Technology, ReCALL, en
langue anglaise, Alsic, en langue française) et colloques (Eurocall, Worldcall, etc.),
s’est plus ou moins scindé ces dernières années, la branche qu’étudient Lamy et
Hampel prenant de plus en plus son autonomie par rapport à l’étude d’utilisations de
l’ordinateur ne faisant pas appel à la communication. Il ne s’agit certes pas du
premier ouvrage sur la question : Mark Warschauer, notamment, le pionnier du
domaine, avait déjà publié un ouvrage pratique collectif en 1995 (cité par Lamy et
Hampel) et codirigé un ouvrage collectif plus théorique (Warschauer et Kern,
2000) ; des numéros de revues et des ouvrages récents ont par ailleurs été consacrés
à la dimension culturelle des projets d’échanges en ligne (Belz, 2003, Belz et
Thorne, 2006, O’Dowd, 2007). Mais il s’agit sans doute de la première monographie
ambitionnant de faire le tour de la « communication médiatisée par ordinateur pour
l’enseignement apprentissage des langues »1, sous-domaine que les auteures siglent
en CMCL (en ajoutant le L de « languages » à CMC – computer-mediated
communication). On a fait le choix ici d’aborder l’ouvrage de manière relativement
linéaire, en le présentant tout d’abord globalement, puis en concentrant la discussion
sur certaines notions (pour la plupart contenues dans la première partie) et en
examinant enfin sa dimension épistémologique (deuxième et troisième parties).
Public visé, organisation de l’ouvrage, objectifs
Les auteures annoncent dans l’introduction qu’elles se positionnent non
seulement en tant qu’enseignantes et chercheuses du domaine, mais que l’élément
déclencheur de l’ouvrage a été, pour l’une comme pour l’autre, une expérience
d’apprentissage d’une nouvelle langue en tandem, pour l’une en ligne et pour l’autre
1. Traduction littérale (p. 8). Kern (2006), dans un article en français, avait déjà proposé une
expression analogue. Il faut savoir que la CMC est un domaine de recherche déjà bien établi
dans le monde anglophone.
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en face à face. Elles ne reviendront cependant pas sur cette expérience, de même
qu’elles n’évoqueront jamais directement leur pratique de l’enseignement à distance
avec les technologies. Il s’agit en fait plus d’un ouvrage de recherche (et d’initiation
à la recherche) qu’un ouvrage pratique, le public ciblé étant le « praticien
chercheur », l’enseignant de langue – plutôt universitaire – qui utilise la CMCL et
qui réfléchit et publie sur cette utilisation.
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L’ouvrage est structuré en quatre parties assez contrastées. La première partie
propose un ensemble de sept chapitres tentant de faire le tour des concepts clés et
des questions de recherche. La seconde prend le parti original de contraster deux par
deux des recherches précises analysant des pratiques liées chaque fois à un outil
donné, forum (chap. 8), clavardage (chap. 9), MOO (chap. 10), environnements
audiographiques et mondes virtuels (chap. 11), vidéoconférence (chap. 12),
technologies émergentes (chap. 13). La troisième partie (quatre chapitres) est
consacrée à la « Practitioner Research », abordant celle-ci d’un point de vue
essentiellement méthodologique. La quatrième partie, que l’on peut considérer
comme un complément de la troisième, fournit seize pages de ressources en ligne.
Le parti pris systématique d’une grande partie de l’ouvrage est de s’appuyer sur
des recherches existantes pour les discuter et les mettre en perspective : il s’agit
donc en quelque sorte d’une métarecherche (cf. infra), la question centrale à laquelle
les auteures cherchent à répondre concernant la manière dont les technologies de la
communication influent sur les apprentissages en langues. La troisième partie
(p. 155-206) rompt cependant avec cette logique en proposant des conseils pratiques
pour mener des recherches en CMCL.
Chaque chapitre comporte une introduction annonçant le contenu, de nombreux
tableaux, figures et encadrés récapitulant les principaux concepts, les citations les
plus importantes et proposant des représentations synthétiques, ainsi qu’une
conclusion rappelant les principaux points abordés et des suggestions de lecture pour
aller plus loin : tout cet appareil facilite la lecture et l’assimilation des contenus.
Les concepts clés
Après un historique du domaine (chap. 1), les auteures abordent les théories
d’apprentissage dans un second chapitre très classique allant des modèles cognitifs
« acquisitionnistes » aux communautés de pratique en passant par les approches
socioculturelles et socialement situées.
Le chapitre central de la partie 1 (voire du livre) est sans doute le troisième, en ce
qu’il aborde les questions de médiation (rappelons que l’anglais, à la différence du
français, n’a qu’un seul mot là où le français distingue médiation et médiatisation), de
multimodalité et de « multiliteracies », ce dernier terme renvoyant à la nécessaire
appropriation par les acteurs des technologies multimédia et des nouvelles formes
représentationnelles qu’elles induisent. Le modèle de médiation/médiatisation proposé
par les auteures est représenté par trois cercles entrecroisés (p. 33) : les tâches, les
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interactions entre participants, les technologies ; les intersections sont significatives,
par exemple celle entre les tâches et les technologies pointe le fait que celles-ci se
déterminent (« shape ») mutuellement. On peut sans doute critiquer l’emploi trop
fréquent du verbe « mediate », dont on finit par ne plus bien saisir la spécificité :
quand on lit, par exemple, que « CMC technology and tasks mediate learning » (p. 33),
l’on peut se demander quelle serait la traduction en français de ce segment …
Un autre concept important dans le même chapitre est celui d’affordances,
celles-ci étant définies comme « les différentes possibilités et contraintes dans
l’environnement, donnant aux agents différentes options pour agir » (p. 34-35). Les
auteures rappellent plusieurs fois que les affordances désignent une relation de
réciprocité entre acteurs et environnement : elles citent par exemple l’approche
écologique du didacticien des langues Leo Van Lier (p. 35) ou indiquent que les
fonctionnalités des systèmes et la communication se contraignent mutuellement
(p. 53, encadré et note). Néanmoins, la notion est plus souvent utilisée de manière
unidirectionnelle, comme elle l’est souvent dans le domaine de l’ergonomie
informatique : l’on parle alors des affordances de tel ou tel outil de communication
pour indiquer qu’il se prête bien à telle ou telle utilisation (cf. tableau 3.2, ainsi que
les très nombreuses autres occurrences du terme2), mais on néglige du même coup la
dimension d’élaboration, au plan individuel comme social, de « schèmes
d’utilisation » (Rabardel, 1995) ou de « logiques d’usage » (Perriault, 1989)
aboutissant à certains détournements, voire au rejet ou à des demandes de
modification de l’artefact. On regrette donc que cette notion typiquement anglosaxonne n’ait pas été confrontée aux travaux de la sociologie des usages française ou
à ceux de Rabardel sur la « genèse instrumentale »3.
Le chapitre 4 de l’ouvrage, qui aurait sans doute mieux eu sa place dans la
partie 3, examine un certain nombre d’approches scientifiques (« lines of inquiry »)
permettant d’aborder la CMCL. La démarche expérimentale (« comparative
research ») est évacuée en moins de deux pages, la raison évoquée étant qu’il n’est
guère possible de mener des expérimentations comparant, toutes choses égales par
ailleurs, une situation d’apprentissage en face à face et à distance. Les auteures se
concentrent alors sur des approches descriptives, abordant l’analyse du discours ou
l’analyse conversationnelle (dont elles montrent les apports respectifs pour telle ou
telle zone d’investigation, tableau 4.1), puis sur les recherches ayant pour
problématique les questions culturelles ou identitaires. On constatera que les trois
rubriques de ce chapitre ne constituent pas une typologie, l’interculturel étant une
2. Par exemple, p. 196 : “What are the affordances of an avatar?”.
3. Paradoxalement, un autre auteur anglophone du domaine de la CMCL, O'Rourke (2005),
définit les affordances d’une manière qui semble plus compatible avec les théories françaises :
CMC environments […] ought not to be seen as non negotiable objects with direct and
predictable effects on user behavior. Rather, their features are exploited, and often subverted,
by users making active, strategic choices. In ecological terms, the properties of the
technology stand in a dialogic relation to the activities of users, giving rise to dynamic
affordances (p. 435).
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question de recherche alors que l’analyse du discours (ou analyse conversationnelle)
serait plutôt un mode d’investigation, tandis que le fait de choisir un paradigme
plutôt expérimental ou plutôt descriptif relève de la démarche globale (Gagné et al.,
1989) ; on ajoutera que la recherche action, présentée dans la troisième partie de
l’ouvrage, constitue, selon Gagné et al., une troisième démarche possible.
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Les chapitres 5 et 6 abordent respectivement la question de l’enseignant et des
apprenants en ligne. Pour le premier, la question de ses nouvelles tâches et de sa
formation est posée, puis trois techniques d’enseignement socioconstructivistes sont
présentées : l’apprentissage fondé sur les problèmes, l’apprentissage fondé sur les
tâches et la collaboration4. Pour les seconds, sont abordées les questions de
participation, de motivation, d’autonomie, d’anxiété, de sentiment de présence et
d’identité. Curieusement, la question des dispositifs hybrides est éludée, l’ouvrage
donnant l’impression que la communication en ligne n’existe que dans le cas de
dispositifs entièrement à distance.
La première partie de l’ouvrage se termine sur un chapitre consacré à
l’évaluation des apprentissages en ligne et à ses difficultés. On y distingue bien
d’une part les spécificités de la distance quant à ce problème de l’évaluation, d’autre
part les spécificités des différentes approches pédagogiques. La question de
l’évaluation du processus plutôt que celle du produit est également évoquée. La
figure 7.1 (p. 99) synthétise bien les différentes options et outils utilisables, selon
que l’évaluation concerne plutôt l’individu ou le groupe (dans le cas de la
collaboration), selon qu’elle est formative ou sommative, selon qu’elle vise le
processus ou le produit et selon qu’il s’agit d’une auto-évaluation, d’une évaluation
par les pairs ou d’une évaluation par le tuteur.
Dimension épistémologique de l’ouvrage
Si l’on examine la vision de la recherche qui se dégage de l’ouvrage, l’on peut
distinguer deux niveaux, celui de la manière dont l’ouvrage est construit de ce point
de vue et celui du discours tenu sur la recherche.
Au premier niveau, on l’a déjà vu, les auteures ont choisi de mener leur propos
en s’appuyant systématiquement sur les travaux d’autres chercheurs, ce qui constitue
à la fois une force et une faiblesse de l’ouvrage, contraste qui ressort de manière plus
prononcée dans la seconde partie. Les deux premiers chapitres de cette partie
(chap. 8 sur les forums et chap. 9 sur les clavardages) réussissent en effet à présenter
et comparer chacun deux recherches suffisamment riches et contrastées pour qu’il en
ressorte quelques enseignements à la fois pratiques et épistémologiques. Par contre,
les chapitres examinant les recherches sur les MOO (chap. 10), sur les
environnements audiographiques synchrones (chap. 11) et sur la vidéoconférence
4. Là non plus, les trois approches ne s’excluent pas mutuellement. Par ailleurs, la
collaboration est définie de manière plus large que ne le font les chercheurs du champ CSCL
(computer-supported collaborative learning).
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(chap. 12), faute sans doute de pouvoir s’appuyer sur des publications
convaincantes, nous laissent sur notre faim : Lamy et Hampel (p. 145) ne peuvent en
effet que constater que de nombreuses questions n’ont pas été résolues concernant
l’utilisation de ces outils plurisémiotiques et qu’il serait sans doute opportun que des
chercheurs en sciences de la communication, en sémiotique sociale ou en
psychologie nous aident à mieux comprendre comment fonctionne la
communication pédagogique dans ces environnements complexes. Quand on sait
que l’Open University a développé une plateforme audiosynchrone, Lyceum5, qui est
utilisée à grande échelle dans l’enseignement des langues, on regrette que l’ouvrage
ne fasse quasiment pas état de ces retours d’expérience (à l’exception de la question
des méthodes de recherche - partie 3). Enfin, pour les technologies émergentes
(blogs, wikis et appareils mobiles, chap. 13), les auteures n’ont pas réussi à trouver
d’études fondées sur des pratiques et citent quelques articles programmatiques.
La troisième partie de l’ouvrage est consacrée à la « practitioner research »,
expression qui regroupe, pour les auteures, la recherche action et la « pratique
exploratoire », la seconde se distinguant de la première en ce qu’elle cherche
prioritairement à comprendre un problème plutôt qu’à le résoudre (p. 157-159).
Toute cette partie est rédigée sur le ton du conseil plutôt que sur celui de la revue de
l’existant (à l’inverse du reste de l’ouvrage) et aurait pu en fait porter le titre du
chapitre 15 : « A practical guide to CMCL practitioner research ». Une démarche en
trois étapes est proposée et illustrée par un schéma, puis toute une série de méthodes
et d’outils – assez disparates - est rapidement passée en revue, sans hiérarchisation
(chap. 14). Le chapitre 15 aborde la question des compétences technologiques du
chercheur et des participants à la recherche, celle du cadre éthique (anonymisation,
autorisations, etc.), celle de la difficulté du recueil des données quand des
participants travaillent à domicile. Le chapitre 16 donne toute une série de conseils
utiles quant à la constitution du corpus et au traitement des données, conseils pour
lesquels les auteures s’appuient cette fois sur leur propre expérience (d’où une mise
en avant du contexte audiographique synchrone). Le chapitre 17, enfin, fournit six
suggestions de projets de recherche, tous structurés selon un même cadre : raison
d’être du projet, contexte, questions de recherche, établissement des priorités,
procédures à suivre. Les six idées de projets présentées concernent des questions que
les auteures estiment ne pas avoir été assez approfondies jusqu’à présent : la
vidéoconférence, l’identité de l’apprenant, la collaboration, les technologies
émergentes, la formation des enseignants (vue comme recherche action),
l’apprentissage fondé sur les problèmes.
Conclusion
Au final, l’ouvrage atteint plutôt bien sa cible : les praticiens chercheurs
apprécieront le plaidoyer et surtout les conseils concernant la « Practitioner
Research », sans doute assidûment pratiquée par les enseignants-chercheurs de
5. Voir le site http://kmi.open.ac.uk/projects/lyceum/
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langues de l’Open University, où exercent les deux auteures. De par la somme
documentaire qu’il contient, il sera d’une aide précieuse – voire incontournable –
pour tous les étudiants en master recherche ou en thèse dans le domaine de la
CMCL. Les praticiens, concepteurs ou tuteurs en exercice ou en formation (on pense
aux masters professionnels), s’ils n’ont pas d’ambition en termes de recherche,
trouveront par contre sans doute l’ouvrage trop théorique et pas suffisamment
« ingénierique », au sens de l’ingénierie des dispositifs. Ils pourront néanmoins lire
avec profit les chapitres sur les apprenants, sur l’évaluation, sur les forums et sur les
clavardages, qui contiennent des réflexions plus pratiques. En outre, peut-être
certains des concepts et tableaux du chapitre 3 les éclaireront-ils par rapport à la
conception de tâches ou à la sélection d’outils de communication.
François MANGENOT
Université Stendhal – Grenoble 3
[email protected]
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