Les dystrophies cornéennes vues d`une perspective génétique
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Les dystrophies cornéennes vues d`une perspective génétique
OCTOBRE 2004 Volume 2, numéro 8 Ophtalmologie MC Conférences scientifiques Les dystrophies cornéennes vues d’une perspective génétique PAR E LI S E H ÉON , M.D., FRCSC Les dystrophies cornéennes représentent un groupe de maladies de la cornée qui sont génétiquement déterminées. Elles ont été traditionnellement classifiées et décrites selon la couche de la cornée atteinte et les modifications pathologiques observées, respectivement. Il est maintenant connu que cette classification ne reflète pas la pathologie biologique sous-jacente ou les anomalies génétiques en cause. La plupart des dystrophies cornéennes se transmettent selon le mode autosomique dominant ou récessif, avec des degrés variables de gravité clinique et de pénétrance. Cependant, dans certains cas (p. ex. le kératocône), le type de transmission héréditaire n’est pas toujours évident et est considéré comme « complexe ». L’âge d’apparition de la maladie est variable et ne reflète pas l’anomalie pathogénique sous-jacente. Nos connaissances sur les dystrophies cornéennes ont été révolutionnées depuis la découverte que plus de 12 chromosomes sont associés à ces maladies et l’identification de mutations dans au moins 14 gènes (si l’on inclut la dysgénésie du segment antérieur dans ce groupe de maladies). Cependant, pour plusieurs dystrophies, aucun gène ou site génétique (locus) responsable n’a été identifié et d’autres études génétiques sont donc nécessaires. Les nouvelles découvertes moléculaires remettent en question les connaissances traditionnelles sur ces maladies qui étaient généralement fondées sur les observations histopathologiques. L’élucidation des mécanismes biochimiques sous-jacents permettra peut-être à l’avenir de moduler ces phénotypes. Dans ce numéro d’Ophtalmologie – Conférences scientifiques, nous présentons de nouvelles informations moléculaires sur les dystrophies cornéennes les plus courantes (tableau 1). Pour une revue clinique et historique plus complète des dystrophies cornéennes, nous encourageons le lecteur à se référer à des textes classiques1-3. Afin que le lecteur apprécie de façon optimale la portée de ces nouvelles connaissances, nous lui présentons également un bref rappel du développement de la cornée. Développement, structure et fonction La cornée est composée de 6 couches concentriques qui se forment pendant la période entre la 5 et la 6e semaine de grossesse. L’épithélium extérieur est ancré à une membrane basale, sur la membrane de Bowman acellulaire située sur la face antérieure du stroma. On pense que les composants de la membrane de Bowman sont synthétisés et sécrétés par les cellules épithéliales et les kératocytes du stroma. Le stroma cornéen postérieur est recouvert de la membrane de Descemet composée de fibres collagènes, qui est sécrétée et recouverte par une monocouche de cellules endothéliales. Ces cellules jouent un rôle important dans le passage des nutriments de l’humeur aqueuse dans la cornée et sont responsables du maintien du taux relativement faible d’hydratation du stroma par l’activation des pompes ioniques dans la membrane plasmatique des cellules endothéliales. La cornée adulte a un diamètre moyen de 12,6 mm horizontalement et de 11,7 mm verticalement. On définit généralement la microcornée par un diamètre cornéen horizontal inférieur à 11 mm4,5. Au centre, l’épaisseur est de 0,52 mm, celle-ci augmentant vers la périphérie. La résistance à la rupture et la transparence de la cornée entraînent une forte interaction entre une série complexe de protéines et de filaments. Les principaux types de filaments cytoplasmiques sont la kératine (filaments intermédiaires), l’actine et les microtubules, la kératine étant prédominante. Le stroma représente 90 % de l’épaisseur de la cornée et consiste en des fibrilles de collagène extrêmement uniformes (22,5 à 32 mm de diamètre), qui sont principalement des réseaux réticulaires de microfibrilles formant le collagène de type I, III, V, VI, XII et XIV entre lesquelles se trouvent des kératocytes6. Les kératocytes sécrètent la matrice extracellulaire autour du collagène consistant en des protéoglycanes acides à charge négative, avec une prédominance de kératane sulfate et de dermatane sulfate6,7. Les protéoglycanes jouent un rôle dans le maintien de l’espacement régulier des fibrilles de collagène. Les principales fonctions du stroma sont de maintenir la courbure appropriée de la cornée, de fournir une résistance mécanique à la pression intraoculaire et de transmettre la lumière dans l’œil sans absorbance importante. La membrane de Descemet e Disponible sur Internet à : www.ophtalmologieconferences.ca COMPTE RENDU DES CONFÉRENCES SCIENTIFIQUES DU DÉPARTEMENT D’OPHTALMOLOGIE ET DES SCIENCES DE LA VISION, FACULTÉ DE MÉDECINE, UNIVERSITÉ DE TORONTO FACULT Y OF MEDICINE Un i v e r s i t y o f To r o n t o Département d’ophtalmologie et des sciences de la vision Département d’ophtalmologie et des sciences de la vision Jeffrey Jay Hurwitz, M.D., Rédacteur Professeur et président Martin Steinbach, Ph.D. Directeur de la recherche The Hospital for Sick Children Elise Heon, M.D. Ophtalmologiste en chef Mount Sinai Hospital Jeffrey J. Hurwitz, M.D. Ophtalmologiste en chef Princess Margaret Hospital (Clinique des tumeurs oculaires) E. Rand Simpson, M.D. Directeur, Service d’oncologie oculaire St. Michael’s Hospital Alan Berger, M.D. Ophtalmologiste en chef Sunnybrook and Women’s College Health Sciences Centre William S. Dixon, M.D. Ophtalmologiste en chef The Toronto Hospital (Toronto Western Division and Toronto General Division) Robert G. Devenyi, M.D. Ophtalmologiste en chef Département d’ophtalmologie et des sciences de la vision Faculté de médecine Université de Toronto 60 Murray St. Bureau 1-003 Toronto (Ontario) M5G 1X5 Le contenu rédactionnel d’Ophtalmologie – Conférences scientifiques est déterminé exclusivement par le Département d’ophtalmologie et des sciences de la vision, Faculté de médicine, Université de Toronto. Figure 1 : phénotypes liés à bIGH3 ; exemple de dystrophie cornéenne de Reis-Bückler mise en évidence à la lampe à fente adulte contient de la fibronectine, de la laminine, du collagène de type IV et de type VIII, de l’héparane sulfate et un protéoglycane dermatane sulfate6. Les dystrophies Les informations moléculaires dont nous disposons depuis peu sur les dystrophies cornéennes démontrent que les dystrophies touchant différentes couches de la cornée qui subissent des changements histopathologiques distincts peuvent avoir une base génétique commune. Dystrophie cornéenne de Reis-Bückler (« géographique »), CDBI (OMIM121900) La dystrophie cornéenne de Reis-Bückler est une maladie à transmission autosomique dominante caractérisée par une pénétrance complète, mais une gravité variable. Cette affection apparaît généralement durant la première décennie de la vie, avec des formes variables d’opacités réticulaires blanc-grisâtres au niveau de la membrane de Bowman et une apparence de verre dépoli dans les zones limitrophes (figure 1). Toute la cornée est atteinte, mais elle est la plus dense dans la région centrale. Des irrégularités sur la surface cornéenne peuvent entraîner des érosions cornéennes récidivantes avec une sensibilité cornéenne réduite. Les épisodes récidivants de photophobie et l’irritation deviennent moins fréquents avec l’âge. Cependant, il se produit une baisse progressive de l’acuité visuelle due à des opacités cornéennes secondaires. Le traitement consiste en un débridement, en une kératectomie superficielle ou en une kératectomie photothérapeutique8. En cas d’atteinte sévère, une kératoplastie lamellaire ou transfixiante peut être indiquée, mais il peut se produire une récidive précoce dans le greffon. La membrane de Bowman opacifiée est remplacée par un fragment éosinophilique PAS-positif (Masson) stratifié se projetant dans l’épithélium et le stroma antérieur 9 , mais n’impliquant pas la membrane basale épithéliale. Au microscope électronique (MÉ), on observe des microfibrilles tubulaires qui sont des corps en forme de croissant ou allongés intercalés entre les fibrilles de collagène dans la membrane de Bowman. Dans cette maladie, des mutations du gène TGFBI ou bIGH3 (transforming growth factor, beta-induced) (OMIM 601692) ont été identifiées sur le chromosome 5q31 10 . Malgré une importante hétérogénéité allélique (> 1 mutation dans le même gène), de fortes corrélations phénotype-génotype sont observées pour des mutations telles que R124L qui est spécifique au phénotype de la dystrophie de Reis-Bückler. Différentes mutations dans le gène TGFBI peuvent également causer la dystrophie cornéenne granulaire de type I (DCG I), la DCG I I et la DCG I I I, la dystrophie cornéenne grillagée de type I (DCG I), la DCG IIIa, la DCGI/DCGIII de type intermédiaire et la DCG-stroma profond ainsi que la dystrophie de Thiel-Behnke 11 (voir cidessous). Les mutations impliquent les dinucléotides CpG. Le gène TGFbI est exprimé dans les kératocytes et code pour la kératoépithéline, une protéine formée de 683 acides aminés hautement conservée. Cette protéine contient un signal sécrétoire N- terminal, 4 domaines d’homologie interne, et un motif arg-gly-asp (RGD) à l’extrémité C-terminale, qui est présent dans de nombreuses protéines de la matrice extracellulaire. Le motif RGD module l’adhésion cellulaire et agit comme une séquence de reconnaissance pour sa liaison à l’intégrine. Les mutations de ce gène entraînent l’accumulation progressive de dépôts cornéens qui contiennent de la kératoépithéline. L’agrégation d’isoformes anormaux de la kératoépithéline est associée aux dépôts amyloïdes et autres dépôts non fibrillaires selon le site et la nature de la mutation. Dystrophie « en nid d’abeille »/dystrophie de Thiel-Behnke (CDBII) (OMIM 602082) Cette dystrophie à transmission autosomique dominante se manifeste généralement durant la deuxième décennie avec des opacités subépithéliales au centre ressemblant à des nids d’abeilles avec une cornée transparente à la périphérie. Des érosions cornéennes récidivantes peuvent se manifester jusqu’à la 4 e à la 6 e décennie. La baisse secondaire de l’acuité visuelle peut progresser à 20/100. Cependant, la surface cornéenne est habituellement lisse et la sensibilité cornéenne est normale. Toutefois, la membrane basale épithéliale et la membrane de Bowman peuvent être focalement absentes. Les fibres de collagène spiralées observées au microscope électronique (MÉ) correspondent aux dépôts fibrocellulaires épithéliaux et subépithéliaux irréguliers PAS- positifs. Une kératectomie superficielle ou une kératoplastie lamellaire ou transfixiante peut être indiquée. Cette maladie peut récidiver dans le greffon, mais plus tardivement que dans la dystrophie cornéenne de Behnke de type I. Ce phénotype de « dystrophie en nid d’abeille » est génétiquement hétérogène avec des mutations R555Q dans le gène TGFBI, alors que pour certaines familles, on a établi un lien avec le chromosome 10q2412 pour lequel le gène n’a pas encore été identifié. Dystrophie granulaire (Groenouw type 1) (OMIM 121900) Cette dystrophie à transmission autosomique dominante est caractérisée par une pénétrance complète et une gravité clinique variable. Les signes commencent à se manifester durant la première et la deuxième décennie avec l’apparition d’opacités granulaires blanches discrètes au centre de la cornée dans le stroma antérieur, qui peuvent ressembler à des miettes de pain, avec un stroma par ailleurs transparent (figure 2). Avec le temps, les opacités augmentent en nombre, en taille et en profondeur. La cornée périphérique demeure transparente, alors que le reste de la cornée présente un aspect de verre dépoli. La cornée périphérique demeure transparente, alors que la cornée intermédiaire prend l’apparence de verre dépoli. Des irrégularités à la surface peuvent apparaître et entraînent parfois des érosions cornéennes et une douleur intense. L’acuité visuelle diminue progressivement en raison des cicatrices et de l’augmentation de la densité des dépôts, habituellement durant la quatrième ou la cinquième décennie. Une kératoplastie lamellaire ou Figure 2 : phénotypes liés à bIGH3 ; exemple de dystrophie cornéenne granulaire mise en évidence à la lampe à fente transfixiante peut être nécessaire, mais des récidives peuvent survenir de façon précoce. Les dépôts décrits comme « hyalins » se colorent en rouge vif avec le trichrome de Masson. Au MÉ, les dépôts de forme allongée et trapézoïde s’étendent dans les couches plus postérieures. Les mutations dans le gène TGFBI montrent de fortes corrélations phénotype-génotype. R555W est de tout évidence un point chaud, mais on a identifié également R124S chez ces patients10,11. Dystrophie cornéenne grillagée Divers sous-types de dystrophie cornéenne grillagée ont été distingués sur la base de leur gravité clinique et de la présence de signes systémiques associés. Ces distinctions sont maintenant génétiquement déterminées10,11. Dystrophie cornéenne grillagée de type I DCGI (OMIM 122200) La DCG1 est une maladie à transmission autosomique dominante caractérisée par une pénétrance complète et une variabilité phénotypique. Elle se manifeste généralement durant la première décennie avec l’apparition de points blancs sub-épithéliaux antérieurs et des dépôts amyloïdes linéaires filamenteux réfractiles avec ou sans nodules dans le stroma. Par la suite, les lignes filamenteuses s’épaississent avec une orientation radiale et deviennent plus profondes dans le stroma. L’opacification progressive dans l’axe visuel central entraîne la formation d’un flou dans le stroma limitrophe. Des érosions récidivantes fréquentes peuvent se présenter à un jeune âge et on peut les traiter avec un lubrifiant oculaire topique, un pansement occlusif ou des verres de contact thérapeutiques. En présence de cicatrices, une kératectomie photothérapeutique et une kératoplastie transfixiante peuvent améliorer la vision, mais des récidives dans la cornée greffée sont fréquentes. Au microscope optique, l’épithélium est irrégulier avec une membrane basale épaissie et une membrane de Bowman fragmentée. Des dépôts fibrillaires dans les couches stromales antérieures s’étendent postérieurement, se colorent intensément avec le rouge Congo et montrent une biréfringence et un dichroïsme. Les mutations R124C dans le gène TGFBI sont spécifiques à la maladie11. Dystrophie cornéenne grillagée de type II DCG II (Amyloïdose familiale, syndrome de Meretoja, type finlandais, OMIM 105120) Cette dystrophie rare, se transmettant suivant le mode autosomique dominant, se manifeste à l’âge de jeune adulte et présente des signes systémiques contrairement à d’autres formes de dystrophie grillagée. Les lignes cornéennes gril- lagées sont moins nombreuses que dans le cas de la DCGI et ont une orientation plus radiale en périphérie, le centre étant relativement épargné. On note une sensibilité cornéenne réduite et des érosions épithéliales récidivantes après l’âge de 40 ans, avec la présence éventuelle de cicatrices réduisant l’acuité visuelle. Une sécheresse oculaire, une douleur et des larmoiements sont associés aux érosions. Dans l’ensemble, les symptômes sont moins sévères que ceux observés dans la DCGI. Des signes systémiques sont présents et comprennent la peau flasque, la neuropathie périphérique et la cardiomyopathie. La formation de tissu cicatriciel subépithélial est associée à la présence de matière amyloïde linéaire sous la membrane de Bowman, dans le stroma antérieur et dans le stroma moyen13. Les fibrilles amyloïdes correspondent à un produit de dégradation interne de la gelsoline, entraînant la perte progressive des nerfs sensoriels de la cornée et une diminution de la sensibilité de la cornée, de la peau et des nerfs crâniens principalement. La DCGII est liée au chromosome 9q34 et le résidu D187 du gène de la gelsoline (GSN) (OMIM 137350) représente un point chaud au niveau duquel des mutations causant la maladie se produisent (D87N, D187Y). Le gène GSN est largement exprimé et code pour une protéine de modulation des filaments d’actine (sectionnement et coiffage)14, qui exerce son action en présence de calcium submicromolaire. La protéine amyloïde dans le type finlandais est un fragment de région de liaison au filament d’actine d’une variante de la molécule de gelsoline15,16. Dystrophie cornéenne d’Avellino (DCA) La DCA se transmet suivant le mode autosomique dominant. Elle est caractérisée par une pénétrance complète et montre une expressivité extrêmement variable. Elle se manifeste durant la deuxième décennie par des dépôts granulaires et amyloïdes avec ramifications linéaires dans le stroma. Les opacités granulaires apparaissent plus tôt que les dépôts myéloïdes et sont plus superficielles (figure 3). L’opacification progressive de l’axe visuel central par des dépôts peut suffisamment diminuer l’acuité visuelle pour nécessiter une kératectomie photothérapeutique ou une kératoplastie transfixiante. Les dépôts granulaires subépithéliaux à midstromaux se colorent au trichrome de Masson. Les dépôts fibrillaires ou fusiformes dans le stroma profond contenant de l’amyloïde se colorent au rouge Congo (biréfringents)17,18. La mutation R124H dans le gène TGFbI est spécifique à cette maladie11. Dystrophie maculaire (DCMI (OMIM 217800), DCMIa, DCMII) La dystrophie maculaire est examinée ici, non pas parce qu’elle est fréquente, mais parce que les découvertes génétiques récentes la concernant (tel que ci- dessus) sont intéressantes. Les différents sous-types de dystrophie maculaire sont génétiquement et biochimiquement déterminés. Ils se transmettent suivant le mode autosomique récessif et apparaissent durant la première décennie de la vie. Il n’existe pas de variabilité importante dans le phénotype. Au début de la maladie, les fines opacités ont des limites indistinctes, débutant axialement dans le stroma superficiel. Le stroma limitrophe présente un aspect de verre dépoli. Ultérieurement, les opacités s’étendent en périphérie et en profondeur dans le stroma et la surface cornéenne devient irrégulière avec une sensibilité cornéenne réduite et finalement, un amincissement de la cornée. L’irritation et la diminution progressive de l’acuité visuelle peuvent devenir sévères à la troisième décennie et nécessiter une greffe Figure 3 : Phénotypes liés à bIGH3 ; exemple de dystrophie cornéenne grillagée mise en évidence à la lampe à fente Figure 4 : Dystrophie polymorphe postérieure (DPP) A) Photographie d’un cas léger de DPP montrant le signe particulier d’une « trace d’escargot » à la lampe à fente B) Photographie d’un cas plus grave de DPP montrant une opacification cornéenne à la lampe à fente A cornéenne qui donne de bons résultats. L’accumulation caractéristique des glycosaminoglycanes (GAG) se colore au bleu Alcian et au fer colloïdal. La DCMI est caractérisée par l’absence de sulfatation des chaînes de kératane (SCK) dans la cornée et le cartilage et par une SC K non appréciable dans le sérum. Cependant, dans la DCMII, le kératane sulfate sérique et cornéen est détectable et peut être réduit, mais son taux est souvent normal. Le gène CHST6 (OMIM 603797) dont les mutations causent la DCM a été identifié sur le chromosome 16q22. Le gène CHST6 code pour le carbohydrate sulfotransférase19, qui est exprimé dans la cornée et également dans la trachée et la colonne vertébrale. Le produit génique – N-acétylglucosamine-6-sulfotransférase (C-G1cNAc6ST) – initie la sulfatation du kératane sulfate dans la cornée20. La DCMI est due à des mutations (mutation faux-sens, délétion, insertions, décalage du cadre de lecture) dans les régions codantes de CHST619,21. Celles-ci entraînent la synthèse d’une enzyme inactive avec la synthèse et la sécrétion de protéoglycanes remplacés par la polylactosamine et non par le kératane sulfate. Les porteurs de la maladie sont nombreux en Islande20. On observe la DCMIa dans des familles d’Arabie Saoudite chez qui le kératane sulfate est absent dans le stroma cornéen et le sérum, mais présent dans les kératocytes. Les changements génétiques dans la DCM II impliquent des délétions/réarrangements des régions en aval de CHST6 qui contiendraient des éléments régulateurs du gène. Ces changements affectent la transcription de CHST619 et réduisent la sulfatation, ce qui entraîne la terminaison prématurée de la chaîne de kératane sulfate20. Dans la DCMI et II, on note une accumulation d’autres GAG (chondroïtine/dermatane- sulfate/ hyaluron). Par conséquent, l’opacité cornéenne peut être due non seulement à un manque de SCK, mais également au dépôt d’autres GAG qui peuvent entraver l’arrangement des fibrilles de collagène20. Il est important de noter que les phénotypes de la DCMI (absence systémique de SCK) et II (SCK détectables mais réduits dans la cornée et le sérum) peuvent être présents dans la même famille 19,22 . Dans ces cas, lorsqu’un individu possède les deux types de mutation, le génotype de la DCM I I est dominant par rapport à la DCMI si un hétérozygote composé pos- B sède une mutation codante et une mutation du gène en aval. Dystrophie polymorphe postérieure (DPP) (OMIM 122000, 120252, 605020) Cette dystrophie transmise suivant le mode autosomique dominant a une expression variable et l’âge de son apparition est variable. Bien que la DPP se déclare généralement à l’âge adulte (figure 4a), elle peut se déclarer sous une forme sévère à la naissance (figure 4b). Les changements consistent en un degré variable de lésions endothéliales vésiculaires et/ou d’épaississement de la membrane basale qui peuvent être localisés ou plus diffus et associés à un œdème cornéen. La baisse de l’acuité visuelle n’est habituellement pas importante, mais elle est extrêmement variable. L’œdème cornéen peut se développer à un degré nécessitant une greffe cornéenne. Il y a également un risque accru de glaucome et de kératocône23. Initialement, la couche antérieure en bande anormale de la membrane de Descemet est revêtue d’une couche de collagène anormale sur sa face postérieure. On observe des couches multiples de cellules endothéliales en périphérie avec une métaplasie et une épithélialisation des cellules endothéliales 24,25. On note une mosaïque variable et imprévisible de cellules endothéliales en couches multiples, dystrophiques et mieux préservées en présence ou en l’absence de composants normaux de la membrane de Descemet. La DPP est génétiquement hétérogène avec des mutations identifiées dans le gène VSX-1 (chromosome 20p11.2-20q11.2)26,27 et le gène COL8A2 (chromosome 1p34.3-p32)28. Les données suggèrent que la DPP liée au chromosome 20 est une variante allélique du kératocône. VSX1 semble jouer un rôle dans environ 9 % des cas de DPP et dans 4,7 % des cas de kératocône. La DPP liée au chromosome 1 est également une variante allélique de la dystrophie endothéliale de Fuchs. Col8A2 pourrait jouer un rôle dans environ 6 % des cas de DPP. Le rôle de Col8A2 dans le kératocône n’a pas encore été démontré. Des changements dans VSX1 ont également été associés à une atténuation asymptomatique de la fonction des cônes bipolaires dans la rétine27. Ophtalmologie Conférences scientifiques Figure 5 : Photographie montrant le signe de Munson, caractéristique du kératocône à la lampe à fente développement de l’œil (p. ex. PAX6 32 , PITX2 33 , FOXC1 34 et CYP1B1 35 . Les mutations dans le gène PAX6 peuvent également produire la kératite à transmission autosomique dominante36. Kératocône (OMIM 148300) Dystrophie endothéliale de Fuchs (OMIM 136800) La dystrophie endothéliale de Fuchs (DCEF) est l’affection primaire de l’endothélium cornéen la plus fréquente et peut être sporadique ou à transmission autosomique dominante29 avec une expression variable. Les signes et les symptômes apparaissent habituellement à partir de la quarantaine avec une cornea guttata centrale, de petites protrusions ressemblant à des verrues de la membrane de Descemet, une apparence en métal battu évoluant vers des plis au niveau du stroma, un œdème cornéen et un polymégatisme endothélial. Ultérieurement, la baisse de l’acuité visuelle peut être significative et douloureuse en raison de la décompensation cornéenne. La kératoplastie transfixiante dans les cas de DCEF représente jusqu’à 19 % des greffes cornéennes avec un taux de succès de plus de 90 % chez ces patients. Chez certaines familles affectées par la DCEF, on a effectué la cartographie du chromosome 1p34.3-p32, dans lequel on a identifié des mutations du gène COL8A2 (3,4 %)28. La sous-unité alpha-2 du collagène de type VIII appartient à la famille des protéines de la matrice extracellulaire 30 et contient une séquence importante d’ADN répétée formant une triple hélice, une région riche en proline qui est un site d’hydroxylation. Les mutations dans le domaine de la triple hélice entravent théoriquement la stabilité de l’assemblée supramoléculaire28 et ont été associées à la DPP (env. 6 %) et à la DCEF (env. 3,4 %). La corrélation phénotypegénotype est faible, étant donné que la même mutation peut entraîner différents phénotypes. Des mutations mitochondriales ont été documentées dans un cas également affecté par une surdité de perception, le diabète, des anomalies de la conduction cardiaque, l’ataxie et l’hyperréflexie31. La signification de ces associations n’a pas encore été élucidée. Dystrophies du développement et autres dystrophies cornéennes L’opacification de la cornée, centrale (leucome) ou périphérique (sclérocornée), peut se manifester sous diverses formes de dysgénésie du segment antérieur. Un exemple est l’anomalie de Peters, dans laquelle des mutations sont identifiées dans les gènes du Le kératocône peut être sporadique ou se transmet suivant le mode autosomique dominant dans 6 à 8 % des cas 37. Sa prévalence chez les parents de premier degré est de 15 à 67 fois plus élevée que dans la population générale38 et on l’a observée chez des jumeaux monozygotes 39. Il apparaît vers la puberté avec une dystrophie ectatique progressive entraînant l’amincissement de la cornée et un astigmatisme myopique irrégulier induit qui peut être très asymétrique (figure 5)40. La topographie de la cornée est utile pour le diagnostic et démontre une augmentation du K central. Dans les cas avancés, on peut observer du tissu cicatriciel sur la couche antérieure et une hydropisie de la cornée peut se produire suite à la rupture de la membrane de Descemet avec un œdème épithélial et stromal subséquent. La baisse de la vision associée à l’hydropisie de la cornée ou au tissu cicatriciel cornéen peut nécessiter une greffe de la cornée. Pour une revue complète du sujet, voir l’étude de Rabinowitz 40. Le kératocône est une affection génétiquement déterminée caractérisée par une combinaison de changements biochimiques, structurels et cellulaires41-44. Il a été associé à plusieurs anomalies chromosomiques, comprenant la trisomie 21, le syndrome de Turner, le chromosome 13 en anneau, la translocation du chromosome 7 ;11, les troubles du tissu conjonctif, le syndrome d’Ehlers-Danlos, le syndrome de Marfan, la dysplasie périostale, le prolapsus de la valve mitrale et d’autres maladies oculaires (p. ex. l’amaurose congénitale et l’atopie)40. Comme nous l’avons mentionné cidessus, des mutations dans le facteur de transcription VSX-1 ont été identifiées chez 4,7 % des patients atteints de kératocône isolé27. Ce gène joue également un rôle dans la dystrophie polymorphe postérieure (voir ci-dessus). Conclusion L’ophtalmologie moléculaire apporte actuellement un nouvel éclairage sur les maladies cornéennes héréditaires. Ces nouvelles informations montrent que bien que ces diverses maladies soient cliniquement distinctes, elles peuvent avoir une base génétique commune. On a identifié plusieurs catégories de gènes qui jouent un rôle dans la détermination de la transparence cornéenne et des maladies cornéennes (y compris ceux intervenant dans la régulation du développement de l’œil et de la cornée). Ils peuvent également jouer un rôle dans la détermination et le maintien de l’arrangement ultrastructurel de la cornée et dans l’homéostasie métabolique. Ces gènes font partie des voies moléculaires qui sont actuellement caractérisées, dont certaines jouent un rôle au-delà de la cornée. De plus, certains de ces gènes (VSX1 et Col8A2) lient différents processus biologiques, tels que le développement et le vieillissement des yeux, du fait de la vaste gamme de phénotypes impliqués. La compréhension de ces voies est essentielle à la modulation Ophtalmologie Conférences scientifiques potentielle des phénotypes. Les études génétiques des dystrophies cornéennes évoluent et sont une approche efficace pour établir un lien entre ces voies et définir de nouvelles opportunités thérapeutiques. Adresse électronique OMIM : http://www.ncbi.nlm.nih.gov/omim REMERCIEMENTS : Je remercie les Drs Andrea Vincent, Francis Munier et David Rootman pour les discussions importantes que j’ai eues avec eux qui ont mené à la rédaction de cet article. Le Dr Elise Héon est médecin au sein du Service d’ophtalmologie et des sciences de la vision, The Hospital for Sick Children, Université de Toronto, Ontario. Références 1. Chang SW, Tuli S, Azar DT, eds. Corneal Dystrophies, 1 st ed. New York: Oxford University Press;1998:217-266. 2. Starck T, Hersch PS, Kenyon KR. Corneal Dysgeneses, Dystrophies, and Degenerations. In: Albert DM, Jakobiec FA, eds. Principles and Practice of Ophthalmology, Vol 2, 2nd ed. Philadelphia: W.B. Saunders Company;2000:695-755. 3. Vincent AL, Rootman D, Munier FL, et al. A molecular perspective on corneal dystrophies. Dev Ophthalmol 2003;37:50-66. 4. Duke-Elder S. System of Ophthalmology, St Louis: CV Mosby, Vol III;1963:497-539. 5. Easty DS. Oxford Textbook of Ophthalmology. 1st ed. Oxford University Press; 1999:1006-11. 6. Panjawi N. Cornea and Sclera. In:Harding J, ed. Biochemistry of the Eye. London, UK: Chapman and Hall;1997:16-51. 7. Pepose J, Ubels J. The Cornea. In: Harts Jr W, ed. 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Les avis de changement d’adresse et les demandes d’abonnement pour Ophtalmologie – Conférences Scientifiques doivent être envoyés par la poste à l’adresse C.P. 310, Succursale H, Montréal (Québec) H3G 2K8 ou par fax au (514) 932-5114 ou par courrier électronique à l’adresse [email protected]. Veuillez vous référer au bulletin Ophtalmologie – Conférences Scientifiques dans votre correspondence. Les envois non distribuables doivent être envoyés à l’adresse ci-dessus. Poste-publications #40032303 La version française a été révisée par le professeur Pierre Lachapelle, Montréal. L’élaboration de cette publication a bénéficié d’une subvention à l’éducation de Novartis Ophthalmics © 2004 Département d’ophtalmologie et des sciences de la vision, Faculté de médecine, Université de Toronto, seul responsable du contenu de cette publication. Édition : SNELL Communication Médicale Inc. avec la collaboration du Département d’ophtalmologie et des sciences de la vision, Faculté de médecine, Université de Toronto. MDOphtalmologie – Conférences scientifiques est une marque de commerce de SNELL Communication Médicale Inc. Tous droits réservés. L’administration d’un traitement thérapeutique décrit ou mentionné dans Ophtalmologie – Conférences scientifiques doit toujours être conforme aux renseignements d’ordonnance approuvés au Canada. SNELL Communication Médicale se consacre à l’avancement de l’éducation médicale continue de niveau supérieur. 130-011F SNELL