Dieu est Américain

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Dieu est Américain
© RÉGIS DEBRAY, 2006. TOUS DROITS RÉSERVÉS.
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Publié dans Le Nouvel Observateur, mars 2006
À propos du livre Dieu est Américain (Fayard, 2006)
Un essai pétaradant, truffé d’informations précises, virevoltant
d’idées insolites. Dans un style nerveux, rapide et quasi-télégraphique. Ni
dénonciateur ni apologétique. Américanolâtres et américanophiles
s’abstenir. Oui à l’histoire, non à la polémique. C’est dire la rudesse du
pari, manifestement à contre-courant. À l’heure où s’étale, sur le même
sujet, une indigence bavarde, Colosimo, le théologien, met tous les torts de
son côté : il parle d’expérience (Master of Divinity à New York), connaît
son sujet à fond, et tempère la densité par le trait d’humour.
Sur quoi débouche ce renversement de perspective ? Sur quelques
remises au net d’importance.
1) Il n’y a pas deux Amériques, la bonne, celle de Kennedy et
Roosevelt et la mauvaise, celle de Reagan et de Bush, la libérale et la
chrétienne, mais une seule, qu’unifie une même religion biblicopatriotique.
2) La main invisible est présente dès le XVIIe siècle et l’unité
Raison/Révélation, inscrite dans la genèse historique du pays. Fidélité des
Réveils successifs au programme génétique.
3) Neutralité confessionnelle et légitimité religieuse sont, malgré les
apparences, fonction l’une de l’autre, le Premier Amendement étant à lire
comme : « Le gouvernement ne doit pas gêner les églises ». D’où cette
heureuse formule : « Les États-Unis reposent sur le tout-religieux et le
zéro-religion ».
4) L’isolationnisme moral d’un « peuple élu d’une Terre
prédestinée », ou encore le « resserrement nationaliste » n’est pas la
négation, mais la condition de l’expansionnisme politique et militaire. C’est
seulement en restant à l’écart d’un monde extérieur en proie au péché que
la nation indispensable peut prétendre à la rédemption universelle, lire la
suprématie mondiale. Rentrer en gloire dans l’Histoire exige d’abord d’en
sortir.
5) Il existe un lien nécessaire entre l’Élection et la Guerre (civile ou
étrangère), dans la mesure où l’Alliance doit être périodiquement mise à
l’épreuve des faits pour vérification.
Tout cela promet, n’est-ce pas ?
© RÉGIS DEBRAY, 2006. TOUS DROITS RÉSERVÉS.
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Et nous, que devient-on, face à ce dynamique télescopage
d’archaïsme et de modernité ?
Élargissons le panorama. Dieu est Américain, le Ciel, Chinois, le
Soleil levant, Japonais, l’Absolu cosmique, Indien, et le Père d’un milliard
de musulmans, un Prophète qui absorbe toutes les prophéties antérieures en
une seule et dernière, la sienne. Qu’est-ce qui reste à l’Europe, en fait de
socle identitaire ? Un euro de Monopoly, effigie sans devise. Et à la France,
pour se donner du cœur eu ventre ? Le fantôme de Voltaire, et la Sécu.
Pas vraiment concurrentiel. Le siècle à venir sera dur.