Histoire - memoria.dz
Transcription
Histoire - memoria.dz
Lettre de l'Editeur Pour une vive mémoire AMMAR KHELIFA [email protected] es nations se hissent par le savoir et se maintiennent par la mémoire. C’est cet ensemble d’événements qui se créent successivement aujourd’hui pour qu’un jour on ait à le nommer : Histoire. Sans cette mémoire, imbue de pédagogie et de ressourcement, l’espèce humaine serait tel un atome libre dans le tourbillon temporel et cosmique. L’homme a eu de tout temps ce pertinent besoin de vouloir s’amarrer à des référentiels et de se coller sans équivoque à son histoire. Se confondre à un passé, à une ancestralité. Cette pertinence va se confiner dans une résistance dépassionnée et continue contre l’amnésie et les affres de l’oubli. Se contenir dans un souvenir, c’est renaître un peu. L’intérioriser, c’est le revivre ; d’où cette ardeur permanente de redécouvrir, des instants durant, ses gloires et ses notoriétés. En tant que mouvement dynamique qui ne s’arrête pas à un fait, l’Histoire se perpétue bien au-delà. Elle est également un espace pour s’affirmer et un fondement essentiel dans les domaines de prééminence et de luttes. Transmettant le plus souvent une charge identitaire, elle est aussi et souvent la proie pitoyable à une éventualité faussaire ou à un oubli prédateur. Seule la mémoire collective, comme un fait vital et impératif, peut soutenir la vivacité des lueurs d’antan et se projeter dans un avenir stimulant et inspirateur. Elle doit assurer chez nous le maintien et la perpétuation des liens avec les valeurs nationales et le legs éternel de la glorieuse révolution de Novembre. Il est grand temps, cinquante ans après le recouvrement de l’indépendance nationale, de percevoir les fruits de l’interaction et de la complémentarité entre les générations. Dans ce contexte particulier et délicat, les moudjahidate et moudjahidine se doivent davantage de réaffirmer leur mobilisation et leur engagement dans le soutien du processus national tendant à éterniser et à sacraliser l’esprit chevaleresque de Novembre. Ceci n’est qu’un noble devoir envers les générations montantes, qui, en toute légitimité, se doivent aussi de le réclamer. A chaque disparition d’un acteur, l’on assiste à un effacement d’un pan de notre histoire. A chaque enterrement, l’on y ensevelit avec une source testimoniale. Le salut de la postérité passe donc par la nécessité impérieuse d’immortaliser le témoignage, le récit et le vécu. Une telle déposition de conscience serait, outre une initiative volontaire de conviction, un hommage à la mémoire de ceux et de celles qui ont eu à acter le fait ou l’événement. Le témoignage devrait être mobilisé par une approche productive d’enseignement et de fierté. Raviver la mémoire, la conserver n’est qu’une détermination citoyenne et nationaliste. Toute structure dépouillée d’histoire est une structure sans soubassement et toute Nation dépourvue de conscience historique est une nation dépourvue de potentiel de créativité et d’intégration dans le processus de développement. C’est dans cette optique de rendre accessibles l’information historique, son extraction et sa mise en valeur que l'idée de la création de cette nouvelle tribune au titre si approprié : Memoria, a germé. Instrument supplémentaire dédié au renforcement des capacités de collecte et d’études historiques, je l’exhorte, en termes de mémoire objective, à plus de recherche, d’authenticité et de constance. [email protected] LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE (3) www.memoria.dz Supplément N°45 - Avril 2016 Fondateur Président du Groupe P.23 P.07 P.07 AMMAR KHELIFA Direction de la rédaction Zoubir KHELAIFIA Coordinatrices Meriem Khelifa Chahrazed KHELIFA Reporter - Photographe Abdessamed KHELIFA Rédaction Adel Fathi Dr Boualem Touarigt Dr Boudjemaâ HAICHOUR Leila Boukli Hassina AMROUNI Saci Belgat Samir D. Zoubir Khélaifia Direction Artistique Halim BOUZID Salim KASMI Impression SARL imprimerie Ed Diwan Contacts : ferhat abbas ferhat abbas le gpra P.23 P.07 Histoire Ferhat Abbas une réhabilitation insuffisante P.11 Histoire un indigène indigné P.15 Histoire La rupture avec l’illusion d’égalité P.19 Histoire un politique pour diriger la révolution Livre de Ferhat Abbas P.28 P.23 Histoire le dernier testament SARL COMESTA MEDIA N° 181 Bois des Cars 3 Dely-Ibrahim - Alger - Algérie Tél. : 00 213 (0) 661 929 726 + 213 (21) 360 915 Fax : + 213 (21) 360 899 E-mail : [email protected] [email protected] guerre de libération P.27 Histoire Mars, le mois des chouhada mostefa benboulaid P.30 P.31 Histoire le martyr de larbi ben m'hidi P.35 Histoire ali mellah P.39 Histoire Le secteur 1 de la zone 4 des Aurès-Nememcha Ain M’lila, de 1954 à 1962 www.memoria.dz colonel amirouche P.45 P.45 P.45 Supplément du magazine ELDJAZAIR.COM Consacré à l’histoire de l'Algérie Edité par : Le Groupe de Presse et de Communication Ali Mellah ali Boumendjel commandant si lakhdar Mohamed Hadjar en médaillon P.45 Histoire Le Moudjahid Bahri Rabah Le fidaï de ain m'lila mohand said mazouzi P.49 P.49 Histoire Le chahid Belgat Messaoud le martyr du 20 août 1955 P.57 Histoire Fatima Zohra Dridi, Ancienne Moudjahida et sportive La mémoire enfouie P.61 Histoire Décès de Mohand-Saïd Mazouzi L’Algérie pleure son « Mandela » belgat messaoud P.71 P.65 Histoire Guerre d’Algérie « Mémoire vive » de Rachid Benzema Témoigner contre l’oubli HISTOIRE D'UNE VILLE P.81 n'gaous ou niciubus la numide ville de n'gaous fatma zohra dridi SOMMA IRE P.61 P.44 Dépôt légal : 235-2008 ISSN : 1112-8860 ANEP N° : 410419 Ferhat Abbas une réhabilitation insuffisante Par Adel Fathi Guerre de libération Histoire S’il est un homme qui fut témoin de l’histoire du mouvement national dans toutes ses phases et ses péripéties, c’est lui. Militant depuis les années 1930, il tenta pendant longtemps d’arrimer ses idéaux de paix, d’égalité et de fraternité, qui sont ceux de la révolution française dont il s’est abreuvé, avec les promesses de changement qu’avaient fait miroiter les politiques français, lesquels eux-mêmes se retrouvaient en déphasage avec la réalité. S ’il est un homme qui fut témoin de l’histoire du mouvement national dans toutes ses phases et ses péripéties, c’est lui. Militant depuis les années 1930, il tenta pendant longtemps d’arrimer ses idéaux de paix, d’égalité et de fraternité, qui sont ceux de la révolution française dont il s’est abreuvé, avec les promesses de changement qu’avaient fait miroiter les politiques français, lesquels eux-mêmes se retrouvaient en déphasage avec la réalité. Le centenaire de l’occupation fêtée aussi par les assimilationnistes qui espéraient une révision du code de l’indigénat et l’octroi d’un statut de citoyens aux Algériens musulmans fut la première déception vécue par Ferhat Abbas qui continuait, néanmoins, inlassablement, sur toutes les tribunes et dans tous les médias, à louer les vertus de l’intégration et de l’égalité, et à rappeler l’engagement des dirigeants français en Algérie. Vint le 8 mai 1945. Le hasard a voulu que l’étincelle fût partie de la ville de Sétif, où Abbas tenait déjà depuis longtemps une pharmacie. Si luimême et d’autres nationalistes avaient pressenti une confrontation fatale, nul Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . (8) Supplément N°45 - Avril 2016. Guerre de libération Histoire 1 2 3 4 1- Ferhat Abbas. 2- Houari Boumedienne. 3- Colonel Chaabani. 4- Tahar Zbiri, à Batna en 1962 n’a pu prévoir l’ampleur du drame et ses répercussions immédiates. Le massacre de milliers d’Algériens sortis manifester dans les rues pour réclamer leur droit à la liberté, à l’annonce de l’armistice, mit ainsi fin à toute possibilité d’assimilation, telle que chantée par les laudateurs du colonialisme et ces voix modérées, y compris au sein du mouvement national, comme les oulémas qui, depuis cette date, avaient cessé de faire l’apologie de l’intégration dont était imprégné leur discours. Avant cette rupture ombilicale, en pleine Seconde Guerre mondiale, Ferhat Abbas avait proposé le Manifeste du parti algérien, approuvé LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE par le PPA et les oulémas, mettant clairement en avant l’indépendantisme du PPA : une république algérienne disposant de sa nationalité et de sa citoyenneté propres. Après le rejet, tout à fait prévisible, du Manifeste par le gouvernement et de la classe politique française dans son ensemble, les nationalistes algériens, fondent, en 1944, les Amis du manifeste et de la liberté (AML), pour défendre son programme et lancer une campagne de sensibilisation auprès des populations. C’est dire que Ferhat Abbas, contrairement à une certaine idée répandue, avait déjà muri l’idée d’indépendance, alors qu’il se tenait (9) encore bien à l’écart des tiraillements qui firent leur apparition au sein du PPA/MTLD, depuis notamment les élections de 1947. Même si, à vrai dire, tout comme Messali Hadj, les centralistes, les oulémas ou les communistes, Ferhat Abbas était de ceux qui qualifièrent les « activistes » du parti nationaliste qui voulaient accélérer l’avènement d’une insurrection armée d’ . Cela dit, au déclenchement de la révolution du 1er novembre 1954, Ferhat Abbas s’adapte rapidement à la nouvelle donne et manifeste aussitôt sa volonté d’y jouer un rôle. C’est ainsi qu’au congrès de la Soummam, et grâce notamment www.memoria.dz Guerre de libération Histoire au travail de rassemblement mené par Abane Ramdane, il est désigné avec son bras droit à l’UDMA, Dr Ahmed Francis, comme membres du CNRA, instance souveraine de la Révolution. Grâce à sa présence et à sa personnalité, l’option chère au congrès de la Soummam ( prééminence du politique sur le militaire ) trouve sa pleine signification. La création du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), le 18 septembre 1958, succédant au CCE, offrira aux nationalistes une opportunité historique, qui est celle se projeter dans le futur, en ambitionnant de suppléer un jour aux autorités coloniales. Avec ses ministres, ses cadres, ses délégués et, plus tard, Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ses ambassadeurs, le GPRA esquissait déjà ce qui était conçu comme un pré-gouvernement de l’Algérie indépendante. La qualité éminemment civile et pluraliste de sa composition, avec un Ferhat Abbas à sa tête, qui symbolisait ce long combat politique contre le colonialisme depuis les années 1930, était sans doute l’acquis politique le plus important. Très déstabilisé par les querelles de chapelles et autres «intrigues politiciennes» qui minaient les coulissent de son gouvernement et, plus généralement, du commandement de la Révolution, il sera mis à l’écart pour être remplacé par un autre « politique », Benyoucef Benkhedda. Il évita de s’impliquer dans le conflit GPRA-Etat- ( 10 ) major qui s’aiguisait au fur et à mesure que l’indépendance approchait, mais ne se gêna pas d’exprimer son désappointement. Par la voix du jeune colonel Lotfi, venu assister fin 1961 à la fameuse réunion des colonels, Ferhat Abbas a noté ses confessions pleines d’amertume, qui prévoyaient en fait la guerre fratricide, entre le GPRA et les wilayas qui lui étaient loyales, d’un côté, et l’état-major de l’armée, de l’autre, qui va éclater à l’annonce de l’Indépendance, et prédisait dans le même temps le désarroi du peuple qui accédait enfin à la paix. « L’atmosphère au sein de la Délégation extérieure lui faisait peur», écrit Abbas, parlant du chef de la wilaya V dépité par la tournure prise par les événements. «Les luttes sourdes des colonels ne lui avaient pas échappé. Il en était épouvanté : j’aime mieux mourir dans le maquis que de vivre avec ces loups. » Ferhat Abbas parlera aussi dans ses Mémoires, avec le même sentiment de dépit, de la crise 1962 et de ses retombées néfastes. A l’indépendance, il tenta une ultime expérience à la tête de la première Assemblée constituante, en acceptant de nouveaux compromis avec le nouveau gouvernement, mais celleci tourna court. Banni, excommunié, il ne sera réhabilité que longtemps après mort, survenue le 24 décembre 1985. Ses ouvrages, d’une valeur historique et bibliographique inestimable, n’ont retrouvé leur chemin vers l’édition dans son pays qu’au cours de ces dernières années, encore que les lecteurs ne trouvent sur les étals que certains de ses témoignages. Adel Fathi Supplément N°45 - Avril 2016. un indigène indigné Par Adel Fathi Guerre de libération Histoire L’éveil aux idées nationalistes chez Ferhat Abbas s’est fait par étapes, sinueuses et souvent douloureuses, et fut d’abord forgé par les confrontations intellectuelles auxquelles il a participé depuis son jeune âge, c’est-à-dire depuis les années 1920. Les historiographes se plaisent à le décrire comme un éternel «assimilationniste», en se référant à ses premières positions politiques sur la nation algérienne qu’il a cherchée, entre autres, « dans les cimetières… » ; mais, cela s’insérerait dans une optique idéologique qui, loin d’être figée ou dogmatique, était en perpétuel mouvement. D ans son premier engagement avec le journal L’Action directe, qui se réclamait du nationalisme dit «intégral», inspiré de l’idéologie maurassienne, il se battait déjà pour l’émancipation des «indigènes» : autonomie des corporations indigènes locales et régionales, autonomie en matière de réglementation sociale et économique, suffrage universel dans les élections municipales, large représentation de corporations, des communes, des notables et chefs indigènes, constituant une assemblée auprès du gouvernement français… « En 1920, écrit Ferhat Abbas dans un de ses témoignages, les hommes de ma génération avaient vingt ans, personnellement je me mis à penser que l’Algérie ressemblait à la France d’ancien régime à la veille de 1789. Il n’y a rien dans le Livre saint qui puisse empêcher un Algérien musulman d’être nationalement un Français […] au cœur loyal conscient de sa solidarité nationale. » Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Pour une large partie de l’élite algérienne la plus éclairée, la politique d’assimilation avec un maintien du statut personnel et l’égalité des droits dans le cadre de la souveraineté française, semblait être l’unique voie de revendication pour sortir du code de l’indigénat qui n’a jamais été réellement abrogé. C’est ce qui poussa le jeune Ferhat Abbas à militer activement au sein du Mouvement de la jeunesse algérienne. Les concepteurs de ce code scélérat justifiaient sa prorogation en di- ( 12 ) sant alors que c’était « un passage obligé dans le lent travail que nécessite l’œuvre de la mission civilisatrice ». Conçu au départ pour une période sept ans, le code de l’indigénat est prorogé dans toutes les colonies jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il a été aboli par le décret du 22 décembre 1945, qui supprime les sanctions de police administrative. Puis, un deuxième décret, celui du 20 février 1946, viendra supprimer les peines exceptionnelles de l'indigénat, c'està-dire l'internement, l'assignation à résidence et les amendes collec- Supplément N°45 - Avril 2016. Guerre de libération Histoire tives. Mais l'égalité juridique entre tous les citoyens dans les colonies n'est instaurée qu'en 1956. En Algérie, il faut attendre 1958 pour que le « double collège », incarnation du code de l’indigénat, soit supprimé. Encore que l’abolition de ce code n’avait pas entrainé, de fait, le droit d’accès des Algériens à leur souveraineté nationale, qui transcendait toutes les prétendues concessions envisagées par les gouvernements français successifs. En 1930, au lendemain du centenaire de la colonisation, Ferhat Abbas publie le livre Le Jeune Algérien, dans lequel il développe une nouvelle approche de lutte contre l’injustice coloniale, tout en appelant à affermir la concorde entre Français et « musulmans ». Plus virulent que jamais, il met en exergue la question d’algérianité et parle, pour la première fois, d’Etat algérien. Influencé par les idées véhiculées par l’Emir Khaled et celle de la Renaissance arabe, la Nahda, représentée alors par l’Emir Chakib Arslane et les oulémas réformistes qui venaient de fonder leur association sous l’impulsion de cheikh Abdelhamid Ibn Badis. Sans aller jusqu’à revendiquer l’indépendance, comme commenceront à le faire à la même période les fondateurs de l’Etoile nord-africaine, il n’en esquissait pas moins une ébauche qui allait nourrir tout un courant politique durant les années 1930 et 1940, lequel courant deviendra un appui essentiel du MTLD, puis du CRUA. Dans cet ouvrage précurseur, il souligne avec force : « Nous sommes chez nous. LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Nous ne pouvons aller ailleurs. C’est cette terre qui a nourri nos ancêtres, c’est cette terre qui nourrira nos enfants. Libres ou esclaves, elle nous appartient, nous lui appartenons et elle ne voudra pas nous laisser périr. L’Algérie ne peut vivre sans nous. Nous ne pouvons vivre sans elle. Celui qui rêve à notre avenir comme à celui des Peaux-Rouges d’Amérique se trompe. Ce sont les Arabo-Berbères qui ( 13 ) ont fixé, il y a quatorze siècles, le destin de l’Algérie. Ce destin ne pourra pas demain s’accomplir sans eux. » Diplômé en pharmacie en 1933, il s’établit à Sétif où il s’impose rapidement comme un acteur politique incontournable, que ce soit au sein du mouvement national ou dans le débat général sur la représentation des Algériens dans les institutions www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Manifestation du MTLD à Paris officielles. Conseiller général en 1934, il devient conseiller municipal en 1935, puis membre des Délégations financières, qui tenaient lieu d'Assemblée algérienne, mais avec des prérogatives limitées. Il trouvera plus de libertés pour exprimer ses idées en adhérant à la Fédération des élus musulmans du département de Constantine, dont il dirigera l’organe de presse, L’Entente, prônant l’entente franco-musulmane, sous la houlette du docteur Bendjelloul, figure marquante du nationalisme algérien à cette époque et fondateur de l’Union populaire algérienne. Vilipendés aussi bien par l’administration française que par les nationalistes radicaux Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . qui les taxaient de «renégats», les membres de cette association ont néanmoins joué un rôle important dans la formation du nationalisme algérien en établissant une médiation entre les formes de politique moderne (élections, assemblées…) et les populations algériennes ayant le droit de vote. Son choc idéologique avec les nationalistes radicaux, et même avec les communistes, les oulémas et les disciples de l’Emir Khaled, va le pousser, en 1936, à faire une grave régression, en déclarant la rupture avec toute idée de patriotisme et son amour pour la colonisation. Son article intitulé « La France, c'est moi ! » fera date. Il clame : ( 14 ) « Si j'avais découvert la nation algérienne, je serais nationaliste et je n'en rougirais pas comme d'un crime. Mais je ne mourrai pas pour la patrie algérienne parce que cette patrie n'existe pas. J'ai interrogé l'histoire, j'ai interrogé les vivants et les morts, j'ai visité les cimetières, personne ne m'en a parlé. Sans doute, ai-je trouvé l'Empire arabe, l'Empire musulman qui honorent l'Islam et notre race, mais les Empires se sont éteints. On ne bâtit pas sur du vent. Nous avons donc écarté une fois pour toutes les nuées et les chimères pour lier définitivement notre avenir à celui de l'œuvre française dans ce pays. » Les années suivantes vont démonter, une à une, toutes ses illusions. Adel Fathi Supplément N°45 - Avril 2016. La rupture avec l’illusion d’égalité Par Adel Fathi Guerre de libération Histoire Revenant à de meilleurs sentiments dès le début des 1940, Ferhat Abbas reprend son combat pour l’intégration et l’égalité «dans le cadre d’une souveraineté française». Il est désormais convaincu que le colonialisme reste «une entreprise raciale de domination et d'exploitation» dans laquelle même les élites républicaines françaises les plus éclairées étaient entièrement impliquées. E n 1941, alors qu’il était engagé dans l’armée française, il adresse au maréchal Pétain, chef du régime de Vichy, une lettre poignante, intitulée « L'Algérie de demain », attirant son attention sur la situation dramatique que vivaient les « indigènes musulmans » et réclamant des réformes urgentes pour y remédier. Le maréchal lui répond, mais ne s’engage sur aucune décision. Abbas se tourne alors vers l’amiral Darlan, maintenu au pouvoir par les Alliés après le débarquement allemand en Algérie, mais c’était encore peine perdue. Profitant d’un certain relâchement des autorités coloniales, durant cette période d’occupation de la France métropolitaine par l’armée nazie, les nationalistes algériens décidèrent d’intensifier leur action et leurs rencontres en vue de construire un rapport des forces qui leur soit favorable, et, pour les plus radicaux, de passer éventuellement à l’action, autrement dit à la lutte armée. C’est dans cette optique que Ferhat Abbas publie, le 10 février 1943, un manifeste, le « Manifeste du peuple algérien », demandant un nouveau statut pour l’Algérie, qui va beaucoup plus loin que ses précédentes requêtes, et parle Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 16 ) Supplément N°45 - Avril 2016. Guerre de libération Histoire ouvertement d’une « nation algérienne ». Le projet a été soumis à la Commission des réformes économiques et sociales musulmanes créée par le gouverneur général Peyrouton. Mais son successeur, le général Georges Catroux, bloque le projet et rejette les initiatives prises par Ferhat Abbas. Résultat : celui-ci est, de septembre à décembre, assigné à résidence à In Salah, dans le sud du pays, sur décision du général de Gaulle, alors chef du Comité français de la Libération nationale. N’empêche que le gouvernement français a fini par répondre, bien que partiellement, aux doléances formulées par Abbas et ses amis, en signant les décrets du 7 mars 1944, permettant l'accession de dizaines de milliers de musulmans à la citoyenneté française, et d’être élus dans des assemblées locales comptant deux cinquièmes d'élus indigènes. Des concessions qui en appelleront d’autres, mais les nationalistes avaient compris que c’étaient plutôt des mesures en trompe-l’œil, et que tout cela n’était qu’un plan visant à absorber la révolte des élites algériennes et à les détourner surtout de la revendication d’indépendance qui commençait à faire son chemin et qui était, alors, portée par le PPA. Ferhat Abbas en était, certes, encore loin, mais ses rencontres de plus en plus fréquentes avec les représentants des autres segments du mouvement national l’en rapprochaient peu à peu. Ainsi, le 14 mars 1944, il fonde l’association des Amis du manifeste de la liberté (AML), avec le soutien actif du cheikh Brahimi, président de l'Association des oulémas et de Messali Hadj, chef du PPA. Au cours de LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Cheikh Bachir Ibrahimi Messali Hadj ( 17 ) www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Pierre Chaulet et Ferhat Abbas la même année, il crée l’hebdomadaire Égalité qui relayait des idées débattues dans les cercles politiques les plus élargis, et relevait systématiquement, et sans détours, les contradictions de la politique coloniale de la France en Algérie. Il est de nouveau dans le viseur des autorités, puisqu’au lendemain des manifestations tragiques du 8 mai 1945 à Sétif, son fief, il est arrêté avec d’autres militants et l'AML est dissoute. Libéré en 1946, il renoue avec l’activisme politique et fonde l’Union démocratique du manifeste algérien (UDMA). Cette formation a axé son programme sur le contenu du Manifeste algérien, réaffirmant son attachement à œuvrer à la concrétisation de la liberté et de l'égalité, son refus de l'assimilation et de la scission avec la France, compte tenu de l'accession récente, de son point de vue, du peuple algérien « à la démocratie, aux sciences et à l'industrie Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . », et qui se doit donc de «s'associer à une grande nation libre et de se frotter à une démocratie française ancienne». Sans jamais vouloir couper les ponts avec les nationalistes dits radicaux du PPA, et plus tard de sa vitrine légale, le MTLD, il affirma qu'il œuvrait pour «l’entente et la compréhension» entre Algériens et Européens dans le cadre d'un « Etat libre, rattaché à la France ». Son programme politique est clairement exprimé dans les résolutions votées par le congrès de l'UDMA, tenu en octobre 1947 à Blida, point de chute des Udmistes, mais aussi des centralistes du MTLD. C’est d’ailleurs, au cours d’une réunion à Blida, où étaient présents tous les représentants de la classe politique algérienne et même française, que Ferhat Abbas a prononcé son discours le plus dur envers le colonialisme, et qui reste dans les annales : « Nous vous avons demandé l’égalité devant la loi, ( 18 ) clama-t-il, mais nos demandes étaient toujours rejetées. Je vous préviens qu’il arrivera un jour où vous allez regretter ce traitement injuste. Nous, nous allons vieillir, une nouvelle génération viendra après nous, et nous verrons nos enfants combattre vos enfants, et beaucoup de sang coulera jusqu’à ce que leur liberté soit recouverte. » Toujours légaliste, mais plus méfiant que jamais, il décide de participer aux élections de juin de la même année. Son parti obtient onze des treize sièges du deuxième collège à la seconde Assemblée constituante et Ferhat Abbas est élu député de Sétif, avant de démissionner quelques mois plus tard, après le rejet de son projet de loi portant création d’une République algérienne « unie à la France par un lien fédéral ». C’est la fin d’une époque et le premier pas dans la voie radicale. Adel Fathi Supplément N°45 - Avril 2016. Ferhat Abbas un politique pour diriger la révolution Par Adel Fathi Guerre de libération Histoire Le basculement révolutionnaire opéré par Ferhat Abbas fut relativement lent et tardif, comparé à celui d’autres politiques de la mouvance libérale, mais son ascension sera fulgurante et d’un apport incomparable, à la mesure du personnage qui, comme durant toutes les crises qu’avait connues le mouvement national, a su insuffler une dynamique politique au combat libérateur. A près sa démission de l'Assemblée, à la suite d’une succession de déboires, il durcit progressivement ses positions politiques à l’égard de la colonisation, tout en se démarquant des appels à l’action armée émanant des groupes d’activistes au sein du MTLD, puis de l’OS. Il commence d’abord à exprimer sa nouvelle orientation à travers ses articles, plus incisifs les uns que les autres. L’hebdomadaire Egalité, qu’il dirigeait devient, à partir de février 1948, Egalité-République algérienne, puis République algérienne en juin de la même année. Une titraille qui reflète très clairement l’évolution de son état d’âme, mais surtout de son engagement qui va murir au fil des jours. Même s’il est vrai que les événements vont très vite s’accélérer, dépassant ainsi tous les clivages qui minaient alors les différents courants nationalistes. Ferhat Abbas a vu venir cette rupture imminente et définitive, et en était déjà bien conscient, mais préféra rester à l’écart – pas trop longtemps, néanmoins – de ce bouillonnement qui donnera naissance au Front de libération nationale et annoncera le 1er novembre 1954 le déclenchement de la lutte armée. Dès le mois de mai Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Ferhat Abbas, Boudiaf, Bitat, Ben Bella et Aït Ahmed aux frontières Algéro-Marocaine 1962 Ferhat Abbas et Hassan II ( 20 ) Supplément N°45 - Avril 2016. Guerre de libération Histoire 1955, il décide secrètement de rejoindre le FLN, après de maintes rencontres avec les chefs de l’Algérois, notamment Abane Ramdane et Amar Ouamrane. C’est d’ailleurs durant la même période, et presque de la même manière, que le futur architecte du congrès de la Soummam a pu convaincre des figures politiques, au début dubitatives, appartenant à des courants aussi divers que l’UDMA, les oulémas ou le PCA, de rallier le FLN ; lesquelles figures se verront même, quelque temps plus tard, occuper des postes de responsabilité au sein des plus hautes instances de directions de la révolution (CNRA, CCE...). Pour Abane et Ben Mh’idi notamment, il y avait comme un souci, urgent et profond, de renforcer «le politique» et de ne pas laisser la révolution aux seules mains des militaires. D’où la fameuse devise du congrès, très contestée par d’autres : «La primauté du politique sur le militaire.» L’adhésion des Ferhat Abbas, Benyoucef Benkhedda, Ahmed Francis était, en ce sens, la bienvenue. Quelques mois plus tard, Abbas annonce publiquement son ralliement et la dissolution officielle de son parti, l'UDMA, lors d'une conférence de presse au Caire le 25 avril 1956. Car, c’était en Egypte que la Délégation extérieure de la Révolution était alors installée, avant le célèbre détournement d’avion du 22 octobre 1956. Dès le 20 août 1956, à l'issue du congrès de la Soummam, Ferhat Abbas est nommé membre titulaire du Conseil national de la révolution algérienne (CNRA), qui en comptait alors moins d’une vingtaine, puis intègre le Comité de coordination et d'exécution (CCE), dès sa création en 1957. C’est dire que, très vite, les dirigeants de la Révolution avaient compris l’importance du rôle que devait jouer l’ancien lea- LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Le GPRA au Caire Ferhat Abbas à droite Délégation du GPRA avec le Président Yougoslave Jozip Broz Tito à gauche ( 21 ) www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Habib Bourguiba, Ferhat Abbas et Jozip Broz Tito der de l’UDMA qui venait juste de les rejoindre. Fin diplomate, homme de consensus et figure respectée des Français, il était bien l’homme qui convenait le mieux dans une conjoncture exigeant une offensive diplomatique tous azimuts pour faire entendre la voix de l’Algérie dans le monde et imposer la cause algérienne dans les tribunes internationales. C’est alors naturellement qu’il sera nommé à la tête du premier gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) à sa création le 19 septembre 1958, puis du second GPRA, élu par le CNRA en janvier 1960. Le GPRA ayant fait de l’action diplomatique son crédo, au point d’ailleurs de faillir, à des moments, dans ses rapports avec les maquis de l’intérieur, et de ne pas s’apercevoir de la montée en puissance de l’armée des frontières qui va poser ensuite un grand problème à ce gouvernement. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Face à l’exacerbation des luttes de clans au sein du commandement de la Révolution, et à l’impasse constatée dans les négociations engagées avec le gouvernement français, il se retrouve de fait isolé. Il sera écarté du GPRA et remplacé par un autre vieux routier de la politique, Benyoucef Benkhedda, qui, lui non plus, n’a pas su tirer son épingle du jeu devant les tiraillements et les conflits larvés entre différents centres de décisions. En froid avec le GPRA, il résista un temps à la tentation de rallier «l’autre camp», conduit par Ben Bella, mais finira par y céder, quelques jours après la création du Bureau politique présidé par un autre ténor politique, Mohamed Khider, le 11 juillet 1962. Ce premier «bureau politique» mis sur pied pour parer à l’urgence, a même réussi le pari de créer une percée au sein même des états-majors de certaines wilayas de ( 22 ) l’intérieur, dont une partie était restée loyale au GPRA, du moins aux chefs historiques de l’ALN qui y étaient représentés. Au nom de l’unité des rangs et du consensus, il appuya la démarche du nouveau pouvoir, qui avait pourtant neutralisé ses anciens compagnons du GPRA, mais, tout en contestant publiquement le principe de parti unique adopté au congrès de Tripoli. Il eut ensuite le privilège de présider la première Assemblée nationale constituante, le 20 septembre 1962, avec 155 voix contre 36 blancs ou nuls, et celui de proclamer, le 25 septembre 1962, la naissance de la République algérienne démocratique et populaire. Il a usé de tout son art de diplomate et de tout son poids d’historique pour aplanir les différends qui éclataient au grand jour, et qui menaçaient d’une guerre civile, mais ce fut peine perdue. . Adel Fathi Supplément N°45 - Avril 2016. Ferhat Abbas le dernier testament Par Adel Fathi Guerre de libération Histoire Demain se lèvera le jour est le dernier texte écrit par Ferhat Abbas, publié à titre posthume par Alger- Livres Editions en 2010. Selon son fils, Abdelhamid, auteur de la préface, l’ouvrage a été rédigé durant la période où son illustre père était en résidence surveillée sous le régime de Boumediene, et revu dans les dernières années de sa vie. «Je suis au soir de ma vie. Ce livre est le dernier acte de ma vie politique. C’est un adieu à l’Algérie, à mes amis du Maghreb et à tous ceux que j’ai aimés et servis durant ma longue carrière. Et aussi un adieu à mes amis français de France et d’Algérie, et particulièrement à ceux qui ont vécu à nos côtés durant notre terrible guerre de Libération, souvent au péril de leur vie», écrit Ferhat Abbas en préambule. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 24 ) Supplément N°45 - Avril 2016. Guerre de libération S e voulant la synthèse de tout un parcours militant, s’étalant sur plus d’un demi-siècle, l’ouvrage se lit surtout comme un testament laissé aux générations montantes, avec des vœux d’espoir et des interrogations. « Que nous réserve l’an 2000 ? Où va notre civilisation ? se demande-t-il d’entrée. Gardons-nous d’émettre la moindre opinion. L’avenir appartient à Dieu et à ceux qui le feront.» Loin de toute rancœur ou esprit de vengeance qu’auraient pu engendrer chez lui tant d’années de brimade et d’ostracisme, depuis sa mise à l’écart en 1962, il s’astreint à une analyse objective et désintéressée : « Nous avons pris un retard mortel. Arriverons- nous en bonne santé à la fin de ce siècle ? Ne confondons pas démocratie, liberté avec intolérance et désordre public. Il est temps qu’un pouvoir fort et juste en même temps s’arme de lois, mobilise à nouveau le pays et nous contraigne à balayer devant nos portes.» Inquiet pour son pays, sa cohésion et sa stabilité, face à la montée de la violence après les attentats terroristes commis au début des années 1980 au centre du pays, vraisemblablement par le groupe Bouyali, il ne manque pas d’alerter l’opinion et d’appeler à la vigilance. Visionnaire, il écrit : « Or voici qu’apparaît aux portes d’Alger le terrorisme politique, qui n’hésite pas à tuer, à frapper des innocents (…). La tuerie de Larbaâ est grave. Nous sommes gagnés par le démon individualiste et la course vers le pouvoir qui veut s’imposer par la terreur (…). Nous sommes tous concernés par ce drame. Il ne relève pas uniquement du gendarme, mais de la vigilance et de la cohésion du peuple lui-même. En par- LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Histoire Ferhat Abbas et hassani inspectant la base Didouche Habib Bourguiba à gauche et Ferhat Abbas ticulier, les anciens moudjahidine doivent réagir. Par leurs sacrifices, ils nous ont restitué le pays de nos ancêtres. Une fois de plus, leur devoir est de sauvegarder son unité nationale.» Dans ce testament, le premier président du GPRA revient sur sa venue au mouvement national et corrige, au passage, certaines idées reçues sur ses origines sociales. Il écrit à ce propos : « J’ai vécu un demisiècle sous le régime colonial. J’en ai subi ( 25 ) les contrecoups autant sinon plus que mes autres compatriotes. Je n’appartiens pas à la chevalerie arabe, ni à la noblesse maraboutique, pas même à la bourgeoisie.» Abordant, avec le recul nécessaire, la question de l’assimilation qu’il avait défendue pendant de longues années avant son adhésion à la révolution du 1er Novembre 1954, il dira : « Le racisme des Français d’Algérie n’était pas identique à celui de l’Afrique du Sud. Ce que les colons n’ont www.memoria.dz Guerre de libération Histoire jamais admis est le fait que nous revendiquions pour échapper aux lois d’exception et nous élever à leur niveau. Cette revendication les rendait haineux et méchants, car ils avaient conservé de l’arabe une peur viscérale venue du Moyen-âge, peur attisée par la crainte de nous voir bénéficier des mêmes droits qu’eux.» Impitoyable dans son analyse de la situation de l’Algérie postindépendance, Ferhat Abbas critique les choix politiques et idéologiques adoptés au lendemain du recouvrement de la souveraineté : « En juillet 1962, l’indépendance acquise, nous nous sommes comportés comme un peuple sous-développé et primitif. Nous nous sommes disputé les places et nous avons tourné le dos aux valeurs et aux vertus qui nous ont conduits à la victoire. J’ai vu nos mœurs dégénérer en traumatisant l’Algérie musulmane comme elle ne Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . l’avait jamais été durant la guerre. Notre République algérienne a été affublée d’un appendice, celui de « démocratie populaire », ce qui veut dire, en clair, qu’elle n’est ni démocratique ni populaire », écrit-il avec regret. Dans le même esprit, il en veut aux dirigeants d’avoir cultivé le désespoir qui a, selon lui, freiné l’essor du pays, et les accuse d’un certain révisionnisme : « Tout ce qui a motivé notre insurrection a été saboté : le respect des droits de l’homme, celui des libertés individuelles et de la dignité du citoyen, le retour du fellah à la terre, le respect de la propriété privée. Nous sommes installés dans le provisoire et la médiocrité et nous avons cessé de travailler. Dans leur majorité, les Algériens ont confondu indépendance et Etat-providence. Tout un chacun se mit à attendre les pétrodollars », s’indigne-t-il. ( 26 ) Il clôt son testament avec une note d’optimisme qui a, en fait, toujours caractérisé son engagement depuis son jeune âge, depuis la création du Mouvement des jeunes algériens dans les années 1930 : «Peut-être le lecteur permettra-til à mon âge d’exprimer un souhait : celui de voir les générations de demain vivre de leur travail, s’entourer de bien-être et vivre en paix. C’est mon vœu le plus cher.» Il croyait fermement, avec tout ce qu’il a enduré et l’amertume qu’il a dû ressentir, que l’Algérie allait surmonter toutes ses épreuves : « La nuit coloniale est morte. Le Moyenâge et sa violence se meurent. Les guerres religieuses s’achèvent. Demain se lèvera le jour» . Adel Fathi Supplément N°45 - Avril 2016. Mostefa Benboulaid Colonel Si el Haoues Mars, le mois chouhada Colonel Amirouche des Ali Boumendjel Larbi Ben M'hidi Colonel Lotfi Ali Mellah Mohamed Ferradj Si Lakhdar Par Boualem Touarigt Guerre de libération Histoire Les Algériens considèrent le mois de mars comme le mois des chouhada. Ils ont été en effet nombreux à tomber au champ d’honneur dans une journée de mars. L M ostefa Ben Boulaïd, le premier chef de la wilaya des Aurès est mort le 22 mars 1956 dans l’explosion d’un poste radio piégé qui avait été parachuté par l’armée française. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . arbi Ben M’hidi a été assassiné par Aussaresses dans la nuit du 3 au 4 mars 1957, pendu dans une ferme situéeau bord de la route nationale 1 reliant Alger à Blida, exécuté sur ordre du général Massu, commandant des parachutistes chargés de la répression dans Alger, qui ne voulait pas d’un procès qui aurait tourné à l’avantage du chahid. Bien après l’indépendance, Aussaresses confirma l’avoir pendu sur ordre et avoir maquillé l’exécution en suicide, avec l’accord des magistrats civils. D’autres témoins, notamment l’ancien lieutenant Allaire qui l’avait emprisonné et interrogé rendirent hommage à la stature du chahid, sa sérénité et au respect qu’il leur avait imposé. Les officiers parachutistes reconnurent l’avoir remis sur ordre à Aussaresses et qu’ils lui présentèrent les honneurs militaires, ayant compris qu’il devait être exécuté par Aussaresses. Tous rendirent hommage à sa grandeur morale et à la sérénité dont il fit preuve quand il comprit le sort qui lui avait été réservé. Ils affirmèrent qu’il n’avait pas fait l’objet de tortures. ( 28 ) Supplément N°45 - Avril 2016. Guerre de libération Histoire A li Boumendjel a été exécuté trois semaines plus tard, le 23 mars 1957 par Aussaresses qui le précipita du haut de l’immeuble, alors en construction qui servait de centre de tortures pour les parachutistes et situé à l’actuel numéro 89 du boulevard Ali Khodja à El Biar. Dans cette construction fut également torturé Henri Alleg qui témoignera plus tard y avoir rencontré le chahid Maurice Audin qui y avait été torturé. LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE L e 5 mars 1958 tombait au champ d’honneur le commandant Si Lakhdar (Rabah Mokrani) au Djebel Boulegroune suite à un accrochage avec l’armée française. Il fut enterré sur place au douar Zenine. Originaire du village de Guergour, le commandant Si Lakhdar, chef militaire de la wilaya 4 aux côtés du colonel Si M’hamed Bougara contribua avec Ali Khodja à constituer les commandos d’élite de l’ALN, bien équipés, bien armés et soumis à une stricte discipline. Son nom a été donné au village colonial de Palestro. ( 29 ) www.memoria.dz Guerre de libération Histoire U ne année plus tard, le 29 mars 1959, tombaient au champ d’honneur le colonel Amirouche, commandant de la wilaya3 et le colonel Ben Abderzak, dit Si El Haoues dans un accrochage au djebel Thameur, au sud de Boussaâda, alors qu’ils étaient en route vers Tunis pour y rencontrer le GPRA. L e colonel Lotfi (de son vrai nom Benali Boudghène) est tombé au champ d’honneur le 27 mars 1960 dans le Djebel Béchar, près de la frontière marocaine. Il avait décidé de rentrer en Algérie pour diriger directement sur le terrain la wilaya 5 au milieu de ses moudjahidine. Accompagné de son adjoint, le commandant Farradj et de deux moudjahidine, de déplaçant à dos de chameau, le petit groupe fut repéré par des indicateurs et attaqué par l’aviation de l’armée française. Cet action fut l’occasion pour des officiers français de l’action psychologique de mener une véritable intoxication affirmant que la mort des combattants de l’ALN avait été cachée et qu’ils avaient saisi l’occasion pour envoyer par radio des messages truqués aux combattants de la wilaya 5 en utilisant le poste radio que transportait le colonel Lotfi en se faisant passer pour lui., jouant sur le fait que la mort du chef de la wilaya avait été tenue secrète. Or, le décès du colonel Lotfi avait été rapporté » par la presse publique française et l’ALN était au courant. (voir Mémoria , édition de juin 2015). Boualem Touarigt Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 30 ) Supplément N°45 - Avril 2016. Le martyre de Larbi Ben M’hidi Par Boualem Touarigt Guerre de libération Histoire Larbi Ben M’hidi est une figure emblématique de la Révolution algérienne qui a marqué ses compagnons et ses adversaires par sa grandeur d’âme, sa passion, sa vision de l’avenir de l’Algérie. Ses tortionnaires, en particulier ceux qui l’ont arrêté, côtoyé puis exécuté lui ont rendu hommage, impressionnés par la sérénité qu’il dégageait. 1 2 3 1-Abdelhafid Boussouf. 2- Larbi Ben M'hidi. 3- Houari Boumediene L e lieutenant parachutiste Allaire qui l’avait arrêté, apporta son témoignage une trentaine d’années après l’indépendance : «j’aurais aimé avoir un patron comme ça de mon côté. Ben Mhidi, c’était un seigneur ! » Il a été arrêté par les parachutistes au cours d’une perquisition de routine dans un appartement que les parachutistes soupçonnaient être loué pour le compte du FLN. Situé à côté du lieu de réunion du CCE, à la maison du Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . 1 3 2 1-Abdelhafid Boussouf. 2- Larbi Ben M'hidi. 3- Houari Boumediene ( 32 ) Supplément N°45 - Avril 2016. Guerre de libération Histoire chahid AMARA au boulevard du Télémly, ce studio de l’ancien quartier Débussy faisait partie des nombreux lieux d’hébergement clandestins utilisés par les dirigeants du FLN qui s’y rendaient d’une façon inopinée, sans prévenir personne. Ben M’hidi fut reconnu lorsqu’il fut amené au centre de tri. Les témoignages concordaient sur un point : Il n’a pas été torturé, les soldats de l’armée française avaient compris que cela n’aurait servi à rien. Sa personnalité exceptionnelle a été encore grandie par les éloges particuliers des militaires de l’armée française et les témoignages de ses compagnons de combat. Le colonel Bigeard remit son prisonnier à une équipe de militaires dirigée par le commandant Aussaresses, sur injonction de son supérieur le général Massu qui avait décidé de l’exécuter afin d’éviter son jugement par un tribunal, ce qui qui aurait, d’après lui, servi la cause du FLN. Sur les circonstances de sa mort, les témoignages divergent. Yacef Saadi aurait affirmé que sur sa dépouille exhumée après l’indépendance, on aurait trouvé des traces de balles. Un militant du FLN a raconté qu’il avait trouvé le corps du martyr à la morgue et qu’il portait des traces de strangulation. Dans son livre de témoignages, le général Aussaresses raconte l’exécution de Larbi Ben M’hidi. Il parle d’une ferme appartenant à un colon, située sur la route Alger Blida, à peu près à une quinzaine de kilomètres avant Boufarik. Ce lieu n’a pas été depuis retrouvé. L’équipe emmenée LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Larbi Ben M'hidi ( 33 ) www.memoria.dz Guerre de libération Histoire par Aussaresses aurait procédé à l’exécution par pendaison. Le colonel Bigeard révéla plus tard avoir été volontairement absent lorsque son prisonnier fut remis à Aussaresses et qu’il avait demandé à ses soldats de lui présenter les armes, une manière de lui rendre hommage une dernière Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . fois, sachant le sort qui lui avait été réservé. De sa biographie, on retiendra qu’il était né à Aïn Mlila, qu’il s’était engagé très tôt dans le mouvement national, et que recherché par la police, il avait vécu comme clandestin dans différentes régions du pays. Il a été notamment cadre de l’Orga- ( 34 ) nisation Spéciale dans la Région d’Oran, qu’il sera chargé ensuite de diriger à la veille du déclenchement du 1er novembre. C’est à ce titre, que l’Histoire l’a retenu comme membre fondateur du FLN dans le groupe des « six ». Les témoignages de ses compagnons de combat dans la clandestinité révèlent qu’il fut d’abord un politique, proche des combattants à qui il essayait de faire comprendre la portée éminemment politique de chacun de leurs actes. Il prit une part essentielle dans l’organisation et le déclenchement de la grève des huit jours qu’il avait marquée de son empreinte. On raconte que s’étant rendu clandestinement en Egypte, il aurait rejoint le pays en déclarant : » je préfère rentrer mourir en Algérie et ne pas voir l’indépendance. s’il le faut. Ces propos et bien d’autres, gravés dans la mémoire populaire témoignent de l’image qu’a retenue de lui la conscience populaire. Parlant de la torture exercée par l’armée française sur les Algériens, il disait en se pinçant le bras : « et toi, vieille carcasse, comment vas-tu réagir ? Seras-tu capable de tenir ? » Il est difficile de parler de Ben M’hidi de façon neutre et détachée, tant son image dans la conscience populaire est forte et empreinte d’une auréole toute particulière. C’était le chef politique proche du combat quotidien, capable d’entraîner par sa grandeur morale, capable aussi d’imposer le respect à ses ennemis qui décidèrent de l’exécuter pour ne pas avoir à le juger. Boualem Touarigt Supplément N°45 - Avril 2016. Ali Mellah Par Boualem Touarigt Guerre de libération Histoire Le 31 mars 1957, au djebel Chaoun, sur le territoire de l’actuelle commune de Tarek Ben Ziad, tombait au champ d’honneur le colonel Si Chérif, de son vrai nom Ali Mellah, alors commandant de la Wilaya VI, depuis sa nomination à la suite du Congrès de la Soummam, Originaire de la région de Draa el Mizan, il est né le 14 février 1924 dans le village de Taka, relevant de la commune de M’kira. Il reçut de son père qui était imam une éducation traditionnelle religieuse. Il rejoint très tôt le mouvement national en adhérant au MTLD juste après la Seconde Guerre mondiale. M embre de l’Organisation Spéciale, il aurait participé au congrès de cette structure qui s’est tenu en 1947. Avant le déclenchement de la guerre de libération nationale, il occupe différentes fonctions au sein de l’organisation clandestine du Mouvement national à Dellys et Tigzirt. Il mena des actions armées bien avant le 1er novembre 1954 et se fit remarquer au début de la guerre de libération nationale par l’attaque du poste militaire du village de Michelet. Nommé membre du CNRA et colonel de l’ALN, il est chargé par le congrès de la Soumam de diriger la vaste région du Sud du pays, où l’implantation de l’ALN avait été relativement faible. Il se retrouva confronté à l’opposition armée de membres du mouvement messaliste, le MNA qui s’accrochèrent aux moudjahidine, prenant position ouvertement Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Le colonel Ali Mellah à gauche ( 36 ) Supplément N°45 - Avril 2016. Guerre de libération Histoire De g. à dr. : Ali Mellah, M'hamed Bougara, Ali Zamoum, Amar Ouamrane, Sadek Déhiles et Omar Oussedik contre la revendication d’indépendance et devenant de fait sur le terrain les alliés actifs du régime colonial et de l’armée française. En 1956, au moment où Ali Mellah est désigné comme chef de la Wilaya VI par le congrès de la Soummam, cette vaste zone connait des difficultés particulières. Le mouvement national y avait été peu implanté et l’activité militante s’était concentrée sur les centres urbains importants : Biskra, Bousaâda, Djelfa, Laghouat. Surtout, c’était sur son territoire que s’étaient implantés les groupes militaires messalistes, dont les chefs avaient fui les régions du nord et des Hauts Plateaux, pourchassés par les combattants de l’ALN des Wilayas III et IV où LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ils n’avaient pu obtenir un soutien des populations. A l’instar de Bellounis qui avait constitué des bandes armées opposées par la violence aux troupes de l’ALN, plusieurs chefs militaires locaux s’étaient constitué des troupes indépendantes au service de leurs chefs et vivant sur le dos des populations qu’ils soumettaient par la terreur. Certains, pour obtenir une adhésion des populations, firent croire qu’ils faisaient la guerre contre l’armée française pour obtenir l’indépendance. Bellounis, auto-proclamé « général », adopta le drapeau du FLN et ses bandes se proclamaient ouvertement « Armée de libération nationale algérienne ». Harcelé par les combattants de l’ALN, Bellounis ral- ( 37 ) lia ouvertement l’armée française qui finira par s’en débarrasser en l’exécutant. Le colonel Ali Mellah constitua les premiers groupes de combattants de sa wilaya et accepta des hommes peu sûrs qui cherchaient plus à vivre sur le dos de la population. Il avait pris comme adjoint un certain Amer, appelé « Rouget » qui causa beaucoup de tort à l’ALN. Celui-ci prit luimême comme adjoint un ancien sous-officier de l’armée française, Chérif Ben Saïdi et en fit son homme de main. Celui-ci, s’appuyant sur quelques hommes choisis par ses soins, résolut de prendre en mains la wilaya et d’en faire un fief personnel. www.memoria.dz Guerre de libération Histoire 1-Chikhi Amar. 2- Aissa Blindi . 3- Ali Mellah 1 3 2 Il exécuta le colonel Ali Mellah ainsi que l’adjoint de celui-ci, « Rouget » celui-là même qui l’avait recruté. Pour rétablir la situation, l’ALN envoya des forces dirigées par le chef politique de la Wilaya IV, le futur colonel Si M’hamed assisté du chef militaire Si Lakhdar et du commandant Azzedine, avec son commando Ali Khodja. Acculé, Chérif, l’ancien sergent de l’armée française, devenu lieutenant de l’ALN fut confondu et préféra rejoindre l’armée française qui lui donna le commandement de la zone d’Aïn Bouaf près de Maginot (actuelle Chellalat El Adhaoura). Il aurait été promu colonel au sein de l’armée messaliste. Il avait été rapatrié en France avant l’indépendance. Boualem Touarigt Ali Mellah Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 38 ) Supplément N°45 - Avril 2016. Le secteur 1 de la zone 4 des Aurès-Nememcha Ain M’lila, de 1954 à 1962 Par Zoubir Khélaifia Guerre de libération Histoire Le 1er novembre 1954, la France coloniale est ébranlée par des actions armées synchronisées et bien menées dans toutes les régions du pays. Dans les Aurès, Batna, Khenchela, Biskra, Tighanimine et bien d’autres localités ont été simultanément assiégées par les hommes de Mostefa Benboulaïd, l’architecte de ces attaques, secondé dans sa tâche par Chihani Bachir, Abbas Laghrour et Adjal Adjoul. D’autres villes et villages également ciblées, ont été épargnés, soit en raison de l’absence de communication ou tout simplement d’une défaillance de dernière minute, comme c’est le cas d’Arris, Barika et Ain M’lila. A hmed Nouaoura, futur chef des Aurès-Nememcha, initialement désigné pour attaquer Arris ne s’est pas présenté au rendez-vous. A Barika, Mohamed Chérif Soulimani a également fait défection et à Ain M’lila, le groupe de combattants, à leur tête Hadj Moussa Torche, a vainement attendu les directives de Hadji pour passer à l’action. Ce dernier était investi de la double-mission d’attaquer le Khroub et Ain M’lila. Quelques jours plus tard, tous les éléments de ce groupe, victimes d’une délation, ont été arrêtés. Les premiers combattants de cette ville, Hadj Moussa Torche, Kassa Torche, Allaoua Harkat, Sigha Saïd dit Zadi, Hammadi Rebaï, Mosbah Benabid, Mellah Kassa, Ghenam Abdelhamid et d’autres moudjahidines étaient réunis à Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . De g. à dr. : Ghadbane Brahim, Kherchouch Rachid, Boughrara Allaoua ( 40 ) Supplément N°45 - Avril 2016. Guerre de libération Histoire Fezguia, à quelques kilomètres seulement d’Ain M’lila mais ils ont été surpris par l’ennemi qui est venu les cueillir à la suite de cette dénonciation. Dans son rapport sur les attaques du 1er novembre, Mostefa Benboulaïd mentionne clairement l’échec de la mission dans cette ville, située à une soixantaine de kilomètres au nord de Batna. L’histoire d’Ain M’lila, la ville qui a enfanté Larbi Ben M’hidi, dans la révolution, ne s’arrête pas bien évidemment au 1er novembre 1954, mais bien au-delà comme d’ailleurs toutes les villes et villages des Aurès-Nememcha. Une fois, le déclenchement de la guerre réussi, Mostefa Benboulaïd et ses adjoints ont fait de son extension leur cheval de bataille. Le chef de la zone 1, devenue la Wilaya I historique à l’issue du congrès de la Soummam, arrêté en Tunisie au mois de février 1955, Chihani Bachir prend le relais avec la ferme intention d’organiser cette immense région et étendre la guerre jusqu’à la frontière tunisienne. Une mission difficile mais pas impossible pour un chef déterminé et résolu à suivre le chemin tracé par Benboulaïd. Dès le début de l’année 1955, les tentacules de la révolution se sont étalés au-delà des espérances de ses chefs et les rangs de l’ALN se sont massivement renforcés grâce notamment à un travail de fourmi des combattants de novembre, investis de cette lourde charge. Le PC des Aurès a ainsi réparti les groupes des moudjahidines ayant pour seul objectif de propager la guerre. Ainsi, les Nememcha sont orientés vers Ain Beida, Oum El Bouaghi, Meskiana, Tébessa, Souk-Ahras et jusqu’à Guelma alors que les Aurèsiens, communément appelés Djebaïlia (Montagnards), sont, à leur tour, chargés d’organiser les villes de Sétif, Barika et Ain M’lila. Ces émissaires, aguerris et convaincus, se LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 41 ) www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Chahid Mellah Aboud 1926-1962 sont attelés à réussir leur pari d’autant que les échos parvenus de toute la région étaient encourageants. Pour que la Révolution prenne de l’ampleur et que les zones de combats s’agrandissent, il fallait à tout prix mettre le paquet. Ainsi, Abdelhafid Torèche et son groupe ont pris la direction de Barika, Magra et djebel Boutaleb alors que Mostefa Réaïli est mandaté pour organiser la région de Sétif et enfin Tahar Nouichi, accompagné d’Abdellah Oumeziti, Si Khouthir Lemred, Nour Laâmouri, Chaouchi Tayeb et d’un nombre important de moudjahidine, s’est, quant à lui, dirigé vers Ain M’lila et les localités avoisinantes. Au déclenchement de la guerre, Ain M’lila dépendait plutôt de Batna et elle n’a été rattachée à la zone 4 de la Wilaya I qu’au lendemain du congrès de la Soummam Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Chahid Chaïb Aïnou Lakhdar 1926-1959 en août 1956. Les Djebaïlia (Aurèsiens) n’ont pas mis beaucoup de temps pour ramener la population locale à épouser la cause. Certes, leur mission n’était pas du tout une simple sinécure mais leur volonté et leur courage ont fait que la révolution s’implante en un temps record et s’enracine même dans les esprits. L’enrôlement de nouveaux moudjahidine dans les rangs de l’ALN dépasse toutes les prévisions et les attaques contre l’ennemi se font de plus en plus nombreuses. L’ébullition gagne de plus en plus le terrain jusqu’au mois de septembre 1955 où la région d’Oum El Bouaghi va connaître sa première grande bataille, menée par Chaâbane Laghrour, frère du charismatique chef Abbas, au lieu dit Djehfa au cours de laquelle 60 combattants sont tombés au champ d’honneur. Cette ( 42 ) bataille ouvrira le bal à plusieurs autres, notamment dans la région d’Ain M’ lila où les opérations des fidayine font trembler l’ennemi. Les émissaires des Aurès continuent leur travail de sensibilisation et de recrutement qui portera ses fruits dans la mesure où les rangs de l’ALN se sont élargis. Dès le début de l’année 1955, les effectifs connaîtront un bond considérable. De la ville d’Ain M’lila, l’appel de la patrie y a fait un large écho. On citera entre autres Gouadjlia Messaoud, Gouadjlia Abdellah, Nezzar Amar, Maâtouki Slimane, Boulehlaïs Abderrahmane, Kheznadji Layachi, Garbsi Saâdi , Gharbi Ali, Kouachi Salah et la liste n’est pas exhaustive de tous les éléments ayant rejoint le maquis à l’aube de la révolution. Les autres localités, Ain Fakroun, Ain Kercha, Ouled Hamla, Souk Naâ- Supplément N°45 - Avril 2016. Guerre de libération Histoire Chahid Lakhdar Sator 1918-1960 mane et Sigus ont, à l’image d’Ain M’lila, participé activement à l’élargissement des rangs de l’ALN. La famille Bougadi de Ain Fakroun, a elle seule, a donné une dizaine de combattants. On citera également Ghenaï Amor, Kerrouche Bélaïd, Boumerdaci Messaoud, Djeffal Amara, Boughrara Saoudi, Sofiane Chaâbane, tous natifs de la région de Ain Fakroun et qui ont très tôt répondu à l’appel de la partie comme leurs homologues de Ain Kercha dont Kaouche Amara, Kezaout Mohamed ou encore Srradj Mostefa et Tebbani Baâtouche de Souk Naâmane et enfin Ghrab Ramdane de Ouled Hamla. Il y en a eu également à Sigus comme Laïb Hannachi et Serarda Tahar qui n’ont pas hésité un seul instant à rejoindre le maquis aux premiers appels lancés par l’ALN. Bien évidemment, la liste est LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Chahid Zidane el-Ouahem Messabeh 1924-1955 longue et il est impossible d’énumérer tous les combattants de la première heure de la région d’Ain M’lila. Une fois, la mission des Aurèsiens accomplies, le congrès de la Soummam a établi un nouveau découpage géographique de la Wilaya I dans lequel Ain M’lila sera désormais rattachée à la zone 4 qui, en plus du secteur 1, englobe le secteur 2 (Oum El Bouaghi), le secteur 3 (Ain Beida) et enfin le secteur 4 (Meskiana). A l’issue de ce découpage, le vaillant combattant, Boughrar Saoudi, est nommé chef du secteur 1, en plus de la Kasma d’Ain M’lila, réunit celles d’Ain Kercha, Ouled Messaâd et Sigus, Ain Fakroun et Ain Bordj. Boughrara Saoudi mènera la vie dure à l’ennemi. Il organisera plusieurs embuscades causant d’énormes pertes dans les rangs de l’armée française. Plusieurs grandes ( 43 ) batailles sont aussi à mettre à son actif. En octobre 1957, il dirigera d’une main de maître la bataille d’El-Fedjoudj dans laquelle 45 moudjahidine ont donné une leçon de bravoure et de courage à l’ennemi. Sa vaillance lui a valu d’être nommé chef militaire de la zone 4. Il participera également dans différentes bataille comme celles de djebel Guerioun, Oued Charef et Ouled Khaled dans la région de Sigus. A la fin de l’année 1958, il est convoqué à Kimmel, PC des Aurès-Nememcha. Il ne reviendra plus de son voyage. A cette époque, la guerre battait son plein et les batailles se multipliaient, dans la zone 4, autant que les embuscades et les actions armées accomplies par les fidayine. Boughrara Saoudi tombé au champ d’honneur dans la Wilaya VI, en 1961, Bouhali, dit Hamdane, lui succède à la tête du www.memoria.dz Guerre de libération Histoire secteur 1. Ce dernier, monté au maquis en 1956, a vite gravi les échelons pour devenir le chef incontesté de cette région, devenu un enfer pour les soldats français. Comme son prédécesseur, il mènera plusieurs combats et se distinguera par un courage hors-pair. Une année après sa désignation à la tête de ce secteur, c’est-à-dire en 1959, il s’accrochera avec l’ennemi à côté d’Ain Fakroun où tout son groupe sera décimé. La fin de la guerre approche mais les combats montent en intensité. Derga Abderrahmane dit Maouche, l’un des premiers combattants de cette région, est, à son tour, promu chef du secteur 1. Il ne mettra pas longtemps pour tomber au champ d’honneur à El-Fedjoudj dans une grande bataille en 1960. Mohamed Hadjar est alors appelé à la rescousse où, en plus qu’il soit désigné chef du secteur 1, il sera promu chef de la zone 4 jusqu’à l’indépendance de l’Algérie. Zoubir Khélaifia Mohamed Hadjar en médailon Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 44 ) Supplément N°45 - Avril 2016. Le Moudjahid Bahri Rabah Le Fidaï d’Ain M’lila Par Zoubir Khélaifia Guerre de libération Histoire Des hommes et des femmes ont tout sacrifié pour que l’Algérie recouvre son indépendance. Certains sont tombés au champ d’honneur, d’autres, en revanche, ont survécu à toutes les péripéties de la guerre. Le Fidaï Bahri Rabah fait partie de cette dernière catégorie malgré les souffrances qu’il a endurées dans les geôles coloniales pendant de longues années. Son histoire commence à Souk Naâmane, dans la wilaya d’Oum El Bouaghi, où il a vu le jour le 23 février 1936. I l fréquente la seule école de cette bourgade, située non loin de la ville d’Ain M’lila. Son enfance sera marquée par la dureté de la vie sous le joug colonial dans cette région des Aurès où les indigènes travaillaient inlassablement pour subvenir aux besoins de leurs familles. Son père se déplaçait dans les différentes localités avoisinantes pour faire de petits commerces et pouvoir ainsi nourrir sa progéniture. C’était le cas de pratiquement la quasi-totalité des Algériens, soumis à l’asservissement d’un colonialisme des plus cruels. Rabah ne met pas longtemps pour rejoindre Ain M’lila, la commune mixte, en quête de savoir, ignorant que sa vie allait basculer définitivement. Dans cette ville où sa famille s’est installée, la vie n’est pas non plus facile puisqu’en plus des études qu’il poursuit à l’école des garçons où il rejoint son cousin Ahmed, il se rend utile en aidant son père, notamment durant les week-ends. Etant l’aîné de la famille, il se trouve dans l’obligation de voler de ses propres ailes en vendant des cigarettes. Ses trois frères, Abdelhamid, Rachid et Daoud et sa sœur Chérifa, tous en bas âge, n’étaient pas en mesure de contribuer activement à cette œuvre familiale. Le père parti en France, Rabah quitte l’école et prend à lui seul en charge les membres de sa famille ainsi que En 1961 à Lambese, Bahri Rabah à gauche Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 46 ) Supplément N°45 - Avril 2016. Guerre de libération Histoire 1 3 2 4 5 1- Hamani.- 2-Cheikh Sadek Makhlouf. 3- Hocine Bahri (condamné à mort). 4- Cheikh Bouzid ses cousins paternels, orphelins de père. Cette situation durera jusqu'à jour où d’un commun accord avec son cousin Lahcène, il décide de rejoindre les rangs de l’ALN. Rabah doit d’abord commettre un attentat s’il veut que son vœu soit exaucé. Une première tentative d’éliminer le colon Gilbert, en 1955, avortée, Rabah ne lâche pour autant pas prise, car il sait que sans cet attentat, il lui est pratiquement impossible d’intégrer les rangs du groupe dirigé par Si Nour Laâmouri. Il prend son mal en patience en attendant d’accomplir son baptême du feu. Une autre rencontre avec le moudjahid Touhami et Si Khouthir Lemred allait être la bonne. Ils se fixèrent rendez-vous à la ferme appartenant à Hadj Mebarek Bouti où il reçoit la grenade qui servira plus tard à l’accomplissement de l’attentat. Le 23 LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE juillet 1956, Bahri passe à l’action en plein centre-ville d’Ain M’lila. Il lance la grenade sur une jeep atteignant mortellement un officier français et blessant un autre. Luimême a failli laisser sa peau quand l’officier en question lui renvoi la grenade dans un ultime geste de survie. Une fois ses esprits retrouvés, le fidaï prend ses jambes à son cou sans même connaître les dégâts causés par la déflagration. La gendarmerie locale, certainement mise au parfum par des indicateurs, ne tarde pas à mettre la main sur Rabah Bahri, son frère et son père. Ils subiront les pires sévices sans jamais fléchir ni lâcher la moindre information compromettante pour les commanditaires de cet attentat à la grenade qui a coûté la vie à un officier français et blessé un autre. Le fidaï a, tout au long des interro- ( 47 ) gatoires musclés, nié les faits qui lui sont reprochés, y compris quand un témoin, du nom de Zerdar, avoue l’avoir formellement identifié. Il a résisté à toutes les formes de brutalité mais, en homme résolu, il tient le coup et ne plie pas malgré les menaces de mort proférées à son encontre par ses tortionnaires. Du 24 juillet 1956, date de son arrestation, il n’est pas passé un seul jour sans que Rabah soit torturé jusqu’à ce que ce qu’il soit présenté devant la chambre d’accusation du tribunal d’Ain M’lila. Bien évidemment, cette dernière a été expéditive en ordonnant l’incarcération du fidaï. « J’ai remercié Dieu de m’avoir donné du courage et d’être sorti indemne des mains de mes tortionnaires » écrit ce fidaï dans ses Mémoires intitulés, Mémoires du Moudjahid Bahri Rabah. www.memoria.dz Guerre de libération Histoire 1 2 1- Abdellah Fadel. 2- Jacques (15 ans) Durant son incarcération, il ne se fie à personne ni ne donne aucun détail sur l’attentat. Il garde jalousement le secret en attendant son passage devant le tribunal. Et coup de théâtre, le seul témoin à charge, Zerdar, est éliminé par l’ALN. Une confidence tenue du gardien de prison, Mohamed Zekkari qui a vite informé le fidaï. Une bonne nouvelle qui ne tarde pas à se traduire sur le terrain. Faute de preuves, Rabah Bahri est élargi, mais une autre épreuve non moins désagréable l’attend à sa sortie de prison. Il est appelé sous les drapeaux français et doit sous la contrainte rejoindre la caserne de Téléghema. Il fait bon cœur contre mauvaise fortune et en son for intérieur, il garde le désir sacré de rejoindre une seconde fois les rangs de l’ALN. L’idée de se faire la belle lui trotte dans la tête. Il ne pense qu’à s’évader et échafaude un plan qui s’avérera plus tard fort judicieux. En compagnie de Kaddour Abdelkader, lui aussi appelé sous les drapeaux français, il met son plan en action et réus- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . sit à s’évader de la caserne. Sur leur chemin menant au maquis, les deux fuyards rencontrent plusieurs obstacles mais leur détermination est plus forte au point qu’ils les remontent un à un jusqu’à leur arrivée à bon port, à djebel Tarbat, aux environs de Souk Naâmane. Le groupe de moudjahidine que Rabah a rejoints, était dirigé par Mahmoud Ghediri. Le 24 avril 1954, le groupe en question, réparti en deux sections, va être pris en étau à djebel Annouda. Encerclé, et malgré une résistance héroïque, le moudjahid Chouchène Ahmed tombe au champ d’honneur alors que Guerfa Boulaâras est blessé à la jambe. Les forces étant inégales, le reste de la section à laquelle appartient Rabah Kadri est arrêté dans la grotte où il s’est réfugié. Ahmed Bendâas sera lâchement exécuté alors que Rabah, son cousin Lahcène, Mahmoud Ghediri, Guerfa Boulaâras et Benmedouar Mostefa passeront tous par la cour militaire de Constantine. Défendus par une pléthore d’avocats, dont ( 48 ) Vergès et Giselle Halimi, les cinq moudjahidine seront respectivement condamnés à de très lourdes peines. Bahri Lahcène écopera de la peine capitale ; Bahri Rabah, quant à lui, est condamné à une double réclusion. Une condamnation à mort par contumace prononcée par le tribunal de Téleghma et une autre à 15 de travaux forcés. La cour militaire de Constantine a également prononcé la perpétuité à l’encontre de Mahmoud Ghediri, 20 ans pour Guerfa Boulaâras et 10 pour Benmedouar Mostefa. La vie carcérale commence alors pour les cinq détenus. Dans la prison militaire de la Casbah, à Constantine, le fidaï Rabah y passera 15 mois avant d’être transféré à Coudiat où il est placé dans la cellule 7, dite la blindée, celle-là même où était détenu Mostefa Benboulaïd avant son évasion en novembre 1955. Dans ses Mémoires, Rabah raconte avec force détail son incarcération et bien évidemment ce qu’il a vécu à Constantine et à Lambèse, à Batna, où il a été transféré. Il raconte également les hommes qu’il a côtoyés dans ses pérégrinations carcérales. La vie dans les prisons coloniales est pire que la liberté sous le même joug. Rabah Kadri est libéré en mai 1962 et vit aujourd’hui à Ain M’lila où il sillonne toute la région pour « déterrer » l’histoire des valeureux combattants qui se sont sacrifiés pour que l’Algérie recouvre son indépendance. Zoubir Khélaifia Supplément N°45 - Avril 2016. Le chahid Belgat Messaoud Le martyr du 20 août 1955 Par Saci Belgat, fils du Chahid Messaoud Guerre de libération Histoire Le chahid Belgat Messaoud est mort au combat les armes à la main, le 20 août 1955, à la rue de Paris, à Skikda, en compagnie de quatorze de ses compagnons. Cette bataille qui a marqué le 20 août 1955 a été amplement commentée dans les journaux de l’époque et par les historiens de la guerre de libération. Après l’attaque de la prison civile et de la gendarmerie par quatre-vingt résistants, quatorze se sont repliés dans la maison dite Dar Boumendjel. Cernés par un détachement de l’armée française, ils ont été tous éliminés à l’arme lourde après une âpre résistance qui a duré plus de cinq heures. Dar Boumendjel, ex-villa Albine, est située non loin de la prison civile et de la gendarmerie sur les hauteurs de la ville dans un quartier européen de l’ex-rue de Paris, actuellement rue des frères Halhaz. Elle est composée de deux maisons mitoyennes appartenant à deux familles musulmanes Daiboune Sahel Moussa et Ramdane Boumendjel. B elgat Messaoud est le benjamin d’une fratrie de cinq enfants. Il est né à Ain Zouit, le 3 juin 1922, de Mohamed et d’Aïcha Yazli. Son père quitta avec ses quatre frères le douar Medjajda, pour s’installer à Ain Zouit afin de scolariser ses enfants. Il fit ses études primaires à l’ancienne école mixte de Ain Zouit. Sa famille, des paysans moyens, a prospéré dans le commerce des fruits et légumes. Elle s’est installée à Ain Zouit sur les hauteurs des monts de Skikda. Faute d’école au douar Medjajda, son père, Mohamed, acheta deux fermes de 33 hectares appartenant à deux colons à Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Ain Zouit pour s’y installer et faire profiter ses enfants de l’enseignement. La famille descend directement de la tribu des « Béni Ben Naim » branche du nom du quatrième enfant de M’henna, Naimi. Cette tribu a toujours été en guerre contre les occupants. A la conquête de la vallée de Skikda par l’armée coloniale française, dépossédée et déplacée de ses terres fertiles de la vallée de Safsaf, elle s’est installée en 1863 au douar Medjajda sur 10194 ha de terres forestières, à 20 km au sud de Philippeville (Skikda). Dans Mémoria du 30 octobre 2013, Hassina Amrouni a écrit à propos des tribus montagnardes : « ( 50 ) Les tribus montagnardes (djebaylias), favorisées par le relief de leur territoire, croisaient régulièrement le fer avec les troupes coloniales, contrairement aux tribus des plaines (souhaylias) qui, défavorisées par leur position géographique mais aussi par le manque de moyens de guerre, comparés aux Français, n’avaient d’autre choix que de se soumettre. » Michel Levallois rapporte qu’en 1864 une pétition a été signée par la tribu des Medjajda. A ce propos, il écrit : « La tribu les Medjajda du cercle de Collo, installée sur 10194 ha forestiers, sollicita l’autorisation exceptionnelle de s’imposer pour une somme de 6000 francs destinée à créer une école pour l’enseigne- Supplément N°45 - Avril 2016. Guerre de libération Histoire Mme Daiboune Sahel Zakia devant la villa Albine ment de l’arabe et du français suite à une pétition réunissant 4639 signatures sur les 6200 membres de la famille. » La bataille de la rue de Paris est considérée par de nombreux témoins de l’époque et auteurs comme la plus grande bataille intramuros du 20 août 1955 à Skikda. Dans le journal de la ville, l’Echo de Philippeville, Gilbert Attard, un témoin de l’époque, relate cette bataille en ces termes: « 13h40 : une bande de 80 rebelles s’infiltre entre l’hospice et la gendarmerie. Quatorze rebelles se retranchent, rue de Paris, dans une maison occupée par des musulmans. Les youyous LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE des femmes stimulent l’ardeur des hors-laloi. Les militaires et les gardiens de la paix en font le siège pendant plus de 4 heures, faisant usage de gaz lacrymogènes et de grenades, un militaire est blessé, l’adjudantchef Maurice Giraud de l’état-major de la 41e DPB. Tous les rebelles sont abattus. » Autre témoignage anonyme sur la toile intitulé « Déchainement à Philippeville » : « La fureur exacerbée, une quinzaine d’hommes se sont enfermés dans une maison de la rue de Paris d’où ils tirent sur tous les Européens. Les parachutistes donnent l’assaut il dure cinq heures. A la grenade, au gaz lacrymogènes, à la mitraillette, au mortier. » ( 51 ) Le colonel Vismes relève leur « mordant ». Il écrit encore : « Non seulement ils sont très décidés à résister sur place jusqu’à la destruction, mais ils le font. » Un autre document militaire précise que des armes lourdes (lance-roquettes antichar et automitrailleuses) ont été utilisées pour les réduire. Mais ils ont tenu et leur dernier combat ne s’est pas conclu avant 18 h 20. » Benjamin Stora, historien, spécialiste du Maghreb, dans Historical références 2010, rapporte : « Dans la rue de Paris, aussi, il faudra cinq heures aux parachutistes de l’armée française pour anéantir un com- www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Impact de balle mando d’une quinzaine d’hommes qui, réfugiés dans une maison, tirent sur tout ce qui bouge et refusent de se rendre. » Mme Daiboune Sahel Zakia, la fille de Daiboune Moussa copropriétaire de la villa Albine, témoin de premier plan, avait seize ans à l’époque des faits, me dit dans un entretien personnel avoir soigné mon père. « Il avait une blessure profonde au front, je lui ai mis du café pour coaguler le sang, il a continué à résister, jusqu’au bout, ils l’ont achevé à la grenade avec ses trois compagnons. » Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Les corps étaient méconnaissables déchiquetés par les éclats de grenades et les tirs de bazooka. Parlant de sa famille, elle continue : « Nous avons été évacués, alignés pour être fusillés. Notre salut nous le devons à un brigadier de police qui a intercédé en notre faveur et heureusement que mon père était dans son commerce. C’est ce qui nous a sauvés sinon, on aurait été fusillés. La maison fut réquisitionnée et fermée plusieurs mois. Nous n’avons pu la réoccuper que longtemps après, et puis nous on a rien demandé sauf que l’Etat fasse de cette maison un musée pour la mémoire.» ( 52 ) L’éveil au nationalisme et la participation du chahid Belgat Messaoud à la préparation et à l’offensive du 20 août 1955 Très tôt, il était acquis aux idées nationalistes du PPA/MTLD. Il refusa d’accomplir son service militaire sous le drapeau français. C’est à son frère garde-champêtre, Tahar, bien introduit dans l’administration française qu’il dit : « Tahar, tu te débrouilles avec l’administration, mais moi je ne ferai pas mon Supplément N°45 - Avril 2016. Guerre de libération Histoire Impact de balle service militaire sous le drapeau de la France.» Dès 1952, Belgat Messaoud est en pleine activité au PPA/MTLD et en 1954, il est en charge de l’organisation armée de toutes les communes et douars d’Ain Zouit et de ses environs. En novembre-décembre 1954, il organisa et conduisit le sabotage des fermes des colons et incendia le dépôt de liège de la région de Collo. Ces activités de sabotage lui valurent à lui et à ses cousins, suite à une dénonciation, une arrestation et un emprisonnement de quelques jours. LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE En effet au mois de mars 1955, ils ont été arrêtés et héliportés d’Ain Zouit à Philippeville dans une caserne pour y être interrogés. Dès son élargissement, il est chargé par Zighoud Youcef de préparer un groupe à l’action armée. Sous le couvert de ses activités de sociétaire d’une compagnie de chasseurs, il constitue un arsenal de guerre. C’est un de mes cousins (Moussa) qui me rapporte ce témoignage : « Il me chargea dès 1954 de lui ramasser les restes de plomb que je pouvais. Il passait, parlant de mon père, ses nuits à préparer des cartouches. » ( 53 ) Il profitait des battues en forêt pour organiser des rencontres avec les dirigeants. C’est ce même cousin « Moussa » qui me rapporta cette anecdote : « Comme j’étais toujours dans ses jambes, un jour en pleine battue, il s’en échappa, je l’ai suivi sans me faire remarquer, il était, parlant de mon père, accroupi en train de dicter son rapport à un jeune homme qui tapait au dactylo. » La pression familiale sur lui est tellement forte, notamment de son frère Tahar qui a tout fait pour l’empêcher de constituer le premier embryon de la lutte armée. On peut même dire qu’une certaine hostilité s’est installée entre www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Villa Albine lui et son frère. Tous les arguments et les pressions de toutes sortes ont été utilisés, y compris, nous, ses enfants : « Mais qui s’en occupera de tes enfants, as-tu pensé à eux ? », il répondit : « Mais toi mon frère Tahar, tu sauras le faire mieux que moi. » Sa détermination, sa haine du colonialisme étaient très fortes pour infléchir sa position. Ces mots que me rapporta ma défunte mère sonnent encore dans ma tête : « Au mois de juin, c’est le début de la fenaison. On rentrait le foin, sa belle-sœur l’interpella, « pourquoi fais-tu tout ça Messaoud ? ». Un avion à réaction passait en ce moment, il Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . leva sa tête au ciel, pour que Dib (moi, son fils ainé) puisse piloter un jour cet avion. » Comme de nombreux ses compagnons martyrs de la première heure, il partit avec ses secrets et son serment de fidélité, d’ailleurs serment gravé sur son avant-bras. A ce sujet, l’historienne Claire Mauss-Copeaux rapporte dans son ouvrage Algérie 20 août 1955, p. 88, parlant de Zighoud Youcef : « Afin d’engager définitivement les combattants de la ville, il instaure un rituel qui sacralise leur cause et lie les conjurés. Dans le style qui lui est particulier, Ahmed Boudjeriou, le jeune frère de ( 54 ) Messaoud, décrit la scène : « Il demande à cheikh Belkacem Kerris de réciter certains versets du coran. Zighoud et si Messaoud Boudjeriou, alors responsable du secteur de Constantine, appellent un à un les combattants pour leur faire prêter serment ». Ce rituel ne s’est pas limité à la seule région de Constantine. Il s’est tenu partout – là où il y avait des combats et des combattants à engager. Comment je le sais et d’où je tiens cette information. Ma mère dans ses colères combien légitimes, ravalant ses larmes, étouffant mal ses sanglots, me dit : Supplément N°45 - Avril 2016. Guerre de libération Histoire « Quand je l’ai imploré de rester auprès de vous, vous étiez très jeunes, ta sœur ainée, née en 1947, n’avait que 7 ans, toi, né en 1951, 3 ans, et ton jeune frère né en mai 1954. Parlant de mon père : « Il me fixa des yeux, remonta sa chemise et me montra un signe sur son avant-bras, j’ai prêté serment et je ne peux reculer. » Ce serment gravé sur son corps, il ne le montra qu’à sa femme. La préparation du 20 aout 1955 Selon ma mère, il quitta le domicile familial fin juin début juillet 1955, pour ne revenir qu’en début août. Il a été présent à toutes les réunions de préparation de l’offensive du 20 août 1955. Lors de la première réunion à Zamane dans la presqu’île de Collo au début du mois de juillet 1955. La seconde réunion celle du douar Medjajda, la logistique a été de sa préparation, car il était le seul à connaitre le douar, ses habitants et ses terres. A la veille du 20 août 1955, c’est dans notre ferme à Ain Zouit qu’il réunira pour les dernières préparations les djounoud chargés de l’attaque de Philippeville. Ma mère me disait qu’il a disparu tout le mois de juillet, il est réapparu au mois d’août affaibli et je m’en inquiétais. C’est là où ma mère l’implora de rester auprès de nous. Claire Mauss-Copeaux, rapporte en page 102 de son livre (Algérie, 20 août 1955…) : « En Algérie, aujourd’hui, les mémorialistes affirment que « le secret était total ». LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Seul Zighoud Youssef et ses très proches collaborateurs étaient « au courant de la date, de l’heure et des lieux […]. Les militaires et les services de renseignements français de l’époque ignoraient eux aussi ce qui se préparait. » Mais cette présentation des faits, qui confirme à leurs yeux la force des conjurés et l’unanimité du commandement FLN, est inexacte. Effectivement, la date de l’insurrection avait bien été révélée l’avant-veille à Brahim, l’un des chefs de groupe, mais ce dernier observe également que la préparation de la « Révolution » avait commencé un mois auparavant, au lendemain de la réunion de Zamane. Parmi ceux qui participaient, tous n’ont pas forcément respecté le secret. Une semaine avant l’insurrection, il rencontra devant le café maure du quartier arabe le jeune Younes Drif qui était en soin à l’hôpital civil de Philippeville. Fou de rage, il intima l’ordre à ce jeune de rejoindre l’hôpital et de ne plus le quitter. Ce n’est qu’après que ce jeune cousin de Younes chez qui la première réunion de Zamane eut lieu a compris. Aussi, l’avant-veille du jour fatidique, mon père avertit son frère « Tahar garde-champêtre de la commune de Stora de ne pas se rendre à Philippeville, le jour du samedi 20 août, il lui dit qu’il va se passer des événements violents. Pris de colère son frère lui intima l’ordre de se retirer. De l’avis de la famille qui écouta cette violente altercation entre le benjamin et son frère, jamais, on ne les a vu rentrer dans une telle colère, d’autant qu’il vouait (Messaoud, mon père) un immense respect à son grand frère. Il lui résista et s’en alla ( 55 ) sans lui faire les adieux. » Claire Mauss-Copeaux déjà citée, écrit à ce propos : « Mais la légende des chefs luttant au milieu des insurgés n’est pas corroborée par Ali Kafi, qui se présente comme l’adjoint de Zighoud. Dans sa brève relation du 20 août, il observe un silence prudent à propos de son rôle et de celui du responsable du Constantinois.» Je garde enfouie en moi l’image du père armé et moi en pleurs accroché à son pantalon. Il en a fallu de la patience à ma sœur pour me ramener à la raison. La nuit, me dit ma mère, tu n’as pas fermé l’œil tu as veillé toute la nuit sur ton père. Tu savais qu’il se préparait à partir pour ne plus revenir. La figure tutélaire du père fut de tout temps omniprésente et protectrice. C’est dire aussi que le deuil ne se fera, au grand dam, jamais. Nous apprenons à vivre avec et continuons de faire de l’absent le premier compagnon de notre vie. C’est peut-être ce deuil impossible et l’absence en héritage du père, qui me conduisirent en ce premier été de l’an un « I » de l’indépendance en compagnie de mon jeune cousin, Madjid, à la recherche des moindres recoins où séjournèrent les moudjahidine. Que de chemins escarpés, que de ronces, de forêts denses, de ruisseaux, d’oueds et de gueltas traversés. Je ne savais pas pourquoi je le faisais, c’était je m’en souviens une aimantation plus puissante que les coups de gueule de ma pauvre mère. www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Belgat Messaoud En un mot ce n’était ni des illuminés, encore moins des assassins comme un certain documentaire de J.-P. Liedo les présenta. « Ils étaient des hommes aux rêves qui surpassaient ceux qui ont eu la charge de conduire les affaires de la nation à sa libération. » Que dire, quand à l’âge de six ans « Raz », un sanguinaire de la SAS, me rabroua sèchement à l’occasion de la remise des cadeaux de Noël : « Toi, fils de fellaga tu n’auras pas droit au cadeau. » Que dire encore quand ma sœur durant sa scolarité était systématiquement agressée par le préposé à la SAS, toujours ce sinistre Raz : « Fille du chef des fellagas, et tu oses encore venir étudier. » Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Il est vrai aussi que pendant la guerre de libération, l’ALN était à nos petits soins.« J’ai en mémoire ce responsable politique de l’A LN, de 1960 à l’indépendance, quand j’accompagnai ma mère au djebel, pour recevoir sa solde. Il était aussi précautionneux et attentif à ma scolarité que ma mère. » Le Déroulement de la bataille Son groupe fort de plus de quatre-vingt personnes aborda la ville à partir des Beni Malek. Mu et porté par une ardente conviction nationale et religieuse, il tint avec son groupe de moudjahidine avant d’aborder la ville de Philip- ( 56 ) peville aux premières heures matinales de la journée du samedi 20 août 1955 une prière sur les hauteurs de la ville à Sidi Abdallah. Il demanda aux uns et aux autres de se pardonner. Encore, avec toute la ferveur imposée par le djihad, là où il passa à la tête de sa section, il demanda le pardon aux populations riveraines ; en attestent tous les témoins, encore en vie, des BeniMalek. « C’est Messaoud Ben Achour, à la tête des combattants qui sont rentrés par Beni-Malek, qui nous demandait de le pardonner. » Après l’échec de la tentative de la libération des prisonniers et l’attaque de la gendarmerie, un groupe de moudjahidine s’est retranché dans la maison Boumendjel pour échapper aux tirs des gendarmes et des colons. Le choix de la maison n’est pas fortuit, l’un des moudjahidine, Ramdane, faisait partie du groupe des quatorze et sa maison tenait de lieu de rendez-vous aux dirigeants de l’ALN/FLN dont mon défunt père. La maison qui tenait lieu de rencontres des dirigeants du PPA/ MTLD est située à côté de la prison et de la Gendarmerie qui venaient d’être attaquées. Suite à une alerte donnée par une femme de colon, une armada de parachutistes du 1er RCP du colonel Ducournau a cerné le quartier. Elle est venue à bout des résistants après cinq heures d’un dur combat. Saci Belgat, fils du Chahid Messaoud Supplément N°45 - Avril 2016. Fatima Zohra Dridi Ancienne Moudjahida et sportive La mémoire enfouie Par Samir D. Guerre de libération Histoire A 19 ans à peine, elle sera la première femme à brandir à Skikda l’emblème national, lors des manifestations spontanément déclenchée en soutien des manifestations du 11 Décembre 1960 de Belcourt. Fatima-Zohra Dridi, c’est d’elle qu’il s’agit, qui avait à ses côtés et en première ligne du cortège Fella Oudjani et Mouloud Belhadj (dit Derder), venait de braver l’interdit et le risque et prouver le militantisme et la cause nationale qu’elle avait dans le sang. I ssue d’une famille de sportifs et ainée de quatre frères et trois sœurs, dont le père n’était autre que Belkacem Dridi dit « Chéri », membre fondateur et numéro 10 de l’ASA M’lila et de l’Etoile sportive Philippeville (Skikda) des années 1950, Fatima-Zohra Dridi, était jeune, belle rayonnante et était à peine sortie de son adolescence, lorsqu’avec dévouement et esprit de sacrifice, elle décida de prendre part à la plus glorieuse des causes et des révolutions. Avec un courage exceptionnel et un goût prononcé de la liberté, elle adhère au FLN et rejoint les rangs des moudjahidine, chez qui elle force le respect et l’ad- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . miration. Activant clandestinement comme agent de collecte et de renseignements sous la responsabilité de Mohamed Boukhdenna, elle ne baissera jamais les bras et fera face avec une certaine bravoure à tous les dangers aux côtés de Rabah Djeffal, comme responsable dès le lendemain de la souveraineté nationale. Femme de caractère et de conviction, elle était en avance sur son temps, son émancipation et son franc parler lui ont valu beaucoup d’inimitié de la part de la communauté Pieds-noirs. D’une grande culture (arabe et Française), titulaire du baccalauréat au Lycée Emile-Maupas (aujourd’hui Ennahda) avec brio, Fatima-Zohra Dridi commen- ( 58 ) Supplément N°45 - Avril 2016. Guerre de libération Histoire Fatima Zohra Dridi tenant le drapeau LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 59 ) www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Fatima Zohra Dridi en médaillon cera sa carrière de la jeunesse et des sports à Skikda que dirige une figure de proue du mouvement sportif national, l’ancien DTN de football à la FAF, Youcef El Kenz. Animée d’un mental d’acier et n’éprouvant pas la moindre usure, elle poursuivra sa carrière professionnelle à Alger et plus précisément à la SN Répal, qui deviendra Sonatrach. Recrutée en tant que cadre supérieur, elle travaillera aux côtés d’illustres personnalités telles que Slimane Amirat et Ahmed Ghozali pour ne citer que ceux-là. Avec ses grandes compétences et son esprit vif, Fatima-Zohra Dridi communique positivement son engagement professionnel et son dynamisme à ses collègues qui le lui rendent bien. Mariée à Hadj Zennadi, ex-DG de la DNC, ERCA et autre OMRC, et par obligation familiale, elle mettra une terme à sa carrière professionnelle en 1971. Egalement sportive dans le sang, Fatima-Zohra Dridi, était une basketteuse de talent et d’une grande classe. Elle évoluera au sien du Sporting Club Philippeville devenu Widad Athlétique de Philippeville, avec lequel elle décrochera en 1963 en tant que capitaine d’équipe le premier titre de champion d’Algérie dans la discipline. Elle prendra part au tour- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . noi international de Dakkar avec le Widad en tant que représentant de l’Algérie. C’est à l’USM Alger où elle deviendra entraineur joueuse qu’elle mettra définitivement fin sa carrière de basketteuse, fin des années 1960, non sans donner le meilleur d’elle-même et transférer sa ferveur à ses joueuses. Ayant plusieurs cordes à son arc, elle sera la première Algérienne à traverser à la nage la rade de Skikda, du phare rouge au phare vert aux côtés des frères Sid, Siafa…. Une fois l’indépendance acquise, elle se mettra également au théâtre, où elle étalera là aussi un réel talent de comédienne. Longtemps malade et digne dans la douleur, Fatima-Zohra Dridi décédera à Alger en octobre 1992. Elle avait tout juste 51 ans, laissant derrière elle quatre enfants et un vide incommensurable. En somme, la regrettée Fatima-Zohra Dridi fut une femme exceptionnelle de l’avis de tous ceux qui l’ont connue. C’était la mère, la sœur, la conseillère, c’était l’asile le plus sûr pour ceux qui se tournaient vers elle qui pour un conseil ou dans le besoin. Son nom mérite d’être mieux connu et conservé. Samir D. ( 60 ) Supplément N°45 - Avril 2016. Décès de Mohand-Saïd Mazouzi L’Algérie pleure son « Mandela » Par Hassina Amrouni Guerre de libération Histoire Figure de proue du militantisme algérien, Mohand Saïd Mazouzi a tiré sa révérence le 5 avril dernier, à l’âge de 92 ans. Ali Haroun disait de ce valeureux moudjahid : « Si l’Afrique du Sud est fière de Nelson Mandela qui représente la lutte contre l’apartheid, nous Algériens, nous sommes fiers de MohandSaïd Mazouzi, le symbole du militantisme contre le colonialisme au sein même des geôles réservées aux révolutionnaires et aux épris de justice.» Considéré comme le plus vieux prisonnier de guerre algérien, Mohand-Saïd Mazouzi a passé 17 années dans les geôles coloniales. Ce qui avait pour but de taire toute voix de révolte en lui n’a fait que renforcer son engagement militant et sa conscience nationaliste. Jusqu’à sa mort, il est resté cet homme pétri de valeurs et épris de liberté. Parcours d’un enfant de la Casbah Natif de la Casbah, MohandSaïd Mazouzi a vu le jour le 29 juin 1924. Bien que son père ait été caïd à Makouda, commune mixte de Tigzirt-sur-Mer, le jeune homme grandit entre Dellys et Alger. Il raconte : « Mon père était sollicité par son paternel, selon la volonté du douar, pour devenir caïd à sa place. Il n’en a pas voulu car il n’était pas fait pour ça. Il a fait le lycée Bugeaud, travaillé dans les domaines et a eu une jeunesse studieuse. Ainsi, il a emmené son épouse chez son beau-père, à l’époque muphti d’Al- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ger, Bennacer cheikh Arezki, afin de se soustraire au desiderata du arch. Mais il a fini par accéder au vu des siens. Je suis né donc à Alger, mais, comme mon grand-père maternel s’est installé à Dellys, je l’ai rejoint pour y décrocher mon certificat d’études en 1937, avant de rejoindre le lycée Bugeaud d’Alger, puis le lycée de Ben Aknoun. Mais, au bout de deux années, on nous a renvoyés dans nos douars. La Deuxième Guerre mondiale venait d’éclater et le lycée occupé par la 19e Région militaire. » Le jeune adolescent poursuit ses études au collège moderne de Tizi-Ouzou mais s’il n’y termine pas son année scolaire, il y fait, néanmoins, des rencontres, ( 62 ) en l’occurrence celles de Omar Oussedik, Ali Laïmèche, Mohamed Lamrani et d’autres qui vont changer sa façon de voir et d’envisager l’avenir. Les idées évoluent et les consciences s’éveillent A l’instar d’un grand nombre de jeunes de son âge, MohandSaïd rejoint le mouvement des Scouts musulmans algériens, école du nationalisme algérien, avant d’établir des liens avec des figures politiques de l’époque dont Salah Louanchi. Le jeune homme adhère ensuite au Parti du peuple algérien, il est chargé de l’organisation des cellules des militants du Supplément N°45 - Avril 2016. Guerre de libération Histoire Mohand Saïd Mazouzi PPA mais en tant que fils de caïd, il lui fallait être vigilent et discret pour ne pas attirer l’attention sur lui, d’abord celle de son père mais aussi celle des autorités coloniales. Il parvient ainsi à étendre les cellules jusqu’à Makouda, Sidi Naâmane et Tigzirt. Après les massacres sanglants du 8 mai 1945, des actions militantes sont organisées, comme le boycott des élections etc. Mohand-Saïd Mazouzi est arrêté le 15 septembre 1945, ainsi que plusieurs autres militants et incarcéré à Barberousse. LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Alors que la loi d’amnistie concernant les événements d’Algérie est promulguée par la justice française pour les délits d’opinion avec une grâce amnistiante pour les crimes et les délits de droit commun, Mazouzi et les autres prisonniers attendront plusieurs années avant d’être jugés. « Ils ont mis 7 ans pour nous faire passer en justice. Nous n’avons été jugés qu’en 1952, à Blida, avec les éléments de l’OS, puis renvoyés au tribunal de Tizi-Ouzou. Il y a eu conflit de juridiction ». Condamné à 20 ans d’emprisonnement, ( 63 ) Mazouzi est transféré en France (Baumettes, la Santé, Melun, Clervaux, Chaumont, Marseille) puis à Oran, après cassation. Rejugé en 1953, la peine est à nouveau confirmée. Après le déclenchement de la guerre de libération, le prisonnier est envoyé à la prison d’El Harrach. « Au mois de mars 1955, un détenu me jette un bout de papier. J’ai lu que Ramdane me demande à la cour des douches. J’étais curieux. A 10 h, j’ai vu arriver quelqu’un dont j’ai entendu parler mais que je n’avais jamais vu. C’était Abane Ramdane. Il m’a www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Mohand Saïd Mazouzi demandé mon avis sur le déclenchement, sur nos connaissances communes. Comme il allait sortir de prison, je lui ai conseillé de rejoindre son village Azzouza. J’ai eu le bonheur de connaître ce grand monsieur », confie-t-il encore En 1955, Mazouzi est rejugé, cette fois, le verdict est plus lourd : perpétuité. Il est transféré à la prison d’El Asnam, revient ensuite à El Harrach en 1959 pour y rester jusqu’en 1962, après 17 ans d’enfermement. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Au lendemain de l’indépendance, il est nommé coordinateur de la fédération FLN de Tizi- Ouzou. Deux ans plus tard, il est élu membre du FLN et membre du bureau du congrès, avant d’être désigné président de la commission des organisations de masse. De 1966 à 1968, il est wali de Tizi-Ouzou, prend ensuite en charge deux portefeuilles ministériels : celui du Travail de 1968 à 1977 puis celui des Moudjahidine. Responsable au sein du FLN puis membre du parti, il démissionne en 1988, rejoint le CCN en 1992, à ( 64 ) la demande de feu Boudiaf, avant de se retirer définitivement de la vie politique. Mohand-Saïd Mazouzi a tiré sa révérence le 5 avril dernier, laissant derrière lui un parcours exemplaire, raconté dans ses Mémoires intitulés J'ai vécu le pire et le meilleur , parus en 2015 aux éditions Casbah et légués à la postérité comme un précieux héritage. Hassina Amrouni Sources : *Hamid Tahri, El Watan-31/05/2007 * Articles de la presse quotidienne Supplément N°45 - Avril 2016. Guerre d’Algérie « Mémoire vive » de Rachid Benzema Témoigner contre l’oubli Par Hassina Amrouni Guerre de libération Histoire Moudjahid de la première heure, Rachid Benzema a rejoint, très tôt, les rangs du FLN pour y jouer un rôle prépondérant, notamment en participant à la mise en place de l’organisation FLN dans la région de Saint-Etienne où il résidait. R achid Benzema connaîtra, en raison de son engagement sans failles, la prison, la torture, les camps… Aujourd’hui, âgé de 83 ans, il nous livre ce témoignage sur sa part d’engagement pour l’indépendance du pays, rendant, au passage un hommage sincère à ceux qui, à ses côtés, ont combattu pour l’idéal de la liberté. Une enfance rude au village Natif de Tighzert, douar Ihadjadjène, rattaché à la commune d’Ath Djellil, dans la wilaya de Bejaïa, Rachid Benzema voit le Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . jour le 22 décembre 1932. Alors qu’il n’a que 4 ans, son père décède d’une hémorragie cérébrale. C’est le début d’une descente aux enfers pour le jeune orphelin et sa jeune mère qui refuse de se remarier malgré les pressions familiales pour ne pas perdre son fils. Refusant également de quitter le domicile conjugal, elle finit par être dépossédée des maigres biens hérités de son défunt père, ancien combattant de la Première Guerre mondiale et sera pendant longtemps le souffre-douleur de toute la famille, jusqu’au jour où elle décide de partir, de fuir. Son baluchon sur le dos et son enfant sous le bras, elle prend la direction de l’Aâzib Ben Ali Cherif où se trouvait « une grande maison dans ( 66 ) laquelle vivaient des propriétaires terriens. Ces gens offraient le gîte et le couvert à de pauvres femmes en détresse en échange de travaux domestiques ou de garde d’enfants ». Mais le destin fera que Djida, la jeune maman, descendra du train à Ighzer Amokrane. La pauvre malheureuse et son fils seront finalement hébergés par une famille originaire du même village. Elle y restera un temps, travaillant la laine et tissant des burnous que le chef de famille, Ammi Kaça, vendait dans les villes et villages de la région. Au bout d’une année, les rapports avec la maîtresse de maison devenant tendus, Djida et son fils décide de s’en aller mais Ammi Kaça refuse et lui propose de se remarier avec Da Saïd, un veuf habitant le village. Il était certes âgé mais Djida dût céder. C’était un homme bon. Elle aura avec lui un garçon : Madjid. Mais très vite la famille sera rattrapée par la misère, Da Saïd se retrouvant sans emploi. Du haut de ses 11 ans, Rachid ira faire quelques menus tâches pour rapporter de quoi aider à nourrir la famille. Un soir, en rentrant à la maison, il retrouve sa mère très malade. Elle lui demande de se rendre à Tagma, son village natal, et de revenir avec sa grand-mère Zina, elle lui fait également promettre que si elle mourait, il devait retourner chez son grand-père paternel. A son retour, sa tendre mère n’était plus de ce monde. L’enfant est dévasté par la douleur, mais il doit tenir la promesse faite à sa mère. Le retour à Ighzer sera Supplément N°45 - Avril 2016. Guerre de libération Histoire de courte durée car, ne supportant pas les reproches et les mauvais traitements de la part de son grand-père, sa tante et le reste de la famille, il décide de partir. Direction Alger… Pieds nus, une gandoura tout élimée sur le dos et ne parlant pas un seul mot d’arabe, Rachid débarque à Alger. Tout lui est étranger, c’est alors qu’il se trouve « sur une grande place où trônait un cavalier sur son cheval » qu’il est abordé par de jeunes gamins qui avaient à peu près le même âge que lui. L’un d’eux, Idir, parlait kabyle, c’est lui qui l’introduira dans la bande. Rachid apprend auprès de ces gamins des rues « la solidarité, la générosité et la force de la résistance quand elle est collective ». Mais convaincu que son LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE destin est ailleurs, il fait part à ses amis de son désir d’aller trouver un véritable travail. Allant d’Alger, vers Fort-del’eau, en passant par Cinq-Maisons, il s’arrêtera à l’entrée de chaque domaine agricole mais à chaque fois, il en sera chassé. Pourtant, après une journée harassante, il parvient à trouver un lieu de travail comme garçon bon à tout faire, au sein de la ferme de Raphaelo, des exploitants agricoles d’origine espagnole. Rachid deviendra très vite pour Mme Raphaelo, ce fils de substitution qui allait remplacer son jeune garçon mort dans un tragique accident. Une disparition qu’elle n’a jamais acceptée. Elle appelait Rachid « Raphael ». Au bout de quelques mois, Rachid rejoint les bancs de l’école. « Après la fin de ma scolarité, ( 67 ) je passais deux ans et demi dans le domaine sans grand enthousiasme, en proie à des questionnements perpétuels sur ce qu’était mon existence de faux fils de roumi, de bicot méprisé par les siens, de Kabyle loin de sa montagne de misère ». Nouveaux départs… Rachid reprend la route vers l’inconnu. Ses pas le mènent vers Larbaâ Beni Moussa dans la Mitidja. Il y trouve du travail et un lieu où dormir. Les jours coulent dans une certaine routine. Puis, nouveau départ vers Fouka, pour travailler chez un colon du nom d’Artiguès Joseph « un homme de la pire espèce ». Au bout d’un mois, il quitte cette ferme pour aller s’établir entre Cap Matifou et Aïn Taya. « J’étais embauché comme jardinier chez Raoul Zivaco, propriétaire www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Engagement militant terrien et également pharmacien. La propriété était située au bord de la mer. Mon patron y possédait en plus d’un château et des terres à perte de vue, une plage privée et un immense champ de multiples variétés de fleurs. Le cadre était paradisiaque. Ca sentait bon les fleurs et la mer, mais j’avais le sentiment que l’air que respiraient Zivaco et ses acolytes colons n’était pas le même air que nous respirions, nous, fils, de cette terre occupée. La révolte et la colère contre cet état de fait profondément injuste grondaient en moi et me faisaient souvent serrer les poings et grincer des dents ». Il quitte alors Zivaco pour aller travailler chez Ammi Messaoud à Reghaïa dans sa gargote. C’est auprès des habitués du lieu qu’il Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . entend pour la première fois parler de Messali Hadj et Ferhat Abbas. Il sait désormais que l’engagement nationaliste est la seule voie de salut pour le pays. Après un bref retour au village natal, il se marie avec sa cousine Dahbia puis, à l’hiver 1951, à tout juste 19 ans, il embarque destination de Marseille. Après une courte escale dans la cité phocéenne, où il travaille aux aciéries, il s’établit à Saint-Etienne et Lyon avant d’être appelé sous les drapeaux mais il en sera réformé quelques mois plus tard suite à une mauvaise chute. A l’été 1955, il fait venir en France sa femme et son fils Mahfoud. ( 68 ) En janvier 1956, deux responsables du FLN, en l’occurrence Omar Harraigue et Sayad Belkacem entrent en contact avec Rachid Benzema lui demandant de participer à l’implantation de l’organisation dans la région de Saint-Etienne. Il n’hésite pas une seconde car c’est pour lui l’occasion de prendre une part active à la libération du pays. « Sous la direction de Omar Harraigue, nous avions entrepris de mettre en place les cellules de la Fédération de France du FLN de la région de Saint-Etienne. Sayad Belkacem, mineur et responsable syndical SGT, Belaala Aissa, Hamoudi Akli, Chaâbane Amar, Khenous Kaça, Badaoui Arezki, Kheireddine et moi-même avons constitué le premier noyau de l’organisation FLN qui allait rayonner dans toute la région ». D’abord chef de cellule, Rachid Benzema devient chef de secteur de l’Organisation politique et armée. Rallier les messalistes à la cause du FLN créait de vives tensions parmi les militants. « Je devenais pour le MNA l’homme à abattre. J’ai été victime de deux tentatives d’assassinat auxquelles j’échappais miraculeusement. Cependant, Kadri Makhlouf, originaire de Timezrit et fils du propriétaire du café qui nous servait de quartier général, ne s’en est pas sorti, lui ». Grâce à une organisation rigoureuse, le FLN parvient à contrôler la région de Saint-Etienne. L’organisation accomplit un travail remarquable auprès des Algériens de Saint-Etienne, tous s’impliquent, y compris Rachid Makhloufi, la star de l’AS Saint-Etienne qui remet une « contribution substantielle pour soutenir la Révolution » et assure qu’il était « disponible corps et âme pour toute mission que le FLN lui confierait ». Supplément N°45 - Avril 2016. Guerre de libération Histoire Soutien d’anticolonialistes français Outre les Stéphanois d’origine algérienne, le FLN reçoit également l’aide et le soutien de militants anticolonialistes français, sans qui, le combat du FLN sur le sol français n’aurait jamais pu être mené avec autant d’efficacité. Fournissant les militants en armes, récoltant pour eux de l’argent, leur offrant le gîte au risque de se faire prendre mais aussi soignant les blessés, ils n’ont jamais reculé face au danger, assumant leur engagement pour la révolution algérienne. Alors que l’organisation fomente les premiers attentats sur le territoire de Saint-Etienne, la répression policière se fait de plus en plus féroce. Au cours d’une rafle, Saïfi Loucif, dit Saïd, chef du groupe de choc, est arrêté et inculpé pour plusieurs assassinats. Il encourt la peine de mort. Ses compagnons décident alors d’organiser son évasion de la prison de Fort Montluc à Lyon. Ils y parviennent et le sauvent de la guillotine. Arrestation de « Si Djamel » Le 21 décembre 1957, Rachid Benzema « Si Djamel » voit son domicile violemment investi par un groupe de policiers. Malmené devant sa femme et ses enfants, il est embarqué. Au commissariat, il est soumis aux pires tortures, aux plus abjectes humiliations, suite à quoi, il sera transféré à la prison de Fort Montluc à Lyon, « lieu de détention et d’exécution des frères condamnés à mort ». Jugé par un tribunal militaire, il est emprisonné et transféré LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 69 ) www.memoria.dz Guerre de libération Histoire en compagnie de centaines d’autres détenus vers les prisons algériennes : Maison Carré où il est maltraité et torturé par une administration pénitentiaire coloniale, qui n’hésitait pas à bafouer toutes les conventions internationales relatives au traitement des prisonniers de guerre comme la convention de Genève etc. A la fin du mois d’août 1958, les prisonniers sont transférés vers le centre de tri à Beni Messous. « C’était en fait un vaste camp installé au milieu de casernes militaires qui « hébergeaient » des centaines de militants prisonniers. Nous étions logés sous des tentes et dormions à même le sol. » Les détenus étaient soumis à toutes sortes de tortures morales et physiques mais Rachid Benzema se souvient aussi que, dans ce même camp, il a rencontré des hommes de conviction et de courage. En octobre de la même année, nouveau transfert, cette fois vers le camp d’internement de Saint Leu à Oran. Une fois installés et sous la direction du capitaine Saidi « officier de l’armée française à la retraite, ardent nationaliste, homme courageux et de grande droiture », des actions de sensibilisations sont entamées, auprès des autres prisonniers afin de leur expliquer que seule l’union autour de cette cause juste qu’est la libération du pays peut conduire à la victoire. Le 1er novembre 1958, les prisonniers hissent dans la cour du camp, le drapeau algérien, confectionné clandestinement et entonnent Kassaman. La riposte du chef de camp, le colonel Gentelle se fait cinglante. Les prisonniers sont Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . battus sauvagement mais aucun ne ploie face à cette injustice. C’est une première victoire qui en appellera beaucoup d’autres. Transférés au camp disciplinaire de Bossuet, situé au sud de Sidi Bel Abbès, ils sont accueillis sur place avec des coups de matraque. Malgré les souffrances au quotidien, « Si Djamel » se souvient que là encore, il a rencontré des militants nationalistes « d’une grande force morale, d’une grande culture et dont l’esprit de résistance a donné, que de fois, du fil à retordre aux geôliers et à leurs chefs. Je pense en particulier à Boualem Bourouiba, Abdelkader Zaïbek, Saïd Amrani, Omar Bentoumi, Rabah Trodi, les frères Boulkarma Messaoud et Saïd, Zague Hannachi et son frère Ali, Nadir Kassak qui fut le premier wali d’Alger à l’indépendance et tellement d’autres frères encore ». Retour en France Libéré dans le cadre d’un échange de prisonniers malades ou blessés entre l’ALN et l’armée française, Rachid Benzema embarque le 5 novembre 1959, pour Marseille puis, il prend la direction de Saint-Etienne où il retrouve sa famille. Bien qu’assigné à résidence, il savoure cette relative liberté et profite pleinement de ces moments bénis auprès de sa femme et de ses enfants. En mars 1961, il reprend ses activités politiques et renoue avec ses responsabilités au sein de l’organisation à la demande de la Fédération du FLN. Mais le 11 mai 1961, il est à nouveau arrêté et détenu pendant ( 70 ) 40 jours. La famille est encore une fois écartelée durant de longs mois, les retrouvailles n’ont lieu que le 15 février 1962. Après la signature des Accords d’Evian, le 18 mars 1962, Rachid Benzema est désigné le 15 avril par le FLN pour présider la commission de justice de l’organisation. Retour au pays Quelques jours avant l’indépendance, il rentre au pays. Bien que loin de sa famille, il retrouve avec bonheur sa terre natale. Il y renoue avec quelques amis perdus de vues, des codétenus dont il n’avait plus de nouvelles depuis des années. A la proclamation de l’indépendance, Rachid Benzema cesse toute activité politique. Il est temps pour lui de s’occuper de sa famille qui a, elle aussi, été meurtrie par ces années de guerre, de séparation et de privations. Il s’en va également à la recherche de son frère Madjid dont il n’a plus eu de nouvelles depuis le décès de leur mère et ce n’est que 15 ans après l’indépendance que les deux frères se retrouvent enfin. Il retourne aussi sur les lieux de ses blessures, pour exorciser les vieux démons et prendre définitivement conscience que ceux qui lui ont fait du mal font désormais partie du passé. Hassina Amrouni Rachid Benzema, « Mémoire vive. Le long combat d’un enfant de la Soummam pour la liberté et la dignité », éd. Dar El Othmania, Alger 2015, 133 pages Supplément N°45 - Avril 2016. Témoignage de la résistance au système colonial durant les Années 1930 Le Moudjahid Mohamed Kadid Témoigne De la plume au fusil ; la Révolution en marche Entretien réalisé par Boudjema Haïchour, chercheur universitaire, ancien ministre Guerre de libération Histoire Celui qui fut un des compagnons de Didouche Mourad et un des proches de Zighoud youcef. Le moudjahid Mohamed Kadid est né le 30 novembre 1930 à El Harrouch. Son engagement patriotique s’est concrétisé, comme beaucoup d’autres militants, dans la lutte pour l’affirmation de l’appartenance culturelle et identitaire, dans le rejet de l’assimilation culturelle. C’est une dimension importance de la résistance du peuple algérien qu’on doit au Mouvement National depuis l’étoile nord africain le PPA –MTLD jusqu’au mouvement réformiste dirigé par le cheikh Ibn Badis alors que nous fêtons la journée de Youm el Ilm 2016 il est normal de rappeler l’objectif de ces oulémas qui était de développer au sein de la population algérienne le sentiment d’appartenance à une communauté spécifique distincte et opposée à l’idéologie coloniale. C ette volonté d’affirmer l’existence d’une identité algérienne s’est construite autour de l’appartenance à l’Islam, rejetant l’attachement étroit et sectaire à des personnalités religieuses et à des croyances locales considérées par Ibn Badis et ses compagnons comme incompatibles avec le sentiment d’appartenance à un monde spirituel à la dimension universelle, à une Histoire et à un monde de valeurs et de croyances, avec des pratiques culturelles qui font la spécificité de la population. C’est ainsi que le développement des pratiques culturelles affirmant l’identité particulière des populations algériennes se sont développées autour du mouvement des oulémas réformistes. Elles ont fait partie du mouvement général de résistance des Algériens à l’idéologie coloniale. C’est l’éclairage que le Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Zighoud Youcef témoignage du Moudjahid Mohamed Kadid nous apporte. L’apprentissage de la langue arabe, l’enseignement de l’histoire d’un monde arabo islamique porteur de valeurs et d’une histoire glorifiée, distincte de celle de la France, ( 72 ) Didouche Morad rejoignaient le refus de l’engagement dans l’armée française, le rejet de la soumission à l’autorité coloniale et les premiers actes de révolte armée qui allaient s’accélérer avec la préparation de la guerre de libération nationale. Notre témoin fait le lien Supplément N°45 - Avril 2016. Guerre de libération Histoire Cheikh Ibn Badis Association des Oulémas Algériens entre tous ces actes de résistances qu’il estime faisant partie d’un tout. Notre héros, a eu la chance de suivre très jeune, en brandissant la plume et le fusil à la veille du déclenchement de la révolution du novembre 1954 lui qui fut militant du PPA-MTLD. Tout en faisant de l’enseignement arabe une des premières écoles d’apprentissage du Coran et de la langue arabe : « l’école a ouvert pendant l’année scolaire 1936/1937. « L’instituteur était un militant du mouvement national, notre professeur Amar Berredjem, nous a raconté que son frère Ahmed a été condamné pour insoumission en 1922. Il avait alors refusé de rejoindre son affectation au Maroc où avait éclaté une rébellion contre l’armée française. Il s’était ouvertement révolté en prenant le maquis après avoir abattu un caïd et un LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE garde champêtre. Suite à une trahison, il a été capturé et envoyé en déportation en nouvelle Calédonie. Il reviendra en 1947 après la promulgation de la loi d’amnistie de 1946. Le moudjahid Mohamed Kadid se rappelle du fort sentiment national qui a marqué cette période. « Nous étions très attentifs aux revendications qui étaient portées par différents mouvements politiques : je me souviens de l’activité des Amis du Manifeste de la Liberté, de l’Association des Oulamas et bien sûr du Parti du Peuple Algérien. Nous trouvions en ville des publications de ces mouvements politiques qui se vendaient dans les boutiques. Nous étions à peine adolescents, et trop jeunes pour comprendre les discours des militants de ces mouvements et saisir la portée et le sens de leurs messages. Nous retenions le fort rejet de la colonisation qui ( 73 ) s’était généralisé au sein de la population. Plusieurs personnalités politiques nous avaient marqués. Je peux citer Messaoud Boukadoum qui était à l’époque étudiant en France, je crois c’était dans la branche électronique. Les idées nationalistes nous parvenaient avec les militants qui arrivaient de France par bateau au port de Skikda. Plusieurs personnalités nous avaient influencés… Le 1er mai 1945, des manifestations populaires se sont déroulées, sans violences. Le 8 mai, nous avions eu écho des manifestations de Guelma, par le biais des familles d’El Arrouch qui avaient des parents à Guelma. La période avait été marquée par les hésitations des dirigeants du mouvement national qui étaient partagés sur la conduite à adopter et avaient manqué de fermeté. Il y avait eu alors une indécision dans l’attitude à avoir vis-à-vis www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Le Moudjahid Mohamed Kedid Messaoud Boukadoum Ali Karbouâ. Celui-ci avait remplacé le cheikh Amar Mehri qui enseignait à Khroub. Je voudrais souligner que c’est cet enseignant qui avait alors accueilli Tewfik El Madani dans ce village lorsque ce dernier avait été interdit de séjour par l’administration coloniale. J’ai également le souvenir d’un militant enrôlé de force pendant la deuxième guerre mondiale, qui fut emprisonné après ..je veux parler de , Lakhdar Bouzid qui était notre responsable politique ainsi que le cheikh Amar Mehri dont les deux fils étaient des militants du mouvement national. » du déclenchement d’une guerre de libération. Les massacres de mai 1945 ont été suivis d’une période de grande activité de la résistance nationale, à la fois sur les plans culturels, religieux et politique. L’Association des Oulamas avait décidé de relancer ses activités d’enseignement et ses actions culturelles qui avaient été suspendues durant la 2ème guerre mondiale… Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Notre groupe d’étudiants a rejoint l’école « El Kitania » de Constantine qui était proche du PPA -MTLD , dans la proximité de la Rahmania où nous avions décidé de continuer nos études dans cette école que dirigeait alors Cheikh Amar Belhamlaoui. Notre admission à cette école nous a révélé qu’auparavant il y avait cheikh ( 74 ) Il est attendu que le moudjahid Mohamed Kadid devrait témoigner de son engagement militant et révolutionnaire au coté de Didouche Mourad et Zighoud Youcef et a promis de revenir avec plus de détails sur les divers événements qui ont caractérisé les premières années de la révolution. Entretien réalisé par : Boudjema Haïchour, chercheur universitaire, ancien ministre Supplément N°45 - Avril 2016. Dr Boudjemâa HAICHOUR. Chercheur universitaire, ancien ministre Sur les traces de Sidi Boumediene SPIRITUALITE AU PAYS DES OUZBEKS Guerre de libération Histoire Tlemcen et Constantine, deux villes jumelles, furent les capitales islamique et arabe de la culture. Toutes deux vont faire un pèlerinage spirituel et scientifique au pays des Ouzbeks. Toute l’Asie centrale fut le cadre de rayonnement culturel où d’ailleurs Djalâl ad-Dîn Rûmi institua le fameux concert spirituel, le samâ’ comme union liturgique avec le divin. E Djalâl ad Dîn Rûmi n épousant à l’âge de dix neuf ans Gauher Khâtum, fille de Hodja de Samarkand, Djalâl ad Dîn Rûmi fera la rencontre à Damas de Mohieddine Ibn al Arabi et sera affilié à l’ordre Kubbrawyya avant de revenir à Konya, capitale des Seldjoukides pour enseigner la loi canonique. C’est dans le sillage de cette atmosphère, que j’ai voulu mettre en communion ces deux cités de la science et de la culture. Je me souviens du voyage culturel au pays des Ouzbeks à l’occasion d’un Festival des « Mélodies d’Orient » organisé par l’Unesco au mois d’août 2001, où l’Algérie fut représentée par l’orchestre du maestro hadj Mohamed-Tahar Fer- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Mohieddine Ibn al Arabi gani, accompagnant la délégation algérienne. Pour moi, après dix ans, je revenais pour voir de visu le développement d’un pays devenu indépendant et qui sortait de l’exURSS. Et voilà que Djoul Travel de Tlemcen organise du 28 mars au 8 avril 2016 une « Rahla » sur les traces de Sidi Boumediene de Tlemcen à Samarkand dans une découverte du mausolée de Sidi Boukhari, lieu saint où la culture soufie donne toute une spiritualité ancestrale dans cette République asiatique de l’Islam et des sciences présidée par Islam Karimov. Mes amis le Pr Sari Hikmet et Rachid Benmansour m’avaient demandé de faire publier mes notes de voyages écrites il y a quinze ans. ( 76 ) Nous prîmes place dans l’avion dénommé « Fergana », un Airbus de la compagnie ouzbek avec l'orchestre de hadj Mohamed-Tahar Fergani pour se rendre à Tachkent. Dans une traversée de sept heures et demie de Paris-Roissy, après une courte escale à Amsterdam, c’est la première fois que dans le cadre des relations culturelles une présence algérienne est enregistrée au Festival international des « Mélodies d'Orient » qui se tient tous les deux ans à Samarkand en collaboration avec l'Unesco représentée par le maître incontesté du malouf hadj Mohamed Tahar Fergani et les cinq membres de son orchestre. Accompagnée par le docteur Boudjemaâ Haichour, chercheur en patrimoine, la délégation a été accueillie par les membres de l'ambassade d'Algérie en Ouzbékistan dont la personne de Son Exvellence Hacène Laskri, notre ambassadeur à Tachkent qui a déployé tous les efforts pour que l'Algérie participe à cette rencontre internationale des musiques traditionnelles. Le ministre de la Culture et de la Communication a facilité le départ de l'orchestre de Hadj Mo- Supplément N°45 - Avril 2016. Guerre de libération Histoire Samarkand hamed-Tahar Fergani alors que les billets de transport de Paris Tachkent et retour, l’hébergement et la restauration de la délégation furent pris en charge comme pour l'ensemble des invités par le ministère ouzbek de la Culture. Samarkand ou le festival des mélodies d'Orient Dès l'arrivée à l'aéroport les délégations furent acheminées par bus vers Samarkand, distante de la capitale d'environ 400 kilomètres, et hébergées à l'hôtel Afrosiab. Le décalage horaire était de 4 heures et la fatigue du voyage se lisait sur les visages. LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE La cérémonie d'ouverture à laquelle étaient conviés les ambassadeurs fut grandiose et féerique sur l'esplanade Registant Square de Samarkand où couleurs et mélodies donnaient l'air de fête. C'est dans Samarkand que l'Algérie renoue avec la tradition musicale dont les sons et la lumière reflètent un passé d’une civilisation de grande portée universelle. C'était le coucher du soleil et des voix multiples dans une mosaïque de costumes dans un ciel recouvert de feux d'artifices illuminaient l'ouverture du festival. Samarkand, ville riche de vingt siècles, constitue un des berceaux de la civilisation musulmane. Elle ( 77 ) connut un éclat particulier sur la Rive Sud Zarafshan à une altitude comparable à celle de Constantine. Avec le même climat, Samarkand partage la même gastronomie et la même musique. Samarkand est l’un des plus beaux sites du monde. « Samarkand, disait Amin Maalouf, est la plus belle face que la terre ait jamais tournée vers le soleil. » Ouzbekistan foyer des arts et des sciences Moi qui avais déjà visité cette belle cité de savants lorsqu'elle était sous domination Russe dans l’exURSS, je la retrouvais plus belle www.memoria.dz Guerre de libération Histoire encore. Et lorsque Amin Malouf fait parler Omar Khayyam qui avait onze ans après la mort d’Ibn Sina, il disait : « Lorsqu’un lettré, à Boukhara, à Cordoue, à Balkh ou à Baghdad, évoque Abou Ali Ibn Sina, célèbre en Occident sous le nom d’Avicenne, celui-ci le mentionne sur un ton de familière déférence et le vénère comme le maître indisputé de sa génération, le détenteur de toutes les sciences, l’apôtre de la raison ». Samarkand un lieu de rêve qui vous renvoie à une sorte de contemplation. Le peuple décide de recouvrer sa personnalité et son identité, les lieux et les héros du peuple ouzbek ainsi que la langue sont réhabilités comme pour exprimer une certaine fierté d'un passé florissant de sciences et d'art. Oui Samarkand est située dans une vaste oasis, elle signifie de par son nom ville de la rencontre Samarya = rencontre et kand en iranien = ville. Il faut dire au début du VIIIe siècle, Samarkand était aux mains du califat omeyyade et en 732 les troupes de Qouteyba ibn Muslim occupa la ville lors du démembrement du califa Abbasside du IXe siècle, le pouvoir passa en Transoxiane à la dynastie locale des Tâhirides puis aux Safarides qu’ Ismail Ibn Ahmed renverse pour fonder le royaume Samanide où commence la renaissance de Samarkand . Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Restauration des vestiges depuis Tamerlan Mais c’est sous le règne de l'émir Timour (Tamerlan 13691405) que Samarkand devient la capitale d'un immense empire qui va de Lind de l'Inde jusqu’en Égypte. Elle connaîtra alors un développement architectural des plus remarquables dont elle garde les vestiges d’ailleurs restaurés dans les normes. Samarkand échoit ensuite à son petit-fils Ulug beg astronome, poète et musicien qui règne durant quarante ans de 1409 à 1449 et fait construire l'une des deux madrasas qui bordent le fameux Régistan ou place des sables. Mais ce retour aux grands hommes de l'histoire ouzbek, ceux de la Résistance comme pour nous l'Emir Abdelkader, C’est l’Emir Timour appelé en Occident Tamerlan (1336-1405) qui va être la référence de la lutte du peuple ouzbek contre la domination étrangère. Il fut l’un des plus grands conquérants de son temps. De la Volga à Damas, de Smyrne à Gange, l’Emir Timour a marqué son époque. Timour (homme de fer) ou Tamerlan est né le 8 avril 1336 à Kesh au sud de Samarkand, associé au Gengiskhanides par son mariage en 1397 avec la fille du dernier Khan de Djaghatai Khizir khodja. La Transoxiane constituait alors une sorte de Confédération turque dans laquelle Taragai père de Timour régnait à Kesh de 1370 ( 78 ) à 1405 ; l’Emir Timour conduit dans toutes les directions d’incessantes expéditions de Khawarazm au Turkestan, de Delhi en Afghanistan, de Perse en Irak, Azerbaïdjan, Géorgie, Arménie, Anatolie, Alep. Damas est sur la route de la soie. Son père meurt le 19 janvier 1405, mais sera enterré dans son somptueux mausolée à Samarkand. Samarkand est une ville à visiter par ses vestiges comme d’ailleurs Boukhara et Fergana qui sont des musés à ciel ouvert. L’occupation russe de Samarkand remonte au XIXe siècle, le 02 mars 1868, et fut menée par le général Kaufmann. Mais c’est le 2 décembre 1917 que l’armée rouge dirigée par le général Frounzé l’occupe et sera la capitale ouzbek de 1924 à 1930. C’était un centre intellectuel vivant par son opéra, son théâtre, son université et ses divers instituts. Elle garde à ce jour son statut de ville des sciences et de l’art. Une spatialité urbaine verdoyante Vingt-cinq ans après son indépendance, l'Ouzbékistan est un pays qui réhabilite sa mémoire collective et la civilisation Timouride. La mise en relief de son aménagement spatial donne à la grande avenue une vue sur le parc fleuri. L'eau coule à merveille dans une ville verdoyante où l'écosystème est le plus sauvegardé. En Ouzbékistan vivent plus de cent ethnies qui cohabitent en bonne Supplément N°45 - Avril 2016. Guerre de libération Histoire intelligence. Le président ouzbek Islam Karimov, ancien ministre des Finances et secrétaire du Parti du temps de l'Ex-URSS, président de la République depuis la proclamation de l'indépendance le 31 avril 1991, essaie de redonner une certaine libéralisation économique à son pays exportateur du coton dont il se place au deuxième rang mondial après celui des USA. L'Ouzbékistan venait il y a quinze ans de célébrer le dixième anniversaire de son indépendance à laquelle assista une délégation algérienne devant plus de cinq mille invités présents à la cérémonie conviés à suivre une grande chorégraphie retraçant les épopées glorieuses de l'histoire ouzbek. Une nation au cent ethnies Fantastique cette mosaïque des couleurs et des voix superbes qui se sont succédé sur le podium dressé pour l'occasion. On observe une nation qui se compose de plus de cent ethnies, des Tadjiks, des Tatars, des Coréens, des Turkmènes, des Russes en nombre réduit depuis que l'Ouzbékistan a recouvert sa liberté. Il y a aussi des Ukrainiens, des Kazakhs, des Azerbaidjanaism des Azéries, des Turcs, des Juifs, des Kirzghizs, etc. Le brassage des populations a fait naître un type d'homme ouzbek dont en se garde aujourd'hui de sauvegarder l'identité car les alliances et les mariages mixtes ont scellé une sorte d'osmose communautaire. Le passage de l'orchestre hadj Mohamed-Tahar Fergani lors du festival a laissé les gens sur leur LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE faim d'autant qu'il était demandé à chaque troupe de ne pas dépasser les 15 minutes contenues du nombre important des groupes qui se sont produits dans cette rencontre des mélodies d'Orient. Une économie ouzbek de marché en transition Du point de vue démographie, l'Ouzbékistan, qui compte environ 25 millions d'habitants au moment où nous le visitions, est à 71 % d'ethnie ouzbek sauf dans la capitale Tachkent où la situation économique montre au-delà de l’auto suffisance alimentaire une certaine morosité. Après le départ des Russes, le gouvernement ouzbek est sortie de la zone rouble, en créant sa propre monnaie le Sum dont un dollar équivaut 2.857 UZS et un euro se change officiellement à 3.135,9 UZS en ce moment. Le passage à l'économie de marché a créé de nouveaux riches. Le PIB/ habitant en PPA équivaut à 2200 dollars US. Le taux de croissance est de 7%. Il développe une politique volontariste. Les réserves de change atteignent 16 mois d’importations pour un pays riche en gaz naturel, en uranium et en pétrole. Sa réforme économique graduelle le place en cinquième position de production de coton et quatrième en réserves d’or dans le monde. Réélu depuis mars 2015, le Président âgé de 77 ans préside les destinées de son pays avec un pouvoir législatif bicaméral constitué d’un Sénat de cent sièges dont 84 ( 79 ) élus par les Conseils régionaux et 16 nommés par le Président, tous pour une durée de cinq ans. La chambre basse est composée de 120 députés élus pour cinq ans dont quatre Partis occupent les 150 sièges de la chambre législative. Évocation de Dieu devant le sanctuaire de l'imam Boukhari A souligner l'effort de reconstruction dans un style architectural qui reflète la richesse de ses décors de style perse. A voir ces mausolées remarquables et surtout la nécropole où se trouve la sépulture de l'imam Boukhari, docteur en théologie, dont l'enceinte a été totalement restaurée depuis l’indépendance du pays démontre l'attachement de ce peuple à l'Islam. C’est en ce lieu que nous nous sommes recueillis, après avoir récité la Fatiha, évoqué Dieu devant la tombe de Sidi El Boukhari et visité la mosquée y afférente, passage obligé pour les futurs pèlerins ouzbeks. La construction du Parlement, du théâtre et surtout de l’un des plus beaux métros du monde dans une harmonie avec les grandes avenues fait de Tachkent une cité dont l'aménagement du territoire respecte l’espace environnemental urbain avec toute sa végétation verdoyante. A Samarkand, capitale de Tamerlan et de son petit-fils Ulug Beg astronome, on construisit l'Observatoire dont les travaux permirent de découvrir la durée de rotation de Saturne en 1447. www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Ibn Sina le prince des savants Hadj Mohamed-Tahar Fergani aux envolées mélodiques On ne peut oublier dans ce pays le fils de Boukhara Ibn Sina, Avicenne, qui, à dix ans, récita par cœur le Coran. Philosophe, poète, médecin infatigable, quêteur de savoir qui a préféré les idées au pouvoir, Ibn sina fut le plus grand génie de son temps. Dans cette source de splendeurs, Ibn Sina expliqua les finesses du système astronomique de Ptolémée, la logique d'Aristote, approfondit l'algèbre, la géométrie et l’art. Son appétit du savoir est insatiable, sa curiosité sans limite, sa mémoire fabuleuse, on le surnomma le prince des savants. Plus qu’Hippocrate, il exposa toutes les pathologies des maladies majeures. C'est donc dans cette route de la soie où toutes la richesses du monde transitaient en Asie centrale que hadj Mohamed-Tahar Fergani et son fils Salim ont chanté les plus beaux morceaux du malouf constantinois accompagnés de Mohamed Bouchareb dit Faty à la derbouka, Nasreddine et Riad Fergani à la mandoline et à la guitare, Ayachi Mohamed Tahar, dit Minou à la flûte, l'orchestre a interprété des extraits de nouba zidane considéré parmi les plus anciennes dont Ziryab avait composé la mélodie et les paroles . Par sa voix chaude, Hadj Mohamed-Tahar Fergani, soutenu par le jeu émérite de luth de son fils Salim, a subjugué son public. Une poésie impétueuse de brûlante frénésie qui a fait vibrer les âmes au rythme d'une mélodie transcendantale par sa musicalité et le duo en harmonie père et fils. L'orchestre Fergani a laissé en éveil les rêves embaumés où la langue des passions, des symboles et des métaphores dans l'ordre des sonorités andalousiennes a exprimé un message d'amitié au peuple ouzbek dans l'alternance des solos musicaux au violon le luth arbi, la flûte, la mandoline, la guitare et les percussions. Hadj Mohamed-Tahar Fergani, maitre majestueux, a conquis la plénitude des ouzbèks en répandant à Samarkand l’écho d’un rituel d'une chanson éternelle, avec les envols mélodiques. Salim a ajouté un bémol à l'interprétation harmonieuse de la nouba dans l'esplanade des Régistan square sous un clair de lune resplendissant. L'Algérie a été honorée par un diplôme décerné à l'orchestre Hadj Mohamed-Tahar Fergani par le président du Festival international des mélodies d'Orient de Samarkand. C'est lors de la rencontre avec Son Excellence l'ambassadeur qui a échangé des points de vue avec la communauté algé- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 80 ) rienne résidente à Tachkent que prend fin notre voyage. L'occasion fut donnée à Salim et surtout à leur père Hadj Mohamed-Tahar Fergani d’interpréter des morceaux du recueil andalouconstantinois pour les étudiants et leurs familles venues écouter les airs du pays dans la ville de Samarkand, ville princière devenue patrimoine universel qui séduit incontestablement tout visiteur par son architecture au raffinement sans égal remplie d’harmonies que nous ont léguées cette civilisation musulmane et la fascination de l’Islam dans cette contrée. La musique s'exécute dans cette nostalgie loin du pays. Complainte et murmure, rime et mesure animent la soirée d’adieu où l'âme et le cœur s’en vont voyager dans l'imaginaire d'une rêverie qui n'a duré qu'un instant, une tranche de vie. C’est sans doute sur les traces du malouf que Tlemcen à travers le voyage spirituel de « Djoul Travel » fera de la rencontre avec la culture soufie, un autre souffle de la vie dans les odes mystiques. Car celui qui « connait l’errance et la guidance, la distance n’est pas longue pour lui. Il sait que Dieu n’abandonne pas ses créatures en pure perte, pas plus qu’Il ne les a délaissées lors de la création originelle », rappelle Ibn Al‘Arabi dans les illuminations mécquoises. Dr Boudjemaâ HAICHOUR Chercheur, Universitaire Ancien Ministre Supplément N°45 - Avril 2016. Par Hassina Amrouni Histoire d'une ville N'Gaous N'Gaous, la rue principale (photo ancienne) Al Bakri D Ptolemee e par sa position au cœur d’une région montagneuse, N’Gaous a toujours favorisé la présence humaine. Les premières fouilles archéologiques effectuées, il y a plusieurs décennies, ont permis la découverte de traces de huttes préhistoriques de quelques mètres de diamètre ainsi que des vestiges acheuléens (Paléolithique inférieur). N’Gaous la Numide était connue sous le nom de Nicivibus. Mais les différents historiens qui en parleront dans Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 82 ) leurs ouvrages la désigneront sous divers noms. Ainsi, elle sera Nicives selon Gsell et Pline, Necaus, Nicosium, Nicivibus, Nicius ou Castra à l’époque romaine, Nakaous, selon Ibn Hawkal, Nigaous, pour Al Bakri ou encore Nicaous, d’après Al Idrissi. Durant la période numide, on découvrira dans la région plusieurs stèles africaines autour du rite du sacrifice (Molchornor « sacrifice d'un agneau » ou stèles de Saturne avec mention d'un sacrifice particulier). Supplément N° 45 - Avril 2016. Histoire d'une ville N'Gaous Située à quelque 80 km de Batna, le chef-lieu de wilaya, N’Gaous culmine à 770 m d’altitude. D’après Ptolémée, la région des Nicives était sous le règne de l’empereur Trajan largement christianisée. D’ailleurs, les ruines d’une chapelle chrétienne, retrouvées sur le site archéologique de Henchir Akhrib, à un peu plus d’une dizaine de kilomètres au nord de la ville, l’attestent. Période arabo-berbère Durant le moyen-âge, ce sont principalement des tribus berbères, en l’occurrence les Banou Ifren, les Ouled Soltane et les Ouled Soufiane qui occupent la région et fondent la ville. Les premiers, qui y ont des LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE parcelles de terre, cultivent toutes sortes de graines : du blé, de l’orge et même de l’abricot, cultivé jusqu’à ce jour (voir encadré). Après les foutouhate islamiques, la ville de N’Gaous est prise par les Hammadites. Al Nasir, qui est nommé gouverneur, règne sur la région entre 1062 et 1088. Elle passera ensuite dès le XIe siècle sous la domination des tribus hilaliennes. Il est à noter que c’est durant l’ère musulmane que les deux célèbres mosquées, en l’occurrence Sidi Kassam ben Djennan et les Sept dormants, seront érigées par Sidi Kessam. La première verra le jour au début du XVIIe ( 83 ) www.memoria.dz N'Gaous Histoire d'une ville siècle, elle fait aujourd’hui partie du patrimoine cultuel national. Saint homme très respecté dans la région, Sidi Kessam, originaire du Hodna, a vécu dans la région de N’Gaous jusqu’à sa mort survenue en 1628. Il est enterré près de la mosquée. Avènement de l’occupant ottoman Léon l’Africain décrira N’Gaous comme une région aux terres fertiles, quant aux habitants de la ville, ils parleront de leur cité comme de la ville des cents centaines. Pourtant, selon Marmol, chroniqueur espagnol, ayant vécu de nombreuses années dans les régions berbères d’Afrique du nord durant le XVIe siècle, N’Gaous connaîtra un déclin avec l’arrivée des Ottomans qui ne tarderont pas à déchoir les autochtones de leur ville. C’est d’ailleurs dans la région qu’Ahmed Bey trouvera refuge lorsqu’il sera traqué par l’armée coloniale française et c’est encore à N’Gaous que sera enterrée sa mère. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 84 ) Après 1830 et l’occupation de plusieurs régions d’Algérie, les troupes françaises prennent possession de la ville et des Aurès. Les Ouled Soltane et d’autres tribus vivant dans cette contrée, vont se soulever pour tenter de faire face à cet envahisseur mais ce sera peine perdue. Plus tard, en 1916, une révolte sanglante aura lieu, déclenchée toujours par les chefs de tribus, à partir d’appels à la rébellion lancés depuis la mosquée de N’Gaous, mais ce soulèvement populaire s’avèrera une nouvelle fois un échec car l’inégalité des moyens fera la différence. Mais lorsqu’éclate la guerre de libération nationale à partir des Aurès, le 1er novembre 1954, l’engagement et le sacrifice du peuple pour sa liberté ne connaîtront d’épilogue qu’à la libération du pays, sept ans plus tard. Hassina Amrouni Source : sites.google.com Supplément N° 45 - Avril 2016. Par Hassina Amrouni N'Gaous Histoire d'une ville Fruit-roi de la région de N’Gaous, l’abricot possède sa fête annuelle. M ême si ces dernières années, l’engouement n’est plus tout à fait le même, en raison d’une baisse de la production, il n’en demeure pas moins que, dans la région, on maintient la tradition, à savoir célébrer ce fruit à chaque nouvelle récolte. Pour les femmes de N’Gaous, transformer ce fruit goûteux, de différentes façons, afin de pouvoir en consommer tout au long de l’année, même en dehors de la saison de la récolte, connaît encore de beaux jours. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 86 ) Confiture, jus, fruit séché, pâte sucrée, eau fruitée, toutes les recettes sont bonnes pour tirer le meilleur de l’abricot. Chacune y allant de sa recette, les femmes de N’Gaous se transmettent souvent leurs petites astuces de mère en fille. Au cours de la fête annuelle de l’abricot, célébrée chaque 19 juin, différentes expositions de ce fruit et de ses dérivés sont présentées au public, ainsi que d’autres produits agricoles de la région. Hassina Amrouni Supplément N° 45 - Avril 2016. Par Hassina Amrouni La grotte des Sept dormants, djamaâ Sebaâ Rgoud ou encore H’khalweth n Sebaa R’goud, en chaoui, est un lieu de culte autour duquel est tissée une légende ancienne. N'Gaous Histoire d'une ville S ituée dans la région d’Imi n Tob (Foum Toub), près de l’ancienne ville numide d’Ichouqan, au flanc d’Akhanneq n Sebaa r’goud (le ravin des Sept dormants), cette grotte est depuis des siècles un lieu de pèlerinage, visité par des processions de fidèles qui viennent y faire des vœux, accomplir des prières, allumer des cierges et faire des offrandes. Plusieurs histoires sont rapportées autour de cette grotte. Dans son Atlas géographique, Stephane Gsell écrit que le roi de l’Aurès Iabdas y a trouvé refuge lorsqu’il était en guerre contre les Vandales. De son côté, Emile Masqueray raconte que Salo- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 88 ) mon, le chef vandale, y serait resté trois jours avant d’en être chassé. Masqueray, qui a visité la grotte en 1876, en fait cette description : « J’ai pénétré jusqu’au fond de la caverne des Sebaâ R’goud en rampant sur le ventre et en m’éclairant de mon mieux avec une bougie, malgré les instances des Châwi qui craignent d’y rencontrer des djinn, des ogres ou des panthères. Je n’y ai rien vu d’intéressant. Quant au nom de Sebaâ R’goud, une légende veut que les Sept dormants, que l’on retrouve un peu partout en Algérie, sommeillent au fond de cette caverne pratiquée par les eaux dans la muraille qui surplombe la rive gauche de l’oued. Les indigènes viennent former et accomplir des vœux à l’entrée de cette caverne, et ils y ont laissé une quantité considérable de vieux plats. » Supplément N° 45 - Avril 2016. N'Gaous Histoire d'une ville Concernant les Sept dormants (Sebaâ R’goud), le colonel Delartigue rapporte dans sa monographie de l’Aurès intitulée Les Chaouis des Aurès, le récit de cette légende telle que contée par un vieillard d’Ichamoul. Il écrit : « Autrefois sept jeunes gens suivis d’une chienne venant de l’occident se mirent en route pour aller vers l’orient accomplir le pèlerinage de la Mecque. Arrivés à la grotte de Foum Toub ils s’y introduisirent pour se reposer et s’endormirent d’un sommeil si profond qu’ils dorment encore aujourd’hui. De ce fait, ils sont devenus saints. Cette grotte était longue et s’avançait profondément sous la montagne ; dès l’entrée des sept jeunes gens, elle s’est brusquement refermée et n’est pas ouverte pour LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 89 ) www.memoria.dz N'Gaous Histoire d'une ville d’autres depuis cette époque. Les habitants déclarent qu’ils entendent même maintenant la chienne qui les surveille, aboyant lorsqu’on séjourne trop longtemps devant l’emplacement où était l’orifice de la caverne ». Mosquée de Sidi Kacem et la légende des Sebaâ R’goud Dans la région de N’Gaous, c’est une légende presque similaire qui est répandue, autour de la mosquée de Sidi Kacem. Selon Delartigue : « Si Kacem était un homme pieux et savant ne s’occupant jamais des choses de ce monde. Il s’en allait de tente en tente, de gourbi en gourbi stimulant le zèle des musulmans pour les œuvres pieuses. Quelques années avant la visite de ce saint homme, sept jeunes gens de la ville de N’Gaous, jouissant d’une réputation parfaite, disparurent tout à coup sans qu’on en eut depuis la moindre nouvelle. Un jour, Sidi Kacem arriva et après s’être promené dans la localité, il alla chez un des notables et s’engagea à le suivre. Après avoir marché quelques instants, il lui montra un petit monticule formé par les décombres et lui dit : « Comment souffrez-vous que l’on jette des immondices en cet endroit. Fouillez et vous verrez ce que cette terre recouvre. » Aussitôt, on se mit à déblayer le terrain et l’on y trouva les sept jeunes gens dont la disparition avait causé tant d’étonnement, étendus la face au soleil et paraissant dormir d’un profond sommeil. Le miracle fit comme on le pense très grand bruit et de ce jour, Sidi Kacem fut considéré comme un saint et vénéré comme tel. » Après ce fait miraculeux, les habitants firent ériger une mosquée sur le site même de cette découverte. Les corps des jeunes hommes furent mis dans des cercueils et la mosquée fut baptisée Djamaâ Sebaâ Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 90 ) Rgoud (mosquée des Sept dormants). A la mort de Sidi Kacem en 1623 (l’an 1033 de l’Hégire), il fut lui aussi enterré dans la mosquée, aux côtés des sept dormants. Une mosquée quatre fois centenaire Véritable patrimoine historique et cultuel, la mosquée Sidi Kacem ou Sebaâ R’goud a aujourd’hui 400 ans. Ce modeste lieu de prière d’environ 20 m sur 10 m, recouvert de tuiles est, à l’intérieur, constitué de trois rangées de cinq colonnes chacune dont certaines comportent des transcriptions latines, quant au vieux Minbar, il est encore intact. Etant un bien des wakfs, ce monument a, récemment, fait l’objet d’une visite d’inspection afin de relever les dommages et envisager un plan de sauvegarde et de réhabilitation. Hassina Amrouni Source : Jugurtha Hanachi in http://www.inumiden.com/ *Divers articles de la presse nationale quotidienne Supplément N° 45 - Avril 2016. Par Hassina Amrouni Histoire d'une ville N'Gaous Meriem Bouatoura à gauche Elle était jeune et nourrissait des rêves de liberté pour ce pays – le sien – demeuré trop longtemps sous le joug colonial. E mmenée par cet idéal, elle se battra avec courage, n’hésitant pas à offrir sa vie en sacrifice. Aujourd’hui, plus d’un demisiècle après sa disparition, on se souvient encore de cette jeune martyre dont le nom est étroitement lié à la ville de N’Gaous où elle est née. Meriem Bouattoura dite Yasmina a vu le jour le 17 janvier 1938 à N’Gaous, dans la wilaya de Batna. Cadette d’une nombreuse fratrie, Meriem est scolarisée à l’école des filles du village, encouragée par son père Abdelkader, paysan de son état mais néanmoins conscient que l’instruction – y compris pour les filles, à cette époque – peut être la voie du salut. Lorsque la petite atteint l’âge de 10 ans, son père décide de quitter N’Gaous et d’emmener sa famille vivre à Sétif où la vie est moins rude. Les Bouattoura s’installent dans le quartier, Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 92 ) jadis appelé « Chouminou » (Cheminaux) et le père se lance dans le commerce de vêtements d’importation pour subvenir aux besoins de sa femme et de ses sept enfants (Lila Hanifa, Houria, Janina, Noureddine, Salah-Eddine, Mohamed El-Aïd et Meriem). Les affaires qui deviennent florissantes permettent à la famille Bouattoura d’accéder à un meilleur niveau social, en comparaison aux autres familles indigènes. Élève assidue, Meriem est admise au lycée « Eugène Albertini » de Sétif où elle suit une brillante scolarité, jalonnée de succès. Mais son confort et sa réussite scolaire sont loin de lui faire oublier les dures conditions de vie de ses proches, restés dans les Aurès mais aussi celles de tout le peuple algérien, maintenu sous domination coloniale. Révoltée par cette situation inique, la jeune fille ne rêve que d’une chose : rejoindre le maquis pour vivre la révolution de l’intérieur. Supplément N° 45 - Avril 2016. Aussi, lorsqu’elle atteint l’âge de se marier, elle refuse tous les prétendants qui frappent à la porte de ses parents, préférant épouser la cause nationale. Sa sœur Houria raconte un jour à propos de Meriem : « Elle disait, je ne vais pas me marier... Je vais rejoindre la guerre de libération...pour protéger mon pays ! » Alors qu’elle n’a que 18 ans, elle rejoint les structures sanitaires de la Wilaya II. D’abord mourchida (assistance sociale) durant quatre ans, aux côtés de Ziza Massika, Aïcha Guenifi et Yamina Cherrad, elle devient ensuite infirmière à la clinique Khneg-Mayou où elle travaille aux côtés du Dr Lamine Khene. A sa demande, elle rallie les fidayine de Ultime mission En juin 1960, Meriem est appelée à prendre part à une nouvelle action armée, avec son compagnon d’armes Slimane Daoudi dit Boualem Hamlaoui. Malheureusement, ce sera la dernière opération armée pour les deux fidayine qui seront dénoncés. N'Gaous Epouser la cause révolutionnaire Constantine en 1960. Affichant un courage exemplaire et un grand sens du sacrifice, les responsables de l’organisation n’hésitent pas à l’enrôler dans plusieurs opérations de commandos. C’est ainsi qu’elle prend part à des attentats avec les groupes de Rouag et de Bourghoud. Selon la moudjahida, Khadra Belhami Mekkidèche, Meriem Bouattoura « ne cachait pas son désir de participer directement à l’action ». Histoire d'une ville Meriem Bouatoura LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 93 ) www.memoria.dz N'Gaous Histoire d'une ville Le moudjahid Bachir Bourghoud affirme : « Il était environ cinq heures du matin quand Hamlaoui est venu me réveiller et m’avertir que l’armée nous encerclait. Je suis allé réveiller Meriem, il faisait encore sombre. De nos fenêtres, on voyait le déploiement des soldats. J’ai demandé à Hamlaoui, qui avait une meilleure connaissance des lieux, s’il y avait une issue possible pour sortir, il m’avait répondu que non. Il ne nous restait plus qu’à résister. Les soldats ont lancé trois bombes lacrymogènes, Meriem nous avait donné des chiffons mouillés pour nous protéger. Puis, ils ont balancé les obus. La première à avoir été touchée par les éclats fut Meriem. Quand j’ai entendu son cri, je me suis dirigé vers elle, elle avait la jambe sectionnée et perdait beaucoup de sang. Je lui ai fait un garrot de fortune avec mon chiffon, elle m’a demandé de l’achever. Hamlaoui fut touché à la poitrine. Moi, j’avais reçu des éclats dans la tête avant de perdre conscience. Au réveil, nous étions à la cité Ameziane. J’entendais Hamlaoui, il était encore en vie. Meriem était étendue, elle était morte ».. Hassina Amrouni Sources : Mémoria (nov 2012) *Divers articles de la presse nationale quotidienne Meriem Bouatoura et Massika Ziza au maquis Yamina Bouatoura, mère de Meriem Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . La moudjahida Fatima-Zohra Boudjeriou affirme, de son côté, que Meriem était encore vivante, elle criait avant de mourir : « Vive l’Algérie libre et indépendante, à bas le colonialisme ! » Elle aurait été, selon elle, achevée à l’hôpital avec une injection. Meriem Bouattoura et son compagnon d’arme Daoudi Slimane sont morts en martyrs le 8 juin 1960. Meriem, la martyre de N’Gaous, avait 22 ans, l’âge de tous les rêves et de tous les espoirs mais elle n’a pas hésité à sacrifier sa jeunesse pour offrir la liberté à son pays. Aujourd’hui, plusieurs institutions portent son nom, dont la maternité (EHS) de Batna, un collège à N’Gaous, un institut à Constantine ou un lycée (ex-lycée Félix Gautier) à El-Biar, pérennisant ainsi le sacrifice de cette jeune combattante, morte pour l’Algérie. ( 94 ) Supplément N° 45 - Avril 2016. Salima Souakri Abdelkader Houamel Djahida Houadef Hassane Amraoui Par Hassina Amrouni N'Gaous Histoire d'une ville Djahida Houadef, Abdelkader Houamel, Salima Souakri, Hassane Amraoui et on en oublie encore, sont quelques-uns des meilleurs ambassadeurs de l’Algérie. Ils ont pour point commun, N’Gaous, la ville qui les a vu naître. A rtistes, intellectuels, sportifs de performance, hommes politiques ou encore martyrs sacrifiés sur l’autel de la liberté, ils sont aujourd’hui, la fierté de toute une région, voire du pays. Des artistes-peintres de renom Abdelkader Houamel, Amraoui Hassane, Djahida Houadef font partie des artistes phares de la scène plastique algérienne. Oeuvre de Hassane Amraoui Hassane Amraoui Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Doyen des artistes-peintres de N’Gaous, Abdelkader Houamel a un parcours exceptionnel. Né le 17 août 1936, cet ancien moudjahid a rejoint les rangs de l’ALN, entre 1955 et 1960. Son parcours plastique a été entamé très jeune, alors qu’il n’avait que 17 ans. Son don et sa passion lui permettront de décrocher une bourse d’études de l’Académie des beaux-arts de Rome, où il décide de rester pour être, ensuite, élu au sein de l’Académie de Tiberine de Rome. Houamel fait partie des artistes peintres qui ont influencé l’Ecole supérieure des beaux-arts d’Alger. Considéré comme l’un des pionniers du courant moderniste algérien, il a, grâce à l’une de ses œuvres exposée en 1960 à Tunis, contribué à exposer la question de la révolution algérienne à l’extérieur. Après ( 96 ) Supplément N° 45 - Avril 2016. Abdelkader Houamel N'Gaous Oeuvre Abdelkader Houamel Histoire d'une ville l’indépendance, il participe à plusieurs expositions en Algérie et à l’étranger. Il est récipiendaire de plusieurs prix, notamment le 1er Prix San Vito Romano (1962), le 2e prix à l’Exposition internationale de l’aquarelle à Cannes (1981) ou la médaille de bronze de l’Académie européenne de Calvatone etc. Né à Tifrene, dans la daïra de N’Gaous en 1969, Hassane Amraoui est peintre et photographe. Diplômé de l’Ecole régionale des beaux-arts de Batna et de l’Ecole supérieure des beaux-arts d’Alger, il obtient ensuite un diplôme de photographie. Fort de ce bagage académique artistique, il réalise un certain nombre d’œuvres et commence à exposer en Algérie, en Tunisie et en France. En 2007, il prend part à une exposition collective à Libreville, la capitale gabonaise, avant d’aller s’installer au Canada où il a vite trouvé ses repères (il est membre actif de Diversité artistique LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 97 ) Montréal, membre du Regroupement des artistes en arts visuels du Québec). Faisant partie de la même génération que Hassane Amraoui, Nadi Bouguechal est né en 1971. Diplômé de l’Ecole régionale des beaux-arts de Batna, il a depuis, pris part à plusieurs expositions en Algérie et à l’étranger. En 2014, il a participé à un projet visant la promotion de la culture berbère intitulé « La grande fresque de l’histoire des Berbères ». Grand nom de la scène plastique algérienne, Djahida Houadef, née le 1er avril 1963, compte un très riche parcours artistique derrière elle. Diplômée de l’Ecole nationale des beaux-arts d’Alger et de l’Ecole supérieure des beaux-arts d’Alger, elle a, dès 1986, multiplié les expositions tant en Algérie (salle Ibn Khaldoun, Centre culturel soviétique, centre culturel de la wilaya d’Alger, Biennale des arts plastiques d’Alger, Salon d’automne des arts plastiques www.memoria.dz N'Gaous Histoire d'une ville d’Alger, etc.) qu’à l’étranger (Biennale internationale des arts plastiques de Sharjah –EAU, Couleurs d’Algérie, Toulouse, Salon du Printemps à Masseret, Limoges, La Méditerranée qui nous unit, Barcelone etc.) Sa carrière est auréolée de plusieurs prix, notamment le 2e Prix au Salon de la femme peintre (Alger-1992), 3e Grand Prix de la peinture algérienne (Alger-1993), 2e Prix à l’hommage de Aïcha Haddad (Alger-2002), 2e Prix « El Guentas » (Djelfa-2007) etc. N’Gaous, terre de chouhada Connue pour son engagement sans faille et sa fin héroïque, Meriem Bouattoura (voir portrait) fait partie des icônes de la Révolution algérienne, aux côtés d’autres martyrs également originaires de la région de N’Gaous, en l’occurrence Lakhdar Kouhil. Un martyr dont le nom a été attribué à plusieurs rues, sites et établissements mais dont il n’existe, malheureusement, aucune note biographique pour pouvoir faire connaître son parcours révolutionnaire à la génération postindépendance. Idem pour le chahid Maamir Belkacem dont on sait seulement qu’il a racheté la socié- Djahida Houadef Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . té de Mustapha Benboulaïd et qu’il a contribué, avec ses biens personnels au financement de la révolution algérienne, en fournissant les premières armes aux moudjahidine. Quant à Omar Berkane, qui a rejoint très tôt les rangs de l’Armée de libération nationale, il est le premier chahid de N’Gaous. Souakri, une digne ambassadrice Née à Alger en 1974, Salima Souakri est originaire de N’Gaous. Sportive de haut niveau, elle a battu sur les tatamis les plus grandes judokates de sa catégorie. Après une carrière sportive bien remplie, en tant qu’athlète (elle a été quinze fois championne d’Algérie et douze fois championne d’Afrique) puis en tant qu’entraîneur, elle a décidé d’utiliser sa notoriété pour sensibiliser la société au sort des enfants. Elue, en 2007, présidente de l’association Wafa, elle apporte, une aide considérable aux enfants handicapés. Mais depuis 2011, elle s’investit également dans des actions de promotion des droits de l’enfant en Algérie, en tant qu’ambassadrice d’Unicef Algérie. Hassina Amrouni Salima Souakri ( 98 ) Supplément N° 45 - Avril 2016.