facolta` di economia – anno accademico 2007 – 2008 lingua e

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facolta` di economia – anno accademico 2007 – 2008 lingua e
FACOLTA’ DI ECONOMIA – ANNO ACCADEMICO 2007 – 2008
LINGUA E TRADUZIONE – LINGUA FRANCESE
PROF. ALAIN JACQUART
DOSSIER 2007- 2008
REGARDS SUR LA SOCIETE FRANCAISE CONTEMPORAINE
A TRAVERS UN CHOIX D’ARTICLES DE PRESSE
A.
INTRODUCTION
Approcher la France : dossier de l’UCCIPE
B.
ARTICLES DE PRESSE. LES PRINCIPAUX THEMES :
1. La société française à travers ses grands mythes. L’affaire de la lettre de GUY MOQUET
2. La France face à la mondialisation économique et culturelle: le « complexe d’ASTERIX ».
Mondialisation, délocalisations, flexibilité
3. Europe, traité simplifié adopté à Lisbonne : les Français pour un référendum
4. Les élections de 2007 (présidentielle et législatives) et l’actualité politique. Ségolène
ROYAL et le PS. Les élections municipales de 2008. Les projets d’urbanisme du maire de
Paris, Bertrand DELANOE
5. Le chantier de la réforme constitutionnelle : les propositions de la commission
BALLADUR. La rémunération du Président de la République
6. La communication sociale, les médias, la politique « spectacle » : portrait de Nicolas
SARKOZY, sixième président de la Vème République.
7. Le président divorce. Evolutions de la famille française et démographie : PACS, politique de
la famille, etc.
8. Malaise de la jeunesse (retrait du CPE, réforme de l’Université, etc.)
9. Réforme de la carte judiciaire. La face cachée de Rachida DATI, Garde des Sceaux
10. Immigration : la loi HORTEFEUX et la polémique sur les tests ADN
11. Banlieues : la situation reste explosive
12. Politique internationale : Bernard KOUCHNER, le droit d’ingérence humanitaire et l’affaire
de « l’arche de Zoé ». Les relations France/Afrique ;
13. Les Français dans les institutions internationales : Jean-Claude TRICHET à la BCE,
Dominique STRAUSS-KAHN à la tête du FMI.
14. La francophonie. Belgique : vous parlez français ? – Neen !
15. Commerce : pourquoi le client n’est plus roi
16. Automobile : Carlos GOSHN et les difficultés de Renault
17. Transports : le TGV, une réussite française. le Velib’ à Paris.
18. Mobilité sociale
19. Energies : le choix du nucléaire.
20. Perspectives économiques pour 2008
C.
TEXTES POUR LA TRADUCTION
2
Document 1
Polémique autour de la lecture de la lettre de Guy Môquet
Le Monde, 22.10.2007
A chaque semaine son épreuve de force. La semaine dernière, il s'agissait de la réforme des
régimes spéciaux. Lundi 22 octobre, le gouvernement affronte une partie du monde enseignants et des
historiens. C'est aujourd'hui que la lettre d'adieux de Guy Môquet, résistant communiste arrêté par la
police française et fusillé à 17 ans par l'occupant allemand le 22 octobre 1941, doit être "lue à tous les
lycéens de France", à la demande du président de la République. Nicolas Sarkozy avait annoncé cette
initiative, le 16 mai, jour de sa prise de fonction.
Pourtant, le président de la République ne se rendra
pas au lycée Carnot, à Paris, comme un temps
envisagé, a annoncé, dimanche 21 octobre, son
conseiller spécial Henri Guaino, invoquant des
raisons d'
agenda. "Le président de la République,
hélas, ne pourra pas se rendre dans un lycée demain
compte tenu de son agenda international", a déclaré
M. Guaino sur France 2. Nicolas Sarkozy reçoit à
la mi-journée le premier ministre israélien, Ehoud
Olmert, avant de partir pour une visite d'
Etat au
Maroc. "Cela n'
a rien à voir avec l'
agitation" qui est
"le fait de quelques professeurs", a assuré la
"plume" du chef de l'
Etat, tout en ajoutant que "le
président n'
était pas très content".
Des professeurs de l'
établissement avaient rédigé un texte à son intention expliquant leur "refus de participer
à cette commémoration". M. Guaino a réfuté toute idée "d'
instrumentalisation de l'
Histoire", comme des
enseignants en ont accusé le chef de l'
Etat. "Instrumentalisation de quoi ? Il n'
y plus d'
élection à gagner,
c'
était [Guy Môquet] un militant communiste, pas un militant UMP", a-t-il plaidé.
M. Guaino s'
est dit "très triste qu'
un certain nombre de professeurs saisissent cette lettre pour faire un peu de
politique politicienne" et en colère car "la nation mérite un peu de respect de la part de ceux qui sont sensés
la servir". Il a comparé le refus de lire la lettre de Guy Môquet à un éventuel refus d'
enseigner Voltaire. "Les
droits et les devoirs des professeurs comme les droits et les devoirs de tout citoyen, c'
est quelque chose
d'
important", a-t-il ajouté.
RESISTANCE
Marie-George Buffet (PCF) a appelé, dimanche 21 octobre, à "résister" à la politique du gouvernement, à
l'
occasion de la commémoration, à Châteaubriant, du 66e anniversaire de l'
exécution de Guy Môquet et de 26
de ses camarades par les nazis. "Aujourd'
hui, il y a besoin de résistance encore, bien sûr ce n'
est pas la même
chose : résistance face à une politique qui casse les droits sociaux, résistance face à une politique qui chasse
les enfants parce que leurs papas et leurs mamans sont venus d'
autres pays, résistance par rapport à une
politique qui veut encore renforcer les pouvoirs d'
un seul homme à la tête de l'
Etat", a-t-elle dit. La secrétaire
nationale du PCF a salué la mémoire de Guy Môquet, résistant communiste, "un enfant du Front populaire
qui se battait pour le progrès social".
"Au niveau des mots, comme au niveau des symboles, Nicolas Sarkozy essaie de capter l'
héritage de la
gauche pour mieux cacher sa politique libérale", analyse le député socialiste Claude Bartolone, rappelant les
envolées lyriques du président sur les dirigeants socialistes Jean Jaurès ou Léon Blum pendant la campagne.
Pour lui, le projet n'
a pas d'
objet didactique : "L'
initiative n'
avait de sens que si elle rentrait dans un exercice
pédagogique sur un trimestre" mais "une lecture de la lettre, sans avant et sans après, relève de l'
artificel et ne
permet pas de comprendre la Résistance". Dans un communiqué, le Parti socialiste a mis en garde contre
"une instrumentalisation de l'
Histoire à des fins politiciennes" et volé au secours des enseignants qui refusent
une lecture "gadget" de la missive.
Le président du Modem, François Bayrou, a affirmé dimanche soir ne pas être favorable à la lecture de la
lettre de Guy Môquet dans les lycées. "L'
Etat ne doit pas se mêler de l'
Histoire. L'
Etat ne doit pas organiser
la promotion en figure héroïque de qui que ce soit. Le propre d'
une démocratie, c'
est que l'
Etat est
3
respectueux de la séparation nécessaire entre les historiens, les professeurs et les ordres qu'
il donne", a
déclaré M. Bayrou dans l'
émission Grand Rendez-vous d'
Europe 1/TV5 Monde/Le Parisien. "Chaque fois
que l'
Etat se mêle de l'
exploitation de l'
Histoire, c'
est un très mauvais signe", a-t-il ajouté.
Regroupés dans l'
association Liberté pour l'
histoire, créée en 2006 contre les lois sur l'
esclavage ou le
génocide arménien, plus de 600 historiens estiment ainsi que "la volonté de renforcer la solidarité nationale
en exaltant le souvenir de la Résistance répond aux meilleures intentions".
"Néanmoins, en organisant la lecture, dans tous les lycées, de la dernière lettre de Guy Môquet, otage
assassiné à Châteaubriant, le gouvernement n'
a pu vouloir priver les professeurs de leur liberté de conscience
et de pédagogie", écrivent-ils dans un communiqué diffusé cette semaine. Pour Jean-Pierre Azéma, membre
fondateur de l'
association, la démarche de M. Sarkozy est en effet "contreproductive", à l'
origine "de
polémiques et de dérives grotesques, comme l'
histoire de [Bernard] Laporte", l'
entraîneur de l'
équipe de
France de rugby qui a fait lire la lettre à ses joueurs avant un match de Coupe du monde. "On se trouve
devant un cas assez classique d'
enjeu mémoriel franco-français aggravé par le fait que Nicolas Sarkozy veut
occuper le terrain médiatico-culturel et imposer sa marque, sans concertation", conclut-il.
Auteur d'
un Dictionnaire du communisme chez Larousse, Stéphane Courtois y voit lui "une double opération
politique" du chef de l'
Etat :"On a réactivé la vieille mythologie de la Résistance entre gaullistes et
communistes. Et, vu la situation de la gauche après la présidentielle, la lecture de cette lettre ne pouvait que
semer une confusion supplémentaire." Pour l'
historien du communisme, "le vrai problème de cette lettre n'
est
pas de la lire. Cela ne peut pas faire de mal aux jeunes d'
apprendre quelque chose et personne ne conteste que
Guy Môquet est mort en héros". Il rappelle, en revanche, qu'
en octobre 1940, date de son arrestation, la ligne
politique du Parti communiste, dont il est membre, est "anti-Vichy, révolutionnaire", mais "pas encore antiallemande".
Proche de M. Sarkozy durant la campagne présidentielle, l'
académicien Max Gallo évoque "une période
complexe", "très ambiguë", où les communistes français "sont sur une ligne de non-participation à la guerre".
Mais il souligne "le caractère émouvant de la lettre et de son contenu." "Je crois que c'
est utile, symbolique,
important, de faire réfléchir sur la Résistance", dit-il, en soulignant que la lecture de la lettre peut être "le
point de départ pour les élèves d'
une brève histoire de la Résistance".
Qui est Guy Môquet?
Fils d’un syndicaliste cheminot, député communiste de Paris, Prosper Môquet, Guy est né à Paris le 26 avril 1924. Au
début de la guerre, il est élève au lycée Carnot et, comme son père, son oncle et sa tante, fervent militant communiste.
L’arrestation de son père en octobre 1939 et son incarcération en Algérie à partir de 1940, le poussent à l’action.
Réfugié avec sa mère, Juliette (qui fera par la suite partie du comité national de Libération) et son frère en Normandie, il
revient seul à Paris où il milite
clandestinement, multipliant les recours
pour obtenir la libération de Prosper Môquet.
Il est arrêté, à 16 ans, pour avoir collé des
affiches de propagande communiste
appelant à la paix, le PCF s’étant alors aligné
sur
le
pacte
germano-soviétique.
Emprisonné à Fresnes puis à Clairvaux,
avant d’être transféré à Châteaubriant
(Loire-Atlantique), il est le plus jeune des 32
prisonniers français (27 à Châteaubriant,
5 à Paris) fusillés le 22 octobre 1941 par les
troupes d’occupation, sur proposition du
gouvernement français, après qu’un officier
allemand s’est fait abattre par un groupe
de résistants. Avant d’être exécuté, Guy
Môquet a le temps d’écrire une lettre à
ses parents, aujourd’hui lue dans les écoles.
Dès le 25 octobre, le Premier ministre britannique Winston Churchill et le Président des Etats-Unis, Franklin Delano
Roosevelt, dénoncent cette exécution « qui révolte un monde déjà endurci à la souffrance et à la brutalité ». Le même
jour, le général de Gaulle déclare à la radio : « En fusillant nos martyrs, l’ennemi a cru qu’il allait faire peur à la France.
La France va lui montrer qu’elle n’a pas peur de lui… » Louis Aragon publie clandestinement un ouvrage intitulé Les
Martyrs, aux éditions de Minuit, dès février 1942. Cet ouvrage rendant hommage aux victimes est lu à la radio de
Londres par Maurice Schumann. Le nom de Guy Môquet est alors un symbole.
A la Libération, les fusillés de Châteaubriant vont devenir un enjeu de mémoire entre communistes et gaullistes. Depuis
1947 et la guerre froide, les commémorations ont ainsi lieu en rangs dispersés : la ville de Nantes honore ses otages
dans son coin, le parti communiste rend hommage de son côté aux 27 de Châteaubriant.
4
Document 2
Identité nationale ou imitation américaine ?
Le Monde diplomatique, mercredi 18 avril 2007
On reproche à M. Sarkozy d’être très américain, en invoquant à la fois ses orientations de
politique étrangère, proches de celles de l’administration Bush, et son admiration pour le
système économique et social des Etats-Unis. Mais le président de l’UMP s’est également
inspiré des idées et des recettes politiques de la droite américaine dans d’autres domaines.
A partir des années 1960, l’aile la plus conservatrice du Parti républicain (Barry Goldwater, Ronald Reagan)
choisit de se présenter comme exclue du système politique (de 1955 à 1995, le Parti démocrate contrôle sans
interruption une des chambres du Congrès), dédaignée par un monde des affaires trop soucieux de paix
sociale et ostracisée par les institutions culturelles et médiatiques du pays. Elle s’affirme déterminée à
instaurer (ou à rétablir) son hégémonie idéologique, certaine que celle-ci constituera le préalable à son retour
au pouvoir.
Dans le cas de M. Sarkozy, ministre principal du gouvernement il y a quelques jours encore et président
depuis plus de deux ans du parti majoritaire, cette posture de dissident, de proscrit, peut paraître incongrue.
Toutefois, tel un républicain américain, le président de l’Union pour un mouvement populaire (UMP), sans
doute conscient qu’un candidat défendant le statu quo en France ne pourrait que perdre l’élection, martèle
l’idée que « trop souvent la pensée unique et le politiquement correct [ont] dominé le débat (1) ». Il précise
que la droite n’a jamais osé être vraiment à droite, étouffée qu’elle était par une orthodoxie de gauche, pour
ne pas dire « marxiste » ainsi que vient de le prétendre, sans rire, son ami l’industriel Bernard Arnault, PDG
de LVMH et première fortune du pays (2).
En 2001, en tout cas, l’actuel candidat de l’UMP s’avouait « convaincu que le prêchi-prêcha socialdémocrate n’[avait] pu prospérer que sur l’absence d’une droite moderne (3) ». Le 12 avril dernier, à
Toulouse, il précise : « Si je suis élu président, tout ce que la droite républicaine n’osait plus faire parce
qu’elle avait honte d’être la droite, je le ferai. » Notons au passage qu’on n’entend plus depuis longtemps un
candidat socialiste prendre l’engagement symétrique, celui de cesser d’avoir « honte d’être la gauche ».
La deuxième thématique de la campagne de M. Sarkozy qui paraît s’inspirer des recettes de la droite
américaine concerne son discours destiné à l’électorat populaire. Aux Etats-Unis et en France, il est a priori
difficile pour un candidat qui a le soutien du patronat et qui réclame simultanément la suppression de l’impôt
sur les successions et la réduction de l’impôt sur les sociétés de se présenter comme le porte-parole du peuple
contre les élites. On sait que Ronald Reagan et M. George W. Bush ont néanmoins réalisé l’exploit: une
fraction appréciable des catégories sociales peu favorisées a voté pour eux, avec pour résultats la diminution
des salaires réels et des prestations sociales, la baisse de la fiscalité sur les hauts revenus, la mise en cause
des droits syndicaux...
Aux Etats-Unis, cette prouesse politique a largement tenu à l’appel au sentiment national et patriotique
(anticommunisme, puis antiterrorisme — lire « La droite américaine manipule le sentiment national »), au
ressentiment fiscal (le « petit contribuable » contre le « gros précepteur »), à l’invocation des « valeurs
morales traditionnelles » (opposition à l’avortement et à l’homosexualité), enfin au rejet d’un « laxisme »
judiciaire qu’on présentait comme le principal pourvoyeur de violences et de crimes. La palette de M.
Sarkozy n’est pas absolument superposable à ce registre dans la mesure où, en France, le recours d’un
candidat aux sentiments religieux, et l’utilisation des religions ou des sectes comme gardiennes d’un ordre
social conservateur, se heurtent encore à la sécularisation du pays et à sa tradition républicaine et laïque. Le
candidat de l’UMP a bien essayé de réactiver ce ressort religieux — « Je suis de ceux qui pensent que la
question spirituelle a été très largement sous-estimée par rapport à la question sociale », réitérait-il encore
récemment (4) — mais il est vite passé à l’essentiel : la redéfinition de « la question sociale ». A
l’américaine, il s’est alors efforcé de faire passer la ligne de démarcation, non plus entre riches et pauvres,
capitalistes et travailleurs, mais entre salariés et « assistés », ouvriers et fraudeurs.
« Il y a deux catégories d’Américains, annonce en 1984 un sénateur ultraconservateur du Texas : ceux qui
tirent les wagons et ceux qui s’y installent sans rien payer ; ceux qui travaillent et paient des impôts, et ceux
qui attendent que l’Etat les prenne à sa charge (5). » Pour casser les solidarités nées du New Deal, la droite
5
américaine n’a en effet eu de cesse de jouer sur cette corde-là, qui cherche à dresser les salariés contre les
tire-au-flanc. « Le Parti républicain, proclame le publiciste néoconservateur David Frum, ne pourra pas
demeurer fidèle à ses principes s’il craint de se voir accuser d’être insensible. » Outre-Atlantique, les
questions de fiscalité et de race vont alimenter d’autant mieux ce ressentiment réactionnaire (sous couvert,
on l’a vu, de rompre avec le « politiquement correct » de la gauche) qu’elles paraissent liées. Une fraction
presque exclusivement blanche des « classes moyennes » (et des ouvriers et employés qui aspirent à cette
condition) se sent abusivement taxée pour, croit-elle, financer des politiques sociales destinées à d’autres,
souvent noirs ou immigrés.
« J’en ai assez des pauvres », glissa un jour à l’oreille de Ronald Reagan une femme d’officier. Le futur
président des Etats-Unis n’était pas encore sourd. Il évoqua donc sans tarder l’histoire (fausse) d’une
fraudeuse. Une histoire qu’il martela pendant plus de dix ans. C’était celle d’une « reine de l’aide sociale
[“welfare queen”] qui utilise quatre-vingts noms, trente adresses et douze cartes de sécurité sociale, grâce à
quoi son revenu net d’impôt est supérieur à 150 000 dollars (6) ». La thématique a de l’avenir. C’est le
discours désormais bien rodé du « petit Blanc » qui trime et qui « devient fou » devant « le bruit et l’odeur »
des pauvres, immigrés souvent, qui se prélassent grâce au gros magot de l’assistance sociale.
L’attaque de l’Etat-providence opère en biais. On s’en prend, non pas frontalement au principe lui-même,
mais à ceux qui en profitent indûment et en confisquent les bénéfices. La dureté va s’imposer, mais elle sera
rendue plus présentable par l’affirmation que les aides publiques nuisent à leurs prestataires, qu’elles les
enfoncent dans une « culture de la dépendance » entraînant derrière elle sa kyrielle de pathologies (manque
d’assiduité, jeu, addictions, violences conjugales, etc.). Qui doute de l’importation de ce discours en France
n’a qu’à se reporter au magazine sarkozyste Le Point, propriété de M. François Pinault, troisième fortune de
France. Moins d’un an après avoir titré « Les tricheurs du chômage », il vient de faire sa couverture sur « La
France assistée. Les scandales du “modèle français”. Les profiteurs d’allocations. Comment sortir du piège »
(7).
M. Sarkozy se prétend, lui, soucieux de « réconcilier la France qui gagne et celle qui souffre ». La première
lui semblant acquise, il s’adresse volontiers à la seconde, profitant du fait que la gauche de gouvernement l’a
délaissée : « Je veux parler à tous ces malheureux, mais je veux dire que la souffrance et la dureté de la vie
ne se limitent pas à la France de la précarité. Je veux parler d’une autre souffrance, bien réelle, qui ne doit
pas être sous-estimée : celle de la France qui n’est pas dans la précarité, qui se lève tôt, qui travaille dur, qui
se donne du mal pour nourrir sa famille et élever ses enfants, qui elle aussi je l’affirme est à la peine, et qui
entend qu’on le sache et qu’on réponde enfin à son appel (8). » Puis, sur un mode puritain plus courant aux
Etats-Unis qu’en France, il en vient à l’avertissement : « Je n’accepte pas qu’il y ait des gens qui soient au
RMI et qui, à la fin du mois, aient autant que des gens comme vous [des salariés] qui se lèvent tôt le matin. »
Il l’acceptera d’autant moins, en vérité, que « l’assistanat généralisé est une capitulation morale. L’assistance
est une atteinte à la dignité de la personne. Elle l’enferme dans une situation de dépendance. Elle ne donne
pas assez pour une existence heureuse et trop pour inciter à l’effort ».
Un mauvais esprit objecterait sans doute qu’il y a en France d’autres exploiteurs et d’autres exploités,
d’autres rentiers, d’autres fraudeurs, et qui vivent sur un plus grand train que les « assistés », d’autres
privilégiés qui ne se sont donné que la peine de naître dans la bonne famille (le fils de Jean-Luc Lagardère,
celui de Francis Bouygues, celui de François Pinault, celui de Vincent Bolloré, la fille de Bernard Arnault...)
; d’autres injustices aussi. Mais elles paraissent moins préoccupantes à M. Sarkozy. Car, explique-t-il, « les
allocations sociales sont financées par le produit de la France qui travaille et qui se lève tôt le matin ». N’estil pas légitime alors « que ces allocations (soient) affectées et utilisées sans fraude, sans mensonge et sans
malhonnêteté (9) » ?
D’ailleurs, la solution, recommandée par l’Organisation de coopération et de développement économiques
(OCDE), serait déjà trouvée : « Il faut faire en sorte que le demandeur d’emploi ne puisse pas refuser plus de
trois offres d’emploi, que chacun soit obligé de rechercher véritablement un emploi, d’exercer une activité ou
d’accepter une formation. La société ne peut pas aider celui qui ne veut pas s’en sortir (10). » Une
proposition alternative est écartée d’emblée : « Ils disent : faisons payer le capital ! Mais si le capital paye
trop, il s’en ira (11). » Avec M. Sarkozy à l’Elysée, c’est sûr, le capital ne paiera pas trop.
6
Etre vraiment de droite, proche des milieux patronaux, et s’adresser néanmoins aux catégories sociales
victimes du néolibéralisme implique souvent une technique de brouillage supplémentaire : celle qui consiste
à exhiber des goûts d’homme ordinaire. Bien que millionnaires et fréquentant en priorité d’autres riches,
Ronald Reagan et M. George Bush n’ont cessé de jouer cette carte populaire. Car « populaires », ils
prétendaient l’être, sinon par leurs fortunes du moins par leurs goûts. Et c’est à dessein qu’ils affichaient leur
dédain pour les « intellectuels » et pour les experts, dorénavant associés à la fois à l’élite, à la presse de
référence et à la morgue aristocratique. M. Sarkozy, de son côté, est l’ancien maire d’une des communes les
plus cossues du pays (Neuilly) en même temps que l’ami intime de plusieurs milliardaires. Oui, mais il aime
les émissions de Michel Drucker, le vélo, et les chansons de Johnny Hallyday. C’est donc tout naturellement
que lorsque M. François Bayrou a proposé de supprimer l’École nationale d’administration (ENA), le
président de l’Union pour un mouvement populaire lui a répliqué : « En ce qui me concerne, je ne suis ni
énarque ni agrégé, ça me permet de ne pas être démagogique. »
Mais est-il possible, en France, sans démagogie, d’être simultanément un homme de droite légitimement
adoré par les patrons du CAC 40 et le tribun des petits et des sans-grade, persécuté par le « politiquement
correct » ?
Serge Halimi
(1) Nicolas Sarkozy, Ensemble, XO, Paris, 2007, p. 7.
(2) Entretien avec Capital, Paris, avril 2007.
(3) Nicolas Sarkozy, Libre, Robert Laffont, 2001. Cité par Eric Dupin, A droite toute, Fayard, 2007, p. 56.
(4) Il y a trois ans, il a ajouté : « Il est bien préférable que des jeunes puissent espérer spirituellement plutôt que d’avoir dans la tête,
comme seule religion, celle de la violence, de la drogue ou de l’argent » (Nicolas Sarkozy, La République, les religions, l’espérance,
Ed. du Cerf, 2004. Cité par Eric Dupin, op. cit.)
(5) Phil Gramm, sénateur du Texas, lors de la convention républicaine de Dallas en août 1984.
(6) Cf. à ce sujet Le Grand bond en arrière, Fayard, 2006.
(7) Le Point, 12 avril 2007. Le numéro consacré aux « tricheurs du chômage » avait été publié le 29 juin 2006. Lire à ce propos
l’article de Renaud Lambert sur le site d’Acrimed, « Les “tricheurs” du Point », 6 juillet 2006.
(8) Nicolas Sarkozy, « Pour la France du travail ». Discours du 22 juin 2006 à Agen.
(9) Cité par Grégory Marin, « Démagogie en terre de souffrance », L’Humanité, 20 décembre 2006.
(10) Entretien publié par Les Echos, 9 novembre 2006.
(11) Discours du 22 juin 2006, op. cit..
Document 3
Pierre Birnbaum : "En France, depuis toujours, l'identité de
la nation a été l'objet d'un conflit"
LE MONDE,15.03.2007
Dans un "chat" sur Le Monde.fr, l'historien Pierre Birnbaum revient sur la construction
de la notion d'identité nationale. "Les réactions indignées, à juste titre, sur le fait de lier l'identité
nationale et l'immigration sont néanmoins aussi très schématiques", souligne-t-il.
Comment s'est construite dans l'imaginaire collectif la notion d'identité nationale ?
Pierre Birnbaum : D'
abord, je pense que vous avez raison d'
utiliser le verbe construire, car toutes les identités
sont construites, imaginées, réaménagées en fonction des mémoires successives et d'
éléments très
hétérogènes et variables. En France, depuis toujours, l'
identité de la nation a été l'
objet d'
un conflit. Les
historiens l'
interprètent sous forme de guerre franco-française qui opposerait une France toute catholique à
une France toute laïque, toute universaliste. C'
est dire que depuis 1789 l'
identité de la nation est construite à
partir de rêves contradictoires et imaginaires.
La Révolution française est présentée comme une utopie qui rompait avec le passé le plus lointain de la
France et qui impliquait une rupture avec le catholicisme. C'
était là un fait unique dans l'
histoire : la volonté
de construire une nation uniquement sur la raison. Nous ne sommes toujours pas sortis de cet antagonisme,
dont les deux termes sont incompatibles avec la reconnaissance de pluralismes religieux, culturels ou autres.
Ce qui rend toujours problématique, de nos jours, l'
idée de la nation.
A quand remonte l'expression "identité nationale"? Quel courant politique l'a utilisée en premier ?
7
Pierre Birnbaum : Je ne suis pas certain qu'
on puisse dater l'
apparition de cette notion. En vous surprenant,
j'
aurais tendance à dire que les révolutionnaires de 1790-1791, confrontés à la menace de la contre-révolution
contre la nation en 1792-1793 ont peut-être utilisé, dramatisé cette notion d'
identité de la nation, en conflit
avec les Italiens, les Allemands, les Anglais en particulier, et si l'
on regarde par exemple les discours de
Barrère, on voit que toute pratique même d'
une langue étrangère est considérée comme potentiellement une
trahison de la nation.
C'
est dire que la place de l'
étranger est très vite récusée dans le discours révolutionnaire, même si au départ
un certain nombre d'
émigrés prestigieux ont été naturalisés français. Il me semble que par la suite le discours
républicain de la IIIe République par exemple reste assez hostile aux "étrangers", mais qu'
à cette époque ce
qui va devenir dominant, c'
est le lien entre l'
idéologie nationaliste, d'
extrême droite, et la haine de l'
étranger,
la haine de l'
émigré, essentiellement à l'
époque symbolisé par les juifs, puisque sous la IIIe République ce
sont eux qui sont la cible du mouvement nationaliste.
Cela dit, on peut apporter un bémol même à cette remarque, puisque sous la IIIe République, fidèle à une
tradition qui refuse les étrangers malheureusement au sein du monde républicain, on tue de ouvriers italiens,
on s'
attaque à des ouvriers polonais. Aux frontières de la France, ces ouvriers sont souvent l'
objet de sévices
qui peuvent aller jusqu'
à la mort. Il ne faut donc pas voir les choses de manière trop simpliste. Même si ce
sont les mouvements nationalistes, à la suite de Barrès, de Drumont ou de Charles Maurras, qui revendiquent
le plus cette défense de l'
identité nationale, dans le camp républicain, les étrangers ne sont pas toujours bien
reçus.
La nation n'est-elle pas historiquement née à gauche ? Pourquoi cette incapacité relative de la gauche à en
parler aujourd'hui ?
Pierre Birnbaum : La nation, vous avez raison, est née à gauche, car auparavant il y avait un royaume. C'
est
la défense au fond d'
une idée révolutionnaire incarnée par la nation. Et c'
est cette jonction entre nation et
Révolution française, avec les débordements que l'
on connaît au moment de Robespierre et de Saint Just et la
Terreur, qui fait qu'
une partie de la gauche a parfois du mal à défendre l'
idée de nation.
On peut ajouter qu'
il me semble que la gauche qui défend ouvertement la nation de nos jours est ce qu'
on
appelle la gauche souverainiste, qui s'
inspire de cette tradition révolutionnaire, qui défend un pré carré
marqué par des frontières, une identité à l'
abri de frontières, du marché, du libéralisme, de la globalisation,
du cosmopolitisme, et cette gauche souverainiste, craintive devant l'
étranger, devant l'
autre, devant le monde,
est aussi une gauche qui certes défend la nation, mais dans un sens qui lui ôte à nouveau toute idée de
pluralisme interne et qui, d'
une certaine manière, à la limite et en disant les choses de manière très prudente,
rejoint d'
autres courants dans leur refus de l'
ouverture et du libéralisme et du pluralisme.
Le grand défi de notre société française est de dépasser ces visions schématiques d'
une nation enfermée et
protégée et cadenassée, en maintenant ce qui a fait sa spécificité historique, tout en redécouvrant que depuis
la nuit des temps elle est faite de groupes sociaux extrêmement multiples, variés et divers, d'
immigration
permanente, de populations extrêmement hétérogènes. La France est par excellence, avec les Etats-Unis, une
société d'
immigration. De manière paradoxale, la France est la plus proche dans le monde entier peut-être des
Etats-Unis. Elle est, comme les Etats-Unis, une terre d'
immigration, sauf que les Etats-Unis s'
en souviennent
toujours et que le creuset national à la française ne souhaite pas s'
en souvenir.
C'
est là tout le défi de notre société que de conserver sa mémoire en redécouvrant son histoire multiple. Et je
dirais par-delà les idéologies rivales, qui schématisent à outrance, d'
accepter de reconnaître que l'
identité de
la société française est faite de multiples identités, tant internes (les patois, les pays) qu'
externes, qui méritent
tous, les uns et les autres, de conserver leur légitimité au sein du rêve national.
Est-ce que l'"identité nationale" s'oppose forcément à la diversité et à la multiculturalité ?
Pierre Birnbaum : C'
est là la grande difficulté de l'
histoire propre à la société française, de son
exceptionnalisme. L'
identité s'
est toujours voulue, dans le camp révolutionnaire ou républicain comme dans
le camp nationaliste, irriguée par un rêve d'
un catholicisme intégriste. A chaque fois, on a imaginé une
nation sous la forme d'
une unité, de l'
un et non pas de plusieurs. D'
un côté la raison, de l'
autre le
catholicisme.
D'
autres encore, au XIXe siècle, et ils sont nombreux malheureusement, dans la droite nationaliste comme
dans le camp républicain, voyaient la nation sous la forme de l'
ethnicité : les Gaulois, fermés contre
l'
étranger, ou encore le sang, la race. Il ne faut pas oublier que de Gobineau à Vacher de Lapouge, y compris
8
dans le camp républicain du côté de Clemenceau ou de Paul Bert, le fondateur de la laïcité française, on
utilise les notions de race. Et l'
on accepte de reconnaître l'
inégalité des races. Par exemple pour justifier la
colonisation de l'
Afrique.
Bien sûr, ce dont on veut se souvenir, c'
est seulement le fait que c'
est la droite nationaliste, contrerévolutionnaire et antisémite qui a diffusé massivement cette idée d'
une nation équivalant à une race ou à un
sang français, et c'
est pour cette raison que nous sommes encore embarrassés aujourd'
hui pour reconnaître
que la nation française, comme toutes les nations par ailleurs, se trouve construite à partir d'
apports
successifs, de langages, de traditions, de mémoires partielles, qui méritent d'
être préservés même si la
manière dont ils s'
expriment ne peut se faire que dans le cadre du consensus national.
Cela dit, j'
ai conscience de tourner un peu autour du pot, car la vraie difficulté, c'
est que nous n'
avons
toujours pas aujourd'
hui la solution à votre question. Regardez la manière dont le ministre de l'
intérieur, M.
Nicolas Sarkozy, lance tout d'
abord l'
idée d'
un ministère qui s'
intitulerait "de l'
immigration et de l'
identité
nationale". Ce qui suscite à juste titre, dans un premier temps, des réactions outrées, car nous n'
avons nul
besoin d'
un ministère. Nous disposons de lois, d'
une justice, de règlements pour lutter contre toute atteinte
aux valeurs de la nation. Et face à une réaction à mon sens très vive néanmoins, le lendemain, M. Sarkozy
sous la croix de la Lorraine symbolisant le gaullisme libérateur, à Caen, la ville du musée de la Libération,
précise ce que sont ces valeurs. Et là, nous sommes quand même loin de M. Le Pen, loin des valeurs du
Front national.
Que vous inspire le fait de lier immigration et identité nationale comme le fait Nicolas Sarkozy ?
Pierre Birnbaum : Je crois qu'
en effet il y a là quelque chose de très surprenant. Je crois que d'
un côté
l'
immigration doit se régler dans le cadre des lois, des valeurs de la République, et en fonction de
l'
intégration à la française, ce qui n'
implique pas forcément une entière assimilation et une disparition des
valeurs spécifiques. C'
est dire qu'
à mon sens il ne faut pas lier ces deux termes, encore moins créer un
ministère, mais que néanmoins ces deux termes peuvent se croiser, que l'
on peut discuter du lien entre ces
deux termes.
Reste à savoir quelles sont les valeurs que présuppose l'
identité nationale et en fonction desquelles
l'
immigration se pose. Or si l'
on examine le discours de M. Sarkozy à Caen, il précise quelles sont ces
valeurs et il nous dit : "celui qui ne veut pas respecter l'
humanisme, qui veut abolir l'
héritage des Lumières et
de la Révolution, celui qui ne veut pas reconnaître que la femme est l'
égale de l'
homme..." C'
est dire que
l'
identité de la nation se trouve ici rapportée aux Lumières et à la Révolution, dont les tenants du Front
national ne veulent toujours pas et que, de manière un peu surprenante, à rebours, la culture façonnée aussi
par un catholicisme de long terme se trouve absente du discours du ministre de l'
intérieur.
Les autres candidats font-il de l'identité nationale leur crédo ?
Pierre Birnbaum : A des degrés divers, malheureusement, un grand nombre de candidats s'
inspirent de
métaphores de l'
enfermement et de la protection du pré carré. Voyez à quel point ici on défend le tracteur et
le village, ou les champignons ou la terre, comme dans le discours de M. Bayrou. Voyez comment Mme
Royal s'
inspire en droite ligne de Jeanne d'
Arc. Voyez comment ressurgit la polémique sur le vin et l'
eau, où
il n'
est toujours pas bon de ne pas boire du vin, symbole de l'
identité nationale et du sang auquel se sont
heurtés déjà Léon Blum et Pierre Mendès France. Cette fois, c'
est Nicolas Sarkozy qu'
on critique pour ne
boire que de l'
eau.
Voyez comment, sur l'
affiche célèbre de Mitterrand, lors de la conquête du pouvoir en 1981, figurait un tout
petit village centré sur son église au fin fond d'
une campagne tranquille, à l'
abri du monde... et des autres.
C'
est dire que de nombreux candidats restent hantés par cette défense d'
une identité imaginée comme
enfermée sur elle-même, alors que le rêve des Lumières, qui rejoint sur ce point le catholicisme, est un rêve
universel d'
ouverture aux autres considérés comme égaux, avec lesquels on peut dialoguer, échanger,
recevoir, chez qui l'
on peut voyager, s'
enrichir, apprendre, apprendre des langues étrangères, les parler pour
pouvoir leur parler.
Les seuls gouvernements européens ayant mis en place un ministère comparable à celui de "l'identité
nationale" l'ont fait sous la pression de l'extrême droite (Danemark et Pays Bas). Est-ce que ce n'est pas un
signal alarmant que de faire la même chose en France ?
9
Pierre Birnbaum : Pour ma part, je n'
y suis pas du tout favorable, comme je l'
ai dit. Et les sociétés que vous
citez, qui mettent en place ce type de ministère, sont les plus ouvertes au libéralisme, à la tolérance, à la
solidarité sociale, au respect de l'
égalité de l'
homme et de la femme. Nous assistons à une crispation de toutes
les sociétés, même les plus démocratiques, crispation alarmante bien évidemment, et contre laquelle il nous
faut défendre des idéaux d'
ouverture et de respect de l'
autre.
Comment expliquer la force des réactions qui ont suivi la proposition de Nicolas Sarkozy ?
Pierre Birnbaum : Les réactions indignées à juste titre sur le fait de lier l'
identité nationale et l'
immigration
sont néanmoins aussi très schématiques, et il faut bien voir que le Front national lui aussi a réagi de manière
très violente, puisqu'
un membre du bureau national combat Sarkozy, "l'
homme qui finance les mosquées, a
abrogé la double peine et s'
est montré favorable au vote des immigrés dans les élections locales".
On pourrait ajouter que ce candidat s'
est aussi prononcé pour une dose de discrimination positive et pour une
certaine reconnaissance d'
un multiculturalisme. C'
est dire qu'
il vaut mieux ne pas schématiser l'
adversaire et
que la rivalité d'
aujourd'
hui mérite mieux que les images d'
Epinal. Pour ma part, je ne suis proche d'
aucun
candidat. Je voudrais simplement souligner la difficulté extrême dans laquelle se situe la société française
d'
aujourd'
hui, puisque dans la tradition de Renan, on conçoit toujours l'
identité de la France comme reposant
sur un "plébiscite de tous les jours", une adhésion rationnelle au seul universalisme, mais que Renan luimême, notre héros national, savait qu'
il fallait faire place aux mémoires multiples. Nous ne savons toujours
pas aujourd'
hui comment réconcilier rêve républicain et mémoires multiples.
D'
autres sociétés moins centralisées que la nôtre, qui rêvent moins d'
homogénéisation que la nôtre, y
parviennent mieux. Toutes néanmoins se trouvent confrontées au problème de la globalisation, des échanges
internationaux, de la disparition progressive des frontières, aussi bien en Europe qu'
en Amérique, qui
accroissent les mobilités des uns et des autres et qui impliquent de rendre toujours plus compatibles des
histoires nationales avec la venue de l'
Autre.
Du côté de l'
extrême droite, ce rêve s'
incarne dans le slogan "la France aux Français", et il existe encore une
revue liée au Front national qui porte le terme "identité". Je crois qu'
on pourrait tous accepter que la France
appartienne à tous les Français ainsi qu'
à tous ceux qui entrent progressivement dans le cadre du paradigme
républicain.
IMMIGRATION
Quand Sarkozy parle des musulmans
Le Nouvel Observateur, 19.11.2007
Le président Nicolas Sarkozy aurait dénoncé, lors de discussions avec ses partenaires européens, le "trop grand nombre de
musulmans présents en Europe", rapporte le journaliste Jean Quatremer dans Libération, lundi 19 novembre.
"Nicolas Sarkozy, recevant le Premier ministre irlandais, Bertie Ahern, le 21 septembre, puis le Premier ministre suédois, Frederik
Reinfeldt, le 3 octobre, se serait livré à une véritable diatribe antimusulmane devant ses invités", écrit Jean Quatremer, reprenant des
informations publiées la semaine dernière sur son blog.
Document 4
"Choc de civilisation"
Selon les sources de Jean Quatremer, "le chef de l'
Etat s'
est lancé dans un discours confus d'
une vingtaine de minutes, '
dans un
langage très dur, très familier, choquant pour tout dire'
, contre le '
trop grand nombre de musulmans présents en Europe'et leurs
difficultés d'
intégration".
Le président de la République "a aussi décrit de façon apocalyptique le '
choc de civilisation'qui oppose les musulmans à l'
Occident.
Le tout, manifestement, pour justifier son opposition à l'
adhésion de la Turquie à l'
Union. Mais ses interlocuteurs en ont, en tout cas,
retiré la désagréable impression que Sarkozy, non seulement avait un sérieux problème avec les musulmans, mais avait du mal à
maitriser ses nerfs", poursuit le journaliste.
Jean Quatremer précise qu'
il s'
agit là du point de vue des deux délégations. Il rappelle que Nicolas Sarkozy, "qui a un langage en
privé mais aussi en public souvent brutal, s'
est déjà illustré en parlant de '
l'
homme africain'qui refuserait l'
idée de
progrès".
Les Français boudent la mondialisation, la France non
29/03/2006 - L'
Expansion
Alors que 36% des Français estiment que la mondialisation n'est pas la meilleure
voie d'avenir, l'OCDE dresse un panorama qui précise la place de l'Hexagone dans
le processus d'ouverture économique.
10
Les bourses sont-elles en train de paniquer? A en croire une enquête réalisée par l'
institut de sondage
international GlobalScan, citée par la Figaro, les Français seraient parmi les plus réfractaires à l'
économie de
marché et à la mondialisation : seuls 36% d'
entre eux sont d'
accord avec l'
affirmation que l'
économie de
marché et l'
ouverture à la mondialisation, constitue le meilleur système pour l'
avenir. La France est même le
seul pays à avoir une proportion de "non" supérieure aux "oui". Par comparaison, 65 % des Allemands, 67%
des Britanniques, 63% des Espagnols et des Polonais, 59% des Italiens, 71 % des Américains, 74 % des
Chinois, 70% des Indiens et des Coréens du Sud se disent d'
accord avec cette affirmation. Selon un autre
sondage réalisé l'
an dernier par le German Marshall Fund, les Français redoutent particulièrement l'
ouverture
des frontières, 74% d'
entre eux reprochant à la mondialisation de "réduire le nombre d'
emplois".
Est-ce parce que la France est particulièrement bien engagée dans le processus ? Dans son panorama des
statistiques 2006, qui rassemble quelque 150 indicateurs sur trente pays membres, l'
OCDE consacre un focus
spécial sur la mondialisation économique, qui permet de mieux cerner la place de chaque pays dans le
paysage économique mondial. Mesurée par la part du commerce de biens et de services dans le PIB,
l'
intégration de la France (26%) dans le commerce international est moins importante que l'
Allemagne
(35%), semblable à la Grande-Bretagne et bien supérieur aux Etats-Unis (13%). Si sa part de marché au sein
des échanges entre pays de l'
OCDE a été divisée par deux entre 1998 et 2004 (4% du total), elle reste le
3ème partenaire de l'
OCDE, derrière les Etats Unis et l'
Allemagne. Dans un contexte où la part des pays nonOCDE, Chine en tête, est évidemment celle qui a le plus progressée.
Quatrième exportateur de services mondial, la France est assez bien placée sur les biens de très haute
technologie. Avec 22,5% de produits de haute technologie dans ses exportations totales de biens, l'
Hexagone
est proche de la moyenne de l'
OCDE, devant l'
Allemagne (19%) mais loin derrière la Grande-Bretagne et les
Etats-Unis (35%).
Mais c'
est surtout en terme d'
investissements directs que la France se distingue dans le paysage mondial. Sur
une moyenne 2002-2004, elle a été le 4ème pays d'
accueil de ces investissements, pour un montant moyen de
40 milliards de dollars. Elle a aussi été le 4ème pays d'
origine avec quelque 50 milliards de dollars. En
France, l'
emploi sous pavillon étranger représente plus d'
un quart de l'
emploi industriel, quand la proportion
est bien inférieure à 20% en Allemagne, en Espagne, en Italie et aux Etats-Unis
Document 5
Pour de "bonnes" délocalisations,
par Philippe Ricard, Chronique LE MONDE,19.11.2007
A l'heure où Nicolas Sarkozy plaide pour une Europe "plus protectrice", l'initiative de
Peter Mandelson suscite une vive empoignade à Bruxelles. Dans le cadre d'une révision des
instruments de défense commerciale, le commissaire européen au commerce cherche à mieux prendre
en compte les intérêts des entreprises qui ont délocalisé une partie de leur production hors d'Europe. Il
s'agit, dans son esprit, de limiter l'impact d'éventuelles sanctions antidumping sur leurs fabrications,
afin de préserver leur compétitivité.
Mais l'
opération n'
est pas du goût d'
une bonne partie des autres commissaires et de nombreux Etats membres,
plus soucieux de défendre les entreprises qui continuent de produire sur le Vieux Continent. La France, mais
aussi l'
Allemagne, l'
Italie et l'
Espagne ont fait savoir qu'
elles s'
opposeraient à toute réforme trop radicale.
"Hier comme aujourd'
hui, il y a dumping quand un pays s'
arrange pour permettre à un producteur de vendre
en dessous de ses coûts de revient. Le fait qu'
une entreprise "européenne" en profite n'
y change rien", a écrit
le commissaire français Jacques Barrot, dans un récent courrier à ses collègues : "L'
atteinte à la concurrence
ne doit pas être relativisée selon la nature de ses bénéficiaires."
M. Mandelson, dont les projets définitifs seront dévoilés le 5 décembre, est cependant soutenu par les pays
d'
Europe du Nord, Royaume-Uni en tête. Les grandes chaînes de distribution et les marques qui ont
délocalisé une partie de leurs approvisionnements plaident aussi en faveur d'
une révision en profondeur.
"Ceux qui s'
opposent à cette approche refusent d'
accepter que le processus de sous-traitance soit une réponse
naturelle à la mondialisation", plaide Jan Eggert, le secrétaire général de l'
Association du commerce extérieur
(FTA), laquelle compte parmi ses membres Carrefour, Adidas, Décathlon ou Les Trois Suisses.
11
Pour justifier de nouvelles lignes directrices, le commissaire au commerce fait valoir que le manque de clarté
du dispositif actuel complique la conclusion des enquêtes antidumping.
Récemment, les Etats membres ont divergé sur le maintien, ou pas, des tarifs antidumping prélevés depuis
2001 sur les ampoules faiblement consommatrices en électricité importées de Chine. L'
affaire opposait la
multinationale néerlandaise Philips, qui a délocalisé l'
essentiel de sa production, au groupe allemand Osram,
un peu moins implanté dans l'
empire du Milieu (Le Monde du 13 septembre).
En guise de compromis, il a été convenu, mi-octobre, de prolonger d'
un an les sanctions à l'
égard des
ampoules chinoises. D'
ici là, vu la controverse suscitée par son initiative, M. Mandelson aura sans doute le
plus grand mal à modifier les règles en vigueur en Europe.
Philippe Ricard (à Bruxelles)
Document 6
UNION EUROPEENNE
Quel triumvirat pour diriger l'Union européenne?
Par Yves Clarisse, Le Monde, 05.11.2007
BRUXELLES (Reuters) - Le triumvirat de personnalités qui dirigera les institutions
européennes à partir du 1er janvier 2009 commence à se dessiner malgré les nombreuses incertitudes
qui pourraient changer radicalement la donne.
Le nouveau traité européen qui sera signé en décembre à Lisbonne reprendra
l'
architecture insitutionnelle de la défunte Constitution: aux côtés du président de
la Commission, on trouvera bientôt un président permanent du Conseil européen
et un "ministre" des Affaires étrangères de l'
Union. Les tractations viennent à
peine de commencer et les dirigeants ont un an pour se décider - un siècle, en
politique européenne - et l'
histoire de leurs réunions foisonne de vetos
britanniques dès qu'
il s'
agit des nominations importantes. Mais les diplomates commencent déjà à imaginer
le triumvirat qui sera chargé de piloter l'
Union européenne de 2009 à 2014.
Le premier côté du triangle est le plus solide, puisque José Manuel Barroso est officieusement candidat à un
nouveau mandat. "C'
est le secret le moins bien gardé de Bruxelles", sourit un haut fonctionnaire de la
Commission européenne. Après des débuts difficiles qui l'
ont obligé à remanier son équipe pour obtenir
l'
investiture du Parlement européen, l'
homme a trouvé sa place sur l'
échiquier institutionnel. Certes, il est loin
d'
avoir le poids que Jacques Delors pouvait avoir lors de son long règne, de 1985 à 1995, lorsque la
Commission européenne était au centre du dispositif et que son président négociait les compromis avec les
dirigeants européens.
BARROSO N'
EST PAS DELORS
"Barroso a compris que l'
époque Delors était révolue et se garde bien de faire des intrusions dans le domaine
politique, ce qui avait tué Romano Prodi", explique un fonctionnaire. "Les Etats membres ne veulent pas
d'
une Commission trop forte." L'
ex-Premier ministre portugais ne provoque donc aucune crise d'
urticaire
parmi les capitales et a l'
appui de Londres, Berlin et Paris, où Sarkozy ne tarit pas d'
éloges sur lui. La France
qui "truste" les institutions internationales, du FMI à l'
OMC en passant par la BERD ou la BCE ne s'
interdit
pas de penser à ce poste mais sait qu'
elle devra passer la main. En outre, le centre de gravité du Parlement
européen devant logiquement rester à droite après les élections de juin 2009, ce conservateur a de bonnes
chances d'
être investi par les députés.
La course pour la présidence du Conseil européen qui sera élu par ses pairs à la majorité qualifiée pour un
mandat de deux ans et demi renouvelable une fois paraît plus ouverte, mais le Luxembourgeois Jean-Claude
Juncker semble tenir le bon bout. Le Premier ministre et ministre des Finances du Grand-Duché aurait pu
devenir président de la Commission en 1999 après le veto britannique au Belge Guy Verhofstadt s'
il l'
avait
voulu. Même s'
il s'
est souvent attaqué aux eurosceptiques, ce poste épuisant - le Conseil européen est le lieu
où tous les dossiers difficiles sont traités - pourrait lui revenir puisque le veto d'
une poignée de pays ne
suffira pas à lui faire obstacle.
12
ET L'
EUROGROUPE?
"Encore faut-il qu'
il le veuille", tempère un diplomate. Doyen du Conseil européen, il en connaît le
fonctionnement par coeur; démocrate-chrétien de gauche, il fait la synthèse entre les libéraux et les
progressistes; issu lui-même d'
un micro-Etat, il rassure les 20 autres "petits" pays de l'
UE qui craignent la
création d'
un directoire des "grands". Proche d'
Angela Merkel, il a également obtenu en octobre dernier la
bénédiction de Nicolas Sarkozy, selon lequel sa nomination serait une "idée intelligente". Le vrai problème
serait de lui trouver un remplaçant à l'
Eurogroupe, le forum de coordination des politiques économiques de la
zone euro: impossible de dégoter un ministre des Finances qui, comme lui, est pratiquement assuré de rester
à son poste jusqu'
à la fin de ses jours s'
il le désire. Face à Juncker, la candidature éventuelle de l'
ex-Premier
ministre britannique Tony Blair paraît peu probable, et pas seulement parce qu'
il vient d'
un grand pays et que
son image internationale est ternie par l'
aventure irakienne. "Le Royaume-Uni ne participe ni à l'
euro, ni à
l'
espace Schengen, ni à la Charte des droits fondamentaux et s'
est exclu de la coopération policière et
judiciaire", explique un diplomate. "Ça fait déjà beaucoup en soi mais quand on sait que c'
est Blair qui a
voulu ces exclusions, ça fait trop." Le Premier ministre irlandais Bertie Ahern présente quant à lui des atouts
importants, notamment ses qualités de négociateur lors de la dernière présidence irlandaise de l'
UE, mais il a
lui aussi mis son pays en marge de certaines coopérations.
LE TROISIEME COTE DU TRIANGLE ENVISAGE EST MOINS SOLIDE.
Qui succèdera en effet à Javier Solana au poste de Haut représentant pour les Affaires étrangères qui, à partir
de 2009, siègera à la Commission en tant que vice-président de l'
institution et disposera d'
un véritable service
diplomatique? La France et le Royaume-Uni sont hors-jeu, selon un diplomate: leurs puissantes diplomaties
risquent de connaître des accrochages trop durs avec le "ministre" européen. En outre, le Parlement européen
aura son mot à dire, puisqu'
il devra accorder à l'
automne 2009, soit neuf mois après son entrée en fonction,
son feu vert à la nomination d'
une personnalité qui siégera également à la Commission. Javier Solana, un
socialiste, pourrait donc obtenir un mandat de neuf mois afin de mener à bien la transition. "Il a envie de
rester, mais ça ne fait pas très renouveau", relativise toutefois un diplomate.
Traité simplifié : les Français pour un référendum
Le Nouvel Observateur, 29.10.2007
61% des personnes interrogées souhaitent pouvoir se prononcer.
Le "oui" l'emporterait avec 68% des intentions de vote.
Alors que le président Nicolas Sarkozy veut que la France ratifie le traité simplifié sur les institutions européennes par
voie parlementaire dès décembre prochain, 61% des Français souhaitent que le traité soit ratifié par référendum, selon
un sondage CSA que publie lundi 29 octobre, Le Parisien/Aujourd'
hui en France.
Seuls 31% des sondés disent préférer que le traité simplifié soit ratifié par le Parlement, comme Nicolas Sarkozy l'
avait
annoncé lors de la campagne présidentielle et confirmé ces derniers jours.
Par ailleurs, si le traité était soumis à référendum, le "oui" l'
emporterait avec 68% des intentions de vote, contre 32%
pour le "non", selon les intentions de vote des sondés inscrits sur les listes électorales. Mais 52% des inscrits voteraient
blanc ou nul ou s'
abstiendraient.
- Sondage réalisé par l'institut CSA par téléphone les 24 et 25 octobre auprès d'un échantillon national représentatif de
956 personnes âgées de 18 ans et plus constitué selon la méthode des quotas. (AP)
Document 7
Les nouveaux habits de la politique
Cécilia s’habille en Prada
Nicolas Sarkozy, comme son épouse Cécila, aime maintenant s’habiller en Prada. Ainsi apprendon dans Woman’s wear daily, édition du 22 mai, que pour l’investiture de son mari, Madame
Sarkozy est allée chez Prada, choisir une élégante robe en satin couleur crème, de la collection
printemps-été. Prada, c’est Prada. Prix de la robe : 1 435 euros. Lui portait un costume sombre de
la marque italienne.
Un choix audacieux : le magazine américain félicite l’indépendance de Cécilia, qui ne se fait pas conseiller.
Elle affirme : “Je continue à conduire ma voiture et je fais mon shopping toute seule. Et je n‘ai pas
l’intention de changer ni mon style ni ma vie.”
On souligne également que le couple fait preuve d’une grande ouverture d’esprit, en ne succombant pas aux
sirènes “souvent xénophobes du monde français de la mode”.
13
Mathilde Agostinelli, responsable de la communication chez Prada France, a été vue
de nombreuses fois aux côtés du couple Sarkozy. “Elle est un peu, affirme
Libération , la nouvelle star cachée du pouvoir sarkozien”. “On l’a vue hilare à côté
de Cécilia, le soir où Nicolas Sarkozy, célébrant sa victoire au Fouquet’s, a esquissé
quelques pas de sirtaki devant son épouse, poursuit Françoise-Marie Santucci dans
l’édition du 25 mai; on l’a vue à Brégançon, le week-end dernier, aller à la plage
avec la première dame et l’accompagner pour quelque shopping à Saint-Tropez ; on
l’a vue lors du repas organisé à l’Elysée par le président de la République : trois
tables, que des intimes, et elle, à un mètre de Nicolas. Il se dit qu’elle était aussi de
l’équipée maltaise, puis du séjour à la Lanterne, le domaine versaillais où les
Sarkozy s’étaient retirés pour leur week-end postvictoire.”
Chez Prada, on préfère garder ses distances. Mathilde Agostinelli ne souhaite pas
s’exprimer sur ses relations avec le couple, “parce qu’on est dans la discrétion”. Elle
affirme enfin que lorsque Nicolas et Cécilia portent les habits de la maison italienne, ils “payent tous leurs
vêtements”. Petite variante, on a vu les enfants du couple habillés en Miu Miu, autre marque du groupe.
Cécilia Sarkozy a ce goût prononcé pour la mode, notamment grâce à son passé de mannequin (chez
Schiaparelli et Chanel), alors qu’elle était étudiante en droit. Sûre d’elle, elle affirme préférer porter des
pantalons la journée. “J’aime Ralph Lauren, je pense que ça me va bien, mais je porte aussi des robes en été.
J’aime la mode du moment : il y a de jolies choses cet été chez Yves saint Laurent, Chloé, Balenciaga et
Gucci.”
Nathalie Rykiel comme Karl Lagerfeld reconnaissent l’oeil averti de la première dame de France. “C’est la
première fois que la France a un couple présidentiel qui a le charme et l’allure d’un couple Kennedy.”
Christian Lacroix considère que la robe crème “fonctionnait merveilleusement - à la fois glamour et formelle
sans être trop stricte ni trop habillée.”
Quid des autres premières dames de France ? Bernadette Chirac, malgré quelques infidélités, est une
inconditionnelle des tailleurs Chanel. Ultra classique, voire franchement austère. Selon Pamela Golbin,
conservateur au Musée de la mode et du textile, c’est avec Madame Pompidou que les choses ont vraiment
bougé. En portant dans les années 60 des tailleurs pantalon et des tenues signées Courrèges ou Pierre Cardin,
elle avait adopté un style résolument avant-garde.
Le Monde, 25 mai 2007
Ségolène Royal et Sharon Stone
Pour finir, voici la pertinente analyse de Florence Müller publiée dans le quotidien espagnol La Vanguardia
sur “la” femme du second tour. Oui, je sais, l’habit ne fait pas le moine et on ne choisira pas son/sa
présidente selon ses vêtements. Mais quand même…
Hier soir, la tenue de Ségolène Royal était en adéquation avec ses propos : exit le corsage classique et
discret. Cette fois, c’était une tenue de battante : blanche, un symbole fort depuis son meeting de Villepinte,
mais dont le col montant mettait en valeur son visage et marquait l’offensive.
Il y a quelques points communs entre Ségolène Royal et Sharon Stone. Toutes les deux
sont des femmes d’âge mûr aux opinions politiques tranchées. Toutes deux sont
séduisantes et photogéniques.
L’affiche électorale de Ségolène Royal, qui montre son visage vu de très près et de
trois-quarts, est une superbe photo en noir-et-blanc qui a été prise par Emmanuel
Scorcelletti, le photographe des stars, auteur d’un livre sur Sharon Stone et familier des
coulisses du festival de Cannes. Un portrait à la fois sophistiqué et naturel qui tranche,
par sa noblesse et son élégance, sur la banalité des autres affiches électorales de cette
campagne 2007.
La frontière entre le monde de la politique et le show business a tendance à s’amenuiser
depuis le milieu des années 90, époque à laquelle les leaders politiques français ont
commencé à attacher de l’importance à leur look et à poser dans la presse people. Mais c’est la première fois
que le style des candidats est au cœur de la campagne, parachevant une “américanisation” du système
politique.
Aujourd’hui, le président est choisi au moins autant pour son image (et la qualité de sa mise en scène) que
pour le contenu de son message politique.
14
A ce jeu-là, Ségolène Royal possède une avance indéniable sur ses concurrents. La candidate socialiste a
commencé à entrer en campagne le jour où elle a fait la couverture souriante du magazine Elle à la mijanvier 2006 (un journal qui n’a rien de politique !).
Sa séduction naturelle peut devenir rapidement un argument électoral. Le phénomène n’est pas nouveau :
rappelons-nous John Kennedy ou même, plus récemment, Jacques Chirac. Mais la façon dont Ségolène
Royal en joue pour séduire les électeurs est à la fois très raffinée et inédite en politique (au point que certains
dirigeants socialistes persiflent contre elle en disant que “la campagne électorale n’est pas un concours de
beauté”).
Pour la première fois depuis l’impératrice Eugénie, une femme de pouvoir française redevient une icône au
point que les médias auscultent en permanence son “dress code” et que certains grands créateurs comme
Nicolas Ghesquière (Balenciaga), Armani ou Sonia Rykiel aimeraient beaucoup la “relooker”.
Le style de Ségolène, c’est d’abord un choix de couleurs. Le tailleur blanc ou noir est souvent privilégié,
lointaine évocation des codes de Chanel – un mélange d’hyper-élégance et d’austérité. Le choix du blanc a
fait l’objet de nombreux commentaires : c’est évidemment le symbole de la pureté, en accord avec une image
de “madone” que la candidate revendique implicitement.
Parfois, en situation de devoir attaquer ses adversaires ou de faire un coup d’éclat en meeting, Ségolène ose
le rouge ou la veste en cuir noir. Quand elle repart des meetings, on la voit souvent porter un trench-coat, un
indice autant BCBG que fashion.
Ségolène Royal combine diverses inspirations vestimentaires qui peuvent paraître contradictoires mais qui,
finalement, sont au service de l’efficacité politique.
Pour résumer, il y a deux parties dans son “look” : le haut est celui d’une “executive woman”, d’une femme
de pouvoir sûre d’elle et bien dans sa peau. Le bas de la silhouette est très différent, beaucoup moins glamour
: malgré la beauté de ses jambes, sa jupe cache le genou et les souliers sont loin d’être sexy (elle ose
rarement le pantalon et aime porter des escarpins à talons bas).
Pour un peu, on croirait voir une intégriste versaillaise. La presse féminine, qui s’intéresse beaucoup à la
question, lui reproche de ne pas aller assez loin dans sa recherche d’élégance vestimentaire : on condamne
son style “maîtresse d’école”.
Il est vrai que les marques de vêtements qu’elle sélectionne (Paule Ka et Irène van Ryb) sont des marques de
moyenne gamme, dont le prix se situe au-dessus de celui de Zara mais très loin en-dessous de Dior ou
Chanel.
En outre, pour pouvoir “rassurer”, la candidate socialiste ne peut pas aller trop loin dans l’extravagance de
mode. Il est toujours désastreux pour une femme mûre de jouer à ressembler à sa fille, et en politique c’est
pire. Chez elle, l’enjeu vestimentaire est simple : il s’agit de s’imposer dans un univers machiste en jouant la
carte de la féminité mais surtout pas de la jeunesse.
Le Monde, 5 mai 2007
Document 8
REMUNERATION DE L'ELYSEE
"Une bonne mesure, même si elle n'est pas très opportune"
La rémunération du chef de l'Etat va être triplée – passant de 6.100 euros net à plus de
19.300 -, sous quelles conditions cette augmentation s'opèrera-t-elle ? Pouvez-vous nous
éclairer sur ce qui entre dans le cadre des dépenses publiques de la fonction présidentielle et ce qui
entre dans le cadre des dépenses privées de Nicolas Sarkozy ?
Jusqu'
à présent, la rémunération du président était fixée par lui-même, ce qui était quand même une
anomalie, et, par ailleurs, elle était mélangée dans la totalité du budget de l'
Elysée. Naturellement, comme
cette rémunération était fixée par le président, elle était assez faible mais elle correspondait uniquement à de
l'
argent de poche.
La modification proposée consiste, en premier lieu, à fixer par la loi la rémunération du chef de l'
Etat qui
était, jusqu'
ici, le seul responsable public dont le salaire n'
était pas établi par la loi. Sur le plan démocratique,
je crois qu'
il y a là un véritable progrès.
Le fait que le chef de l'
Etat ait une rémunération officiel devrait amener – je n'
en suis pas certain, l'
avenir
nous le dira – le président à séparer de plus en plus les dépenses publiques, prises en charge par le budget de
l'
Elysée, et les dépenses privées et personnelles, qu'
il prendra en charge lui-même.
Bien que l'
on ne soit jamais sûr de rien, je crois que cette disposition crée véritablement les conditions pour
faire cette séparation, qui, là aussi, constituerait un progrès.
15
Concernant le montant de cette rémunération, il a été fixé par le président au niveau de celui du Premier
ministre et au niveau de ceux des différents chefs de gouvernements étrangers. Pour ma part, je ne la trouve
pas excessive. Ce n'
est pas avec cette rémunération que ceux qui veulent s'
enrichir le feront.
En revanche, rien n'
est défini dans la loi pour dire ce qui relève du domaine public ou du domaine privé dans
les dépenses présidentielles. C'
est d'
ailleurs une véritable difficulté. Tout cela dépend de l'
attitude de
l'
intéressé.
A titre d'
exemple, le Général de Gaulle payait les repas de ses petits-enfants lorsqu'
ils venaient à l'
Elysée car
il considérait que c'
était une fête de famille. De la même façon, il n'
a jamais eu de cuisinier de l'
Elysée dans
sa résidence privée. Tout cela était à sa charge.
C'
est au président en place d'
apprécier ce qui relève de ses dépenses privées, c'
est à sa discrétion la plus
totale. Cela étant, à partir du moment où le président a une rémunération, nous allons séparer ce salaire du
budget de l'
Elysée. Comme ce dernier va être contrôlé par la Cour des Comptes et par le Parlement, s'
il y a
des dépenses qui, manifestement, sont d'
ordre privé, nous le verrons. Bien entendu, nous resterons très
vigilants sur ce point.
Il est impossible de dire précisément ce qui relève de la dépense publique. La présidente finlandaise avait
expliqué il y a quelques temps que ce n'
était pas toujours facile de dissocier le privé et le public mais elle y
est arrivée.
Si Nicolas Sarkozy va dîner avec des amis, disons Johnny Hallyday, ce doit être une dépense payée avec son
salaire car c'
est le personnage privé. S'
il dîne avec des responsables politiques, c'
est différent. Il est alors dans
le cadre de sa fonction présidentielle.
Dans un contexte social tendu, le moment était-il bien opportun pour voter une augmentation du
salaire du chef de l'Etat ? On a vu un certain consensus autour de cette mesure, n'est-il pas étonnant
que la gauche ait été favorable à cette augmentation ?
Dans une situation où l'
on ne peut pas dire que ce gouvernement ait une politique qui favorise le pouvoir
d'
achat des Français, alors qu'
il a pourtant accordé des cadeaux fiscaux qui ne concernent que 2.000 nantis
(certaines dispositions du "paquet fiscal" prises au mois de juillet touchent 1.780 contribuables qui vont faire
une économie de 200.000 euros chacun), il est forcément difficile pour l'
opinion de saisir l'
intérêt de cette
augmentation du salaire du président qui, sur le fond était souhaitable, mais dont l'
opportunité peut être
négative. Cela étant, c'
est le problème du président.
Je ne crois pas que critiquer cette augmentation ait été un bon cheval de bataille pour la gauche parce que si
nous avions sorti la grosse artillerie contre cette disposition, on serait tombé dans le populisme le plus
détestable. Il faut bien comprendre que cette mesure bénéficie aujourd'
hui à Nicolas Sarkozy mais, dans
notre esprit, il s'
agit avant tout du président de la République. Aujourd'
hui, c'
est lui. Demain, ce sera
quelqu'
un d'
autre. Par conséquent, nous avons amélioré les choses, ce que je demandais depuis fort
longtemps.
On peut contester très fortement les modalités de cette disposition mais de là à mener une bataille frontale
contre… je dirais que c'
est ce qui sépare un parti responsable d'
un parti démagogique. Je crois que les
socialistes ont une attitude responsable.
Comment fonctionne le budget de l'Elysée ? A quoi sert-il ?
D'
abord, il faut remettre les choses au clair. Il n'
y a pas de triplement du budget de l'
Elysée. Il n'
y a même pas
d'
augmentation de ce budget, il y a simplement une opération de consolidation, c'
est-à-dire que l'
on va mettre
dans un document unique la totalité des dépenses qui, aujourd'
hui, sont dispersées dans toute une série de
ministères. Depuis des années, le budget de l'
Elysée est évalué à une trentaine de millions d'
euros mais il ne
comprend pas toutes les dépenses prises en charge par les différents ministères. En réalité, ce budget tourne
déjà autour de 90 millions d'
euros depuis des années, donc il n'
y a pas de triplement. En clair, le budget de
l'
Elysée était annoncé à 32 millions alors qu'
il y avait près de 90 millions de dépenses. Donc nous avions 58
millions dispersées dont nous ne connaissions pas la provenance.
Je suis donc très heureux que, grâce à mon travail pour faire parler les ministres, on ait pu découvrir le bricà-brac du budget de l'
Elysée, ce que nous ignorions jusqu'
alors. Désormais, nous savons qu'
il y a de
multiples financements à travers les ministères, nous savons également que le budget voté par le parlement
pour l'
Elysée ne représente en fait qu'
un tiers de ses dépenses réelles. Dans un souci de transparence, le
16
président a donc suivi les recommandations que j'
ai faites depuis plusieurs années, ce que ses amis refusaient
d'
appliquer.
Cette opération n'
aboutit pas à une augmentation du budget. Il s'
agit avant tout de centraliser des dépenses
éparpillées dans de trop nombreuses administrations. Reste maintenant à le vérifier, les déclarations
d'
intention étant une chose, les actes en étant une autre. Désormais, il faut que le gouvernement nous dise
dans quels ministères il va trouver les crédits pour arriver à la somme de 68 millions qui vient compléter le
budget initial de l'
Elysée. Lorsque nous aurons ces éléments, nous verrons si c'
est une opération blanche ou
si le président en a profité pour s'
octroyer une petite augmentation et améliorer sa dotation. Je pense qu'
il
faudra regarder de près tout ce qui touche au personnel affecté à l'
Elysée.
Le budget servira à payer, en majeure partie, tous les gens qui travaillent pour le compte de la présidence
[environ 1000 personnes, ndlr] ce qui n'
était pas le cas jusque-là puisque bon nombre d'
entre eux
continuaient à être rémunérés par leur ministère d'
origine. Les déplacements en avion du chef de l'
Etat, qui
étaient jusqu'
alors payés par le ministère de la Défense (soit à peu près 6 millions d'
euros par an), vont
également revenir sur le budget de l'
Elysée. Il en ira de même pour toutes les dépenses faîtes pour les
monuments historiques et qui étaient à la charge du ministère de la Culture.
C'
est une consolidation ou centralisation du budget, il faudra simplement vérifier que les 68 millions qui sont
rajoutés sont effectivement retirés des budgets des ministères concernés.
Interview de René Dosière, par Nicolas Buzdugan
(LE NOUVEL OBSERVATEUR, mercredi 31 octobre 2007)
Document 9
Recentré et désorganisé, le PS est jugé "inaudible"
LE MONDE, 23.11.2007
Les socialistes parlent, s'expriment. Mais qui les écoute ? "C'est devenu une rengaine :
"On n'entend pas le PS sur les conflits sociaux." A force de la répéter, chacun s'en
persuade. Pourtant, nous ne sommes pas devenus muets", affirme le député européen
Benoît Hamon.
Ces dernières semaines, les nombreuses déclarations de François Hollande, qui a interpellé deux fois le
premier ministre à l'
Assemblée nationale, multiplié les appels à la négociation et réclamé une conférence
globale sur les retraites, l'
emploi et les salaires, sont, semble-t-il, restées sans grand effet sur l'
opinion.
Autre reproche : le PS ignore les mobilisations en cours. L'
absence de figures emblématiques du parti au côté
des mal-logés de la rue de la Banque, imputable à un "problème de communication" entre le premier
secrétaire et le maire de la capitale, Bertrand Delanoë, a valu aux socialistes de subir les foudres de Josiane
Balasko. "Qu'
est-ce qu'
ils foutent, les mecs du PS ? C'
est nous, l'
opposition", a asséné la comédienne, le 11
novembre, devant les caméras. M. Hollande s'
est finalement rendu sur place jeudi 22 novembre pour affirmer
que les municipalités socialistes "seront là si l'
Etat se défausse".
En revanche, le PS n'
a pas fait faux bond aux fonctionnaires en prenant soin d'
envoyer une délégation dans le
cortège de la manifestation parisienne du 20 novembre. "On nous a dit "on ne vous entend pas assez", mais
l'
ambiance était à l'
empathie ; nous avons été vraiment bien accueillis", témoigne François Rebsamen,
numéro deux du PS.
Pour autant, les sondages ne donnent aucun signe d'
amélioration de la crédibilité du PS mais confirment le
bond de la popularité d'
Olivier Besancenot. Pour Benoît Hamon, "c'
est moins le discours de l'
extrême gauche
qui séduit que l'
image des socialistes, qui donnent le sentiment d'
hésiter sur tout, qui nous fait du tort". M.
Hollande ne paraît pas s'
alarmer. Il rappelle les critiques dont le PS fut l'
objet lors des mouvements de 1995
et 2003 - avant de remporter les législatives de 1997 et les régionales de 2004. "Les socialistes n'
ont pas
vocation à conduire les manifestations, dit-il. Nous entendons avancer les propositions les plus conformes à
ce que nous aurions fait si nous avions été au gouvernement car il faut assumer l'
idée de réforme."
Le PS, en effet, met une distance croissante avec la partie la plus radicale du mouvement social. Il réclame
une négociation globale et la prise en compte de la pénibilité de certains métiers mais reconnaît sans fard la
nécessite d'
allonger à quarante ans la durée de cotisations pour les régimes spéciaux. De même, il dénonce le
peu de moyens accordés aux universités sans condamner le principe de leur autonomie.
Ce recentrage progressif des socialistes - qui, contrairement, aux vieilles habitudes d'
après-défaite ne
considèrent pas avoir perdu l'
élection présidentielle parce qu'
ils n'
étaient "pas assez à gauche" - ne leur
permet guère de camper sur des slogans d'
opposition traditionnels, "clés en main". Ce qui ne les empêche pas
de miser sur la thématique fédératrice du pouvoir d'
achat, considérée comme le principal point de faiblesse
17
de Nicolas Sarkozy. En espérant que les actions du PS dans l'
opinion repartiront bientôt à la hausse et
permettront de faire basculer nombre de municipalités et de cantons en mars 2008.
"Si le parti n'
est pas audible, il le doit à lui-même", diagnostique Annick Lepetit. "Nos instances de
délibération ne fonctionnent plus ; en témoigne la floraison d'
interventions, déclarations et tribunes de
dirigeants socialistes prenant à témoin l'
opinion pour lui expliquer à quel point nos affaires vont mal",
regrette la députée de Paris. C'
est une évidence, le PS ne parle pas d'
une seule voix. Les prises de position de
Ségolène Royal font de l'
ombre au premier secrétaire dont la position est fragilisée face à des adversaires "rénovateurs", anciens alliés ou successeurs potentiels au prochain congrès - qui n'
hésitent pas à hausser le
ton, quitte à grossir artificiellement les divergences.
Dans le brouhaha du PS, parler plus fort que les autres reste la manière la plus efficace de se faire entendre.
Mais pas forcément de se faire comprendre.
Jean-Michel Normand
Julien Dray (PS) : "Nicolas Sarkozy m'a proposé d'être son ministre"
LE MONDE avec AFP, 25.11.2007
Nicolas Sarkozy "m'
a proposé d'
être son ministre", a indiqué, dimanche 25 novembre, le porte-parole du Parti socialiste,
Julien Dray, enchaînant : "Ca fait longtemps qu'
on se connaît, qu'
on se combat, qu'
on s'
apprécie." Pour autant, a-t-il
poursuivi, "je ne voyais pas ce que j'
allais faire dans ce dispositif, moi, je suis un socialiste, j'
appartiens à ma famille".
Le député de l'
Essonne a assuré qu'
il n'
avait pas de "plan de carrière" passant "par la case ministre, obligatoirement". "Je
suis plus utile à ma famille politique et même à la démocratie en faisant le travail que je fais aujourd'
hui", a-t-il ajouté.
Et comme on l'
interrogeait sur sa réponse si l'
occasion se représentait, il a affirmé qu'
il refuserait de nouveau "à ce
stade, avec encore plus de raisons". "Les désaccords sont patents, a-t-il expliqué. Je ne vois pas comment je pourrais
siéger à la table d'
un conseil des ministres qui envoie aujourd'
hui des CRS dans les facs sans prendre le temps du
dialogue et de la discussion, même si je ne suis pas d'
accord avec le blocage."
M. Dray n'
a pas précisé si le président lui avait offert un portefeuille en particulier, mais des rumeurs insistantes
affirmaient qu'
il avait été approché pour l'
intérieur.
SONDAGE
71% des électeurs de gauche pour une candidature de Royal en 2012
Le Nouvel Observateur, 13.10.2007
Selon un sondage CSA pour Marianne rendu public vendredi 12 octobre, au total 71% des électeurs de gauche contre
27% souhaitent que Ségolène Royal soit candidate à l'
élection présidentielle de 2012, un souhait beaucoup moins
partagé par l'
ensemble des Français (46% pour, 48% contre).
Ceux qui ont voté pour elle au premier tour de la présidentielle sont 68% à penser que ses chances d'
être élue sont
grandes, 31% les jugeant faibles. Dans l'
ensemble de l'
électorat, seules 40% des personnes interrogées jugent que ses
chances de succès seraient grandes, contre 55% qui les voient faibles.
Le PS grand responsable de la défaite
Si le second tour de l'
élection présidentielle se rejouait dimanche prochain, 56% des Français indiquent qu'
ils voteraient
Nicolas Sarkozy et 44% Ségolène Royal.
Et 65% considèrent que la politique économique et sociale de la France ne serait ni meilleure ni moins bonne si elle
avait été élue le 6 mai, 17% affirmant qu'
elle serait moins bonne et 13% meilleure.
Pour 69% des personnes interrogées, c'
est le PS qui porte la responsabilité de l'
échec à l'
élection présidentielle, un
pourcentage qui monte à 81% dans l'
électorat de Ségolène Royal au second tour.
Delanoë pour diriger le parti
Pour diriger ce parti, c'
est le maire de Paris Bertrand Delanoë qui apparaît comme le candidat favori des Français, 28%
le citant en premier, devant Ségolène Royal (18%) et Laurent Fabius (14%).
Bertrand Delanoë est aussi le favori des électeurs de Mme Royal au premier tour de la présidentielle: 48% contre 47% à
l'
ancienne candidate socialiste.
Sondage réalisé par téléphone le 10 octobre auprès d'
un échantillon national représentatif de 1.003 personnes âgées de 18 ans et plus (méthode des
quotas).
Document 10
Delanoë tours operator
A quatre mois des municipales, Bertrand Delanoë nous dévoile les onze projets
d'aménagement en hauteur le long du périf. Des pistes pour un second mandat.
Enfin : Bertrand Delanoë a décidé de dévoiler ses rêves de hauteur. Le geste est culotté. Passant
outre les réticences de la population et de sa propre majorité, le maire de Paris avait demandé en
mars dernier à douze architectes de préparer des scénarios d'
aménagement de trois sites en bordure de
18
périphérique : le secteur quai d'
Ivry- porte de Vitry (13e), la porte de Bercy (12e), et la porte de la Chapelle
(18e). Pas pour construire, mais pour faire oeuvre de pédagogie : montrer aux Parisiens que la qualité de vie
peut se concevoir au-delà du plafond réglementaire des 37 mètres. Et qu'
a fortiori la montée en hauteur
permet de viabiliser des sites lourdement dégradés par les infrastructures routières.
Les architectes ont rendu leurs esquisses en juin. Il aura donc fallu cinq mois aux services de la Ville pour
dépiauter ces propositions. Le maire y voit un délai normal. Les mauvaises langues n'
ont pas la même
interprétation. Bertrand Delanoë pense à Paris... mais pas qu'
à cela. Il a une stature nationale à se construire.
Voilà le contexte. Il n'
est pas complètement anodin. Même s'
il joue cartes sur table en dévoilant une partie
des visuels, Bertrand Delanoë reste extrêmement prudent. Et quelque peu ambigu sur la vision politique qui
sous-tend cette consultation. Réhabiliter, certes, mais de quelle manière ? En produisant de grandes tours de
bureaux pour mieux renforcer la stature métropolitaine de Paris. Ou en inventant de nouveaux quartiers de
logements. Des quartiers un peu plus hauts (35 à 50 mètres), deux à trois fois plus denses, mais pas
forcément moins agréables à vivre que ceux que l'
on construit actuellement.
- En 2003, une majorité d'élus au conseil de Paris, mais aussi de Parisiens consultés dans le cadre du
Plan local d'urbanisme (PLU), s'était exprimée contre des tours à Paris. Pourtant vous persévérez :
pourquoi ? Et pourquoi sortir finalement ces études, quatre mois avant les municipales ?
Bertrand Delanoë - C'
est vrai, en 2003, une majorité UMP-Verts-MoDem a rejeté le principe même d'
un
débat sur le sujet. J'
en ai pris acte, mais je n'
ai jamais renoncé à faire avancer cette réflexion. Sur ma
proposition, le conseil de Paris a donc accepté la création d'
un groupe de travail ouvert à tous les groupes
politiques et animé par Jean-Pierre Caffet. Son rôle ? Réfléchir, imaginer, examiner chaque question,
librement. Pourquoi Paris tournerait-elle le dos à cette création architecturale qui irrigue les autres grandes
métropoles ? Dans la ville la plus dense d'
Europe, reconquérir de l'
espace en hauteur pour en libérer au sol
est-il absurde ? Et puis là où nos voisins - Plaine Commune, Issy-les-Moulineaux - construisent en hauteur,
faudrait-il rester à l'
écart de ce mouvement qui engage l'
avenir de toute l'
agglomération ? C'
est avec toutes
les villes limitrophes que je veux concevoir aujourd'
hui, pour réaliser, éventuellement, demain. Les
architectes ont rendu leurs copies au début de l'
été : il était normal de laisser aux services de la Ville le temps
de les examiner avant de les publier. Car maintenant, il faut un vrai débat de fond, dont les Parisiens doivent
se saisir ! Et sous leur regard, à chacun de prendre clairement position, ce qui est loin d'
être le cas
aujourd'
hui.
- Ces 11 projets d'aménagement en hauteur sur les franges de Paris sont assez aboutis. Ceci dit, vous
avez répété à maintes reprises qu'ils ne seraient pas réalisés «tels quels». Quel est dès lors le sens de ces
images ?
Pas de méprise : nous n'
avons pas lancé un concours d'
architecture. Nous avons demandé à des urbanistes et
à des architectes de réfléchir à l'
aménagement urbain de trois espaces parisiens, situés en périphérie de Paris.
En réalité, trois no man'
s land urbains délaissés, traversés par des échangeurs autoroutiers ou des voies
ferrées. Comment les transformer en nouveaux quartiers ? Nos questions étaient claires : quelle organisation
de ces territoires, quels équipements, quelle programmation dédiée à la vie des habitants ? Et dans ce cadre,
est-il pertinent ou non de construire éventuellement en hauteur, en cohérence avec tout le tissu urbain et dans
une extrême exigence environnementale ? Les architectes ont illustré leurs propositions par des esquisses
mais celles-ci sont virtuelles : rien de ce que vous publiez aujourd'
hui ne verra le jour. Il s'
agit juste de
visualiser ce que pourrait être une stratégie urbaine sur tel ou tel site.
- Retrouvera-t-on, dans les concours à venir, certains des architectes que vous avez consultés ? Ou bien
ferez-vous surtout appel à des grands noms de l'architecture internationale ?
Si nous devions avancer dans cette voie, bien sûr nous lancerions un concours international ouvert aux plus
grands noms ! Et il y en a parmi les 11 équipes qui ont accompli ce travail de préfiguration. Vous savez, je
n'
accepterai aucun projet qui ne soit une véritable oeuvre urbaine. Et aucune construction non plus, qui ne
soit intégralement en Haute Qualité environnementale [HQE]. Pour moi, l'
ambition esthétique et écologique
est une condition même de l'
aménagement de Paris.
- Parmi ces 11 projets, lesquels vous ont particulièrement séduit ? Pourquoi ?
Notre préoccupation n'
est pas de réagir à tel ou tel projet à partir d'
esquisses, mais d'
apprécier si le site offre
de réelles perspectives d'
aménagement. Alors, je vous le dis franchement : sur la porte de la Chapelle, nous
n'
avons absolument rien vu de convaincant. En revanche, à Bercy-Poniatowski et surtout à Masséna, il y a
19
des pistes très stimulantes, qu'
il faudra approfondir : elles peuvent donner à ces quartiers un visage, une
dynamique et une identité.
- Plusieurs projets prévoient des grands gestes architecturaux à près de 200 mètres. Cela vous paraît-il
réaliste ? Et quels types de programmes pour les financer ? Des bureaux ? Des équipements publics ?
Des logements panoramiques à la new-yorkaise ?
A ce stade, ne récusons aucune hypothèse, même si de tels gestes ne pourraient être qu'
exceptionnels. S'
il
fallait imaginer deux ou trois réalisations de grande hauteur, je l'
ai dit, ce ne pourrait être qu'
au pourtour de
Paris, en synergie étroite avec nos voisins. Pour quel usage ? Selon moi, leur donner une dimension de pôle
économique ou une vocation structurante, comme, par exemple, avec le tribunal de grande instance (TGI).
Les pistes les plus convaincantes sont celles qui font vivre une vraie mixité des fonctions : surfaces
économiques, équipements collectifs, fonctions hôtelières... C'
est ainsi que l'
on pourra requalifier ces espaces
qui, aujourd'
hui, ne ressemblent à rien : sur la surface libérée au sol, vous pourrez faire naître un quartier
vivant, bien aménagé, et implanter des espaces verts plus vastes.
- Quai d'Ivry, tous les architectes proposent un bâtiment monumental en bord de Seine. Espérez-vous
que l'architecture finira de convaincre la garde des Sceaux, Rachida Dati, d'y installer le futur TGI
(Tribunal de Grande Instance)?
Le prédécesseur de Mme Dati voulait faire entrer un futur TGI à Tolbiac en y supprimant les équipements
d'
ores et déjà prévus, et dans une limite de 100 000 m2 qui le rendrait déjà dépassé dès son ouverture... Au
contraire, le site de Masséna sera un très bel endroit, en bord de Seine. Dès 2012, il sera desservi par le
tramway des Maréchaux. Là, nous proposons à l'
actuelle garde des Sceaux 130 000 m2, une superficie qui
correspond bien aux besoins à long terme de la Justice.
- Les détracteurs des tours à Paris, et notamment vos alliés Verts, soulignent le caractère énergivore
des tours. Quels que soient les dispositifs adoptés pour les rendre plus écolo-compatibles... Que leur
répondez-vous ?
D'
abord, ma volonté d'
appliquer les objectifs du Plan Climat est au moins aussi grande que celle de mes amis
Verts. Ensuite, arrêtons de raisonner sur des schémas hérités des années 1970. Vous croyez vraiment que je
rêve d'
une nouvelle tour Montparnasse ou d'
un nouveau Front de Seine ? Ce sont des contre-exemples
absolus, de vrais ratages urbains ! Des réalisations remarquables, à l'
étranger, montrent que la grande hauteur
n'
est pas incompatible avec une ambition environnementale maximale. Mais là, et c'
est bien mon état d'
esprit,
le cahier des charges doit être implacable : la localisation, nécessairement à proximité des dessertes de
transports, la réduction des consommations énergétiques, le recours systématique aux énergies renouvelables
comme le photo voltaïque, rien ne doit être négligé.
- Dans les projets, il n'y a pas que des tours. En expérimentant de nouvelles formes de quartiers.
certains architectes doublent, voire triplent, les densités obtenues en application de la réglementation
actuelle (rien au-dessus de 37 mètres). Qu'en pensez-vous ?
C'
est un point fondamental. Limiter notre réflexion à la question des immeubles de très grande hauteur
n'
aurait pas eu de sens. Le groupe de travail montre bien qu'
un relèvement jusqu'
à 50 mètres, sur certains
sites, nous ouvrirait des opportunités pour augmenter l'
offre de logements neufs. Paris en manque, nous le
savons. Voilà une piste concrète pour en créer davantage : monter jusqu'
à 50 mètres, même si, à nos yeux,
c'
est un maximum pour un immeuble d'
habitation.
- Si vous décidez de vous lancer dans un projet de grande hauteur, quel en serait grosso modo l'agenda
?
Ma préoccupation est d'
abord de rendre possible ce débat. Une campagne s'
ouvre, non ?Alors je crois
essentiel que les Parisiens s'
emparent de ces questions. Quant au calendrier, il faut bien avoir en tête le
processus : le lancement d'
un projet, quel qu'
il soit, supposerait un temps de concertation préalable, une
modification du PLU avec enquête publique, puis le lancement de tous les concours et appels d'
offres, au
moins deux ans avant le démarrage éventuel de travaux. Réfléchissons, débattons, proposons ! Mais surtout,
pas de rejet a priori. Car le moment venu, si des décisions devaient être prises, je voudrais qu'
elles soient
d'
abord dédiées à l'
avenir de Paris.
Gurvan Le Guelec - Interview relue et amendée par Bertrand Delanoë – Le Nouvel Observateur, 22.11.2007
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Document 11
réforme des instituions
Le rapport Balladur entérine la suprématie du Chef de l'Etat
Ce rapport devrait aboutir à un projet de révision constitutionnelle que le
Parlement devra entériner lors d'un congrès, probablement après les municipales
de mars 2008.
Le comité de réflexion sur les institutions présidé par Edouard Balladur remet
lundi son rapport à Nicolas Sarkozy, prélude à une réforme qui devrait conforter le rôle du
président de la République tout en étendant les droits du Parlement.
Ce rapport devrait aboutir à un projet de révision constitutionnelle que le Parlement devra entériner
lors d'
un congrès, probablement après les municipales de mars 2008.
Il a été élaboré, sous la houlette de l'
ancien Premier ministre Edouard Balladur, par un comité de 13
personnalités, notamment l'
ancien ministre socialiste Jack Lang et l'
ancien président gaulliste du
Conseil constitutionnel Pierre Mazeaud.
Nicolas Sarkozy, qui a fait de la modernisation de la Ve République et du renforcement de l'
Etat,
une des priorités de son quinquennat, a choisi lui-même les membres de ce comité "au-dessus des
partis", très emblématique de sa politique d'
ouverture.
Le 12 juillet à Epinal, dans la "tradition gaulliste" d'
un "Etat fort", il avait fixé le cadre de ce
chantier institutionnel autour de trois piliers: l'
exécutif, notamment le rôle du président de la
République, le Parlement et son rôle, les droits des citoyens.
Durant trois mois, le comité a auditionné experts et responsables politiques de tous bords. A
l'
arrivée, 77 propositions de réforme, adoptées à l'
unanimité, sur lesquelles le chef de l'
Etat devra
arbitrer.
Le rapport pour "Une Ve République plus démocratique" ne bouleverse pas fondamentalement le
cadre institutionnel actuel. Il ne s'
engage pas dans la voie d'
un régime présidentiel (le Parlement ne
peut plus censurer le gouvernement et le président ne peut pas dissoudre le Parlement).
En consacrant la suprématie du chef de l'
Etat, qui "définit" la politique du pays que le
gouvernement se borne à "conduire", il ne fait qu'
entériner une pratique quasi-constante des
présidents de la Ve République, hors cohabitation.
Répondant à une volonté de M. Sarkozy, le comité propose que le chef de l'
Etat puisse "prendre la
parole devant l'
une ou l'
autre des assemblées du Parlement".
Parallèlement, le comité propose de rééquilibrer les pouvoirs entre président et Parlement. Le chef
de l'
Etat verrait ses prérogatives davantage "encadrées" dans une série de domaines: nominations,
déclaration de l'
état d'
urgence...
Le Parlement verrait ses droits renforcés par une quarantaine de propositions: plus grande maîtrise
de l'
ordre du jour, limitation de l'
utilisation de l'
article 49-3 aux seuls débats budgétaires, pouvoirs
de contrôle étendus, statut de l'
opposition, commissions d'
enquête sur des dossiers dont est saisie la
justice...
Le Comité propose également de nouveaux droits pour les citoyens avec le référendum d'
initiative
populaire, la saisine directe du Conseil constitutionnel ou la création d'
un "défenseur des droits
fondamentaux", sorte de super-médiateur de la République.
Restent deux sujets qui ont fait polémique, notamment à droite: la proportionnelle et le cumul des
mandats des parlementaires.
Le scrutin proportionnel ne concernera que 20 à 30 sièges de députés sur 577. Ses effets risquent
d'
être neutralisés par la proposition de faire coïncider le 1er tour des législatives avec le second de
la présidentielle, qui renforce l'
effet majoritaire.
Quant au cumul des mandats, le comité propose qu'
il soit strictement limité. Députés et sénateurs se
verraient interdire tout autre mandat dans un exécutif local (maire, président de conseil général ou
régional).
La Tribune, 26/10/2007
21
Document 12
Entretien avec Éric Fassin
Unions : « En dix ans, on est passé de l’impensable à la
banalité »
Sociologue, enseignant à l’ENS, Éric Fassin travaille sur la politisation des questions sexuelles et
raciales, en particulier en comparaison avec les États-Unis. Il nous livre son analyse sur les
transformations des unions en France. Le français dans le monde, Mai-juin 2007 - N°351
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Peut-on parler d’une crise du mariage aujourd’hui ?
Parler de crise du mariage, c’est considérer que ce changement est forcément négatif, destructeur. C’est là une attitude
conservatrice qui en méconnait le versant positif : une plus grande liberté. Le mariage se transforme ; il est considéré
non plus comme une obligation, mais comme une option. Et ce qui est vrai du mariage laïc l’est tout autant du mariage
religieux. Le mariage à l’église n’est plus une étape obligée, c’est un choix qui requiert d’ailleurs une certaine créativité
: les mariés adaptent la cérémonie religieuse à leur trajectoire de couple. Le sens du mariage se transforme : on se marie
moins pour se conformer à une attente sociale que pour donner une forme personnalisée à un projet conjugal.
Est-ce la fin des normes ?
Dire que les normes ont une histoire, qu’elles sont susceptibles de changements, ouvertes à des remises en cause
politiques, ne veut pas dire qu’elles disparaissent pour ne laisser que des individus sans liens. C’est dire qu’elles sont
politiques, au sens où l’on débat, en public et en privé, de la place des femmes ou de la hiérarchie des sexualités. On
introduit les exigences démocratiques de liberté et d’égalité dans le domaine sexuel, dont on voulait croire qu’il
échappait à l’histoire et à la politique.
La démocratie sexuelle ne veut pas dire bien sûr que règnent la liberté et l’égalité : on sait l’importance des violences
conjugales, ou même l’inégalité devant les tâches domestiques, qui s’est réduite, en une génération, de… 11 minutes
seulement ! Du moins cette évidence des rôles n’est-elle plus si évidente : elle ne va plus de soi, elle est moins légitime.
Nous avons davantage conscience des normes, et donc elles s’imposent moins à notre insu. Au lieu de paraitre fondées
en nature et donc vraies de toute éternité, elles apparaissent comme des conventions susceptibles d’être critiquées,
contestées, ébranlées. La démocratie sexuelle nous fait donc basculer d’un ordre qu’on croyait naturel à un ordre qui se
révèle politique.
Qu’est-ce que la famille aujourd’hui ?
Il n’y a pas ou plus de définition a priori de la famille. En même temps, notre société continue plus que jamais à
considérer que la famille est un élément essentiel de la société. La question qui se pose, c’est donc : au nom de quelles
valeurs va-t-on la définir ? L’enjeu n’est pas seulement symbolique, puisque la définition ouvre des droits tels
qu’allocations familiales, avantages pour les familles nombreuses, mais aussi reconnaissance des enfants issus de
parents de même sexe… Aussi n’est-ce pas à la sociologie de définir la famille : c’est un choix politique. On peut juste
espérer que ce choix prenne en compte la réalité des familles...
Quelles sont les grandes transformations qui ont marqué les unions en France depuis trente ans ?
Ce qui se passe depuis dix ans concernant l’homosexualité ne peut se comprendre hors des transformations générales
qui touchent le mariage, le couple, la famille, la filiation. L’homosexualité est le révélateur de changements entamés
depuis une génération avec, d’une part, la multiplication des divorces et des familles recomposées, et, d’autre part, le
développement du concubinage. Tout cela est devenu normal : les parents ne sont plus embarrassés, comme ils l’étaient
naguère, de dire autour d’eux que leurs enfants vivent en couple sans être mariés ou qu’ils divorcent.
Ce changement dans les familles s’accompagne d’une transformation de la filiation. L’effacement dans le droit, à partir
de 1972, de la distinction entre enfants légitimes et naturels, correspond à une évolution dans les pratiques : en effet, la
moitié des enfants naissent aujourd’hui hors mariage. Le mariage ne coïncide donc plus avec le fait d’avoir des enfants
– pas plus qu’avec la sexualité ou la cohabitation.
Pourquoi le pacs (1) a-t-il soulevé tant de discussions passionnées au moment de son vote, et n’en soulève presque
plus huit ans après ?
Quand le débat s’est ouvert en France en 1997 autour du pacs, on avait l’impression que l’ouverture du mariage aux
couples de même sexe et a fortiori l’homoparentalité étaient impensables, contraires aux règles même de la société – on
invoquait l’ordre symbolique, ou les fondements anthropologiques de la culture. Dans ce débat, les intellectuels, les
22
psychologues, les anthropologues, ont souvent été très conservateurs : leur position était celle des évêques. Comme si la
génération issue de 1968 avait peur des débordements auxquels elle avait participé dans sa jeunesse…
Certes, le pacs n’accorde des droits limités qu’à une minorité de couples, dont une partie seulement sont homosexuels.
Mais la discussion a été passionnée parce que le pacs pose la question fondamentale de la norme sexuelle : notre société
doit-elle privilégier dans ses institutions l’hétérosexualité, ou reconnaitre à égalité l’homosexualité ? L’enjeu est
important – en même temps, quelques années plus tard, on constate que la fin du monde n’a pas eu lieu... L’opinion a
aussitôt commencé à évoluer en faveur du mariage entre personnes de même sexe, voire de l’homoparentalité. C’est
pourquoi les hommes politiques, qui étaient tous contre au départ, ont vite compris qu’à s’y opposer trop franchement,
ils apparaissaient comme rétrogrades. Les choses bougent rapidement. En juin 2004, lorsque Noël Mamère célèbre le
mariage de deux hommes à Bègles, personne ne vole à son secours, ni à droite ni à gauche, et beaucoup le critiquent
violemment. Or aujourd’hui, la gauche est pour, même Ségolène Royal ! Certes, la droite reste opposée – mais elle est
embarrassée. Ainsi, Nicolas Sarkozy affirme « j’ai longuement hésité », « je me trompe peut-être », et sans plus trouver
de justification rationnelle : « ce sont des convictions très profondes que j’ai en moi ».
Reste qu’à ce jour, le mariage, l’adoption, la procréation médicalement assistée (PMA) ne sont toujours pas ouverts aux
couples de même sexe. Cependant, nous ne sommes plus dans l’inimaginable, mais seulement dans le discutable. On est
passé en dix ans de l’impensable à l’impensé. On prend conscience qu’il ne s’agit pas d’un fait de nature, mais de
normes. Or, une fois qu’on a vu les normes changer de son vivant, on se dit qu’elles peuvent changer sur d’autres sujets
et ailleurs…
La France, qui semblait être d’avant-garde avec le pacs, est aujourd’hui en retard comparée à la Belgique,
l’Espagne, le Canada, l’Afrique du Sud… Comment se construit le débat en France et à l’étranger, notamment
aux États-Unis ?
C’est bien qu’il ne s’agit pas de la loi de la culture, mais tout au plus d’une loi dans notre culture. En France, s’il y a
résistance à l’ouverture du mariage, c’est parce qu’elle déboucherait sur des droits en matière de filiation : on est prêt à
dire oui pour le mariage, mais la filiation est sacralisée, intouchable. Aux États-Unis, c’est l’inverse : dans beaucoup
d’Etats, adoption et PMA sont accessibles aux homosexuels ; en revanche, c’est le mariage qui est sacralisé.
Pourquoi ce contraste ?
Aux États-Unis, le mariage institue la hiérarchie des races, depuis l’esclavage jusqu’à nos jours, puisque perdure la
stigmatisation de la famille noire, à propos des naissances hors mariage. En France, c’est la filiation qui joue le même
rôle, en particulier depuis le débat qui s’est ouvert dans les années 1980 autour de la nationalité. Qu’est-ce qu’être
Français ? De plus en plus, le droit du sol recule au profit du droit du sang (2). Nous sommes à l’opposé des Etats-Unis,
où règne le droit du sol : il suffit d’y être né pour avoir la nationalité américaine.
En France, c’est donc par le sang de la filiation biologique que passe de plus en plus la nationalité. Voyez aujourd’hui la
défiance politique autour des mariages mixtes… Plus généralement, la bataille contre l’immigration porte aujourd’hui
sur la famille : l’immigration « choisie », ce sont des travailleurs, mais l’immigration dite « subie », c’est d’abord le
regroupement familial. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si les deux restrictions essentielles imposées au pacs
concernent la filiation, bien sûr, et aussi l’accès à la nationalité pour le conjoint étranger…
Propos recueillis par Françoise Ploquin, François Pradal et Wilfried Rault
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1. Pacs : pacte civil de solidarité.
2. Droit du sol/droit du sang : le droit du sol offre la nationalité à tout individu né sur le territoire national, le droit du
sang à ceux dont au moins un des parents a déjà la nationalité du pays. Depuis 1986, la loi française a restreint le droit
du sol. Aujourd’hui, un enfant né en France de deux parents étrangers pourra, sous certaines conditions, acquérir la
nationalité française à sa majorité s’il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période d’au moins cinq ans
depuis l’âge de onze ans.
Document 13
L'exceptionnelle natalité française est portée par la politique
familiale
LE MONDE, 27.10.2007
Contrairement aux autres pays européens, la France est en pleine santé démographique : en 2006,
avec un taux de fécondité de deux enfants par femme, l'
Hexagone était, avec l'
Irlande, le pays le
plus fécond d'
Europe. Elle devançait ainsi largement ses voisins - l'
Italie, l'
Espagne et
l'
Allemagne traversent une grave crise démographique avec des taux qui ne dépassent pas 1,4 enfant par
femme -, mais aussi les pays de l'
ancien bloc soviétique : en 2006, la Pologne, la République tchèque et la
Lettonie affichaient les taux de fécondité les plus faibles d'
Europe.
23
Du fait de ce dynamisme, la France contribue à elle seule à nourrir aux deux tiers l'
accroissement
démographique de l'
ensemble de l'
Europe.
Comment expliquer ce mini-baby-boom qui s'
est amorcé en l'
an 2000 et qui ne s'
est jamais vraiment démenti
depuis ? "Il y a aujourd'
hui un véritable modèle familial français, expliquait en 2005 le ministre de la famille
de Dominique de Villepin, Philippe Bas. Il repose sur l'
activité professionnelle des femmes, sur le
développement des modes de garde et sur la maternelle dès l'
âge de 3 ans. Grâce à cette politique familiale,
non seulement nous prouvons que le travail des femmes n'
est pas l'
ennemi de la natalité, mais nous
démontrons même le contraire. Avec deux revenus, la famille a toujours plus de chances de se développer
qu'
avec un seul."
Depuis les années 1960, les femmes françaises ont en effet massivement investi le marché du travail: en
2005, plus de 80 % des femmes âgées de 25 à 49 ans avaient une activité professionnelle. "Dans la France
des années 2000, le modèle dominant n'
est pas celui du choix (travail ou famille), il n'
est plus celui de
l'
alternance (travailler, s'
arrêter, retravailler), mais celui du cumul, note la sociologue Margaret Maruani dans
Travail et emploi des femmes (La Découverte). Pour une mère de famille, il est désormais "normal" de
travailler, alors qu'
il y a seulement quarante ans, il était tout aussi "normal" de s'
arrêter dès la naissance du
premier enfant."
La natalité française est en outre portée par une politique publique plutôt généreuse : selon Eurostat, les
dépenses familiales représentent 2,6 % du PIB, contre 1,8 % en Grande-Bretagne et 1 % en Italie. "La
politique de la petite enfance s'
est considérablement renforcée au cours des vingt dernières années grâce aux
plans successifs de financement des crèches, à des prestations individuelles plus abondantes et à une
revalorisation des métiers de la petite enfance", notait en février le Conseil d'
analyse stratégique.
La France est l'
un des pays européens où le modèle traditionnel symbolisé par le mariage est le plus vite
tombé en désuétude : en 2005, 48 % des enfants sont nés hors mariage, ce qui place la France au quatrième
rang européen, derrière l'
Estonie, la Suède et la Bulgarie. Chez la plupart de nos voisins, les naissances hors
mariage restent encore minoritaires : elles représentent seulement 14 % des naissances en Italie, 27 % en
Espagne et 30 % en Allemagne. Chypre et la Grèce apparaissent comme les derniers bastions de la famille
traditionnelle avec des taux de naissances hors mariage de 5 %.
Anne Chemin
CHIFFRES
Obésité : la France compte seulement 10 % d'individus en surpoids, ce qui la place en 24e position
européenne, derrière le Royaume-Uni (14 %), le Danemark (13 %) ou l'Espagne (12 %).
Espérance de vie : la France se situe dans la moyenne pour l'espérance de vie des hommes (77
ans). En revanche, elle est en tête, avec l'Espagne, pour les femmes (84 ans en 2005).
Tabagisme : Un tiers des Français fument régulièrement (moyenne européenne : 31 %). La Grèce,
l'Autriche et la Pologne sont les pays où les fumeurs sont les plus nombreux.
Document 14
Un « New Deal » pour l’école
Si fière de prôner des valeurs universalistes et de progrès social, volontiers « donneuse de
leçons », la France offre le visage d’un pays divisé, tant du point de vue social qu’économique et
ethnique. Cette situation est le fruit d’une ghettoïsation qui court depuis une vingtaine d’années.
Que les jeunes révoltés s’attaquent à des cibles comme les écoles est symptomatique du
sentiment de désespérance et d’abandon qui étreint beaucoup des habitants de ces banlieues
reléguées, en particulier les moins âgés. Car on assiste à une sorte d’« apartheid scolaire ».
Dans une académie comme celle de Bordeaux (guère terre d’immigration pourtant), 10 % des collèges
concentrent à eux seuls 40 % des élèves issus du Maghreb, de l’Afrique noire ou de la Turquie. Des chiffres
d’autant plus considérables que ces établissements abritent aussi une très forte proportion d’élèves de
milieux défavorisés ou en retard scolaire. D’où un cumul des inégalités préjudiciable à la scolarité : on
apprend moins dans ces établissements ghettos, et ce quelle que soit la bonne volonté des enseignants.
L’absence de brassage social et ethnique a des effets négatifs en termes d’apprentissage, et produit de l’échec
scolaire. Lorsqu’on sait le rôle central des diplômes pour accéder à l’emploi, il y a tout lieu de penser que
24
cette ségrégation renforce l’exclusion économique et sociale des plus défavorisés. Et prôner une orientation
dès l’âge de 14 ans vers l’apprentissage ne fera que renforcer le sentiment de ces jeunes : ils sont exclus de
l’école comme ils sont exclus du travail, des loisirs, de la ville – en un mot, de la société. Ainsi, la boucle est
bouclée.
L’apartheid scolaire est d’abord le fruit d’une ville de plus en plus clivée socialement et ethniquement. Le
désir d’entre-soi, notamment des classes supérieures et moyennes, marginalise des quartiers entiers laissés
aux plus démunis, et pèse sur le monde scolaire. Les familles elles-mêmes participent largement à cette
ségrégation lorsqu’elles « évitent » certains collèges, perçus comme mauvais parce qu’ils hébergent une
population défavorisée, mais aussi, il faut le dire tout net, « non blanche ».
Sur l’ensemble de l’académie, 10 % des élèves bénéficient chaque année d’une dérogation. C’est peu. Mais,
dans les collèges ghettos, la « fuite » des familles des classes moyennes est beaucoup plus massive. Elle a
pour conséquence directe de doubler la proportion d’élèves issus de l’immigration. Plusieurs établissements
de notre enquête auraient dû accueillir environ 25 % d’élèves immigrés ou issus de l’immigration, à en juger
par leur secteur de recrutement. Ils en accueillent en fait plus de 50 %, car les enfants « blancs » sont inscrits
dans d’autres établissements du public ou du privé. Ainsi, pour ceux qui ne peuvent choisir leur lieu de
résidence ou à qui la carte scolaire se montre défavorable, éviter le collège du secteur apparaît comme la
seule solution envisageable.
Le choix de l’établissement se construit essentiellement sur la base de sa situation urbaine et de la
composition ethnique de son public. Le doute n’a pas sa place dans ces stratégies, comme en témoignent les
parents rencontrés : « C’est les enfants de la cité du Viaduc qui vont au collège Barbusse, et donc il y a
beaucoup d’Arabes ; il a mauvaise réputation, mais fondée ou pas, ça j’en sais rien, puisque j’y ai pas mis ma
fille. » L’enjeu est tel que les parents se montrent extrêmement sensibles à l’image des établissements, et
notamment aux « fréquentations » qu’ils impliquent. « Comment voulez-vous, interroge ce parent, que votre
gamine qui est dans un collège où il y a toute cette racaille se sente en sécurité ? Elle, elle va le vivre
différemment, car elle n’a que 14 ans, mais moi, je me fais du souci. » La dérogation est alors perçue comme
un moyen pour que « l’enfant ne vive pas les violences du quartier » et correspond, en particulier pour les
familles populaires, à un désir d’ascension sociale dont l’école est le moteur.
Le racisme populaire se nourrit d’un sentiment de chute et d’exclusion sociale. L’école peut renforcer ce
sentiment. Les établissements fréquentés par de nombreux enfants issus de l’immigration sont parfois vécus
comme le lieu d’un véritable déclassement : au stigmate de vivre dans une banlieue ghetto s’ajoute celui de
n’avoir pu fuir un établissement considéré comme une « école d’immigrés ». Apparaît alors, pour certaines
familles, la sensation d’une « assignation à résidence ». L’impossibilité de choisir son école ou son collège
signe la fin d’un espoir de mobilité potentielle. « Je trouve ça inadmissible qu’on ne nous laisse pas choisir
où on veut mettre nos enfants. Quand on nous a refusé la dérogation pour mon fils, on a été hyper en colère,
c’est vrai qu’à ce niveau-là, c’est de la ségrégation. »
Dans ces conditions, le racisme devient l’expression privilégiée de la frustration et d’un sentiment
d’impuissance à maîtriser son destin. Les jeunes issus de l’immigration sont accusés d’envahir les
établissements scolaires comme ils envahissent la France. Ces parents d’élèves en témoignent : « Il n’y a que
de ça ici », ou « Moi, le prochain coup, je vote FN, il y a trop d’étrangers en France, c’est la catastrophe. On
compterait le nombre d’étrangers ici, ils sont plus que nous, alors nous petits Français, on dit rien ! »
Parallèlement se développent une certaine logique communautaire et un racisme antifrançais. Les travaux du
sociologue américain John Ogbu (1) sur les « minorités involontaires » noires aux Etats-Unis permettent, par
analogie, de comprendre ce phénomène. Les enfants d’immigrés, et particulièrement les Maghrébins, ont –
avaient ? – une profonde volonté d’ascension sociale. Mais ils commencent à croire, comme les Noirs
américains, que les barrières raciales, trop fortes dans le monde de l’emploi, ne leur permettront pas de
quitter leur cité et d’accéder à des positions honorables. Ayant intégré les valeurs culturelles et d’égalité de la
société française, ils supportent très mal les inégalités scolaires, qui signent leur futur échec social.
Leur confiance dans les institutions s’effrite, plus que tout en ce qui concerne l’école, dans laquelle ils
avaient placé le plus d’espoir. Ce dont témoigne cette enseignante : « J’ai un élève maghrébin qui m’a dit
qu’il y a deux catégories de gens : ceux qui se font rouler et ceux qui roulent les autres. Il avait décidé d’être
dans la deuxième catégorie, contrairement à ses parents, qui étaient dans la première. Pour lui, c’était du type
exploiteurs-exploités, il n’y avait pas de catégories intermédiaires. Le défaitisme se conjugue souvent avec le
problème de la discrimination. »
On assiste en fait à une véritable inversion des valeurs, à la formation d’une sorte de contre-culture scolaire
ethnicisée : par réaction, les élèves issus de l’immigration investissent leur appartenance ethnique, et, à
25
l’extrême limite, la culture scolaire devient le symbole de la domination, comme le montre cette anecdote
relatée par une enseignante : « J’ai des problèmes avec Mustapha. Il est arrivé, l’autre fois (...), il était
survolté (...) dès que j’ouvrais la bouche, il trouvait matière à discussion. (...) “L’anglais, ça nous a jamais
intéressés, c’est nul, pourquoi on fait pas d’arabe ?” Alors moi, en bonne mère de famille : “L’arabe, comme
l’anglais, demande un effort, et un effort encore plus soutenu parce que c’est encore plus difficile.” “Qu’estce qu’elle raconte, elle est folle.” J’essaie de calmer le jeu. Alors, il tape un grand coup sur la table et me dit :
“De toute façon, c’est les musulmans les plus forts.” »
Cette appartenance réinventée s’appuie sur le fait que la France ne peut ni ne veut offrir l’intégration
économique et sociale qui irait de pair avec l’intégration culturelle. Qu’on ne s’y trompe pas : les « dérives
communautaires » agitées comme un épouvantail sont souvent l’aboutissement de la relégation et de l’échec.
Les enjeux sont donc très forts.
Le poids de l’urbain se révèle prépondérant et demande des politiques en matière de désagrégation et de
mixité. Pourtant, le phénomène scolaire doit être considéré en soi, car il a une très lourde charge symbolique.
L’ascenseur social doit pouvoir jouer, et ce n’est qu’en retrouvant confiance dans les vertus «
méritocratiques » qu’on pourra encore créer du lien social et de l’intégration. En ce sens, une diversification
trop précoce des parcours à l’école conduirait à plus de ségrégation. Au contraire, l’école souffre de n’être
jamais réellement parvenue à créer ce collège unique tant décrié. En fait, celui-ci n’a plus d’unique que le
nom, tant les conditions de scolarisation se diversifient. En même temps, il semble vain d’en appeler de
manière incantatoire à la mixité sociale et ethnique. Les fractures qui traversent la société sont telles,
notamment en matière de logement, qu’on ne peut décréter d’un coup de baguette magique le rétablissement
du brassage social.
Le sociologue de la ville Jacques Donzelot l’a bien montré : les forces centrifuges sont trop intenses. Les
classes moyennes et aisées ne tiennent pas à venir habiter les quartiers stigmatisés, à moins... qu’on en chasse
les pauvres et les étrangers ! Ou, à la rigueur, que les écoles des uns et des autres soient distinctes et bien
séparées. Ainsi, les défavorisés ne disposent d’aucune ressource pour quitter l’enfermement dans lequel on
les tient.
Le seul « marché » scolaire produit plus de ségrégation que d’intégration. Un « New Deal » à l’école postule
une politique volontariste. Désormais, elle ne peut plus résoudre les problèmes sociaux en affichant une «
indifférence aux différences » qui, comme aimait le rappeler Pierre Bourdieu, revient trop souvent à entériner
des inégalités de fait entre groupes et individus. En termes concrets, il faut agir sur les individus et sur les
établissements.
Du point de vue des individus, l’attribution de bourses ne suffit pas. Il faut permettre aux élèves issus des
familles les plus défavorisées, et sur la base du volontariat, de « quitter le ghetto » et d’étudier dans un autre
établissement de leur choix.
Du point de vue des établissements, certaines expériences ont été menées, souvent concluantes, comme au
collège Clisthène à Bordeaux. L’un de ses principes est de repenser le rôle de chacun des acteurs, tout en
gardant le même objectif : donner à tous les élèves cette culture commune et le niveau scolaire indispensable
à une intégration sociale et économique. L’établissement dispose de suffisamment d’autonomie pour que le
directeur recrute les enseignants sur la base du volontariat. Il peut constituer une équipe, faire varier les
emplois du temps des professeurs qui ont moins d’heures d’enseignement contre plus d’heures de présence
dans l’établissement, ce qui change radicalement les relations entre les élèves et eux.
Ce collège n’est qu’un exemple, d’autres innovations sont envisageables. L’important est de comprendre
qu’il faut diversifier l’organisation des établissements pour sauvegarder les objectifs et les valeurs du collège
unique. C’est à ce prix que l’école pourra jouer son rôle d’institution où le vivre ensemble a encore un sens,
même dans les collèges ghettos.
Georges Felouzis et Joëlle Perroton, Le Monde diplomatique, décembre 2006 (archives)
Georges Felouzis
Sociologue, université Bordeaux-II, coauteur avec Françoise Liot et Joëlle Perroton de L’Apartheid scolaire. Enquête
sur la ségrégation ethnique dans les collèges, Seuil, Paris, 2005.
Joëlle Perroton
Sociologue, université Bordeaux-II, coauteure avec Georges Felouzis et Françoise Liot de L’Apartheid scolaire.
Enquête sur la ségrégation ethnique dans les collèges, Seuil, Paris, 2005.
26
(1)
John Ogbu, « Les frontières culturelles et les enfants des minorités », Revue française de pédagogie, no 101,
Paris, 1992.
Le malaise de la jeunesse française analysé par l’OCDE
Des experts de l’OCDE présentaient à Bruxelles une radiographie en 150 indicateurs de ses 30 pays membres. «
Une radiographie qui permet notamment de mieux comprendre le malaise de la jeunesse dans certains pays
comme la France », explique Enrico Giovannini, principal auteur du « Factbook 2006 ».
L’indice d’inactivité des jeunes classe la France parmi les mauvais élèves des pays de l’OCDE, avec un taux de 7 %. «
La Turquie affiche 7,5 % et l’Italie 9 %, alors que la moyenne de l’OCDE est de 5,6 %, précise Enrico Giovannini. Si
les jeunes ne sont ni employés, ni à l’école, il y a de bonnes raisons de se faire du souci pour leur bien-être actuel et
leurs perspectives d’avenir. »
D’autres chiffres sont la confirmation que les indicateurs du marché du travail des jeunes en France sont dans le rouge.
Ainsi, le taux d’emploi des 15-24 ans est, avec 26,4 %, l’un des plus bas des pays membres de l’OCDE, dont la
moyenne est de 43 %. Seuls la Hongrie, le Luxembourg et la Pologne font pire. Mais pour Enrico Giovannini, pas
question d’aligner des séries statistiques gratuitement : « Car il y a une corrélation entre la connaissance et la capacité
des gens à accepter les réformes. Ce que démontrent toutes nos études. » Et d’ajouter : « Si vous ne pouvez pas aider les
gens à comprendre les changements qui les affectent, il n’y a aucun moyen de forger un consensus sur les réformes. »
« On a dit aux jeunes bien formés en France qu’ils seraient traités par le marché d’une manière très différente de ceux
qui n’ont pas de qualification », poursuit-il. Mais « le changement, c’est que cela sera de moins en moins vrai ».
Document 15
Universités : les trois clés de l'excellence
La recette du Monsieur Université et Recherche de Sarkozy
C'est en Californie que cet universitaire discret mais très influent auprès du président a
trouvé l'établissement public de ses rêves. Il plaide pour diversifier les facs mais nie que
cela créerait une université à deux vitesses
Valérie Pécresse dit que sa loi sur l'
autonomie n'
est que la première pierre d'
un édifice destiné à refonder les
relations entre universités, recherche et grandes écoles. Le sujet est si sensible que la ministre marche sur des
oeufs. Mais il faut savoir que la philosophie de ce chantier doit beaucoup à un homme de l'
ombre, peu connu
mais très écouté de Nicolas Sarkozy qui l'
a fait entrer dans le cercle restreint de ses conseillers : Bernard
Belloc, ancien président de l'
université de Toulouse-I et ancien patron de la Conférence des Présidents
d'
Université.
Ce brillant universitaire a contribué à un fait peu connu, hormis des initiés : la notoriété mondiale de
l'
université de Toulouse-I dans le domaine de l'
économie. Il n'
en est pas l'
initiateur : c'
est une sommité, JeanJacques Laffont - aujourd'
hui décédé -, auquel il rend constamment hommage, qui est à l'
origine du décollage
de Toulouse-I, que certains appellent TSE - «Toulouse School of Economies» - pour marquer l'
ambition de
rivaliser avec la célèbre London School of Economies. Objectif que caresse également l'
Ecole d'
Economie de
Paris, récemment créée à l'
initiative de l'
économiste Thomas Piketty. Certains disent que Laffont était
nobélisable en économie. La tradition se poursuit à Toulouse-I puisque son chercheur Jean Tirole recevra le
19 décembre la très prestigieuse médaille d'
or du CNRS, qu'
un seul économiste a décroché avant lui, le
Nobel Maurice Allais.
Belloc ne se gène pas pour rappeler ce qui fut selon lui à l'
origine de ce succès : lassé d'
attendre de l'
argent
public, Laffont avait convaincu ses chercheurs d'
aller signer des contrats dans le privé. Ce qu'
ils firent avec
succès. La Fondation Jean-Jacques Laffont, prochainement inaugurée à Toulouse, sera dotée d'
un capital
considérable. Un signal fort pour marquer l'
importance du financement de la recherche par le privé, très en
retard chez nous. «Voyez Albert Fert, Nobel de physique 2007 : ïl dirige un centre de recherche commun à
Paris-XI, au CNRS et à Thales», souligne Belloc. Sa ténacité et sa pugnacité, jointes au succès de ToulouseI, ont fini par séduire des politiques. Dès 2000, il est au lancement du processus de Bologne qui a mené à
l'
harmonisation européenne des diplômes (LMD) et, président de la CPU, il réclame l'
autonomie, qui sera
effective sept ans plus tard. En 2006, «très séduit par le projet bien argumenté de Nicolas Sarkozy sur
l'
université et h recherche», il devient conseiller à l'
Elysée après une mission à Pékin. Il rêve que se crée un
27
think tank de la relation enseignement-recherche-innovation, sur laquelle il existe de nombreuses
convergences gauche-droite.
Le Nouvel Observateur. - Vous êtes l'auteur d'une analyse montrant que l'université publique
californienne fait réussir plus d'étudiants que la nôtre, avec des coûts de scolarité raisonnables tout en
excellant en recherche. N'est-ce pas une provocation de proposer l'université américaine comme
modèle ?
Bernard Belloc. - En 2004, au cours d'
une année sabbatique, j'
ai découvert que le cas californien est très
intéressant et qu'
il faut faire abstraction de toute idéologie pour constater un fait vérifiable : l'
université
publique californienne fait réussir plus de jeunes que la nôtre (1), avec des coûts de scolarité raisonnables
pour les résidents, plus de la moitié des étudiants étant boursiers. Certes, toutes les universités américaines ne
fonctionnent pas ainsi. Sur la côte Est, celles de la Ivy League ont souvent des coûts élevés et une ouverture
sociale moindre, Mais presque toutes ont d'
impressionnants systèmes de bourses au mérite qui font qu'
un
élève brillant au lycée mais fauché a toutes les chances d'
intégrer une bonne université. La première leçon,
c'
est que l'
on ne doit pas parler - pour éventuellement en faire un épouvantail - de «système universitaire
américain», et encore moins de croire qu'
il est privé : plus des trois quarts des jeunes Américains sont dans
des facs publiques qui font plus que bonne figure face aux poids lourds privés. Il n'
y a pas un seul système
mais presque autant que d'
Etats. Celui de Californie, qui a donné naissance à l'
économie de la connaissance
et à l'
une des zones les plus innovantes du monde, mérite qu'
on l'
analyse de près.
- Quelle est la thèse de votre travail ?
B. Belloc. - Il est devenu impossible à une seule et même université d'
exceller dans tous les compartiments.
D'
un côté, la massification de l'
enseignement supérieur exige de très gros efforts sur les premiers cycles avec
des moyens d'
encadrement lourds. Il faudrait pouvoir investir autant pour un jeune en licence que pour un
jeune en IUT D'
autre part, l'
impératif de développer à fond la recherche, pour nourrir une économie
d'
innovation, oblige à recruter des enseignants chercheurs qui n'
ont pas le même profil que ceux capables de
faire réussir les jeunes en premier cycle. J'
affirme que chacune de ces missions est devenue si complexe qu'
il
n'
est plus possible à une même université d'
exceller dans tous les domaines. Les Californiens ont résolu le
problème en instituant un système à trois composantes : d'
excellentes facs de premier cycle, qui mènent une
bonne proportion de leurs jeunes vers une autre série de facs spécialisées dans les masters, lesquelles peuvent
propulser leurs meilleurs éléments dans des universités de recherche, dont le modèle est Berkeley qui figure
dans le top mondial en recherche. Il est capital pour un pays d'
être doté d'
universités de recherche. C'
est ce
que les Allemands viennent de décider en votant des supercrédits à une dizaine de leurs universités. Ce qui
me navre, c'
est que le système français marche un peu à l'
envers : les meilleurs éléments du lycée vont vers
les grandes écoles où la formation par la recherche n'
est pas assez développée. C'
est un vrai handicap pour
l'
économie.
- Pire qu'une université à deux vitesses, vous prônez donc une université à trois vitesses ?
B. Belloc. - Il est stupide de parler de «vitesses» : c'
est l'
excellence qui compte. Et avec les moyens que nous
avons promis aux universités, chacune peut se créer une «niche» dans laquelle elle peut exceller. Qui peut
soutenir que ce n'
est pas noble de faire réussir en masse dans les premiers cycles ? Et d'
acquérir une
réputation dans ce domaine ? Nous avons créé des Près, les pôles de recherche et d'
enseignement supérieur,
qui sont des structures permettant de mutualiser les moyens et synergies entre plusieurs universités.
L'
université de Perpignan peut bénéficier de la force de celle de Montpellier, idem pour Chambéry et
Grenoble, Angers et Nantes, etc. Les Près peuvent être d'
excellents outils pour fédérer les établissements
sans perdre la dynamique des plus entreprenants. Ainsi il n'
y aura pas de «petite» et de «grande» université,
mais des domaines d'
excellence différents.
- Votre travail sur le modèle californien a-t-ïl intéressé les politiques ?
B. Belloc. - Ce que j'
écrivais à l'
époque, entre 2004 et 2005, intéressait beaucoup de monde à l'
étranger mais
pas en France. Jacques Chirac n'
était pas passionné par le sujet et ne saisissait pas l'
enjeu sur le long terme.
Dans les cabinets ministériels, mon travail était accueilli avec une indifférence polie, ce qui d'
ailleurs
m'
importait fort peu. La Fondation pour l'
Innovation politique avait très bien accueilli ce travail, Richard
Descoings et la chercheuse Christine Musselin, à Sciences-Po Paris, également. Valérie Pécresse m'
avait dit,
28
avec une prudence que je comprends : «J'
aimerais mieux un exemple européen que nord-américain.» En fait,
c'
est l'
Allemagne qui est en train de devenir pour nous un exemple européen très intéressant à tous égards.
- Et comment la gauche reçoit vos suggestions ?
B. Belloc. - La loi sur l'
autonomie reprend la quasi-totalité des propositions qu'
avait faites un très bon expert
de gauche, Alain Claeys. Pourtant, la gauche a voté contre cette loi... Je sais aussi que des économistes de
gauche comme Philippe Aghion, professeur à Harvard, Jean Pisani-Ferry ou Thomas Piketty partagent
beaucoup de mes vues. Sans parler de Claude Allègre dont je pense qu'
il n'
est pas très éloigne de ces idées.
En général, les critiques portent sur le manque d'
argent. Moi, je réponds que ce n'
est pas l'
argent qui fait les
projets mais les projets qui font venir l'
argent, même si je reconnais qu'
un effort particulier doit être fait par
la nation pour son enseignement supérieur.
Ce qu'
elle fait d'
ailleurs, puisque, dans le projet de budget 2008, jamais on n'
a observé une telle croissance
des moyens mis à la disposition de l'
enseignement supérieur et de la recherche : 1,8 milliard d'
euros ! Nous
avons évité les fausses solutions de la sélection et de l'
accroissement massif des droits d'
inscription, ce qui
nous est d'
ailleurs souvent très vertement reproché par notre propre camp, et aussi, je dois le dire, à ma
grande surprise, par des collègues proches du Parti socialiste. Je crois que nous avons vraiment mis en place
les structures pour que notre université change de siècle.
(1)Une synthèse de l'
enquête de Bernard Belloc est consultable sur www.nouvelobs.com
Document 16
L’EXPRESS, 25/10/2007
Patrick Fauconnier Le Nouvel Observateur, 22.11.2007
La face cachée de Rachida Dati
par Eric Pelletier et Jean-Marie Pontaut
La ministre de la Justice est aujourd'hui une star de la galaxie Sarkozy. Mais cette
ascension est le fruit d'un parcours aussi atypique que méconnu. Famille, réseaux,
études, politique: contre-enquête sur une réussite balzacienne, avec ses ombres et
ses lumières. Rachida Dati © J. Pachoud/AFP
Une brindille sur un volcan: à 41 ans, Rachida Dati
porte les dossiers brûlants du gouvernement, de la
loi sur la récidive à la réforme de la carte judiciaire.
En propulsant Place Vendôme cette jeune femme
frêle et séduisante, ni élue ni énarque, Sarkozy joue
le velours de l'
opinion contre la bure des préjugés.
Rachida: le prénom claque comme une promesse
d'
avenir pour les enfants d'
immigrés. Dati: le nom
symbolise une France enfin égalitaire. Du jour au
lendemain, la ministre, forte d'
une belle cote de
popularité, est devenue une héroïne républicaine et
glamour.
Pourtant, son ascension sociale et politique ne se
réduit pas à cette geste sarkozyenne. Le personnage cadre mal avec cette image trop lisse. «Je n'
avais pas un
destin tracé», résume l'
intéressée, qui n'
aime pas qu'
on gratte le vernis de l'
icône. Sa réussite révèle en effet
de formidables ressources intérieures, mais aussi une stratégie éprouvée de conquête du pouvoir. Elle recèle
des blessures intimes et des zones d'
ombre alimentant les rumeurs. Raconter la vie de Rachida Dati? «Vous
n'
y arriverez jamais, prévient cette dernière. Je suis la seule à en posséder toutes les clefs.» Nous en avons
retrouvé quelques-unes. Certaines étaient, il est vrai, bien cachées. Elles se nomment famille, réseaux, études
et politique.
1. Sa famille
Les Dati débarquent d'
Algérie au début des années 1960, à Gergy, un bourg de Saône- et-Loire. Le père,
Mbarek, paterfamilias sévère et conservateur, offre à ses enfants des études dans un collège catholique privé,
le bien nommé Le Devoir. En retour, il exige discipline et excellence. S'
ils ne regagnent pas l'
appartement
HLM de la cité du Stade, à Chalon-sur-Saône, avant 20 heures, les garçons doivent se débrouiller pour
trouver de quoi passer la nuit, un banc ou une banquette de voiture. Ce carcan devient vite insupportable à
l'
un des jeunes frères, Jamal, qui dévisse et tombe dans le ravin de la dope. Au contraire, Rachida, comme la
29
plupart des 12 enfants, puise dans cette sévérité paternelle les racines de sa réussite. Durant l'
émission
Vivement dimanche consacrée à la garde des Sceaux, le 7 octobre, Michel Drucker note l'
attention soutenue
du patriarche dans le public: «On avait l'
impression qu'
elle passait un véritable examen, a expliqué
l'
animateur sur RTL. On sent le poids de cet homme qui a dirigé sa famille d'
une main de fer avec succès
[...]. ça m'
a rappelé la présence physique et silencieuse de M. Zidane face à son fils.»
Ils allaient chercher l'eau au puits
Une habitante de Gergy (Saône-et-Loire) se souvient de l'arrivée des Dati, avant la naissance de Rachida.
«Ses parents ont débarqué dans le village avec leur fille aînée et deux valises, pendant l'hiver 1962 ou 1963.
J'en garde un excellent souvenir. Je crois qu'ils venaient de quitter leur pays. Mais ils n'aimaient pas en
parler. Les Dati logeaient avec trois familles maghrébines dans une ancienne grange refaite sommairement.
Il fallait aller chercher l'eau au puits, les toilettes se trouvaient à l'extérieur. La mère, une femme très douce,
était enceinte. Lui était un homme très travailleur. Je le voyais partir tous les matins vers 6 heures, par tous
les temps, pour se rendre à son travail à Chalon-sur-Saône. Je lui ai d'ailleurs prêté une bicyclette pour qu'il
puisse faire ces 30 kilomètres quotidiens, avant qu'il achète une Mobylette. La maman venait souvent dans
notre ferme acheter du lait et des oeufs. Au début, elle parlait à peine français. Je me souviens d'avoir écrit
deux lettres pour elle. Les Dati? C'étaient des gens très honnêtes. Quand ils nous commandaient 3 kilos de
pommes de terre la semaine, nous étions sûrs d'être payés dès le samedi.»
Propos recueillis par Eric Pelletier
Au collège, la petite Rachida ne passe pas inaperçue. Du roseau elle n'
a que l'
allure. Déjà, elle préfère rompre
plutôt que plier: née le 27 novembre 1965, à 15 h 30 précises, elle affiche le caractère entier d'
un Sagittaire.
Christian Morin, le directeur du Devoir, se souvient d'
une écolière attachante, «curieuse de tout, bosseuse, un
peu meneuse, qui avait soif de connaissances et de reconnaissance». La mère, Fatim-Zohra, qui élève sans
faillir les enfants, reste un modèle absolu d'
amour et d'
abnégation aux yeux de Rachida, qui souffre encore
du vide laissé par son décès, voilà six ans.
«La famille? Rachida y fait sans arrêt référence. C'
est même un trait structurant de sa personnalité, souligne
une amie de longue date. Elle a toujours mis un point d'
honneur à ce que chacun réussisse.» Rachida Dati
s'
est beaucoup impliquée, hébergeant une sœur et une nièce dans le petit appartement qu'
elle occupe rue du
Faubourg-Poissonnière, dans le Xe arrondissement de Paris, au milieu des années 1990. Elle reverse alors
une grande partie de ses revenus pour aider la fratrie. Ce qui lui vaut d'
ailleurs un sérieux problème avec le
fisc en 1997. Alors qu'
elle vient tout juste d'
intégrer l'
Ecole nationale de la magistrature (ENM), elle fait
l'
objet d'
un redressement pour avoir, de 1992 à 1994, déduit ces aides de son revenu au titre de «pensions
alimentaires». L'
administration exige donc un remboursement sur trois ans, d'
un montant considérable par
rapport à son salaire (20 000 francs par mois chez Matra, mais 9 000 depuis son entrée à l'
ENM). Conseillée
par ces relations qu'
elle sait si bien tisser, elle obtient un étalement sur trente mois et rembourse l'
intégralité
de la somme.
A peine a-t-elle entamé ses études supérieures que Rachida est rattrapée par un diktat familial: elle est mariée
sans qu'
elle le veuille à un proche de la famille. «Je ne pouvais pas refuser, confiera-t-elle à des amis. A
partir de 22 ou 23 ans, les filles devaient être mariées.» Cet épisode se conclut finalement par une annulation
pure et simple, pour défaut de consentement mutuel. Une procédure exceptionnelle, suivie en son temps par
Me Coralie Blum et justifiée par le fait qu'
elle a été longtemps harcelée par son ex-mari. Pour échapper à la
pression, Rachida Dati s'
installera même un temps à Londres, où elle travaille pour la Banque européenne
pour la reconstruction et le développement. Le passage dans cette banque, de l'
autre côté de la Manche, à la
fin de 1992, auprès de Jacques Attali, l'
ancien conseiller de François Mitterrand, tient autant de la fuite que
de l'
avancée d'
une carrière. «Quelque chose de très personnel me lie à lui», a-t-elle révélé sur France 2.
«Cette femme est faite de fidélités, résume Attali. Elle se ferait tuer pour ceux qui l'
ont aidée.» Rachida Dati
sort en effet de cette épreuve grâce à son entregent. Un impressionnant réseau qui, depuis des années, veille
sur elle.
2. Ses réseaux
En quelques années, la jeune Chalonnaise de la cité du Stade se construit un carnet d'
adresses parisien digne
d'
un énarque bien né. «Elle m'
a ouvert les yeux sur une réalité, souligne un ami. La France, c'
est Liberté,
Egalité, Réseaux.» Rachida Dati, la jeune et pétillante étudiante, ne sait pas se servir des couverts à poisson
lors de ses premiers déjeuners dans le monde. Qu'
importe! Elle s'
adapte vite. Dans ces cercles compassés,
son extraordinaire vitalité, son incroyable débit verbal - «Rachida, apprenez à faire des silences», lui
conseille l'
un de ses mentors - séduisent. Ces énarques, ces puissants, sont heureux de donner un coup de
30
pouce à une jeune femme douée issue de l'
immigration. «En l'
aidant à ce moment-là, certains d'
entre nous se
sont peut-être donné bonne conscience», reconnaît l'
un d'
eux. Elle sait que le destin se tricote grâce aux
rencontres, une maille à l'
envers, une maille à l'
endroit. Jamais plus elle ne laissera la tradition ou le hasard
abîmer la tapisserie que, patiemment, elle tisse grâce à une stratégie balzacienne. Dès 1986, lors d'
une
réception à l'
ambassade d'
Algérie, elle accoste le garde des Sceaux, dont elle a repéré la présence en lisant un
article dans un journal. Albin Chalandon revoit encore cette «boule noire aux yeux vifs» fondre sur lui:
«"Mon père m'
a beaucoup parlé de vous", m'
a-t-elle dit. Elle a été tellement convaincante que je l'
ai invitée à
déjeuner à la chancellerie.» Ce sera son premier mentor. Il recommande cette femme, «mélange de culot et
d'
habileté», aux dirigeants d'
Elf. Et lorsque, quittant la Place Vendôme, Chalandon rachète l'
entreprise
Texmaille, près de Saint-Quentin (Aisne), il l'
embauche pour superviser la gestion. «Elle a même découvert
que mon comptable piquait dans la caisse», s'
amuse aujourd'
hui l'
ancien garde des Sceaux, qui reste l'
un de
ses indéfectibles amis. «Cette jeune fille était un vrai diamant», souligne Pierre de Bousquet de Florian, excollaborateur de Chalandon, aujourd'
hui préfet des Hauts-de-Seine.
A l'
époque, Rachida Dati écrit à tous les décideurs: capitaines d'
industrie, ministres, hauts fonctionnaires ou
même chanteurs et journalistes... Les secrétaires des grands patrons apprennent à reconnaître au milieu de
mille écritures masculines ses mots de remerciement «personnel et confidentiel», d'
une graphie dynamique et
rapide. «Elle m'
a envoyé un jour un mot évoquant des "moments inoubliables passés ensemble", se souvient
un ancien dirigeant. Ce qui m'
a valu des ennuis avec ma femme.» Qui lui a répondu directement... «J'
ai passé
vingt-cinq ans dans les milieux d'
affaires. J'
y ai vu de tout, remarque cette assistante de direction qui la
connaît depuis dix ans. Pour ma part, je suis une inconditionnelle.» D'
autres qui l'
ont croisée, comme cet
ancien d'
un cabinet ministériel, ont une vision plus sombre du personnage: «L'
effusion dont elle fait preuve
relève en réalité d'
une froide manipulation, digne des plus grands escrocs.» Lorsqu'
elle n'
écrit pas, Mlle Dati
téléphone. «Je ne veux pas que vous m'
oubliiez», se défend-elle auprès de l'
un de ses parrains qui, un jour,
s'
agace de ces coups de fil.
A l'
occasion de la remise d'
un prix à l'
une de ses sœurs, elle se rue sur le patron de Matra pour lui dire toute
son admiration. «Jean-Luc Lagardère était à la fois amusé et flatté, se souvient, attendri, Patrick Déchin,
directeur de cabinet à l'
époque. Il me l'
avait décrite comme étonnante. Je l'
ai trouvée impressionnante.»
Rachida Dati est embauchée au contrôle de gestion, en 1990. «J'
ai même obtenu que Jean-Luc lui fasse un
chèque pour payer ses études», se souvient le directeur de cabinet, qui a toujours gardé le contact. Quant à
Marceau Long, vice-président du Conseil d'
Etat, il la voit débarquer alors qu'
il réfléchit au nouveau Code de
la nationalité. Il se souvient d'
une jeune femme «directe, dotée d'
une extraordinaire audace, symbole d'
une
intégration réussie».
3. Ses études
La rumeur a enflé pendant l'
été. Elle court désormais tout Paris: la garde des Sceaux aurait usurpé ses
diplômes. L'
affaire est devenue tellement sensible que même le ministère de l'
Intérieur a fini par s'
en
émouvoir. Jusqu'
à présent, Rachida Dati n'
a pas voulu se justifier face à ces «ragots». L'
Express a enquêté
sur la véracité de ses diplômes. Un seul de ses titres reste sujet à caution.
En 1985, la jeune femme s'
inscrit à l'
université Dijon-Bourgogne, en Deug de sciences économiques. Trois
ans plus tard, en juin 1988, elle est diplômée. L'
un de ses profs de l'
époque, Jean-Jacques Friboulet, devenu
économiste de renom, enseigne à l'
université suisse de Fribourg. «Je ne l'
ai jamais revue, mais je l'
ai
immédiatement reconnue lors de sa nomination, confie-t-il à L'
Express. C'
était un cas d'
école. A cette
époque, dans mon cours sur la répartition des revenus, les enfants de la deuxième génération étaient très
rares, surtout les filles. J'
avais remarqué sur sa fiche qu'
elle travaillait de nuit dans une clinique, mais elle ne
se plaignait jamais. Elle était animée d'
un vrai fighting spirit.» L'
esprit de combat...
A l'
automne de 1988, l'
étudiante s'
inscrit à l'
université Paris II-Panthéon-Assas, à deux pas du Luxembourg.
La faculté confirme qu'
elle en est sortie, en 1991, avec en poche une maîtrise de sciences économiques,
option «gestion des entreprises». Peu après, Rachida Dati bénéficie, on l'
a vu, d'
une aide de Matra pour
s'
inscrire au prestigieux Institut supérieur des affaires (ISA), qui dépend du groupe HEC. Elle se présentera
dans toutes ses biographies comme une «ancienne élève» de l'
ISA. Ce qui est exact. Elle n'
a, en revanche,
jamais obtenu le diplôme final. Selon l'
école, il lui manquait deux «électifs», des matières à option
indispensables pour obtenir le titre. La ministre reconnaît aujourd'
hui que son diplôme n'
a pas été validé,
mais affirme avoir obtenu tous ses modules. Elle évoque un «différend» avec HEC. Toujours est-il qu'
en
1995 Simone Veil et Marceau Long l'
incitent à opter pour la magistrature. Rachida Dati doit donc se remettre
aux études et obtenir au minimum une maîtrise de droit, indispensable pour devenir juge. Elle opte pour le
31
droit public général et s'
inscrit à Paris I-Panthéon-Sorbonne. Elle bénéficie alors d'
un dispositif en vigueur à
l'
époque, la validation des acquis professionnels (VAP) - l'
administration retient ses douze années
d'
expérience dans le monde du travail - ce qui lui épargne de passer au préalable sa licence de droit. Selon
Paris I, elle obtient sa maîtrise en 1996.
Du fait de son âge, 30 ans, elle ne peut prétendre emprunter la voie royale: le concours d'
entrée à l'
Ecole
nationale de la magistrature. Il lui faut par conséquent miser sur une «procédure d'
intégration sur titres». Son
dossier est instruit par la hiérarchie judiciaire. Il fait état de deux maîtrises, de cours suivis à l'
ISA. Et curieusement - de l'
obtention d'
un «MBA européen du groupe HEC-ISA». Or, rappelons-le, selon la grande
école, elle n'
a jamais obtenu le diplôme... Erreur, maladresse ou, comme souvent, volonté d'
aller vite, trop
vite?
En tout cas, le 18 novembre 1996, le parquet général de Versailles (Yvelines), sous la signature de Vincent
Lamanda et de Jean-Pierre Plantard, émet un «avis favorable» à l'
intégration à la magistrature de «Mlle
Dati». Le rapport de quatre pages évoque une «jeune femme déterminée, à la personnalité affirmée et
brillante», disposant d'
une «expérience professionnelle variée, à dominante économique et politique». Le
dossier relève ses «excellentes attestations», dont celles de Simone Veil et de Marceau Long. Deux
magistrats reçoivent la candidate, à l'
époque. Jean-Pierre Bonthoux est toujours sous le charme: «Son
dossier, marqué par le caractère éblouissant des avis émis par les personnalités sollicitées, sortait du lot. Mais
j'
ai surtout été frappé par sa personnalité pétillante. On ne pouvait qu'
accrocher.» Maryvonne Caillebotte est
également séduite: «J'
ai passé deux heures avec elle. En conclusion, je lui ai dit: "Vous allez intégrer notre
corps, mais je pense que vous ne resterez pas longtemps parmi nous, car vous vous y sentirez à l'
étroit."»
4. La politique
Longtemps Rachida Dati a manqué son rendez-vous avec la politique. Elle l'
approche pour la première fois
en 1989, lorsqu'
elle présente sa candidature aux Groupes européens de mobilisation, un cercle de réflexion
lancé par la ministre socialiste des Affaires européennes, Edith Cresson. «Nous avons été séduits par son
côté volontaire, témoigne l'
un de ses "parrains", Bernard Esambert, aujourd'
hui président de la Fédération
pour la recherche sur le cerveau. Nous l'
avons un peu couvée.» Au cours des années 1990, le chemin de Dati
croise ceux de la gauche et du centre, mais, curieusement, aucun de leurs dirigeants n'
exploite cette pépite
politique. En 1995, François Bayrou, alors ministre de l'
Education, lui confie une médiation sur l'
affaire du
voile. Mais le courant ne passe pas. En 1997, elle écrit, à son domicile, à Pierre Moscovici, qui se souvient
de cette lettre qu'
il a longtemps conservée et qui s'
en veut de n'
avoir pas répondu: «J'
ai "procrastiné"...»
Le tournant se produit en 2002. Les cinq envois adressés à Nicolas Sarkozy finissent par payer: le nouveau
ministre de l'
Intérieur accepte de la prendre au sein de son cabinet. Les premiers temps sont durs. Rachida
Dati n'
est encore qu'
un obscur conseiller, peu considéré. Cécilia Sarkozy, pourtant, remarque cette jeune
femme, spontanée et drôle, qui partage la vie d'
un grand patron. A dire vrai, l'
épouse du ministre se méfie de
cet inclassable ovni. Mais, durant l'
escapade amoureuse de Cécilia à New York, en 2005, les deux femmes
restent en contact régulier. Au retour, lors d'
un dîner entre collaborateurs, en janvier 2006, tous remarquent
cette complicité nouvelle. Rachida s'
en émerveille: les Sarkozy l'
ont «à la bonne». Son étoile brille comme
jamais.
Document 17
Edito du Monde
La France immigrée
LE MONDE, 09.10.2007
Fausses demandes d'
asile, fraudes au regroupement familial, franchissement illégal de frontière,
communautarisme... Le débat actuel sur l'
immigration semble polarisé par les abus et dangers
créés par l'
entrée des étrangers en France. Le modèle d'
intégration à la française aurait connu son
heure de gloire, dopé par une croissance régulière et une volonté farouche des nouveaux arrivants, souvent
catholiques, toujours blancs, de s'
intégrer au creuset national. Puis les temps, comme l'
origine géographique
et religieuse des migrants, auraient changé...
C'
est une tout autre perspective que nous livre la nouvelle Cité nationale de l'
histoire de l'
immigration.
Soucieuse de "dépassionner le débat" sans fermer les yeux ni forcer le trait. Bons et mauvais immigrés ?
Immigration subie et immigration choisie ? Le "regard" sur les deux siècles passés auquel elle nous invite est
bien différent. "Terre d'
accueil", mais aussi "terre hostile", le pays a toujours manifesté une ambivalence à
32
l'
égard de "ses" étrangers. Des Italiens aux Polonais, des massacres d'
Aigues-Mortes, en 1893, aux
expulsions de mineurs dans les années 1930, tous se sont heurtés, dans leur intégration, à de fortes
résistances. Cette histoire rappelle d'
ailleurs, à ceux qui l'
auraient oublié, que l'
Etat n'
a pas attendu Nicolas
Sarkozy pour manier la matraque.
Mais, au-delà des difficultés, la Cité témoigne surtout de l'
extraordinaire apport de l'
immigration à la société
française : du travail à la culture, des loisirs à la langue, du sport à la cuisine, sans oublier la science. La Cité
qui ouvre ses portes en témoigne : l'
"identité française" existe. Mais elle n'
a cessé de se métisser. Comme
hier, la France sans doute continuera à se cabrer devant ce qui est souvent perçu comme une menace
étrangère. Mais, comme hier aussi, elle finira par mesurer et admettre ses besoins de main-d'
oeuvre, de
dynamisme démographique, d'
apports culturels.
Il n'
est qu'
à regarder l'
histoire de la Cité pour s'
en convaincre. Certes, la gauche n'
a pas saisi l'
importance du
projet. Et le gouvernement actuel a choisi, jusqu'
ici, de l'
ignorer. Mais les faits sont là : mercredi 10 octobre,
la France aura son Musée national de l'
immigration, et l'
on peut faire le pari que Nicolas Sarkozy finira par
s'
y rendre. Il aura d'
autant moins de difficultés à le faire que ce musée a choisi, délibérément, d'
éviter le sujet
qui fâche : celui de la colonisation. Or c'
est bien cette histoire commune, ce "secret de famille" entre la
France et ses anciennes terres d'
outre-mer, cette histoire douloureuse et refoulée qui accentue les difficultés
d'
intégration des dernières vagues d'
immigration, maghrébines et africaines. Ce musée n'
aura pleinement
rempli son rôle que lorsqu'
il cessera de l'
occulter et saura inviter la société française à l'
assumer.
Entretien avec Jacques Toubon, ancien ministre et président de la Cité nationale de
l'immigration
Changer le regard sur l'immigration
LE MONDE, 06.10.2007
Conçue sous la gauche, décidée par Jacques Chirac, la Cité nationale de l'histoire de l'immigration ouvre enfin
ses portes. Comment expliquer que ce projet ait mis tant de temps à se concrétiser et ait été finalement réalisé
par la droite ?
Entre le moment où la décision de créer la Cité a été prise - au début du quinquennat de Jacques Chirac -, et celui de son
ouverture, il s'
est seulement déroulé quatre ans et demi. Une période relativement courte, finalement, pour une
institution inédite. C'
est la maturation de l'
idée qui a été longue : lancée il y a vingt ans par des historiens et des
militants, elle a effectivement connu un sort indifférent pendant les années 1980-1990.
Durant toute cette période, l'
accent était davantage mis sur la différenciation, le droit à la différence, que sur la
démarche d'
intégration, qui caractérise le modèle français. Le meilleur exemple est la proposition faite par Lionel
Jospin, ministre de l'
éducation, de développer un enseignement des langues d'
origine. Cette idée était intellectuellement
contraire à celle de raconter une histoire de la France reconnaissant la place déterminante de l'
immigration dans la
construction collective. C'
est à partir de la campagne présidentielle de 2002 et la réélection de Jacques Chirac que
l'
intégration a été remise à l'
honneur, sur l'
idée que l'
immigration était un phénomène durable et incontournable, qu'
il
fallait travailler sur l'
intégration de ceux qui arrivent comme de ceux qui sont déjà là, que notre société était une société
de diversité, et que cette diversité devait être prise en compte sans que notre modèle d'
intégration, universaliste et
égalitaire, ne soit remis en cause.
La gauche, si elle avait été au pouvoir, aurait-elle mené à bien ce projet ? Je n'
en suis pas si sûr. Car il y a encore à
gauche une confusion entre esclavage, colonisation et immigration. Et cette confusion est un obstacle à la réalisation
d'
un tel projet.
Ce projet est-il encore porté, soutenu par le pouvoir actuel ? Le jour de son ouverture, la Cité ne sera pas
officiellement inaugurée, ni par Nicolas Sarkozy ni par le ministre de l'immigration, Brice Hortefeux.
Ma préoccupation, ma priorité est d'
ouvrir la Cité, de la faire vivre. En faire un événement politique m'
importe peu.
Mon souhait est que la Cité accrédite son propre message et qu'
on ne lui en impose pas un. L'
histoire a une force en
elle-même qu'
il faut absolument protéger. Ce faisant, quelle que soit l'
apparence du discours politique aujourd'
hui, je ne
pense pas qu'
ait disparu cette idée que la France est une société de diversité. Il est certain que le discours actuel insiste
davantage sur l'
idée de fermeture que sur celle d'
ouverture. A entendre Nicolas Sarkozy devant les Nations unies, il
semble néanmoins qu'
il y ait davantage une continuité qu'
une rupture avec les années Chirac, sur tous ces sujets
concernant les valeurs fondamentales. En tout cas, depuis l'
installation du nouveau gouvernement, je n'
ai rencontré
aucune difficulté, ni explicitement ni implicitement.
N'est-il cependant pas surprenant que l'Institut d'études sur l'immigration et l'intégration soit créé au sein du
Haut Conseil à l'intégration au moment où on lance la Cité ?
33
Ce n'
est pas très judicieux. Mais cela ne change en rien notre vocation et notre message. La Cité travaille sur une
matière beaucoup plus précise : les faits historiques. Ce nouvel institut a, lui, plus vocation, pour ce que j'
en sais, à
travailler sur la philosophie et les idées.
N'y a-t-il pas contradiction entre l'ouverture de ce musée, qui signe la reconnaissance de l'apport de
l'immigration dans l'histoire, et la politique actuelle, qui semble davantage stigmatiser l'immigré qu'en souligner
l'apport ?
Très franchement, non. Je ne crois pas que la politique de Nicolas Sarkozy et de ce gouvernement rompe avec les
principes républicains, en particulier avec le principe d'
intégration. L'
identité française qui est aujourd'
hui mise en avant
est une identité non pas essentielle, mais une identité construite. L'
identité que nous présentons à la Cité est celle d'
une
France, d'
une civilisation qui a fait son miel de cultures, de religions, de modes de vie différents, et ce depuis au moins
deux siècles. Ainsi, je ne pense pas du tout que notre projet soit mis en cause par la mise en avant de l'
identité française.
C'
est en ce sens que j'
ai toujours dit aux historiens travaillant avec moi qu'
il ne fallait pas s'
arrêter aux mots.
Leur démission au printemps pour dénoncer l'amalgame entre immigration et identité nationale vous a-t-elle
surpris ?
Je comprends que l'
on puisse réagir à la conjonction, au "choc" des mots immigration et identité nationale. Car cette
collision peut effectivement faire référence à des périodes historiques et à des idéologies d'
exclusion. Leur réaction
s'
explique, mais elle est politique. La meilleure réponse qui soit à cette collision des mots, c'
est la Cité elle-même, car
elle repose sur un ensemble de faits historiques, scientifiques. La Cité apporte au débat, mais elle n'
est pas dans le débat
politique.
Ce qu'elle symbolise n'est-il pas toutefois contradictoire avec le souhait du chef de l'Etat d'instaurer des quotas
d'entrées par nationalité ?
Je ne crois pas. Je ne récuse pas, sur le principe, l'
idée de contingents professionnels et régionaux. Je préfère le terme de
contingent à celui de quotas, qui sous-tend une idée de proportion. Simplement, une telle politique ne peut être conçue
et conduite au niveau d'
un seul Etat. La construction d'
une politique européenne de l'
immigration légale sera un des
thèmes de la future présidence française de l'
Union européenne. Dans ce cadre-là, au regard des besoins professionnels,
mais aussi à l'
aune des relations qu'
entretient l'
Europe avec telle ou telle région du monde, pourraient être définis des
contingents, comme le fait le Canada de manière ouverte et démocratique.
Organiser les flux migratoires, c'
est reprendre en main son propre sort. En matière d'
immigration aussi, l'
Europe doit
être acteur. J'
ajoute que travailler dans une telle perspective permet de restituer les mouvements migratoires, de voir par
exemple que le mouvement de migrants entre l'
Afrique du Nord et l'
Europe est bien moindre que celui existant entre le
Mexique et les Etats-Unis.
Que pensez-vous de l'idée de recourir à des tests ADN pour les candidats au regroupement familial ?
Mieux vaudrait en discuter dans un débat sur la bioéthique que lorsque l'
on parle d'
immigration. Mais il est
incontestable qu'
aujourd'
hui faire famille ne signifie pas simplement engendrer. Et, au-delà des principes, il ne faudrait
pas que cela devienne une condition supplémentaire au regroupement familial, supplémentaire et discriminatoire. Une
telle disposition pourrait être censurée par le Conseil constitutionnel, non pas tant pour des questions de principe, car
après tout juridiquement il est toujours possible d'
étendre l'
article 16 du code civil, mais parce que cela apparaîtra
comme une entrave au regroupement familial, non conforme aux principes définis en 1979 par le Conseil d'
Etat.
Etablissement public, la Cité ne risque-t-elle pas de livrer une lecture partielle de l'histoire de l'immigration ?
Non, parce que nous sommes partis du travail des historiens. Tous les textes sont de leur plume. Et autant, sur l'
histoire
de la colonisation, des divergences existent, autant, sur l'
histoire de l'
immigration, les chercheurs s'
accordent sur
l'
essentiel. La Cité est une institution culturelle éducative scientifique et civique, au sens où son rôle est d'
éveiller la
conscience politique des gens. Non par un discours politique mais par la connaissance.
La mission de la Cité est de changer le regard sur l'
immigration, d'
en faire une question rationnelle et non plus
fantasmatique. La question de l'
immigration sera toujours débattue mais nous avons besoin d'
un débat plus serein.
Que peut être cependant un musée sur l'histoire de l'immigration sans le fleuron des universitaires spécialistes
du sujet ?
34
Il ne faut pas se leurrer. D'
un côté, les historiens mènent l'
action en tant que citoyens et ils en ont le droit. Et de l'
autre,
ils continuent à travailler avec nous. Ils sont à la base de toutes les activités de la Cité. La Cité travaille et continuera à
travailler avec le fleuron des universitaires. D'
autant qu'
à partir de ce fleuron, une des missions de la Cité est d'
essaimer,
de susciter des initiatives de collectivités locales, de jeunes chercheurs, d'
associations, et de leur donner du sens.
L'
exposition permanente que nous ouvrons le 10 octobre n'
est qu'
une goutte d'
eau au regard du travail qu'
il y a à faire,
notamment auprès des millions d'
élèves et d'
étudiants.
Vous êtes-vous inspiré des autres musées du même type existant dans le monde, comme celui d'Ellis Island à New
York ?
De mes visites d'
Ellis Island ou du Musée de la civilisation à Québec, pour ne citer qu'
eux, j'
ai tiré des enseignements
sur la scénographie, la muséographie, et notamment l'
importance de l'
audiovisuel. Ce qui m'
a paru essentiel, c'
est l'
idée
de faire du visiteur un "fréquenteur". Des lieux de ce type ne sont pas simplement des musées que l'
on visite pour voir
des choses, mais ce sont des lieux utiles, répondant à une demande, à un besoin. Des lieux où l'
on revient, comme on
"fréquente" le café du coin.
-------------------------------------------------------------------------------Ancien ministre, Jacques Toubon est président de la Cité nationale de l'
histoire de l'
immigration
Document 18
Banlieues à l'abandon : ce qui ne peut plus durer
par Claude Dilain, Stéphane Gatignon et François Puponni, LE MONDE, 27.11.2007
A l'automne 2005, sur fond d'images de quartiers en flammes, l'ensemble de la
classe politique semble prendre enfin conscience du malaise des banlieues. Les
émeutes s'accompagnent alors d'un cortège de discours sur les décisions à prendre.
Mais avec l'extinction des flammes, un voile est retombé sur nos villes et deux ans plus tard,
non seulement les choses n'ont pas changé, mais elles empirent.
Face au défi, confronté aux inégalités de plus en plus fortes entre les territoires, le gouvernement répond par
des dotations toujours plus réduites et inégales. Pour preuve, la loi de programmation de la cohésion sociale
prévoyait une augmentation de 120 millions par an jusqu'
en 2009 de la dotation de solidarité urbaine (DSU),
pour venir en aide aux villes en difficulté. Or la commission des finances de l'
Assemblée vient d'
annoncer
une diminution de 30 millions d'
euros de la DSU. Tant pis pour les villes qui comptaient dessus et qui ont
engagé des actions. Elles n'
auront qu'
à gérer encore et encore la pénurie, et faire face à des charges de plus en
plus lourdes.
Cela ne peut plus durer. Le temps des diagnostics, des analyses et de la compassion est terminé. Aujourd'
hui,
il est impératif d'
agir, et d'
agir vite. Des solutions simples et efficaces sont rapidement réalisables, au premier
rang desquelles une réforme de la fiscalité locale.
Malgré l'
opiniâtreté des élus de terrain et du monde associatif, la situation ne cesse de se dégrader. Tous les
indicateurs sont à la hausse, précarité, chômage, misère, violence… l'
économie parallèle gangrène des
quartiers entiers où les habitants subissent les règles d'
un libéralisme sauvage qui se traduit par le règne de la
loi du plus fort ; l'
usage de la violence se banalise, les liens sociaux se délitent et les populations confrontées
à un sentiment d'
abandon ont tendance à se replier sur elles-mêmes.
DROIT COMMUN
Cette situation est le résultat de l'
échec de la politique menée depuis de trop nombreuses années. L'
ancien
ministre de l'
intérieur, aujourd'
hui président de la République, n'
a réussi, avec ses déclarations guerrières, ni
à faire reculer l'
insécurité ni à rétablir l'
égalité républicaine. Nous n'
acceptons plus que l'
Etat valide les
inégalités.
Il faut impérativement en finir avec la vision à court terme qui conditionne les réponses du gouvernement.
Nous ne voulons pas d'
un énième plan banlieue qui traite systématiquement nos problèmes à l'
aune de
l'
exception. Nous voulons que nos villes – à l'
instar du reste du territoire – soient traitées selon le droit
commun.
L'
insécurité est le résultat d'
une politique globale qui, par l'
insécurité sociale, l'
accroissement de la précarité
et des inégalités, conduit à la déstructuration des règles collectives et contribue à faire naître les ghettos de
demain. Notre société est de plus en plus marquée par l'
individualisme, la débrouillardise et la vénération
sans limite de l'
argent-roi au détriment de tout ce qui fait l'
intérêt collectif.
35
Tout contribue à fragiliser l'
ensemble de la société : disparition de la mixité sociale dans les quartiers
d'
habitat collectif, diminution drastique des moyens consacrés au volet social (dans la prévention, dans la
recherche d'
emploi, etc.), généralisation des emplois précaires, enclavement de ces quartiers.
Nous devons clairement poser la question du rôle régulateur de l'
Etat. Le processus actuel qui conduit l'
Etat à
se retirer progressivement des dispositifs d'
aide anéantit les garanties et laisse la nécessaire entraide dépendre
du bon vouloir de ceux qui en ont à la fois l'
envie et les moyens.
Le temps presse. Nous devons, en agissant sur l'
ensemble de ces leviers, rétablir les fondements de la
République : la sécurité et l'
égalité de tous partout sur le territoire. Pour faire entendre la voix de la banlieue
et parce que nous refusons d'
attendre qu'
une nouvelle catastrophe se produise pour que les choses bougent
enfin, nos communes (nos mairies) agiront afin d'
obliger l'
Etat à ouvrir le dossier des banlieues non comme
un dossier à part mais comme un miroir de ce que pourrait devenir la France de demain.
--------------------------------------------------------------------------------
Claude Dilain, maire de Clichy-sous-Bois, Stéphane Gatignon, maire de Sevran, François Puponni, maire
de Sarcelles.
La police de proximité à nouveau au coeur des débats
LE MONDE avec AFP et Reuters, 27.11.2007
Comme lors des émeutes de Clichy en 2005, le débat sur les méfaits de la suppression de la police de
proximité est rouvert avec les échauffourées qui ont lieu depuis dimanche soir dans le Val-d'Oise.
Lors d'
une conférence de presse réunissant notamment les maires socialistes de Sarcelles, Villiers-le-Bel et
Clichy-sous-Bois, mardi, six dirigeants locaux du PS ont appelé au rétablissement de cette police dans les
quartiers, supprimée en 2002 par Nicolas Sarkozy. L'
idée est également soutenue par l'
ancien ministre de
l'
intérieur et créateur de ce dispositif en 1997, Daniel Vaillant, et par la vice-présidente du Modem, Marielle
de Sarnez, qui estime qu'
il faut "avoir les services publics implantés dans la banlieue".
Mais pour la ministre de l'
intérieur, Michèle Alliot-Marie, "la police dans les quartiers existe". "Elle fait son
vrai métier et non pas ce que
vous vouliez lui faire faire, c'
est-à-dire
de faire du sport auprès des
jeunes",
a-t-elle
rétorqué,
à
l'
Assemblée, aux députés PS
qui l'
interpellaient sur"l'
échec de cinq
ans et six mois" en matière
de sécurité.
Même si le patron des
députés UMP, Jean-François Copé, a
rejoint la ministre en
estimant que "ce n'
est certainement
pas une police de proximité
qui peut apporter des réponses aux
problèmes de violences
urbaines", certaines voix dans la
majorité se sont élevées pour
en réclamer le retour. Ainsi, Hugues
Portelli,
sénateur-maire
UMP d'
Ermont, explique que "dans
[sa] commune, il y a certaines équipes de CRS, ce n'
est même pas la peine de les faire venir parce que si elles
viennent on sait qu'
il y aura de la bagarre".
Quant à l'
ancien premier ministre Dominique de Villepin, en place lors des émeutes de Clichy, il a relancé
son projet d'
"une police de tranquillité publique", évoqué pour la première fois en 2006, alors que Nicolas
Sarkozy était à l'
intérieur. Il s'
agirait, selon lui, d'
une amélioration par rapport à "la police de proximité [qui]
a montré ses limites parce qu'
elle était là, mais elle n'
était pas capable d'
intervenir quand c'
était nécessaire".
Analyse
Emeutes : pourquoi 2007 diffère de 2005
par Luc Bronner, LE MONDE, 29.11.2007
Face aux violences urbaines dans le Val-d'Oise, le premier réflexe est de comparer les événements de
ces derniers jours aux trois semaines d'émeutes que la France a connues en octobre et novembre 2005.
Avec une interrogation légitime sur la possibilité que les violences actuelles s'étendent dans le pays.
Mais les émeutes de 2007 ne ressemblent pas à celles de 2005, bien que les acteurs (jeunes et policiers,
principalement), le cadre (zones urbaines sensibles) et le contexte (difficultés liées à l'emploi, au
logement, etc.) soient évidemment identiques.
36
La première différence, fondamentale, tient à la chronologie. En 2005, les événements survenus à Clichysous-Bois (Seine-Saint-Denis) avaient été le point de départ, clairement identifié, d'
un mouvement national.
Pour que la contagion gagne les villes voisines, il avait fallu deux éléments conjugués. D'
abord, la mort des
deux adolescents - électrocutés après avoir voulu échapper à la police - qui avait provoqué plusieurs nuits de
violence à Clichy et à Montfermeil. Ensuite, le tir d'
une grenade lacrymogène à proximité de la mosquée de
Clichy, qui avait contribué à étendre le mouvement en Seine-Saint-Denis, puis au-delà.
En 2007, quelle que soit l'
évolution de la situation dans le Val-d'
Oise au cours des prochains jours, Villiersle-Bel ne constitue pas un point de départ, mais une étape dans une longue dégradation. Car l'
erreur, à trop
s'
interroger sur les risques de reproduction des émeutes de 2005, serait d'
oublier l'
accumulation d'
événements
graves intervenus depuis un an dans les quartiers sensibles : des violences urbaines qui témoignent d'
une
radicalisation chez certains jeunes, très minoritaires mais très actifs ; des violences qui marquent la
profondeur de la coupure entre la police et une partie de la population.
La liste des principaux incidents est spectaculaire : agressions de policiers aux Tarterêts (Essonne) et aux
Mureaux (Yvelines), en septembre et octobre 2006 ; incendies de bus, notamment à Grigny (Essonne),
Marseille ou Trappes (Yvelines), en novembre 2006 ; violences urbaines de Cergy (Val-d'
Oise) en juin 2007
; agressions de pompiers et de policiers, incendies de bâtiments publics à Saint-Dizier (Haute-Marne) en
octobre ; violences dans un quartier d'
Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) début novembre. A ces
épisodes, il convient d'
ajouter l'
émeute de la gare du Nord, en mars, même si elle a eu lieu dans Paris.
Ces incidents témoignent - deuxième différence majeure avec 2005 - d'
un changement de cibles. Comme en
2005, les émeutiers visent toujours des locaux publics et privés (la maison des jeunes et de la culture et
l'
office public HLM à Saint-Dizier, par exemple) et continuent de brûler des voitures (44 157 en 2006, contre
45 588 en 2005). Mais ils s'
en prennent, plus fréquemment, aux forces de l'
ordre, comme le montre le
nombre très élevé de policiers blessés en deux nuits à Villiers-le-Bel (plus d'
une centaine).
En 2005, en comptabilisant les trois semaines d'
émeutes, le ministère de l'
intérieur avait recensé 5 143 actes
de violences collectives à l'
encontre des services de sécurité, de secours et de santé. En 2006, pour une année
sans épisode comparable aux émeutes de 2005, il a comptabilisé un peu plus de 5 600 faits, soit près de 10 %
de hausse. "Même si le recours à la technique du guet-apens est observé depuis de nombreuses années, dans
les cités, la volonté affichée par des délinquants de s'
en prendre physiquement aux policiers n'
a jamais été
aussi affirmée", relève la direction générale de la police nationale dans son étude annuelle sur les violences
urbaines, présentée dans le cadre du rapport 2007 de l'
Observatoire national de la délinquance (OND).
La police souligne que les émeutiers tendent à délaisser "les cibles matérielles au profit des cibles humaines".
Des élus disent se sentir désormais menacés lorsqu'
ils interviennent dans les quartiers, parce qu'
ils sont
assimilés à des représentants de l'
autorité ou de l'
Etat. Les pompiers subissent des agressions parfois très
violentes (jet de parpaings ou de pierres, par exemple) et ont dû progressivement adapter leurs modes
d'
intervention. Et les journalistes, qui étaient acceptés sans trop de difficulté en 2005, voire attendus dans
l'
espoir de pouvoir médiatiser les violences locales, sont aussi devenus des cibles, parce qu'
ils sont accusés
d'
être le relais des voix officielles.
La troisième différence essentielle est l'
intention affichée, par les jeunes les plus radicaux, de blesser
grièvement, voire de tuer des policiers ou des pompiers. De ce point de vue, l'
événement le plus grave de ces
derniers mois est probablement la découverte, à Aulnay-sous-Bois, le 3 novembre, d'
une bouteille de gaz sur
laquelle avaient été scotchées des boîtes de clous. L'
objectif des émeutiers, qui réagissaient à un accident
impliquant des jeunes poursuivis par la police, était de placer la bouteille dans une poubelle avant de
l'
enflammer. Le dispositif a certes été qualifié d'
artisanal par les experts de la police, qui ont estimé que les
risques d'
explosion étaient limités. Mais la volonté était de provoquer des dégâts les plus larges possible en
recourant à un explosif. L'
usage d'
armes, à Villiers-le-Bel, s'
inscrit dans cette logique : une partie des
agresseurs, que la police qualifie de "noyau dur", est montée d'
un cran dans la violence.
Villiers-le-Bel n'
est donc pas un tournant, mais un révélateur d'
une tendance plus ancienne. Là où les
émeutes de 2005 comprenaient une dimension ludique (volonté de passer à la télévision, émulation avec les
cités voisines, etc.), celles qui se sont produites depuis l'
automne 2006 relèvent d'
une logique beaucoup plus
destructrice. Comme si les deux années passées avaient accru le ressentiment des plus jeunes.
Le plus grave est que tous les acteurs politiques assistent à cette dérive sans savoir quoi faire. Dans ses
analyses, le gouvernement a choisi de ne pas remettre en question l'
organisation de la police sur le terrain. Il
a confié à la secrétaire d'
Etat chargée de la politique de la ville, Fadela Amara, la mission de porter un
nouveau "plan banlieues" qui ne soulève aucun espoir parmi les élus et les responsables associatifs. Dogme
contre dogme, la gauche continue, elle, de réclamer le retour à une police de proximité, expérimentée
37
jusqu'
en 2002, mais dont rien ne prouve qu'
elle serait adaptée aux enjeux actuels. 2007 n'
est pas 2005, sauf
sur un point : les pouvoirs publics ne savent toujours pas comment réagir.
Document 19
Etude de l'Insee : les plus pauvres vivent dans le nord et le sud
Le Nouvel Observateur, 26.10.2007
Selon l'Insee, le nord, le sud et la Seine-Saint-Denis sont les régions les plus
touchées par les inégalités. Les niveaux de vie médians les plus élevés sont en Ile-deFrance, Rhône-Alpes et Alsace.
Avec la Seine-Saint-Denis en Ile-de-France, le nord et le sud de la France sont les régions les plus touchées par la
pauvreté, selon une étude de l'
Insee rendue publique vendredi 26 octobre.
L'
Institut national de la statistique et des études économiques souligne que les niveaux de pauvreté des ménages
diffèrent assez nettement d'
une région à l'
autre, le chômage, le poids des inactifs, les différences de structures familiales
expliquant ces disparités.
Ces inégalités sont cependant amoindries par les prestations sociales, qui comptent pour le tiers du revenu disponible
des ménages pauvres, contre 5,4% du revenu disponible moyen des ménages.
26 départements au-dessus du niveau de vie médian
Seuls 26 départements de métropole sur 96 se situent au-dessus du niveau de vie médian, établi à 15.766 euros par an et
par personne vivant en ménage ordinaire (hors hôpitaux, maisons de retraite ou sous-abri).
Selon les départements, le niveau de vie s'
étale de 13.740 euros (dans le Pas-de-Calais) à 20.360 euros pour les
Yvelines.
Les plus pauvres vivent dans le nord de la France, particulièrement touché par le chômage, ou dans les départements
ruraux de la Creuse, de l'
Aude et du Cantal, qui comptent une forte proportion de retraités, ou encore en LanguedocRoussillon, Provence-Alpes-Côte d'
Azur et Seine-Saint-Denis.
Position particulière de l'Ile-de-France
C'
est en Ile-de-France, hors Seine-Saint-Denis, en Rhône-Alpes et en Alsace que les niveaux de vie médians sont les
plus élevés.
L'
Ile-de-France occupe une position particulière, souligne l'
étude. Trois départements, les Yvelines, Paris et les Hautsde-Seine, bénéficient de niveaux de vie particulièrement élevés, la forte proportion de cadres expliquant en grande
partie ces résultats.
Paris est la championne des inégalités de revenus. Les bas revenus y sont proches de ce qu'
ils sont dans les autres
départements, mais le niveau de vie des plus riches est plus de 5 fois supérieur à celui des plus modestes.
La Haute-Savoie et, dans une moindre mesure, le Rhône, la Savoie, l'
Ain et l'
Isère, sont des départements plutôt aisés.
Les départements frontaliers d'
Alsace et de Franche-Comté bénéficient des salaires des frontaliers.
Les familles nombreuses et monoparentales plus exposées
La pauvreté ne touche pas de la même façon les différentes catégories de ménages, souligne l'
étude.
Les familles nombreuses et les familles monoparentales sont plus souvent exposées que les autres.
Ainsi, dans le nord, la pauvreté, plus concentrée dans les zones urbaines, frappe plus particulièrement les familles
nombreuses, comme en Seine-Saint-Denis.
Le Languedoc-Roussillon et la Corse se caractérisent par une pauvreté élevée qui n'
épargne aucune classe d'
âge,
personnes seules, couples avec ou sans enfant, familles monoparentales.
Dans toutes les régions particulièrement touchées par la pauvreté, environ un enfant sur 4 vit sous le seuil de pauvreté,
contre 16,4% en moyenne sur toute la France.
Document 20
La vie à l'hôtel, symptôme de la crise du mal-logement
LE MONDE, 03.11.2007
Depuis le 3 octobre, trois cents familles mal logées expriment leur exaspération, en campant sur
le trottoir de la rue de la Banque, à Paris. La plupart travaillent, sont en situation régulière. Et
pourtant, elles ne trouvent pas de vrai logement, ni dans le parc privé, trop cher pour elles, ni
dans le parc public, saturé. Les politiques visant à développer l'
offre de logements en France ne sont pas
parvenues à enrayer la pénurie. Ces ménages, pour la plupart originaires d'
Afrique, ne sont pas des sans-logis
: certains vivent dans des squats, d'
autres chez des amis ou à l'
hôtel. Un habitat sordide, disent-ils, payé à
prix d'
or, où ils ne veulent plus retourner.
38
Leur mobilisation met en lumière un pan méconnu de l'
action publique : selon nos informations, en 2007,
l'
Etat devrait dépenser environ 75 millions d'
euros pour héberger à l'
hôtel quelque 12 500 personnes,
majoritairement en région parisienne. Un quart sont des demandeurs d'
asile. Une moitié sont des étrangers en
situation irrégulière, hébergés à titre humanitaire. Pour sa part, la Ville de Paris finance essentiellement des
nuitées pour les familles avec enfants en situation régulière. En 2007, son budget devrait s'
élever à 16
millions d'
euros pour héberger à l'
hôtel 2 100 enfants, 1 500 adultes et 130 jeunes majeurs isolés.
La part importante de l'
hôtel dans les crédits accordés à l'
hébergement d'
urgence est un phénomène récent.
En 2000, le budget hôtellerie de l'
Etat avoisinait les 10 millions d'
euros. Il a bondi à 120 millions en 2005.
Dans les administrations en charge du logement, cette envolée a fait frémir. "On peut dire que c'
est absurde,
dit un haut fonctionnaire. Mais l'
on peut aussi s'
honorer que la France ne laisse pas ces gens à la rue."
Mariam, 35 ans, participe à l'
action soutenue par l'
association Droit au logement (DAL). Mercredi 31
octobre, avant l'
aube, elle nous a ouvert la porte de sa chambre, au premier étage d'
un hôtel de tourisme
décrépi du Val-de-Marne où elle vit depuis mai 2005 avec ses deux garçons. Les visites sont interdites. Le
logeur dort encore. Au risque de perdre sa chambre, Mariam veut montrer comment elle vit, pour que la
société sache que "faire grandir des enfants dans une chambre d'
hôtel, ça ne devrait pas exister". "Je veux
que Mme Boutin vienne ici ! Si elle voit, elle ne dira plus que nous devons nous estimer heureux d'
avoir un
toit."
Dans la pièce de 12 m2, un lit double et un lit simple occupent presque tout l'
espace. Les vêtements sont
rangés là où il y a un peu de place, au bord du lit, dans les coins. Les parois de l'
unique placard sont
tellement humides que les affaires y moisissent. Il n'
y a ni chaise, ni table, ni réfrigérateur. Il est interdit de
cuisiner.
Un mois dans cette chambre coûte 1 500 euros. Mariam en paie 310 grâce à ses deux mi-temps : le matin,
elle distribue des prospectus dans les boîtes à lettres, l'
après-midi, elle fait le ménage dans une banque. Des
crédits publics financent la différence. "Eux, ils gaspillent, et nous, on souffre", dit-elle pour résumer ce qui
apparaît, à bien des égards, comme une aberration humaine, sociale et économique. L'
impossibilité de
cuisiner, par exemple, génère des dépenses inouïes au regard des ressources de ces ménages : Vanessa, une
autre jeune femme hébergée à l'
hôtel à Paris depuis son expulsion, raconte qu'
elle va chaque matin acheter
des chocolats chauds (1,40 euro chacun) chez McDonald'
s pour ses deux enfants. "Pour le dîner, nous
cherchons du chaud-mangeable-pas-cher" : "McDo" ou kebabs. Mariam explique, elle, que "quand elle n'
a
presque plus d'
argent, (elle) achète des conserves". Leur contenu est mangé froid, sur le lit, dans trois boîtes
en plastique.
Dans la salle de bains, une tablette, juste à côté des WC, accueille l'
essentiel pour le petit déjeuner des
enfants : un paquet de céréales, un pot de crème à tartiner et une boîte de lait en poudre - "si je l'
achète en
bouteille, le lait se gâte". Tandis que Mariam montre le linge qu'
elle lavera dans la baignoire - "la laverie est
trop loin et trop chère" -, son fils âgé de 3 ans, large sourire face au miroir, se brosse les dents pour la
troisième fois. "Mon petit milliardaire !", plaisante sa mère en reprenant un tube de dentifrice presque vide
des mains de l'
enfant.
Lorsqu'
elle est arrivée du Mali, en 1998, avec son mari français - dont elle s'
est séparée alors qu'
elle était
enceinte -, Mariam pesait 55 kg et rêvait de devenir hôtesse de l'
air. "Avec l'
hôtel, je suis devenue grosse. Et
je suis trop triste pour m'
habiller bien", dit la jeune femme, qui assure ne jamais perdre courage. "Je me bats
en tant que mère. Je veux que mes enfants fassent des études." L'
aîné, 5 ans, intervient : "Quand je serai
grand, je t'
achèterai une maison avec une piscine !" Mariam, comme Vanessa, a déposé en vain une demande
de logement social.
Vivre à l'
hôtel, c'
est vivre isolé. Les deux garçons de Mariam n'
ont jamais pu inviter de copains pour leurs
anniversaires. Pour jouer, Mariam les emmène au square. Dans la chambre, il ne faut pas faire de bruit. La
télévision occupe une grande place. "Je suis comme prisonnière ; dans mon coeur, je ne vis pas", dit-elle.
Certains savent aussi que l'
hôtel rend fou. Vanessa et son mari y avaient déjà vécu, entre 2004 et 2006. "Un
jour, j'
ai pété les plombs, confie cette femme de 27 ans, originaire de l'
île de la Dominique. J'
ai placardé des
affichettes partout. Un escroc nous a loué un appartement. Trois jours après, le vrai propriétaire nous a
39
demandé de partir." Au bout d'
un an de procédure, le 25 octobre, la famille expulsée s'
est retrouvée de
nouveau à l'
hôtel. "C'
est très dur pour les enfants, mais nous leur disons que l'
essentiel est d'
être ensemble."
L'
épreuve a fragilisé le couple. "Mon mari ne parle presque plus." Allocataire du RMI, le couple paie 190
euros à l'
hôtelier sur une facture totale de 2 000 euros. Serveuse la nuit, Vanessa a cessé de travailler afin,
dit-elle, de "trouver des solutions". Et ce mardi 30 octobre, elle pense enfin tenir sa chance : elle a signé, la
veille, un bail pour une maison avec un jardin, en province.
Emmanuelle Chevallereau
Document 21
Zoé et Zorro, le néo-bon et le néo-con
par Régis Debray, LE MONDE, 23.11.2007
Héroïquement seul(e) en scène. Sans frontières, et donc partout chez soi. Sauvant
les enfants et les peuples. Faisant fi des mesquineries légales - vernaculaires ou
onusiennes - parce que dépositaires de l'universel et oeuvrant au salut de
l'humanité.
Ce rêve d'
adolescent, vieux comme Narcisse, nos sociétés sénescentes s'
en étaient fait un idéal. C'
est le songe
immémorial du chevalier blanc. La geste humanitaire - la face dorée de la médaille - lui a redonné ardeur et
fierté. Elle a pour envers l'
intervention militaire, Afghanistan, Irak, Afrique ou ailleurs. Ce que Zoé
commence - mal, en l'
occurrence -, Zorro bientôt le termine, encore plus mal. C'
est ce qui arrive au Bien
toutes les fois qu'
il se regarde un peu trop dans la glace.
Excellent remède à la mélancolie, le narcissisme ne caractérise pas qu'
un stade normalement immature de
l'
évolution psychique. Nous avons élevé ce travers souvent pittoresque, qui mue nos politiques en rock stars,
à la hauteur d'
un évangile plus confusionnel qu'
oecuménique. Cette inclination à faire le bonheur des enfants
sans se préoccuper de leur état civil et celui des hommes sans se soucier de leur histoire, cette cécité
anthropologique rappellent ce qu'
Hubert Védrine nomme "occidentalisme".
L'
islam aussi a son égoïsme planétarisé, l'
islamisme. La conviction de détenir la solution de l'
énigme enfin
trouvée, qui avec la démocratie, qui avec la charia, provoque des démangeaisons d'
impérieuse charité. Si
l'
estime de soi est une condition du bonheur et de l'
action juste, sa caricature, la surestimation outrancière de
ses propres valeurs et sentiments débouchant sur l'
illusion de toute-puissance, est grosse de déconvenues. De
morts inutiles et de crises évitables.
L'
Arche de Zoé. Calembour ? Non, lapsus de néophyte, au sens propre. Pourquoi se scandaliser devant des
nouveaux convertis qui ont mis leurs actes en accord avec nos arrière-pensées ? Le vaisseau qui permet à
Noé d'
échapper à la punition divine, en recueillant pêle-mêle les enfants du bon Dieu, c'
est aussi l'
arche
sainte où reposent les Tables de la Loi. Save Darfour... N'
y a-t-il pas du sauveur dans le sauveteur, du
rédempteur dans le secouriste ? L'
action humanitaire ne serait pas devenue le point d'
honneur et de mire de
nos sociétés pourtant peu portées sur l'
épopée si elle n'
avait ranimé un vieux fond évangélisateur.
Pour le meilleur : une charité sans rivages. Et pour le pire : l'
insouciance de ce qui fait que l'
autre est un
autre, et non pas le faire-valoir de notre suréminence. "L'
investissement libidinal de soi, note le psy à propos
du narcissisme secondaire, se solde par un appauvrissement de l'
investissement d'
objet." En clair : le secouru,
on le préfère silencieux, et muet de reconnaissance. Un enfant, grand ou petit. Un être quelconque, sans
religion, sans langue, sans nationalité. Sans enveloppe ni milieu. Pathétiquement interchangeable.
Il y a parfois de la morgue dans la compassion. Disons de la suffisance, séquelle de ce qui fut jadis la
maladie du christianisme. Le Dieu unique n'
a jamais accepté de bon gré qu'
il y en ait d'
autres. La vérité est
une et l'
erreur multiple, c'
est bien connu. Il n'
est pas étonnant que les sans-coeur professent le pluralisme. On
peut vanter à la tribune l'
exception culturelle et simultanément marquer un mépris à peine poli pour la
justice, les coutumes et l'
opinion publique des Tchadiens. Nous ressentons comme une anomalie le fait que
nos ministres et présidents ne puissent aller et venir à leur convenance dans des pays d'
où nos reporters
peuvent par ailleurs nous rapporter à domicile des images bouleversantes. C'
est qu'
il n'
y a pas de frontières
pour le petit écran ni sur le Net. Le virtuel ignore l'
histoire et la géographie. Les retrouver dans le monde réel
choque nos bons sentiments et nos meilleurs esprits.
Problème technique. Hermès a fait à Narcisse un cadeau piégé : la sensation d'
ubiquité et le droit à
l'
immédiateté. De quoi alimenter le principe de plaisir du téléspectateur compassionnel. On s'
imagine
pouvoir agir comme on sent, en un instant, et mettre fin au malheur sans médiations ni détours. Le Narcisse
40
d'
antan avait le bon goût de rester chez soi, en tête à tête avec son écran-miroir. Celui d'
aujourd'
hui croit
pouvoir, avec ses prothèses et ses antennes, se faire prosélyte et interventionniste. Nos missionnaires en
soutane, au Vietnam, en Afrique, aux derniers siècles, étaient souvent de bons anthropologues :
lexicographes, géographes, traducteurs, ethnographes. C'
étaient des savants. Nos coloniaux du XIXe avaient
parfois et de leur côté une vraie connaissance du terrain. L'
altruiste impérial du moment, ou l'
expansionniste
autocentré, ne prend pas ces gants, et le néo-bon n'
a rien à envier, sur ce chapitre, au néo-con, humanitaire
botté et casqué mais peu doué pour les langues étrangères. A l'
heure où la France célèbre ses retrouvailles
avec l'
apôtre américain du nouvel évangile monolingue, qui ignore le dissemblable et peut s'
imaginer seul au
monde parce qu'
il a les moyens matériels de son illusion, il n'
est pas inutile de redonner à l'
exportateur
transatlantique du Bien son véritable profil.
Le néo-con est tout le contraire d'
un cynique : un idéaliste, et même un platonicien. Il va de l'
idée au fait. Il
juge l'
existant, lamentable, à l'
aune de la cité idéale, ouverte et concurrentielle, où les consciences, les
Eglises et les capitaux ont toute liberté d'
agir et d'
interagir. Ne supportant pas la distance entre ce qui devrait
être et ce qui est, ce généreux comminatoire, mi-prophète, mi-urgentiste, entend la combler au plus vite et
rendre le monde réel conforme à l'
idée.
Epris de solutions miracle et d'
avis tranchés, ne s'
embarrassant pas plus de cartes ni de chronologie que de
lentes approches, le néo-con est brouillé avec l'
histoire et la géographie, ces écoles de relativisme et
d'
indifférence. C'
est un idéologue né pour l'
éditorial, le sermon, l'
indignation et la mise en demeure. Le néocon est un internationaliste, qui veut refaire la carte du monde. Son idée pure, la démocratie, l'
équivalent
libéral de ce qu'
était jadis la révolution, est globale ou n'
est pas. Et les dérisoires réalités nationales, microarchaïsmes suspects, ne sont pas à la hauteur de ses vues panoramiques. Il fait dans le grandiose et le
continental : "le grand Moyen-Orient" ou le nouvel ordre international. C'
est très souvent, à ce titre, un
ancien trotskiste (ou, à défaut, en France, un maoïste), auquel répugnent depuis toujours les chauvinismes
petits-bourgeois. Le néo-con est un gauchiste venu à maturité, à qui l'
inversion du vent d'
est en vent d'
ouest a
fait cette faveur enviable : pouvoir retourner sa veste sans avoir à en changer. Mêmes insultes et même
tranchant.
Le néo-con est un dualiste de la première heure, comme l'
étaient les théologiens avant l'
invention du
purgatoire, compromis bâclé et pas très glorieux avec le péché ambiant. Il faut choisir son camp et il n'
ya
pas à ses yeux de troisième terme entre le Bien et le Mal. On est avec la démocratie ou avec la tyrannie.
Avec les droits de l'
homme ou avec l'
islamo-fascisme. Ce qui peut se qualifier de tiers monde, Etat ou parti
signale à ses yeux soit la coupable indulgence soit l'
idiot utile. Les velléités d'
indépendance européenne et la
désespérante pluralité des mondes forcent nos sentinelles ultra à un tour de guet sans repos - chacun à son
créneau médiatique - pour repérer de loin la hyène dactylographe. A rayer pour l'
heure du carnet d'
adresses,
et un jour de la carte.
Telle la barque de l'
amour sur la vie quotidienne, le vaisseau amiral d'
Occident s'
est brisé par mégarde sur les
récifs du Tigre et de l'
Euphrate. Il arrive en effet que le réel résiste au conte de fées. Puisque nous recueillons
sur nos côtes les naufragés de cette nostalgie pour de nouvelles aventures conjointes, en Perse ou ailleurs, le
principe de précaution exige qu'
on puisse le reconnaître de loin : un Juste peu judicieux, qui préfère la morale
au droit international, l'
émotion aux atlas, le 20 heures aux livres d'
histoire, et l'
image de soi à la réalité des
autres.
-------------------------------------------------------------------------------Régis Debray est écrivain et philosophe.
Document 22
Carré de Français sur la scène mondiale
LE MONDE, 27.09.2007
Dominique Strauss-Kahn devrait être élu, vendredi 28 septembre, directeur général du
Fonds monétaire international (FMI). L'ancien ministre de l'économie de Lionel Jospin
rejoindra le club très fréquenté des Français dirigeant une organisation internationale.
Pour ne citer que les plus prestigieux : Jean-Claude Trichet est président de la Banque
centrale européenne (BCE), Pascal Lamy directeur général de l'Organisation mondiale du commerce
(OMC), Jean Lemierre président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement
(BERD)...
41
La France n'
est pas une pasionaria de la mondialisation.
Mais elle est surreprésentée dans cet univers des institutions
internationales financières et économiques. Le FMI a 61 ans
et les Français y ont régné trente-deux ans (Pierre-Paul
Schweitzer de 1963 à 1973, Jacques de Larosière de 1978 à
1987, Michel Camdessus de 1987 à 2000). Jean-Claude
Paye a été secrétaire général de l'
Organisation de
coopération et de développement économiques (OCDE) de
1984 à 1996. Jacques Delors a présidé la Commission
européenne entre 1985 et 1995.
Existe-t-il un ADN français pour ce type de jobs ? MM.
Trichet (65 ans), Lemierre (56 ans), Strauss-Kahn (58 ans) et Lamy (60 ans) se fréquentent depuis des
années. Ils partagent un engagement européen certain, qui va au-delà, certains diront à l'
encontre, des intérêts
nationaux. Et une prédilection assumée pour un libéralisme social. Pour le reste, ils n'
ont pas grand-chose à
voir. Si M. Lamy et "DSK" ont tous deux leur carte du PS, le premier est ascétique et le second affiche son
goût de la bonne chère. M. Lemierre est aussi policé que M. Lamy parle clair. Le style professoral de M.
Trichet, adepte des graphes et des courbes, tranche avec les envolées lyriques de "DSK" sur la rente et le
capital...
Alors, quid de ce logiciel français ? "Nous n'
avons pas un QI plus élevé que les autres. Nous sommes
souvent moins bien formés à l'
économie. Nous ne sommes pas plus généreux, contrairement à la légende,
répond M. Camdessus. Mais les milieux dirigeants français ont un intérêt particulier pour les choses
internationales." L'
Europe, la BERD... : longtemps, la France a été apporteuse d'
idées, défendant
multilatéralisme et régulation.
Et contrairement au Royaume-Uni, avec qui elle partage une tradition internationale forte - un passé colonial,
un siège plein au FMI, une appartenance au G7 -, elle n'
apparaît pas comme un pays aligné sur les EtatsUnis. L'
atlantisme revendiqué de Nicolas Sarkozy n'
a pas encore terni cette image d'
un pays intermédiaire
entre le Nord est le Sud, "la part de l'
Occident la moins difficilement acceptable par les pays pauvres qui
suspectent le FMI d'
être aux mains des Américains", juge Xavier Musca, directeur du Trésor.
Autre particularité de la France, sa haute fonction publique. Des crânes d'
oeuf surdiplômés, avec une
ouverture internationale et une indépendance affichée par rapport au politique. MM. Trichet, Lemierre,
Camdessus, de Larosière ou Schweitzer ont tous fait l'
ENA - pour la plupart l'
inspection des finances - avant
d'
être directeur du Trésor. Une voie royale. En Allemagne ou en Espagne, les hauts fonctionnaires ont des
carrières plus politiques et plus régionales. En Angleterre, ils bifurquent plus souvent vers le privé.
Enfin, la France possède un vrai savoir-faire pour placer ses hommes à la tête des organisations
internationales. Des réseaux efficaces, un Quai d'
Orsay qui se démène. "Lorsque j'
ai fait campagne, j'
étais le
candidat européen. Les deux diplomaties les plus efficaces ont été l'
anglaise et la française", raconte M.
Lamy. Et quand on voit à quel point Paris peut désirer ces postes... "Nous y sommes assez attachés",
reconnaît Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'
Etat aux affaires européennes. La candidature "DSK", poussée par
Nicolas Sarkozy, est à cet égard symptomatique. La nomination de M. Trichet à la tête de la BCE, arrachée
par Jacques Chirac, a, elle aussi, relevé du "tour de force".
Cela dit, cette histoire d'
une France aux larges idées sur le devenir du monde et pourvoyeuse d'
hommes
providentiels vit ses derniers chapitres. "DSK" sera "probablement le dernier Européen à devenir directeur du
FMI dans un avenir prévisible", prédit Jean-Claude Juncker, président de l'
Eurogroupe. Le prochain
président de la BCE ou le successeur de M. Lamy à l'
OMC ne devraient pas être français. Et avec "DSK" au
FMI, les partenaires de la France vont vouloir la BERD.
Le discours de Dominique de Villepin devant le Conseil de sécurité des Nations unies contre l'
intervention
en Irak n'
a pas enrayé l'
appauvrissement de l'
identité française. Le modèle hexagonal se vend de moins en
moins bien. "Il y a aussi un effet G8 : l'
originalité de nos positions s'
est trop souvent effacée au sein d'
un
consensus mou", juge M. Camdessus. L'
adoption de l'
euro a aussi banalisé la France.
Qu'
importe, "notre identité se retrouve aujourd'
hui dans l'
identité européenne", juge M. Lamy. Au fil des
années, celle-ci est devenue primordiale. Sans elle, le patron de l'
OMC comme M. Trichet ne seraient pas là
où ils sont. Les positions de M. Lamy sur la politique agricole commune, lorsqu'
il était commissaire
européen chargé du commerce, lui ont valu les foudres de Jacques Chirac mais le soutien de nombreux pays
émergents dans sa course à l'
OMC. De même, si la croisade pour l'
euro fort de M. Trichet, ancien directeur
42
de cabinet d'
Edouard Balladur au ministère de l'
économie, a excédé l'
ex-président de la République, comme
elle exaspère aujourd'
hui M. Sarkozy, elle a rassuré les partenaires de la France.
Autre évolution qui mine l'
influence française : les pays émergents veulent plus de pouvoir au sein de ces
organisations qui décident en partie de leur avenir. Il y a déjà une Chinoise à la tête de l'
Organisation
mondiale de la santé (OMS) et un Chilien à celle de l'
Organisation internationale du travail (OIT). "La
décolonisation politique du système international n'
est pas encore faite, nuance M. Lamy, mais le système va
évoluer." D'
autant que ces postes prestigieux, qui ont longtemps été l'
affaire de hauts fonctionnaires,
reviennent aujourd'
hui à des politiques.
La nomination de "DSK" est, là encore, symptomatique. La crise asiatique de 1997-1998 a signé la fin du
règne technocrate au FMI. Le cliché du président indonésien Suharto contraint, pour obtenir un prêt de 30
milliards de dollars, de signer ses lettres d'
intention sous le regard hautain de M. Camdessus, a fait le tour du
monde. "Les hommes politiques peuvent apporter une dimension de compréhension et d'
empathie", juge M.
Lemierre.
A l'
OCDE et à Bruxelles aussi, ils ont pris le pouvoir. "Ces postes attirent les hommes politiques. C'
est plutôt
une bonne chose pour la légitimité et l'
efficacité de ces organisations", juge Pierre Duquesne, administrateur
pour la France du FMI et de la Banque mondiale.
Pour Jean-Philippe Cotis, chef économiste à l'
OCDE, "le mouvement peut se rééquilibrer au profit des
fonctionnaires". Sauf que la haute administration a changé. La place de l'
Etat a rétréci. Nombre d'
inspecteurs
des finances choisissent le privé, et le vivier s'
assèche. "Le pool dans lequel on peut piocher se réduit", note
M. Lamy, pour qui "le modèle de recrutement des organisations internationales va évoluer vers quelque
chose de moins diplomatique, de plus professionnel. Comme dans les entreprises".
Virginie Malingre
Document 23
"Vous parlez français ? - Neen."
LE MONDE, 17.11.2007 - HAL envoyée spéciale Marion Van Renterghem
Quand le train de banlieue s'ébranle en direction de Hal ("Halle" en flamand), quelques
tags défilent sur les murs de la gare de Bruxelles-Midi, tels des SOS solitaires dans une
Belgique au bord de l'explosion : "Soyons différents, restons unis." La belle affaire ! A Hal,
jolie ville de 35 000 habitants située en Flandre, juste à la frontière linguistique et dans
cette fameuse périphérie de Bruxelles que les Belges appellent "BHV" (Bruxelles-Hal-Vilvorde), le
conseil communal a mis les points sur les "i" : tout écriteau en français est prié de disparaître de la
voie publique.
Des entreprises de travaux communaux affichaient leurs panneaux en deux langues, français et néerlandais,
voire en français tout court. "Déviation" au lieu de "Omlegging", par exemple. Un réflexe naturel dans cette
banlieue flamande de Bruxelles, officiellement néerlandophone, mais bilingue de fait, et peuplée d'
au moins
15 % de francophones.
Hal ne fait pas partie des six "communes à facilités" de la périphérie bruxelloise, situées en Flandre et tenues
d'
accorder des facilités linguistiques aux minorités francophones. "Ces panneaux en français nous valaient
des réactions de mécontentement", explique Dirk Pieters, bourgmestre (maire) de la ville. En septembre, le
conseil municipal a décidé à l'
unanimité de remplacer chaque inscription en français par un panneau en
néerlandais.
Demandez en français le bureau du bourgmestre, à la maison communale de Hal. La dame de l'
accueil vous
répond longuement en flamand, à renfort de grands gestes inutiles. "Vous ne parlez pas français ?", s'
étonnet-on. "Neen" (non). On insiste : "Vous ne parlez pas français, ou vous n'
avez pas le droit de le parler ?" Une
longue phrase en flamand, des gestes.
Le bourgmestre vient à sa rescousse, cordial, dans un français parfait. "Théoriquement elle n'
a pas le droit, en
effet." Il rappelle la loi belge dite "sur l'
usage des langues" : dans l'
administration et les bâtiments publics, on
parle néerlandais en Flandre, français en Wallonie, les deux à Bruxelles, et enfin allemand dans la région
située à l'
est du pays. La décision de retirer les inscriptions en français, explique-t-il comme à regret, n'
est
donc "qu'
une simple application du droit".
A Hal, l'
application du droit se visite. Promenez-vous dans cette ville pleine de commerces où adorent flâner
Bruxellois et Wallons voisins. Vous ne verrez plus un mot de français : la mairie a recommandé aux
commerçants de supprimer cela de leurs vitrines. Douce "recommandation" qui, non suivie, leur vaudrait tout
de même 250 euros d'
amende. On ne verra donc plus "soldes", mais seulement "solden" ou... "sales", puisque
43
certains esprits malicieux feignent d'
avoir compris que le mot anglais n'
était, lui, pas interdit. C'
est le cas de
Serge Hulsmans, un commerçant à la double origine néerlandophone et francophone : "Cette démarche est
ridicule. Près de la moitié de mes clients sont francophones."
Franchissez maintenant le seuil de l'
Athénée royal de Hal, établissement scolaire public - donc flamand.
Dans la cour de récréation, celui qui s'
avise de parler français à son copain est puni. Comme un quart des
élèves sont francophones, les punitions tombent tous les jours : elles consistent à faire des exercices de
néerlandais, à nettoyer la cour ou à aider les plus petits à la cantine. Quant aux nombreux parents
francophones qui préfèrent envoyer leurs enfants à l'
école flamande, afin de les rendre bilingues et parce que
le niveau des écoles flamandes est réputé meilleur, qu'
ils n'
espèrent pas un tête-à-tête en français avec un
professeur. Tant pis pour ceux qui, marocains, cambodgiens, français ou belges maîtrisant mal le néerlandais,
ne peuvent pas comprendre les difficultés de leur enfant : les professeurs n'
ont pas le droit de s'
adresser à eux
en français.
Dans l'
établissement, cette question est un sujet de débat infini : peut-on s'
autoriser, dans certains cas, une
entorse à la règle ? La directrice de L'
Athénée, Patricia Van Eekenrode, se veut ouverte. "Je dis aux
professeurs : mieux vaut parler néerlandais, mais soyez souples. Le message est plus important que la langue
utilisée." Plus intransigeant, le secrétaire de la "Middenschool", Dirk Uytterschout, a hésité longtemps avant
de daigner nous répondre en français. "On est obligé d'
être strict. Ici, c'
est toujours une lutte pour ne pas voir
disparaître notre langue. Et si trop d'
élèves parlent mal néerlandais, le niveau de l'
école flamande baisse
fatalement." Une mère francophone a retiré son fils de l'
établissement. Et traité la directrice de "raciste
linguistique".
Côté flamand, l'
application du droit se radicalise à l'
extrême. En particulier dans cet arrondissement bizarre
qu'
est BHV, noeud stratégique des tensions actuelles. Bruxelles s'
étend, jusqu'
à se confondre dans la
couronne de communes flamandes qui l'
entoure. Majoritaires en Belgique (60 %), les néerlandophones sont
très minoritaires à Bruxelles (20 %). Les nombreux habitants de la capitale qui viennent s'
installer en
banlieue importent avec eux ce que les Flamands voient comme une menace : la langue française. Un poids
lourd face au néerlandais, soutenu par seulement 16 millions d'
habitants aux Pays-Bas, 6 millions en Flandre
et 150 000 à Bruxelles (sans compter les quelques milliers de néerlandophones du nord de la France).
Les Flamands en ont marre. Même le roi des Belges, qui est aussi le leur, ne parle qu'
approximativement leur
langue, pourtant officielle dans le pays. Les hommes politiques flamands savent tous s'
exprimer en français,
alors que la plupart de leurs homologues francophones ne se risquent pas au néerlandais. En Flandre,
l'
apprentissage du français est obligatoire en première langue alors que les élèves wallons ont, eux, le choix
entre l'
anglais et le néerlandais. Les Flamands trouvent normal de parler français en Wallonie, les Wallons
font rarement l'
effort en Flandre. Dans la périphérie bruxelloise, s'
indigne Mark de Mesmaeker, échevin
(adjoint au maire) de Hal, " les services d'
urgences médicales sont francophones. Les médecins ne savent pas
interroger les Flamands dans leur langue. L'
autre jour, une femme est morte parce que les ambulanciers sont
arrivés trop tard : au téléphone, ils ne comprenaient pas l'
adresse en néerlandais."
La frustration linguistique est déterminante dans les derniers coups de force des politiques flamands et dans
la crise qui place la Belgique, depuis plus de cinq mois, sans gouvernement fédéral. Elle s'
ajoute au
sentiment de revanche, déjà ancien, d'
une Flandre devenue économiquement supérieure à la Wallonie. En
jouant sur les susceptibilités et les symboles, les politiques font monter la fièvre. Les habitants ne se
retrouvent pas dans ces batailles. Fatiguée par les interdits, Sandra Zalamema, francophone, a retiré ses
enfants de l'
école flamande et ne veut plus faire ses courses à Hal. "Je suis fâchée."
La moitié des Flamands ne soutiennent pas la séparation de la Belgique. Mais tous critiquent ceux, parmi les
francophones, qui se comportent chez eux en terrain conquis. Et revendiquent "un peu de respect pour notre
langue".
Raoul, un menuisier francophone de Hal, n'
est pas seul à le comprendre : "Ils sont chez eux, je suis chez eux.
La langue officielle est le néerlandais. La parler est bien la moindre des politesses !" Attablé dans le même
bistrot, Kris, néerlandophone, l'
approuve. "Pourquoi devons-nous toujours faire l'
effort de parler français
chez nous ? Je sais faire la différence : à un Français, à un Marocain, je réponds toujours volontiers en
français. A un Belge, je parle en néerlandais. Et s'
il me dit qu'
il ne comprend pas ma langue, je lui dis : "Eh
bien, je vais vous aider à l'
apprendre.""
Document 24
Analyse
Pourquoi le client n'est plus roi
LE MONDE, 01.11.2007
44
Qu'y a-t-il de commun entre un artisan plombier qui pose un lapin à un client potentiel sans même se
décommander et le comportement des opérateurs de télévision par câble ou Internet dont les pratiques
commerciales exaspèrent les abonnés ? Pas grand-chose, sauf, du point de vue du consommateur, une
constatation de plus en plus répandue : le vieux proverbe du commerce "Le client est roi" n'est plus
qu'un souvenir.
Certes, les professionnels aimables et consciencieux, les entreprises dont les tarifs rémunèrent la qualité, les
services publics dévoués existent toujours. Mais, de plus en plus souvent, le consommateur doit faire face à
des attentes interminables, des engagements non respectés, une conscience professionnelle en perdition,
tandis que le moindre service autrefois gratuit devient payant.
Des phénomènes, parfois sans rapport les uns avec les autres, convergent pour créer ce sentiment de malaise.
Du côté des petites entreprises, les artisans sont souvent débordés, parce qu'
ils ne trouvent pas de personnel
qualifié dans leurs professions ou sont réticents à embaucher. Quant aux grandes entreprises et aux services
publics, l'
usager est victime, en bout de chaîne, des nouvelles exigences - très élevées - de rentabilité des
entreprises privées, tandis que le public s'
aligne peu à peu sur les règles du privé. Recherche constante de
gains de productivité, réductions de personnel, économies plus ou moins dissimulées sur la qualité du service
rendu en découlent.
La nouvelle organisation de la SNCF illustre cette évolution. De la grille tarifaire entrée en vigueur le 7
octobre, destinée à remplir encore plus les trains, l'
usager retient surtout complications et rigidités
supplémentaires (malgré une présentation plus claire sur Internet), avec pour seule contrepartie des baisses
de tarifs légères, et très hypothétiques.
De même, la SNCF (public) ou Air France (privé) présentent comme un progrès l'
automatisation de la
billetterie et la généralisation du recours à Internet. C'
est en partie vrai. Mais il s'
agit surtout de transférer sur
le client des tâches autrefois effectuées par un personnel de plus en plus restreint. La RATP suit le même
chemin. Et tant pis pour les usagers, en particulier du troisième âge - pourtant de plus en plus nombreux -,
inquiets, mal à l'
aise avec les automates ou handicapés par des difficultés physiques. Sans parler de la
généralisation des désormais fameux "Tapez 1..." au bout du téléphone.
Dans un tout autre registre, chacun constate que l'
attachement au travail bien fait semble une valeur en perte
de vitesse. Le glissement du centre de gravité des préoccupations vers le temps libre, la sphère privée et
familiale, est en partie une réalité. Mais le manque d'
investissement professionnel reflète souvent une révolte
sourde, non dite, contre la dégradation des conditions de vie au travail, mise en lumière par l'
augmentation
des problèmes de stress professionnel. Dans le même temps, le creusement des inégalités, les exemples
d'
enrichissement sans scrupule et "en dormant", comme disait François Mitterrand, n'
arrangent rien. Nicolas
Sarkozy, qui articule autour de l'
argent son message sur la réhabilitation de la "valeur-travail", pourrait
souhaiter également que le travail du plus grand nombre rime aussi avec humanité et épanouissement.
De leur côté, les consommateurs ne sont pas exempts de contradictions : toujours les premiers à demander
des prix moins élevés, ils font peser sur les entreprises une pression à la baisse qui se répercute sur la qualité
et les rémunérations. Mais cela ne justifie pas les carences de la protection des consommateurs en France. Un
particulier en litige avec une entreprise ou un commerçant de mauvaise volonté sait qu'
il a, en gros, le choix
entre deux attitudes : supporter son préjudice, ou se lancer dans des procédures longues, incertaines et
coûteuses.
La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) du
ministère des finances n'
a ni les prérogatives ni les moyens humains pour jouer un rôle de police économique
de proximité. Et personne ne le fait à sa place. Les organisations de consommateurs crient souvent dans le
désert. Même si, à force d'
obstination, elles parviennent parfois à arracher quelques concessions, comme
pour les conditions contractuelles des opérateurs de téléphonie mobile.
Les pouvoirs publics se montrent en effet très timides face aux puissants lobbies qui refusent des droits
accrus aux consommateurs. En janvier, un projet de loi autorisant les actions collectives devant les tribunaux,
promis par le président Jacques Chirac depuis... 2005, était enfin inscrit à l'
ordre du jour des députés. Il a été
retiré in extremis. Du côté du Medef, le message est d'
ailleurs clair. En juillet 2006, Laurence Parisot, la
présidente de l'
organisation patronale, affirmait que l'
introduction d'
une telle procédure serait "un coup assez
dur porté aux entreprises". Un an après, elle soutenait que "penser la politique économique en mettant le
consommateur au centre" avait conduit à "l'
impasse". Certes, Mme Parisot se préoccupe de développer une
45
politique de l'
offre, autrement dit de stimuler la production nationale, pour faire reculer la part des
importations dans la consommation. Ce qui, en soi, n'
est pas critiquable. Mais il est symptomatique qu'
elle
présente la prise en compte de l'
intérêt du consommateur comme un frein à une telle politique.
Au niveau européen, l'
Union fait de la défense du consommateur l'
un de ses chevaux de bataille. De fait, elle
accomplit un travail utile quand, par exemple, elle impose aux activités économiques le respect de normes
environnementales. Mais, par ailleurs, elle semble souvent prendre le problème à l'
envers : intransigeante sur
des points de détail, elle peut imprimer des grandes orientations qui paraissent étrangères aux intérêts des
usagers. Ainsi l'
ouverture du marché de l'
électricité aux particuliers, imposée par Bruxelles et mise en oeuvre
selon des modalités aberrantes, se traduit-elle par un fiasco, signe d'
un véritable boycott de la part des
consommateurs. Friand de chantiers susceptibles de montrer à une opinion désabusée que le politique est de
retour, M. Sarkozy a, sur tous ces terrains, une large palette de possibilités pour réduire la morosité publique.
Et rendre un début de sourire à des citoyens aux prises avec une vie quotidienne que les nouvelles
technologies devraient aider à simplifier, et qui est en fait de plus en plus compliquée. Le projet de loi sur la
consommation adopté en conseil des ministres mercredi 31 octobre n'
est qu'
un premier petit pas.
Jean-Louis Andreani
Document 25
Les constructeurs français en butte à des difficultés en Iran
LE MONDE, 21.11.2007
Les constructeurs automobiles français sont-ils victimes des tensions diplomatiques entre
l'Iran et la France ? Alors que Renault accuse des
retards dans la montée en cadence de la production de
Logan dans le pays, le constructeur iranien, Iran
Khodro, a déclaré, mardi 20 novembre, qu'il
envisageait d'engager des poursuites contre Peugeot,
son partenaire industriel. L'affaire remonte à
décembre 2006, lorsque la police iranienne avait
constaté que des centaines de 405 avaient pris feu sans
raison apparente.
Selon Manouchehr Manteghi, directeur d'
Iran Khodro, les
pièces fournies par Peugeot dans le passé présentaient des
défauts techniques. Plus grave, le patron du constructeur iranien, s'
exprimant sur le site Internet de la
télévision d'
Etat, accuse le groupe français "d'
avoir infligé des dommages financiers à IranKhodro et entaché
(sa) réputation".
Au siège de PSA Peugeot-Citroën, à Paris, c'
est la stupéfaction. "Les 405 ont été produites jusqu'
en 1997 à
plus de deux millions d'
exemplaires et nous n'
avons jamais rencontré de problèmes tels que ceux constatés en
Iran", indique le constructeur. Tout en reconnaissant que des Peugeot 405 ont bien pris feu en Iran, le groupe
n'
hésite pas à rejeter la responsabilité sur son partenaire. PSA rappelle qu'
il n'
a pas d'
implantation industrielle
en Iran. "Ces 405 sont fabriquées sous licence avec Iran Khodro avec un taux d'
intégration des pièces locale
de 95 %. A ce titre, il est responsable de la qualité des pièces fabriquées en Iran", souligne le constructeur
français.
Pour la marque au lion, ces incendies sont dûs à des changements techniques apportés à la 405 par Iran
Khodro. Ce dernier ne l'
aurait pas informé de ces modifications et n'
aurait donc pas obtenu son feu vert pour
les réaliser. A la suite des nombreux incendies, Iran Khodro a mené plusieurs campagnes de rappel et
demandé une assistance technique à Peugeot. "C'
est là que nous nous sommes aperçus que les pièces
n'
étaient pas conformes à notre cahier des charges", insiste PSA.
La présence de PSA en Iran est importante en terme de volume de vente, mais reste marginale sur le plan du
chiffre d'
affaires puisqu'
il s'
agit d'
un accord de licence. En 2006, il s'
est vendu 221 000 Peugeot 405 et 206 et
11 600 Citroën Xantia en Iran, mais ce pays n'
a représenté qu'
environ 1 % du chiffre d'
affaires de la division
automobile, soit environ 450 millions d'
euros. Christian Streiff, patron de PSA, s'
est toujours montré très
prudent sur l'
Iran. "Compte tenu de la situation politique, nous ne voulons pas engager des sommes
considérables", a-t-il déclaré en mai. Le groupe s'
assure des garanties de paiement d'
Iran Khodro et stoppe
les livraisons quand elles ne sont pas assurées.
46
PSA n'
est pas le seul à connaître des soucis en Iran. Renault a connu des retards de fabrication de sa voiture à
bas coût, la Logan. Baptisée Tondar ("tonnerre" en persan), elle est assemblée chez Iran Khodro et Saïpa, les
deux partenaires de Renault avec lesquels il a créé une co-entreprise. La montée en cadence a été plus lente
que prévu, avait reconnu il y a quelques semaines Patrick Pélata, directeur général adjoint de Renault. Faute
de financements pour acheter les matières premières et les machines outils, certains sous-traitants ont eu des
difficultés à alimenter les usines en pièces détachées. L'
Iran connaît un énorme problème de liquidité mais la
nomination d'
un nouveau gouverneur de la banque centrale début septembre devrait permettre de donner une
autre orientation de la politique monétaire.
Chez Renault, on assure aujourd'
hui que les soucis liés à la production "sont derrière". Actuellement, 600
Logan sortent des chaînes de montage chaque semaine. Un chiffre qui devrait passer à 1 000 à la fin du mois.
"Les 89 000 clients à avoir prépayé leur Logan auront tous été livrés en mars 2008", assure Renault.
Dans ce pays il compte vendre entre 200 000 et 250 000 voitures fin 2009. Surtout, sa présence en Iran
conditionne le succès du plan Renault Contrat 2009 : vendre 800 000 véhicules supplémentaires par rapport à
2005. Renault a investi 300 millions d'
euros dans le pays et un boycott de sa Logan serait catastrophique.
Mi-septembre, les déclarations de Bernard Kouchner, le ministre des affaires étrangères, invitant les
entreprises françaises à ne plus investir en Iran avait été très mal perçu dans le pays. "Si les Français ne
restent pas en Iran, les Coréens déjà très actifs et les Chinois prendront leur place et il deviendra très difficile
pour les Français de revenir", prévient un observateur. Avertissement ou simple ouverture du marché
automobile ? Iran Khodro a récemment signé un accord avec le constructeur chinois Chery pour fabriquer, à
l'
horizon 2009, une voiture dont les dimensions sont celles de la Logan.
Nathalie Brafman
L’IRAN EN CHIFFRES
POPULATION :
68, 8 millions d'
habitants
PRODUIT NATIONAL BRUT :
187,4 milliards de dollars (2 770 dollars par habitant).
PRODUCTION ÉNERGÉTIQUE :
l'
Iran produit 3,9 millions de barils de pétrole par jour. Ses réserves pétrolières s'
élèvent à 132 milliards de barils et ses
réserves de gaz à 27 580 milliards de m3. L'
Iran occupe le deuxième rang mondial.
PRINCIPAUX PAYS FOURNISSEURS EN 2006 :
l'
Allemagne (13,9 %), les Emirats (8,4 %), la Chine (8,3 %). La France arrive en 5e position avec 6,3 % du total. Elle se
situait à la 6e place pour les exportations iraniennes (4,4 %) contre 16,9 % pour le Japon.
Document 26
Editorial
Une réussite française
LE MONDE, 09.06.2007
Le train change la vie. Il change la géographie. Il change la France, et l'
ouvre à l'
Europe. Le
TGV Est vient heureusement compléter la modernisation engagée il y a trente ans du réseau ferré
national vers Lyon et le Sud, puis le Nord, puis l'
Ouest et le Sud-Ouest. La Champagne, la
Lorraine et l'
Alsace vont à leur tour profiter des voyages à 320 km/h.
Le TGV est une réussite française. Construction centralisatrice, elle rapproche la province de Paris.
Construction en étoile à partir de la capitale. Construction issue des "grands programmes" des années 1970,
elle a mobilisé une grande entreprise nationalisée, la SNCF, et des géants privés comme Alstom. A l'
heure où
le modèle français est en échec sur de nombreux sujets, à commencer par le chômage, les Français peuvent
parler avec fierté de leur TGV. Il les fait d'
ailleurs rêver : Strasbourg à 2 h 20 de Paris, Marseille à 3 heures...
La grande vitesse est un grand luxe à la portée de tous. Elle restructure au passage les lieux de vie et de
travail, contribuant à revivifier des régions en difficulté. Pour l'
Est, souffrant des crises de la vieille industrie,
cette arrivée est bienvenue.
Comme celui qui conduit vers la Belgique et celui qui, passant sous la Manche, attache la Grande-Bretagne
au continent, le TGV Est rapproche la France de son grand ami allemand. Francfort est à 3 h 50 et, au-delà,
Stuttgart et Munich. Connexion est faite avec l'
ICE, le train à grande vitesse germanique, et d'
ailleurs les
47
deux types de machine cohabiteront, en saine concurrence comme le veut le modèle européen. Le train est un
outil efficace de cette Europe des citoyens, de cette "Europe par la preuve" qu'
il est si urgent de promouvoir
aujourd'
hui.
Le TGV est aussi, en ces temps chauds, un formidable économiseur de CO2. Il émet cinquante fois moins de
gaz à effet de serre qu'
une voiture et soixante-dix fois moins que l'
avion, sur un voyage Paris-Strasbourg.
Tous ces avantages ne doivent pas faire croire au miracle. Le train à grande vitesse ne suffit pas à lui seul à
redonner un avenir à des bassins d'
emploi malades. Le TGV, outil moderne, peut accentuer au contraire les
inégalités géographiques et économiques.
On l'
observe simplement sur les tarifs, nettement augmentés. La vitesse se paie, plaide la SNCF, qui ajoute
avoir mis en place toute une panoplie de types de billets pour que chacun puisse, sous conditions, profiter de
ce train. Mais il n'
empêche qu'
en moyenne le tarif va grimper de 25 %.
Une autre fracture est ouverte par les nouveaux rails : celle entre le TGV et tous les autres trains régionaux et
périurbains. La SNCF a deux vitesses, la France ferroviaire aussi, trop souvent encore malgré les efforts
consentis ces dernières années.
Dans les pas du Sarko mobile, par Jean-Michel Dumay
LE MONDE, 10.11.2007
Sur l'air du Furet, il serait possible de fredonner
chaque matin qu'il court, il court le Sarko. Il est passé
par ici, il repassera par là. Dimanche au Tchad, mardi
à Guilvinec, mercredi à Washington, jeudi à Paris.
Tout cela donne le tournis. Il court, il court... Ce
mouvement quasi brownien, cette hyperactivité
présidentielle, cette faculté d'être ici puis ailleurs, sur
telle thématique puis sur telle autre, fait de Nicolas
Sarkozy un archétype du sujet hypermoderne. Sa
surmobilité surtout.
Depuis deux siècles - l'
aube de la révolution industrielle -, le monde est exponentiellement saisi d'
un tel
mouvement. Sous l'
oeil d'
un "macroscope" (le mot avait été inventé par Joël de Rosnay), il apparaîtrait tout
traversé de particules agitées, grouillantes, imprévisibles. Brownien, donc.
Les mobilités - des biens, des personnes, des entreprises - sont une marque des temps. Elles ne sont pas que
la somme des déplacements physiques, mais la composante d'
une pensée nouvelle qui imprime un nouveau
rapport social au changement de lieu. Elles peuvent être virtuelles. Elles vont de pair avec la contraction du
temps, la dilatation des territoires, la généralisation du mouvement. Elles s'
arriment au culte de la vitesse, à
l'
accélération du changement. Elles signent la fin des routines, la multiplicité des choix, le primat de
l'
incertain.
L'
aventure humaine a quelques millénaires, mais le feuilleton a soudain changé de rythme et s'
est emballé.
Alors que tout paraissait traîner d'
une langueur monotone, en deux cents ans, le produit intérieur brut de la
planète a crû de 5 000 %, la population de 500 %. En cinquante ans, le nombre de véhicules en circulation
dans le monde est passé de 50 à 800 millions, le trafic aérien a été multiplié par 50. Plus ancien, le ferroviaire
a doublé. Dans le même temps, l'
usage du téléphone s'
est envolé, la télévision, puis Internet sont nés.
Portées par la mondialisation des échanges et des systèmes de production, les mobilités ont transformé
l'
individu et le lien social, ainsi que les espaces urbains. L'
actualité en surligne incessamment la face sombre
: bruits, pollution de l'
air, embouteillages, paysages défigurés..., mais aussi migrations contraintes,
notamment des exclus.
Lors d'
un colloque organisé en 2003 par l'
Institut de la ville en mouvement (IVM), le sociologue Danilo
Martuccelli avait aussi relevé l'
impact de la mobilité généralisée sur le prestige social, dont elle serait
devenue l'
un des indicateurs. Par sa surmobilité, l'
individu hypermoderne, comme le Sarko mobile, réaliserait
"un fantasme d'
ubiquité", confinant à la toute-puissance. "Dans un univers où l'
espace cesse en quelque sorte
d'
être une limite incontournable à l'
action et à la communication, le signe majeur de reconnaissance, sous
l'
emprise de la mobilité généralisée, devient la coprésence physique."
48
Dans un monde où l'
accès à distance s'
est banalisé, c'
est un peu comme si l'
on signifiait : si je viens te voir,
c'
est que cela est important. La mobilité crée donc de la valeur. Et à la Bourse des comportements, la
rencontre en face-à-face a sa surcote. Certains, à la mobilité aisée, sont plus riches que les autres. Et certains
autres, sensibles aux inégalités, s'
en inquiètent.
Dans une véritable ode aux mobilités (Mobilités et vie contemporaine, Champs social éditions, 10 euros),
dont il estime qu'
elles "doivent être connexes d'
une mondialisation intelligente", Emile Malet, directeur de la
revue Passages, plaide pour faire d'
elles "un nouveau droit universel" : car "la mobilité, écrit-il, est devenue
un bien public, quasiment un besoin corporel, une conquête de liberté et un signe d'
espérance". On ajoutera :
parce qu'
elle est aussi la condition de l'
exercice d'
autres droits - l'
accessibilité au logement, au travail, à
l'
éducation ou à la santé.
Document 27
Energie nucléaire : la France au premier rang
LE MONDE, 25.05.2007
Le ministre de l'
écologie, du développement et de l'
aménagement durables, Alain Juppé, a
confirmé le lancement du programme EPR, réacteur nucléaire de troisième génération dont la
tête de série est en cours de construction à Flamanville (Manche), et la poursuite de la recherche
sur la quatrième génération de réacteurs. Tout en se déclarant hostile au "tout nucléaire" et favorable aux
renouvelables (éolien, solaire, biomasse...) et aux économies d'
énergie, il juge qu'
"il n'
y a pas de solution
dans les années qui viennent sans poursuite de l'
équipement de la France en centrales électronucléaires".
Quelle est l'importance du nucléaire en France ?
Le parc nucléaire d'
EDF compte 58 réacteurs, ce qui place la France en deuxième position, derrière les EtatsUnis et devant le Japon et la Russie. En revanche, elle occupe la première place - et de loin - pour la part
d'
électricité d'
origine nucléaire : avec 63 000 mégawatts de puissance installée, ces réacteurs assurent 79 %
de sa consommation. Dans le monde, la proportion d'
électronucléaire est de 16 % et la part du nucléaire dans
la consommation d'
énergie primaire de 7 % seulement. Très loin derrière le pétrole (41 %), le gaz et le
charbon (chacun 21 %) et toutes les énergies renouvelables (10 %).
Pourquoi la France a-t-elle fait le choix du "tout nucléaire" ?
Dès 1958, le général de Gaulle veut développer le nucléaire civil. La société Framatome (Franco-américaine
de constructions atomiques) est créée par Schneider, Empain, Merlin-Gerin et l'
américain Westinghouse. En
1970, EDF lance un appel d'
offres pour la construction de six chaudières nucléaires pour ses centrales de 900
MW de Fessenheim et Bugey. Framatome remporte le contrat grâce à sa technologie des réacteurs à eau
pressurisée utilisant de l'
uranium enrichi.
Le premier choc pétrolier, en 1973, va décider le premier ministre Pierre Messmer à lancer un programme
plus ambitieux. A l'
époque, 68 % de l'
électricité est produite par des centrales au fioul. Il faut réduire à tout
prix la dépendance énergétique de la France, qui importe alors plus de 75 % de son énergie (50 %
aujourd'
hui). L'
envolée des cours de l'
or noir va rendre la filière électronucléaire compétitive. En 1974, EDF
commande à Framatome 18 chaudières de 900 MW : pour la première fois au monde, on construit en série
des réacteurs identiques, entraînant des économies d'
échelle et une amélioration des performances. Suivront
10 tranches en 1976, puis 20 nouveaux réacteurs en 1978. En 1999, le dernier réacteur de la centrale de
Civaux (1 450 MW) est connecté au réseau.
Au départ, alors que la demande d'
électricité explosait, le programme nucléaire prévoyait la livraison d'
une
centaine de réacteurs et la construction de Superphénix, un surgénérateur (réacteur à neutrons rapides)
capable de produire plus de courant en utilisant moins d'
uranium. Lionel Jospin décide en 1997 la fermeture
de ce surgénérateur installé à Creys-Malville (Isère) et qui est en fait arrêté depuis dix ans.
Quelle est la durée de vie d'une centrale ?
49
La deuxième génération est prévue pour durer quarante ans. "D'
importants travaux sont consacrés à l'
étude
du vieillissement des installations; ils visent notamment à démontrer l'
acceptabilité d'
une durée de vie de
cinquante, voire soixante ans, pour les composants non remplaçables, la cuve du réacteur en premier lieu",
rappelle Bernard Dupraz, le patron des centrales chez EDF. Ils permettraient d'
étaler l'
investissement dans la
troisième génération. Aux Etats-Unis, les autorités ont accepté la prolongation de quarante à soixante ans de
l'
exploitation des réacteurs. En France, l'
Autorité de sûreté nucléaire (ASN) peut autoriser une prolongation
de dix ans seulement.
Qu'est-ce que la "troisième génération" ?
La première génération a été développée dans les années 1950-1960 (filière graphite-gaz), la deuxième dans
les années 1970-1990 (eau pressurisée). Lancées en 1992, les études sur la troisième générationont débouché
sur l'
EPR (European Pressurized Water Reactor), réacteurs en cours de construction en Finlande et à
Flamanville (Manche). L'
EPR n'
est pas un saut technologique fondamental, mais le fruit du mariage des
derniers-nés de la génération 2 exploités en France et en Allemagne, expliquent ses concepteurs. Plus
puissants, d'
une durée de vie plus longue, moins gourmands en uranium, ils fonctionneront jusqu'
à la fin du
XXIe siècle.
L'EPR est-il plus sûr ?
Pour ses concepteurs, cela ne fait aucun doute. "L'
EPR tient compte de la philosophie de sûreté de l'
aprèsTchernobyl, qui jugeait inacceptable tout relâchement de radioactivité dans l'
atmosphère", souligne Bertrand
Barré, ex-directeur des réacteurs nucléaires du CEA, aujourd'
hui conseiller d'
Areva. "En cas de fonte du
cœur, tout a été prévu, selon lui, pour que l'
hydrogène dégagé brûle avant d'
exploser. La résistance de
l'
enceinte de confinement a été calculée pour résister aux températures et aux pressions liées à la combustion
de l'
hydrogène. Un récupérateur permettrait de recevoir le corium." Les écologistes contestent cet optimisme
en s'
appuyant sur l'
expertise du scientifique britannique John Large. Dans une étude commandée par
Greenpeace, celui-ci juge que le risque est systématiquement sous-estimé et note deux pointsimportants :
l'
EPR est plus puissant que les réacteurs actuels et peut fonctionner au Mox, combustible combinant uranium
et plutonium, qui est plus radioactif. En cas d'
accident et de rejet d'
éléments radioactifs dans l'
atmosphère,
comme à Tchernobyl, les conséquences sanitaires et environnementales seraient plus dramatiques.
Qu'est-ce que la 4e génération ?
Les centrales nucléaires de 4e génération, qui devraient entrer en fonctionnement vers 2040, seront des
réacteurs à neutrons rapides, capables de brûler non seulement l'
uranium fissile (U 235), qui ne représente
que 0,7% de l'
uranium naturel, mais aussi l'
uranium non fissile, en le convertissant en plutonium qui, lui, est
fissile. Les réserves d'
uranium assureraient ainsi plusieurs milliers d'
années de fonctionnement du parc
nucléaire français, contre 250 années avec les centrales actuelles.
La France a choisi de concentrer ses recherches sur un réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium (RNRNa) – comme l'
étaient déjà Phénix et Superphénix –, dont un prototype pourrait être opérationnel en 2020.
Elle étudie aussi, dans le cadre d'
un partenariat européen, un réacteur à neutrons rapides refroidi au gaz
(RNR-G), en l'
occurrence l'
hélium.
L'
un des atouts majeurs de ces nouveaux systèmes sera d'
incinérer une partie de leurs déchets : les actinides
mineurs, très radiotoxiques, seront recyclés, les résidus ultimes non valorisables se limitant aux produits de
fission.
Les réserves mondiales d'uranium sont-elle suffisantes ?
Les réserves prouvées ou probables sont, selon la plupart des sources, d'
environ 4,7 millions de tonnes, soit
soixante-dix ans de combustible disponible au rythme de consommation actuelle (67 000 tonnes d'
uranium
naturel en 2006). Les experts y ajoutent environ 15 millions de tonnes possibles, ce qui porte les réserves à
plus de deux siècles. Sans compter l'
uranium contenu dans les phosphates, qui donnerait 20 millions de
tonnes supplémentaires.
L'
arrêt de la construction de réacteurs depuis quinze ans a entraîné un arrêt de l'
exploration minière, amplifié
par des prix très bas de l'
uranium. Il y a désormais un déséquilibre entre production et consommation. En
50
2006, 40% du combustible des centrales ne sortaient pas du sous-sol mais des réserves accumulées par les
groupes d'
électricité, des stocks militaires et du retraitement.
Avec une demande actuelle en progression de 0,5 % à 1 % par an, la situation est sous contrôle. Mais
l'
épuisement des stocks excédentaires des électriciens et de la Russie va nécessiter une augmentation de la
production primaire. L'
exploration a repris, mais il faut au moins dix ans entre la découverte et une mise en
production. De nouvelles mines devront être ouvertes dans tous les grands pays producteurs. Le prix de
l'
uranium naturels'
est envolé : de 10 dollars en 2003, la livre est montée jusqu'
à 143 dollars en mai 2007.
"Compte tenu des lourds investissements qu'
il faudra réaliser sur le long terme, les prix resteront
probablement élevés", note t-on chez Areva.
Si le nucléaire reste compétitif, c'
est que la part du combustible dans le prix de production de l'
électricité est
d'
environ 5 % (40 % pour les centrales au charbon et 70 % pour cycles combinés à gaz) mais aussi qu'
EDF
s'
assure des prix stables grâce à des contrats à long terme pour la fourniture de combustible.
Document 28
Economie
Jean-Michel Bezat et Pierre Le Hir
Tout va très bien, madame la Marquise
08/11/2007 - Romain Gubert - © Le Point - N°1834
Les prix du pétrole flambent, la crise financière menace, l'inflation repart à la hausse et la
confiance des ménages est en chute libre... Mais Christine Lagarde n'en démord pas. La
ministre de l'Economie reste droit dans ses bottes : la France en a sous le pied. Sa croissance sera
supérieure à 2 % en 2007. Du bon usage de la méthode Coué.
La crise financière ? « Si l'
économie réelle américaine est protégée, il n'
y a pas de raison de penser qu'
elle
aura un effet sur l'
économie réelle française. » La flambée des prix du pétrole ? « Entre collègues ou amis, il
est peut-être possible de se concerter pour faire la route ensemble. Etre plus rationnel dans son choix de
transport, c'
est se déplacer intelligemment. » La baisse de la production industrielle ? « Inutile de jouer les
Cassandre et de réagir à des chiffres trimestriels. »
Décidément, Christine Lagarde a réponse à tout. Et avec le sourire, s'
il vous plaît. Et tant pis pour la pluie de
chiffres plus mauvais les uns que les autres qui s'
abat sur l'
Hexagone depuis l'
été. Prenons le déficit du
commerce extérieur 2007. Il devrait dépasser 30 milliards d'
euros, soit, au bas mot, 0,3 % de croissance en
moins. La Sécu ? Un déficit de 12 milliards d'
euros. Les prix ? Ils flambent. Et pas seulement à la pompe à
essence. Il y a quelques jours, Bonduelle, Lactadis ou Danone ont augmenté leurs prix de 10 % pour
répercuter la hausse de 20 % des prix du lait en septembre. La baguette a pris 5 centimes dans la plupart des
boulangeries, conséquence de l'
explosion du prix des matières premières (le prix du blé a augmenté de 180 %
en dix-huit mois, celui du maïs de 100 %). Et ce n'
est pas fini... Chocolat et billets d'
avion vont eux aussi
augmenter très prochainement.
Malgré ce sombre tableau, Bercy voit pourtant la vie en rose. Et la ministre de l'
Economie n'
en démord pas.
Le discours est rodé : patience, patience, la croissance sera au rendez-vous en 2007. Et plus encore en 2008.
Un optimisme qui laisse pantois et qui, au passage, a fait gagner un surnom à la patronne de Bercy : « Tout
va très bien, madame la Marquise »... Symbole de cette désarmante confiance, les prévisions économiques
du gouvernement. En octobre, dans la foulée d'
une batterie de mauvais chiffres venus des Etats-Unis et de la
crise financière des subprimes, tous les météorologues habitués à scruter l'
économie française sous toutes les
coutures corrigeaient leurs copies à la baisse.
Les Français s'inquiètent, la morosité est de retour
Les statisticiens de l'
Insee, qui annonçaient au printemps une croissance 2007 tout à fait honorable de 2,1 %,
parient désormais sur un poussif 1,8 %. Avec ce verdict : une « croissance douce ». Même chose à l'
OCDE
ou chez les analystes de la Commission européenne, pour qui la performance économique de la France ne
dépasserait pas plus de 1,8 ou 1,9 % de croissance alors qu'
ils étaient beaucoup plus optimistes six mois
auparavant (en juin, la Commission européenne tablait sur 2,4 % de croissance pour la France). Des experts
aujourd'
hui tous sur la même longueur d'
onde. Tous. Sauf Christine Lagarde, pour qui les choses sont claires
: il y aura bien 2 % de croissance. Et, pourquoi pas, peut-être même un chouia de plus.
51
Certes, la première femme titulaire du poste de ministre de l'
Economie n'
est évidemment pour rien dans la
crise des subprimes qui fait tanguer toutes les Bourses mondiales. Ni dans la flambée des cours du pétrole.
Certes, ses prédécesseurs ont eux aussi bien souvent joué la même partition d'
un pays épargné par les
soubresauts de l'
économie mondiale. Comme eux, elle utilise les mêmes vieilles ficelles pour montrer à
l'
opinion publique que le gouvernement lutte contre la hausse du prix de l'
essence : prime à la casse pour les
vieilles voitures, convocation des compagnies pétrolières à Bercy... Mais, cette fois-ci, le discours est si
décalé par rapport à la conjoncture que l'
opposition s'
en donne à coeur joie. Ainsi ce bon mot de François
Hollande : « Marie-Antoinette, lorsqu'
on lui demandait du pain parce que le pays était affamé, disait : "Il n'
y
a pas de pain, qu'
on leur donne de la brioche." Eh bien, maintenant, voilà que l'
on nous dit : "Il n'
y a pas de
carburant, qu'
on leur donne du vélo ! "»
Il n'
y a pourtant ni candeur ni naïveté dans le discours de la patronne de Bercy. Seulement voilà : remettre en
question son bel optimisme, ce serait ni plus ni moins renoncer à un pari et à une stratégie. Profiter de la
croissance pour réformer et réformer pour produire de la croissance. Cette feuille de route confiée par
Nicolas Sarkozy et qu'
elle doit mettre en musique, Christine Lagarde y croit dur comme fer : « J'
ai fait le
choix de la croissance », dit-elle. En clair, le fameux « choc de confiance » dont Sarkozy a si souvent parlé
pendant sa campagne électorale est en train de se produire. Le hic ? C'
est que ce « choc de croissance » n'
a
toujours pas fait tourner la tête aux Français. Un exemple : ce « moral » décortiqué tous les mois par l'
Insee,
qui sonde 2 000 ménages. Il était au beau fixe pendant la campagne électorale, et jusqu'
en juillet. Il plonge,
depuis, de façon vertigineuse. Les Français s'
inquiètent désormais pour leur situation financière future. Et les
grèves d'
octobre et de novembre n'
ont rien arrangé : la morosité est de retour.
Quant aux mesures du fameux « paquet fiscal » (défiscalisation des heures supplémentaires, déductibilité des
emprunts immobiliers, bouclier fiscal, refonte des droits de succession, etc.) votées pendant l'
été, elles ont
surtout coûté très cher aux finances de l'
Etat (14 milliards d'
euros). Pour une efficacité sur l'
économie qui
reste à démontrer et que la conjoncture s'
est de toute façon fait un malin plaisir de réduire à néant. Prenons la
déductibilité des emprunts immobiliers. « Cette mesure a permis d'
éviter une décélération trop brutale du
marché. Mais son impact est extrêmement limité puisque, dans le même temps, les banques ont augmenté
leurs taux », explique Mathilde Lemoine, économiste en chef de HSBC France pour qui il aurait mieux valu,
à coût identique pour l'
Etat, introduire de vraies incitations à l'
investissement pour les entreprises, au moment
où les taux d'
intérêt remontent.
Le scénario d'un dérapage budgétaire
Autre dispositif phare : celui sur les heures supplémentaires. Mis en place en octobre avec l'
idée de «
travailler plus pour gagner plus », il n'
a certes pas encore eu d'
impact sur la feuille de paie ou sur l'
activité.
Mais les experts les plus optimistes sont dubitatifs. « Cela pourra peut-être produire 0,2 % de croissance
supplémentaire l'
an prochain grâce à son impact sur la consommation. Mais avec ce coût pour le budget : pas
moins de 0,2 % de déficit supplémentaire », estime ainsi Eric Heyer (OFCE).
Il y a plus grave. Selon lui, les scénarios du gouvernement en matière budgétaire ne sont absolument pas
tenables. « Dans son projet de loi de finances 2008, Bercy annonce vouloir réduire le déficit budgétaire tout
en encourageant la croissance par tous les moyens. Ce n'
est tout simplement pas crédible, vu l'
ampleur des
cadeaux fiscaux et des dépenses engagées. Annoncer que le déficit budgétaire 2008 sera de 2,6 % du PIB,
c'
est de l'
affichage et ce n'
est pas tenable. Selon nos prévisions, l'
an prochain, on sera au-delà de 3 %. Et, en
2009, l'
Etat n'
aura qu'
une possibilité : se serrer la ceinture et faire d'
énormes sacrifices. Ou renoncer aux
engagements pris devant nos partenaires européens d'
un retour à l'
équilibre budgétaire en 2010. » Les récents
propos de Nicolas Sarkozy devant la Cour des comptes confirment ce scénario d'
un dérapage budgétaire : «
Nous n'
assainirons pas la situation de nos finances publiques, nous ne réduirons pas durablement nos déficits
par des politiques d'
austérité. Si l'
austérité produisait des résultats, ça se saurait, et depuis longtemps. »
Malgré le gros temps, Christine Lagarde en est convaincue : grâce aux réformes, il est pourtant possible
d'
aller chercher un point de croissance supplémentaire. Et rapidement. Certains économistes partagent son
point de vue. A condition bien sûr que ces grands projets ne restent pas dans les cartons des cabinets
ministériels. « Le paquet fiscal est évidemment symbolique et il aurait fallu être bien naïf pour imaginer que
les mesures de cet été allaient réellement doper la croissance et transformer en profondeur notre économie,
52
estime ainsi Jean-Hervé Lorenzi, professeur à Dauphine et président du Cercle des économistes. En
revanche, le gouvernement a lancé plusieurs grandes réformes. C'
est là qu'
il y a un vrai pari. Le " choc de
confiance " annoncé par Sarkozy peut effectivement bouleverser les esprits et changer pas mal de choses. En
matière de compétitivité et de croissance, la France est à la traîne de ses partenaires. Si la fusion ANPEUnedic, la réforme des régimes spéciaux et celle de l'
université entrent dans les faits, alors il peut y avoir une
vraie séquence susceptible de libérer l'
économie française de ses blocages. »
Reste pour Christine Lagarde à convaincre les Européens du bien-fondé de cette stratégie. Et ça, c'
est une
autre histoire. En la nommant à Bercy Nicolas Sarkozy n'
a pas fait une erreur de casting. Contrairement à
beaucoup de ses prédécesseurs à Bercy qui exaspéraient leurs homologues par leur roublardise ou, pis, leur
arrogance, en expliquant à l'
Europe entière qu'
ils n'
avaient pas de comptes à rendre, Lagarde joue la modestie
et, surtout, tente de convaincre avec humilité que la France est sur la bonne voie de la rigueur.
Lorsque Sarkozy s'
en prend à la Banque centrale européenne et à l'
euro fort en jouant les gros bras, comme à
l'
été dernier, c'
est elle qui passe des coups de fil pour rassurer les uns et les autres. Qui renoue les liens avec
les Allemands, partisans d'
un euro fort, et lance quelques idées concrètes pour que le débat sur la monnaie
européenne ne se transforme pas en cacophonie tout en permettant à chacun de pouvoir accorder son violon
sans déplaire à son opinion publique. Très appréciée de ses homologues qui la trouvent, selon l'
expression de
l'
un d'
eux, « sincère et cash , ce qui nous change des années précédentes où l'
on avait plutôt affaire à des
effets de manches déplacés, vu les performances de la France » , Christine Lagarde a pourtant du pain sur la
planche. En septembre, lors de l'
Ecofin de Porto, ses interlocuteurs étaient certes pleins de bienveillance.
Mais ils ne lui ont pas fait le moindre cadeau. Jean-Claude Junker lui avait gentiment fait savoir que « les
ambitions dont la France a fait preuve ne correspondent pas tout à fait au niveau des attentes qui est le nôtre
». Quant à Didier Reynders, son collègue belge, il a lâché un « on aimerait la croire » qui en dit long...
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Note : le titre de l’article fait référence à une célèbre chanson française de Ray Ventura (1936) :
Cela n'
est rien, Madame la
aujourd'
hui !
Allô, allô James !
Marquise,
Expliquez-moi
Quelles nouvelles ?
Cela n'
est rien, tout va très bien.
Valet fidèle,
Absente depuis quinze jours,
Pourtant il faut, il faut que l'
on
Comment cela s'
est-il produit ?
Au bout du fil
Cela n'
est rien, Madame la vous dise,
Je vous appelle ;
On déplore un tout petit rien :
Marquise,
Que trouverai-je à mon retour ?
écurie brûla, Madame,
Cela n'
est rien, tout va très bien. Si l'
est que le château était en
on C'
Tout va très bien, Madame la Pourtant il faut, il faut que l'
flammes.
vous dise,
Marquise,
Mais, à part ça, Madame la
Tout va très bien, tout va très On déplore un tout petit rien :
Marquise
Elle a péri
bien.
Tout va très bien, tout va très
incendie
Pourtant, il faut, il faut que l'
on Dans l'
bien.
Qui détruisit vos écuries.
vous dise,
Mais, à part ça, Madame la Allô, allô James !
On déplore un tout petit rien :
Quelles nouvelles ?
Marquise
Un incident, une bêtise,
Tout va très bien, tout va très Notre château est donc détruit !
La mort de votre jument grise,
Expliquez-moi
Mais, à part ça, Madame la bien.
Car je chancelle
Allô, allô James !
Marquise
Comment cela s'
est-il produit ?
Tout va très bien, tout va très Quelles nouvelles ?
Eh bien ! Voila, Madame la
Mes écuries ont donc brûlé ?
bien.
Marquise,
Expliquez-moi
Allô, allô James !
Apprenant qu'
il était ruiné,
Valet modèle,
Quelles nouvelles ?
A pein'fut-il rev'
nu de sa
Comment cela s'
est-il passé ?
Ma jument grise, morte ?
surprise
Que M'
sieur l'
Marquis s'
est
suicidé,
Et c'
est en ramassant la
pell'
Qu'
il renversa tout'
s les
chandelles,
Mettant le feu à tout
l'
château
Qui s'
consuma de bas en
haut ;
Le vent soufflant sur
l'
incendie,
Le propagea sur l'
écurie,
Et c'
est ainsi qu'
en un
moment
On vit périr votre jument !
Mais, à part ça, Madame la
Marquise,
Tout va très bien, tout va
très bien.
TEXTES POUR LA TRADUCTION
Italia solo ottava secondo la rivista americana «International Living»
E'la Francia il paese dove si vive meglio
Comparati costo della vita, cultura e tempo libero, economia, clima, ambiente, libertà, infrastrutture, sicurezza e
rischio
Questa volta la Francia ci ha battuto sonoramente, non ci sono né recriminazioni né giustifiche. Il vero Belpaese,
secondo la rivista di viaggi americana «International Living» per l'
anno 2007 è proprio la Francia: i cugini transalpini
secondo gli esperti del magazine vivono nel paese dove la qualità di vita è migliore rispetto al resto del mondo e dove
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alcuni servizi come i treni ad alta velocità, la sanità, la cultura, il turismo, le spiagge e la qualità del clima sono
abbondantemente superiori alla media
CRITERI - Il rivista americana ha cercato di stabilire la qualità di vita di 191 nazioni comparando nove aspetti e criteri:
il costo della vita, la cultura e il tempo libero, l'
economia, l'
ambiente, la libertà, le infrastrutture, la sicurezza e il rischio
e infine il clima. Oltre ai servizi precedentemente elencati la Francia eccelle anche per lo stile di vita della sua
popolazione, il senso di comunità, i suoi antichi valori e per la persistenza di mercati rionali.
ITALIA - L'
Italia si ferma solo all'
ottavo posto di questa speciale classifica. È superata anche da Australia, Olanda,
Nuova Zelanda, Usa, Svizzera e Danimarca. Chiudono la top ten Lussemburgo e Argentina. Secondo la rivista, l'
Italia
raggiunge il massimo punteggio per quanto riguarda la cultura: il nostro Paese è l'
unico a conquistare un 100 pieno in
questa categoria, il massimo voto che la rivista offre a ogni ambito. L'
Italia si distingue anche per il suo clima, per il
relativo basso costo della vita e per un buon servizio di trasporto. Sono altre le cause che rendono «a rischio» lo Stivalo,
come l'
economia e l'
enorme debito pubblico che grava sui propri cittadini, una scarsa attenzione civica per i problemi
legati all'
ambiente e la mancanza di alcune infrastrutture fondamentali
REGNO UNITO - Ma c'
è chi ha fatto peggio. Il Regno Unito si posiziona solo 37°, superato da Paesi meno famosi e
con una storia meno significativa come Andorra, Uruguay ed Estonia. Secondo la rivista l'
Inghilterra è un Paese nel
quale il clima è pessimo, i trasporti sono lenti e antiquati, il costo della vita e quello della sanità è molto alto. Sebbene il
clima inglese sia simile a quello di molti altre nazioni che hanno ottenuto un ottimo risultato come l'
Olanda (seconda in
classifica), la Danimarca (settima) e Lussemburgo (nono), queste ultime possono vantare un servizio sanitario e
infrastrutture di gran lunga superiori a quelle britanniche. L'
Inghilterra però supera gli altri Paesi in un aspetto
sicuramente non secondario: le libertà politiche e sociali
COMMENTI - Agli ultimi posti si posizionano nazioni martoriati da conflitti e guerre civili come Iraq, Somalia, Yemen
e Sudan. Laura Sheridan, portavoce di International Living, spiega i risultati della classifica: «La Francia ha un ottimo
clima, un buon sistema sanitario, una campagna intatta e incontaminata e probabilmente la capitale più romantica al
mondo. L'
Inghilterra invece è indubitabilmente una potenza economica e finanziaria con un forte e rispettabile cultura,
ma è troppo cara, i trasporti sono lenti e inoltre ha un clima rigido dove la pioggia cade un po’ troppo spesso».
Francesco Tortora – Corriere della Sera - 28 gennaio 2007
Prima trattavano solo volumi da bibliofili, ora anche souvenir
I librai parigini protetti dall'Unesco ora rischiano l'«estinzione»
Con le loro bancarelle verdi sono considerati «patrimonio dell'
umanità». Ma il loro mestiere sta
cambiando
PARIGI - Sui lungosenna di Parigi, considerati patrimonio mondiale culturale dell'
Unesco dal 1991, si ergono come
piccole roccaforti di una tradizione secolare le boites dei bouquinistes. Le boites sono delle casse di legno verde poste
sul parapetto del fiume, che come scrigni conservano libri, pubblicazioni rare e incisioni preziose. Ciascun bouquiniste,
venditore di libri usati e antichi, ha diritto a otto metri di boite e pur non rientrando ufficialmente nella lista Unesco del
patrimonio francese, quel diciottesimo posto riservato alle «Rive della Senna» comprende anche loro.
Come risponde Daniel Baillon, consigliere della commissione francese Unesco, «i bouquinistes fanno parte dell'
anima
del luogo e contribuiscono alla sua vitalità». Parigi è una della poche città ad avere questo genere di commercio. Una
pratica da sempre diffusa quella di vendere libri sulle rive del fiume, prima erano venditori ambulanti, poi dalla seconda
metà del XIX secolo venne conferito il diritto allo stazionamento e nel 1891 i primi bouquinistes compaiono sul Quai
Voltaire. Unendo tutte le boites della riva destra e sinistra si otterrebbe un percorso di circa 3 chilometri.
Attualmente i bouquinistes sono 245 e per poter accedere a un posto sul lungofiume dove vendere libri e stampe le
attese sono lunghissime, anche otto anni, come è successo a Gilles Morineaux, bouquiniste sulla riva destra da soli due
anni. Dalle esperienze raccolte parlando con alcuni bouquinistes si capisce chiaramente che bouquiniste si diventa e lo
si è fino alla fine. Si può diventare bouquiniste per caso come il signor Ravier, da 40 anni sulla Senna o per riempire il
tempo libero della pensione, chi per amore o chi per una passione viscerale per i libri.
La professione è molto cambiata negli ultimi anni e anche ad un occhio non esperto balza subito la bassa qualità di
alcune boites. Pochi sono i posti dove si continuano a trovare libri d'
occasione o ricercati. Molti si sono dovuti adeguare
alle esigenze del mercato e immolarsi alla causa del turismo. Così quelli che un tempo erano fonti per studenti,
professori e collezionisti di testi adesso assomigliano più a bancarelle di souvenir per turisti. Campeggiano poster di
attori hollywoodiani, cartoline e gadgets. Il signor Marcel, bouquiniste da venti anni dice di avere addirittura vergogna
«per 45 anni sono stato un grande libraio vicino agli Champs- Élysées, prima della pensione ho aspettato tre anni per la
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mia postazione di bouquiniste per continuare a occuparmi di libri e non passare il resto della mie pensione davanti alla
tv e adesso invece devo vendere piccole Torre Eiffel di plastica! Mi vergogno».
Alcune boites colpiscono per la loro originalità, qui non si trovano portachiavi e locandine ma soltanto libri in edizioni
pregiate, è il caso delle boites di Gilles Morineaux e di Alain Bannier. Il primo sulla Senna da soli due anni ma alle
spalle una lunga attività di venditore di libri, pittore e editore e il secondo veterano del quai da trenta anni. Entrambi
sono noti ai lettori parigini e stranieri, molti clienti vengono da tutto il mondo per acquistare edizioni introvabili di Jules
Verne e altro. Gilles confida che è molto più interessante cercare i libri che far una telefonata e farsi consegnare un
pacco di cartoline e che è un lavoro molto impegnativo quello della ricerca se si vuole soddisfare una buona clientela .
«Mi muovo molto per trovare i testi, a volte sono collezionisti privati che mi contattano. Alcuni bouquinistes non fanno
il mio stesso lavoro: io vendo libri e non souvenir». Tutti concordano sul peggioramento della professione e tutti sono
convinti che nonostante tutto il bouquiniste esisterà sempre, farà parte del paesaggio parigino con i parapetti del fiume
tinti del tipico colore «verde wagon», imposto dal comune di Parigi nel primo dopoguerra prendendo il posto del
precedente nero.
Il mondo dei bouquinistes rivela piacevoli incontri e personaggi.
Le sorelle Korb ad esempio provengono da una famiglia di bouquinistes dediti alla vendita esclusiva di libri e dal 1999
scrivono insieme romanzi gialli ambientati nella Parigi di fine '
800 con lo pseudonimo di Claude Izner. Il prossimo
aprile a Milano verrà presentato il romanzo «La donna di Père-Lachaise». Entrambe scrivono romanzi da anni e solo da
otto hanno deciso di scriverne a quattro mani. I loro gialli sono tradotti in Italia, Grecia, Giappone e Thailandia. Liliane,
la maggiore, dopo un passato nel cinema come montatrice diviene bouquiniste nel 1972 così come Laurence, terminati
gli studi in archeologia e inglese. Anche il marito di Laurence è bouquiniste sulla rive gauche. Ogni bouquiniste è
proprietario del proprio negozio-boite, dove ogni sera lascia i suoi libri, il comune concede solo lo spazio utilizzabile. I
venditori della Senna non pagano nessuna sorta di affitto, soltanto una tassa irrisoria al momento dell'
inizio dell'
attività.
Ovviamente esiste un regolamento per i bouquinistes ma molti lamentano l'
assenza di controllo da parte del comune.
Le liste di attesa sono infinite e i requisiti richiesti precisi, ma i bouquinistes si sentono abbandonati
dall'
amministrazione. Il regolamento non sempre viene rispettato e questo va a discapito del lavoro e dell'
immagine dei
bouquinistes. I venditori di bouquin (parola di origine tedesca che significa «piccolo libro») devono garantire al comune
parigino almeno quattro giorni d'
apertura settimanali; dei quattro contenitori che compongono una boite solo uno può
essere consacrato alla vendita di gadgets e souvenir; non si può cedere la propria postazione ad altre persone né
familiari. Al contrario, passeggiando sulla Senna si notano sempre più boites chiuse e come nota Alain Bannier «se uno
resta chiuso non perde nulla visto che non paghiamo affitto e non ci sono spese fisse e così di bouquinistes aperti non ce
ne sono sempre molti, soprattutto nelle stagioni meno calde, poi durante le feste sono tutti aperti per i turisti!»
Alcuni ancora hanno snaturato del tutto la vocazione originaria della professione e su alcuni banchi è davvero difficile
trovare anche un solo libro tra decine di poster e cartoline, altri, come ricorda Laurence Korb-Lefèvre, subaffittano
illegalmente la propria postazione. Seppur relegati all'
immagine pittoresca di una Parigi d'
altri tempi, i bouquinistes
continuano ad essere una delle anime della città.
Annamaria Paradiso, Corriere della Sera, 17 febbraio 2007
Un Pacs ogni quattro matrimoni
In Francia sempre più coppie scelgono questa unione: oltre 77 mila nel 2006. Soprattutto
eterosessuali
PARIGI - Un successo, stando ai dati. A otto anni dall'
introduzione dei Pacs in Francia, sono sempre di più le coppie
d'
Oltralpe che formalizzano la loro unione attraverso i Patti Civili di Solidarietà. La crescita, secondo i dati forniti dal
ministero della Giustizia transalpino e ripresi da "Le Monde", è del 20% annuo. Tanto che nel 2006 sono oltre 77.000
coppie, al 93% eterosessuali, che hanno scelto questa opzione. Ormai per ogni cento matrimoni celebrati, vengono
siglati 25 Pacs. Nel 2000 erano 5.
COPPIE GAY - Contrariamente a quanto paventato dai suoi oppositori, in totale solo il 12% delle coppie che ha firmato
un Pacs sono formate da persone dello stesso sesso (e nel 2006 la percentuale è scesa al 7%). Dopo il picco dei primi
anni, con oltre il 40% dei Pacs firmati, le coppie gay che lo siglano sono ora in calo. La percentuale delle separazioni
delle coppie eterosessuali dopo sei anni è molto simile a quello delle coppie sposate: il 18,9% contro il 18,2%. L'
età
media di coloro che hanno contratto quel tipo di rapporto è diminuita rispetto ai primi anni e si è stabilizzata a 32,6 anni
per gli uomini e a 30,4 per le donne. Questa età resta più alta per i partner dello stesso sesso. Le differenze territoriali
sulla frequenza dei Pacs si sono attenuate, ma Parigi non fa testo perché ha un tasso di Pacs per abitante nettamente più
alto che negli altri dipartimenti.
VANTAGGI - Il successo del Pacs, spiega il quotidiano francese, è dovuto «alla sua flessibilità, alla sua apertura alle
coppie omosessuali e anche ai vantaggi fiscali che comporta». In Francia esistono tre tipi di unioni: le unioni libere, che
non comportano diritti né doveri; il Pacs, firmato davanti al cancelliere del Tribunale e che impone alle parti un «aiuto
mutuo e materiale» e può essere sciolto con una semplice dichiarazione; il matrimonio, firmato davanti al sindaco, che
obbliga a un dovere di «fedeltà, di soccorso e di assistenza», stabilisce la presunzione di paternità nei confronti dei figli
nati durante il matrimonio e non può essere sciolto che al termine di una lunga procedura giudiziaria.
55
Corriere della Sera - 10 ottobre 2007
Paris Match snellisce la foto di Sarkozy
Ritoccate le immagini del presidente francese: tolte le maniglie dell'amore
Le foto di Sarkozy
PARIGI - Le '
maniglie dell'
amore'non giovano all'
immagine di un presidente della Repubblica. Almeno così sembra
pensarla '
Paris Match'che nel numero del 9 agosto ha ritoccato una foto di Nicolas Sarkozy a torso nudo in canoa con il
figlio Louis, durante le vacanze a Wolfeboro, nel New Hampshire. A rivelare il '
piccolo intervento'è stato l'
Express che
mette a confronto l'
immagine originale, scattata da un fotografo della '
Reuters'
, e quella pubblicata dalla rivista di
Arnaud Largadere, l'
editore vicino al capo dell'
Eliseo: in quest'
ultimo scatto la fascia lombare del presidente è stata
palesemente alleggerita.
SERVIZIO PER UN AMICO - «La rivista di Largadere ha di nuovo reso un servizio al suo amico Nicolas Sarkozy
ritoccando una foto che mortificava la sua silhouette», si legge sul sito di '
Liberation'che mette la notizia in apertura.
«Sono lontani i tempi in cui '
Paris Match'pubblicava in prima pagina le foto di Cecilia Sarkozy con un altro»,
commenta il quotidiano della '
gauche'
, ricordando che nell'
estate del 2005 le immagini della «fuga» a New York della
futura '
Premiere Dame'con il pubblicitario Richard Attias fecero saltare la testa dell'
allora direttore della rivista, Alain
Genestar. Dopo quell'
incidente, «la direttiva di Arnaud Largadere è chiara», precisa '
Liberation'
, «non pubblicare più
alcunché che faccia infuriare il suo amico o '
fratello'
, come lo chiama Nicolas».
Corriere della Sera - 23 agosto 2007
storica decisione del governo francese
Sei un pirata? E allora niente Internet
Un organismo di controllo creato da Sarkozy toglierà la connessione agli «impenitenti» del download illegale
PARIGI – Sei un pirata e ti tolgono la connessione. Stamattina, fornitori d’accesso a Internet e rappresentanti di case
discografiche e cinematografiche francesi hanno firmato un accordo per rendere la vita infernale ai pirati della rete.
ELISEO Il nuovo dispositivo, fortemente voluto dal Presidente della Repubblica, Nicolas Sarkozy, prevede la creazione
di un organismo di controllo che potrà negare l’accesso al Web a chi scarica illegalmente film e musica protetti da
copyright.
PROTEZIONE Una sanzione estrema ma non immediata. La procedura prevede dapprima l’invio di email dissuasive.
Se ignorate, si passa alle maniere forti. In cambio, le case discografiche si impegnano a far saltare i lucchetti che
limitano l’utilizzo personale dei brani scaricati a pagamento. I film on demand, su Internet, invece usciranno in
contemporanea ai dvd, ovvero sei mesi dopo la distribuzione in sala.
MEDIOEVO Per Sarkozy “la pirateria è un comportamento medievale” mentre l’accordo di oggi “segna un momento
decisivo per arrivare a una Internet civilizzata”. Un accordo frutto del lavoro di Denis Olivennes, presidente della Fnac,
a cui era stato affidato il compito di trovare un compromesso che il capo dell’Eliseo ha definito “equilibrato e solido”.
Tra sei mesi, il primo bilancio.
Alessandro Grandesso – Corriere della sera, 23 novembre 2007
Il rettorato: non garantite libertà di studio e sicurezza
Scontri alla Sorbona. Chiusa l’università
Violenti tafferugli tra i manifestanti che citricano Sarkozy e gli studenti che volevano raggiungere le aule
PARIGI – L’università Sorbona di Parigi è stata chiusa venerdì mattina dopo i violenti tafferugli scoppiati tra studenti
che volevano raggiungere le aule e manifestanti che protestavano contro l'
autonomia ammistrativa che il governo vuole
attribuire agli atenei (allo scopo di introdurre il capitale privato nelle università) e il progetto di riforma dei regimi
speciali di pensione, voluto da Nicolas Sarkozy.
STOP FINO A LUNEDI'- In un comunicato diffuso dall’amministrazione della Sorbona si spiega che un gruppo di
studenti ha fatto ricorso alla forza per bloccare uno degli ingressi dell’università. Questi studenti, si precisa nella nota,
«fanno ogni giorno uso della forza, e questa mattina hanno fatto ricorso alla violenza fisica contro coloro che volevano
seguire i loro corsi», afferma il rettorato. «La libertà di studio non è garantita e la sicurezza delle persone nemmeno - si
56
aggiunge - Di conseguenza, dopo avere informato i presidi delle facoltà interessate, è stata presa la decisione di
chiudere la Sorbona fino alla mattina di lunedì 26 novembre».
GLI SCIOPERI – Proprio venerdì la situazione in Francia stava tornando alla normalità, dopo nove giorni di scioperi
nel settore dei trasporti e dell’impiego pubblico, che hanno di fatto bloccato il paese e creato enormi disagi alla
popolazione. I sindacati avevano deciso 24 ore prima di togliere l’assedio al presidente Sarkozy, dopo la notizia
dell’apertura di un tavolo di negoziazione sulla riforma dei regimi speciali delle pensioni tra le organizzazioni dei
lavoratori, il governo e i rappresentanti delle imprese. L’adesione allo sciopero delle Sncf, le ferrovie dello Stato
francesi, venerdì mattina era limitato appena al 2% dei lavoratori, secondo fonti aziendali.
METODO SARKO'- Alcuni osservatori interpretano la fine della protesta – per la verità gli scioperi sono solamente
«sospesi», non cancellati - come una vittoria del «metodo Sarkozy», come ha titolato il quotidiano conservatore Le
Figaro. Il presidente ha rassicurato la popolazione che terrà duro su tutte le sue promesse elettorali, e che «non cederà e
non farà passi indietro». Anche se Sarkò ha evitato toni trionfalisitici, segno che il primo grande sciopero dalla sua
salita al potere, accompagnato a una massiccia protesta popolare e all’esplodere delle tensioni tra gli studenti, ha
lasciato il segno. Ma non gli hanno tolto la voglia di comunicare: «Parlerò ai francesi – ha detto il Capo dello Stato –
quando il conflittò sarà davvero alle nostre spalle».
Corriere della Sera - 23 novembre 2007
Alla periferia nord di Parigi
S'infiamma la banlieue, ancora scontri
Agenti hanno sparato gas lacrimogeni contro una folla di manifestanti. Trenta poliziotti feriti
PARIGI - Seconda giornata di violenze alla periferia settentrionale di Parigi. A Villiers-le-Bel, una ventina di chilometri
dalla capitale, 100 agenti in assetto antisommossa hanno sparato gas lacrimogeni e ordigni stordenti contro una folla di
giovani che in precedenza li aveva bersagliati con petardi e bombe carta. Trenta poliziotti sono rimasti feriti. Secondo
testimoni locali un auto e un camion per la raccolta di rifiuti sono stati dati alle fiamme.
Gli scontri sono avvenuti a poche decine di metri da dove, domenica sera, erano morti due ragazzi di origine
maghrebina, la cui moto si era scontrata contro un mezzo della polizia. Le due vittime - Moushin, 15 anni e Larami, 16circolavano senza casco e a grande velocità su una moto che, a un incrocio, era stata investita da una vettura della
polizia, che circolava senza sirena nè luci lampeggianti.
GLI SCONTRI DI DOMENICA - Nei violenti scontri seguiti all'
incidente, una ventina - tra poliziotti e vigili del fuocoerano rimasti feriti; un centinaio di ragazzi incappucciati aveva aggredito e rapinato i passanti, assaltato il
commissariato di polizia locale e dato alle fiamme una ventina di auto. Nel corso delle violenze, protrattesi per sei ore,
erano stati anche saccheggiati alcuni negozi. Per la banlieue di Parigi si tratta di un triste '
deja vù: nell'
autunno del 2005
la morte di due ragazzi, fulminati nella cabina elettrica dove si erano nascosti per sfuggire alla polizia a Clichy-sousBois, diede il via a settimane di violenze attorno alla capitale e nelle periferie di altre città francesi. (26 novembre 2007)
Ma i più ricchi risparmiano anche sulle smancerie
Il saluto col bacio divide i francesi
Uno, due o tre «bisou» per salutare gli amici? Difficile stabilire una regola
Il famoso bacio tra Nicolas Sarkozy e Angela Merkel
PARIGI - In Italia di solito se ne danno due, ma solo agli amici più stretti. In Olanda è normale
offrirne tre anche a normali conoscenti, mentre in Belgio ci si ferma a uno solo. Il saluto con il
bacio è ormai da tempo il più famoso metodo per dimostrare reciprocamente il proprio affetto. Ma
esiste una regola generale che stabilisca il numero esatto di baci che bisogna scambiarsi? Questa
domanda se l'
è posta Gilles Debunne, un esperto di informatica francese che ha lanciato in terra
transalpina, patria del saluto col bacio, un sondaggio per svelare l'
arcano.
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RISULTATI - I risultati del sondaggio condotto via web, a cui hanno risposto oltre 18.000 francesi,
hanno dimostrato che anche la patria del saluto col bacio è profondamente divisa. Infatti vi sono
grandi differenze di interpretazione e il numero di baci varia da dipartimento a dipartimento. Se
infatti oltre il 70% dei parigini intervistati ha dichiarato che la regola generale è salutare con due
baci i propri conoscenti, il 55% dei cittadini del vicino dipartimento della Seine-et-Marne
contraddice gli abitanti della capitale sottolineando come la loro tradizione affermi che è giusto
salutare con quattro «bisou» conoscenti e parenti.
LA REGOLA- Non mancano poi i dipartimenti in cui l'
abitudine generale è salutare con un solo
bacio. «E'davvero complesso stabilire la regola», dice al Times di Londra Costance Rietzler,
direttrice de La Belle École, istituto parigino che propone lezioni sull'
arte francese di vivere: «C'
è
una gran confusione su questo tema». Guardando le statistiche in generale si può dire che nella
Francia centrale la maggior parte delle persone ha l'
abitudine di salutare con due baci, uno per ogni
guancia. Ma già se ci spostiamo al nord, nei dipartimenti che vanno dalla Normandia ai confini con
il Belgio, i baci diventano quattro. Nel mezzogiorno francese, da Marsiglia fino alle Alpi la regola è
di tre «bisou».
DIFFERENZE - Anche l'
ideatore del sondaggio, Gilles Debunne si dichiara sorpreso dai risultati:
«Ero curioso di sapere quale fosse la realtà», afferma l'
informatico. «Esistono tantissime differenze
che io non immaginavo affatto. A volte il numero dei baci cambia a seconda se tu devi salutare un
amico, un familiare o qualcuno della tua stessa generazione». La direttrice de La Belle École
sottolinea che le differenze sono legate anche alla classe sociale a cui si appartiene. Secondo la
Rietzler il ceto medio ricco preferisce salutare con due baci. «Chi appartiene alla classe ricca e dà
tre o più baci potrebbe compiere un passo falso» sostiene la Rietzler: «In generale i francesi
salutano col bacio solo gli amici più stretti e i propri familiari. Quindi se uno straniero deve cenare
in Francia con cittadini transalpini che non conosce, è giusto che, quando gli sono presentati, stringa
loro la mano. Alla fine della serata, invece, può salutarli con il bacio, ma probabilmente, per non
fare gaffe, è meglio che tiri fuori di nuovo la mano e veda cosa succede».
Francesco Tortora, 01 dicembre 2007

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