Ressusciter notre quotidien : une spiritualité
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Ressusciter notre quotidien : une spiritualité
Ressusciter notre quotidien : une spiritualité ordinaire Je m’apprêtais l’autre jour à prendre mon taxi habituel pour rentrer chez moi après une longue journée de travail. J’apprécie beaucoup le chauffeur et ses conversations légères qui me reposent après des journées intenses. Ce soir là je suis tout simplement heureux de le retrouver. Nous allons pouvoir passer 20 minutes ensemble à commenter les derniers résultats du hockey ou à parler de sa dernière née : une transition idéale pour rentrer à la maison. Mais voilà qu’il m’annonce que ce soir son épouse nous accompagnera car il en a profité pour la chercher au travail. A cette nouvelle je ressens un petit malaise. Oh ! Pas grand-chose simplement un petit refroidissement intérieur, comme une forme de déception de ne pas pouvoir profiter de cette petite connivence intime avec mon chauffeur. Étrange ! Quelques secondes avant j’étais bien, heureux de retrouver cet homme. A présent je grimace. Mon entrée à l’arrière du véhicule confirme mes craintes. La dame est installée devant et me dit poliment bonsoir. Je lui réponds avec la même froideur que celle qui m’habite en ce moment. Bizarre elle ne m’a pourtant rien fait ! Le début de notre parcours est un silence total. Je suis terré au fond du taxi muet. Dommage je me réjouissais tellement de ce moment. Combien de ces situations parsèment le quotidien de nos vies ? Des clés perdues qui nous agacent, un véhicule trop lent qui nous retarde, un regard détourné du dépanneur qui nous donne le sentiment d’être mal reçu, un voyage en taxi qui ne se déroule pas « comme prévu »…Combien de fois dans nos journées ressentons-nous ces petites contrariétés et ces petites douleurs intimes qui égratignent nos âmes et nous font perdre de si précieux moments de belle vie parce que nous nous mettons à préférer notre grimace à l’opportunité qui nous est proposée. A l’exception de quelques grands drames, ce sont des milliers d’instant anodins comme celui-là qui tuent nos joies et nous éloignent du bonheur simple de vivre. Et si nous commencions humblement par transformer ces petits tracas plutôt que d’attendre des grands chagrins ? Et si nous cherchions d’abord ces petites victoires ordinaires qui consistent à passer de la grimace au sourire agissant qui produit irrémédiablement la chaleur que nous étions en passe de perdre ? N’est-ce pas là le socle d’une spiritualité ordinaire qui cherche à passer d’une petite mort à une nouvelle vie au cœur de ce qui fait notre quotidien, comme une résurrection ordinaire. Encore faut-il apprendre le sourire agissant car il ne s’agit pas seulement de le décider. Le sourire dont nous parlons est celui produit par une reconnaissance attendrie de soi et un regard d’amour porté sur notre infortune du moment. Se reconnaître c’est d’abord convenir que nos petites égratignures se produisent toujours sur le même genou parce que nous tombons toujours de la même manière depuis notre plus tendre enfance. Et si nous apprenons à rentrer en contact avec celui ou celle qui chute toujours pareil alors nous commençons à comprendre que nos vies ne sont que des répétitions de petites chutes chroniques. Mais que se passe t-il donc dans mon taxi? Je suis moi-aussi en train de tomber. Je me mets à croire à ma petite histoire intérieure celle qui m’accompagne depuis si longtemps. Celle de celui qui, lorsqu’il cherche une intimité chaleureuse, voit débouler un étranger qui va le reléguer à sa petite place. Tout se passe comme si ce petit scénario personnel devenait une matrice de vie à travers laquelle je perçois le monde et qui me fait chuter toujours au même endroit. Alors bien sûr le chauffeur devient celui avec lequel une chaleur est possible et sa blonde une étrangère qui vient perturber ce programme en me reléguant au fond du taxi. Qu’il est soudainement apaisant de voir que cet homme et cette femme n’y sont pour rien dans ma froideur du moment ! Simplement des acteurs que je mets en scène pour orchestrer ma chute du jour pour correspondre à ce que je crois devoir être une séquence inébranlable de ma vie. Au fond de mon taxi je deviens un observateur curieux de lui-même. C’est alors qu’un souvenir d’enfance surgit à mon esprit dans lequel le même scénario s’est mis en route il y a bien des années. La superposition passéprésent m’émerveille car elle m’éclaire sur les traces historiques de mon état du moment et me fait concevoir la scène comme une répétition maladroite et bien innocente de mon histoire. Le sourire monte alors. Un sourire sur moi-même si compréhensif qu’il me libère de mon étau. Fort cette liberté il me reste à remettre de la chaleur dans ce taxi. Il me revient à l’esprit que ce jeune couple vient de s’acheter un nouveau condo. Je lance alors à la dame : « Et comment se passe votre installation ? ». Ravie de cette question qui la suscite sur un projet important de sa vie, une conversation s’engage, détendue et pleine d’humour entre cette femme, son mari et moi. Au moment de quitter le taxi elle m’invite à passer boire un verre un de ces soirs. La vie s’est exprimée ! Que feriez-vous si vous voyiez un enfant tomber devant vous ? Vraisemblablement vous le relèveriez et chercheriez à le consoler afin qu’il puisse repartir rassuré. Tel est le processus de la résurrection ordinaire : reconnaître celui ou celle qui est en train de chuter dans un petit malaise ordinaire, apporter l’éclairage d’un souvenir du passé pour s’innocenter de notre maladresse et nous consoler, agir librement pour remettre à l’extérieur la chaleur que l’on vient de porter à l’intérieur. Ce chemin de transformation de l’instant n’a rien d’un exercice intellectuel. C’est un parcours du cœur qui nécessite de s’y entraîner régulièrement. Alors allons-nous préférer la grimace où le sourire agissant ? C’est le rendez-vous qui nous attend dans les minutes qui viennent avec notre conjoint, notre voisin ou notre collègue de travail. Christophe Roux-Dufort © Les Amis de Bernard Montaud