le courage - la Compagnie ad-apte

Transcription

le courage - la Compagnie ad-apte
vice versa
le courage
« Mets-toi un peu à ma place ! » est l’injonction qu’on se lance à la figure chaque fois qu’on se sent incompris
– avec un peu plus de verve, peut-être, quand l’interlocuteur est du sexe opposé… Dans cette rubrique, une plume
féminine adopte avec sagacité le point de vue masculin : sans peur aucune de ce qui l’attend !
texte Marie Fourquet illustration Noémie Arrigo
Elle eut cette question dangereuse. Cette question qui se balade
souvent entre ma tête et ma queue. Cette question que j’enfouis
sous des tonnes de morale, de respect et de théories modernes.
Mais elle, elle m’a sorti ça, comme ça, droit dans les yeux, l’air de
ne pas y toucher. J’ai bien senti que ma queue voulait ponctuer la
fin de sa phrase. Et que ce n’était surtout pas le moment de faire
la tête du gars qui se pose trop de questions.
Mais elle était là, plantée devant moi, sans son mari, sans ses
gosses, et c’est comme si tout son bordel de vie à elle s’agrippait
à ma veste et à mon fut’. Je sentais que la question allait retomber
si je ne répondais pas de suite le truc qu’il fallait.
Elle ne me lâchait pas des yeux. Je cherchais à gagner du temps
pour la formule adéquate.
Une chose était sûre, je ne jouais pas dans la bonne catégorie, elle
m’avait largement devancé et j’allais me faire ratatiner. J’ai donc
baissé les yeux, admiré la splendeur du parquet et, tout en mettant mes mains dans mes poches, j’ai toussé :
– Peut être…
– Quoi ?
– Oui… je ne sais pas, j’ai déjà pensé à toi en me branlant.
– Je n’y crois pas ! Tu réponds à cette question par peut-être ! Oui,
j’ai déjà pensé à toi en me branlant !
– Tu t’attendais à quoi, aux confidences d’un amoureux transi ?
– A tout… Mais pas à ça !
Je la trouvais gonflée de dénigrer un tel aveu de sincérité. Toute
l’origine du problème venait de là. Un soir, de retour chez moi après un dîner auquel ils m’avaient invité, je nous revois soudain,
tous les deux, dans l’obscurité de leur chambre, à chercher ma
veste sur le lit et… je me branle comme un dingue. Puis ça n’a pas
cessé d’empirer à chaque repas, rencontre ou café. C’est pour
ça que j’ai commencé à me poser des questions. A me dire que
je m’embarquais dans une sacrée galère. De toute façon, elle me
piétine, elle maîtrise très bien la situation, et je passe encore pour
le con qui ne comprend rien.
Je savais bien qu’il ne fallait pas répondre. Dans ses rêves, je devais
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la plaquer fougueusement contre le mur pour la baiser comme
une femme mariée le mérite. Et comme l’insolence de sa question
le mérite. Au lieu de ça, face à elle, elle a le copain pervers de son
mari qui se branle dans un studio meublé. Mais ce que ces filles
perdent comme temps à se faire des films ! Ce regard d’aberration
et de déception, je l’ai vu deux mille fois depuis j’ai 14 ans.
Oui, j’ai envie d’elle depuis le premier soir, oui, j’ai toujours une
excuse pour passer chez eux, oui, c’est la panique à bord si elle me
parle un peu trop. Si elle me regarde un peu trop. Et après ? C’est
quoi, la suite ? On fait l’amour et son mari me poursuit la nuit dans
son Audi ? C’est quoi, son plan ? Elle m’attrape dans son lit, me fait
les pires trucs de frustrée par dix ans de mariage ? Et après ? Je
viens aux communions des jumeaux ? Je suis le parrain ? Je joue au
poker avec son mec ? Elle est où ma putain de sortie de secours à
moi, hein ? Je fais quoi quand je rentre dans mon studio meublé ?
J’allume la tv et j’attends qu’elle sorte le westy pour m’appeler ?
C’est sûrement ça, son super plan après sa terrible et sulfureuse
question.
Faut arrêter ! Parce que moi, je sais très bien que je vais tomber
amoureux de cette fille. Je le sais depuis le début, je gagnais juste
du temps. Et maintenant, avec sa question de merde, il va falloir
que je fuie très loin. Je ne pourrais plus la voir. Jamais. Elle a brisé
l’embargo. C’est fini. Je ne peux pas faire partie de sa vie de princesse. Je n’ai pas grand chose pour moi et… Elle m’en demande
déjà beaucoup trop. Elle a ses yeux de fille qui veut des réponses.
J’ai choisi, je serai celui qui court le plus loin possible mourir dans
ses soupirs.
Je vais me trouver une fille bien, bien à moi. Je vais juste prendre
du temps pour oublier qu’elle existe. Qu’il y a une fille, ici, qui est
juste tout, tout ce qu’il faut à un gars comme moi.
– Chloé, je vais rentrer maintenant. Je te remercie pour la bière.
– C’est tout ?
– Oui, je suis le copain, l’amoureux transi. Pas celui qui peut te
sauter parce que vous vous êtes engueulés ce matin.
Il fallait juste trouver le courage pour le faire.
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