Anatomie sexuelle, structure subjective, identification générique
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Anatomie sexuelle, structure subjective, identification générique
— Anatomie sexuelle, structure subjective, identification générique — pourquoi dit-on toujours une hystérique et un obsessionnel ? 1/ Plus d'un siècle après Freud (— ses écrits portant sur l'existence d'une hystérie masculine, ses théories portant sur la méta-psychogenèse de ce qui n'est pas tant une maladie causée par des facteurs d'ordre somatique qu'un type bien précis de structure subjective déterminant un certain nombre de troubles psychiques —) il est agaçant de constater de que nous continuons d'entendre systématiquement conjuguer l'hystérie au féminin. Tout aussi agaçante est l'assimilation trop vite faite entre névrose obsessionnels et masculin. En effet : a : si la névrose obsessionnel, tout comme l'hystérie, se laisse définir comme un certain type de structure subjective déterminant un certain nombre de troubles d'ordre psychique b: si donc névrose obsessionnelle et hystérie ne sont donc pas en premier lieu des affections d'ordre somatique, bien que le champ somatique soit indéniablement concerné, perturbé, bouleversé par l'hystérie et la névrose obsessionnelle (— pensons par exemple à leurs multiples répercussions sur l'économie libidinale du sujet —) c: s'il est troisièmement vrai de soutenir qu'hystérie et névrose obsessionnelle sont en premier lieu causées par un mécanisme de défense bien précis, qui implique refoulement non total, mais partiel d'une expérience traumatique réelle ou fantasmée….. d : ……bref, s'il est vrai que ni l'hystérie ni la névrose obsessionnelle ne sont en premier lieu des problèmes d'hormones (mais se laissent bien plutôt définir comme des manières bien particulières, pour un certain sujet, quel que soit son sexe, de répondre à la question du désir)… e : ….… alors, une conclusion s'impose : hystérie et névrose obsessionnelle sont pour ainsi dire d'ordre métapsycho-libidinal mais n'ont pourtant que fort peu de choses à voir avec le masculin et le féminin. Le fait de systématiquement conjuguer l'hystérie au féminin et de spontanément assimiler la névrose obsessionnelle au masculin devrait donc être considéré au mieux comme la survivance malheureuse d'un archaïsme — au pire comme une manière de ne pas vouloir en finir avec certains modes de pensée dont nous ne pouvons plus vouloir. Pourquoi dit-on toujours une hystérique, et un obsessionnel ? Telle question devrait déjà n'avoir plus lieu d'être. Elle devrait déjà appartenir au passé. 2/ Pourtant, la question se pose encore et toujours — elle continue d'insister. Ne change rien à l'affaire le fait que, dans la situation actuelle, le moindre recours au terme d'hystérie soit strictement réprouvé. Une telle réprobation a bien au contraire tendance à obscurcir singulièrement les données du problèmes. En effet, c'est en partie pour de bonnes mais aussi en partie pour de mauvaises raisons que le recours au terme d'hystérie se trouve aujourd'hui sévèrement réprouvé : — Bonnes raisons de réprouver le recours au terme d'hystérie : nous ne savons plus ce qu'il veut dire. Plus grave encore : au cours des derniers millénaires, il a si souvent et si longtemps été employé pour stigmatiser certaines personnes de sexe féminin, que nous pouvons fort bien comprendre ceux et surtout celles qui désirent ne plus en entendre parler. — Mauvaises raisons de réprouver le recours au terme d'hystérie : ce terme n'est pas tout à fait superflu. Il pourrait bel et bien vouloir dire quelque chose — mais à condition de définir de manière rigoureuse et claire le quelque chose en question et de ne pas penser que ce quelque chose est inévitablement le propre de certaines personnes de sexe féminin. Nous pourrions en dire presque autant du terme de névrose obsessionnelle. Lui aussi pourrait avoir un sens, à condition de recevoir une définition rigoureuse. Lui aussi demeure cependant employé à mauvais escient ; et quand bien même y avoir recours est devenu politiquement fort incorrect, lui aussi continue d'être employé afin de stigmatiser une certaine population qui cette fois semble être composée uniquement d'individus de sexe masculin. De ce point de vue, ce qui ne change rien à l'affaire est le fait que, de l'avis de certains psychanalystes en exercice, les cas de névroses obsessionnelles semblent devenir bien plus rares, et puissent même avoir tendance à disparaître. 3 / Face à de tels constats, pourquoi ne pas reprendre la question à nouveau frais, donc re-commencer à nous demander sérieusement : pourquoi dit-on toujours une hystérique et un obsessionnel ? C'est ce que nous tenterons de faire ici. Pour ce faire, nous aurons librement recours à un certain nombre de concepts issus de la Théorie Psychanalytique Standard (en abrégé, la TPS — acronyme ici employé pour désigner la théorie freudienne au sens large, en tant qu'elle inclut les apports ultérieurs de psychanalystes tels que Ferenczi ou Lacan). a : Commençons par revenir sur un point déjà mentionné : les théories de Freud permettent d'avancer que ni l'hystérie ni la névrose obsessionnelle ne sont à proprement parler des maladies (i.e. des troubles causés en premier lieu par des facteurs d'ordre somatiques). La névrose obsessionnelle, tout comme l'hystérie, se laisse bien plutôt définir comme un type particulier de structure subjective. Par structure subjective, nous entendons désigner la manière particulière dont un sujet peut être amené à prendre position vis-à-vis d'un certain nombre d'instances. La première et la plus importante de ces instances remplit la fonction de souverain. En effet, sujet et souverain sont co-relatifs ; par définition, il n'est de sujet que pour et par un souverain. Le sujet dont il est question ici a donc un statut analogue à celui des habitants du royaume de France sous l'Ancien Régime (qui pour leur part pouvaient être qualifié de sujets en tant que le Roi de France était leur souverain). Il n'est ainsi de sujet — et a fortiori de structure subjective — que pour et par un souverain. Reste que le souverain des sujets dont la structure a pu se voir qualifiée d'hystérique ou d'obsessionnelle n'est pas le Roi de France. Le souverain de ces sujets, c'est le langage. Autrement dit, c'est le langage, considéré comme une instance symbolique qui occupe la position souveraine dans les structures subjectives couramment qualifiées d'hystérique et d'obsessionnelle. Lorsque nous parlerons ici de structure subjective, il faudra donc d'abord et surtout comprendre que nous désignons la manière dont un sujet est amené à prendre position vis-à-vis du langage considéré comme une instance symbolique : pour nous, et en accord avec la TPS, la structure n'est en chaque cas structure subjective que dans la mesure où elle est structure d'un sujet de langage. b : Venons-en à la distinction entre les deux types de structures subjectives qui ont pu être qualifiés d'hystérique et d'obsessionnelle. Quelle est leur spécificité ? — Selon la TPS, la structure hystérique comme la structure obsessionnelle ressortent du champ des névroses. Or, les névroses se singularisent par le fait qu'elles mettent en jeu un mécanisme de défense bien particulier : le mécanisme du refoulement. Encore faut-il préciser que les sujets qualifiés d'hystériques ne refoulent pas la même chose, ni de la même manière, que les sujets qualifiés d'obsessionnels. Ceci est lié au fait qu'à en croire la TPS, l'obsessionnel et l'hystérique ne désirent pas la même chose, ni de la même façon. Le nouage ternaire entre sujet, langage et désir ne s'effectue donc pas de même dans la structure névrotique qualifiés d'hystérique que dans la structure névrotique qualifiée d'obsessionnelle. Le mécanisme de refoulement fonctionne différemment. En résumé, voici comment se présentent les choses selon la TPS : —— L'hystérique est animé(e) d'un désir de langage : l'hystérique désire le souverain. Cependant, l'hystérique refoule le savoir de son propre désir, et somatise, ce qui lui permet d'éprouver l'affect (qui est la traduction consciente de la motion pulsionnelle à l'origine du désir) sans pour autant se savoir désirer. Pour l'hystérique, la somatisation est ainsi une solution de compromis. Ce qui est somatisé, c'est précisément le mot refoulé de l'énigme du désir ; le somatisé, c'est du langage investi d'affect. De sorte que somatiser, cela veut dire, exprimer un message insu, à même le corps ; faire parler son désir par le corps, parler avec son corps ; faire parler le corps désirant. L'hystérique qui s'ignore désirer le langage et se sait moins encore désirer le langage en tant qu'il est souverain n'en éprouve que plus fortement son désir. L'ignorance porte ici sur le mot de ce désir qui échappe au discours et prend au corps. —— L'obsessionnel de son côté refoule un élément langagier (ou signifiant) et déplace l'affect qui lui était lié. L'affect déplacé est donc un affect originairement investi en un signifiant. De son côté, le signifiant premièrement investi d'affect, secondairement refoulé, n'a pas cessé d'exister pour autant : il y a donc ici refoulement, mais aussi persistance d'un signifiant dés-affecté. Pourquoi telle désaffection ? Parce que le désir a été censuré. Censuré par qui ? Par le souverain luimême : la censure s'effectue par le biais du langage, elle est d'ordre langagière. Reste à souligner le fait que le sujet qualifié d'obsessionnel n'obéit à la censure qu'en partie seulement : il dés-affecte, mais ne cède rien. Le signifiant refoulé cherche encore et toujours à se faire reconnaître. il fait retour dans le discours de l'obsessionnel, par la voie de la répétition compulsive, du lapsus, du rêve et du mot d'esprit. Le déplacement de l'affect investi est donc une solution de compromis, une ruse permettant de maintenir et de soutenir, à l'insu du sujet, son désir. c : Arrivés à cet point, résumons nos acquis : 1/ Il n'est pas de sujet (ni a fortiori de structure subjective) sans souverain. 2/ Dans le cadre de la TPS, le premier souverain de chaque sujet, c'est le langage 3/ L'hystérie et la névrose obsessionnelle sont des structures subjectives ; le souverain des sujets qualifiés d''hystérique et d'obsessionnel, c'est le langage. 4/ Du fait qu'ils sont sujets de langage, hystérique et obsessionnel refoulent. — L'hystérique désire le langage, mais refoule le savoir (ou mot) de son désir — L'obsessionnel refoule l'affect lié à un désir qui persiste pourtant. Ces propositions, nous les tenons pour des invariants. Attention, cependant : cela ne veut pas dire qu'il doive nécessairement exister des sujets au langage (considéré comme une instance symbolique souveraine) encore moins qu'il doive nécessairement exister des structures subjectives de type névrotique (hystériques, obsessionnelles ou autres). Cela veut simplement dire que, s'il existe des sujets au langage, c'est que le langage est considéré comme une instance symbolique souveraine ; et qu'alors, il existera des structures subjectives de type hystérique ou obsessionnelle. La prémisse n'est qu'hypothétique (il est contingent qu'elle soit vraie, ou fausse). Les conclusions sont conditionnelles. Autrement dit : le langage n'est pas nécessairement en position d'instance symbolique souveraine. S'il ne l'est pas, il n'y aura certes pas de sujets au langage (ni a fortiori de structure subjective telles que la TPS les conçoit). Mais, s'il l'est, alors, il existera nécessairement des sujets au langage, soumis à certains mécanismes de refoulement de type névrotique caractérisant les structures ici qualifiées d'hystérique et d'obsessionnels. d : Soulignons maintenant un point essentiel. Nous avons bien dit que s'il existe des sujets au langage (considéré comme une instance symbolique souveraine) il existera des structures subjectives de type hystérique ou obsessionnelle. Mais jamais il n'a été dit que les hystériques seraient de sexe féminin, les obsessionnel(le)s de sexe féminin. La raison en est bien simple : la structure n'a pas de sexe. Les structures subjectives (qui correspondent à autant de manières de se positionner vis-à-vis du langage considéré comme souverain) ne sont donc nullement corrélées a priori à un sexe plutôt qu'à l'autre. Si elles le sont, c'est de manière tout à fait contingente, pour des raisons d'ordre empirique. —> C'est donc pour des raisons d'ordre tout à fait contingentes et empiriques, non pour des causes qui tiendraient à quelqu'intangible nécessité de structure, et moins encore du fait de quelque hypothétique nature des choses, que l'hystérique est supposée être toujours femme et l'obsessionnel toujours homme. Reste à préciser quelles sont ces raisons contingentes et empiriques. e : Nul besoin de ménager le suspens : les raisons contingentes et empiriques pour lesquelles l'hystérie est supposée être toujours femme et l'obsessionnel toujours homme tiennent en quelques points : 1/ Dans la culture occidentale, époque moderne incluse, le langage occupe traditionnellement une position souveraine. Cela signifie que par le biais du langage sont édictées des lois — c'est donc véritablement le langage qui fait la loi. Certes, un tel état de fait tend à devenir de moins en moins vrai : le langage tend à perdre sa souveraineté, légifère de moins en moins, conditionne de plus en plus. La croissance exponentielle du nombre de lois promulguées au cours des dernières décennies est un symptôme de cet effritement progressif de la souveraineté du langage : on ne multiplie les lois que pour pallier à la dévaluation de la loi (considérée comme référent symbolique abstrait). Ce symptôme témoigne du passage à un nouveau régime de normativité politico-langagière caractérisant la post-modernité, axée sur les processus de conditionnements. Notre régime de normativité politico-langagière est donc en voie d'évolution rapide. Malgré tout, nous somme encore suffisamment influencés par l'ancien paradigme de la souveraineté langagière et de la légifération pour que certaines de ses implications directes se fassent toujours ressentir. 2/ L'une des implications du régime de souveraineté langagière est le réquisit de la représentation. En effet, le langage (instance symbolique abstraite, souveraine, légiférante) a besoin de représentants. Car le langage ne parle pas. La personne ayant traditionnellement pour rôle de représenter le langage auprès des autres humains, donc de faire la loi en son nom, était sous l'Ancien Régime et en France, le Roi. De sorte qu'en dernière instance, les sujets du Roi de France étaient bien sujets du langage souverain au nom duquel le Roi parlait. Cependant, avant même que le roi n'entre en scène, la première personne ayant pour rôle de représenter l'instance souveraine du langage auprès des autres êtres humains était traditionnellement (et c'est toujours en grande partie) leur géniteur de sexe masculin. Notre culture s'avère donc de tradition patriacale : le géniteur de sexe masculin (le père) est traditionnellement pour nous, le premier tenant-lieu du souverain langage. Et bien qu'une telle tradition tende à s'affaiblir, certaines de ses conséquences se font toujours ressentir aujourd'hui. 5/ Pour parer aux équivoques nous désignerons par le terme de Père, le géniteur de sexe masculin en tant qu'il représente l'instance symbolique qu'est le souverain langage. Le Père, c'est donc comme le père (géniteur masculin) en tant qu'il est investi d'une fonction symbolique. —> Pour dire les choses de manière différente, furieusement lacanienne : dans la culture occidentale traditionnelle, le Père n'est pas un individu réel, membre biologique de l'espèce humaine, qui s'imagine être une personne dotée d'un moi parfaitement fictionnel et se trouve d'autre part être le géniteur masculin d'un autre individu réel qui s'imagine être une personne. Non. Le Père, c'est un individu réel à qui échoit la fonction symbolique de représenter, auprès de son rejeton, une instance tierce et souveraine : le langage. Etre Père, c'est donc une fonction — et plus précisément, une fonction de re-présentation. 6/ Dans notre culture, il est une personne traditionnellement mise en position de désirer le Père. Cette personne, c'est sa fille. Il faut bien comprendre que pour cette dernière, désirer le Père signifie désirer le langage que le Père re-présente. Ce qui transparaît, sous le désir du Père, c'est le désir du souverain dont le Père est un tenant-lieu. Et c'est précisément parce que le désir dirigé vers le souverain langage s'avère coïncider avec le désir dirigé vers le père mis en fonction de Père — donc, qu'il est en dernière analyse un désir purement et simplement incestueux — que ce désir est susceptible d'être refoulé. Autrement dit, c'est le langage que la fille (rejeton de sexe féminin) est appelée à désirer par le biais du Père (qui le re-présente) ; mais elle doit dans le même temps refouler son désir. Or, le refoulement du désir de langage caractérise précisément l'hystérie. La fille est donc appelée à occuper la position subjective qualifiée d'hystérique. -> Dans notre culture, être hystérique, c'est traditionnellement être la fille du Père. Nous avons donc tendance à conjuguer l'hystérie au féminin. 7/ Il n'est pas difficile de deviner la teneur de notre dernière thèse. Cette thèse veut que l'obsessionnel soit pour nous presque chaque fois un obsessionnel pour la simple raison que dans notre culture, c'est traditionnellement le rejeton masculin du Père (son fils) qui est appelé à adopter une structure obsessionnelle. En effet, tandis que la fille est traditionnellement mise en position de désirer le Père, le fils est traditionnellement mis en position de lui obéir. Mais obéir au Père signifie obéir à l'instance souveraine dont il est le re-présentant : l'obéissance du fils n'est due qu'au langage dont le Père est un tenant-lieu. C'est au langage qu'obéit le fils, lorsqu'il obéit au Père. Obéir au langage, ce qui implique, le cas échéant, de plier son désir au gré de censures langagières — voilà précisément le propre de l'obsessionnel. C'est donc la position de l'obsessionnel que le fils est appelé à occuper. Cette place lui est culturellement réservée. Nous pouvons en conclure, que si nous avons tendance à conjuguer l'obsessionnel au masculin, c'est parce que dans dans notre culture, le rôle d'obsessionnel est traditionnellement réservé au rejeton masculin du père. 8/ Remarquons, de manière simplement incidente, à quel point nos structures politico-langagières sont dépendantes de schèmes religieux. Ce que d'un point de vue politique nous nommons Souverain langage (i.e. instance symbolique légiférante) est d'un point de vue religieux nommé Verbe divin. Et c'est d'un même paradigme (massivement patriarcal, fondamentalement logocentrique, trouvant sa traduction dans le registre religieux comme dans le registre politique) que relèvent d'une part la mise en position de souveraineté de l'instance langagière, d'autre part l'établissement d'une relation hiérarchique (sinon spirituelle) entre Père et enfants (fils et filles), Souverain et Sujets, ou encore Créateur et Créatures, Prêtre et fidèles, Maître et disciples, voire esclaves. Le fait général, culturellement prévalent jusqu'aux temps modernes, du phallogocentrisme et des hiérarchies qu'il instaure, se décline dans plusieurs champs culturel, selon plusieurs modalités et à plusieurs échelles de l'agir humain. Et notre sainte famille (son Père, son fils, sa figure de la femme dévote) s'avère en dernière analyse un avatar du modèle religieux chrétien. 9/ Quoi qu'il en soit du fait religieux, il semble que nous ayons découvert les raisons pour lesquelles nous avons tendance à conjuguer l'hystérique au féminin, l'obsessionnel au masculin. Elles sont, comme nous l'annoncions, d'ordre contingentes et empiriques ; s'avèrent déterminées par la prévalence d'un certain cadre culturel au mieux qualifié par le terme barbare de phallogocentrique (terme qui implique bien évidemment la notion de patriarcat ). -> Dans nos sociétés, héritières d'une tradition logocentrique patriarcale, c'est le plus souvent la fille qui est mise en position de désirer le père et le fils qui est mis en position de lui obéir. C'est donc la fille qui traditionnellement est appelée à occuper une position subjective qualifiée d'hystérique, le fils qui est appelé à adopter une structure de type obsessionnelle. 10/ Au demeurant, il n'est pas impossible que dans notre culture, un individu de sexe masculin adopte une structure hystérique et un individu de sexe féminin une structure obsessionnelle. Il suffit pour cela que le premier soit amené à désirer le souverain langage, que la seconde se trouve soumise à la censure. A vrai dire, cela ne cesse pas d'arriver, et ne peut manquer de se produire pour deux types de raisons aussi importants l'un que l'autre : ——a : Aucune société n'est en mesure de soumettre à ses normes l'ensemble des individus qui la composent. En effet, aucun société n'est en mesure de faire en sorte que chacun de ses membres doté de tel sexe adopte tel type de structure. Tout au plus une société peut-elle s'efforcer de contraindre les sujets qui naissent dotés de tel sexe à adopter tel type de structure. Pour cela, elle devra se doter de certaines institutions pérennes, d'ordre politico-langagier (p.ex. les institutions familiales, religieuses, politiques au sens restreint du terme). Autrement dit : chaque société s'efforce de faire en sorte que l'anatomie soit le destin. Cet effort se traduit par la tentative de réduire au maximum la portée de la disjonction entre le plan de l'anatomie sexuelle et celui de la structure subjective. Par le biais d'institutions qui se concrétisent en autant de dispositifs d'ordre politicolangagiers, chaque individu de tel sexe sera donc conduit à adopter (parce qu'ils est mis en position de l'adopter) telle structure subjective ; chaque individu de tel sexe sera conduit à occuper (parce qu'ils est mis en position de l'occuper) telle position sur l'échiquier ; chaque individu de tel sexe sera conduit à trouver une place qui lui est préparée d'avance dans la grande grille des possibles humains. Cependant, les plus puissants et les mieux institués des dispositifs politicolangagiers ne peuvent faire en sorte de réduire à zéro la disjonction (nullement contingente) entre le plan de la structure subjective (qui comme telle n'a pas de sexe) et le plan de l'anatomie sexuelle (qui ne détermine pas a priori le destin structural du sujet). Entre le plan de l'anatomie sexuelle et le plan des structures subjectives singulières, existe une irréductible marge d'indétermination. Raison pour laquelle il n'est pas impossible que certains sujets adoptent, envers et contre leur société, des structures considérées comme contre-normatives. -> Aucun des dispositifs institutionnels visant à réduire, par le biais de dispositifs d'ordre politico-langagiers, la marge d'indétermination propre à chaque sujet humain, ne peut ramener cette dernière à zéro. Il est inévitable que certains sujets occupent des places qui ne leur ont pas été ''réservées''. -> Inutile ou presque de préciser que ces individus contre-normatifs se verront souvent le plus souvent malmenés par la société à laquelle ils appartiennent : en effet, nulle société n'aime à ce que l'on déroge à ses principes structuraux. -> Une exception à cette règle : il peut arriver (et il arrive le plus souvent) qu'une société réserve une place pour ses propres ''déviants''. A défauts d'être considérés comme des personnes ''normales'', ils se verront attribuer un rôle bien particulier qui permettra de minimiser la portée de leurs déviances (par exemple le rôle de bouffon du roi, de chaman, voire d'exclu, étant entendu que l'exclu, au même titre que le bouffon du roi, a son rôle à jouer dans l'économie politique de chaque société, qu'une place lui est donc chaque fois préparée d'avance). ——b : Une seconde raison permet de rendre compte des ''déviances'' structurales. C'est que, même dans le cas où tel individu occupe en apparence la place qui lui a été réservée, il ne peut jamais être parfaitement normé. Par exemple, même dans la société la plus rigoureusement patriarcale qui soit, aucun sujet masculin, fût-il soumis aux multiples lois et censures du souverain langage et de ses représentants, fût-il considéré comme plus obéissant des fils du Père et le plus loyal des sujets du Roi, ne sera tout à fait exempt d'une pointe d'hystérie. Et inversement : nulle personne de sexe féminin, fût-elle la plus hystérique qui soit, ne sera exempte d'une pointe de caractère obsessionnel. En effet, les structure subjectives ne sont pas exclusives l'une de l'autre, bien au contraire : dès lors que sont jetées les bases d'un ordre politico-langagier de type phallogocentrique, les structures qualifiées d'hystériques et d'obsessionnelles co-existeront de manière nécessaire, et à divers degrés, en chacun des sujets régis par cet ordre, par ses institutions, et ses dispositifs. Les raisons d'un tel état de fait sont relativement simples : chaque sujet naît ambi-genré. Le fait qu'à sa naissance, il appartienne anatomiquement au sexe masculin ou au sexe féminin ne peut empêcher qu'il s'identifie à un certain degré aussi bien au genre masculin qu'au genre féminin. Il faut comprendre par là que chaque sujet adoptera inévitablement un certain nombre d'attributs, attitudes et manières de désirer (caractéristiques d'une structure subjective) traditionnellement réservés aux 'femmes', d'autres attributs, attitudes et manières de désirer (caractéristiques d'une structure subjective) traditionnellement réservées aux 'hommes'. L'introduction de ce dernier point nous permet de revenir sur le distinction entre les notions de structure subjective et de genre -> La structure subjective se laisse définir comme la manière singulière de se positionner qu'un certain sujet est amené à adopter vis-à-vis d'un certain nombre d'instances symboliques (au premier nombre desquelles, l'instance symbolique du langage). La structure subjective détermine donc la place qu'un sujet est amené à occuper vis-à-vis d'instances politico-langagières qui lui préexistent. Elle décide de la manière dont ce sujet répond à la question du désir qui l'anime. -> Le genre se laisse définir comme un ensemble aux contours flous d'attributs, attitudes, manières de désirer (caractéristiques d'une structure subjective), en tant que ces attributs, attitudes et manières de désirer sont traditionnellement considérés comme le propre des sujets qui à leur naissance se trouvent anatomiquement dotés d'un certain sexe. Le genre a donc pour fonction de procurer à chaque sujet un certain nombre de schèmes ou modèles identificatoires normatifs correspondant au sexe qui est le sien. Dans une culture donnée, il permet d'apprendre aux individus de sexe féminin ce qu'est (donc doit être) 'une femme' ; et aux individus de sexe féminins ce qu'est (donc doit être) 'un homme' ; détermine traditionnellement une essence idéale de l'être-homme, et de l'être-femme auxquels les sujets respectivement dotés d'organes génitaux masculins ou féminins sont sommés de se conformer. Dans aucune culture les genres (considérés comme idéaux-types, ou essences normatives procurant un modèle identificatoire auxquels les sujets sont sommés de se conformer) n'ont de contours parfaitement déterminés ; la manière de définir chacun des genres doit en effet rester suffisamment floue pour que chaque nouveau-né puisse se voir doté d'une identité générique, malgré le fait qu'il se singularise par une foule de détails individuels. En d'autres termes, le genre doit pouvoir subsumer chaque individu, abstraction faite de ses inévitables et irréductibles singularités : la couleur des yeux, des cheveux, ou la taille ne sont nullement définis par le genre, ils n'ont qu'une importance très secondaire. Cela n'empêche pas l'existence de certains stéréotypes (celui de la blonde aux yeux bleus, ou du grand brun musclé) mais implique que pour l'essentiel, ce ne soit pas sur le plan des caractères individuels, mais sur un autre plan, et par des traits non singuliers, que chacun des idéaux-types génériques se laisse caractériser : — chaque genre est traditionnellement doté d'un sexe : du point de vue normatif qui prévaut dans une société de type patriarcal, être "homme", c'est par exemple au premier chef naître doté d'organes génitaux masculins ; être "femme", c'est d'abord naître doté d'organes génitaux féminins. — chaque genre est traditionnellement doté d'un certain type de structure subjective. Cette structure subjective, comme nous l'avons expliqué, détermine la manière dont chaque sujet est amené à répondre à la question du désir qui l'anime. Dire que chaque genre est doté d'un certain type de structure subjective, revient donc à avancer qu'à chaque membre de chaque genre sera attribué une certaine manière de désirer considérée comme normale, donc normative. Du point de vue qui prévaut dans une société de type patriarcal, être ''homme'', signifi era par exemple être doté d'une structure subjective qui détermine un désir de type hétérosexuel (orienté vers les ''femmes'') ; et c'est ici le lieu de préciser que la structure obsessionnelle (mentionnée ci-dessus) n'est qu'un exemple parmi d'autres de structure normative hétérosexuelle traditionnellement tolérée par une culture patriarcale, voire réservée aux ''hommes'' (elle se singularise par le fait que le désir obsessionnel est orienté de manière hétérosexuelle et se soumet aux censures du souverain). Il n'est pas moins vrai que la structure hystérique n'est qu'un exemple parmi d'autres de structure normative hétérosexuelle traditionnellement réservée aux ''femmes'' (individus qui naissent dotés d'organes génitaux féminins). En un certain sens, il s'avère donc que l'adoption d'une structure hystérique n'est pas seulement tolérée, mais même encouragée par une société de type patriarcale : ''l'hystérique'' correspond à l'une des idées que ''les hommes'' peuvent se faire de ''la femme'' et de son désir (idéalement orienté vers ''les hommes'', originairement adressé au Père). — Sexe et structure subjective ainsi sont les deux variables majeures, ou traits essentiels permettant de définir chacun des genres dans une société de type traditionnel. Par eux se trouve déterminée la position que chaque individu est normativement conduit à adopter dans le cadre de la division sexuelle du travail de reproduction de l'espèce (cadre dans lequel nous incluons le travail de reproduction des conditions matérielles de reproduction de l'espèce). Une 'femme'' doit par exemple traditionnellement être ''mère'', un ''homme'' être père. De là découlent tout un ensemble de prérogatives définies de manière moins rigides que les précédentes, mais que nous pouvons cependant inclure dans la notion d'idéal-type, ou modèle générique, au sens le plus large du terme : être ''femme'', donc participer à la reproduction de l'espèce en tant que '"mère'', implique par exemple, spécifiquement dans la culture petite-bourgeoise héritée du XIX° siècle, de s'occuper de ses enfants (d'où la figure historiquement déterminée de la ''femme au foyer''). Ces dernières prérogatives moins rigidement déterminées que les précédentes, sont régulièrement soumises à réévaluation (d'où là figure contemporaine de la "femme" à la fois "mère de famille" et activement impliquée dans sa vie professionnelle). De manière symétrique, être ''père'', impliquait traditionnellement d'être ''chef de famille'', donc de subvenir aux besoins de la maisonnée, d'où la figure historiquement déterminée du "breadwinner", à laquelle tend à se substituer une autre figure, celle du père attentif et mari attentionné qui partage la charge des tâches ménagères avec sa compagne (ce qui permet à cette dernière de trouver le temps de participer activement à la reproduction des conditions matérielles de reproduction de l'espèce, c'est-à-dire d'exercer une profession). - Nous pouvons ainsi de constater que la notion du genre n'est nullement synonyme de la notion de structure subjective. Le genre est une notion bien plus vaste et plus générale que celle de structure subjective ; la structure subjective n'est que l'une des composantes du genre. Du fait qu'un genre est souvent doté de contours vagues, perméables et flous (ce qui n'est pas un défaut, mais chose nécessaire à l'identifi cation générique) il existe une vaste palette d'attributs ainsi qu'une vaste gamme d'attitudes correspondant à chaque genre, avec maintes modulations, variantes et nuances envisageables. Il n'entre donc pas nécessairement, mais il peut entrer dans les prérogatives de ''l'homme'' d'être protecteur et doté d'attributs q u i l u i so n t ré se rvé s (l a h a ch e d e g u e rre , l e ma sq u e d e cérémonie totémique, la voiture, le ballon de football). Symétriquement, il n'entre pas nécessairement mais il peut entrer dans les prérogatives de la ''femme'' d'être 'tendre et dotée d'attributs qui lui sont réservés (la houe à bêcher le taro, le métier à tisser, le nécessaire de maquillage, et pour les plus jeunes la poupée). -> A chaque gamme d'attitudes génériques normatives correspond ainsi le plus souvent une série d'attributs. Si maintenant nous désirions définir ces termes de manière rigoureuse, nous dirions que la gamme d'attitudes qui correspond de manière traditionnelle à un genre désigne un ensemble cohérent de manières d'être et d'agir considérés comme normatives, voire idéales. Elles sont dans ce dernier cas qualifiées de ''vertus'' propres à un genre. On parlera donc des vertus respectives de "l'homme" et de "la femme" tout comme il a pu être question, pour Aristote, des vertus respectives du maître et de l'esclave. Ces ve rtu s so n t l e p l u s so u ve n t o p p o sé e s à d e s vi ce s n o n mo i n s caractéristiques (l'homme vertueux est courageux, l'homme vicieux est lâche — la femme vertueuse est fidèle, la femme vicieuse est volage…). Venons-en à la définitions rigoureuse des attributs propres à chaque genre. Nous désignons par là un ensemble très vastes d'objets, ou items, qui à la fois matérialisent et symbolisent un certain statut générico-social, donc une certains place assignée à l'individu par la société. Citons pour mémoire : les jeux et jouets que l'on offre ou que l'on impose traditionnellement aux enfants ; les vêtements portés (la manière de se vêtir évoluant non seulement selon le genre du sujet, mais aussi en fonction des âges de sa vie) ; enfi n, les attributs religieux, politiques, économiques qui renvoient à autant de fonctions et prérogatives réservées à chacun dans ces domaines respectifs (sachant qu'ils sont fonction de la classe sociale et du niveau de vie de la personne concernée). Un genre, c'est donc un ensemble de traits, au premier nombre desquels se trouvent le sexe de l'individu et sa structure subjective. Mais ce qu'il faut retenir de la notion de genre, c'est moins le fait qu'il s'agit d'un ensemble de traits composites de natures variées, que le fait qu'il s'agit véritablement d'un ensemble. Le notion de genre a en effet pour rôle d'intégrer, unifier, synthétiser la multiplicité des variables sus-mentionnées (sexe, structures subjective, attribut, attitude, rôle assigné) de sorte à procurer à chaque sujet des idéaux, modèles de 'l''homme''' et de ''la femme'' tels que sa culture les conçoit. De tels idéaux, modèles ou archétypes doivent être suffisamment généraux pour pouvoir être adoptés et imités sans imposer de contrainte intolérable, car trop sévère. De ce point de vue, un genre consiste donc en figures d'ordre purement imaginaires (images, idéaux, archétypes) vecteurs à la fois d'idéalisation et d'identification. Composantes du "genre" (considéré comme une réserve de modèles identificatoires, idéaux génériques ou archétype normatifs propres à une société) > sexe > plan de l'anatomie (qui ne fait pas le destin) > structure subjective > position vis-à-vis d'instances symboliques > détermination de l'orientation désirante du sujet > rôle dans la division sexuelle du travail de reproduction de l'espèce > attributs > symboles culturels de prérogatives génériques > attitudes > dont "vertus'' et "vices" génériques A considérer les choses de manière légèrement différente (nullement exclusive de la précédente) il s'avère que pour chaque dispositif institutionnel octroyant au langage la position souveraine et modelant le désir des membres de l'espèce humaine afin de les constituer en sujets dotés de structures subjectives, le genre n'est pas seulement une entité permettant l'intégration de diverses variables individuelles (dont la structure subjective elle-même) au sein de modèles identificatoires synthétiques, il est aussi est surtout un tertium quid entre le plan de l'anatomie et le plan de la structure. Le genre permet donc une jonction : il est une manière de lier le plan de l'anatomie (au niveau duquel chaque membre de l'espèce humaine se voit considéré comme un individu biologiquement conditionné) et le plan de la structure (au niveau duquel chaque membre de l'espèce humaine se trouve constitué comme sujet, considéré comme corrélat d'instances symboliques). Si l'imago générique peut jouer le rôle de médiateur entre le plan du sexe anatomique (-réel—) et celui de la structure (-symbolique—) c'est qu'elle est, comme l'indique le terme d'imago, ou idéal, purement imaginaire. Sur le plan générique sera donc considéré comme une personne (dont le noyau consiste en une identification imaginaire à des idéaux culturellement assignés) l'être qui sur le plan de la structure symbolique est considéré comme sujet, et sur le plan anatomique comme individu biologique membre de l'espèce humaine. > Symbolique Structure subjective > Imaginaire Idéal générique > Réel Anatomie sexuelle Base langagière Schème intégratif (Imago) Base matérielle > Sujet > Personne > Individu Le plus souvent, l'identification générique s'effectue par le biais d'agents médiateurs mis en position d'idéaux. Ce sont des figures vectrices d'identification imaginaire. Dans notre culture, et s'il y a conformité avec les normes établies : — c'est par le biais médiateur d'une identification subsidiaire à la figure idéalisée de son père (ou père imaginaire-) qu'un sujet doté d'organes sexuels masculins est conduit à s'identifier à la figure idéale générique de "l'homme". — c'est par le biais médiateur d'une identification subsidiaire à la figure idéalisée de sa mère (ou mère idéale-) qu'un sujet doté d'organes sexuels féminins sera conduit à s'identifier à l'idéal générique de "la 'femme". Chaque sujet est ainsi conduit à adopter, par le biais d'identifications, les attributs et attitudes génériques supposées convenir à son sexe. Si tel n'est pas le cas, les tenants de l'orthodoxie générique (hétérosexuelle) tendront à affirmer que le sujet en question a refusé l'assomption de son sexe, avec toutes les implications moralisatrices et potentiellement culpabilisantes qu'un tel jugement comportent. Cependant nous avons déjà souligné le fait que l'idéal genérique fonctionne comme schème identificatoire ouvert : il admet un grand nombre de nuances aussi bien singulières qu'individuelles, permet donc d'intégrer une grande diversité symbolique et réelle. Une conséquence paradoxale de cette large ouverture du schème générique est que chaque sujet (qu'il naisse doté d'organes masculins ou féminins, qu'il se voie doté d'une structure hystérique, obsessionnelle ou autre) est susceptible de s'identifier dans une certaine mesure (et ne manque pas de le faire à un certain degré) au genre auquel il ''ne devrait pas''. Par le jeu des identifications perméables, et fluides, pouvant coexister dans une certaine mesure et à divers degrés, se maintient durablement l'ambi-valence générique. Par conséquent, lors même qu'une identification générique considérée comme "normale" par les tenants de l'orthodoxie a été établie, cette identification demeure simplement prévalante : elle prévaudra sur l'autre sans pouvoir l'annuler. Il y aura donc co-existence. En d'autres termes : à quelque degré que ce soit, chacun de nous demeure irrémédiablement ambi-genré. C'est ici le lieu de rappeler qu'il n'en va pas de manière tout à fait différente sur le plan des structures subjectives. Nul sujet n'est monolithique : les positions qu'il adopte vis-à-vis des instances symboliques qui le structurent sont plurielles, quand bien même l'une d'entre elles tend à prévaloir. Aussi chaque sujet est-il susceptible d'adopter dans une certaine mesure plusieurs manières de désirer. Le plus souvent, un sujet qualifié d'obsessionnel ne sera tel que de manière massivement prévalante : le fait qu'il demeure soumis aux censures du langage ne l'empêchera pas d'aller nourrir en sourdine quelque désir hystérique pour la figure du souverain. Inversement, un sujet qualifié d'hystérique ne sera tel que de manière massivement prévalante : le fait de désirer la souveraine instance langagière ne pourra l'empêcher de devoir dans une certaine mesure soumettre son désir aux injonctions, lois et censures de l'ordre symbolique. Ainsi : — Nulle société, fût-elle dotée des plus puissants dispositifs institutionnels, n'est en mesure de soumettre à ses normes politico-langagières l'ensemble des individus qui en sont membres. Du fait de la disjonction entre le plan du réel anatomique et celui de la structure subjectives, existent des "déviants" (voir 10.a). — Pour des raisons d'ordre structurel, nulle société ne peut empêcher chacun des sujets qu'elle régit, fût-il le mieux normé, donc le plus normal, d'adopter en son for intérieur certaines manières de désirer radicalement contre-normatives. Et pourquoi ne pas aller jusqu'à dire que chaque sujet n'est véritablement doté d'une certaine subjectivité que dans la mesure où il n'est pas tributaire d'une structure unique, et ne se laisse donc pas réduire à une seule manière de répondre à la question de son désir ? La subjectivité de chaque sujet semble consister dans le fait qu'il puisse se mouvoir entre plusieurs structures, ce qui implique qu'il joue de l'irréductible différence entre plusieurs manières possibles de se positionner vis-à-vis d'instances symboliques auxquels il doit se référer. C'est précisément dans ce jeu sur la différence entre plusieurs manières de se positionner, dans le mouvement de passage entre l'un, l'autre, et peut-être d'autres encore, que Lacan situe l'effetde-sujet constitutif de ce que nous définissons ici comme la subjectivité : l'effet-desujet ne consiste qu'en un passage, une transition, voire au sens le plus littéral du terme une métaphore, ou motion transférentielle entre deux ou plusieurs modes de référence aux instances symboliques qui structurent le sujet. Cette motion transférentielle, constitutive d'une métaphore subjective, et qui consiste dans le passage du sujet d'une position vers une ou plusieurs autres, remet chaque fois en jeu la part d'irréductible équivocité de son désir. L'effet-de-sujet, constitutif de ce que nous définissons ici comme la subjectivité, permet de ne pas rester fixé sur ses bases, de ne pas camper sur ses positions, mais au contraire de faire jouer la dialectique du désir, en ce qu'il a d'irréductible à sa mise au pas par le biais d'une structure bien déterminée. La métaphore subjective est un jeu sur la différance. 11/ A l'issue de ce long détour et sans vouloir clore ni conclure quels points importants avancer ? — D'abord qu'à double titre, le destin ne peut se réduire à l'anatomie sexuelle. Non seulement les institutions politico-langagière, fussent-elles dotées des mécanismes ou dispositifs normatifs les plus performants, demeurent nécessairement incapables de réduire à zéro la portée de la disjonction entre le plan de l'anatomie sexuelle (base matérielle déterminant à sa naissance le sexe biologique d'un individu) et le plan de la structure subjective (base symbolique déterminant la manière dont le sujet répond à la question de son désir). Mais de plus, chacun est de toute nécessité amené à adopter, à quelque degré que ces soit, des identifications génériques et certains traits de structure considérés par les tenants de l'orthodoxie comme contre-normatives. — Soulignons ensuite que le fait de se considérer comme "homme" ou "femme" (ce qui dans notre culture implique traditionnellement de se considérer en premier lieu comme fils ou comme fille de ses géniteurs) est tout à fait indépendant du fait de naître doté d'organes génitaux masculins ou féminins (voire hermaphrodite). Le fait de se considérer comme "homme" ou comme "femme" ne dépend en effet nullement de facteurs anatomiques constitutifs de notre réel, mais d'identifications génériques qui sont pour leur part d'ordre purement imaginaire. — Enfin, et pour revenir à notre point de départ : nous sommes maintenant en mesure de mieux appréhender les raisons pour lesquelles nous avons spontanément tendance à conjuguer l'hystérie au féminin, l'obsessionnel au masculin. Nous pouvons donc cerner mieux la nature d'un état de fait relevant de part en part de l'idéologie en ceci qu'il s'avère à la fois parfaitement contingent et intégralement déterminé par des dispositifs d'ordre politico-langagier. Il nous est en effet donné de comprendre que l'hystérique (considérée comme une figure féminine) non moins que l'obsessionnel (considéré comme une figure masculine) sont de véritables produits culturels, des artefacts anthropologiques. La pure et simple existence de tels artefacts anthropologiques est largement due au fait que notre culture a traditionnellement adopté une manière bien particulière de considérer, de constituer, voire de construire les êtres susceptibles de se voir qualifiés d'humains : c'est en effet un trait spécifique de notre culture, que ces derniers soient traditionnellement considérés, constitués, voire construits comme des points de jonction, ou d'articulation, entre trois plans: le plan anatomique (réel), le plan générique (imaginaire) et le plan structurel (symbolique). L'hystérique, traditionnellement considérée comme une femme, est ainsi à la fois : — un individu membre biologique de l'espèce humaine, anatomiquement pourvue à sa naissance d'organes génitaux féminin — une personne identifiée au modèle générique (ou figure idéale, archétypique donc normative) de ce que doit être ''une femme'' dans notre culture — un sujet doté d'une structure qui la met en position de désirer l'instance symbolique souveraine qu'est le langage L'obsessionnel, traditionnellement considéré comme un homme est à la fois : — un individu, membre biologique de l'espèce humaine, anatomiquement pourvu à sa naissance d'organes génitaux masculins — une personne identifiée au modèle générique (ou figure idéale, archétypique donc normative) de ce que doit être ''un homme' dans notre culture — un sujet doté d'une structure qui le met en position d'obéir aux lois de l'instance symbolique souveraine qu'est le langage (ce qui implique pour ce sujet de soumettre son désir aux censures de ce dernier). S'explique donc qu'un préjugé tende à nous faire considérer comme "peu virils", voire quelque peu efféminés (avec tout ce que ces termes comportent d'injurieux) des personnes de sexe masculin ayant une structure hystérique. C'est que leur manière de désirer (qui en tant que telle n'est pas corrélée à leur sexe) se trouve être pour nous traditionnellement réservée aux personnes de l'autre sexe. S'explique également qu'un autre préjugé tend à nous faire considérer comme "peu féminines" (avec tout ce que ces termes comportent de machisme) des personnes de sexe féminin ayant structure obsessionnelle : leur manière de désirer (qui en tant que telle, n'est pas corrélée à leur sexe) se trouve être pour nous traditionnellement réservée aux personnes de sexe masculin. Remarquons néanmoins que notre culture tolère bien mieux les ''femmes peu féminines' que les ''hommes hystériques'''. Si la première de ces positions est plus répandue que la seconde, et nettement moins stigmatisante, c'est que notre culture demeure globalement patriarcale et massivement capitaliste. Il y est fort bien vu qu'une personne de sexe féminin adopte ce que nous considérons comme une manière de désirer plutôt masculine — ce qui lui permettra le cas échéant d'entrer dans le monde du travail et de mettre la censure de ses désirs au service du système d'accumulation de capital. Finissons donc en soulignant une nouvelle fois le caractère hautement idéologique des normes de corrélation entre structure subjective, identification générique et anatomie sexuelle. Chacun de ces modes de corrélation (qui permettent de constituer, voire de construire des êtres humains) de même que chaque modèle identificatoire (ou archétype génériques considéré comme normatif) est un produit de mécanismes de pouvoirs relayés par des dispositifs d'ordre politico-langagier. Ces dispositifs, fonctionnent comme des appareils idéologiques. Et l'idéologie consiste en l'ensemble des normes qui se font passer pour naturelles, ont prise sur le réel, et le déterminent d'une façon qui se révèle en définitive arbitraire, et contingente.