Mephisto Istvan Szabo
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Mephisto Istvan Szabo
Novembre 2006 148 Istvan Szabo « Être ou ne pas être » Fiche d’analyse de film Klaus Maria Brandauer Krystyna Janda Ildiko Bansagi Karin Boyd Rolf Hoppe Christine Harbort Gyorgy Cserhalmi Mephisto Hongrie • 1981• Couleurs • 2h24 •Prix du meilleur scenario à Cannes en 1981/Oscar du meilleur film etranger 1982 Scénario Scénario : Istvan Szabo, Peter Dobai d’après le roman « Mephisto » de Klaus Man (1936) Photographie Lajos Koltai Musique Zdenko Tamassy HISTOIRE L’histoire Seul dans sa loge du théâtre de Hambourg, l’acteur Hendrik Hoefgen enrage d’entendre les applaudissements du public envers la chanteuse Dora Martin. De colère, il déchire tout ce qui lui tombe sous la main puis se précipite vers Dora qu’il congratule à son tour. Tout en lui faisant remarquer qu’elle n’est pas dupe de son hypocrisie, Dora le félicite néanmoins pour son talent d’acteur. Cette reconnaissance apaise Hendrik qui semble rongé par un rêve : accéder au succès dans la capitale berlinoise. Bien qu’incontestablement talentueux, tout en Hendrik respire la fausseté et l’égocentrisme. Juliette, sa jeune maîtresse noire avec laquelle il s’entraîne à danser, n’hésite pas à le lui dire, de façon très directe. Elle se moque de son amant tout en le regardant danser… et lorsqu’il lui annonce être tombé amoureux, elle semble très dubitative. C’est sans doute le caractère passionné d’Hendrik, sa force de conviction pour défendre un théâtre d’avant-garde communiste qui a séduit Barbara, jeune intellectuelle. Leur mariage a lieu. Hendrik poursuit avec son ami Otto le développement d’un théâtre populaire qui vise à donner au spectateur un rôle actif. Seule, la virulence d’Hendrik envers les acteurs qui parfois se teinte d’une certaine méchanceté jette quelques doutes dans le regard de Barbara. oreille à toutes les mises en garde venues de son entourage. Aussi bien celles de Dora Martin qui pressentant les grands bouleversements de l’Allemagne lui annonce son départ imminent pour les USA. Ou celles de Barbara qui lui apprend un beau matin l’élection à Berlin d’un nouveau chancelier donnant plein pouvoir aux nazis. En vain, cherche-t-elle à le convaincre de fuir avec elle. Quant à Otto, lorsqu’il vient à son tour lui demander de jouer une pièce pour s’opposer à la dictature et amener le public à les suivre dans leur position, Hendrik refuse de s’engager. A tous, il fait la même réponse : il n’est qu’un acteur et n’a pas à prendre part à la politique. Un jour, alors qu’il est à Budapest pour le tournage d’un film, Hendrik est dans l’impossibilité de pouvoir rentrer en Allemagne. Son nom est sur liste noire, affilié à ceux d’Otto et de Barbara connus pour leur opposition au régime. Il obtiendra l’autorisation de rentrer grâce à Lotte qu’il avait auparavant si méprisée, qui admiratrice de son talent, intercède auprès des autorités. Dès lors, après son retour à Berlin, Hendrik évolue très vite dans les hautes sphères du pouvoir nazi où son génie d’acteur le fait apprécier de tous. Il fréquente régulièrement Lotte, le premier ministre auprès duquel il acquiert même une certaine influence qui lui permettra d’obtenir la réintégration d’Otto au théâtre. De la même façon que son agressivité la surprend lorsqu’elle lui dit s’être entretenu avec Hans Miklas, un acteur connu pour être proche du parti nazi. Ses propos blessants envers Barbara ont quelque chose d’excessifs. Cependant, sa nomination en tant que directeur du théâtre d’état, le contraint à accepter en contrepartie certaines exigences du ministre : l’expulsion de Juliette, la fusillade de Miklos et le soi-disant suicide d’Otto. Excessive aussi la violence avec laquelle il dénigre Lott, une actrice qu’il sait proche des nazis, et affronte ouvertement Miklas qui prend la défense de l’accusée. A la suite de cette altercation, Hendrik n’aura de cesse d’obtenir le renvoi de Miklas du théâtre de Hambourg. A l’apogée de sa réussite, il ne lui reste plus qu’à légitimer ses actes à ses propres yeux. En compagnie de Nicoletta, actrice et ex-amie de Barbara, devenue son épouse, Hendrik affirme la supériorité de l’art sur le monde, se donnant à tous deux une valeur d’exemple et de soutien pour le peuple. Peu après, Hendrik quitte Hambourg pour Berlin où l’appui de sa femme et de Dora lui permet de trouver rapidement un poste. Après s’être gagné les faveurs du public ouvrier, grâce à ses paroles engagées et libératrices, il multiplie les rôles jusqu’à obtenir celui de Mephisto qui lui assurera la notoriété. Fort de ce succès, Hendrik feint d’ignorer la détérioration du climat social annonciateur de la montée du nazisme. Il fait également la sourde Pistes de Réflexion Pistes de réflexion Adaptation du roman homonyme de Klaus Mann, Mephisto nous livre le portrait magistral d’un comédien qui n’hésita pas à renier ses positions antinazies pour accéder au succès qu’il désirait plus que tout. Outre la remarquable description d’un homme au double visage à la fois passionné et talentueux mais aussi d’une faiblesse et d’une hypocrisie incommensurable, Szabo nous interroge sur la place de l’art et de l’artiste dans la société. travers regard de l’autre Exister àà travers le le regard de l’autre • Exister Szabo parvient à nous brosser un portrait subtil d’Hendrik Hoefgen dont l’ambiguïté et la fausseté sont à un tel point troublantes qu’elles nous interrogent. Et ce, d’autant plus que le personnage n’est pas dénué de lucidité et que les vérités que lui assènent ses proches, bien que très frontales, semblent n’avoir aucune prise sur lui. Hendrik les accepte sans sourciller, avec pour seule réponse : « Je ne suis qu’un acteur ». Sa seule raison d’être est de se donner en spectacle, de se faire aimer. Dans la vie, Hendrik est insignifiant. Rien n’a de prix à ses yeux. La passion avec laquelle il défendait le théâtre d’avant-garde ou s’opposait au nazisme se révèle sans fondement, purement circonstancielle. Comme s’il ne s’était agi que d’une composition de plus. Quelque chose néanmoins trahit un vide en lui. Une sorte d’agitation s’empare du corps d’Hendrik et le secoue tel un pantin. Peutêtre, à force de vouloir trop en faire pour paraître vrai. Trop, en effet, lorsqu’il s’oppose au national socialisme, trop également lorsqu’il s’emporte contre Barbara pour avoir discuté avec Miklas, ou lorsqu’il critique Lott. Son corps est soudain la proie d’une violence quasi hystérique, incontrôlable, démesurée, qui rend suspecte ses véritables motivations. Cette exubérance nous donne la perception que le sujet autour duquel il s’anime n’est que pure prétexte et que sa virulence n’est qu’une façon d’exercer son pouvoir sur les plus petits. En fait, progressivement le réalisateur nous montre l’immense faiblesse d’Hendrik. Sa rencontre avec le premier ministre qui le prendra sous son aile est éclairante. L’homme dans une poignée de main saisit l’étrange mollesse de l’acteur qui tranche avec ses airs décidés. Hendrik est constitué par une fracture et n’a pas de réelle consistance. Il est habité par la peur de ne pas être reconnu et aimé, la honte de l’échec. Prêt à tout pour être valorisé, il saura parfaitement se soumettre à l’obéissance du premier ministre pourvu que celui-ci l’aide à obtenir ce dont il a tant besoin pour vivre : le succès. Pacte entre deux hommes qui serviront l’un et l’autre le même objectif : la quête de gloire et de puissance dont Szabo nous révèle à travers le portrait psychologique d’Hendrik qu’il prend racine dans un sentiment de faiblesse et de honte éprouvé dès son enfance. Cette réflexion peut être étendue à la situation historique et politique de l’Allemagne. Si les idées du national socialisme ont obtenu tant d’écho parmi le peuple, n’est-ce pas parce que leur pays sortait d’une période d’humiliation ? tout en douceur • UnUnpacte pacte diabolique diabolique tout en douceur Fidèle au roman de Klaus Mann, l’interprétation du Mephisto de Goethe sera pour Hendrik le rôle de sa vie, la révélation de ce qu’il est en train de devenir en profondeur, insidieusement. Cette transformation se fait tout en douceur. Hendrik pactise progressivement avec le régime nazi, se donnant bonne conscience en continuant à aider quelques proches. Il arguera également que la meilleure façon de pouvoir lutter contre le régime est d’être à l’intérieur. Or, nous le voyons, Hendrik n’aura finalement aucun pouvoir, sinon de servir toujours plus un régime assoiffé de magnificence et de puissance. De fait, uniquement centré sur lui-même, Hendrik vit totalement coupé des évènements de la société qui l’entoure. Rien ne l’atteint, sinon sa carrière théâtrale. Peu lui importe ce qui se passe autour de lui. Ainsi le pacte avec le diable ne se révèle pas par des comportements spectaculaires mais plutôt par une façon de consentir à des compromis, d’accepter le mensonge, de se renier soi-même. Hendrik n’apparaît pas vraiment mauvais ou cynique. De même qu’il n’est pas totalement incapable de sentiments et nous le voyons intercéder à plusieurs reprises pour ses amis : Juliette et Otto. Mais jamais son attachement ne pourra aller jusqu’à renoncer à son rêve de gloire qu’il l’anime par-dessus tout, pour suivre ses amis ou rester fidèle à ses engagements de départ. A aucun moment ne se pose pour lui de question morale ou éthique, ou l’idée qu’il puisse grandir intérieurement malgré ses fragilités. Hendrik semble avoir plutôt décidé de prendre une revanche sur la faille qu’il a vue en lui. Effrayé par lui-même, il semble comme avoir renoncé à être lui, préférant pactiser avec ceux qui pourront lui offrir la puissance nécessaire pour vivre. Version douce d’une vision du mal qui avant tout éloigne chacun de sa propre vérité. Hendrik ne le sait que trop lorsqu’il se regarde dans le miroir. Il sait avoir abandonné quelque chose de lui-même. De même qu’il se moque de la liberté dont lui parle Barbara à Paris. Sans doute l’effraie-t-elle. Il lui préfère la sécurité d’un abri, à l’image de la bouche du métro vers laquelle il court s’enterrer. Le comble est de voir comment Hendrik récupère « Hamlet » de Shakespeare qui pose une question essentielle pour l’homme, celle de choisir entre l’être ou le non-être. Hendrik a choisi le néant : « Mes yeux ne sont pas mes yeux, mon visage n’est pas mon visage, mon nom n’est pas mon nom ». etlelepolitique politique L’art et • L’art Sans doute, le roman de Mann aura suscité un questionnement pour Szabo qui, en tant qu’artiste, a du éprouver l’écartèlement de vivre dans un régime didactorial. L’art est au dessus du monde et de ses bassesses, finira par dire Hendrik dans un besoin de justifier sa position. Peut-on imaginer que l’artiste et son œuvre puissent exister indépendamment de ce qui l’entoure ? Affirmer une telle autonomie, une pureté de l’art relève de l’arrangement avec sa conscience. Nous contacter Il n’en reste pas moins que la question n’est pas simple pour l’artiste. Doit-il quitter son pays lorsque le régime politique ne lui permet plus de s’exprimer librement ou commet des crimes contre l’humanité ? Peut-il s’accommoder d’une cohabitation qui lui demandera des compromis dans l’espoir toutefois de pouvoir opposer une résistance ? Partir ou rester… la réponse ne peut pas être contenue dans ces deux seuls termes mais plutôt dans la position que va tenir l’artiste. Ce que dénoncent Klaus Mann et Istvan Szabo, ce sont ces artistes qui se sont mis entièrement au service d’une dictature en dévoyant la nature même de l’art. Nous assistons à la collusion entre le théâtre, dans sa forme la plus négative, et le fascisme qui n’est lui-même que mise en scène, pure comédie. Il est spectacle avant tout, exhibition de corps qui évoquent la puissance et la beauté, création d’une architecture monumentale et fastueuse à l’image de l’écrasant pouvoir avec lequel il dirige. C’est un art du grotesque que met en évidence Szabo. Un grotesque mis en parallèle avec certains aspects de la personnalité d’Hendrik, dont le corps et la gestualité ont parfois quelque chose de monstrueux. Ainsi le gros plan sur son visage lorsqu’il se rince dans le lavabo. Grotesque le moment où il danse avec Juliette en se trémoussant ou lorsqu’il affiche un plaisir évident à entraîner ses danseuses sur l’air du « French cancan ». Cette gesticulation de son corps a quelque chose d’obscène dans le sens où sont exprimées ses pulsions les plus profondes, révélatrices d’un manque à être. « Le corps grotesque est un corps en mouvement. Il n’est jamais prêt ni achevé : il est toujours en état de construction, de création et lui-même construit un autre corps; de plus ce corps absorbe le monde et est absorbé par ce dernier » (M. Bakhtine). Tel le vermisseau qui, au dernier plan, se tortille, perdu dans l’immensité du néant. Cette impuissance à être, le fascisme le comble dans le théâtre, tout comme Hendrik. La réalité n’a plus d’existence, seule reste la scène qui sera le théâtre de toutes les justifications. Christine FILLETTE U n r é s e a u d ’ am i s r é u n i s p a r l a p a s s i o n d u c i n é m a 6 Bd de la blancarde - 13004 MARSEILLE Tel/Fax : 04 91 85 07 17 E - mail : [email protected]