La clause pénale en droit tunisien Frej LOKSAIER La clause pénale
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La clause pénale en droit tunisien Frej LOKSAIER La clause pénale
La clause pénale en droit tunisien 1 Frej LOKSAIER Maître-assistant à la Faculté de Droit de Sousse La clause pénale est considérée en droit tunisien comme étant une convention accessoire par laquelle les parties contractantes déterminent le montant de la réparation du préjudice prévisible subi par le créancier à la suite de l’inexécution par le débiteur de son obligation principale ( Civ. n° 5820 du 20 juin 1968 ). Cette clause est pratiquée en Tunisie dans différents types de contrats, spécialement dans les contrats de prêt d’argent, de vente, de promesse de vente et d’entreprise, pour déterminer le montant du préjudice dû au retard dans l’exécution. N’étant pas spécialement réglementée par la législation tunisienne, la clause pénale a reçu un accueil favorable de la part de la jurisprudence qui a toujours reconnu sa validité sur la base de l’article 242 du code des obligations et des contrats qui consacre le principe de l’autonomie de la volonté en faisant de toute convention valablement formée la loi des parties. Cette jurisprudence pourrait trouver appui également dans la règle générale énoncée par l’article 559 du code précité selon lequel « tout rapport de droit est présumé valable et conforme à la loi, jusqu’à preuve contraire ». 1 Communication au colloque organisé par la Faculté de droit de Sfax du 3 au 4 avril 2000 sur l’aménagement conventionnel de l’inexécution du contrat. Toutefois, la clause pénale validée par la jurisprudence tunisienne est celle dont le montant est une pure indemnité du préjudice prévisible. Cette jurisprudence rejette donc implicitement la clause pénale comminatoire dont le montant constitue totalement ou partiellement une peine privée prévue à l’encontre du débiteur défaillant. En choisissant à la clause pénale une fonction purement indemnitaire, la jurisprudence tunisienne rejoint sur ce point essentiel la solution de bon sens qu’adopte beaucoup de textes de lois étrangères dont on peut citer parmi eux celui de l’article 1229, alinéa 1er, du code civil français qui énonce que « la clause pénale est la compensation des dommages et intérêts que le créancier souffre de l’inexécution de l’obligation principale ». Il existe en droit comparé des systèmes juridiques qui ont opté explicitement pour une clause pénale à fonction totalement ou partiellement comminatoire. C’est le cas par exemple du code des obligations suisse dont l’article 161 stipule que « la peine est encourue même si le créancier n’a éprouvé aucun dommage ». Ce système qui permet aux parties de prévoir une véritable peine privée à l’encontre du débiteur défaillant, a toujours été implicitement rejeté par la Cour de cassation tunisienne : cette juridiction a constamment affirmé clairement et explicitement que la clause pénale n’est qu’un moyen de déterminer le montant du préjudice du créancier ( Civ. n° 5830 du 20 juin 1968 ; Civ. n° 7919 du 28 avril 1975 ; Civ. n° 42624 du 2 avril 1994 ). Une telle solution doit, à notre avis, être approuvée et encouragée, car elle est conforme au droit commun des obligations contractuelles auquel la jurisprudence se réfère pour réglementer la clause pénale en droit tunisien. En effet, lorsqu’on se rapporte aux règles qui régissent l’inexécution des obligations contractuelles dans le C.O.C., la peine privée ne serait justifiée qu’à l’encontre du débiteur de mauvaise foi. Or, aux termes de l’article 558 du code précité « la bonne foi se présume toujours, tant que le contraire n’est pas prouvé ». Cette règle générale trouve application dans l’article 278 du même code qui ne permet la condamnation du débiteur à une peine privé qu’à la constatation par le juge du caractère dolosif de sa faute, c’est-à-dire de sa mauvaise foi. Ce système interdit donc aux parties contractantes de faire du montant de la clause pénale une peine privée, car selon l’article 278 la peine privée ne sanctionne que la mauvaise foi et d’après l’article 558 la mauvaise foi ne se présume pas et droit être constatée par le juge au moment de l’inexécution. Ainsi, la seule solution qui soit conforme au droit commun des obligations contractuelles auquel la clause pénale est soumise, est celle qui fait du montant de cette clause une évaluation préalable et forfaitaire de la réparation du préjudice prévisible subi par le créancier en cas d’inexécution par le débiteur de son obligation principale. Il est vrai que ce système est contesté par une idée très répandue selon laquelle la clause pénale doit nécessairement prévoir une peine privée pour assurer au créancier l’exécution par le débiteur de son obligation principale. Mais cette idée ne serait exacte que si le débiteur refusait volontairement d’exécuter son obligation principale alors qu’il était dans la possibilité de le faire, c’est-à-dire qu’il était de mauvaise foi. Or, comme on vient de l’expliquer, le régime général de la responsabilité contractuelle est fondé sur un comportement ordinaire de bonne foi du débiteur et rejette la présomption de la mauvaise foi de ce dernier. De plus, la pratique judiciaire en matière de clause pénale prouve l’inexactitude de l’idée doctrinale précitée, puisque les clauses pénales coercitives ne réussissent presque pas à assurer l’exécution lorsque l’inexécution n’est motivée que par l’imprudence ou le manque de prévoyance du débiteur. On en a pour preuve les clauses pénales draconiennes insérées en France dans les contrats de crédit-bail pendant les années 60-70, période de surchauffe économique qui, au lieu d’assurer l’exécution de l’obligation principale par le preneur, avaient provoqué l’afflue des plaideurs devant les tribunaux et la crise de la clause pénale, ce qui avait amené le législateur français à permettre au juge, par la loi de 1975, de réduire l’indemnité conventionnelle excessive et d’augmenter celle qui est dérisoire. Devant l’excès de certaines clauses pénales qui cherchent à punir le débiteur présumé de bonne foi et qui, par la même occasion, permettent au créancier de s’enrichir sans cause, la Cour de cassation tunisienne a, à son tour, adopté en 1994 la solution préconisée par la loi française du 9 juillet 1975, et ce après une longue période durant laquelle elle avait interdit au juge toute révision de l’indemnité conventionnelle. Cette solution jurisprudentielle, fondée sur la présomption de bonne foi qui doit présider dans les relations contractuelles conformément à l’article 243 du C.O.C., peut permettre aux parties de tirer de la clause pénale tous les avantages dont elle est destinée à produire, tout en la maintenant en totale harmonie avec le régime général de la responsabilité contractuelle. En effet, une clause pénale à fonction purement indemnitaire peut être, pour un débiteur de bonne foi, aussi incitatrice à l’exécution qu’une clause comminatoire. De plus, nous croyons que seule une telle clause pénale peut permettre aux parties de bonne foi de profiter de son avantage principal qui est celui d’éviter un procès coûteux et parfois épuisant, tout en permettant au créancier d’obtenir une réparation équitable assez rapidement et sans être obligé de prouver le dommage. Toutefois, l’imprévision, la mauvaise prévision, la pratique des contrats d’adhésion, l’abus par certains créanciers de leur position dominante, l’exécution partielle, le caractère dolosif de la faute du débiteur et la faute éventuelle du créancier, sont autant de facteurs qui peuvent rendre le contrôle de la clause pénale nécessaire au moment de son application. L’étude du régime de la clause pénale en droit tunisien, nous amènera donc à examiner dans deux parties successives l’application (I) et le contrôle judiciaire de cette clause (II). I – L’APPLICATION DE LA CLAUSE PENALE Pour être appliquées la clause pénale doit être valable (A) et le débiteur doit être responsable du préjudice dont la dite clause prévoit la réparation (B). A -Validité de la clause pénale La clause pénale est une convention accessoire conclue préalablement à la réalisation du dommage. Cet accord peut se réaliser au moment de la conclusion du contrat principal ou à une date ultérieure, qui doit être nécessairement antérieure à la date de l’inexécution de l’obligation principale et de la réalisation du préjudice du créancier ; car la convention relative à l’indemnisation du créancier conclue après l’inexécution est une transaction soumise aux articles 1458 et suivants du C.O.C., et non une clause pénale. Pour être valable, la stipulation de dommages-intérêts doit encore être insérée dans un contrat valable et adjointe à une obligation contractuelle principale valable. Ainsi, en tant qu’accessoire de l’obligation principale à laquelle elle est adjointe, la clause pénale suit nécessairement le sort de cette dernière. Toutefois, malgré son caractère accessoire, la validité de la clause pénale doit encore être appréciée indépendamment de l’obligation principale. En effet, comme tout acte juridique, cette clause est soumise aux règles qui régissent le fond et la forme des conventions. Pour être valable, la clause pénale doit donc être constituée conformément à la loi. C’est ce qui est constamment affirmé par la Cour de cassation sur la base de l’article 242 du C.O.C ; qui soumet la force obligatoire de tout accord de volonté à la condition de sa validité. Conformément à cette règle, lorsque la cause de la clause pénale est illicite, parce que, par exemple, la clause prévoit une peine privée, cette clause devrait normalement être annulée. C’est la solution qui a été adoptée par la jurisprudence belge à plusieurs reprises, sur la base des mêmes textes législatifs que ceux qui régissaient la clause pénale en droit français avant 1975 ( Civ. belge du 17 avril 1970 et du 24 nov. 1972). Cette solution, qui n’a jamais été prononcée explicitement par la Cour de cassation tunisienne, peut facilement être adoptée par le juge du fond tunisien, car non seulement elle est conforme au droit commun des obligations mais la Haute Cour, dans son arrêt de 1994, l’a elle même laissée entendre en affirmant que le juge peut annuler la clause pénale dans le cadre de son pouvoir de contrôle de cette institution. La clause pénale est encore interdite lorsqu’elle est insérée dans un contrat qui ne peut pas, d’après la loi, contenir une telle clause. Ce genre de prohibition est explicitement prononcé par le dernier alinéa de l’article 413 du code du travail qui interdit la détermination conventionnelle par avance de l’indemnité de clientèle due au salarié voyageur, représentant ou placier pour rupture par son employeur de son contrat de louage de service. On peut aussi considérer la clause pénale, adjointe à une obligation de sécurité, comme étant contraire à l’ordre public qui devrait normalement garantir à la victime du dommage corporel dû à l’inexécution de la dite obligation une réparation intégrale, qui ne pourrait jamais être convenablement déterminée par les parties avant la réalisation du préjudice ( v. art. 656 C. com. ). La question de la validité de la clause pénale peut encore être posée lors de la résolution du contrat principal : en effet, l’application de la clause pénale peut-elle être cumulée avec la résolution du contrat principal ? Ou, en d’autres termes, la résolution du contrat pour inexécution de l’obligation principale rendrait-elle la clause pénale caduque et non susceptible d’application ? La réponse à cette question est relativement simple, puisqu’elle est annoncée clairement par l’article 273 du C.O.C. aux termes duquel le créancier « pourra demander la résolution du contrat ainsi que les dommages-intérêt ». Cette solution est tout à fait logique, car si la résolution permet au créancier de se délier du contrat et de reprendre ce qu’il a livré ou versé à son cocontractant récalcitrant, elle ne répare pas le préjudice qu’il a subi à la suite de l’inexécution de l’obligation principale. La même solution est encore énoncée en d’autres termes par un arrêt des Chambres réunies de la Cour de cassation qui affirme que « l’existence d’une clause pénale dans un contrat n’empêche pas le créancier de demander sa résolution si les conditions de cette résolution sont réunies » ( Civ. n° 11637 du 16 octobre 1989 ). La validité de la clause pénale peut également être discutée lorsque l’obligation principale consiste dans le payement d’une somme d’argent. En effet, selon le deuxième alinéa de l’article 278 du C.O.C., « dans les obligations qui se bornent au paiement d’une certaine somme, les dommages-intérêts ne consistent que dans la condamnation aux intérêts fixés par la loi ». Par la formule qui emploie « les dommages-intérêts ne consiste que », ce texte peut faire croire qu’il contient une règle d’ordre public qui interdirait aux parties d’adjoindre à une obligation de somme d’argent une clause pénale qui détermine une indemnité conventionnelle différente de celle du taux légal d’intérêt fixé par l’article 1100 du C.O.C.. Mais il ne s’agit là que d’une apparence, car les clauses pénales insérées dans les contrats de prêt d’argent sont assez fréquentes en Tunisie sans que leur validité n’est jamais été mise en cause par la jurisprudence. De plus, l’article 1100 précité stipule explicitement que le taux d’intérêt légal ne s’applique qu’en l’absence d’une convention entre les parties sur cette question ; ce qui prouve le caractère supplétif de la règle que contient l’article 278 précitée. Reste à savoir dans ce contexte si une clause pénale excessive prévue dans un contrat de prêt d’argent ou un contrat assimilé pourrait oui ou non tomber sous le coup de la loi du 15 juillet 1999 qui prohibe les taux d’intérêt excessifs ? En principe, cette loi ne devrait pas s’appliquer à la clause pénale, car le taux d’intérêt qu’elle prohibe est le taux excessif prévu pour la rémunération du prêt, alors que la clause pénale ne vise que la réparation du préjudice prévisible occasionné par l’inexécution de l’obligation. Toutefois si l’interprétation de la clause peut laisser entendre l’existence d’une volonté implicite pour faire de l’indemnité conventionnelle une rémunération du capital prêté, cette clause serait à notre avis nulle pour cause illicite qui consisterait dans la fraude à la loi du 15 juillet 1999. Il ressort de ces questions soulevées que le créancier ne peut demander l’indemnité conventionnelle que si la clause est valable. Mais pour exiger l’application de la clause pénale, il faut encore que le débiteur soit responsable du dommage subi par le créancier à la suite de l’inexécution de l’obligation principale. B – La responsabilité contractuelle du débiteur En règle générale, la responsabilité contractuelle nécessite l’existence d’un préjudice subi par le créancier à la suite de l’inexécution imputable au débiteur . Mais ce qui caractérise la clause pénale, c’est l’existence d’un accord préalable qui fait que l’inexécution par le débiteur de son obligation principale soit suffisante pour que le créancier puisse demander l’indemnité conventionnelle. Cela veut dire que le créancier qui demande l’application de la clause pénale ne doit prouver que l’inexécution de l’obligation principale, car par l’effet de la clause pénale, le préjudice et la causalité se trouvent présumés. Il en résulte que le créancier est dispensé de la preuve du préjudice et de la causalité, puisque la clause pénale suppose que l’inexécution par le débiteur de son obligation principale produit le préjudice prévu et évalué préalablement par la clause en question. Mais, il ne s’agit là que d’une présomption simple, car la preuve par le débiteur de l’absence de préjudice doit normalement empêcher l’application de la clause pénale, ou permettre de la réduire à néant. Toutefois, en matière d’obligation de somme d’argent cette présomption devrait normalement être irréfragable en application de la règle énoncée par le troisième alinéa de l’article 278 du C.O.C. selon laquelle les dommages-intérêts sont dus en cette matière « sans que le créancier soit tenu de justifier d’aucune perte ». En cette matière, le créancier peut donc exiger le paiement de l’indemnité conventionnelle prévue pour la réparation du préjudice dû au retard dans le paiement d’une somme d’argent, sans qu’il soit obligé de prouver l’existence de ce préjudice et sans que le débiteur puisse prouver l’absence de ce même préjudice. Mais si la fonction et la nature de la clause pénale permettent au créancier de profiter d’une présomption qui le dispense de prouver le préjudice, la preuve établie par lui de l’inexécution de l’obligation principale reste une condition nécessaire pour l’obtention du forfait conventionnel. Toutefois, cette preuve est relativement simple en matière de clause pénale, en raison du fait que la stipulation de l’indemnité conventionnelle est le plus souvent adjointe à une obligation de résultat dont l’inexécution peut être prouvée par la simple arrivée du terme ( v. art. 269, al. 1er, du C.O.C.) ou par une simple mise en demeure du débiteur ( v. art. 269, 2ème al ; du C.O.C.). Lorsque la clause pénale sanctionne le retard dans l’exécution d’une obligation de somme d’argent, l’application de l’indemnité conventionnelle nécessite toujours en principe une interpellation du débiteur (v. art. 278, al. 4 du C.O.C.). Cette mise en demeure est encore nécessaire pour que l’indemnité conventionnelle soit elle même une créance exigible productrice de l’indemnité forfaitaire prévue par l’article 278 du code des obligations et des contrats. Lorsque la clause pénale prévoit la compensation du préjudice dû à l’inexécution totale ou partielle de l’obligation principale dont l’exécution est encore possible, le créancier a, en vertu de l’article 273 du C.O.C., le choix entre l’application de la clause pénale et la poursuite de l’exécution en nature de l’obligation principale. La demande de l’application de la clause pénale doit normalement être adressée au débiteur lui même. Si ce dernier refuse le paiement de l’indemnité conventionnelle, le créancier peut encore demander ce payement par la procédure judiciaire de l’injonction de payer ( Civ. n° 16244 du 23 novembre 1988 ) ou de l’action civile ordinaire. Le payement de l’indemnité conventionnelle peut même être proposé spontanément et volontairement au créancier par le débiteur défaillant. Mais dans tous les cas, le débiteur peut s’opposer à l’application de la clause pénale en prouvant l’absence de sa responsabilité contractuelle à l’égard du créancier. Il peut le faire en prouvant, par exemple, que l’inexécution de l’obligation principale est imputable à une cause étrangère qui peut être, selon l’article 282 du C.O.C., soit la force majeur, soit la faute du créancier. Le débiteur peut encore, sans s’opposer totalement à l’application de la clause pénale, demander simplement la révision judiciaire du montant de l’indemnité conventionnelle. Cette révision peut encore être demandée par le créancier qui estime, pour une raison ou une autre, que l’indemnité conventionnelle est insuffisante par rapport au préjudice qu’il a subi. Lors de l’application de la clause pénale, le juge peut donc être amené à contrôler cette clause afin de réviser son montant. II – LE CONTROLE JUDICIAIRE DE LA CLAUSE PENALE La clause pénale devrait permettre aux parties contractantes d’éviter un procès éventuel qui peut leur faire perdre beaucoup de temps et d’argent sans être totalement satisfaisant. Mais, cet avantage important ne doit pas nous faire oublier le danger que cette justice privée pourrait constituer pour l’une ou l’autre des parties contractantes si on interdisait au juge de contrôler le montant de la clause pénale. En effet, l’indemnité conventionnelle peut s’avérer au moment de son application totalement disproportionnée par rapport au préjudice réel subi par le créancier. Dans ce cas le juge doit pouvoir réviser le montant de la clause pénale soit en application du principe d’équité (A) soit en application des règles générales de la responsabilité contractuelle (B). A – La révision judiciaire du montant de la clause pénale en application du principe d’équité Par son arrêt du 28 avril 1994, la Cour de cassation tunisienne a permis au juge de réviser l’indemnité conventionnelle sur la base du principe d’équité. Cet arrêt constitue un renversement jurisprudence antérieure de la Haute Cour. de la En effet, avant 1994, la Cour de cassation avait interdit au juge de modifier le montant de la clause pénale par respect du principe de l’autonomie de la volonté consacré par l’article 242 du C.O.C. ( v. Civ. du 20 juin 1968 et Civ. du 28 avril 1975). Depuis l’arrêt de 1994, l’application de l’article 242 qui fait de toute convention valable la loi des parties est assouplie et limitée en matière de clause pénale par l’application du principe d’équité. Nous souhaitons que cette solution soit confirmée et qu’elle ait mis définitivement fin à la longue période au cours de laquelle la Cour de cassation avait, sur la base de l’article 242, imposé la fixité du montant de la clause pénale et le refus de la révision judiciaire de ce montant. Cette jurisprudence antérieure était inacceptable car la clause pénale n’est pas une convention comme les autres ; c’est une convention qui empiète sur le domaine réservé du juge et en tant que telle elle doit être juste et équitable. Ainsi, lorsque l’évaluation conventionnelle du préjudice prévisible est disproportionnée par rapport au dommage réel, soit parce que les parties se sont trompées dans l’évaluation du préjudice prévisible, soit en raison de l’avènement de circonstances imprévues, soit parce que l’une des parties jouit d’une position dominante par rapport à l’autre partie, il faut que le juge puisse intervenir pour réviser le montant de la clause pénale conformément à l’équité. Ce contrôle peut l’amener soit à augmenter l’indemnité conventionnelle dérisoire, soit à diminuer celle qui est excessive. Ce pouvoir accordé au juge n’est ni exorbitant ni contraire à la loi. Il est, bien au contraire, conforme à l’esprit et à la lettre de plusieurs articles du code des obligations et des contrats parmi lesquels les articles 529 et 531 relatifs à l’interprétation des conventions, qui incitent le juge à interpréter le contrat dans le sens le plus favorable à l’obligé et à donner un sens raisonnable aux clauses contractuelles, et l’article 541 du même code relatif à l’interprétation de la loi qui stipule que « l’interprétation peut, en cas de nécessité, modérer la rigueur de la loi ». Mais le texte qui se réfère le plus explicitement à l’équité en matière d’exécution des contrats est celui de l’article 243 aux termes duquel « tout engagement doit être exécuté de bonne foi, et obligé, non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que la loi, l’usage ou l’équité donnent à l’obligation d’après sa nature ». La référence simultanée à l’équité et à la bonne foi dans ce texte est significative, parce qu’elle laisse entendre que si le juge peut faire intervenir l’équité pour réconcilier les intérêts des parties, c’est en raison du fait que ces derniers doivent agir de bonne foi et qu’aucun d’eux ne doit chercher à s’enrichir injustement au détriment de l’autre, ni à agir contrairement aux intérêts de l’autre. Cet article 243, tel qu’il est conçu, doit donc être interprété et utilisé comme étant un complément indispensable à l’article 242 ; car si ce dernier, qui fait de toute convention valablement formée la loi des parties, est indispensable à la sécurité juridique en matière contractuelle, l’article 243 détermine les limites de la force obligatoire des conventions et permet de la sorte de concilier le principe de l’autonomie de la volonté avec celui de l’équité. C’est dans cet esprit que l’arrêt de la Cour de cassation de 1994 s’est référé à l’équité sans citer l’article 243 du C.O.C.. L’équité a été utilisée dans cet arrêt dans le sens qui permet au juge d’adapter la règle juridique à la réalité du cas particulier afin de réaliser une certaine égalité entre les parties contractantes. Cet arrêt s’écarte donc de la jurisprudence antérieure qui avait donné à l’article 242 du C.O.C. un sens qui faisait du juge, en matière de clause pénale, un simple exécutant de la volonté des parties. Mais si nous exprimons notre soutien total et sans réserve à l’arrêt de 1994 qui, en se fondent sur l’équité, a donné au juge le pouvoir qui doit être le sien en matière d’application de la clause pénale, on ne peut pas en revanche formuler le même soutien à cet arrêt lorsqu’il laisse entendre que la révision du montant de la clause pénale doit se faire sur la base de l’article 278 du C.O.C., dont l’alinéa premier énonce que « les dommages sont la perte effective que le créancier a éprouvé et le gain dont il a été privé et qui sont la conséquence directe de l’inexécution de l’obligation ». La référence à ce texte par l’arrêt de 1994 pourrait faire croire au juge qu’il peut modifier toute indemnité conventionnelle différente du montant du dommage réel et qu’en la modifiant il peut ramener son montant à celui du dommage réel. Une telle attitude enlèverait tout intérêt à la clause pénale, car l’indemnité conventionnelle, en tant que réparation forfaitaire déterminée préalablement à la réalisation du préjudice prévisible, peut difficilement être parfaitement égale au dommage effectif du créancier, ce qui pourrait permettre sa révision judiciaire systématique pour faire d’elle une simple évaluation judiciaire des dommagesintérêts subis réellement par le créancier. Il faut donc que la référence de l’arrêt de 1994 à l’article 278 ne soit pas comprise dans le sens précédemment expliqué, mais soit comprise dans le sens qui permet au juge de réviser uniquement l’indemnité conventionnelle totalement disproportionnée par rapport au préjudice effectif du créancier et ce afin de ramener la clause pénale à sa fonction naturelle qui est celle de déterminer le montant forfaitaire du préjudice prévisible préalablement à l’inexécution de l’obligation principale. Ainsi, lorsque le juge constate une différence très importante entre le montant de la clause pénale et celui du préjudice effectif du créancier, il doit ramener ce montant à une proportion équitable en tenant compte du cas particulier et de la nature indemnitaire de la clause pénale. Mais lorsque la différence entre l’indemnité conventionnelle et le dommage réel est normale au regard du caractère forfaitaire et préalable du montant de la clause pénale, le juge doit s’abstenir de modifier cette clause qui doit dans ce cas être la loi des parties conformément à l’article 242 du C.O.C.. Cette manière de faire de la part du juge pourrait à notre avis, contribuer à encourager l’utilisation de la clause pénale réalisée conformément à la bonne foi et à décourager l’utilisation abusive de cette clause. Pour y arriver, il faut que la cour de cassation tunisienne continue dans le chemin tracé par son arrêt de 1994 pour préciser aux juges du fond les critères qui leur permettent de lutter contre les abus, et d’adapter la clause pénale aux exigences de l’équité et de la justice. Toutefois, la révision judiciaire du montant de la clause pénale continue dans le chemin tracé par son arrêt de 1994 pour préciser aux juges du fond les critères qui leur permettent de lutter contre les abus et d’adapter la clause pénale aux exigences de l’équité et de la justice. Toutefois, la révision judiciaire du montant de la clause pénale ne se fait pas uniquement en application du principe d’équité, elle peut se réaliser aussi en application des règles générales de la responsabilité contractuelle. B – La révision judiciaire du montant de la clause pénale en application des règles générales de la responsabilité contractuelle L’une des règles générales relatives à la responsabilité contractuelle est celle qui aboutit à l’aggravation de la responsabilité du débiteur en raison du caractère dolosif de sa faute et qui, par voie de conséquence, permet au créancier d’obtenir une somme supplémentaire au dommage effectif. Cette règle est énoncée par l’alinéa 1er de l’article 278 du C.O.C. selon laquelle le tribunal « devra évaluer différemment la mesure des dommages-intérêts, selon qu’il s’agit de la faute du débiteur ou de son dol ». Conformément à la version en langue arabe de cet texte qui est plus explicite sur ce point, la formule « devra évaluer différemment » signifie que le juge en cas de dol du débiteur doit accorder au créancier une somme supérieure à celle qui devrait être accordée en cas de faute non dolosive de ce débiteur. Ainsi, lorsque la réparation fondée sur la faute non dolosive est déterminée par une clause pénale, le créancier qui prouve le caractère dolosif de la faute du débiteur de l’obligation principale peut demander au juge de condamner ce dernier à une somme supplémentaire à l’indemnité conventionnelle. Ce supplément est une peine privée que le juge détermine en fonction du caractère dolosif de la faute du débiteur et du dommage moral que ce dol a fait subir au créancier. De plus, si en raison du dol du débiteur, le créancier subit un dommage imprévisible, le juge peut encore augmenter le montant de la clause pénale pour qu’il atteigne le niveau du dommage réel. Toutefois, au lieu d’être augmenté, le montant de la clause pénale peut dans d’autres cas être réduit en application du régime général de la responsabilité contractuelle. Cette diminution peut se réaliser par le juge soit en raison de la répartition de la responsabilité entre les deux parties contractantes, soit en raison d’une exécution partielle de l’obligation principale. En effet conformément à l’article 282 du C.O.C., le juge qui, en raison de la faute du créancier, décide de partager la responsabilité entre les deux parties, doit réduire le montant de la clause pénale proportionnellement à la part de responsabilité mise à la charge du créancier. De plus, conformément à l’article 277 du même code qui interdit au créancier de cumuler l’exécution en nature et l’exécution par équivalence de l’obligation principale, le débiteur qui a partiellement exécuté l’obligation principale peut demander au juge de réduire l’indemnité conventionnelle prévue pour la réparation du préjudice dû à l’inexécution totale de cette obligation. Mais dans ce cas, la réduction doit se faire proportionnellement à l’intérêt qu’a eu le créancier à l’exécution partielle et non proportionnellement au taux de l’exécution partielle, parce que le préjudice prévisible du créancier diminue en fonction de l’intérêt procuré à ce dernier par l’exécution partielle et non en fonction du taux de cette exécution réalisée par le débiteur . Il nous reste enfin à préciser que la révision judiciaire de la clause pénale en application de l’une des règles précitées peut se cumuler avec celle qui est fondée sur le principe d’équité si les conditions de cette intervention sont réunies.