La clause pénale en droit tunisien Frej LOKSAIER La clause pénale

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La clause pénale en droit tunisien Frej LOKSAIER La clause pénale
La clause pénale en droit tunisien 1
Frej LOKSAIER
Maître-assistant à la Faculté de
Droit de Sousse
La clause pénale est considérée en droit tunisien
comme étant une convention accessoire par laquelle les
parties contractantes déterminent le montant de la réparation
du préjudice prévisible subi par le créancier à la suite de
l’inexécution par le débiteur de son obligation principale
( Civ. n° 5820 du 20 juin 1968 ).
Cette clause est pratiquée en Tunisie dans différents
types de contrats, spécialement dans les contrats de prêt
d’argent, de vente, de promesse de vente et d’entreprise,
pour déterminer le montant du préjudice dû au retard dans
l’exécution.
N’étant pas spécialement réglementée
par la
législation tunisienne, la clause pénale a reçu un accueil
favorable de la part de la jurisprudence qui a toujours
reconnu sa validité sur la base de l’article 242 du code des
obligations et des contrats qui consacre le principe de
l’autonomie de la volonté en faisant de toute convention
valablement formée la loi des parties.
Cette jurisprudence pourrait trouver appui également dans la
règle générale énoncée par l’article 559 du code précité
selon lequel « tout rapport de droit est présumé valable et
conforme à la loi, jusqu’à preuve contraire ».
1
Communication au colloque organisé par la Faculté de droit de Sfax du 3 au 4 avril
2000 sur l’aménagement conventionnel de l’inexécution du contrat.
Toutefois, la clause pénale validée
par la
jurisprudence tunisienne est celle dont le montant est une
pure indemnité du préjudice prévisible. Cette jurisprudence
rejette donc implicitement la clause pénale comminatoire
dont le montant constitue totalement ou partiellement une
peine privée prévue à l’encontre du débiteur défaillant.
En choisissant à la clause pénale une fonction
purement indemnitaire, la jurisprudence tunisienne rejoint
sur ce point essentiel la solution de bon sens qu’adopte
beaucoup de textes de lois étrangères dont on peut citer
parmi eux celui de l’article 1229, alinéa 1er, du code civil
français qui énonce que « la clause pénale est la
compensation des dommages et intérêts que le créancier
souffre de l’inexécution de l’obligation principale ».
Il existe en droit comparé des systèmes juridiques qui
ont opté explicitement pour une clause pénale à fonction
totalement ou partiellement comminatoire.
C’est le cas par exemple du code des obligations suisse dont
l’article 161 stipule que « la peine est encourue même si le
créancier n’a éprouvé aucun dommage ».
Ce système qui permet aux parties de prévoir une
véritable peine privée à l’encontre du débiteur défaillant, a
toujours été implicitement rejeté par la Cour de cassation
tunisienne : cette juridiction a constamment affirmé
clairement et explicitement que la clause pénale n’est qu’un
moyen de déterminer le montant du préjudice du créancier
( Civ. n° 5830 du 20 juin 1968 ; Civ. n° 7919 du 28 avril
1975 ; Civ. n° 42624 du 2 avril 1994 ).
Une telle solution doit, à notre avis, être approuvée et
encouragée, car elle est conforme au droit commun des
obligations contractuelles auquel la jurisprudence se réfère
pour réglementer la clause pénale en droit tunisien.
En effet, lorsqu’on se rapporte aux règles qui
régissent l’inexécution des obligations contractuelles dans le
C.O.C., la peine privée ne serait justifiée qu’à l’encontre du
débiteur de mauvaise foi.
Or, aux termes de l’article 558 du code précité « la bonne
foi se présume toujours, tant que le contraire n’est pas
prouvé ».
Cette règle générale trouve application dans l’article 278 du
même code qui ne permet la condamnation du débiteur à
une peine privé qu’à la constatation par le juge du caractère
dolosif de sa faute, c’est-à-dire de sa mauvaise foi.
Ce système interdit donc aux parties contractantes de
faire du montant de la clause pénale une peine privée, car
selon l’article 278 la peine privée ne sanctionne que la
mauvaise foi et d’après l’article 558 la mauvaise foi ne se
présume pas et droit être constatée par le juge au moment de
l’inexécution.
Ainsi, la seule solution qui soit conforme au droit
commun des obligations contractuelles auquel la clause
pénale est soumise, est celle qui fait du montant de cette
clause une évaluation préalable et forfaitaire de la réparation
du préjudice prévisible subi par le créancier en cas
d’inexécution par le débiteur de son obligation principale.
Il est vrai que ce système est contesté par une idée
très répandue selon laquelle la clause pénale doit
nécessairement prévoir une peine privée pour assurer au
créancier l’exécution par le débiteur de son obligation
principale.
Mais cette idée ne serait exacte que si le débiteur
refusait volontairement d’exécuter son obligation principale
alors qu’il était dans la possibilité de le faire, c’est-à-dire
qu’il était de mauvaise foi. Or, comme on vient de
l’expliquer, le régime général de la responsabilité
contractuelle est fondé sur un comportement ordinaire de
bonne foi du débiteur et rejette la présomption de la
mauvaise foi de ce dernier.
De plus, la pratique judiciaire en matière de clause
pénale prouve l’inexactitude de l’idée doctrinale précitée,
puisque les clauses pénales coercitives ne réussissent
presque pas à assurer l’exécution lorsque l’inexécution n’est
motivée que par l’imprudence ou le manque de prévoyance
du débiteur.
On en a pour preuve les clauses pénales draconiennes
insérées en France dans les contrats de crédit-bail pendant
les années 60-70, période de surchauffe économique qui, au
lieu d’assurer l’exécution de l’obligation principale par le
preneur, avaient provoqué l’afflue des plaideurs devant les
tribunaux et la crise de la clause pénale, ce qui avait amené
le législateur français à permettre au juge, par la loi de 1975,
de réduire l’indemnité conventionnelle excessive et
d’augmenter celle qui est dérisoire.
Devant l’excès de certaines clauses pénales qui
cherchent à punir le débiteur présumé de bonne foi et qui,
par la même occasion, permettent au créancier de s’enrichir
sans cause, la Cour de cassation tunisienne a, à son tour,
adopté en 1994 la solution préconisée par la loi française du
9 juillet 1975, et ce après une longue période durant laquelle
elle avait interdit au juge toute révision de l’indemnité
conventionnelle.
Cette solution jurisprudentielle,
fondée sur la
présomption de bonne foi qui doit présider dans les relations
contractuelles conformément à l’article 243 du C.O.C., peut
permettre aux parties de tirer de la clause pénale tous les
avantages dont elle est destinée à produire, tout en la
maintenant en totale harmonie avec le régime général de la
responsabilité contractuelle.
En effet, une clause pénale à fonction purement
indemnitaire peut être, pour un débiteur de bonne foi, aussi
incitatrice à l’exécution qu’une clause comminatoire.
De plus, nous croyons que seule une telle clause
pénale peut permettre aux parties de bonne foi de profiter de
son avantage principal qui est celui d’éviter un procès
coûteux et parfois épuisant, tout en permettant au créancier
d’obtenir une réparation équitable assez rapidement et sans
être obligé de prouver le dommage.
Toutefois, l’imprévision, la mauvaise prévision, la
pratique des contrats d’adhésion, l’abus par certains
créanciers de leur position dominante, l’exécution partielle,
le caractère dolosif de la faute du débiteur et la faute
éventuelle du créancier, sont autant de facteurs qui peuvent
rendre le contrôle de la clause pénale nécessaire au moment
de son application.
L’étude du régime de la clause pénale en droit
tunisien, nous amènera donc à examiner dans deux parties
successives l’application (I) et le contrôle judiciaire de cette
clause (II).
I – L’APPLICATION DE LA CLAUSE PENALE
Pour être appliquées la clause pénale doit être
valable (A) et le débiteur doit être responsable du préjudice
dont la dite clause prévoit la réparation (B).
A -Validité de la clause pénale
La clause pénale est une convention accessoire
conclue préalablement à la réalisation du dommage. Cet
accord peut se réaliser au moment de la conclusion du
contrat principal ou à une date ultérieure, qui doit être
nécessairement antérieure à la date de l’inexécution de
l’obligation principale et de la réalisation du préjudice du
créancier ; car la convention relative à l’indemnisation du
créancier conclue après l’inexécution est une transaction
soumise aux articles 1458 et suivants du C.O.C., et non une
clause pénale.
Pour être valable, la stipulation de dommages-intérêts
doit encore être insérée dans un contrat valable et adjointe à
une obligation contractuelle principale valable.
Ainsi, en tant qu’accessoire de l’obligation principale à
laquelle elle est adjointe, la clause pénale suit
nécessairement le sort de cette dernière.
Toutefois, malgré son caractère accessoire, la validité
de la clause pénale doit encore être appréciée
indépendamment de l’obligation principale. En effet,
comme tout acte juridique, cette clause est soumise aux
règles qui régissent le fond et la forme des conventions.
Pour être valable, la clause pénale doit donc être constituée
conformément à la loi. C’est ce qui est constamment affirmé
par la Cour de cassation sur la base de l’article 242 du
C.O.C ; qui soumet la force obligatoire de tout accord de
volonté à la condition de sa validité.
Conformément à cette règle, lorsque la cause de la
clause pénale est illicite, parce que, par exemple, la clause
prévoit une peine privée, cette clause devrait normalement
être annulée.
C’est la solution qui a été adoptée par la jurisprudence belge
à plusieurs reprises, sur la base des mêmes textes législatifs
que ceux qui régissaient la clause pénale en droit français
avant 1975 ( Civ. belge du 17 avril 1970 et du 24 nov.
1972).
Cette solution, qui n’a jamais été prononcée explicitement
par la Cour de cassation tunisienne, peut facilement être
adoptée par le juge du fond tunisien, car non seulement elle
est conforme au droit commun des obligations mais la
Haute Cour, dans son arrêt de 1994, l’a elle même laissée
entendre en affirmant que le juge peut annuler la clause
pénale dans le cadre de son pouvoir de contrôle de cette
institution.
La clause pénale est encore interdite lorsqu’elle est
insérée dans un contrat qui ne peut pas, d’après la loi,
contenir une telle clause. Ce genre de prohibition est
explicitement prononcé par le dernier alinéa de l’article 413
du code du travail qui interdit la détermination
conventionnelle par avance de l’indemnité de clientèle due
au salarié voyageur, représentant ou placier pour rupture par
son employeur de son contrat de louage de service.
On peut aussi considérer la clause pénale, adjointe à
une obligation de sécurité, comme étant contraire à l’ordre
public qui devrait normalement garantir à la victime du
dommage corporel dû à l’inexécution de la dite obligation
une réparation intégrale, qui ne pourrait jamais être
convenablement déterminée par les parties avant la
réalisation du préjudice ( v. art. 656 C. com. ).
La question de la validité de la clause pénale peut
encore être posée lors de la résolution du contrat principal :
en effet, l’application de la clause pénale peut-elle être
cumulée avec la résolution du contrat principal ? Ou, en
d’autres termes, la résolution du contrat pour inexécution
de l’obligation principale rendrait-elle la clause pénale
caduque et non susceptible d’application ?
La réponse à cette question est relativement simple,
puisqu’elle est annoncée clairement par l’article 273 du
C.O.C. aux termes duquel le créancier « pourra demander la
résolution du contrat ainsi que les dommages-intérêt ».
Cette solution est tout à fait logique, car si la résolution
permet au créancier de se délier du contrat et de reprendre
ce qu’il a livré ou versé à son cocontractant récalcitrant, elle
ne répare pas le préjudice qu’il a subi à la suite de
l’inexécution de l’obligation principale.
La même solution est encore énoncée en d’autres termes par
un arrêt des Chambres réunies de la Cour de cassation qui
affirme que « l’existence d’une clause pénale dans un
contrat n’empêche pas le créancier de demander sa
résolution si les conditions de cette résolution sont réunies »
( Civ. n° 11637 du 16 octobre 1989 ).
La validité de la clause pénale peut également être
discutée lorsque l’obligation principale consiste dans le
payement d’une somme d’argent. En effet, selon le
deuxième alinéa de l’article 278 du C.O.C., « dans les
obligations qui se bornent au paiement d’une certaine
somme, les dommages-intérêts ne consistent que dans la
condamnation aux intérêts fixés par la loi ».
Par la formule qui emploie « les dommages-intérêts
ne consiste que », ce texte peut faire croire qu’il contient
une règle d’ordre public qui interdirait aux parties
d’adjoindre à une obligation de somme d’argent une clause
pénale qui détermine une indemnité conventionnelle
différente de celle du taux légal d’intérêt fixé par l’article
1100 du C.O.C.. Mais il ne s’agit là que d’une apparence,
car les clauses pénales insérées dans les contrats de prêt
d’argent sont assez fréquentes en Tunisie sans que leur
validité n’est jamais été mise en cause par la jurisprudence.
De plus, l’article 1100 précité stipule explicitement que le
taux d’intérêt légal ne s’applique qu’en l’absence d’une
convention entre les parties sur cette question ; ce qui
prouve le caractère supplétif de la règle que contient l’article
278 précitée.
Reste à savoir dans ce contexte si une clause pénale
excessive prévue dans un contrat de prêt d’argent ou un
contrat assimilé pourrait oui ou non tomber sous le coup de
la loi du 15 juillet 1999 qui prohibe les taux d’intérêt
excessifs ?
En principe, cette loi ne devrait pas s’appliquer à la clause
pénale, car le taux d’intérêt qu’elle prohibe est le taux
excessif prévu pour la rémunération du prêt, alors que la
clause pénale ne vise que la réparation du préjudice
prévisible occasionné par l’inexécution de l’obligation.
Toutefois si l’interprétation de la clause peut laisser
entendre l’existence d’une volonté implicite pour faire de
l’indemnité conventionnelle une rémunération du capital
prêté, cette clause serait à notre avis nulle pour cause illicite
qui consisterait dans la fraude à la loi du 15 juillet 1999.
Il ressort de ces questions soulevées que le créancier
ne peut demander l’indemnité conventionnelle que si la
clause est valable.
Mais pour exiger l’application de la clause pénale,
il faut encore que le débiteur soit responsable du dommage
subi par le créancier à la suite de l’inexécution de
l’obligation principale.
B – La responsabilité contractuelle du débiteur
En règle générale, la responsabilité contractuelle
nécessite l’existence d’un préjudice subi par le créancier à la
suite de l’inexécution imputable au débiteur .
Mais ce qui caractérise la clause pénale, c’est
l’existence d’un accord préalable qui fait que l’inexécution
par le débiteur de son obligation principale soit suffisante
pour que le créancier puisse demander l’indemnité
conventionnelle.
Cela veut dire que le créancier qui demande l’application de
la clause pénale ne doit prouver que l’inexécution de
l’obligation principale, car par l’effet de la clause pénale, le
préjudice et la causalité se trouvent présumés. Il en résulte
que le créancier est dispensé de la preuve du préjudice et de
la causalité, puisque la clause pénale suppose que
l’inexécution par le débiteur de son obligation principale
produit le préjudice prévu et évalué préalablement par la
clause en question.
Mais, il ne s’agit là que d’une présomption simple,
car la preuve par le débiteur de l’absence de préjudice doit
normalement empêcher l’application de la clause pénale, ou
permettre de la réduire à néant.
Toutefois, en matière d’obligation de somme d’argent
cette présomption devrait normalement être irréfragable en
application de la règle énoncée par le troisième alinéa de
l’article 278 du C.O.C. selon laquelle les dommages-intérêts
sont dus en cette matière « sans que le créancier soit tenu de
justifier d’aucune perte ».
En cette matière, le créancier peut donc exiger le paiement
de l’indemnité conventionnelle prévue pour la réparation du
préjudice dû au retard dans le paiement d’une somme
d’argent, sans qu’il soit obligé de prouver l’existence de ce
préjudice et sans que le débiteur puisse prouver l’absence de
ce même préjudice.
Mais si la fonction et la nature de la clause pénale
permettent au créancier de profiter d’une présomption qui le
dispense de prouver le préjudice, la preuve établie par lui de
l’inexécution de l’obligation principale reste une condition
nécessaire pour l’obtention du forfait conventionnel.
Toutefois, cette preuve est relativement simple en
matière de clause pénale, en raison du fait que la stipulation
de l’indemnité conventionnelle est le plus souvent adjointe à
une obligation de résultat dont l’inexécution peut être
prouvée par la simple arrivée du terme ( v. art. 269, al. 1er,
du C.O.C.) ou par une simple mise en demeure du débiteur
( v. art. 269, 2ème al ; du C.O.C.).
Lorsque la clause pénale sanctionne le retard dans
l’exécution d’une obligation de somme d’argent,
l’application de l’indemnité conventionnelle nécessite
toujours en principe une interpellation du débiteur (v. art.
278, al. 4 du C.O.C.).
Cette mise en demeure est encore nécessaire pour que
l’indemnité conventionnelle soit elle même une créance
exigible productrice de l’indemnité forfaitaire prévue par
l’article 278 du code des obligations et des contrats.
Lorsque la clause pénale prévoit la compensation du
préjudice dû à l’inexécution totale ou partielle de
l’obligation principale dont l’exécution est encore possible,
le créancier a, en vertu de l’article 273 du C.O.C., le choix
entre l’application de la clause pénale et la poursuite de
l’exécution en nature de l’obligation principale.
La demande de l’application de la clause pénale doit
normalement être adressée au débiteur lui même.
Si ce dernier refuse le paiement de l’indemnité
conventionnelle, le créancier peut encore demander ce
payement par la procédure judiciaire de l’injonction de
payer ( Civ. n° 16244 du 23 novembre 1988 ) ou de l’action
civile ordinaire.
Le payement de l’indemnité conventionnelle peut
même être proposé spontanément et volontairement au
créancier par le débiteur défaillant.
Mais dans tous les cas, le débiteur peut s’opposer à
l’application de la clause pénale en prouvant l’absence de sa
responsabilité contractuelle à l’égard du créancier.
Il peut le faire en prouvant, par exemple, que
l’inexécution de l’obligation principale est imputable à une
cause étrangère qui peut être, selon l’article 282 du C.O.C.,
soit la force majeur, soit la faute du créancier.
Le débiteur peut encore, sans s’opposer totalement à
l’application de la clause pénale, demander simplement la
révision judiciaire du montant de l’indemnité conventionnelle. Cette révision peut encore être demandée par le
créancier qui estime, pour une raison ou une autre, que
l’indemnité conventionnelle est insuffisante par rapport au
préjudice qu’il a subi.
Lors de l’application de la clause pénale, le juge peut
donc être amené à contrôler cette clause afin de réviser son
montant.
II – LE CONTROLE JUDICIAIRE DE LA CLAUSE
PENALE
La clause pénale devrait permettre aux parties
contractantes d’éviter un procès éventuel qui peut leur faire
perdre beaucoup de temps et d’argent sans être totalement
satisfaisant.
Mais, cet avantage important ne doit pas nous faire
oublier le danger que cette justice privée pourrait constituer
pour l’une ou l’autre des parties contractantes si on
interdisait au juge de contrôler le montant de la clause
pénale.
En effet, l’indemnité conventionnelle peut s’avérer au
moment de son application totalement disproportionnée par
rapport au préjudice réel subi par le créancier.
Dans ce cas le juge doit pouvoir réviser le montant de
la clause pénale soit en application du principe d’équité (A)
soit en application des règles générales de la responsabilité
contractuelle (B).
A – La révision judiciaire du montant de la clause
pénale en application du principe d’équité
Par son arrêt du 28 avril 1994, la Cour de cassation
tunisienne a permis au juge de réviser l’indemnité
conventionnelle sur la base du principe d’équité.
Cet arrêt constitue un renversement
jurisprudence antérieure de la Haute Cour.
de
la
En effet, avant 1994, la Cour de cassation avait
interdit au juge de modifier le montant de la clause pénale
par respect du principe de l’autonomie de la volonté
consacré par l’article 242 du C.O.C. ( v. Civ. du 20 juin
1968 et Civ. du 28 avril 1975).
Depuis l’arrêt de 1994, l’application de l’article 242
qui fait de toute convention valable la loi des parties est
assouplie et limitée en matière de clause pénale par
l’application du principe d’équité.
Nous souhaitons que cette solution soit confirmée et
qu’elle ait mis définitivement fin à la longue période au
cours de laquelle la Cour de cassation avait, sur la base de
l’article 242, imposé la fixité du montant de la clause pénale
et le refus de la révision judiciaire de ce montant.
Cette jurisprudence antérieure était inacceptable car la
clause pénale n’est pas une convention comme les autres ;
c’est une convention qui empiète sur le domaine réservé du
juge et en tant que telle elle doit être juste et équitable.
Ainsi, lorsque l’évaluation conventionnelle du
préjudice prévisible est disproportionnée par rapport au
dommage réel, soit parce que les parties se sont trompées
dans l’évaluation du préjudice prévisible, soit en raison de
l’avènement de circonstances imprévues, soit parce que
l’une des parties jouit d’une position dominante par rapport
à l’autre partie, il faut que le juge puisse intervenir pour
réviser le montant de la clause pénale conformément à
l’équité. Ce contrôle peut l’amener soit à augmenter
l’indemnité conventionnelle dérisoire, soit à diminuer celle
qui est excessive.
Ce pouvoir accordé au juge n’est ni exorbitant ni
contraire à la loi. Il est, bien au contraire, conforme à
l’esprit et à la lettre de plusieurs articles du code des
obligations et des contrats parmi lesquels les articles 529 et
531 relatifs à l’interprétation des conventions, qui incitent le
juge à interpréter le contrat dans le sens le plus favorable à
l’obligé et à donner un sens raisonnable aux clauses
contractuelles, et l’article 541 du même code relatif à
l’interprétation de la loi qui stipule que « l’interprétation
peut, en cas de nécessité, modérer la rigueur de la loi ».
Mais le texte qui se réfère le plus explicitement à l’équité en
matière d’exécution des contrats est celui de l’article 243
aux termes duquel « tout engagement doit être exécuté de
bonne foi, et obligé, non seulement à ce qui y est exprimé,
mais encore à toutes les suites que la loi, l’usage ou l’équité
donnent à l’obligation d’après sa nature ».
La référence simultanée à l’équité et à la bonne foi
dans ce texte est significative, parce qu’elle laisse entendre
que si le juge peut faire intervenir l’équité pour réconcilier
les intérêts des parties, c’est en raison du fait que ces
derniers doivent agir de bonne foi et qu’aucun d’eux ne doit
chercher à s’enrichir injustement au détriment de l’autre, ni
à agir contrairement aux intérêts de l’autre.
Cet article 243, tel qu’il est conçu, doit donc être
interprété et utilisé comme étant un complément
indispensable à l’article 242 ; car si ce dernier, qui fait de
toute convention valablement formée la loi des parties, est
indispensable à la sécurité juridique en matière
contractuelle, l’article 243 détermine les limites de la force
obligatoire des conventions et permet de la sorte de
concilier le principe de l’autonomie de la volonté avec celui
de l’équité.
C’est dans cet esprit que l’arrêt de la Cour de
cassation de 1994 s’est référé à l’équité sans citer l’article
243 du C.O.C..
L’équité a été utilisée dans cet arrêt dans le sens qui permet
au juge d’adapter la règle juridique à la réalité du cas
particulier afin de réaliser une certaine égalité entre les
parties contractantes.
Cet arrêt s’écarte donc de la jurisprudence antérieure qui
avait donné à l’article 242 du C.O.C. un sens qui faisait du
juge, en matière de clause pénale, un simple exécutant de la
volonté des parties.
Mais si nous exprimons notre soutien total et sans
réserve à l’arrêt de 1994 qui, en se fondent sur l’équité, a
donné au juge le pouvoir qui doit être le sien en matière
d’application de la clause pénale, on ne peut pas en
revanche formuler le même soutien à cet arrêt lorsqu’il
laisse entendre que la révision du montant de la clause
pénale doit se faire sur la base de l’article 278 du C.O.C.,
dont l’alinéa premier énonce que « les dommages sont la
perte effective que le créancier a éprouvé et le gain dont il a
été privé et qui sont la conséquence directe de l’inexécution
de l’obligation ».
La référence à ce texte par l’arrêt de 1994 pourrait
faire croire au juge qu’il peut modifier toute indemnité
conventionnelle différente du montant du dommage réel et
qu’en la modifiant il peut ramener son montant à celui du
dommage réel.
Une telle attitude enlèverait tout intérêt à la clause
pénale, car l’indemnité conventionnelle, en tant que
réparation forfaitaire déterminée préalablement à la
réalisation du préjudice prévisible, peut difficilement être
parfaitement égale au dommage effectif du créancier, ce qui
pourrait permettre sa révision judiciaire systématique pour
faire d’elle une simple évaluation judiciaire des dommagesintérêts subis réellement par le créancier.
Il faut donc que la référence de l’arrêt de 1994 à
l’article 278 ne soit pas comprise dans le sens
précédemment expliqué, mais soit comprise dans le sens qui
permet au juge de réviser uniquement l’indemnité
conventionnelle totalement disproportionnée par rapport au
préjudice effectif du créancier et ce afin de ramener la
clause pénale à sa fonction naturelle qui est celle de
déterminer le montant forfaitaire du préjudice prévisible
préalablement à l’inexécution de l’obligation principale.
Ainsi, lorsque le juge constate une différence très
importante entre le montant de la clause pénale et celui du
préjudice effectif du créancier, il doit ramener ce montant à
une proportion équitable en tenant compte du cas particulier
et de la nature indemnitaire de la clause pénale.
Mais lorsque la différence entre l’indemnité
conventionnelle et le dommage réel est normale au regard
du caractère forfaitaire et préalable du montant de la clause
pénale, le juge doit s’abstenir de modifier cette clause qui
doit dans ce cas être la loi des parties conformément à
l’article 242 du C.O.C..
Cette manière de faire de la part du juge pourrait à
notre avis, contribuer à encourager l’utilisation de la clause
pénale réalisée conformément à la bonne foi et à décourager
l’utilisation abusive de cette clause.
Pour y arriver, il faut que la cour de cassation
tunisienne continue dans le chemin tracé par son arrêt de
1994 pour préciser aux juges du fond les critères qui leur
permettent de lutter contre les abus, et d’adapter la clause
pénale aux exigences de l’équité et de la justice.
Toutefois, la révision judiciaire du montant de la
clause pénale continue dans le chemin tracé par son arrêt de
1994 pour préciser aux juges du fond les critères qui leur
permettent de lutter contre les abus et d’adapter la clause
pénale aux exigences de l’équité et de la justice.
Toutefois, la révision judiciaire du montant de la
clause pénale ne se fait pas uniquement en application du
principe d’équité, elle peut se réaliser aussi en application
des règles générales de la responsabilité contractuelle.
B – La révision judiciaire du montant de la clause
pénale en application des règles générales de
la responsabilité contractuelle
L’une des règles générales relatives à la
responsabilité contractuelle est celle qui aboutit à
l’aggravation de la responsabilité du débiteur en raison du
caractère dolosif de sa faute et qui, par voie de conséquence,
permet au créancier d’obtenir une somme supplémentaire au
dommage effectif.
Cette règle est énoncée par l’alinéa 1er de l’article
278 du C.O.C. selon laquelle le tribunal « devra évaluer
différemment la mesure des dommages-intérêts, selon qu’il
s’agit de la faute du débiteur ou de son dol ».
Conformément à la version en langue arabe de cet texte qui
est plus explicite sur ce point, la formule « devra évaluer
différemment » signifie que le juge en cas de dol du
débiteur doit accorder au créancier une somme supérieure à
celle qui devrait être accordée en cas de faute non dolosive
de ce débiteur.
Ainsi, lorsque la réparation fondée sur la faute non
dolosive est déterminée par une clause pénale, le créancier
qui prouve le caractère dolosif de la faute du débiteur de
l’obligation principale peut demander au juge de condamner
ce dernier à une somme supplémentaire à l’indemnité
conventionnelle.
Ce supplément est une peine privée que le juge détermine en
fonction du caractère dolosif de la faute du débiteur et du
dommage moral que ce dol a fait subir au créancier.
De plus, si en raison du dol du débiteur, le créancier
subit un dommage imprévisible, le juge peut encore
augmenter le montant de la clause pénale pour qu’il atteigne
le niveau du dommage réel.
Toutefois, au lieu d’être augmenté, le montant de la
clause pénale peut dans d’autres cas être réduit en
application du régime général de la responsabilité
contractuelle.
Cette diminution peut se réaliser par le juge soit en
raison de la répartition de la responsabilité entre les deux
parties contractantes, soit en raison d’une exécution partielle
de l’obligation principale.
En effet conformément à l’article 282 du C.O.C., le
juge qui, en raison de la faute du créancier, décide de
partager la responsabilité entre les deux parties, doit réduire
le montant de la clause pénale proportionnellement à la part
de responsabilité mise à la charge du créancier.
De plus, conformément à l’article 277 du même code
qui interdit au créancier de cumuler l’exécution en nature et
l’exécution par équivalence de l’obligation principale, le
débiteur qui a partiellement exécuté l’obligation principale
peut demander au juge de réduire l’indemnité
conventionnelle prévue pour la réparation du préjudice dû à
l’inexécution totale de cette obligation.
Mais dans ce cas, la réduction doit se faire
proportionnellement à l’intérêt qu’a eu le créancier à
l’exécution partielle et non proportionnellement au taux de
l’exécution partielle, parce que le préjudice prévisible du
créancier diminue en fonction de l’intérêt procuré à ce
dernier par l’exécution partielle et non en fonction du taux
de cette exécution réalisée par le débiteur .
Il nous reste enfin à préciser que la révision judiciaire
de la clause pénale en application de l’une des règles
précitées peut se cumuler avec celle qui est fondée sur le
principe d’équité si les conditions de cette intervention sont
réunies.