Imaginons un homme face un mur - Jean-Marie Piemme
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Imaginons un homme face un mur - Jean-Marie Piemme
Imaginons un homme face un mur - Jean-Marie Piemme Imaginons un homme face à un mur. Que voit-il ? Rien. Il se tient face au mur, il ne voit rien. Et une société qui néglige la culture, que voit-elle ? Pas grand-chose. Elle fait face à un mur. Elle mange, elle boit, elle dort, elle se reproduit, elle amasse, on y vit, on y meurt, et voilà tout. Peu de vision, en somme. Peu d’imaginaire. Peu de capacité d’anticipation. Du coup, le lien social se distend. Le sens du collectif s’émousse. La déshumanité progresse. Si on n’a qu’une vie -et on n’en a qu’une, n’est-ce pas ?- et que cette vie se passe devant le mur, quelle satisfaction en tirons-nous ? Allons-nous accepter d’être réduits à cette cécité? Ne sommes-nous pas autre chose qu’un nez devant un mur ? Ne sentons-nous pas que nous avons en nous des réserves de possibilités ? Chacun dans le secret de lui-même ne sait-il pas qu’il a une puissance d’imagination, que cette imagination a faim, qu’elle demande qu’on la nourrisse, qu’elle réclame une nourriture plus substantielle, plus variée, plus surprenante que celle habituellement servie dans les fast food de la production commerciale ? Le bien être d’un individu tient à beaucoup de choses : santé, travail, salaire, logement, famille, amour, amitié notamment. Mais il tient aussi à la capacité de cet individu, homme, femme, adulte, enfant, d’ici ou de là, à se projeter dans l’avenir, dans l’ailleurs, dans l’Autre. À franchir l’« ici de maintenant », des habitudes et des déterminations sociales. À explorer par l’esprit et la sensation des mondes peu familiers voir inconnus. Être un autre, ailleurs dans un autre lieu et dans un autre temps : voilà l’incroyable métamorphose que la culture propose. Mais aussi être mieux ce qu’on est dans le temps où l’on vit, prendre conscience, s’offusquer, se révolter, contredire, opposer, résister, s’enflammer, et en conséquence, agir. Il n’y a pas de véritable autonomie, il n’y a pas de véritable liberté sans qu’on ne fasse un pas de côté pour mieux apercevoir ce qu’on vit et comment on le vit. Et le cas échéant, trouver par ce décentrement les motifs d’une action. La culture est un marchepied, une sorte échelle, un tremplin. Voilà, un tremplin ! Avec elle, on peut se hisser, devenir plus grand que soi-même, voir mieux, voir plus loin, voir autre chose, voir au-delà du mur. Avec la culture, on bouge, on se bouge, on fait bouger. On oxygène son horizon. On multiplie la vie. On se donne une richesse de l’intelligence et du cœur sans laquelle le bien-être matériel est stérile. Le désir de vivre, de vivre mieux, plus pleinement, plus intensément est potentialisé, et l’esprit d’ouverture sans lequel une société se tire une balle dans le pied se voit renforcé. La force de la culture est de tracer en nous, avec nous, pour nous, un cadre de jubilation, de plaisir, d’interrogations, de propositions, qui contribue à donner du sens à ce qu’on est, à ce qu’on sent, à ce qu'on fait, à ce qu’on veut individuellement et collectivement. Il appartient aux femmes et aux hommes politiques de faire un choix : être du côté du tremplin ou du côté du mur. Évidemment, la vie étant d’une étonnante complexité et la main gauche pouvant ignorer ce que fait la main droite, il peut arriver que les chantres du tremplin d’aujourd’hui soient aussi les constructeurs de murs de demain. La culture sert à ça aussi : à distinguer les vrais amis des faux amis. On n’est jamais trop prudent, comme le dit la sagesse populaire.