1 TSUNAMI à Sainte Marie de la Réunion Vu de l`intérieur

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1 TSUNAMI à Sainte Marie de la Réunion Vu de l`intérieur
TSUNAMI à Sainte Marie de la Réunion
Vu de l'intérieur de la SNS 255 Moïse Bègue II
Lundi 25 - 19h15 locales les informations sur Antenne Réunion...
TSUNAMI en Indonésie ! Le présentateur parle d'une échelle de 7.3/7.4 et d'une alerte !
Bizarre ni le CROSS ni la Préfecture ne nous ont mit en alerte.
Allo le CROSS ? Bonsoir, la station de Sainte Marie,... oui, l'alerte a été levée deux heures plus tard, RAS
? Ah ! OK à bientôt (comme je leur dit à chaque fois) et bonne nuit.
Mardi 26 - 03h22 Mon téléphone de permanence sonne.
Vous ne connaissez pas la sonnerie de cet appareil ? Une sirène de police dont le son monte
progressivement et comme je suis un peu dur de la feuille...
Ouais ! J'écoute (voix pâteuse)
Gérard c'est ANNICK, il faut aller sur le port, il y a un problème et beaucoup de courant... c'est un
pécheur à la gaulette qui vient de m'appeler...
C'est bon ANNICK, j'appelle le Patron de permanence et je descends.
Tous les interrupteurs cérébraux sur marche, j'embrasse ma compagne et lui murmure à l'oreille
« un problème sur le port j'y vais ».
Images du TSUNAMI de 2004 où 44 bateaux avaient coulé dans le port, flashs de pontons arrachés, de
membres de la station et de propriétaires de bateaux en pleurs, leurs biens coulés dans les eaux boueuses...
Images très dures des trois ou quatre journées qui suivirent.
03h23 Tout en m'habillant, je téléphone au Patron de permanence.
ERIC, file vite sur le port il y a un problème, faut voir la 255.
C'est vrai qu'avec l'amarrage de porte avion que nous avons nous ne devrions rien craindre... Sauf qu'en
2004, les pontons...
OK! J’y vais, répond-t-il d'un ton pas encore tout à fait réveillé.
Sur lui j'ai l'avantage d'une bonne minute de stress !
Mon pouls est déjà à 100 et ma tension... j'en parle même pas, mon médecin (référent de la SNSM à la
Réunion) me désosserait pour en savoir plus.
03h26/03h27 Je referme la porte de l'appartement, cours sur le parking et continue mes appels d'alerte tout
en montant dans la voiture.
Gyrophare allumé, (qu'il est long ce portail électrique), c'est parti.
Vous dire combien de temps j'ai mis pour arriver sur le port ? Tout en revivant le TSUNAMI de 2006, et
oui, nous avons eu aussi celui-là, beaucoup moins dramatique quand même, mais c'est vrai qu'à 03h30 du
matin il n'y a pas grand monde sur les routes... Heureusement mais je sais que je suis arrivé très vite sur le
port ou quelques phares de voitures sont encore allumés, ou déjà quelques personnes courent, d'autres
crient et pleurent déjà leur bateaux coulés.
Jean-Pierre THEBAULT et Jacqueline PARC, membres de la station de Sainte Marie sont en larmes. Je
comprends vite pourquoi en arrivant à l'entrée de l'appontement.
Comme en 2004 leur emplacement est VIDE, leur K'FRIN BREÏZ de 6,50m coulé sur place !
Horreur! Les 3 bateaux qui se trouvent à leur coté sont soit déjà coulé soit en train de disparaître...
Oh, non ! Celui d’ANDRE et d’ANNICK aussi. Ce n’est pas possible !
Je me heurte à ERIC qui revient chercher ses clés. Vite GERARD, c'est la « cata », (ce n'est pas tout à fait
le terme employé ce soir là...) il faut faire quelque chose.
C'est bon, ERIC, j'ai les miennes à la main.
Nous courons, passons devant Jacqueline et Jean Pierre en larmes, même pas le temps de les prendre dans
nos bras, de les consoler, de leur crier notre peine, même pas le temps de bien comprendre que celui
d'ANDRE et de ANNICK, eux aussi membres de la station, ils ne sont pas encore arrivés...) il faut aller au
bout du ponton, face à la passe voir comment se comporte la 255.
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OUF ! Elle est là. Agitée de tout bord par les eaux boueuses qui entrent et sortent du port mais elle est là,
elle tient !
ERIC et moi montons à bord.
L'expérience des TSUNAMI précédents aidant :
ERIC, il faut lancer les moteurs et appareiller avant que le ponton ne cède. Je lis un peu de stupeur dans
son regard. Mes mains tremblent en cherchant la clé des panneaux machine pour un ultime contrôle de
l'électrovanne bâbord qui de temps à autre nous joue des tours…
Pas la peine, GERARD, je l'ai déjà contrôlé en accostant cet après midi.
OUF c'est déjà ça de gagné.
Vite, dédouble, je lance les moteurs.
En réalité il me faut plus de temps pour le faire que pour l'écrire, il me faut d'abord trouver les
interrupteurs, les coupes circuits, allumer sur la plage AR que nous puissions suivre l'évolution du
phénomène. Nous entendons les gens pleurer sur l'appontement, nous sentons la vedette vibrer, reculer
sous le flux entrant, nous la sentons tirer fort sur ses aussières, puis le calme...
Une minute tout au plus et le phénomène de siphon commence à se faire entendre et sentir. Elle tire
maintenant sur l'avant, comme si elle voulait partir, quitter ce port et se mettre à l'abri.
Ce n’est pas possible, elles ne vont pas tenir ! Ou alors on sort avec le ponton!
Le bruit de siphon augmente et devient oppressant. Combien de temps ?
2 minutes !
2 minutes courant entrant, une minute d'étal, deux minutes sortant, une minute d'étal !!!! Et ben ! Ça ne va
pas être de la tarte !
ERIC ? On remet les aussières sinon les deux traversiers qui nous restent vont casser et on se tient prêt à
partir plein pot en cas de besoin. Au cas où !!!
Je continue mes appels de mise en alerte.
03h43 Le maître de port. En congé maladie ! Quelle poisse ! (Il sera quand même présent dans la matinée
ayant fait reporter son opération prévue le jour même)...
03h44 Pécheur Pro. Allo, oui, c'est Gérard, déjà au courant ? Tu fais quoi ? Tu es déjà en mer ? Quelle
chance il a !
03h44 Le flot rentrant mugit, l'eau boueuse monte, on voit la différence de niveau devant nous...
ERIC ? Ça va casser, si ce ne sont les aussières c'est le ponton qui ne supportera pas les 9T et les 10nds de
courant. Largue juste la pointe avant et les deux arrières, et on se tient prêt à tout larguer tout le reste en
même temps. 3 Traversiers et 2 gardes
03H44 Le bouillon pousse la 255 vers l'arrière, les filets d'eau courent très vite le long de la coque.
Beaucoup trop vite.
C'est quoi ce truc qui flotte ? Ça c'est un bidon de 60L en plastique bleu à demi immergé qui défile le long
du bord à toute vitesse. T'inquiètes pas ERIC, on le doublera dans la passe. Enfin ! Normalement si tout se
passe bien pensais-je...
10Nds de courant rentrant ! Idem en sortant ! Sur ! Ça va casser quelque part, ce n’est pas possible.
Mes yeux se tournent vers l'arrière et horreur le ponton commence à nous montrer son ventre.
L'épi où la 255 est amarré suit le mouvement des 9T pousse le ponton vers l'arrière et aidé par le courant
commence à nous faire comprendre que les arapèdes sont collées dessous.
ERIC? Pas le choix, il faut y aller au début du prochain courant rentrant. OUI, rentrant.
Dés l'étal de courant sortant on largue, on tient aux moteurs et dés le début de l'autre sens on fonce.
Oui de face, il nous faut un (léger) courant de face sinon on va dans les cailloux, on est pas du tout
manœuvrant...!!!
Ça c'est la théorie ! En réalité nous aurons 10nds de travers bâbord puis de face ! Du gâteau.
L'équipage ? Ah ! Oui on est que deux... Ou sont les autres ? Prévenus tardivement ils sont sur la route
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ERIC, on n’a pas le temps d'attendre, elle ne tiendra pas deux passages successifs comme celui-ci et la
force du bouillon augmente encore. Déjà jusqu'à 1m de marnage.
Je ne sais pourquoi, mais je ne la sens pas bien cette nuit!
Jean-Pierre, Jacqueline, Annick, André et d'autres sans pouvoir rien faire nous regardent nous démener
contre le sort et les éléments
Thierry, sur son bateau au ponton d'à coté nous interpelle
Gérard ? Si vous y allez je vous suis. OK, au prochain rentrant, on largue !
Étal de courant sortant, le fond a baissé de près de 1m. Pourvu que çà passe avec nos 1,30 de tirant d'eau.
J'attends quelques secondes, le flot commence à monter.
Tous les interrupteurs cérébraux sont allumés, au rouge pour beaucoup et pas mal clignotent. Je ne suis
pas le seul.
Au fait ?
Ça existe les associations où ont fait du macramé le dimanche après midi à coté de la cheminée ???
ERIC ? Fais-moi penser à chercher !
C'est parti !
03h45 LARGUE.
Le flot rentrant mugit déjà, la 255 recule, m....., je me suis fais piéger !
Non ! ERIC crie C'EST LARGUE PARTOUT, et rentre en courant dans la cabine.
En une seconde les deux manettes au taquet.
Oui je sais, désolé, je n'ai pas trop fait chauffer mais la 255 m'a pardonné.
Lentement, trop à mon goût, elle commence à avancer puis enfin prend de la vitesse.
On quitte les projecteurs du port. Nuit noire, devant, ERIC allume le projecteur bâbord et éclaire la sortie
du bassin.
Et Bé, comme dit l'autre on n’est pas dans la …..
Courant de 10nds sur travers BD, la barre à gauche toute, elle refuse de tourner l'effrontée, file droit
devant en dérivant encore à TB. Pas terrible ça !
A 30m sur tribord ? On a la plage avec ses 60cm d'eau. Notre tirant d'eau? 1,30m. Ah oui je vois.
Bassin d'évitage, ERIC cherche la passe au projecteur et me montre les tétrapodes à 5m devant... Vous
savez ce que c'est un tétrapode ? Bien sur !
Mais pour les autres : C'est un bloc de béton de 16T environ qui sert à protéger de la houle ou des
vagues...
Et ici à Sainte Marie, ils servent à border la passe de 20m de large environ. Il y en a des centaines...
Tribord en avant 2000T, bâbord en arrière 2000T, elle ne bouge pas, ne tourne pas, dérive toujours sur
tribord mais n'avance plus. C'est déjà ça. Barre à zéro.
2200T sur les deux, elle vibre, renâcle un peu, commence à tourner son étrave vers la passe. Ça va aller,
continue, continue. 2400T. Là, çà vibre dur, elle n'aime pas trop être réveillée comme ça. Moi non plus,
elle doit comprendre qu'il y a le feu au lac. Allez tourne...
Lentement la passe commence à apparaître dans les vitres avant, je soulage un peu bâbord et remet à
gauche toute. Elle tourne ! Pas franchement quand même mais semble vouloir y mettre un peu de bonne
volonté.
Pourvu qu'on ne se prenne pas une épave ou un gonny (sac de fibres plastiques tressées, véritable plaie des
bateaux à la Réunion. Pourvu que ! Avec ça, on n’a pas encore gagné !
ERIC ? C'EST PARTI.
Les deux moteurs en avant 2400T. (Quel bonheur d'avoir deux fois 300CV).
La barre ne sert plus à rien, la vedette suit le flot rentrant, va à gauche, je contre aux moteurs, va à droite,
idem, elle avance, avance toujours. Ses moteurs rugissent mais dans la cabine on entendrait une mouche
voler. Enfin si nos cœurs ne faisaient pas autant de boucan.
Les tétrapodes défilent lentement, la passe se précise et OH!OH!OH! Cerise sur le gâteau... (de toute
façon nous aurons tout eu cette nuit là) un joli petit mascaret en sortie de passe.
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On ne peut pas aller plus loin sur les manettes, elle se déporte alternativement des deux cotés mais
continue d'aller de l'avant.
Toujours autant de courant, on a l'impression de traîner... et pourtant nous voyons maintenant la sortie et le
mascaret. Que c'est long !
L'étrave plonge dans la vague, le courant violent nous déporte, elle se fait lourde et répond moins bien aux
sollicitations. Nous sommes juste à la sortie, il ne faut pas qu'elle parte en travers. Les mains sont crispées
sur les manettes. C'est vrai que ce n’est pas large !
Attends, elle fait 10,50M, la passe 18 à 20m au grand maximum ! Hum ! Ça nous laisse 4 à 5 m de marge
de manœuvre de chaque bord. 9T à 2400T. Autant dire rien. Pourvu que … On pense à tout, mais si vite!
La passe est franchie, le mascaret est juste sur l'arrière. Devant nous la haute mer.
Un cri pour deux voix (plutôt un hurlement) ON EST PASSE !
ERIC et moi nous tapons dans la main. On y est arrivé ! Le sourire, la joie...
N'empêche qu'on file toujours vers le large sans ralentir... La peur rétrospective sans doute.
Distance 1500m on relâche la pression. 1500T sur les deux bords on s'éloigne à 2000m.
Je passe la barre à ERIC, sors, vais plage arrière, m'assois et les mains devant les yeux je n'ose y croire et
ne cesse de répéter : çà y est on est passé, elle est sauvée. J'ai une boule dans la gorge et des larmes dans
les yeux.
03h49 Le tout n'a pris que quatre minutes, probablement les plus longues que j'ai connues depuis fort
longtemps.
03h49 CROSS REUNION de Moïse Bègue – TSUNAMI à Sainte Marie. 4 bateaux de coulés. OUI, vous
avez bien entendu ! TSUNAMI avec 4 bateaux de coulés. Oui nous sommes dehors, nous sommes passés.
De nouveau la voix chevrotante et cette boule dans la gorge.
Oui, nous sommes en mer sur canal 16 et d'autres vont tenter de sortir. On est déjà deux.
Et oui Thierry a fait comme nous, mis toute la puissance de son 200CV à contribution (mais lui ne fait
pas 9T) et a franchi la passe.
Le boulot reprend. Comme dans le protocole TSUNAMI, il faut prévenir un maximum de gens. ERIC
garde la manœuvre et moi mon téléphone.
03h50 Allo Daniel ? Délégué départemental. Et ainsi de suite…
04h07 Allo Olivier ? (Président de la station de St Pierre) OK
04h08 Allo Pascal ? (Président de la station de St Gilles) Pas la peine. Déjà au courant ? Bon tant pis j'ai
fait mon boulot.
04h08 Allo ANNICK LAOUSSING ? Pour lui dire notre peine. Messagerie...
Les minutes s'égrènent, le temps file.
04H20 Allo Jean Jacques ? (PM Manœuvre. Base Navale de Port les Galets) Avec toute l'aide qu'ils nous
apportent depuis des années, « solidarité entre gens de mer », il est logique que je vérifie s'ils sont
informés. Vous ne l'étiez pas encore ? Voilà c'est fait.
Le jour se lève à l'horizon.
La houle de NORD est de 2m à 2,50. Le vent d'Est Nord Est 15/18nds, mer 2 à 3, pluie... On aura tout eu
je vous dis !
Michel, le référent, lance un appel à tous les membres de la station pour donner la main aux plaisanciers.
La main pour sortir leur bateau ou même pour appareiller avec eux. Ce qui fut fait pour certains, cette aide
étant très apprécié.
(Un très grand nombre de membres de cette station, sans aucun doute comme pour les autres de la
Réunion, ont passé la journée sur le port à assister les plaisanciers).
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08h00 A 1 nautique de la côte, gyrophare (et feux de navigation) en fonction, nous sommes entourés car
beaucoup comme nous ont tentés leur chance. 22 bateaux sont en mer.
Une vraie mère poule entourée de ses poussins cette 255.
09h30 Michel GUILLOUZOUIC et Bernard COMIN nous proposent une relève d'équipage.
Voilà une idée qu'elle est bonne... Ma bouche est en coton et le peu d'eau juste tiède bu d'une bouteille du
bord manque vraiment de saveur. Un bon café avec une tartine beurre, confiture. Je salive d'avance.
09h50 Le courant est moins important (il durera jusqu'à 17h00) la relève a lieu. En moins de 3 minutes,
l'équipage frais prend le large et rejoint sa position.
10h00 Peu à peu les bateaux reviennent prendre leur mouillage ou tenter de sortir sur remorque.
J'appelle le CROSS et lui signale que nous sommes maintenant seuls en mer, que comme notre ponton a
souffert j'envisage une route vers le port de PORT les GALETS ou nous allons demander l'hospitalité à
nos amis de la Marine Nationale.
10H01 Liberté de manœuvre pour la SNS 255 qui fait route vers le PORT car, en auriez-vous douté, nos
amis de la marine nationale nous accueillent pour le temps qu'il faudra.
Samedi 30 octobre 14h30
CROSS REUNION DE MOÏSE BEGUE II.
Du CROSS REUNION, j'écoute.
Moise Bègue amarrée à son poste habituel à Sainte Marie.
De CROSS REUNION, bien reçu, bonne journée.
Elle est revenue, face à la passe, parée pour une nouvelle intervention, avec la sensation d'être un peu
privilégiée, mais très seule maintenant au bout de son appontement car 4 places sont toujours vides et un
épi d'accostage toujours sous l'eau.
Un ancien qui souhaiterait ne plus avoir trop souvent d'émotions aussi fortes.....
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