un mariage de

Transcription

un mariage de
FEMMES
Femmes & sport :
un mariage de
passion
S'il existe, en matière de sport, une spécificité des femmes par rapport aux hommes,
elle est avant tout d'ordre social dans un monde où la parité laisse encore à désirer.
Restent toutefois, bien sûr, ces "petites" différences biologiques qui, certes, ne les
empêchent pas de pratiquer, mais peuvent se montrer gênantes, voire dommageables pour leur santé en cas de haut niveau et de surentraînement.
P
ierre de Coubertin n'en démordait pas : "Les
femmes et le sport ne font pas bon ménage."
Qu'elles sautent et courent dans leur coin,
d'accord, mais pas question de "se donner en spectacle" dans des manifestations publiques. Catégorique,
l'honorable baron ne mâchait pas ses mots : "Une
olympiade femelle serait impratique, inintéressante,
inesthétique et incorrecte". Avant d'enfoncer le clou :
“Je n'approuve pas la participation des femmes aux
concours sportifs, leur rôle devrait être surtout, comme
aux anciens tournois, de couronner les
vainqueurs."
Misogyne, le rénovateur de l'olympisme l'était à l'évidence. Et
pas visionnaire pour un sou :
si les athlètes féminines
brillèrent effectivement
par leur absence aux
premiers Jeux de l'ère
moderne à Athènes en
1896, si elles se trouvèrent
longtemps cantonnées dans des
disciplines anecdotiques telles le tennis,
le golf ou le tir à l'arc, elles ne tardèrent
pas à prendre, au fil des décennies, une
éclatante revanche. En 2000, à
Sydney, elles étaient plus de
4000 (sur 10200 compétiteurs) à s'affronter
dans 25 des 28 sports
inscrits au programme
olympique - seuls le base-ball,
50 Zoom sur... La médecine du sport
la boxe et la lutte restent encore chasse-gardée masculine. Et l'une des images fortes qu'on retiendra de
cette quinzaine australienne est bien celle de Cathy
Freeman allumant la vasque du stade quelques jours
avant de remporter la médaille d'or du 400 m plat.
Une spécificité d'ordre social
Un joli pied de nez réservé par l'Histoire à Pierre de
Coubertin. Mais qu'on ne s'y trompe pas. Les propos
du baron, indéfendables aujourd'hui, n'étaient ni plus
ni moins caricaturaux que ceux de ses contemporains.
Un certain Dr Narodetzki n'hésitait pas à pontifier : "La
femme n'a besoin d'aucun exercice ni jeu. Tout exercice chez elle peut devenir dangereux parce que son
corps (organes et squelette) n'est pas fait pour fournir
une grande dépense musculaire ou un effet de force."
Et Odilon Barrot, homme politique notoire, y allait de
son credo : "La nature a assigné à chaque sexe sa vie
et sa condition. La femme qui a le malheur d'en sortir
est un monstre de l'ordre social."
Tout est dit. Et tout sera repris au cours du XXème siècle à venir : des différences biologiques incontestables
vont servir d'arguments "scientifiques" pour écarter
ces dames des compétitions, leur interdire une foule
de disciplines et les maintenir là où est leur vraie place,
à la maison. Depuis une trentaine d'années, la situation
s'est heureusement nettement améliorée. Les athlètes
féminines désormais sautent à la perche, courent le
marathon ou soulèvent des haltères sans que leur
santé en pâtisse. Le constat s'impose : s'il existe, en ce
qui concerne le sport, une spécificité des femmes par
FEMMES
Femmes et sport : un mariage de passion
rapport aux hommes, elle est avant tout d'ordre social.
Forcément.
Le sport-loisir privilégié
Social parce les petites filles sont orientées vers des
activités artistiques - gym, danse, patinage - quand les
garçons prennent naturellement le chemin des terrains
de foot ou de rugby. Social parce que les femmes, dès
qu'elles ont des enfants, disposent de moins de temps
pour pratiquer, s'entraîner, disputer des épreuves.
Social enfin parce que, dans un monde médiaticosportif peu séduit par la parité, ce sont les hommes
qu'on monte en épingle, qui passent à la télé et font la
une des journaux. Il a fallu que les basketteuses françaises parviennent en finale de l'Euro 2001 pour qu'on
les voie enfin sur le petit écran…
Une situation que corroborent les chiffres. Les femmes
ont beau être de plus en plus nombreuses à s'adonner
à une activité sportive régulière - 9% en 1968, 32,5%
en 1997 -, elles sont sous-représentées dans les structures fédérales : 26,5% des pratiquantes ont une licence contre 52% des pratiquants, 10% seulement participent à des compétitions. Le sport-loisir d'abord, le
sport pour se détendre, le sport-défense aussi : quand
les jeunes filles des cités apprennent la boxe thaïlandaise, c'est davantage pour se donner les moyens de
riposter à une agression que pour combattre sur un
ring.
Des contraintes inévitables
Activités de loisir ou exercices plus soutenus, peu
importe : biologiquement parlant, appartenir au
deuxième sexe n'a absolument rien de rédhibitoire ni
de risqué en matière de pratique sportive. Les modifications physiologiques qui rythment la vie des femmes
- menstruations, grossesse, ménopause - ne les empêchent en aucune façon, sous quelques réserves, de se
dépenser physiquement. Et de se montrer performantes. Tout au juste peut-on évoquer certaines contraintes inhérentes aux deux ou trois différences qui les
singularisent…
Ainsi les règles : pas de contre-indication médicale à
signaler, pas de répercussion non plus sur l'activité
sportive du fait même de l'existence des menstruations. Les soucis sont ailleurs : dans la gêne psychologique qu'occasionne parfois le caractère inconfortable
de cette période - notamment chez de jeunes gymnastes ou nageuses -, et surtout dans la gêne phy-
Les femmes sont de plus en plus nombreuses
à pratiquer un sport
sique, en cas de douleurs accentuées au bas-ventre
ou de syndrome prémenstruel handicapant. Un syndrome qui touche entre 30% et 40% de femmes et se
manifeste par divers symptômes peu agréables :
migraines, seins tendus, troubles digestifs, jambes
lourdes. On se sent évidemment moins à l'aise pour
faire du sport…
Ainsi la grossesse : lorsqu'elle se déroule normalement, l'exercice physique est non seulement permis,
mais recommandé.. Au cours des 3 premiers mois,
tous les sports demeurent accessibles, à l'exception de
la plongée, interdite - l'apnée est dangereuse pour le
fœtus - et de l'alpinisme, vivement déconseillé. Plus
tard, mieux vaut éviter le ski ou l'équitation, à cause
des chutes possibles, le judo et les sports collectifs où
les chocs au niveau de l'abdomen sont inévitables.
Sinon, la femme enceinte peut parfaitement nager, faire
de la gymnastique, monter à bicyclette jusqu'au terme
de sa grossesse. Simple inconvénient côté vélo : un
gros ventre plutôt encombrant pour se mouvoir en
toute aisance…
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FEMMES
Femmes et sport : un mariage de passion
Surentraînement et
ostéoporose précoce
Mêmes causes,
conséquences différentes
Un handicap autre que social, le fait d'être née
femme ? Non quand il s'agit de sport-loisir, et non dans
l'absolu pour la pratique du haut niveau : les athlètes
des deux sexes atteignent des performances similaires
- compte tenu de leur différence de poids et de masse
musculaire -, courent des risques semblables, se blessent à l'identique et endommagent pareillement leur
santé lorsqu'ils se surentraînent ou se dopent. Sauf
que, dans certains cas, selon le sport choisi et les
efforts consentis, leur spécificité finit par rattraper les
femmes : aux mêmes causes les mêmes effets que
chez les hommes, mais avec des conséquences différentes. Exemples significatifs, la gym et le patinage. Le
recrutement est précoce, l'entraînement exigeant une vingtaine d'heures par semaine - et l'addition souvent lourde : une puberté et une croissance retardées
dont les filles vont payer la note davantage que les garçons. La production insuffisante d'œstrogènes, hormones sexuelles féminines indispensables à la consolidation du squelette, peut se révéler très vite catastrophique : des jeunes de 20-25 ans se retrouvent atteintes d'ostéoporose, cette maladie des "os fragiles" qui
touche en priorité les femmes après la ménopause. Par
ailleurs, le déséquilibre hormonal si tôt installé risque
de conduire à une stérilité temporaire, voire définitive.
Autre problème spécifique rencontré par les sportives :
une anémie due à la pratique de disciplines - course à
pied, volley, sauts - où des chocs à répétition sollicitent
et bousculent l'organisme, provoquant alors un éclatement des globules rouges du sang. Les hommes, bien
sûr, subissent des traumatismes comparables. Mais
eux ne perdent pas par jour, pendant des menstruations, de 10 à 15mg de fer, cet élément constitutif
majeur de l'hémoglobine dont la carence est source
d'anémies invalidantes. Des anémies dont l'origine se
trouve aussi dans les régimes draconiens que suivent
certaines athlètes soucieuses de ne pas prendre de
graisse.
En matière de dopage enfin, chacun est logé à la
même enseigne : tricherie avérée et santé bousillée.
Sauf que, là encore, les conséquences différent. Un
homme chargé aux stéroïdes anabolisants androgènes
se fera moins remarquer qu'une femme pas plus chargée que lui, mais dont la voix va devenir grave, les
épaules volumineuses et le poil épais. Comme quoi la
parité rime ici avec inégalité. Mais, dans ce domaine
précis, comment revendiquer ? Les femmes ont tellement d'autres moyens d'afficher leur statut de sportives à part entière.
Des écarts qui s'amenuisent
C'est entendu, les femmes courent moins vite, sautent moins haut et lancent moins
loin que les hommes.
Le "problème" est d'abord d'ordre biologique : une masse musculaire moins
importante, donc moins de force, une consommation maximale d'oxygène - ou VO2
max (1) - inférieure à cause d'une masse grasse plus élevée et d'une concentration
en hémoglobine plus faible, enfin un débit cardiaque moindre. Tous éléments qui
influent sur la performance et font par exemple qu'une Venus Williams, malgré toute
sa puissance, ne parviendra jamais à rivaliser sur un court avec le frêle Gustavo
Kuerten. Reste que VO2 max et débit cardiaque peuvent s'améliorer avec l'entraînement et que, depuis qu'elles s'en donnent les moyens, les femmes ont vu leurs
capacités athlétiques progresser. Et les écarts entre elles et ces messieurs s'amenuiser. En 1984, le perchiste français Thierry Vigneron obtenait une médaille de
bronze aux JO de Los Angeles en franchissant 5,60m. En 2001, l'Américaine Stacy
Dragila, sacrée un an plus tôt première championne olympique de la discipline à
Sydney, établissait un nouveau record du monde en effaçant une barre placée à
4,81m. Les femmes ne pratiquent officiellement la perche que depuis 1988…
(1)
" V " pour débit, " O2 " pour oxygène, " max " pour maximale : exprimé par rapport au poids, c'est le volume maximal d'oxygène que l'organisme peut, dans un temps donné, transporter et utiliser pour ses besoins durant l'effort. C'est donc un débit (en ml/kg/min).
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