A propos des chapiteaux historiés : Fonctions et dérives de l`image

Transcription

A propos des chapiteaux historiés : Fonctions et dérives de l`image
Secondaire
A propos des chapiteaux historiés :
Fonctions et dérives de l’image
médiévale
L’image religieuse était interdite par l’Ancien Testament et par le Coran car elle risquait de
conduire à l’idolâtrie. L’empire byzantin a connu deux crises iconoclastes au VIIIe et au XIe
siècle. Mais le Moyen Âge occidental a accepté facilement l’image : puisque « le Verbe s’est fait
chair », l’Incarnation permet de représenter Dieu.
Au Moyen Âge, le mot image (« imago ») désigne indistinctement des œuvres peintes ou
sculptées. On lui assigne un triple rôle, didactique, mnémonique et affectif.
Dès le VIe siècle, les traités de Boèce (« La Consolation de la Philosophie », « De Trinitate ») et
ceux attribués à Denys l’Aréopagite (« Traité des noms divins », « Hiérarchies Célestes »)
justifient le recours aux images.
Saint Grégoire Le Grand, (pape de 590 à 604), voit dans la peinture un succédané de l’écriture :
> « En effet, la peinture est pour les analphabètes ce que l’écriture est pour ceux qui savent lire,
parce que peuvent y lire ceux qui ne connaissent pas leurs lettres, c’est pourquoi surtout la
peinture sert de leçon aux gens. »
Grégoire Le Grand, Lettre à Serenus, évêque de Marseille.
Le synode d’Arras (1025) autorise la peinture d’images pour l’enseignement des ignorants.
Honorius Augustodunensis (v. 1080-v. 1157) – Honorius d’Augustodunum – Regensburg, près
de Rastisbonne, en Allemagne, – auteur prolifique de sermons et traités de théologie, dont
l’ « Imago mundi », considère que la peinture est faite pour instruire, pour rappeler les grands
faits du passé mais aussi pour embellir et procurer un plaisir esthétique.
L’ordre de Cluny, qui a connu un développement prodigieux dans l’Europe des XIe et XIIe
siècles, estime que rien n’est assez beau pour célébrer la gloire de Dieu : les églises et les
cloîtres clunisiens sont richement ornés de peintures et sculptures afin d’évoquer la
« Jérusalem Céleste » et la musique contribue à la beauté de l’office divin. L’œuvre d’art
célèbre ainsi la gloire divine mais aussi la puissance de l’ordre.
Saint Bernard, abbé de Clairvaux, (1090-1153), dans sa correspondance avec l’abbé de Cluny,
Pierre Le Vénérable, et dans « l’Apologie à Guillaume, abbé de Saint-Thierry », s’élève contre
le luxe des sanctuaires. Il concède que l’image puisse conduire les laïcs à Dieu :
> « Je sais qu’il y a une autre mesure pour les évêques et une autre pour les moines. Car ceuxlà, ayant des devoirs envers les fous comme envers les sages, excitent la dévotion du peuple
© Ville de Toulouse, musée des Augustins, document réalisé par le service éducatif, (Céline Roques, 2002).
Secondaire
charnel avec des ornements matériels, ce qui ne serait pas possible avec des ornements
spirituels. »
Mais les moines n’ont pas cette excuse. L’image présente pour eux des dangers : distraction
profane, idolâtrie, étalage scandaleux de richesses face au dénuement des pauvres.
> « Du reste, que viennent faire dans les cloîtres, face aux frères qui lisent, cette ridicule
monstruosité, cette étonnante beauté difforme et cette belle difformité ? Que viennent faire ces
singes immondes, ces lions cruels, ces centaures monstrueux, ces êtres moitié-hommes, ces
tigres tachetés, ces chevaliers au combat, ces chasseurs sonnant du cor ? On voit plusieurs
corps sur une seule tête et plusieurs têtes sur un corps. On discerne ici un quadrupède à queue
de serpent, là un poisson à tête de quadrupède. Voici une bête qui commence en cheval et
dont la moitié inférieure est celle d’une chèvre ; voilà un corvidé avec l’arrière-train d’un cheval.
Il apparaît enfin une telle variété de formes si nombreuses et si diverses en tous lieux qu’on
préfère lire dans les marbres que dans les livres, et s’occuper toute la journée à admirer chaque
détail plutôt que de méditer la loi divine. Mon Dieu ! Si l’on n’a pas honte de l’ineptie, comment
alors ne pas regretter la dépense ? »
« On croirait vraiment, à voir les images ou les statues de certains saints et saintes que ces
personnages sont d’autant plus saints que leurs effigies sont riches en couleurs … »
« A quoi sert l’or dans les sanctuaires ? O, vanité des vanités ! … L’Eglise est éclatante dans
ses murailles et elle est nécessiteuse dans ses pauvres ; ses pierres sont revêtues d’or et ses
enfants délaissés dans leur nudité : on contente les yeux des riches aux dépens des pauvres …
En un mot, à quoi bon ces choses chez des pauvres, des moines et des hommes spirituels ? »
« Et pour parler franchement, serait-ce l’avarice, c’est-à-dire le service des idoles, qui fait tout
cela ? Cherchons-nous le don plutôt que le fruit ? Si l’on objecte : comment ? je répondrai :
D’une étrange manière. Il existe un art de semer l’argent qui le multiplie ; on dépense pour
l’augmenter et la profusion en produit l’abondance. La vue des vanités somptueuses et
surprenantes anime plutôt les spectateurs à offrir leur argent que leurs prières à Dieu. Ainsi les
richesses drainent les richesses et l’argent attire l’argent ! … Les yeux se repaissent de voir les
reliques couvertes d’or et on ouvre aussitôt la bourse ; on montre un excellent tableau d’un
saint ou d’une sainte et on le croit d’autant plus sacré qu’il a plus d’éclat … on admire bien
davantage la beauté du tableau et du reliquaire que l’on révère la sainteté »
Saint Bernard, « Apologia ad Guillelmum abbatem » 1124-1125.
Patrologie latine t.182, col. 895-918.
Le bienheureux Aelred, abbé de Rievaulx (abbaye cistercienne anglaise) et disciple de saint
Bernard, écrit entre 1142 et 1147 « Le Miroir de la Charité » : il y condamne les images qui sont
« la concupiscence des yeux », car ceux qui accordent leur attention à leurs créations oublient
le Créateur et trahissent leur vocation qui est de connaître et aimer Dieu en esprit.
En opposition au modèle clunisien, l’art cistercien austère et dépouillé, répond parfaitement à
cette exigence.
Page 2 sur 2
© Ville de Toulouse, musée des Augustins, document réalisé par le service éducatif, (Céline Roques, 2002).