Damnio fut réveillé par la sonnerie de son portable. Bram lui
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Damnio fut réveillé par la sonnerie de son portable. Bram lui
Damnio fut réveillé par la sonnerie de son portable. Bram lui demandait de le rejoindre dans une déchetterie où les restes d’un corps venaient d’être découverts. Il regarda sa montre; il venait de dormir quatre heures d'affilée, le grand luxe. Tous deux avaient travaillé une bonne partie de la nuit et s'étaient quittés à l'aurore. Le Belge défendait l’hypothèse selon laquelle les crimes étaient l’œuvre d’un Serial Killer, qui possédait l'art de faire des adeptes mais l'ex-capitaine ne partageait pas cet avis. Si des disciples avaient cherché à reproduire les scènes de crime alors les policiers auraient trouvés davantage de similitudes entre les affaires. Or, et bien que les cadavres ne soient jamais retrouvés en entier la façon de s’acharner sur les corps divergeait. Cinq ans plus tôt, aux États-Unis, on avait trouvé des traces de balles sur les restes d’une victime et les éléments de l’enquête laissaient penser que l’assassin s’était offert une partie de chasse avant d'abattre sa proie, quant aux meurtres perpétués au Canada, ils présentaient des morsures de chien. Seul, celui de la Belgique laissait penser qu’il pouvait s’agir du même homme. En effet, que ce soit à Bruxelles ou à la Rochelle on observait la même volonté de présenter les restes d’un corps mis en évidence, tel un trophée. Damnio en concluait qu'il n’y avait pas un homme, mais plusieurs, et qu'il n’existait pas forcément de liens entre les différents crimes. Un fait pourtant restait particulièrement troublant : jamais le cœur des victimes n’était retrouvé. Se pouvait-il qu’il s’agisse d’une coïncidence ? En entrant dans la salle de bain, il sentit l’odeur de serviettes parfumées et pensa que les deux jeunes femmes étaient rentrées. Il aspergea son visage d’eau glacée et descendit sans faire de bruit. Il se dirigea vers leur chambre mais au dernier moment, renonça à entrer. La dispute de la veille l’encourageait à prendre ses distances. Il but un café, avala quelques gâteaux secs et laissa les clefs du véhicule bien en évidence sur la table. Il prit le temps d'écrire un mot à la fois tendre et sympathique car il espérait que le temps ferait son œuvre et que ses rapports avec Anna repartiraient sur de nouvelles bases. Il grimpa sur sa Japonaise et pensa que si elle lui permettait une conduite sportive, elle n’aurait jamais la classe d’une Harley. Au fond de lui, il restait un Biker, un véritable Bad Boy qui aimait par-dessus tout l’alcool et la bagarre. Il fonça en rase campagne jusqu’à la déchetterie et comprit que la machine judiciaire était en marche: une multitude de véhicules banalisés bouclait un périmètre de sécurité et les agents empêchaient d’entrer toute personne qui ne portait pas un brassard oblitéré. Heureusement Bram l’aperçut et ordonna aux policiers de le laisser passer. Le lieutenant Vermeulen n’avait rien d’un officier. Ses cheveux blonds mal coiffés tombaient en vrac sur un blouson en jean sans manches et sa barbe naissante lui donnait de faux airs de rebelles. Le commissaire Planque, une vieille connaissance de Damnio, était tout le contraire. Petit bureaucrate engoncé dans un costume étriqué, il portait son nom à merveille. Il s’approcha de l'ex-capitaine et feint de le renifler: – Tiens, tu ne sens pas l’alcool ce matin? Bizarre! – Dégage, Planque. – Tu t’es trouvé un nouveau copain, on dirait? Qui se ressemble s’assemble, n’est ce pas? À une autre époque, il n’en aurait pas fallu davantage au détective pour grimper dans les tours mais il avait vieilli. A défaut de s'être assagi, il préférait garder son énergie pour des choses qui en valaient la peine. De plus, il considérait le commissaire comme un pauvre type. Un raté, sans passé, sans avenir, qui n’avait pas le courage de regarder sa propre existence et qui préférait passer son temps à passer au crible celle des autres. En un mot, l'homme était pathétique. Damnio rejoignit son collègue qui se massait le front près du tout venant en observant une tête ensanglantée qui trônait sur un tas de détritus. Un peu plus loin il reconnut le jeune médecin légiste qu’il avait rabroué quelques jours plus tôt. Ce dernier crapahutait tant bien que mal au milieu des gravats pour tenter une première expertise. − Alors toubib ? lança Bram. Le docteur Cassin tomba une première fois au milieu des détritus, puis s’approcha du mur. Il retira ses gants et saisit, à contre cœur, la main de l'excapitaine, qui le hissa en dehors de la benne. Il passa outre ses griefs personnels pour donner un premier avis. – Je peux déjà vous dire qu’il manque la langue et que le corps a été atrocement mutilé post mortem. Fait troublant, le tueur a jeté les jambes dans la cuve à carton. Vous remarquerez qu’il est inscrit : plier avant de jeter, et notre tueur a suivi la consigne à la lettre. Il a coupé le bas du corps en huit morceaux égaux, qu’il a pris soin d’empiler les uns sur les autres. J’ai ordonné aux agents de transporter le corps en salle d’autopsie. Si vous voulez y assister, lieutenant Vermeulen, c’est maintenant. Bram invita Damnio à le devancer et coupa net aux protestations de Cassin. – Lui et moi collaborons sur la même affaire, ordre du ministère. L’ex-capitaine ne put s’empêcher de ricaner sournoisement; voilà qu’à présent, il devenait presque important. Il pensa que, sous ses aspects j’m’en foutiste, le lieutenant devait avoir de sacrées relations pour imposer la présence d’un ex-flic déjanté et, de surcroît, alcoolique chronique. Il grimpa sur sa moto et lui lança un clin d’œil provocateur: – Il y a des chances pour que j’arrive avant toi, mon vieux. – Et oui! De la perfection naît l’ennui, répondit Bram en enfilant son casque. N’oublie jamais ça. – Non, tu ne comprends pas, je ne fais pas l’apologie des sportives, en réalité, j’aimerais avoir les deux. – Comme moi donc. – T’as les deux? Putain d’enfoiré, j’y crois pas… Ils roulèrent ensemble jusqu’à l’hôpital et Damnio pensa qu’on pouvait toujours tirer avantage d’une situation. Après tout, entre une DeuxCh’ et une Porche, il était parfois préférable de choisir la DeuxCh’ pour délirer dans la neige. À défaut d’avoir des tunes, on pouvait toujours avoir des idées. Ils partagèrent un agréable moment en roulant côte à côte pendant quelques kilomètres, puis l'ex-capitaine poussa sa bécane et roula comme un fou jusqu’à l’hôpital, où il attendit son pote près de la machine à café. Le lieutenant arriva en souriant et ils conclurent qu’ils avaient tous deux la passion des deux roues. Ils continuèrent à parler moto jusqu’à ce qu’une interne vienne les informer que le Docteur Cassin était prêt pour pratiquer l’autopsie. L’un comme l’autre avaient l’habitude de ce genre de protocole, aussi enfilèrentils leurs blouses avec indifférence. L’identité de la victime restait méconnue des services de police et le préfet avait ordonné que la procédure suive son cours, sans perdre de temps. Le jeune Docteur enfila ses gants et observa les deux enquêteurs par-dessus ses petites lunettes rondes. Damnio ébaucha un sourire. Décidément ce gamin aurait pu être le fils de Leroy, tant la ressemblance était troublante. Puis, et comme l’aurait fait son congénère, le médecin essuya ses binocles sur sa blouse avant de se lancer dans son analyse. – Des traces de sueur ont été prélevées par la police scientifique sur les lieux du crime. Nous pensons que le bout de tissu sur lequel ces stigmates ont été trouvés appartient au tueur. À moins, bien sûr, qu’un usager indiscipliné ait balancé dans la benne des choses n’ayant rien à y faire ; mais alors, dans ce cas, pourquoi juste un petit morceau ? Non, à mon avis, l’assassin s’est accroché involontairement à un objet contondant et voilà. Damnio et Bram ne firent aucun commentaire. L’un et l’autre savaient pertinemment qu’en matière de recherche ADN, mieux valait rester prudent. Le mythe de l’infaillibilité de la technique était tombé depuis longtemps, et les traces de sueur pouvaient tout aussi bien appartenir à un des policiers présents sur les lieux. Cassin alluma un magnétophone, ainsi qu’un studio mobile, pour entamer une visio-conférence avec le Docteur Leroy. Il entama la procédure après que ses invités aient échangés quelques brèves formules de politesse. – La victime, de sexe masculin, était entièrement nue. Les restes du corps prouvent qu’il s’agit d’un homme jeune, d’environ 1 m 80, dont le corps est normalement développé. Le haut du crâne est totalement défoncé… . Le jeune médecin affirma que la victime avait été assassinée avec un objet de style massue. Compte tenu de la contusion, le coup avait été fatal. Il observa une matière brunâtre séchée présente au fond de la gorge et la sortit avec une pince pendant que les deux enquêteurs retenaient leur souffle. Il interrompit l’enregistrement et porta la matière à la lumière. Après une première observation au microscope, il s’adressa aux enquêteurs : – Ceci est ni plus ni moins qu’un bout de langue séchée. – Est-ce celui de la victime ? demanda Bram. – Je pense pouvoir vous répondre avec une absolue certitude que non. D’après mes premières observations, notre homme est mort depuis 48 h. Or, la personne propriétaire de la langue ici présente, est morte depuis plusieurs mois ! Il posa ses pinces sur un chariot et poursuivit ses observations après avoir pris soin de réenclencher son magnétophone. – La tête et le cou ont été coupés grossièrement avec un hachoir, idem pour le bas du corps. Le lieutenant murmura un mot à l’oreille de Damnio et fit un signe au médecin pour lui indiquer qu’ils quittaient les lieux. Ils avaient vu l’essentiel et ils comptaient sur les observations de Leroy pour étayer leur analyse. En sortant, ils rencontrèrent Planque qui, une fois n’est pas coutume, leur donna une information utile. Le corps appartenait probablement à un jeune représentant en assurance du nom de Sacha Melin, disparu depuis trois jours ; un jeune homme, bien sous tous rapports et sans histoires. Le commissaire s’engageait à passer au crible les derniers rendez-vous du commercial. La chose ne serait pas aisée, puisque son agenda avait disparu avec lui. Il allait devoir fouiller son bureau, son ordinateur et interroger ses collègues. Bram proposa au détective de l'accompagner afin d'interroger l’entourage de la victime, en attendant les résultats ADN. Il pensait, à juste titre que Leroy allait récupérer l'affaire et que ce dernier contacterait son employé en priorité. Cependant le détective préférait faire cavalier seul. Pour une fois il fit preuve de tact en avançant ses arguments : – Excuse-moi, mon vieux, mais les gens répondent toujours plus facilement en face d’un enquêteur privé. Il sera plus facile pour moi de recueillir des confidences si tu me laisses y aller seul. Son téléphone sonna et il s’écarta des deux policiers en oubliant de s’excuser. Il reconnut immédiatement la voix affolée et angoissée d’Anna qui hurlait au téléphone. Elle hoqueta qu’il devait rentrer d’urgence, qu’elle avait appelé le SAMU, qu’elle ne comprenait pas pourquoi elle avait fait ça. – Qui, Elle ? Damnio ne comprenait rien à tout ce charabia. Il tenta de la calmer en lui assurant qu’il la rejoignait. Il se dépêcha de quitter les lieux en adressant un salut de la main au Belge Il lui gueula un : – On fait comme ça, hein ? c’est Ok ?… Sans pour autant laisser à l’autre le temps de réagir. Le détective était très inquiet. Anna n’était pas le genre de fille à s’affoler pour rien, et son comportement signifiait que quelque chose de grave venait de se produire. Il fonça comme un dératé en slalomant entre les véhicules. Il se fit flasher par deux radars et pensa qu’il allait devoir encore plaider sa cause auprès de ses anciens collègues pour les faire sauter. Quand, à peine un quart d’heure plus tard il parvint à la maison, il aperçut une ambulance ainsi qu’Anna enroulée dans un chandail, les yeux rougis par les larmes. Deux ambulanciers sortirent une personne installée sur un brancard. Damnio s’approcha et la jeune femme éclata en larmes en se serrant contre lui. Avant que les brancardiers n’engouffrent le lit dans l’ambulance, l'ex-capitaine reconnut la patiente dont le visage était à moitié recouvert d’un masque à oxygène. Il s’agissait d’Alicia. l'ex-capitaine reconduisit Anna dans la cuisine. – Allez viens, tu vas attraper froid. Il prépara un café, alla lui chercher une veste en laine qu'il exigea qu’elle l’enfile. Au bout d’un moment, elle cessa de grelotter et il lui demanda de raconter ce qui s’était passé. – J’ai peur que tu ne me prennes pour une cinglée. – Allons… dit-il d’un ton qui se voulait rassurant… tu me connais, je peux tout entendre. Elle prit une inspiration, but une gorgée de café et parla d’une voix peu assurée : – Je suis rentrée ce matin, sur les coups de 10 H. Je m’étais disputée avec Alicia après que tu… enfin, après que vous… – Pas la peine de développer, j’ai compris. – Bref, je suis rentrée, je me suis fait couler un bain et je me suis endormie dans la baignoire. Je me suis réveillée en sursaut en entendant le véhicule du facteur qui repartait. L’eau était froide, j’étais gelée et j’ai dû prendre une douche pour me réchauffer. Quand je suis rentrée dans ma chambre, la pièce était sombre et je ne me suis pas aperçue de la présence d’Alicia. C’est seulement lorsque j’ai allumé la lampe de chevet que j’ai vu… Anna recouvrit son visage de ses mains et poursuivit : – Il y avait du sang partout… elle s’était tranchée les veines. – Tu savais qu’elle avait des tendances suicidaires ? – Absolument pas, je suis formelle. Alicia était peut-être agressive, excentrique, mais rien ne pouvait laisser présager un tel geste. Damnio préféra laisser le sujet de côté pour le moment car, de son point de vue, il ne trouvait pas que cette fille soit bien nette. Il ne put s’empêcher de penser que quelques heures plus tôt, il aurait dû suivre son instinct et entrer dans la chambre. Qui sait, ce drame aurait peut-être pu être évité. – Tu devrais te reposer un peu. – Je veux aller la rejoindre à l’hôpital. – Souhaites-tu que je t’accompagne ? – Non, je préfère y aller seule. Il la regarda enfiler un manteau et la retint par le bras avant de la serrer longuement contre lui. Une fois qu’elle fut partie, il sortit une bière du frigo et pensa qu’il devrait nettoyer la chambre avant qu’Anna ne revienne. En entrant dans la pièce, il entendit le bruit d'un moteur, ouvrit la porte et reconnut sans aucune hésitation le véhicule du facteur. %