Sophie CHIARI. L`image du labyrinthe à la Renaissance. Détours et

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Sophie CHIARI. L`image du labyrinthe à la Renaissance. Détours et
Moreana Vol. 49, 187-188
Chantal SCHÜTZ
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Sophie CHIARI. L'image du labyrinthe à la
Renaissance. Détours et arabesques au temps de
Shakespeare. Bibliothèque littéraire de la Renaissance 79. Paris :
Editions Honoré Champion, 2010. 673 pp. index. illus. bibl. €120.
ISBN: 978-2-7453-1963-0
RECENSION
Chantal Schütz
Ecole Polytechnique
C’est un véritable fil d’Ariane à
travers le dédale des représentations du
labyrinthe et des interprétations du mythe
de Thésée et du Minotaure que nous livre
Sophie Chiari dans son ouvrage L'image du
labyrinthe à la Renaissance. Détours et arabesques
au temps de Shakespeare, paru en 2010.
Partant des différentes descriptions
antiques du monument, dont la création est
attribuée tantôt aux égyptiens, tantôt à
l’ingénieux architecte crétois Dédale,
Sophie Chiari ne se contente pas d’évoquer
Hérodote et sa description des pyramides. Elle convoque à l’appui de
ses démonstrations les grands auteurs de l’Antiquité, Homère mais
aussi et surtout Pline le Jeune, Ovide, Virgile et Plutarque, et bien sûr
leurs traducteurs français et anglais, qui ont servi de médiateurs
entre le public élisabéthain et le mythe antique.
Mais la Renaissance anglaise n’a pas découvert le concept
labyrinthique du jour au lendemain, et Chiari montre bien comment
les figurations du labyrinthe traversent le Moyen Age et s’inscrivent
dans les traditions anglaise, française et italienne, pour connaître à la
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Renaissance des évolutions divergentes, souvent liées aux choix
politico-religieux de leurs dirigeants.
L’Angleterre élisabéthaine s’est saisie du mythe de mainte
manière, que ce soit dans la ligne – pas toujours droite – de la
tradition rustique des cheminements champêtres, que l’on retrouve
dans la vogue des labyrinthes de verdure aristocratiques, ou encore
dans une riche veine métaphorique qui représente tantôt l’errance et
les tourments de l’amour, tantôt le pèlerinage et la recherche du
salut, sans oublier les avatars de Dédale, ici incarnation de l’artiste de
la Renaissance, et là rusé et tortueux complice d’amours inavouables.
En effet, et c’est là un des mérites de l’ouvrage, Sophie Chiari
ne nous laisse jamais oublier l’origine transgressive du labyrinthe,
fruit indirect de la passion de Pasiphaé, épouse de Minos, pour un
taureau blanc, auquel elle réussit à s’accoupler grâce à une vache de
bois conçue par l’ingénieux Dédale, celui-là même qui aura pour
mission de créer la prison aux mille ambages dans laquelle sera
dissimulé le monstre conçu par la reine impudique. Et si Thésée
vient briser le joug exercé par le Minotaure, qui exige chaque année
son tribut de jeunes Athéniens à dévorer, c’est au prix de l’amour
bafoué d’Ariane, demi-sœur de l’homme-taureau, qui trahit sa famille
en donnant le fil à celui qu’elle choisit de suivre, pour être aussitôt
abandonnée par un héros volage. Mais c’est la trahison de Dédale qui
le condamne à son tour à être enfermé dans ce qui devait être un
refuge ou une forteresse et dont la fonctionnalité inversée devient un
topos qui s’étendra à toutes les ramifications du mythe.
Dès lors on verra tout au long des réinterprétations de la
légende opérer une dialectique qui opposera de façon subtile les
interprétations religieuses et amoureuses, esthétiques et philosophiques. Et ce n’est pas le labyrinthe seul qui sera réinterprété, mais
chacun des personnages de la légende. Ce qui permet d’affirmer que
le concept déterminant à l’œuvre à la Renaissance est celui de la
discordia concors d’Horace.
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A travers les mille et une facettes de l’image du Labyrinthe et
son architecte mythique se dessinent néanmoins quelques
constantes que Sophie Chiari fait émerger grâce à une approche que
l’on pourrait dire à la fois génétique et mimétique, tant elle nous fait
parcourir de détours entre l’Angleterre et le continent, la
Renaissance, le Moyen Age et l’Antiquité, les arts de la scène, de
l’emblème ou du jardin. Au reste, le lecteur est prévenu d’entrée que
le projet ne se limite pas à une « synthèse visant à simplifier le
mythe ».
On découvrira ainsi que l’Angleterre de la Renaissance voit
dans le Minotaure à la fois un monstre et un démon, incarnant en
particulier la personne du souverain pontife qui trône au centre du
Labyrinthe d’une foi dévoyée, alors même qu’en Italie et en France le
dédale figurant dans les églises représente le chemin de Jérusalem et
mène par une voie unique au salut. Mais aussi que le « Maze » ou
« Maison de Dédale » tient d’une très ancienne tradition autochtone
devenue déjà fort désuète au début du XVIIe siècle, tout comme les
jeux de Robin des Bois regrettés par Hamlet. Et que la vogue des
jardins aux arabesques verdoyantes reflète à la fois l’étymologie
fantaisiste du Labor Intus, ce cheminement intérieur laborieux, et
l’influence du Songe de Poliphile de Francesco Colonna (1499).
Itinéraire initiatique, apprentissage par l’erreur symbolisée par le
détour, le jardin-labyrinthe semble résumer à lui seul l’entrée dans
une philosophie du doute. Et pourtant les entrelacs conçus pour le
plaisir des yeux consacrent une forme d’évasion nostalgique
organisée autour de la figure de la reine, qui en vient à remplacer le
Minotaure au cœur d’un système sinueux dont elle détient le fil. On
assiste là d’ailleurs à l’un des nombreux glissements entre
personnages mythiques que met en valeur le travail de Sophie
Chiari : au fil des représentations, les frontières se brouillent sans
cesse entre Minotaure et Centaure, ou entre Ariane et Arachné.
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Le Labyrinthe et son auteur ont connu des glissements
parallèles. Si Paracelse dénonce l’ignorance des « médecins errants »
par le biais d’un ouvrage dénommé Labyrinthum medicorum errantium,
assimilant les mauvais livres à un dédale destiné à perdre le lecteur,
Boèce cible plutôt le raisonnement retors de ses adversaires, alors
qu’outre-manche le dédale n’est plus perçu sous un jour négatif à
l’aube de la Renaissance, car ce qui se trouvait mis en valeur était
plutôt l’ingéniosité artistique du concepteur.
Mais c’est sans doute le labyrinthe de l’amour, popularisé tant
à travers la légende de Rosamond Clifford que par la poésie
pétrarquiste, qui traverse la Renaissance avec la plus grande
constance – on le retrouve dans le jardin d’Armide ou dans les images
d’une chevelure assimilée au fil d’Ariane et qui devient, par un
étrange retournement, une image d’enfermement et non plus de
libération.
C’est donc après maint détour aussi surprenant qu’agréable, à
l’image des sensations procurées par les labyrinthes de verdure
renaissants, que le lecteur découvre un chapitre tout entier consacré
à l’influence du mythe sur les arts de la scène. Après l’examen détaillé
du Masque de Ben Jonson, Pleasure Reconciled to Virtue (1618), qui met
en scène un maître de danse nommé Daedalus, on lira avec le plus
grand intérêt les analyses de trois pièces qui se réclament explicitement du modèle dédaléen, à savoir Le Songe d’une nuit d’été de
Shakespeare (1595), La Comtesse insatiable (The Insatiate Countess) de
John Marston (1613), et La Bergère fidèle (The Faithful Shepherdess) de
John Fletcher (1608-1609).
Si Sophie Chiari inscrit son livre dans la continuité des
ouvrages de Paolo Santarcangeli (Le Livre des Labyrinthes, 1967) et
Penelope Reed Doob (The Idea of the Labyrinth from Classical Antiquity
through the Middle Ages, 1992), elle fait preuve d’une érudition qui ne
devient jamais lassante et d’une approche qui ne néglige aucun
aspect de la production écrite ou picturale de la période considérée.
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Écrit dans un style recherché, L'image du labyrinthe à la Renaissance
traite de façon exhaustive et néanmoins passionnante des différentes
facettes d’un mythe polysémique et fécond qui n’a cessé de se
réinventer au cours des siècles.
Chantal Schütz
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Pattern from the Series of Six Knots - 1505-1507 - Albrecht Dürer
Woodcut - British Museum, London

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