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vendredi 14 octobre 2011
La cuisine étoilée naît aussi dans les choux
Nicolas Nobis, chef du restaurant « L'Éveil des Sens », à Mayenne. Dans sa brouette, Miguel Huette, son maraîcher.
Photo : Philippe RENAULT
À Mayenne, le jeune chef Nicolas Nobis a décroché une étoile Michelin en mars. Pour réaliser la cuisine simple
mais peu commune qu'il affectionne, il s'est adjoint les services et l'amitié d'un maraîcher toujours prêt à tenter
de nouvelles cultures.
Une étoile Michelin pour une restaurant sans nappe
Dans le petit cercle des fins gourmets, ça fait parfois jaser. À L'Éveil des sens, on mange sans nappe, et avec le même
couteau de l'entrée au dessert. Pour certains, ces deux « sacrilèges » sont indignes d'une enseigne gastronomique.
Nicolas Nobis, le chef trentenaire du restaurant mayennais, n'en a cure : faire simple, c'est son credo.
Les inspecteurs du guide Michelin, eux, n'ont pas tiqué. Moins d'un an après l'ouverture, ils ont auréolé le chef d'une
précieuse étoile en mars dernier. « On n'avait pas pensé l'avoir », commente l'heureux élu.
Rencontre décisive avec Bernard Loiseau
Ce qui a séduit les faiseurs de rois ? Une cuisine aussi simple que le décor. En douze ans, la formation de Nicolas Nobis
l'a conduit dans plusieurs restaurants étoilés, dans l'Ain, le Jura ou en Angleterre. La rencontre décisive : Bernard
Loiseau, VRP charismatique de la cuisine française à l'étranger, trois étoiles en Bourgogne.
Nicolas Nobis y profite de ses conseils pendant un an. Et puis, le maître se suicide en 2003. Pour certains, il n'a pas
supporté des critiques sur son travail. Nicolas Nobis se garde des conjectures, et préfère se souvenir des deux règles de
son patron : « La rigueur. Et jamais plus de trois saveurs dans l'assiette. »
L'étoilé le moins cher de France
Ces principes en tête, l'élève ouvre son affaire en mars 2010, avec Isabelle, son épouse, rencontrée en apprentissage.
Derrière la voix douce et traînante, l'allure discrète, se révèle une personnalité marquée. Pas question de reprendre le
fonds et la clientèle d'un autre : Nicolas Nobis veut son « truc à lui ».
Le couple s'installe, un peu par hasard, dans un bâtiment sobre à la sortie de Mayenne, près de l'hôpital, dans une
artère sans charme. Et limite à 25 le nombre de couverts. Traque les économies et limite le personnel. Résultat : le
menu s'affiche à 31 €, « ce qui en fait de moi l'étoilé le moins cher de France ». Coup de pub assuré, les affaires
décollent.
Les sauces et les légumes en vedette
Le chef se concentre alors sur ce qu'il préfère : les sauces et les légumes. Dans le Jura, un autre de ses mentors étoilés,
Jean-Paul Jeunet, lui avait montré la voie : « Il faisait cultiver certaines variétés par une petite grand-mère. C'était des
trucs incroyables », se souvient-il, encore admiratif.
Lui se fait un devoir d'épouser le rythme des saisons, quitte à employer des légumes oubliés, qu'il laisse à l'affiche
seulement quelques semaines. Le client doit redécouvrir le patrimoine culinaire local. Même contre son gré.
« Je suis un peu buté. Si j'ai prévu des salsifis et qu'un client me dit qu'il ne les aime pas, je lui fais le plat qu'il
demande... et je lui sers des salsifis à part. Mon travail, c'est de faire découvrir des produits. »
Le grain de folie du chef et du maraîcher
Pour exercer son sacerdoce, il s'est trouvé un allié de choix aux jardins de la Ségottière, dans l'Orne. Un joli coin de
bocage à 40 minutes de Mayenne. Depuis 2008, Miguel Huette cultive là deux hectares de légumes et de plantes
aromatiques et sauvages. Environ 150 variétés de 50 espèces y poussent.
Ce lundi, Nicolas Nobis est venu voir les plants de « butternut », une longue courge beige au goût de châtaigne, qui sera
bientôt au menu avec du cochon de lait. Les deux hommes partagent le même grain de folie.
« Nicolas m'a dit : Je ne veux les légumes qu'au moment où ils sont les meilleurs »,balance Miguel. La riposte fuse : « Et
lui, il refuse de me donner le moindre légume cabossé, même pour une purée ! »
Ils se sont rencontrés il y a quatre ans, quand le maraîcher a appelé le chef, alors en poste dans un restaurant de l'Orne,
d'où il est originaire, pour lui vendre des haricots. Coup de foudre au potager : le cuistot trouve un partenaire capable de
lui enseigner des goûts, l'autre est trop heureux d'essayer des cultures.
Ail d'automne, fleur de sureau, oseille sauvage
Parfois, il y a de la casse, comme avec l'ail ou le chou chinois, qui n'ont jamais pris. Qu'à cela ne tienne : l'ail d'automne
est au programme des prochains essais, de même que la fleur de sureau et l'oseille sauvage. Plusieurs fois par an, l'un
et l'autre se retrouvent pour discuter de leurs projets légumiers.
La butternut était belle, le soleil tombe derrière les haies, il faut rentrer. Peu avant Mayenne, au détour d'un vallon,
Nicolas Nobis montre la ferme où il se fournit en cochon. Pas de scrupules avec les éleveurs : « Si un jour quelqu'un me
propose un meilleur produit que celui dont j'ai l'habitude, je change. »
Cela vaut-il aussi pour Miguel ? Le chef sourit, réfléchit une demi-seconde. Et balaie la fourbe question : « Que
quelqu'un fasse de meilleurs légumes que lui ? Franchement, j'attends de voir ça. »
Julien LEMAIGNEN.

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