Compte-rendu€: «€Les enjeux des TIC€: le Knowledge Management

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Compte-rendu€: «€Les enjeux des TIC€: le Knowledge Management
Compte-rendu : « Les enjeux des TIC : le Knowledge Management »
Conférence du 3ème millénaire, Salon Initiatives du jeudi 18 octobre 2001
Orateur : Jean-Yves Prax, Directeur de POLIA CONSULTING
Face à un environnement complexe, incertain et hautement concurrentiel, la compétitivité
d’une entreprise dépend de sa capacité à mobiliser son intelligence collective et à manager sa
connaissance. Cela suppose des dispositifs répartis sur l’ensemble des acteurs, qui posent à
l’entreprise des défis culturels, organisationnels et stratégiques majeurs.
Jean-Yves Prax, spécialiste français du knowledge management, a expliqué lors de son
intervention les enjeux de cette problématique et l'importance d'une bonne gestion des flux
d'informations au niveau de l'entreprise.
Docteur ès-sciences, Jean-Yves Prax est le fondateur et le P-DG de POLIA Consulting.
Il a précédemment fondé et dirigé le premier cabinet français de conseil à s’être spécialisé,
dès 1993, dans le Knowledge Management. Il est également chargé d’enseignement en DESS
à l’Institut de Sciences Politiques, maître de conférences à l’ENA et auteur de plusieurs
ouvrages de référence en management de l’information (dont « Le guide du Knowledge
Management », Dunod 2000).
Depuis près de 10 ans, Jean-Yves Prax et son équipe interviennent en accompagnement des
grandes entreprise dans leurs mutations organisationnelles, culturelles, managériales,
stratégiques provoquées par l’arrivée des TIC.
Le Knowledge management (KM) est né dans un contexte de pollution informationnelle.
Aujourd'hui, les managers reçoivent près de 600 emails et 30 kilos de papier par semaine :
une somme d'informations qui apparaît de plus en plus impossible à intégrer et qui s'apparente
à une forme de harcèlement textuel. Le défi pour l'entreprise de demain consiste à redéfinir sa
politique de gestion de l'information afin d'optimiser son potentiel de connaissances et de
savoirs et pouvoir ainsi le capitaliser.
"Apportez moi l'information dont j'ai besoin au moment où j'en ai besoin". Telle pourrait être
la formulation de l'approche des gestionnaires de l'information lorsqu'ils considèrent les
requêtes
demandes relatives à leur base de données. Une approche qui entraîne trois remarques :
•
Au niveau du repérage : la formule traditionnelle "je connais" ne recouvre plus une
connaissance propre d'un objet mais plutôt la capacité à retrouver rapidement de
l'information sur cet objet.
• Au niveau de la pertinence : une information n'est pertinente qu'en fonction de
l'utilisateur final. La question qui doit guider l'action d'un gestionnaire d'informations est
"quel est mon public ?"
• Au niveau de la sérendipité : il faut dépasser la demande de la personne qui cherche de
l'information. Il faut cultiver l'art de découvrir les choses que l'on ne cherche pas (répondre
à l'attente tacite d'un demandeur).
Qu'est ce que le KM ?
M. Prax a d'abord défini le KM par la négative.
Le KM n'est pas :
•
l'archivage de tonnes d'informations inutiles, qui ne feraient qu'augmenter
l'overdose d'informations ;
• une copie des systèmes documentaires inefficients pointant sur un
document illisible de 600 pages, et non sur l’unité d’information
spécialement recherchée ;
• un processus partant de l'information disponible et non du problème à
résoudre.
Le KM suppose en fait le passage d'une logique de stock à une logique de flux. Ce faisant, le
KM peut être défini en cinq points :
•
•
•
•
•
le KM vise à organiser la création, l'échange, la capture et la diffusion de la connaissance
dans tous ses états. De l'intuition à la règle en passant par la pratique et les documents ;
cette approche doit permettre de transférer cette connaissance au niveau collectif et la
rendre accessible à tous les individus lors de leur travail ;
le KM doit utiliser une approche systémique des flux d'informations. Chaque échange
d’informations doit être vu comme une partie d’un système général d’échanges dont il
convient de garder la totalité, la complexité et la dynamique. L’accent doit particulièrement
porter sur le relationnel, les interactions entre les unités constitutives du système.
le KM a pour objectif premier d'optimiser l'efficacité de l'entreprise en amenant la bonne
info à la bonne personne au bon moment ;
le KM doit aussi être considéré comme un changement culturel car il change la façon
d'opérer, non seulement vis-à-vis des "clients", mais également vis-à-vis des partenaires,
actionnaires…
Les enjeux du KM
Au niveau de l'entreprise, M. Prax a tenté de déterminer par des entretiens avec une centaine
de managers quels pourraient être les gains obtenus par un meilleur management de la
connaissance. Ils sont au nombre de cinq.
Amélioration de la réactivité : une meilleure information permet une meilleure réactivité au
marché. La capitalisation de l'information permet également d'améliorer la prise de décision
lors du choix de l'orientation stratégique de l'entreprise.
Progrès dans la prise de décision : le KM permet de confronter les points de vue des experts qui sont souvent contradictoires, incomplets ou de nature différente - pour les intégrer dans le
processus décisionnel.
Accroissement de l'efficacité : la capitalisation des erreurs et des réussites qui jalonnent la vie
d'une entreprise permet d'augmenter son efficacité. Il s'agit d'organiser un "retour
d'expérience" profitable.
Augmentation de l'innovation : une meilleure gestion de l'information autorise une
"fertilisation croisée". Elle rend possible la prise en compte de la connaissance d'experts
d'écoles différentes, de cultures différentes… et permet d'améliorer la mise en valeur des
échanges. La capacité à capitaliser les échanges d'informations, de R&D mais aussi de
pratiques augmente. La Silicon Valey, par exemple, a tiré profit des échanges entre les experts
des universités, des différentes institutions publiques et des PME pour accroître l'innovation
technologique.
Développement de la flexibilité : accumuler plus d'informations sur l'environnement de
l’entreprise et sur ses capacités à s'adapter permet une plus grande flexibilité de ses structures.
Les connaissances et compétences collectives
S'intéresser au KM c'est non seulement s'intéresser aux connaissances et compétences au plan
individuel, mais aussi et surtout au plan collectif.
M. Prax pose d'abord le postulat que la concordance des opinions est plus forte lorsque les
problématiques étudiées reposent sur une règle établie et admise par tous. Par exemple, il est
plus facile de s'entendre sur le "théorème de Pythagore" que sur "la manière de réformer
l'éducation nationale". Il s'agit, dans les situations de prise de décisions complexes, de créer
une "reliance" entre les points de vue.
Pour réaliser cette "reliance", les concepts classiques d'analyse du comportement individuel
ne sont pas toujours valables. La rationalité dans la prise de décision ne se vérifie pas
systématiquement. De la même manière, la compétence individuelle, qui peut apparaître
intuitivement comme importante, ne constituerait en fait que le 6ème facteur de performance
collective.
L’orateur part de cette remise en cause de la rationalité et de la compétence individuelle pour
élaborer la notion de "compétence combinatoire". Une méthode efficace de gestion de
l'information ne peut plus considérer l'individu seul, ni même le système seul : il doit gérer
l'individu et le système ensemble.
Ce changement de niveau force le passage du Knowledge management au Knowledge
enabling. On ne manage pas la connaissance collective mais on crée les conditions dans
lesquelles un collectif peut créer, échanger, transformer, valider, appliquer… Concrètement,
cela veut dire privilégier les flux d'informations aux dépends des stocks, mettre l'accent sur les
hommes plutôt que sur les outils, comprendre efficacement le fonctionnement des différentes
communautés et privilégier une approche systémique.
Evolution du rôle du manager
De tels changements ne pourront laisser le manager dans son rôle habituel : "l'information
n'est plus le pouvoir" souligne M. Prax. Dorénavant, le manager aura à cœur de stimuler les
échanges, d'animer les coopérations, de repérer les savoir-faire et de les capitaliser. Il perd
ainsi son statut de chef pour devenir coach, pédagogue et communiquant. Pour reprendre une
métaphore sportive, le manager devra donner du sens à l'action, une organisation générale du
jeu à son équipe de managers qui peuvent être individuellement très bons, mais
collectivement assez mauvais.
Les communautés professionnelles
Pour pouvoir analyser correctement les flux d'informations, M. Prax utilise la notion de
"communautés professionnelles". A l'intérieur de l'entreprise se forment des groupes qui
peuvent se déterminer en fonction de leur objet ou de leur adhésion à l'entreprise (volontaire
ou involontaire, provisoire, permanente…). La taille du groupe, son espace, sa langue, sa
maturité jouent aussi un rôle important dans sa définition, tout comme son fonctionnement
(par leadership ou par projet, par exemple). Toutes ces caractéristiques sont à prendre en
compte très attentivement car les dispositifs d'échange varient suivant l'évolution de chaque
paramètre au sein de chaque communauté.
La connaissance collective
Si l'on se place au niveau de l'entreprise, la notion de connaissance collective n'est pas très
éloignée de la notion de "culture d'entreprise". Pour mieux cerner ce que veut dire la
connaissance collective, Jean-Yves Prax part de la "matrice de Nonaka". Celle-ci présente
sous la forme d'une grille très simple, les composantes des connaissances individuelles ou
collectives, tacites (automatiques, instinctives) ou explicites (conscientes, apprises). Au
niveau collectif explicite, Nonaka place les connaissances scientifiques, les institutions, les
normes, les règles… Tandis qu'au niveau des connaissances collectives tacites, nous
retrouvons les mythes, les normes sociales, les communautés de pratiques, le sens commun, la
connivence. Et c'est précisément à ce niveau dit "collectif tacite" – qui transcende l'action
personnelle tout en étant sa conséquence – que se trouve "la culture d'entreprise". Pour
reprendre une métaphore sportive, M. Prax donne l'exemple du jeu de l'équipe de football de
Manchester qui reste le même malgré le turn-over des joueurs.
L'importance de la confiance dans la gestion de l'information
La confiance constitue une condition préalable à l'échange d'informations, au partage de la
connaissance. Cette confiance s'appuie sur différents principes. Il faut d'abord que l'échange
d'informations soit profitable aux deux parties (principe de réciprocité dans l'échange).
Ensuite, la paternité de l'information doit être reconnue : nul ne peut endosser la paternité
d'une information au nom de quelqu'un d'autre sans rompre la confiance. La reconnaissance
de la valeur de la contribution, notamment par un feedback du système, ne doit pas être
négligée. Le sens occupe également une place particulière dans la mise en place d'un climat
de confiance. En effet, plus il existe une communauté de sens, au niveau des valeurs, des
règles, des langages, plus la complicité est forte et donc la confiance. Il est également possible
d'inclure dans les conditions préalables la récompense, cependant elle apparaît comme
beaucoup moins efficace.
Les outils du KM
Différents outils sont à la disposition des experts en KM. M. Prax a d'abord mis en avant la
méthode information mapping. Elle consiste, lors de la rédaction des documents, à prendre en
considération le découpage, le titrage, la cohérence du texte, sa pertinence, l'accessibilité des
détails, l'intégration des visuels ainsi que la hiérarchie du découpage et du titrage. Il s'agit
donc d'une méthode qui explique "comment écrire pour être lu".
L’orateur a ensuite présenté la méthode KAM, Knowledge Action Map. Elle consiste à
présenter sous la forme d'un graphique tous le flux informationnel et les traitements
d'informations effectués lors de la réalisation d'une tâche donnée. L'utilisation d'un graphique
permet d'intégrer chaque individu à l'intérieur du flux, de les matérialiser tout en gardant une
vue générale de la circulation de l'information. Le fait de donner une visibilité collective à une
tâche permet de tirer de nombreux enseignements sur l'activité de chacun au sein de
l'entreprise. Que ce soit sur le même travail réalisé deux fois par deux personnes différentes
ou sur les blocages du flux.
Un autre avantage du KAM est de poser la question "qui fait quoi ?". Cela permet non
seulement de définir la fonction de chaque personne dans la réalisation d'une tâche, mais aussi
de cartographier les savoirs de ces personnes de manière individuelle. L’orateur a tenu à
souligner également "le gisement de productivité" que l'on peut trouver dans le flux
d'informations matérialisé par la méthode KAM. Pour lui, ce flux, s'il est bien utilisé, contient
plus de potentiel productif que les compétences individuelles.
En guise de conclusion, Jean-Yves Prax a tenu à rappeler que la mise en place d'une réforme
de type KM à l'intérieur d'une entreprise demande une forte conviction au niveau des
dirigeants. Une telle transformation entraîne en effet des changements à tous les niveaux de
l'entreprise, y compris les plus hauts, et demande énormément d'efforts et d'énergie pour être
menée à bien. "Le KM n'est utile que si l'entreprise en a vraiment besoin".