L`enfant et la mort : un tabou pour l`adulte Parler de la mort Parler de
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L`enfant et la mort : un tabou pour l`adulte Parler de la mort Parler de
L’enfant et la mort : un tabou pour l’adulte Parler de la mort Annette LEVILLAIN-DANJOU, psychiatre, Deuils et paroles, Centre hospitalier 14400 Bayeux « On ne meurt que quand on a fini de vivre » (Dolto F. 1985) « Aussi quand on est mort, on ne peut plus être vivant » (Julien, 7ans, 1990) Parler de la mort à un enfant est toujours difficile. L’enfant représente la vie, le futur et notre rôle d’adulte est de le protéger, de lui épargner la souffrance et de ne pas projeter sur lui nos propres angoisses de la mort. Annoncer à un enfant la mort d’une « personne significative » c’est-à-dire d’une personne avec laquelle il avait des liens d’attachement (parent, frère, sœur, grand parent…) est toujours douloureux mais incontournable afin de lui permettre de manifester ses émotions (d’expression souvent différente des adultes), ses questionnements, ses besoins, ses craintes et ses anxiétés. C’est aussi inclure l’enfant dans la famille et par là-même le sécuriser. Cacher la vérité met l’enfant dans l’angoisse, l’insécurité et l’anxiété car il voit bien que ses parents sont perturbés, qu’ils pleurent ou ont pleuré, qu’ils sont tristes toujours bouleversés et l’enfant peut croire que c’est à cause de lui. Parler de la mort, que ce soit avec un enfant, un adolescent ou un adulte, suscite toujours des émotions et des peurs et ravive parfois les souvenirs de celles et ceux qui ne sont plus. Même s’il est dit que parler de la mort ne fait ni mourir plus tôt ni n’empêche de mourir, le dialogue reste singulier et le débat sociétal s’oriente plus sur la fin de vie que la mort ellemême. « Mourir, cela n’est rien » a chanté J. Brel, « mais vieillir, ah ! Vieillir !… » Nous ne savons rien de la mort, nous n’en avons pas d’expérience ni de représentation dans l’inconscient. Nous savons que toutes les espèces vivantes, dont l’être humain, sont destinées à mourir et que cette finitude assure qu’il n’y a pas de retour possible du monde des morts dans le monde des vivants mais le doute est parfois là, on ne sait jamais... La mort reste l’affaire des vivants, de tous les vivants dont les enfants et, de toute évidence, la rencontre de l’enfant avec la mort est inéluctable. C’est sans doute en cela que les questions se posent : fautil parler de la mort avec l’enfant, pourquoi, quand, comment ? Y aurait-il une nécessité de parler de la mort ? Dans quelles circonstances ? Qui parle ? Qui informe ? Les parents ? Les professionnels ? Ce sont des questions où il est parfois difficile de répondre d’autant qu’il faut tenir compte non seulement de l’âge de l’enfant et de sa maturation mais aussi de son histoire personnelle et familiale, de son éducation religieuse et spirituelle. Je différencierai deux approches : celle où il s’agit de parler de la mort à l’enfant et celle où il s’agit de parler de la mort avec l’enfant. Parler à l’enfant sous-entend plus une triple démarche intellectuelle, éducative, cognitive et la mort est plus générale peut-être pourrait-on dire anonyme. Parler avec l’enfant c’est plus particulièrement lorsque l’enfant est confronté à la mort d’une personne significative c’est-à-dire, comme définie précédemment, d’une personne avec laquelle il avait des liens d’attachement, il peut s’agir d’un animal. 1 Il faut absolument bannir l’idée que l’enfant ne comprend rien sur la mort. Certes les enfants n’ont pas la même représentation de la mort que les adultes mais très tôt ils ressentent la gravité de tous les bouleversements qu’entraine la mort dans leur vie. Ils ne réagissent pas comme les adultes mais rien ne dit qu’ils ne pensent pas ou qu’ils ne ressentent rien. C’est très tôt que l’enfant a des idées sur la mort et qu’il commence à en parler en même temps que son langage se structure. Il joue à tuer, à être mort ; il exprime dans cette mort pour de faux son agressivité et surtout son ambivalence. En acquérant progressivement la connaissance de la temporalité (avec la notion du plus jamais) il développe son aptitude au deuil. Brièvement je voudrais parler de ce film que j’ai réalisé avec FR3 Basse-Normandie en 1990, « Paroles d’enfants : l’enfant et la mort ». Il s’agissait de laisser s’exprimer des enfants de six à dix ans sur la mort. Les enfants étaient en trois groupes (CP, CE2, CM2) de trois écoles différentes (rurale, urbaine, privée) et il n’y avait eu aucune préparation. Ce film était destiné aux professionnels de l’enfance pour leur montrer que les enfants avaient un savoir propre sur la mort selon leur niveau de maturité et que par conséquent il était important d’échanger avec eux avec des mots justes et non des mots approchés risquant de devenir des non-dits : « l’enfant qui a perdu confiance dans la parole, la sienne non reconnue, celle des autres mensongère, se terre dans le silence bien au-delà du refus d’en parler. » (Vasse D. 1974) Ces enfants m’ont transmis l’idée qu’avant de leur parler de la mort il fallait d’abord écouter ce qu’ils avaient à en dire. Lors de la première projection du film les parents comme les professionnels ont été surpris des connaissances et des attitudes des enfants qui se sont manifestement placés en situation de débat et d’échanges sur un thème difficile qu’ils ont su développer en respectant et complétant, tout en écoutant, les idées des uns et des autres. C’est justement en entendant ce que les enfants ont à dire de la mort que l’on peut faire quelques suggestions sur le comment parler de la mort à et avec l’enfant avec cette remarque que : « tout discours, toute parole sur la mort s’adresse à une personne particulière qui a élaboré un certain rapport avec cette réalité toujours irréelle pour celui qui ne meurt pas. Ce qui est déjà valable pour l’enfant, l’est autant pour l’adolescent et plus tard pour l’adulte : tout discours sur la mort comme tout ce qui implique croyances et convictions, doit être vécu sur le mode de l’échange. » (Auschitzka A. 1997) En 1990, parler ouvertement de la mort était « héroïque » et les endeuillés « oubliés »…Il n’en est plus de même aujourd’hui même si la mort est encore escamotée. LA CONCEPTUALISATION DE LA MORT CHEZ L’ENFANT : On reconnait différentes étapes d’élaboration de la notion de mort étroitement liées aux stades de développement cognitif et psychoaffectif de l’enfant. Chez le tout jeune enfant, la connotation de la mort est l’absence mais temporaire. Le « plus jamais » n’est pas acquis, l’enfant ne connaît que « le plus là ». Il n’a pas de compréhension cognitive de la mort. Vie et mort sont les figures de présence et absence, disparition et réapparition. Mais, l’enfant est sensible aux variations émotionnelles de son proche entourage. Il voit la souffrance physique et psychique et peut se sentir insécurisé. L’enfant va manifester sa souffrance si la séparation dure (Bowlby J.) Le bébé est entièrement dépendant de l’adulte d’où sa grande vulnérabilité à l’absence. L’enfant de trois à cinq ans lors de la perte d’un parent proche va souvent reposer les mêmes questions. Il simplifie l’évènement : « et voilà on tombe et on est mort, c’est comme ça » lance Louise, 5 ans à la suite du décès de son père d’une rupture d’anévrysme à la maison. 2 Jusqu’à cinq-six ans la mort est réversible et temporaire. La mort est assimilée à un sommeil. C’est la période de la toute-puissance et de la pensée magique, du désir de retour qui peut devenir réalité pour l’enfant. L’enfant reproduit les rites dans ses jeux. Sa croyance en la réversibilité de la mort est réactivée par les jeux vidéo et les films où les héros ne meurent jamais totalement et peuvent revivre, où aussi les méchants meurent toujours. A cet âge l’enfant se sent très vite coupable croyant que ses paroles et/ou ses rêves peuvent être responsables d’une mort dans son environnement immédiat. A cet âge aussi l’enfant est très réceptif à tout ce qui peut se dire sur la mort et les morts qu’il s’agisse de personnes ou d’animaux. Après six ans, la mort est considérée comme l’envers de la vie. La mort est un autre état et les morts sont des individus. L’enfant va se représenter concrètement la mort (le cadavre, la tombe, le cimetière, le squelette…), il en recherche les causes s’interroge sur la logique de la mortalité. Dans les causes se retrouvent les interdits qui peuvent être sanctionnés par la mort. De huit à onze-douze ans : prise de conscience - du caractère d’irréversibilité. « On ne peut plus renaitre »la mort est le terme définitif à la vie. « C’est une séparation définitive, ce n’est pas comme un divorce » (Julien CE2) - du caractère d’inexorabilité (inévitable) et d’irrévocabilité (définitif) de la mort. - du caractère d’universalité. La mort concerne tous les êtres vivants, elle n’épargne personne pas même l’enfant. C’est l’âge du développement de la pensée abstraite et philosophique. Le caractère d’inexorabilité de la mort avec cette notion de nécessité biologique serait « dépendant d’une maîtrise de la reproduction » (Ferrari P. 1979). « Quand quelqu’un meurt, il y a quelqu’un qui nait » disent les enfants. La mort est étroitement liée à la vieillesse qui reste la norme logique de l’ordre de mortalité dans la filiation en soulignant toutes les faiblesses et incapacités que l’enfant attribue au grand âge. Les enfants parlent du suicide, de l’interruption de grossesse, du don d’organes, de l’euthanasie… Des abus de tabac, d’alcool… Ils parlent de la mort et des morts. Chez l’adolescent, la conception de la mort est proche de celle de l’adulte. PARLER DE LA MORT A L’ENFANT : « Mieux vaut en parler (de la mort) pendant qu’il fait encore beau ! » (Brynsczka J. cité par Robitaille M. 2003) Parler de la mort à un enfant n’est certes pas facile, on imagine difficilement entamer un dialogue spontanément à table ou en jouant avec l’enfant. Il faut saisir le moment opportun (le Kairos des philosophes), soit par exemple quand l’enfant a entendu qu’il y avait eu un mort dans l’entourage social, soit parce qu’il pose des questions ou des affirmations sur la mort qui souvent surgissent spontanément laissant l’adulte coi. Le moment opportun ce peut être la création d’une ambiance propice à rendre facile le dialogue avec l’enfant. Parler de la mort c’est avant tout parler de la vie. Ce que l’enfant attend de la part de l’adulte c’est l’authenticité. En y réfléchissant de près, l’adulte, parent ou professionnel, n’a pas toutes les connaissances sur la mort, il faut être humble et si l’enfant pose des questions auxquelles le parent n’a pas de réponse, il faut pouvoir dire à l’enfant « je ne sais pas mais je vais y réfléchir et si tu veux bien nous en reparlerons ensemble » C’est toujours rassurant pour un enfant de voir que le parent 3 n’a pas tout savoir. Il est important que l’adulte s’adressant à un enfant quel que soit l’âge, s’entende dire ce qu’il dit à l’enfant et plus encore quand il s’agit d’un enfant handicapé mentalement. S’entendre dire c’est éviter que la parole aille au-delà de ce que l’enfant peut entendre (et non nécessairement comprendre). La gestuelle, le comportement, la mimique ont là, plus encore, valeur de mots qui pourront aussi faire du bien en particulier lorsque l’enfant est confronté à la mort, des autres et également de la sienne. L’enfant va entendre parler de la mort non seulement auprès des personnes qui l’entourent en particulier sa famille, parle-t-elle de la mort ou non, mais aussi à l’école, auprès des camarades et des enseignants. Rappelons que les dires sur la mort comme les dires sur la sexualité supposent que l’adulte qui en parle soit au clair avec ses propres représentations afin d’éviter des identifications projectives sur l’enfant. L’enfant n’attend pas toujours que l’adulte intervienne, il peut aussi vouloir tout simplement exprimer ses pensées. Comme exemple de moment opportun je me souviens de la réaction de l’un de mes petits- fils, Romain, lorsqu’il avait 7ans ½ : nous étions tous les deux dans mon bureau et il regardait les livres dans la bibliothèque. Il s’arrête sur une bande dessinée « Où on va quand on est mort » (excellente BD de Martine Hennuy et Sophie Buyse). Il s’agit de l’histoire d’un petit garçon qui essaie de surmonter la mort de son papa. Romain me demande s’il peut le regarder et je lui propose que nous le lisions ensemble. Ainsi, lisons-nous, lui assis sur mes genoux et très attentif, moi un peu tracassée par sa réaction finale. Il s’agit de la mort d’un papa ! La lecture finie, le livre refermé, Romain me regarde silencieusement, pâlit puis se jette dans mes bras « mamie si tu meurs je serai inconsolable ». J’ai compris que mon petit-fils voulait me dire que dans l’ordre du temps je devais mourir avant son père même s’il en aurait du chagrin. Je n’ai rien ajouté sinon que je l’ai serré contre moi plus fort que d’habitude pour le rassurer je devrais dire nous rassurer. Sa réaction m’a totalement prise au dépourvu. Autre exemple : mon petit-fils, Nathan, 5 ans, dessine une carte pour la fête des grands-mères : il ne sait pas quoi dessiner pour sa grand-mère paternelle ; sa maman lui propose de dessiner un chat puisque ses grands-parents ont accueilli un petit chat quelques mois après la mort de leur chien et, Nathan, après un silence, de dire « et bien non je vais dessiner un chien, comme ça ils vont penser à leur chien qui est mort. » Sa décision a surpris sa maman au point qu’elle a juste approuvé l’idée. Etait-ce un moment opportun pour parler de la mort ou de la sollicitude et de l’empathie envers les grands-parents, du remplacement ? Le fait est, qu’on ne s’attend pas toujours à ce que l’enfant peut dire ou faire spontanément. Les questions viendront plus tard où l’adulte retiendra les dires de l’enfant comme une porte ouverte sur de futurs échanges sur la vie et la mort.. A la question posée : « Est-ce que vous pensez que vos parents savent ce que vous savez sur la mort ? » des élèves de CM2 répondent : - « Mes parents ne veulent pas que j’en parle parce qu’ils ont peur de mourir tout de suite » (Sophie, 10 ½) - « En ce qui concerne les qualités physiques, comment on meurt, pourquoi on meurt, les parents en savent forcément un petit peu plus que nous mais mentalement on peut savoir d’autres choses qu’eux, avoir entendu d’autres choses et puis penser autre chose qu’eux. » (Pierre, 11ans) - « Tout ça on comprend mieux quand on est grand parce qu’on évolue, notre cerveau aussi, alors on comprend mieux. » (Michel 11ans) 4 - « Forcément que les parents en savent plus que nous sur la mort, mais nous ce qu’on sait c’est que la mort et bien quand on est mort on est mort on ne peut plus revivre. » (Lucie, 11ans) Il n’est pas rare que les parents fassent appel à des professionnels lorsque leurs enfants parlent de la mort et/ou de leur propre mort (parents et enfants). Chez l’enfant, très tôt peut se manifester une anxiété de séparation et un sentiment d’insécurité exacerbés par ce que l’enfant peut entendre et voir autour de lui sur l’histoire familiale en particulier parentale. L’angoisse de la perte d’un parent s’exprime assez souvent par une agitation inhabituelle traduisant une lutte contre la dépression, image de la perte, ou par des troubles du sommeil (endormissement difficile, cauchemars). L’échange avec l’enfant permet de trouver un sens à sa souffrance : les mots dits à l’enfant « ne renvoient plus à une chose ou à une image, ni même simplement à quelqu’un, mais à d’autres mots. Des mots qui portent en eux leur incomplétude même et qui laissent entendre, font résonner d’autres mots. Des mots qui n’ont plus la prétention de résumer en eux-seuls un sens suffisant mais qui obligent à se référer à d’autres mots. » (Israël L. 2010) « Là est l’introduction dans une langue véritable qui n’est pas simplement une accumulation de vocabulaire mais bien plutôt mise en résonance d’une nappe de signifiants. » (Ibid.) Il est fréquent d’entendre un enfant, vers l’âge de huit ans, dire qu’il aurait moins de peine si c’était lui qui mourait plutôt que ses parents. C’est l’âge des rêves que l’enfant qualifie souvent de prémonitoires, et, de la pensée magique. Rêver que l’un de ses parents meurt et qu’effectivement ça arrive est un véritable drame pour l’enfant. D’où l’importance de ne pas négliger ces angoisses et ces rêves et d’en parler avec l’enfant, davantage encore quand il parle de son envie de mourir même si c’est dans un contexte d’opposition et de frustration vécu par l’enfant. Parler de la mort à l’enfant c’est le rassurer face à ses peurs ; le silence et la banalisation au contraire peuvent accentuer et fixer les angoisses. On pourrait penser que de parler de la mort à l’enfant est un acte éducatif comme l’est le parler sur la sexualité. Dans cette idée, doit-on instituer un discours sur la mort à l’école ? Les enseignants sont-ils prêts et formés pour aborder avec les enfants de ce que c’est que la mort ? Peut-on proposer des rencontres entre élèves, au sein de l’école, animées par des personnes formées au deuil et à l’accompagnement des endeuillés ? On connait la place des cellules psychologiques lorsque survient un drame comme le suicide d’un enseignant ou d’un élève. Professionnels, nous sommes appelés par les enseignants pour des « conseils », par exemple, lorsqu’un élève perd un parent brutalement en particulier à la suite d’un suicide. Il m’est arrivé d’aller dans des classes à la demande d’enfants endeuillés qui se plaignaient d’être « traités » (agressés, humiliés) par les autres et, alors, ces mêmes autres qui évoquaient leurs deuils familiaux concluaient que dans l’aide qu’ils pouvaient s’apporter les uns les autres « il ne fallait pas se traiter »… De telles réunions sont possibles quand l’enseignant se sent disponible à écouter les enfants et qu’il n’a pas peur d’être submergé par les émotions. Enfin, entrer dans l’école fait appel à tout un protocole hiérarchique encore d’actualité, de plus, c’est souvent en dehors des heures de classe que les enseignants sont « libres » ce qui suppose un volontarisme à organiser des « moments d’échanges » entre eux en plus de ceux avec et entre les enfants sans oublier l’implication de la famille (la culture religieuse ne peut pas être escamotée). PARLER DE LA MORT AVEC L’ENFANT : « Un dire enterré d’un parent devient chez l’enfant un mort sans sépulture. Ce fantôme inconnu revient alors depuis l’inconscient et exerce sa hantise, en induisant phobies, folies et obsessions. » (Abraham et Torök, 1987) J’envisagerai seulement l’enfant confronté à la mort d’une « personne significative » dans son environnement familial et/ou social. Parler de la mort avec lui est ici une obligation et ceci quel que soit son âge (même bébé) avec toujours l’idée de s’entendre dire ce que l’on dit et 5 d’être sincère en utilisant les mots justes. L’annonce de la mort venue ou attendue est le moment le plus difficile. Il est préférable que ce soit un parent ou les deux selon les circonstances qui fassent l’annonce à condition toutefois qu’il(s) soi(en)t « solide(s) », qu’il(s) ne soi(en)t pas submergé(s) par le chagrin. S’ils sont trop effondrés ils peuvent demander à une tierce personne de le faire à leur place, ils interviendront un peu plus tard. Le comment annoncer la mort est étroitement lié au niveau de maturation de l’enfant (cf. la conceptualisation de la mort), à la Culture religieuse et spirituelle de la famille de l’enfant, à la relation préexistante avec le disparu. Rappelons que ce ne sont pas des morts que nous perdons mais des vivants et des vivants qui n’ont pas tous été de « bonnes personnes ». Lorsqu’une famille m’interroge, je demande toujours d’abord « comment vous, vous voudriez dire et faire ? » et c’est dans l’échange que les parents vont trouver réponse à leur questionnement. Le deuil de l’enfant sera facilité s’il se sent pris au sérieux et non exclu. Sérieux et non exclusion particulièrement lorsqu’un parent est atteint d’une maladie létale : l’enfant n’est ni aveugle ni sourd, il sent bien la gravité autour de lui et les changements qui s’opèrent tant chez le malade que dans l’entourage familial. Il est maintenant reconnu que l’enfant devait être informé sur l’évolution de la maladie, que ce soit à l’hôpital qui limite beaucoup moins les visites des enfants à leur parent qu’à domicile où souvent toute l’attention sera portée au malade aux dépens de l’enfant. Il faut pouvoir entendre les angoisses des enfants, susciter leurs questions pour les libérer de la culpabilité née de leur grande ambivalence envers le malade. On retrouve ici l’importance des liens d’attachement entre l’enfant et le parent, liens qui évoluent au fur et à mesure que la maladie progresse. Les ateliers créatifs pour enfants (et adolescents) dont un parent est mourant ou souffre d’une maladie grave sont des lieux d’écoute et de paroles permettant aux enfants (et adolescents) d’exprimer et de partager leurs angoisses, leurs émotions. Louis a six ans. C’est un enfant unique.. La maman décède rapidement (environ six mois) d’un cancer. Un mois après, Louis est agressif envers les autres enfants et surtout dans une grande colère contre sa mère. Il le dit ouvertement : « je lui en veux, elle m’a menti, oh je lui en veux, elle m’avait promis de guérir, elle m’a dit qu’après qu’on lui ait enlevé le bout de viande mauvais, elle serait guérie. Elle m’a menti ! » Après avoir dit cela d’une voix forte, Louis est allé se réfugier dans les bras de son père en éclatant en sanglots. Le père, très ému, dira que depuis le décès de sa femme, c’est la première fois que Louis pleure. Souvent, pendant la maladie de sa femme Louis était chez ses grands-parents. « On ne lui disait que des choses rassurantes et que sa maman allait se soigner et qu’elle irait mieux. On ne voulait pas, on ne pouvait pas lui dire que c’était grave, on le savait. Même moi je ne voulais pas en parler. » Louis s’est senti trompé, exclu des ultimes mois de vie de sa maman et quand un enfant est dans l’ignorance il imagine les pires choses. Quant à l’annonce de la mort à un bébé, un enfant, un adolescent et même à un adulte je ne crois pas qu’il y ait une méthode mais plutôt une conduite adaptée parfois officialisée selon les circonstances de la mort. Chaque mort est singulière du fait de l’identité du mort, de son âge, des circonstances de sa mort, des liens de parenté, des liens d’attachement préexistants, de son histoire individuelle et familiale, de ses actions, de sa place sociale…Et dès lors chaque annonce sera particulière selon la personne qui la reçoit en désignant par avance quand cela est possible, la personne qui annoncera. Pour ce qui concerne l’enfant l’annonce se fera de préférence dans le calme, dès que possible, rapidement, avec des reprises dans les jours suivants surtout lorsque les circonstances de la mort ont été violentes. Quand les parents sont confrontés à une vérité difficile à dire il faut éviter la dramatisation et se contenter de répondre aux questions. En prenant l’enfant dans les bras ou sur ses genoux, en demandant à la fratrie s’il y en a une de se tenir la main. Il faut reprendre les évènements, les circonstances entourant 6 la mort, sans détail excessif avec des mots simples et justes « il est mort », pour permettre à l’enfant de poser des questions immédiates ou plus tardives. Prévoir une boisson chaude ou une sucrerie. Il faut préciser à l’enfant ce qu’il va advenir du corps, où il est et lui demander s’il souhaite voir la personne morte. Si l’enfant refuse, il est bon de lui redemander plus tard, tant que le corps n’est pas mis en bière mais il n’y a pas lieu d’insister. Ne pas voir le défunt n’empêchera pas l’enfant de faire un deuil. Il sera toujours possible de lui répondre s’il interroge sur le « comment le mort était ». Il est parfois proposé à l’enfant de mettre quelque chose dans le cercueil. A chaque étape des funérailles, l’enfant doit être informé de ce qu’il va voir s’il veut être présent et là, également, si le ou les parents sont trop effondrés, c’est une tierce personne connue de l’enfant qui l’accompagnera. L’enfant a besoin de savoir que le défunt ne souffre plus, qu’il n’a plus d’activités sensorielles, qu’il n’a plus faim et qu’il ne peut plus parler, que son corps est froid parce que le sang ne circule plus, le cœur s’est arrêté... Qu’il est totalement immobile, qu’il ne peut plus bouger. La mort n’est aucunement assimilable à un sommeil, aussi long soit-il. L’office religieux, la cérémonie au crématorium, l’enterrement au cimetière, la dispersion des cendres représentent des rituels auxquels l’enfant participera ou non selon son souhait et les préceptes religieux familiaux. Ensuite, l’enfant a besoin d’être rassuré : il n’est responsable de rien, on va continuer à prendre soin de lui et, faire appel à son soutien. Le plus difficile pour l’enfant, comme pour l’adulte, est de réaliser la perte définitive, le plus jamais. On dit alors que la personne disparue restera dans son souvenir, qu’il ne l’oubliera jamais ; il gardera une affection pour elle qui restera pour lui unique comme unique était son lien avec elle. Souvent on dit à l’enfant qu’il l’aimera toujours et gardera la personne dans son cœur, je préfère parler de mémoire, de souvenirs étroitement liés aux liens préexistants avec le défunt. L’image du cœur, ici, m’évoque les morts sans sépultures, les deuils qui ne se font pas… C’est plus volontiers lors de naissances successives que je dirai que le cœur de la maman grossit pour pouvoir aimer pareillement chacun des enfants. Puis l’enfant va découvrir le cimetière, la tombe, où il pourra revenir ou non. Le discours sur la mort se poursuivra mais dans une dimension spirituelle et il faut se garder des métaphores (comme le ciel). De plus nous ne savons rien de l’après-mort, ce ne sont que des croyances. Les enfants très jeunes ont tendance à ressasser la mort. C’est tout à fait normal, il faut laisser les questions venir, ne pas les anticiper et essayer d’y répondre, trouver des mots qui font du bien, « parler ensemble de ce qui nous parait bon pour les enfants, y, compris les nôtres » (Dolto F.1985). Malgré le chagrin, la souffrance, il est important que le quotidien reprenne « comme avant » et de répondre aux questions qui vont émerger au cours des mois voire des années qui suivent. Parler de la mort et des morts permet aussi de lever des secrets jusque-là inavouables car parler de la mort c’est parler de celles et ceux qui sont déjà morts dans le passé, c’est construire la généalogie de la famille. POUR CONCLURE : Parler de la mort c’est parler de la vie : l’enfant doit pouvoir partager avec les adultes ses connaissances, ses doutes, ses angoisses, ses croyances et ses questionnements. Il convient d’avoir une expression adaptée non seulement en fonction de l’âge de l’enfant mais aussi des facteurs culturels religieux et spirituels de la famille dans laquelle il évolue. 7 « La mort et le deuil, vécus dans la vérité et le dialogue n’empêcheront pas l’enfant de grandir. Mais au contraire, ils le renforceront et l’aideront un jour à affronter d’autres épreuves. » (Cancer et Psychologie, Bruxelles, 2001). Cependant pas de précipitation, dialogue et échanges avec l’enfant supposent que l’adulte soit au clair avec la mort en-dedans de lui, qu’il ne soit pas submergé par les émotions. Il s’agit plus d’un savoir Etre que d’un savoir dire et faire. Références : Abraham N. Torök M., L’Ecorce et le noyau, Paris, Flammarion, 1987, pp. 297 Auschitzka A. « Comment leur en parler », XXVème Congrès de la Société de thanatologie, l’Adolescent et la mort, Paris, Octobre 1997 Bacqué MF. Hanus M., Le deuil, Puf, Collection Que sais-je ?, 2000 Bowlby J., Attachement et perte, Paris, Puf, 1978-1984 Castro D. La mort pour de faux et la mort pour de vrai, Paris, Albin Michel, 2000 Dolto F. Parler de la mort, Paris, Gallimard, 1998, (retranscription de la conférence de 1985) Ferrari P. « L’enfant et la mort », Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, Avril-Mai 1979, n° 4-5, pp.177-186 Israel l. Boiter n’est pas pêcher, Paris, Dunod, 2010, pp. 130-131 Romano Hélène, « Accompagner l’enfant sur le chemin du chagrin », le journal des psychologues, déc. 2009 janv. 2010, n°273, pp. 48-53 Vasse D. L’ombilic et la voix, Paris, Seuil, 1974 Wikipédia : Le dieu grec Kairos est représenté par un jeune homme qui ne porte qu'une touffe de cheveux sur la tête. Quand il passe à notre proximité, il y a trois possibilités : 1) on ne le voit pas ; 2) on le voit et on ne fait rien ; 3) au moment où il passe, on tend la main pour saisir sa touffe de cheveux et on saisit ainsi l'opportunité. Kairos a donné en latin opportunitas (opportunité, saisir l'occasion). 8