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Délibération n°2010-65 du 1 er mars 2010
Emploi, embauche, nationalité, observations
Le procureur de la République près le tribunal de grande instance de C a sollicité l’avis de la
haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité concernant une offre
d’emploi d’agent d’accueil en contrat à durée déterminée parue le 23 avril 2009 sur le site
internet du pôle emploi.
Le Collège de la haute autorité conclut que le délit de subordination d’une offre d’emploi à
une condition discriminatoire défini et réprimé par les articles 225-1 et 225-2 5° du Code
pénal, est constitué.
La haute autorité pourrait formuler des observations au titre de l’article 13 de la loi du 30
décembre 2004.
Le Collège :
Vu le code pénal,
Vu la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droit et obligations des fonctionnaires,
Vu la loi 84-53 du 26 janvier 1984 portant statuts de la fonction publique territoriale,
Vu la loi n°2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la haute autorité de lutte
contre les discriminations et pour l’égalité et notamment son article 13,
Vu le décret n° 88-145 du 15 février 1988 modifié par le décret n° 2007-1829 du 24 décembre
2007
Vu le décret n°2005-215 du 4 mars 2005 relatif à la haute autorité de lutte contre les
discriminations et pour l’égalité,
Sur proposition du Président,
Décide :
Par courrier du 14 décembre 2009, le procureur de la République près le tribunal de grande
instance de C a sollicité l’avis de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour
l’égalité concernant une offre d’emploi d’agent d’accueil en contrat à durée déterminée parue
le 23 avril 2009 sur le site internet du pôle emploi.
Le Collège de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité adopte les
termes des observations annexées ci-après.
Le Président
Louis SCHWEITZER
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Observations dans le cadre de l’article 13 de la loi du 30 décembre 2004
Par courrier du 14 décembre 2009, le procureur de la République près le tribunal de grande
instance de C a sollicité l’avis de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour
l’égalité concernant une offre d’emploi d’agent d’accueil en contrat à durée déterminée parue
le 23 avril 2009 sur le site internet du pôle emploi.
Cette demande d’avis fait suite à la plainte d’une l’association auprès du procureur de la
République à l’encontre du pôle emploi de A pour délit de discrimination à l’embauche à
raison de la nationalité.
FAITS
L’offre d’emploi publiée par le Pôle emploi est libellée comme suit :
« Agent d’accueil H/F (Code métier ROME 12112)
Offre réservée public handicapé. Au sein d’un camping, vous assurez l’accueil des campeurs.
Pratique une ou deux langues étrangères. Contrat : 27 juin au 30 août 2009. Conditions :
être ressortissant de l’union européenne. ».
Ce poste est à pourvoir dans la commune du B, qui est l’employeur.
Le 2 septembre 2009, Madame X, Directrice du site pôle emploi de A, a été auditionnée au
commissariat de C.
Lors de l’audition, la Directrice a indiqué : « il y a eu une erreur d’interprétation faite par la
conseillère Cap Emploi. Elle a fait une erreur d’appréciation entre le statut public de
l’employeur et la condition d’embauche associée. Dans le cas d’un CDI pour une collectivité
territoriale, la condition « ressortissant CEE » aurait été impérative. Or, dans ce cas là, il
s’agissait d’un CDD. J’ai vu avec Madame Y. Elle a reconnu l’erreur. Elle m’a dit qu’elle
avait pensé que ce CDD donnerait lieu à un CDI ».
DISCUSSION
Aux termes des dispositions combinées des articles 225-1 et 225-2 5° du Code pénal,
constitue le délit de discrimination, le fait de subordonner une offre d’emploi à un critère de
nationalité.
L’article 225-3 du même code énonce un certain nombre d’exceptions au principe de nondiscrimination et dispose notamment dans son dernier alinéa :
«[Les dispositions de l'article précédent ne sont pas applicables :] 5° Aux refus d'embauche
fondés sur la nationalité lorsqu'ils résultent de l'application des dispositions statutaires
relatives à la fonction publique. »
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Sur la condition de nationalité dans la fonction publique.
Les agents non titulaires de la fonction publique territoriale sont régis par les dispositions
statutaires des lois n° 83-634 du 13 juillet 1983 et n° 84-53 du 26 janvier 1984 et le décret n°
88-145 du 15 février 1988 modifié par le décret n° 2007-1829 du 24 décembre 2007.
La loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 prévoit limitativement les possibilités de recours à des
agents non titulaires. Le recrutement d'un agent non titulaire se fait par contrat ou décision
administrative soumis au contrôle de légalité.
L’article 3 de la loi précitée prévoit que « Les agents recrutés (…) sont engagés par des
contrats à durée déterminée, d'une durée maximale de trois ans. Ces contrats sont
renouvelables, par reconduction expresse. La durée des contrats successifs ne peut excéder
six ans. Si, à l'issue de la période maximale de six ans mentionnée à l'alinéa précédent, ces
contrats sont reconduits, ils ne peuvent l'être que par décision expresse et pour une durée
indéterminée. ».
Selon l’article 2 du décret n° 88-145 du 15 février 1988 pris pour l’application de l’article 136
de la loi du 26 janvier 1984, « Aucun agent non titulaire ne peut être recruté :
1° Si, étant de nationalité française ou ressortissant d'un Etat membre de la Communauté
économique européenne, il ne jouit pas de ses droits civiques et ne se trouve pas en position
régulière au regard du code du service national ;
2° Si, étant de nationalité étrangère, il n'est pas en situation régulière vis-à-vis des lois
régissant l'immigration ;
Ainsi aucune condition de nationalité n’est requise pour le recrutement des agents non
titulaires de la fonction publique quelle que soit la durée du contrat.
Dés lors, l’affirmation, par la Directrice, de la nécessité d’être ressortissant d’un Etat membre
de l’Union européenne communautaire pour le recrutement en CDI est erronée en droit.
Seuls les fonctionnaires, qu’ils relèvent ou non de la fonction publique territoriale, sont
soumis à une condition de nationalité. Ainsi, les articles 5 et 5 bis de la loi du 13 juillet 1983
portant droits et obligations des fonctionnaires exigent des candidats à la fonction publique
d’avoir la nationalité française, ou d’être ressortissants des Etats membres de la l’Union
européenne. Dans ce dernier cas, « ils n'ont pas accès aux emplois dont les attributions soit
ne sont pas séparables de l'exercice de la souveraineté, soit comportent une participation
directe ou indirecte à l'exercice de prérogatives de puissance publique de l'Etat ou des autres
collectivités publiques »1.
Le délit de subordination de l’embauche à un critère discriminatoire
1
1.
Cependant, le Collège de la haute autorité a relevé dans sa délibération n° 2009-139 du 30 mars 2009
que le droit communautaire ne fait pas obstacle à ce que les Etats membres reconnaissent aux
extracommunautaires, le droit à un égal accès à l’emploi, sur leur territoire. En particulier, lorsque des
ressortissants d’Etats tiers sont employés dans les mêmes fonctions que des ressortissants communautaires (mais
sous des statuts précaires - vacations, sous-traitance), la condition de nationalité devient sans fondement.
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En l’espèce, le Pôle emploi subordonne volontairement le recrutement d’un agent non titulaire
de la fonction publique territoriale à la condition qu’il détienne la nationalité d’un Etat
membre de l’Union européenne. Ces faits entrent dans les prévisions des articles 225-1 et
225-2 5°, et ne relèvent pas de la justification prévue par l’article 225-3 5°, laquelle ne
concerne que les fonctionnaires. La justification n’existe pas pour les agents contractuels, que
leur contrat soit à durée déterminée ou à durée indéterminée.
Lors de son audition, la Directrice justifie les dispositions de l’offre en indiquant qu’il
s’agissait d’une erreur de la part de Madame Y [de CAP Emploi] puis tenant à l’enchainement
d’interlocuteurs dans la gestion de l’offre litigieuse, et non d’une volonté délibérée et réitérée
d’écarter les candidats.
Elle précise que l’offre a été « initialement prise par CAP emploi, partenaire co-traitant de
Pôle emploi, qui l’a transmise pour saisie au site Pôle emploi de C. Ce site a saisi l’offre puis
l’a transférée au site de A dont dépend la commune du B, employeur initial ».
La directrice, Madame X, semble invoquer à son profit et à celui de Madame Y la
commission d’une erreur de fait, qui porterait sur la nature du contrat.
Or, l’erreur commise par celles-ci ne porte pas sur la nature du contrat, mais sur le droit
applicable à ces contrats. L’erreur sur le droit (prévue à l’article 122-3 du code pénal) ne
permet de s’exonérer de sa responsabilité pénale que s’il s’agit d’une erreur inévitable.
En l’espèce, il semble qu’aucune vérification ne soit intervenue pour s’assurer de la
conformité de l’offre avec les textes applicables. L’erreur commise n’a donc aucun caractère
insurmontable, particulièrement de la part de professionnels de l’emploi. C’est une erreur
spontanée, non provoquée, dont la jurisprudence constante de la chambre criminelle de la
Cour de cassation refuse le caractère exonératoire.
Au surplus, le Collège relève que la mention « offre réservée public handicapé » est
particulièrement inappropriée en ce qu’elle a pour effet d’exclure toute personne non
handicapée et peut être considérée comme discriminatoire.
En conséquence, le Collège de la haute autorité conclut que le délit de subordination d’une
offre d’emploi à une condition discriminatoire défini et réprimé par les articles 225-1 et 225-2
5° du Code pénal, est constitué.
Telles sont les observations que la haute autorité pourrait formuler au titre de l’article 13 de la
loi du 30 décembre 2004.
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