Article - Claude Razanajao
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PORTRAIT Madamo Madeleno Bres Claude Razanajao L a première accession d’une Française à la fonction suprême ne s’est pas réalisée en 2007. Il ne faut pas s’en étonner. Malgré leurs efforts déployés au 19e siècle pour parvenir à des professions ou à des postes jusqu’alors réservés aux hommes par « tradition », les femmes ont encore fort à faire. Tant que le conservatisme qui caractérise la société française n’aura pas fléchi de façon plus significative. Fonctions politiques, métiers, même combat. Les Françaises ont obtenu le droit de vote en 1944. Après la Libération, l’ordonnance portant organisation des pouvoirs publics en France dispose en effet que « les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes » (article 17). Elles voteront pour la première fois en 1945. Dans la vie quotidienne, elles ont réussi un peu plus tôt, mais non sans mal, à accéder à des professions qui leur étaient interdites. Celle de médecin est un bon exemple et nous avons choisi de développer ce sujet à travers la personnalité d’une femme née dans le Gard, au 19e siècle. Le titre repris ici de « Madamo Madeleno Bres » avait attiré mon attention, il y a une bonne dizaine d’années, dans l’Armana de Lengado1 de 1876, et je l’avais retenu en prévision d’une chronique. Mais qu’avait donc fait cette dame pour qu’on parle d’elle dans cette publication ? L’article2, écrit en occitan, révèle en substance qu’« une jeune Languedocienne, Madame Brès, née Madeleine Gibelin (sic), de Bouillargues, vient d’obtenir auprès p. 98. Sur l’histoire de l’ancian Armagna cevenou, voir Almanach du Val Borgne, 2004, p. 40. 2 Article signé « L.F.D.L’A. » (Lou Félibre de l’Aubo), acronyme du pseudonyme sous lequel Albert Arnavielle (1844-1927) signait ses textes dans l’Almanach du Languedoc. Voir Almanach du Val Borgne, 2004. 1 Portrait de Madeleine Brès © BIUM Paris 49 PORTRAIT Madamo Madeleno Bres de la Faculté de médecine de Paris le diplôme de docteur en médecine. Elle est la première femme de France à qui ce titre a été décerné. La thèse de Madame Brès est intitulée ‘De la mamelle et de l’allaitement’3. L’article d’une vingtaine de lignes rapporte ensuite les propos élogieux du doyen de l’époque qui fut également son directeur de thèse et la réponse de l’impétrante. Celleci explique « qu’elle doit d’en être arrivée là tant à son intelligence qu’a son travail obstiné, à sa volonté et à sa fermeté de caractère dans les épreuves que sa vie a traversées ». Le chroniqueur ajoute que « déjà au siège de Paris4, sous la mitraille ennemie, notre compatriote a porté courageusement le secours de la charité et de la science aux pauvres blessés de la patrie ». Ces informations assez complètes pouvaient être données telles quelles mais les lecteurs auraient certainement voulu en savoir plus sur la personnalité de cette femme courageuse et notamment sur les épreuves qu’elle évoque. On connaît davantage aujourd’hui Madeleine Brès dont des rues et des écoles portent le nom, et pas seulement dans son village natal. Quid la cite mais les dictionnaires courants5 ignorent toujours cette femme qui n’a jamais été élevée au rang d’héroïne. Le Web, quoi que en disent ses détracteurs, compense souvent les lacunes des dictionnaires imprimés. Des informations glanées sur divers sites, informations qui n’apparaissaient pas il y a quelques années, il ressort que la première Française ayant porté le titre de médecin commence à susciter un intérêt de la part de chercheurs. En croisant ces renseignements pour les vérifier, on arrive à mieux cerner la vie d’une femme au parcours exceptionnel. Il méritait d’être raconté, à travers quelques autres dates clés. * Elle naît en 1842. Son père est charron. Son attirance pour la médecine remonte à l’enfance, lors de ses passages à l’hôpital de Nîmes où elle accompagne souvent son père qui y est appelé pour des travaux. Elle a alors huit ans et découvre sa vocation en faisant la visite des malades avec une religieuse qui l’a prise en affection. Elle se marie alors qu’elle n’a que quinze ans et a bientôt trois enfants (ou quatre selon d’autres sources). Elle veut être médecin et fait part de sa détermination au professeur Wurtz6, qui l’encourage dans cette voie, sous réserve qu’elle passe d’abord le baccalauréat qu’elle n’a pas. Et pour cause ; nous sommes en 1866 ; malgré la loi 3 BRÈS GEBELIN, Madeleine. - De la mamelle et de l’allaitement thèse de médecine de Paris n° 189, 1875. Le texte intégral de cette Duruy qui l’année suivante créera les premiers thèse est accessible sur le site de la BIUM de Paris : cours secondaires pour les jeunes filles7, http://www.medarus.org/Medecins/MedecinsTextes/bres_mad.htm. 4 celles-ci n’ont pas encore le droit d’être Pendant la guerre franco allemande de 1870. 5 Curieusement, elle est citée dans le Dictionnaire de biographie candidates au bac et par conséquent d’entrer héraultaise / Pierre Clerc ; avec la collaboration de Guy Barral, Marcel à l’université8 ! Avec l’accord indispensable Barral, Pierre Bulats-Brun... [et al.] [Nouvelle éd.]. - Montpellier : P. Clerc : les Nouvelles presses du Languedoc éd., 2006. de son mari9, avec le soutien de Victor Duruy 6 Charles-Adolphe Wurtz (1817-1884), chimiste et médecin, doyen de et une intervention de l’impératrice Eugénie la faculté de médecine de Paris de 1866 à 1875. 7 qui lui permet d’obtenir une dérogation, elle Sur lois scolaires, voir : « Histoire des écoles de Saint-Marcel de Fontfouillouse », Almanach du Val Borgne, 2007 p. 91. passe le baccalauréat ès sciences en candi8 Il faut signaler une exception en 1861, avec Julie Daubié. A 37 ans, date libre, en 1868, et l’obtient. Elle s’inscrit elle a pu passer et obtenir son bac à Lyon alors qu’elle avait essuyé plusieurs refus à Paris ! Par crainte du scandale qui rejaillirait sur immédiatement à la faculté de médecine et y son ministère, le ministre de l’Instruction refusera longtemps de lui suit les études. Elle donne la preuve de son remettre son diplôme… 9 efficacité en matière de soins durant la Adrien Brès, qui la laissera veuve quelques années plus tard. 10 On ne l’autorise cependant pas à passer l’externat ni l’internat, guerre de 1870, comme le rapporte l’Armana concours réservés aux hommes. Le premier sera accessible aux de Lengado. Elle fait fonction d’interne10 à femmes en 1882, le second en 1885. 50 Madame Madeleine Brès PORTRAIT l’hôpital de la Pitié. Cette même année, Miss Elisabeth Garrett, une Anglaise née en 1836, se voit décerner le doctorat à la faculté de médecine de Paris. Ce fait n’échappe pas aux caricaturistes de l’époque qui saisissent l’occasion pour traduire dans leurs dessins la misogynie ambiante : une femme médecin ne peut être qu’un laideron semblable à l’intellectuelle de l’époque capable de « lire Xénophon dans le texte à la bibliothèque nationale »… Si au tournant du siècle d’autres dessinateurs consentent à représenter ce même médecin sous les traits d’une jolie femme, ce ne peut être qu’une femme de mœurs légères, comme en témoigne le dessin de Gerbault12. dessin de Cham11 Lorsque Madeleine Brès accède au grade de docteur en médecine, en 1875, elle est reçue avec la mention « très bien ». Alors âgée de 33 ans, elle est la première Française à recevoir ce titre. La IIIe république vient d’être instaurée. On remarquera en passant qu’un siècle plus tard, l‘ONU déclare 1975 « année internationale de la femme », signe que le combat pour l’égalité n’est pas encore gagné. Du temps de Madeleine Brès, être brocardé par les caricaturistes est secondaire par rapport aux barrages auxquels sont encore confrontées les femmes qui prétendent exercer un métier jusqu’alors réservé aux hommes13. Madeleine Brès exercera désormais le sien au service des enfants et des femmes, et c’est vraisemblablement en pensant à elle et à Elisabeth Garrett qu’un Pierre Larousse, qui meurt cette même année 1875, admet qu’une femme puisse exercer la médecine, à condition que ce soit dans un cadre bien délimité : « C’est, nous le répétons, pour les soins à donner aux mères et aux enfants que la doctoresse est naturellement désignée et c’est là surtout qu’elle peut rendre d’incontestables services. Tel est son rôle véritable et tel doit être le but principal vers lequel doivent être dirigés ses efforts »14. Madeleine Brès s’y emploiera effectivement tant sur le plan clinique que pédagogique. Elle exerce à Paris et est chargée d’un cours d’hygiène par l’Association philotechnique15. La ville de Paris lui demande aussi de faire des conférences sur l’hygiène de la première enfance à l’intention des directrices d’écoles maternelles. Elle est également chargée d’une mission en Suisse par le Ministère de l’intérieur pour aller voir comment sont organisées et fonctionnent les crèches dans ce pays. En 1880, elle fonde une crèche modèle aux Batignolles (quartier de Paris). Dans cette décennie, apparaît à Paris un concours d’un genre nouveau : « le concours des bébés ». « Cette importation anglo-américaine semble destinée à s’établir en France, en dépit de son originalité quelque peu excentrique » écrit le Monde illustré qui rapporte les faits16. dessin de Gerbault Cham (Amédée de Noé, dit, 1819-1879). Dessin paru dans Le Monde illustré, 1870. 12 Gerbault (Henri (1863-1930). Dessinateur et affichiste. Il a exercé ses talents dans diverses revues légères : la Vie parisienne. Le Frou Frou. La première a publié un album portant le titre de « Parisiennettes » qui donne le ton. Le directeur du Frou Frou fut condamné pour « pornographie » à travers les dessinateurs prestigieux qui collaboraient à cette revue : Steinlein, Forain, Gerbault… 13 La première Française docteur en droit (1892) ne peut prêter serment et plaider qu’en 1901. 14 Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, tome 17, p. 1081. 15 Association créée en 1848 pour « donner aux adultes une instruction appropriée à leurs besoins ». Elle existe toujours : http://philotechnique.fr/ 16 N. 1519, 8 mai 1886. 11 51 PORTRAIT Madamo Madeleno Bres Une séance du jury rue du Cloître Notre-Dame à Paris. Dessin de M. Estoppey L’illustration que le journal donne de cet événement est caractéristique de la société masculine qui régente la vie sociale de cette époque : aucune femme ne figure parmi les membres du jury ; tous ces messieurs barbus et moustachus sont des médecins chargés de « constater les vices de constitution des concurrents ». Madeleine Brès n’en fait pas partie. On ne sait comment elle jugeait ce type de concours mais on peut penser, qu’au delà du côté exhibitionniste de l’opération, cela ne devait pas lui déplaire que soient récompensés des parents ou des nourrices qui « se sont signalés par leurs soins ou une amélioration apportée dans la manière de soigner les enfants en bas âge ». Après une vie dévouée aux enfants et aux femmes, elle disparaît en 192117, pauvre et tombée dans l’oubli. On peut regretter que ses biographes ne précisent pas dans quelles conditions cette femme qui fut veuve très tôt a pu élever seule ses propres enfants. Sous la photo18 de Madeleine Brès placée en en-tête de cet article figure un message de remerciement que Madeleine Brès adresse à Angelo Mariani19, inventeur du « vin » auquel il a donné son nom. Elle y évoque son activité auprès des enfants malades. Voici la transcription de ce texte : « Cher Monsieur, On a chanté les divines propriétés du vin de Mariani, en musique, en vers et en prose ; mais ce que l’on n’a pas assez dit, ce que l’on ne saurait trop répéter, c’est le gracieux empressement que vous mettez à tonifier les faibles. Je vous renouvelle, au nom des petits déshérités de mon dispensaire, mes sentiments de vive gratitude. » ou 1922 selon les sources. Photo publiée avec l’aimable autorisation de la bibliothèque interuniversitaire de médecine de Paris. 19 Angelo Mariani (1838-1914), préparateur en pharmacie inventeur d’un élixir aux vertus stimulantes à base de vin de Bordeaux et d’extraits de feuilles de coca. Il sut faire une énorme publicité pour sa boisson miraculeuse en publiant les messages de félicitations de consommateurs célèbres (Reine Victoria, présidents des États-unis, etc.). Le message de Madeleine Brès est un de ceux-là. On peut s’étonner que l’élixir ait été recommandé pour les enfants (et les adultes !) car sa teneur en cocaïne était importante. Imité dans de nombreux pays, le « Vin Mariani » a inspiré l’idée du Coca Cola aux États-unis. 17 18 52 --------------------------------------------------Sources-------------------------------------------------Charrier, Edmée, L’évolution intellectuelle féminine, Paris, 1931. Fontanges, Haryett, Les femmes docteurs en médecine dans tous les pays ; étude historique, statistique, documentaire et anecdotique, Paris, 1901. Moulinier, Pierre. - Les premières doctoresses de la Faculté de médecine de Paris (1870-1900) : des étrangères à plus d’un titre ! Communication au colloque Histoire/Genre/Migration, Paris, mars 2006. Portraits de médecins (site de Medarus, alias Jean Yves Gourdol) : http://www.medarus.org/Medecins/MedecinsTextes/bres_mad.htm (consulté le 14/06/07)