les unes les autres - Clarence Edgard-Rosa

Transcription

les unes les autres - Clarence Edgard-Rosa
ENQUÊTE
NELLY
SOUMIA
ET SI LA SORORITÉ
ÉTAIT LE MEILLEUR
REMÈDE CONTRE
LES PLAFONDS
DE VERRE ? LOIN
DES CLICHÉS SUR
LES FEMMES EN MILIEU
PROFESSIONNEL,
RENCONTRE AVEC DES
DUOS TRÈS INSPIRANTS.
PAR JULIA
DION ET CLARENCE EDGARD-ROSA
STUCIN
PHOTOGRAPHE FRÉDÉRIC
De « Working Girl » en 1988 au « Diable
s’habille en Prada » en 2006 ou à la série
« Supergirl » en 2015, les femmes de pouvoir
en entreprise sont inlassablement représentées comme des harpies sans cœur, écrasant
d’un coup de talon leurs collaboratrices. Ce
cliché porte un nom : le Queen Bee syndrome. Avant d’être le surnom de Beyoncé,
Queen Bee désigne littéralement la « reine
de la ruche », soit la patronne. Dans les
années 70, une étude montrait que les
femmes aux postes à leadership refusaient de
soutenir les autres – pire, elles n’hésitaient pas
à les piétiner pour conserver leur place.
C’était avant les années 80, qui ont vu exploser la figure de l’« executive woman » – veste
aux épaulettes surdimensionnées et autorité
taillée pour un environnement professionnel
trusté par les hommes, où les places étaient si
chères que la compétition ne pouvait que
faire rage. Mais, alors que cette image de
femme de pouvoir intraitable et écrasante a
fait son chemin dans l’imaginaire collectif (à
choisir, les femmes préfèrent que leur boss soit
un homme*), une étude de la Columbia
Business School, épluchant le comportement
des « executive women » de 1 500 entreprises sur une période de vingt ans, dément
la réalité de cette malveillance supposée
toute féminine. Veillons à ne pas faire de ce
cliché une prophétie autoréalisatrice. À nous
de réhabiliter la bienveillance et la sororité au
travail, pour accélérer nos carrières et briser
le plafond de verre.
Pour Luce Janin Devillars, psychologue et
coach spécialiste de l’aide au changement
en entreprise, nous sommes bel et bien enfermés dans un système de représentations qui
perpétue les inégalités : « Cette image des
femmes odieuses les unes avec les autres est
un cliché machiste très ancien, porté par les
femmes mais avant tout par les hommes, à un
moment où il était dérangeant, ou effrayant,
de les voir arriver dans les entreprises et
accéder à des postes à responsabilités. On
parlait de promotion canapé, on disait
qu’elles n’allaient pas tenir le coup, et aussi
qu’elles étaient épouvantables entre elles. »
Pourtant, dans la réalité, les femmes ne
cultivent pas davantage la rivalité que les
hommes. Quand Luce Janin Devillars intervient en entreprise, elle constate des frictions… mais qui n’ont rien de féminin. « La
compétition existe des deux côtés mais n’est
pas vue du même œil : chez les hommes, il y
a une représentation guerrière du combat
entre deux chevaliers qui se prennent le bec
pour un territoire, un château, une femme
– une rivalité totalement admise ; chez les
femmes, une compétitivité tout ce qu’il y a de
plus logique dans le travail est très mal vue
parce qu’elles doivent être abonnées à la
douceur. Quand on n’est pas sur ce terrain-là,
on est extrêmement décevantes », ironise-telle. S’il est difficile de venir à bout de ce
stéréotype, c’est qu’il a été largement intégré
par les femmes elles-mêmes.
Julie Constanzo, chercheuse en physique, a
bénéficié du soutien d’une consœur plus
expérimentée, qui l’a prise sous son aile pendant son contrat post-doctoral. Le but ? Faire
sa place dans un monde très masculin. « On
a trop tendance, parce qu’on est une femme,
à ne pas prendre la parole en réunion, à
s’excuser de déranger… Mon mentor m’a
vraiment aidée à construire mon estime de
soi », explique celle qui projette aujourd’hui
de monter une association réunissant des
femmes travaillant dans le monde
« NOUS AVONS CRÉÉ UNE PAROLE LIBRE » « QUE DE BIENVEILLANCE ! »
TRAVAIL
AIDEZ-VOUS
LES UNES LES AUTRES !
SOUMIA MALINBAUM CO-FONDATRICE DE L’ASSOCIATION DES
MANAGERS DE LA DIVERSITÉ ET DIRECTRICE ASSOCIÉE DE KEYRUS
« Avec Nelly, nous avons entamé un mentorat d’un an au sein du programme du Club XXIe siècle [qui milite pour la diversité, ndlr]. Le courant est si bien passé que nous avons continué, même après la fin. On
se voit dans des cafés ou à mon bureau. Nous avons créé un espace
de parole libre, sans jugement, sans lien hiérarchique, qui fait tant
défaut dans l’entreprise et dans la vie. Je lui apporte mon expertise,
je lui fais rencontrer des gens. On a très vite dépassé les objectifs
professionnels pour parler famille, couple, maternité… J’ai aussi
abordé la difficulté d’évoluer dans un secteur très masculin, d’être
confrontée à un double plafond de verre : être une femme et être
d’origine étrangère. Moi, je n’ai pas été “mentorée” ; aujourd’hui, je
veux aider, transmettre, redistribuer. »
NELLY KAMBIWA RESPONSABLE DES VENTES CHEZ LINKFLUENCE
« Des mentors, j’en ai déjà eu. Mais comme Soumia, jamais !
On parle la même langue. Que de bienveillance ! J’avais une très,
très longue liste de questions sans réponse. Devais-je changer de
secteur, partir à l’international, m’embarquer dans une start-up ? À
chaque étape de ma vie professionnelle, Soumia, au fil de nos
échanges, m’a aidée à trouver des solutions, notamment pour mon
dernier changement de poste. Elle a fondé sa boîte tout en ayant
deux enfants en bas âge et m’a aussi alertée sur mon équilibre de vie,
m’a encouragée à dire “non” à la surcharge de travail, à lâcher prise
en me répétant “vas-y, fonce, les réponses tu les as” et à penser “tout
est surmontable”. On a loupé pas mal de rendez-vous, mais on a
échangé par mails et par textos. Des textos qui débutaient toujours
par “Il faut que je te raconte”, comme on dirait à une amie. »
115
E L L E .FR
AGNÈS
En 2014, quand Justine Ferreira, jeune désigneuse, a expliqué devant son jury de fin
d’études qu’elle souhaitait se mettre à son
compte, on lui a reproché son ambition. « On
m’a dit que c’était la preuve d’un ego surdimensionné, que je devrais plutôt penser à
fonder une famille et revoir mes vel-
L A
S O R O R I T É
« NOTRE RELATION EST DEVENUE HORIZONTALE »
MAROUSSIA REBECQ CRÉATRICE DE LA MARQUE ANDREA CREWS
« Quand Marion est arrivée en stage en tant qu’assistante d’atelier, nous étions une petite
marque qui démarrait – tout était à faire ! À cette époque, je m’occupais du stylisme et des
photos dans un joyeux esprit ”do it yourself”, ce qui lui a, je crois, ouvert une perspective
sur ce que pouvaient être les métiers de la mode. Elle faisait à la fois de la retouche couture
et des shoppings et, comme elle était très mignonne, elle a aussi joué les muses. Après son
stage, Marion est partie à Bruxelles pour ses études et à son retour, elle a voulu retravailler
avec moi. J’avais énormément besoin d’elle, mais je lui ai mis un coup de pied aux fesses
et l’ai poussée à se lancer. C’était un moment très fort, dans lequel j’ai vraiment joué le rôle
d’une grande sœur, mais, avec le temps, notre relation est devenue horizontale : c’est
parfois moi qui appelle Marion pour lui demander conseil. »
« JE L’AI PRÉSENTÉE À MA MÈRE COMME
MA DEUXIÈME MAMAN »
MARION JOLIVET STYLISTE PHOTO
« J’ai rencontré Maroussia en même temps que j’ai découvert Andrea Crews. J’étais un
poussin, un peu perdue face à mon avenir et à mes choix professionnels. Dès le début,
notre relation a eu une dimension très affective. À l’atelier, j’ai un peu touché à tout. Cette
période me laisse le souvenir d’une ouverture énorme, une exploration personnelle et
professionnelle dont elle a joué les éclaireurs. J’ai découvert mon métier grâce à elle : je
ne savais pas que le stylisme photo existait ! Quand j’ai dû quitter Paris pour mes études,
le lien ne s’est pas effacé. Aujourd’hui, dans mon travail, beaucoup de choses continuent
à s’articuler autour d’Andrea Crews et de Maroussia. Elle m’a énormément guidée. Je l’ai
présentée à ma mère comme ma deuxième maman. Rien que ça ! »
CLAIRE
« J’AIME BEAUCOUP LES FEMMES FORTES »
AGNÈS B. CRÉATRICE ET COLLECTIONNEUSE D’ART
« J’ai aimé le travail de Claire dès que je l’ai découvert, en 2011. Alors, j’ai exposé ses
incroyables portraits d’enfants. Puis, après les attentats de “Charlie Hebdo”, j’avais envie
de spiritualité, non de religion, et j’ai à nouveau montré son travail pour une exposition que
j’ai appelée “Traits d’esprit”. Quelque temps plus tard, le père de mes filles m’a offert une
de ses sculptures : une maison, un petit temple qu’elle a fait avec des choses que les gens
lui ont données dans la rue. Cet objet me bouleverse, c’est absolument magnifique. J’ai un
attachement très fort à cette femme. Je ne me considère pas du tout comme son mentor,
plutôt comme sa complice. J’aime beaucoup les femmes fortes et je regrette que ce terme
ait une connotation péjorative. C’est ridicule, non ? Nous sommes obligées d’être fortes
et de nous battre deux fois plus, on a tellement de devoirs quand on est une femme. Notre
relation est très en pointillé mais Claire sait qu’elle m’a de son côté, et c’est réciproque. »
MARION
DEMANDEZ
LE PROGRAMME !
« CELA ME FAIT DU BIEN DE POUVOIR L’ADMIRER »
CLAIRE TABOURET ARTISTE
« J’ai rencontré Agnès à l’École des Beaux-Arts. J’étais finaliste du prix SJ Berwin, pour
lequel dix ex-étudiants étaient invités à exposer le temps d’une soirée. Elle est passée,
discrètement. Nous avons échangé quelques mots, elle m’a félicitée pour mes œuvres,
j’étais impressionnée. Plus tard, ce soir-là, j’ai reçu le prix. J’associe notre rencontre à un
événement heureux, une bonne étoile. Deux ans plus tard, elle m’a invitée à exposer dans
la galerie au-dessus de sa boutique, rue du Jour, à Paris. Cela s’appelait “Les Insoumis”. Il
y a quelque chose comme ça chez Agnès. C’est une insoumise. Elle est femme, elle est
mère, elle est libre, elle est brillante et touche-à-tout. Cela me fait du bien d’admirer son
insolente liberté, son exigence et son talent. Je pense que nous avons toutes deux affronté
des obstacles dus au fait d’être des femmes. J’ai l’impression que celles qui font des carrières reconnues développent une force quasi hors norme, car les obstacles sont souvent
deux fois plus grands. J’espère être un jour, à mon tour, la bonne étoile de quelqu’un. »
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E L L E .FR
DE FEMMES À FEMMES…
Dans la dernière campagne de Lean
In, son organisation en faveur de
l’empowerment féminin, Sheryl
Sandberg, directrice des opérations
de Facebook, donne la parole à
Serena Williams, Emma Watson,
Lena Dunham et bien d’autres, qui
évoquent les femmes les ayant
poussées dans leur carrière.
Entre autres conseils avisés :
1. Vous n’êtes pas trop jeune pour
être un mentor
Il n’est jamais trop tôt pour s’engager
dans une démarche de mentorat.
Quelques années d’expérience vous
suffisent pour soutenir une femme plus
jeune, une stagiaire, une étudiante qui
veut s’orienter vers votre métier…
2. Valorisez la réussite des autres
De nombreuses études montrent que
les femmes sont généralement moins
valorisées pour leurs réussites et plus
pointées du doigt pour leurs échecs.
À vous de rectifier le tir à votre échelle
en félicitant une collègue ou en
soulignant l’importance du travail
des femmes de l’entreprise dans
les succès collectifs.
3. Soyez un modèle pour celles
qui vous entourent
Les filles ont tendance à se censurer
davantage que les garçons et à parler
avec moins de confiance quand elles
partagent leurs idées et leurs projets.
Montrez l’exemple ! Exprimez-vous
avec assurance, ne vous excusez pas
de prendre la parole : prenez-la.
Plus de conseils sur leanin.org.
FRÉDÉRIC STUCIN
de la science. « Les femmes doivent
travailler plus que les hommes pour parvenir
au même niveau, explique Mercedes Erra,
présidente exécutive d’Havas Worldwide et
fondatrice de l’agence de publicité BETC. Je
me souviens très clairement de leur résistance
concernant les quotas dans les conseils
d’administration. La plupart des dirigeantes
ne voulaient pas en entendre parler ! Et pour
cause, elles avaient réussi sans, alors pourquoi octroyer un passe-droit aux autres
femmes ? Seulement, petit à petit, la plupart
sont arrivés à la conclusion que c’était une
bonne idée. »
Mercedes Erra croit à l’importance du mentorat : « Certaines cadres manquent encore
de confiance en soi, ça prend du temps, c’est
culturel. Pendant longtemps, elles ont tu leurs
difficultés, elles ont ravalé leur fierté.
Aujourd’hui, elles affichent la couleur : oui, le
chemin est encore long avant que ne soient
résorbées toutes les inégalités, notamment
salariales, dont elles font l’objet. J’essaie à
mon niveau de parler aux jeunes femmes le
plus possible dans les conférences, les tables
rondes ou lors de rencontres informelles.
Échanger, dire tout haut, démonter les obstacles que les femmes rencontrent dans leur
carrière, former un tandem avec un mentor,
dialoguer avec quelqu’un qui a traversé les
mêmes difficultés, c’est crucial. Les femmes
ont besoin de parler entre elles. D’où le
succès des réseaux de femmes et des
événements comme le Women’s Forum ou le
programme ELLE Active (lire p.117). » Historiquement, la solidarité professionnelle fait
partie d’une culture masculine que les
femmes ont du mal à s’approprier. « L’héritage des réseaux fraternels, des clubs à
l’anglaise qui interdisent la présence des
femmes est difficile à renverser, note Luce
Janin Devillars. Chez les hommes, il y a toujours eu cette recherche de temps à passer
entre eux, à parler des cours de la Bourse, à
échanger des grivoiseries en buvant du
cognac pour alimenter un entre soi viril. On
a un certain retard là-dessus, peut-être aussi
parce que les femmes n’ont pas nécessairement le souci, elles, d’exclure les hommes. »
14 OCTOBRE 2O16
14 OCTOBRE 2O16
ENQUÊTE
V I V E
MAROUSSIA
Miser sur la solidarité entre les femmes,
mettre en avant des modèles à suivre
d’entrepreneuses ou de dirigeantes…
Autant d’objectifs du programme ELLE
Active, créé il y a cinq ans par notre
magazine pour promouvoir le travail des
femmes, qui se décline déjà en quatre
forums (Paris, Lyon, Bordeaux et Marseille)
et n’entend pas s’arrêter là. D’ailleurs, un
nouvel événement à destination des jeunes
filles verra bientôt le jour. Parce qu’il n’y a
pas d’âge pour partager… et s’entraider.
CLÉMENCE LEVEAU (elleactive.elle.fr)
ENQUÊTE
* À la question « Si vous commenciez un nouveau
job et que vous pouviez choisir votre boss,
préféreriez-vous travailler pour un homme ou
une femme ? », elles sont 39 % à préférer un
homme contre 25 % une femme et 34 % qui se
disent indifférentes et selon le sondage Gallup
« Work and Education », publié en octobre 2014.
ÉMILIE
S O R O R I T É
« JE NE LUI DONNE AUCUN CONSEIL »
PERLA SERVAN-SCHREIBER CRÉATRICE DE CONTENUS POUR ENTREPRISES,
CONFÉRENCIÈRE ET AUTEURE DE « LA CUISINE DE PERLA » (ÉD. DE LA MARTINIÈRE)
« Ce qui fait le sel d’une relation, c’est son mystère. Je pourrais énumérer nos 15 points
communs avec Fany que l’on n’épuiserait pas la force de notre lien. J’ai entendu parler de
My Little Paris avant de la rencontrer. La simplicité, la pertinence de ce site d’adresses me
plaisaient, moi qui ai fait de la simplicité une religion. Je m’attendais à voir quelqu’un de
speed, j’ai découvert une jeune femme sensible, disponible, joyeuse. Je ne lui donne aucun
conseil, elle mène très bien sa barque seule, mais je la suis, de loin, lui laissant parfois un
message qui dit “bravo”. On se présente des gens, elle m’initie au monde numérique.
Quand on déjeune ensemble, j’aime l’écouter raconter ses voyages au Japon. La différence d’âge est une composante fondamentale de notre lien. J’ai fait le choix personnel
de ne pas avoir d’enfant. Je ne l’ai jamais regretté mais j’ai quand même le sentiment qu’il
y a des êtres pour qui j’ai envie de jouer ce rôle quasi maternel, celui de grande sœur. Un
fil invisible me relie à Fany et ce fil est tissé de beaucoup, beaucoup de tendresse. »
« JE SUIS ADMIRATIVE DE SON AUDACE »
GLORIA
MARION DARRIEUTORT PRÉSIDENTE DE L’AGENCE
DE COMMUNICATION ELAN-EDELMAN
« En général, un mentor, c’est une personne qui coache quelqu’un
de plus jeune et de moins expérimenté. Entre nous, rien à voir !
Avec Béatrice, on grandit ensemble, c’est du mentorat croisé,
“gagnant-gagnant”. Nous nous sommes rencontrées le
7 décembre 2013, le jour du premier TEDxWomen que Béatrice
organisait, en France. J’ai proposé bénévolement mes services
car les sujets de la place de la femme dans la société et de l’entrepreneuriat au féminin me passionnaient. Elle m’a embarquée dans
le comité d’influence de TEDxWomen puis dans celui de
TEDxEducation. On échange par mails, par SMS, par téléphone,
tard le soir. Je croise quelqu’un et je me dis : “Tiens, il faut que je le
lui présente.” Je suis admirative de son audace, de sa maîtrise des
réseaux sociaux – elle a plus de 16 000 followers sur Twitter. De
mon côté, j’ai des mentors hommes, mais uniquement pour le
business. Béatrice, elle, m’apporte du sens dans un monde des
affaires qui parfois assèche intellectuellement. »
« ENTRE NOUS, PAS DE CHICHIS »
FANY PÉCHIODAT COFONDATRICE DU SITE MY LITTLE PARIS
« On s’est rencontrées dans des cuisines ! Dans celle de My Little Paris, puis dans celle de
Perla. Je lançais mon site d’adresses parisiennes et Perla relançait le bimestriel “Clés”,
avec Jean-Louis Servan-Schreiber. Dès le début, elle a été d’un grand soutien avec son
côté “grand sage”, papesse de la presse magazine, et en même temps sa capacité
d’émerveillement d’une gamine de 5 ans ! Entre nous, pas de chichis. Même quand j’organisais des événements un peu pourris à l’autre bout de Paris, Perla était là. Sa présence est
encourageante, bienveillante. Elle m’envoie régulièrement des mails en me disant “quelle
super idée !” dès qu’on lance une nouveauté. Chaque fois, je ressors de nos déjeuners
remotivée, galvanisée. Elle m’a aussi beaucoup aidée à modifier mon rapport au temps.
Je flâne davantage, je vois mes amies, j’ai injecté de la lenteur dans ma vie, cette “slow
life” qu’elle défend bec et ongles. Je viens même d’imaginer une “slow room” dans nos
bureaux pour réfléchir, se concentrer. Plus qu’un mentor, je considère Perla comme la
marraine de My Little Paris, une sorte d’ange gardien, une muse qui me donne de la force
et beaucoup d’audace. On a d’ailleurs lancé sur le site “La Minute Perla”. »
« SON SUCCÈS M’ENCOURAGE »
« LA TRANSMISSION EST AU CENTRE
DE NOTRE HISTOIRE »
GLORIA PEDEMONTE PRODUCTRICE,
FONDATRICE DU LABEL TSUNAMI-ADDICTION
« Je connais Émilie depuis qu’elle est toute petite, mais c’est quand
elle a eu 20 ans qu’on s’est vraiment rencontrées. Cela a avant tout
été professionnel : elle a déposé une cassette à mon bureau et j’ai
décidé de la produire. Mon label existe depuis 2001 mais, au début,
je ne faisais que des compilations. C’est le premier album que j’ai
sorti et c’est là que nous sommes vraiment devenus un label. C’était
un démarrage pour toutes les deux. Je ne me considère pas comme
un mentor mais la notion de sororité me plaît beaucoup : je considère
Émilie comme une petite sœur. On travaille en famille, la transmission
est au centre de notre histoire. Dès le départ, mon label était axé sur
la musique faite par des femmes, notamment parce que l’industrie de
la musique est un monde très masculin. Apprendre aux artistes à avoir
confiance en elles, c’est une partie très importante de mon travail. »
PERLA
BÉATRICE DUBOISSET FONDATRICE DU CABINET DE CONSEIL
HUMEANING ET ORGANISATRICE DES TEDxCEWOMEN
« Quand j’ai un doute, j’appelle Marion. C’est une entrepreneuse
engagée et elle fait partie des rares personnes à qui je n’ai pas
peur de me confier car je sais que son retour sera judicieux et bienveillant. Elle m’a déjà aidée à sortir d’une crise avec un client, m’a
fait prendre conscience que je pouvais me faire épauler dans ma
carrière. À l’inverse, elle n’hésite pas à dire que c’est dur, parfois,
d’être à de hauts postes, qu’on est assez seules dans le top management. Son succès m’encourage, je m’en réjouis. Je me dis :
“Pourquoi pas moi ?” Cessons de dire que les femmes sont chipies
entre elles, c’est faux. Nous ne sommes pas en compétition. J’adorerais faire une expo ou les boutiques avec elle, mais on n’a pas
le temps ! On se voit pour déjeuner dans des endroits qu’elle choisit. Elle me fait rire. J’aimerais la faire monter un jour sur la scène
d’un TEDx, même si c’est une femme de l’ombre ! »
La troisième édition TEDxChampsÉlyséesWomen, sur la thématique Mixity,
aura lieu le 4 novembre, salle Pleyel, Paris-8e.
« GLORIA A CRU EN MOI »
FANY
FRÉDÉRIC STUCIN
léités à la baisse en commençant
par tenir le carnet de commandes de mon
compagnon, qui faisait partie de la même
promo. » À l’époque, c’est grâce au soutien
de celle qu’elle considère comme son mentor
qu’elle ne baisse pas les bras. Béatrice Bruneteau, céramiste reconnue, fait de ces
remarques assassines un non-événement.
« Elle m’a poussée à me faire confiance,
notamment en me racontant les obstacles
qu’elle-même avait rencontrés au début de
sa carrière, et à me lancer malgré tout »,
raconte la jeune artiste, qui s’apprête à inaugurer son atelier.
« Beaucoup de femmes ont terriblement peur
de paraître prétentieuses. Nombreuses sont
celles qui s’efforcent d’être effacées pour
rester “humbles” et qui prennent moins de
place que les hommes, analyse Alice Nieto,
consultante en ressources humaines et
membre de la Tribu des reizoteuses, un
réseau professionnel féminin basé à
Toulouse. Le problème, c’est que celles qui se
“font remarquer” sont parfois jalousées ou
perçues comme des femmes jouant trop “la
carte de la féminité” ou au contraire trop
“viriles”… Bref, ça ne va jamais et, pendant ce
temps, les hommes, eux, avancent. L’une des
solutions qu’apporte un réseau féminin est de
permettre de mieux nous connaître et surtout
de nous entraider. Le mentorat, c’est de la
“sororité informelle”. C’est ce qui peut manquer parfois : de la confiance en soi pour
s’affirmer dans certains milieux et de la
confiance dans nos relations avec les autres
collaboratrices. » Pour Sophie Pochic, sociologue au CNRS qui a beaucoup travaillé sur
la question du plafond de verre, il faut
cependant faire attention à ne pas tomber
dans une sororité sélective : « On voit depuis
les années 2000 une structuration forte des
réseaux de femmes, qu’ils soient interprofessionnels ou à l’intérieur même des entreprises. Mais ces liens sont particulièrement
adressés aux femmes déjà privilégiées,
puisqu’ils se sont d’abord créés autour des
réseaux de grandes écoles, puis entre
cadres. Je me souviens d’une grande entreprise française dont la direction communique
beaucoup sur son réseau de femmes cadres.
Les employées syndiquées ont créé un
réseau de leur côté. Elles prouvent que la
sororité n’est pas réservée aux élites. » �
L A
14 OCTOBRE 2O16
V I V E
ÉMILIE HANAK AKA YELLI YELLI, AUTEURE, COMPOSITRICE,
INTERPRÈTE
« Je regarde Gloria comme une grande sœur et un exemple. Elle a
cru en moi. Et, à l’époque où nous avons commencé à travailler
ensemble, elle m’a beaucoup influencée. Le mouvement riot grrrl était
très fort à ce moment et, même si j’écoutais déjà cette musique, elle
m’a transmis toute la culture et l’esprit qui allaient avec, ce qui a enrichi
mon travail. En ce sens, je n’ai pas du tout peur de dire qu’elle est mon
mentor, même si elle préfère les relations horizontales ! Comme tout
bon mentor, elle m’a énormément donné confiance en moi. Quand
tu as 22 ans et que quelqu’un que tu admires te dit : “fais-toi confiance,
tes faiblesses peuvent être des forces”, c’est très puissant. Je pressens
que je vais vouloir moi aussi tenir ce rôle auprès d’une autre artiste,
transmettre quelque chose à mon tour. »
119
E L L E .FR
BÉATRICE
MARION

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