Comédie en un acte de Hervé Fassy Hervé Fassyest membre de la

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Comédie en un acte de Hervé Fassy Hervé Fassyest membre de la
C’est à qui
le tour ?
Comédie en un acte de Hervé Fassy
Hervé Fassy est membre de la SACD sous le n° 189306-74.
Pour le contacter par e-mail : [email protected]
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L’histoire
La gérante d’une agence matrimoniale va vivre une journée pleine d’aventures et de
rebondissements qui rompra avec la routine habituelle de son travail.
En effet, pour faire face à ses problèmes avec le fisc, celle-ci va accepter l’argent que lui
propose une jeune criminelle Russe et va se retrouver confrontée à un policier incompétent, à
un plombier farfelu et à une cliente envahissante.
Les personnages
SUZY : Suzy Delfo, la cinquantaine. C’est la gérante de l’agence matrimoniale.
Elle est tour à tour désabusée (elle s’est lassée de son travail qu’elle trouve routinier),
mélancolique (elle vit dans le souvenir de Paul, son bien-aimé mari décédé quelques
années plus tôt), vive (elle a du caractère et de l’énergie) et incisive (avec les gens qui
l’ennuient.)
LOUIS : Louis Campagnol, la cinquantaine. Il est Inspecteur de Police et enquête incognito
sur Irina. Il a un goût prononcé pour le travail de terrain mais se révèlera pour le moins
incompétent.
AMEDE : C’est un jeune plombier farfelu. Zozotant, peu séduisant, il porte de grosses
lunettes de vue. Terriblement épris d’Irina, il la poursuivra de ses assiduités en dépit du
bon sens.
IRINA : C’est une jeune femme Russe dotée d’un fort accent de l’Est. Séduisante, elle est
aussi une criminelle sans scrupules qui assassine ses maris pour toucher la prime
d’assurance. Pour le malheur de Suzy, c’est dans son agence matrimoniale qu’elle a
décidé d’aller à la chasse au « mari riche ».
BARBARA : La cinquantaine. Inscrite depuis plus de deux ans à l’agence, elle espère
vivement trouver l’homme idéal pour pouvoir quitter son mari qu’elle ne supporte plus et
qui s’avère être…Louis, l’inspecteur de Police.
Plus les voix de
M. PANCHENA : l’employé du fisc.
UNE JEUNE FEMME : Christelle Devigne, une ancienne cliente de l’agence.
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Le décor
(à lire attentivement : un élément du décor est primordial.)
La pièce (en un acte) se déroule dans un décor unique qui représente le bureau d’une agence
matrimoniale.
*Côté jardin : -une porte donnant sur une salle d’eau qu’on ne voit pas.
-un bureau sur lequel sont posés un ordinateur portable, un téléphone et un
bibelot en forme de pyramide.
*Sur le mur du fond : -la porte d’entrée de l’agence.
-situé entre la porte d’entrée et le bureau côté jardin, le « confessionnal
d’amour » (c’est un dispositif décrit plus bas).
*Côté cour : -contre le mur, une petite table sur laquelle est posé un second ordinateur
portable auquel est relié un gros casque audio.
Description du « confessionnal d’amour ».
C’est un dispositif ressemblant à un confessionnal classique. (d’où son nom).
Il peut être constitué de deux cabines d’essayage ou de deux isoloirs accolés.
Chacune de ces cabines peut être théoriquement fermée par un rideau. En fait, seul le haut du
rideau est réel de manière à ce que les acteurs soient visibles même en étant enfermés dans le
confessionnal.
Toutefois, la cabine côté cour doit en plus être dotée d’un vrai long rideau permettant sa
fermeture complète.
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C’est à qui le tour ?
Le rideau s’ouvre.
Suzy Delfo entre dans l’agence.
SUZY, abattue : Et c’est reparti pour un tour !...Pourtant ça me paraissait chouette comme
idée : une agence matrimoniale…et finalement, au bout de cinq ans, je n’en peux
plus ! …Voir tous ces gens qui cherchent à être heureux, ça me déprime…D’autant
que moi, heureuse, je l’ai été…J’avais rencontré Paul, l’«homme de ma vie » comme
on dit, et puis on s’était mariés…La vie était belle… jusqu’à ce qu’il ait la mauvaise
idée de faire une crise cardiaque…Mon pauvre Paul ! ... (enthousiaste) À l’époque on
avait une boucherie. C’était le bon temps ! … (abattue) Vous me direz, aujourd’hui
encore c’est de la viande que je vends… mais vivante cette fois…enfin, plus ou
moins… parce que j’ai dans mes fiches deux ou trois personnes…elles frétillent bien
encore un peu…mais c’est pas bien violent…
Suzy souffle de dépit.
SUZY : Dire qu’il va falloir encore faire semblant !...Faire semblant d’aimer son métier…
Faire semblant de croire que Monsieur Riboulet, qui est vieux, pauvre, boiteux et qui a
mauvaise haleine, va trouver aujourd’hui sa princesse…et dans mon agence en
plus !...Faire semblant d’être heureuse sans mon pauvre Paul…En plus, ici toutes les
journées se ressemblent…ça doit être parce que tous les gens se ressemblent…
Pourtant j’ai de nouvelles inscriptions tous les jours, mais les gens se ressemblent
tellement que j’ai l’impression que ce sont toujours les mêmes personnes qui se
réinscrivent sous de nouveaux noms !
Suzy regarde sa montre.
SUZY, exaspérée : Huit heures trois ! Dans moins de deux minutes, le téléphone va sonner.
Ce sera Madame Pivert… (Suzy simule un bec avec sa main) Elle porte bien son nom
celle-là !... Je lui expliquerai que j’arrive à peine et que je n’ai pas eu le temps de
regarder les inscriptions faites par Internet dans la soirée d’hier…et puis comme elle
insistera je lui en lirai une ou deux…ça ne lui conviendra pas… (elle sourit) alors je
lui raccrocherai au nez…
Le téléphone sonne.
SUZY : Qu’est-ce que je disais ! (écoeurée) « L’amour n’attend pas ! »
Suzy décroche.
SUZY, avec grand enthousiasme : Agence matrimoniale Suzy Delfo, chez Suzy Delfo il y a
l’homme ou la femme qu’il vous faut ! /…/ (ravie) Oh ! Madame Pivert ! (elle
simule un bec avec sa main) Quelle surprise ! /…/ Eh non, j’arrive à peine !
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Je n’ai pas eu le temps de consulter les nouvelles fiches…Mais vous savez, c’est une
agence matrimoniale ici, pas le SAMU : je n’ai pas de permanence de nuit !
(à part) Et puis si elle a le feu quelque part, elle n’a qu’à faire le 18 ! /…/ « Pour
vous c’est urgent de trouver l’homme de votre vie ? » Je comprends Madame Pivert,
je comprends ! Le problème c’est que pour l’homme de votre vie ça semble moins
urgent. (à part) Tu m’étonnes ! S’il l’a déjà vue, ça ne doit plus être urgent du tout !
/…/ « Vous voulez un homme avec une bonne profession et beaucoup de temps
libre ? » (usée) Je le sais Madame Pivert, vous me le répétez tous les jours depuis
deux ans !
Suzy consulte son ordinateur.
SUZY : Bien, je lis les nouvelles fiches : vous m’avez donc dit « bonne profession avec
beaucoup de temps libre »… (enthousiaste) Oh ! Je crois que j’ai exactement ce qu’il
vous faut ! Un monsieur qui est gréviste chez Air France. Je ne sais pas si ça gagne
bien mais au niveau temps libre ça devrait être parfait ! /…/ « Ça ne vous convient
pas ? » Bon, j’ai une autre fiche mais je lis que l’homme en question est aveugle. /…/
« Ça ne vous convient pas non plus ? » Pourtant je vois sa photo, c’est un bel homme
qui fait beaucoup plus jeune que son âge ! (pensive) Ça doit être parce qu’il n’a pas
vu le temps passer ! /…/ « Ça ne vous convient pas quand même ? » (sèche) Ecoutez,
quand on est aussi difficile, il ne faut pas se plaindre de rester seule !
Suzy raccroche sèchement.
SUZY, amusée : Je lui ai raccroché au bec ! (pensive) Ceci étant, c’est vrai qu’« aveugle »,
ce n’est pas très attrayant…
Suzy pianote sur son ordinateur.
SUZY : Je modifie sa fiche… À la place d’aveugle, j’inscris : « borgne des deux yeux »… Ce
sera plus sympathique ! (satisfaite) Voilà !
Le téléphone sonne.
Suzy décroche.
SUZY, enthousiaste : Agence matrimoniale Suzy Delfo, chez Suzy Delfo il y a l’homme ou la
femme qu’il vous faut ! /…/ Bonjour Monsieur Riboulet ! /…/ « Vous cherchez une
femme jeune et séduisante ? » Rassurez-vous, vous n’êtes pas le seul homme dans ce
cas ! (à part) Et puis pourquoi se contenter de demander l’improbable quand on peut
réclamer l’impossible !
Suzy consulte son ordinateur.
SUZY, à part : Alors qu’est-ce que je vais pouvoir lui proposer à ce vieux débris ? ...
(elle lit) « Prénom : Rosette / Poids : 95 Kilos » (impressionnée) Eh ! 95 Kilos de
rosette, même en promotion, ça aurait fait un joli chiffre d’affaire !
(à M. Riboulet) Dites-moi Monsieur Riboulet, au niveau minceur, vous avez des
exigences ? /…/ « Qu’elle ne dépasse pas 60 Kilos ? » Euh, y’en a un peu plus, je
vous le mets quand même ? (elle coince son stylo sur son oreille) /…/
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« Ça ne vous intéresse pas et vous restez ferme sur ce point-là ? » (sèche) Vous avez
raison : restez ferme et restez seul ! À demain !
Suzy raccroche sèchement et regarde sa montre.
SUZY : Il est huit heures dix, nous sommes jeudi, donc Madame Campagnol ne devrait pas
tarder… Ça complètera bien le bal des casse-pieds !
Barbara entre dans l’agence.
SUZY, avec grand enthousiasme : Barbara!!! (à part – abattue) Barbara Campagnol, quel
plaisir !...
BARBARA : Bonjour chère Suzy.
Suzy et Barbara font mine de se faire la bise mais leurs visages sont à plus de cinquante
centimètres l’un de l’autre.
SUZY, ravie : Oh, je vois que vous avez une nouvelle coiffure. (elle se tourne l’air écoeurée.)
BARBARA : Oui, je voulais être mise en beauté…
SUZY, à part : Miss Empotée, oui !
BARBARA : Vous savez, Stendhal a dit : « la beauté est une promesse de bonheur. »
SUZY : Alors on peut vous rendre grâce de ne pas promettre plus que vous ne sauriez tenir !
BARBARA : Je n’ai pas compris. Vous disiez ?
SUZY : Rien, rien…cette coiffure vous va très bien. (elle se tourne pour grimacer)
BARBARA : Ah ! J’y pense, j’ai croisé le facteur en bas de l’immeuble. Il m’a remis ce
courrier pour vous.
Barbara donne une lettre à Suzy qui la pose sur son bureau.
SUZY : Merci…À part ça Barbara, comment va votre mari ?
BARBARA : Louis ? C’est toujours le même minable !…D’ailleurs, si ce n’était pas le cas, je
ne serais pas là à me chercher un autre homme !
SUZY : C’est juste ! Ceci dit à l’occasion il faudra tout de même me le présenter.
BARBARA : À l’occasion ? Quelle occasion ? Réfléchissez Suzy ! Comment voulez-vous
que je justifie auprès de mon mari mon inscription dans une agence matrimoniale ?!
SUZY : C’est vrai…
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BARBARA : En plus, croyez moi, vous ne gagneriez rien à rencontrer Louis. C’est un obscur
petit inspecteur de Police tout ce qu’il y a de plus inintéressant !
(Ironique) Inspecteur Louis Campagnol…Quel raté !
SUZY : Pourquoi l’avoir épousé ?
BARBARA : Parce que quand je l’ai rencontré, Louis était un jeune inspecteur plein
d’avenir ! D’ailleurs tous ses collègues de promotion sont aujourd’hui au minimum
Commissaire. Certains sont même Directeur ! (méprisante) Mais Louis Campagnol
aime trop mener des enquêtes ! « Môssieur » n’aime pas le travail de bureau !...Quand
je pense qu’à l’époque il aurait pu travailler à l’OTAN !
SUZY, amusée : Alors il serait devenu riche…puisqu’il parait que « l’OTAN c’est de
l’argent ».
BARBARA : C’est amusant…Vous savez ce que tout cela prouve, Suzy ?
SUZY : Que votre mari est un homme de terrain ?
BARBARA : Non ! Que c’est un crétin ! Un crétin doublé d’un obsédé ! Dès qu’un jupon
passe à moins d’un kilomètre, « Môssieur » se met dans tous ses états !
Tenez, samedi dernier encore, nous avons participé à un bal costumé…évidemment
Louis s’était accoutré en Sherlock Holmes…Eh bien il y avait une nymphette déguisée
en indienne…
SUZY : Et Louis voulait visiter la grotte de la squaw !
BARBARA : On peut dire ça comme ça !...Enfin bref, nous avons déjà trop parlé (avec de
grands airs) de l’inspecteur Louis Campagnol.
Dites-moi plutôt ce que vous avez de beau à me proposer ! Parce que moi de mon côté
j’ai bien réfléchi et je sais exactement ce qu’il me faut !
SUZY, abattue : Dites moi toujours…
BARBARA : Un sportif professionnel !
SUZY : Rien que ça !
BARBARA : Ben quoi ? Après tout, le premier Top Model venu arrive à en trouver un, alors
pourquoi pas moi ?!
SUZY, à part : Peut-être parce que les sportifs aveugles sont rares !
(Enthousiaste - à Barbara) Oh, mais j’y pense, j’ai justement un aveugle dans mes
fiches !
BARBARA : Mais enfin Suzy, vous déraisonnez ! Je vous demande un sportif et vous me
proposez un aveugle ! Alors si je vous avais demandé un milliardaire, vous m’auriez
proposé un manchot ?!
SUZY : Non…bien sûr…attendez, je regarde mes fiches…
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BARBARA : Vous me rassurez ! Avouez que je mérite mieux que ça : quand on voit le
succès que j’ai auprès des hommes !
SUZY, à part : Il en faut pour tous les dégoûts !
Suzy consulte son ordinateur.
SUZY, enthousiaste : Ça y est ! J’en ai un ! (fière) Et un champion de France en plus !
BARBARA : Dans quelle discipline ?
SUZY : Attendez, je lis sa fiche : « Champion de France de…lancer de nain ».
BARBARA, effrayée : De quoi ?!!
SUZY, enthousiaste : De lancer de nain ! Vous savez, ce jeu qui consiste à lancer le plus loin
possible un nain…un homme de petite taille si vous préférez.
Barbara fait la moue, pas emballée.
SUZY : Enfin Barbara, ne faites pas cette tête ! Vous savez, il faut beaucoup de force pour
arriver à lancer un nain ! D’autant qu’ils ont toujours de petites jambes mais parfois un
gros ventre… (embarrassée) Ah ! Je lis sur sa fiche quelque chose qui ne vous plaira
peut-être pas beaucoup…
BARBARA : Il n’est pas champion de France ?
SUZY : Oui, oui…Pour ça, il n’y pas de souci. (hésitante) Le problème, c’est que son titre il
ne l’a pas remporté en tant que lanceur…Lui, c’est celui qui est lancé.
BARBARA : Quoi ?!! Un nain ?!! C’est un nain ?!!
SUZY, rassurante : Oui mais je lis qu’il a été lancé à plus de douze mètres !
BARBARA : Et qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse ?!!
SUZY : Eh bien ça prouve qu’il doit être svelte…
BARBARA : Enfin Suzy ! Tout à l’heure un aveugle, maintenant un nain ! Le prochain ce
sera quoi ? Un cul de jatte ?!! Là Suzy, je suis très déçue ! Ce n’est plus une agence
matrimoniale ; c’est un cirque !
SUZY, sèche : Vous avez raison Barbara ! (la regardant avec insistance) D’ailleurs, j’ai
même une femme à barbe !
BARBARA, gênée : Oui, bon…Si ça ne vous dérange pas Suzy, je vais finir de consulter les
fiches sur le second ordinateur…
Barbara se touche la joue pour vérifier si elle est barbue et va s’asseoir à la petite table.
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SUZY, sèche : C’est ça Barbara ! Consultez, consultez ! Moi je vais lire mon courrier…
(mielleuse) Et n’oubliez pas de mettre le casque pour écouter les annonces audio.
(à part – sèche) Au moins elle n’entendra pas tout le mal que je dirai sur elle, cette
mégère !
BARBARA, mielleuse : Merci d’y avoir pensé, Suzy.
(à part) Pas étonnant que son mari ait préféré « tirer sa révérence » plutôt que de
continuer à vivre avec une harpie pareille !
Barbara prend en main le casque et se retourne vers Suzy.
Toutes deux se font un grand sourire hypocrite.
Barbara met le casque sur ses oreilles et pianote sur l’ordinateur.
Suzy ouvre son courrier et le parcourt rapidement du regard.
SUZY, effondrée : Ah non, ça ne va pas recommencer ! Le fisc…le redressement…la
ruine…le désespoir…Combien me réclament-ils ces vampires ?
(Elle sursaute) Ce n’est pas possible ! Je n’arrive même pas à prononcer le montant
tellement c’est énorme !
Barbara ôte son casque –elle n’a rien entendu-.
BARBARA, réjouie : Suzy, vous allez être ravie !
SUZY, abattue : Ça, ce n’est pas sûr…
BARBARA : Je viens de tomber sur une annonce très intéressante : un homme qui parait fort
distingué et qui vit de sa plume.
SUZY : Sincèrement Barbara, votre histoire avec votre gigolo, je m’en fous !
BARBARA : Comment ?
SUZY : Le fisc me tombe dessus ! Regardez ce qu’il me réclame !
Suzy montre le courrier à Barbara.
BARBARA : Mais c’est énorme !
SUZY : Enorme !... Ça recommence !
BARBARA : Comment ça ?
SUZY : Je ne vous en avais jamais parlé mais à l’époque, avec mon pauvre Paul, on avait une
boucherie …
BARBARA, snob : Une boucherie ? Mais pour quoi faire ?
SUZY : Pour gagner notre vie, pardi ! Paul était boucher et …
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BARBARA, écoeurée : Boucher ?!... Mais alors si votre mari était boucher, ça signifie que
vous étiez…que vous étiez…
SUZY, mélancolique : Que j’étais heureuse.
BARBARA : Heureuse ?!! Mais comment peut-on être heureuse quand on est… (écoeurée)
bouchère ! Bah ! Toute la journée à patauger dans l’hémoglobine, à manipuler des
cadavres, de la barbaque, de la bidoche, de la carne, de la charogne, tout en répétant
d’une voix niaise : « C’est à qui le tour ? C’est à qui le tour ? C’est à qui le… »
SUZY, sèche : Eh ! Oh ! C’est fini oui !!! (à part) Ça va être son tour avant Noël à cette
grosse dinde ! (à Barbara) Sachez que si mon pauvre Paul a fait une crise cardiaque,
c’est à coup sûr à cause des soucis que lui a causés le fisc ! (vive) Mais moi ils ne
m’auront pas ! Vous m’entendez ?!! Ils ne m’auront pas !
Barbara sort un paquet de cigarettes de sa poche et en sort une cigarette.
BARBARA : Vous avez raison Suzy, il faut vous battre !
Barbara sort un briquet de sa poche.
SUZY, agressive : Oui ! Eh bien pour commencer je vous demanderais de ne pas fumer !
Vous savez que j’ai horreur de ça !
BARBARA, cynique : Visiblement, Madame est moins indisposée par la vue du sang que par
l’odeur de la cigarette !
SUZY, hors d’elle : Oh ! Cette fois, je crois que…
BARBARA, effrayée : Enfin Suzy, calmez-vous… Vous savez l’affection sincère que j’ai
pour vous… (elle déglutit)
SUZY, les dents serrées : Je sais ! Je sais !
BARBARA : Ceci dit, je crois que je devrais partir…comme vous êtes un peu tendue…
SUZY : JE NE SUIS PAS TENDUE !!!!!
BARBARA, effrayée : Certes, certes….Mais en ce qui me concerne, je déteste voir mes amis
souffrir… (à part) Surtout quand c’est pour des problèmes d’argent…ils finissent
toujours par vous en demander !
Barbara ouvre la porte d’entrée.
BARBARA : Je repasserai un peu plus tard…quand le choc émotionnel se sera estompé…
(apeurée) Même si j’ai bien compris que vous n’êtes pas tendue du tout…
Barbara sort de l’agence en courant.
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SUZY : Aaah ! J’enrage ! Si mon pauvre Paul était là… (triste) il en ferait sûrement un
second infarctus…Il avait raison quand il disait que la différence entre un voleur et le
fisc c’est que le voleur, lui, ne te prend pas plus que ce que tu as ! …
Mon pauvre Paul disait toujours que la vie est une loterie…Sans lui, la mienne est
devenue une loterie sans gros lot !
Le téléphone sonne.
SUZY : Allez Suzy ! Ne te laisse pas abattre !
Suzy décroche.
SUZY, avec enthousiasme : Boucherie matrimoniale Suz…Euh…Agence boucherimoniale…
Oh ! Agence matrimoniale Suzy Delfo, chez Suzy Delfo… (elle flanche – abattue)
Chez Suzy Delfo il y a le fisc et tout l’argent qu’il lui faut! /…/ Quoi ?! Madame
Pivert, encore vous ! /…/ Je m’en fous que vous cherchiez un homme, Madame
Pivert ! Vous entendez ? Je m’en fous ! De toute façon, vous êtes tellement vieille et
moche que personne ne voudra jamais de vous ! Voilà ! Et si vous voulez tout savoir,
vous êtes tellement vieille et moche que je n’ose même pas vous présenter à mon
aveugle ou à mon nain ! Adieu Madame Pivert !
Suzy raccroche.
SUZY, soulagée : Ah, ça fait du bien ! (amusée) Cette fois je crois que je lui ai cloué le bec
pour de bon !
On entend un bruit en provenance de la salle d’eau –comme un bouchon de bouteille de
champagne qui saute puis de l’eau qui couleSUZY : Qu’est-ce que c’est que ce bruit, encore ?
Suzy va dans la salle d’eau puis revient aussitôt.
SUZY, abattue : En temps normal, un robinet qui fuit c’est anecdotique…mais là…ça me
désespère ! Surtout qu’un plombier rapide et honnête sera presque aussi difficile à
trouver que l’argent que me réclame le fisc !
(pensive) Le fisc…je suis foutue ! Il n’y a plus qu’une intervention divine qui puisse
me sauver…C’est ça, il me faudrait l’intervention d’un ange envoyé par le petit
Jésus…et l’intervention d’un plombier aussi !
Irina entre dans l’agence.
Elle est gantée et tient une valise de taille moyenne à la main.
SUZY, amusée : Vu qu’elle n’a pas l’allure d’un plombier, c’est peut-être mon ange !
IRINA : Bonjour Suzy.
SUZY : Bonjour…nous nous connaissons ?
IRINA : Bien sûr ! Je m’appelle Irina.
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SUZY : Ilina ?
IRINA : Non, pas Ilina…Irina ! J’étais inscrite dans votre agence il y a à peu près six mois.
SUZY : Oui ! Ça me revient ! Irina… (à part) Irina comment déjà ?... Elle a un nom à
coucher dehors… (elle consulte son ordinateur) Ah ça y est : Irina LA-DIS-BLAKOS-BA-LI-NOV-SKI !
(à part) Je comprends qu’elle ait voulu se marier…rien que pour changer de nom ça
valait le coup !
(à Irina) Je vous avais trouvé un homme très gentil.
IRINA, satisfaite : Oh oui ! Très gentil, très riche et très vieux ! Nous avons fait un très beau
mariage.
SUZY : Et comment va-t-il ?
IRINA, enthousiaste : Il est mort !
SUZY : Mort ?! Mais c’est horrible !
IRINA, enjouée : Le temps guérit de tout !
SUZY, mélancolique : Oui…surtout des bonnes choses !
IRINA : En réalité Suzy, la mort de mon mari est une bonne nouvelle. Pour moi et pour vous
aussi.
SUZY : Une bonne nouvelle ?!! Pour moi ?
IRINA : Oui, parce que grâce à ça, je peux vous offrir un cadeau.
SUZY : Un cadeau ? Je ne comprends pas !
Irina tend un petit flacon à Suzy qui le saisit.
SUZY, regardant le flacon : C’est ça votre cadeau ? Un flacon vide ?
IRINA, reprenant le flacon : Non ! Maintenant que vous avez touché le flacon, je peux vous
offrir le vrai cadeau.
SUZY : Drôles de coutumes ces gens de l’Est !
Irina met le flacon dans un sachet plastique puis dans sa poche et donne la valise à Suzy.
SUZY : Après le flacon vide, vous m’offrez une valise vide ?
IRINA : Non, pas vide la valise.
Suzy ouvre la valise.
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SUZY, sursautant : Mais c’est de l’argent ! Elle est pleine de billets !
IRINA : C’est pour vous ! Ça vous fait plaisir ?
SUZY, abasourdie : Oui…non…mais pourquoi me donnez-vous tout cet argent ?
IRINA : C’est une partie de ce que l’assurance m’a donné suite au décès de mon mari.
SUZY : Peut-être mais qu’est-ce que j’ai à voir là-dedans ? Ce n’est pas moi qui ai tué votre
mari que je sache !
IRINA : Je le sais parfaitement que ce n’est pas vous…
Irina fait un sourire appuyé à Suzy.
Suzy sursaute.
SUZY, horrifiée : C’est vous ?!! C’est vous qui avez tué votre mari ?!!
IRINA : Moins fort ! On pourrait nous entendre.
SUZY : Bon…soit ! Vous avez tué votre mari et vous avez touché la prime d’assurance…
mais pourquoi m’en donner une partie ?
IRINA : Pour vous encourager à me trouver un autre mari…aussi riche que le précédent
évidemment !
SUZY, scandalisée : Mais je refuse !... (adoucie) Il y a combien là-dedans, au fait?
Irina le dit à l’oreille de Suzy qui en reste bouche bée.
SUZY : Dire qu’il y a assez pour couvrir ce que je dois au Fisc !
IRINA : Alors ?
SUZY, hésitante : Alors…alors… (la mort dans l’âme) alors je dois refuser !
IRINA : Pourtant Suzy, vous n’avez pas le choix ! Vous êtes obligée d’accepter !
SUZY : Pas le choix ?! Obligée ?! Et si j’allais vous dénoncer à la Police ?
IRINA : Alors je porterais plainte contre vous et c’est vous qui auriez des problèmes.
SUZY : Là vous délirez !
IRINA : Ah bon ? Ça veut dire que vous avez confiance en la Justice Française ?
SUZY : Bien sûr que non ! Je suis peut-être naïve mais pas stupide !… Mais tout de même,
dans un cas aussi caricatural que le nôtre, si je vous dénonçais, croyez-moi, c’est vous
qui seriez condamnée !
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IRINA : Condamnée ?! Mais enfin Suzy, ouvrez les yeux : de nos jours, dans les tribunaux
Français il n’y a guère que quelques portes qui soient encore condamnées !...Et puis
vous irez expliquer pourquoi le flacon qui contenait le poison qui a tué (elle se met à
sangloter) mon pauvre petit mari adoré (elle cesse brusquement de pleurer) présente
vos empreintes digitales !
SUZY, sursautant : Ah ! Le flacon ! Le flacon vide ! (abattue) Elle m’a eue ! Je suis foutue !
IRINA : Non, vous n’êtes pas foutue ; vous êtes riche !
SUZY : Vous avez peut-être raison… Peut-être dois-je accepter ça comme un don du ciel.
IRINA : Voilà qui me parait plus sage ! D’autant que vous aurez votre part à chaque nouveau
mari que vous me trouverez. En plus reconnaissez que c’est un travail facile : les
hommes adorent les filles de l’Est !
SUZY : C’est vrai…pourtant à part des Z et des W dans vos noms de famille, on se demande
bien ce que vous avez de plus que les autres !
IRINA : Notre accent ! Les hommes en raffolent !
SUZY, prenant l’accent Russe : Vous avez raison ! Je viens de perdre quinze ans d’un coup !
Plus aucun homme ne peut me résister !
IRINA : Vous vous moquez de moi !
SUZY : Mais non, ma petite vodka frelatée ! ... Oh ! En parlant d’accent, votre accent
Polonais me fait penser que je dois appeler un plombier.
IRINA : Russe !
SUZY : Un plombier Russe ?
IRINA : Non, mon accent ! Pas Polonais : Russe !
SUZY, pensive : Tout de même…votre pauvre mari, vous y pensez parfois ?
IRINA : Il a été victime de ses sentiments ! Chacun sait que l’amour est toujours
douloureux…et parfois fatal.
SUZY, mélancolique : C’est vrai…c’est d’ailleurs la seule douleur dont on ne voudrait jamais
guérir…Et s’il avait voulu des enfants ?
IRINA : Ça n’aurait pas été un problème : la migraine est un contraceptif très efficace !
SUZY : Quel cynisme !…Bon, revenons à mon plombier ! Vous n’en connaîtriez pas un par
hasard ?
IRINA, dédaigneuse : Vous avez raison de préciser « par hasard », parce que le jour où je
connaîtrai un plombier, ce sera vraiment par hasard !
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SUZY : Evidemment…Oh mais j’y pense, en survolant les dernières fiches, j’ai aperçu celle
d’un jeune homme dont c’est justement le métier.
Suzy consulte son ordinateur puis prend son téléphone.
Elle compose le numéro de téléphone tout en lisant la fiche.
SUZY, lisant : Amédé Blandru, plombier…Allô Amédé ? /…/ Bonjour c’est Suzy ! /…/
Suzy Delfo de l’agence matrimoniale. Je me permets de vous appe…
(à Irina) Il a raccroché !... Alors celui-là je le retiens ! Je ne suis pas près de lui
trouver quelqu’un !
On entend le bruit de quelqu’un qui court.
Amédé entre dans l’agence en courant.
Il est vêtu d’un pull col roulé noir rayé de larges bandes horizontales orange et porte de
grosses lunettes.
AMEDE, essoufflé : Ze suis…Amédé…depuis hier…z’attends…de l’autre côté…de la
rue…persuadé…que vous m’appelleriez rapidement.
Amédé aperçoit Irina et se jette à ses pieds.
AMEDE, emporté : Ah ! Moi aussi, ze vous aime !
Amédé cherche à enlacer Irina qui essaie de se dégager.
IRINA : Il va où l’avorton ?! (le repoussant) Dégage !
AMEDE : Ah ! La tigresse ! Elle m’exsssite !
IRINA : Ah, mais elle va se calmer Maya l’abeille !
AMEDE, approchant son oreille de Suzy pour mieux entendre : Qu’est-ce qu’elle dit ?
Qu’est-ce qu’elle dit ?
SUZY, à Irina : Visiblement, l’abeille a commencé sa production de miel !
Amédé boude.
SUZY : Ne le prenez pas mal Amédé ! C’était de l’humour ! De l’humour noir.
AMEDE : Oui, et moi ze ris zaune !
IRINA : Eh bien décollez-vous avant que je ne voie rouge !
AMEDE : Pourquoi ? Vous allez me faire un bleu ?
IRINA : Oui, si vous essayez de me violer !
SUZY, blasée : Et ben dites donc ! C’est comme Mike Brant…ça vole pas haut !
(embarrassée) Ecoutez Amédé, si je vous ai appelé, ce n’est pas pour Irina…
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AMEDE : Tant pis ! Nous aurions pu faire de grandes sozes ensembles…Celle pour qui vous
m’avez appelé est zolie au moins ?
SUZY : Dans sa catégorie, elle n’est pas mal…c’est une fuite d’eau.
AMEDE : Une quoi ?
SUZY : Une fuite d’eau…un robinet qui fuit quoi ! Vous êtes bien plombier ?
AMEDE, fier : Un vrai de vrai ! Z’ai mon C.A.P ! (à Irina) Ça vous impressionne hein !
Irina hausse les épaules.
AMEDE : Bon, ze veux bien vous dépanner mais en éssanze il faut me promettre que vous
me trouverez une zolie petite femme.
SUZY : Ecoutez, on verra ça plus tard ! Ici c’est une agence matrimoniale, pas l’Armée du
Salut !
AMEDE : Ce n’est pas très zentil ! D’autant que ze ne suis pas si mal que ça ! Il parait que
z’ai un physique !
IRINA, écoeurée : Ça c’est sûr !
SUZY : Vous ne laissez pas indifférent.
IRINA : Vous faites partie de ces gens que soit on déteste…soit on n’aime pas du tout !
AMEDE : Oui mais vous savez Irina, au moins on est beau zeune, au mieux on vieillit !
IRINA : Alors repassez me voir dans un siècle ou deux !
AMEDE : Vous êtes très inzuste ! Vous savez, on m’a dézà conseillé de faire du cinéma.
IRINA : Je n’en doute pas ! Frankenstein, la famille Adams, E.T : les rôles à la hauteur de
votre « talent » ne manquent pas !
SUZY : Bon, ça suffit Irina ! Vous allez finir par vexer notre ami Amédé qui est notre
plombier préféré… (à Irina avec insistance) et unique !
AMEDE : Ne craignez rien Suzy ; Ze suis trop épris d’Irina pour qu’elle puisse me décevoir !
SUZY, impatiente : C’est bien ! C’est bien ! Alors venez voir cette fuite…On croirait les
chutes du Niagara !
AMEDE, digne : Ah non ! Un bon ouvrier ne travaille zamais sans ses outils !
Amédé se dirige vers la porte.
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AMEDE : En plus ça me permettra de me sanzer, ces vêtements ne sont pas adaptés au travail
de plomberie.
IRINA : C’est vrai, ils sont plutôt faits pour la mécanique !
AMEDE : Z’en ai pour trois minutes ! Z’ai tout ce qu’il faut dans le coffre de ma voiture…
(à Irina, fier) C’est une Peuzeot 205 Zé-Té-i un litre six ! (il lui fait un clin d’œil
appuyé)
Amédé sort de l’agence.
IRINA, ironique : Une 205 GTi ! Je suis sûre qu’il a la chaussure de foot qui pend au
rétroviseur et le chien qui remue la tête sur la plage arrière !
SUZY, riant : Plus la moumoute autour du volant…
Irina et Suzy rient de bon cœur.
Irina s’arrête brusquement de rire.
IRINA : Bon, vous me le trouvez ce mari riche ?!
SUZY : Mais…c’est que ça ne court pas les rues !
IRINA : Les valises pleines d’argent non plus ! Alors je ne quitterai cette agence qu’en
compagnie de mon futur mari !
(Elle se met à sangloter) Pauvre futur mari à qui il va arriver une chose si affreuse !
Lui que j’aimerai tant…. (Elle cesse brusquement de sangloter puis sourit.)
SUZY : Quel cynisme !
Irina aperçoit le confessionnal.
IRINA : Mais quel est donc cet étrange dispositif ? Il n’y était pas la dernière fois que je suis
venue.
SUZY : Vous avez raison, c’est très récent. (Fière) C’est une idée à moi ! Je l’appelle le
« confessionnal d’amour » ; chaque personne s’assoit dans l’une des deux cabines…ça
permet de communiquer sans se voir…Et vu le physique de certains, croyez-moi ce
n’est pas du luxe !
IRINA : C’est ce que devra utiliser Maya l’abeille !
SUZY : J’en ai peur…L’autre intérêt du système, c’est que cela facilite la franchise. Les gens
se retrouvent comme dans le confessionnal d’une église, alors…
IRINA, inquiète : Alors si ça fait dire la vérité, je dois absolument éviter d’y entrer…je serais
immédiatement grillée.
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SUZY, rassurante : Mais non ma saucisse Moscovite ! Vous ne seriez pas grillée ! Personne
ne vous oblige à être sincère. Vous pourrez continuer à vous comporter comme une
menteuse, une malhonnête, une canaille, une véreuse, une criminelle !
IRINA, soulagée : Ah ! Vous me rassurez !
SUZY, à part : Elle me glace le sang plus sûrement qu’un blizzard sibérien!...
(exaspérée) Bon, il revient ce plombier !
IRINA : C’est le temps de mettre son bleu de travail.
Amédé rentre dans l’agence.
Il est vêtu d’un costume trois pièces noir, chemise blanche, nœud papillon.
Il tient à la main une caisse à outils.
AMEDE : Bon, ze suis prêt. On peut y aller.
SUZY, moqueuse : Amédé, quel joli bleu de travail ! Irina, vous ne trouvez pas qu’Amédé est
très élégant quand il est habillé en plombier ?
AMEDE, se précipitant vers Irina : Oh oui ! Dites que vous me trouvez élégant ! Dites-le !
IRINA : Chez moi en Russie, nous avons un proverbe qui dit qu’un porc avec un nœud
papillon et un chapeau melon ça reste un porc malgré tout.
AMEDE : Ze ne sais pas si c’est un compliment mais ça me fait penser que z’ai oublié mon
sapeau !
SUZY : Décidément, aujourd’hui il doit y avoir une promotion sur l’andouille !
AMEDE, se collant à Irina : Même sans mon sapeau, ze sais que ze peux vous séduire !
IRINA, repoussant Amédé : Ce n’est pas un peu fini !
SUZY : Dites donc Amédé, vous êtes un chaud lapin, vous !
AMEDE : C’est amusant, c’est exactement ce que me répétait mon ex-petite amie :
« Amédé, t’es un vrai lapin ! » qu’elle me disait sans arrêt !
SUZY : Eh oui…Bien Amédé, nous avons assez discuté ! La fuite se situe dans la petite pièce
d’à côté et…
AMEDE : Attendez !
SUZY : Quoi encore ?!!
AMEDE : Z’aimerais qu’Irina et vous, vous restiez avec moi pendant la réparation.
SUZY : En quel honneur ? Vous ne supportez pas la solitude ou quoi ?
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AMEDE : Ah non, ça n’a rien à voir parce que moi la solitude, ze sais pas ce que c’est.
SUZY : Comment ça ?
AMEDE : Ben oui, tous mes amis me disent touzours : « Toi Amédé, t’es pas tout seul dans
ta tête ! » (content de lui) En langaze savant, ça veut dire que nous sommes
schizophrènes.
SUZY : Nous ? Qui nous ?
AMEDE : Ben nous quoi ! Moi et l’autre…l’autre moi ! (à part) Elle comprend rien la
vieille !
Irina fait discrètement signe à Suzy qu’elle ne veut pas accompagner Amédé et qu’il est
fou.
AMEDE : Mais ne vous inquiétez pas Irina : on vous aime tous les deux !
IRINA : Merveilleux ! La schizophrénie, c’est comme une promotion dans un supermarché :
deux débiles pour le prix d’un !
SUZY : Irina, cessez de critiquer ce pauvre Amédé et accompagnez-le…Moi je ne viens pas,
je dois appeler les Impôts.
AMEDE : Oh oui Irina, venez ! Vous verrez, c’est impressionnant de voir un pro à l’œuvre !
IRINA, à Suzy : Avec le regard de vicelard qu’il a, je n’ai pas très envie de le voir se tripoter
la tuyauterie !
SUZY : Mais oui vous en mourez d’envie ! Réfléchissez bien… (bas à Irina) Si vous voulez
toujours que je vous trouve un « mali liche » c’est le prix à payer.
IRINA : À ce prix-là, il devra être très très riche !
SUZY : C’est ça, « tlès tlès liche » !
Suzy pousse Amédé et Irina vers la salle d’eau.
Amédé et Irina sont devant la porte de la salle d’eau.
AMEDE : Après vous, sère assistante !
Irina entre dans la salle d’eau en haussant les épaules.
AMEDE, à part : Elle est souette…Dommaze qu’elle ait cet accent ridicule…
(à Irina) Z’arrive !
Amédé entre dans la salle d’eau.
On entend le son d’une gifle magistrale.
Amédé rentre aussitôt dans le bureau, la main contre la joue.
Suzy le regarde, intriguée.
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AMEDE, à Suzy : Ce n’est rien, z’ai zuste commis une petite maladresse.
(vers la salle d’eau) Calmez-vous Irina ! Ze reviens mais…les mains dans le dos !
Amédé rentre dans la salle d’eau en se tenant les mains dans le dos.
SUZY, pensive : Je ne suis pas sûre qu’il arrivera à faire du bon boulot comme ça !
Suzy prend le combiné téléphonique.
SUZY : Bien, les impôts…Ne surtout pas se les mettre à dos, donc de la diplomatie.
(Elle compose le numéro) Allô les escrocs ? Euh les impôts ? /…/ Passez-moi la
personne qui gère le dossier 112-24 X s’il vous plait. /…/ « C’est Monsieur Panchena
et il est absent ? » (sèche) Eh bien passez moi quelqu’un d’autre alors ! /…/ « C’est
la seule personne qui puisse me renseigner ? » (agressive) Dites-moi, je préfère vous
poser la question tout de suite : êtes-vous vraiment décidé à m’aider ? /…/ Oui, à
m’aider, à m’aider !
Amédé surgit sans être vu par Suzy qui tourne le dos à la porte de la salle d’eau.
AMEDE : Oui, ze suis là. On m’a appelé ?
Suzy n’a toujours pas remarqué Amédé qui attend la fin de la conversation « planté »
derrière elle.
SUZY : J’exige de parler à la personne qui gère mon dossier ! /…/ « Il est chez son médecin
car il a un coryza ? » /…/ C’est ça, qu’il me rappelle dans une heure. Au revoir !
Suzy raccroche.
SUZY, énervée : Un coryza !
Suzy se tourne et voit Amédé.
SUZY : Qu’est-ce qu’il fout là celui-là ?!
AMEDE : Suzy, ça fait mal d’avoir un chorizo ?
SUZY : Ça dépend où on l’a ! … Maintenant, retournez travailler !
AMEDE ! Bon…
Amédé retourne dans la salle d’eau.
SUZY : Oh ! Oh ! Oh ! Quel neuneu ! Confondre un rhume de cerveau avec un saucisson
espagnol ! (pensive) Ceci dit, j’ai réagi un peu vivement. J’espère ne pas l’avoir
vexé… Il ne faudrait pas qu’il parte avant la fin de la réparation !
Amédé surgit un robinet à la main.
AMEDE, enthousiaste : Oh ! Oh ! Z’ai cru voir un robinet !
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SUZY, à part : Voilà que Maya l’abeille se prend pour Titi le canari !...Enfin, le point positif
avec les demeurés c’est qu’ils sont toujours contents !
Amédé fixe Suzy du regard avec un grand sourire béat.
SUZY : Qu’y a t-il Amédé ?
AMEDE : Rien, je suis content.
SUZY, compatissante : Je sais Amédé. Je sais.
Suzy et Amédé (qui oublie le robinet sur la table) se dirigent vers la salle d’eau.
Irina parait et essaie de s’enfuir « discrètement ».
SUZY, interceptant Irina : Hop là ! C’est par là que ça se passe ! Nous allons tous nous y
mettre pour gagner du temps.
Suzy, Amédé (tout sourire) et Irina (abattue) entrent dans la salle d’eau.
L’agence est vide.
Louis entre dans l’agence.
Il tient à la main une loupe avec laquelle il inspecte tout autour de lui de façon
mystérieuse.
Les premières notes de la musique de « la panthère rose » retentissent : c’est la sonnerie
de son téléphone portable.
Louis sort de sa poche son portable et décroche.
LOUIS, bien fort : Inspecteur Louis Campagnol, j’écoute ! (il se ressaisit, plus bas)
Inspecteur Louis Campagnol, j’écoute. /…/ Bonjour Commissaire Grosdidier ! /…/
Tout à fait, je suis sur l’affaire de la Russe ! Elle se ferait appeler Irina et je suis
actuellement dans l’agence matrimoniale dans laquelle elle a recruté sa dernière
victime. /…/ Mon plan ? Il est tout simple : je m’inscris à l’agence, je rencontre Irina,
je la séduis, je l’épouse, elle m’assassine et je la coffre ! /…/ Comment ça pas
possible ?! Bon écoutez Commissaire Grosdidier, on règlera les détails plus tard !
Louis raccroche furieusement.
LOUIS : Non mais ! Qui est-ce qui mène l’enquête ?!!
Louis recommence à inspecter à la loupe tout et n’importe quoi.
Amédé rentre, prend le robinet sur la table et, intrigué, s’approche de Louis qui est de
dos et qui ne l’a pas vu.
Louis se retourne la loupe devant l’œil et se retrouve nez à nez avec Amédé.
LOUIS, sursautant : Aaaah ! Qu’est-ce que c’est ?!! Quelle horreur !
AMEDE, digne : Monsieur, ze vous en prie ! Ne soyez pas dézoblizeant !
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LOUIS : Je suis désolé mais il faut me comprendre : déjà sans la loupe ce n’est pas terrible…
mais alors avec, c’est carrément effrayant !
AMEDE : De plus en plus dézoblizeant !
Amédé se dirige vers la salle d’eau.
LOUIS : Jeune homme !
AMEDE : Oui ?
LOUIS, désignant le costume d’Amédé : Il n’est pas obligatoire d’être sur son trente et un
pour s’inscrire au moins ?
AMEDE : Bien sûr que non ! Moi c’est spécial, c’est parce que ze suis le plombier !… Bon
ze vous appelle Suzy, la zérante de l’azence.
Amédé retourne dans la salle d’eau.
Louis cache la loupe dans son dos.
Suzy rentre.
SUZY : Bonjour cher Monsieur. Que puis-je pour vous ?
LOUIS : Je cherche une femme.
SUZY : Tant mieux ! Parce que si c’était un steak de cheval qu’il vous fallait, vous auriez
cinq ans de retard ! … Ne cherchez pas, vous ne pouvez pas comprendre.
Suzy va à la petite table et, debout, se penche pour consulter l’ordinateur.
Louis, derrière elle, regarde ses formes avec la loupe.
SUZY, toujours penchée : Alors, pour une inscription…
Suzy se retourne.
Louis sursaute et cache sa loupe derrière son dos, l’air coupable.
SUZY : C’est amusant, vous avez la même expression que mon pauvre Paul quand il avait fait
une bêtise et qu’il se sentait coupable.
LOUIS, mal à l’aise : Pourtant je vous assure que…que je ne m’appelle pas Paul !
SUZY : Allons au bureau, nous serons mieux installés.
LOUIS, à part : Moi, comme ça, ça ne me déplaisait pas !
Suzy et Louis s’installent au bureau.
SUZY, émue : Cette ressemblance est vraiment troublante… (se ressaisissant) Bien ! Nous
allons créer votre fiche. Comment vous appelez-vous ?
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LOUIS, avec entrain : Louis !
SUZY : Louis comment ?
LOUIS : Comment ?
SUZY : Eh bien, votre nom de famille.
LOUIS : C’est vrai, je n’y avais pas pensé !
SUZY : Pensé à quoi ?
LOUIS : Non rien…Je m’appelle Louis… (il regarde rapidement autour de lui)
« Lachaise » !
SUZY, tout en tapant à l’ordinateur : « Lachaise », ça s’écrit comme une chaise ?
LOUIS : Pareil puisque c’est en la voyant que…
SUZY : C’est en la voyant que quoi ?
LOUIS : Eh bien…C’est en voyant une chaise…que …que mes parents adoptifs ont eu l’idée
de m’appeler « Lachaise »!
SUZY : Pourquoi n’avez-vous pas pris leur nom ?
LOUIS : Ce sont eux qui ont préféré…Ils trouvaient leur nom ridicule…
SUZY : C’était quoi leur nom ?
LOUIS : C’était… (Il regarde autour de lui) C’était… « Bureau » !
SUZY : « Bureau » ?...Remarquez ils avaient le sens du pratique : prévoir la chaise avec le
bureau…
LOUIS, gêné : C’étaient de grands farceurs !
SUZY : Bien, continuons : votre profession ?
LOUIS : Ouh la la ! J’aurais dû mieux me préparer !
SUZY : Pardon ?
LOUIS : Non rien…Je suis…
SUZY : Attendez, laissez-moi deviner…Vous êtes avocat !
LOUIS, à part : C’est pas bête, avocat ! (à Suzy) C’est exactement ça, je suis avocat !
SUZY : C’est vrai ?
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LOUIS : Vrai ! Mais comment avez-vous deviné ?
SUZY : Il m’a semblé logique que Monsieur Lachaise travaille au barreau !
Suzy rit avec entrain et s’arrête brusquement.
SUZY : Bien ! Situation matrimoniale ?
LOUIS : Célibataire !
SUZY : Jamais marié ?
LOUIS : Non, jamais ! (à part) Au moins ce sera plus simple !
SUZY : Petite question rituelle : que regardez-vous en premier chez une femme ?
LOUIS, les yeux rivés sur la poitrine de Suzy : Les yeux !
SUZY : Oui, je vois…comme tous les hommes quoi !... Ensuite : quel est votre type de
femme ?
LOUIS : Oh, je ne sais pas trop…disons que j’aime les femmes… (il donne la description
précise d’Irina : âge, taille, corpulence, couleur et longueur des cheveux) …avec si
possible un petit accent de l’Est ; j’adore l’accent Russe !
SUZY, vive : Vous aimez les criminelles, quoi !
LOUIS : Pardon ?
SUZY : Je disais…c’est criminel !...d’avoir autant de qualités pour une femme.
LOUIS : Vous croyez que je peux trouver ça facilement ?
SUZY : Il n’y en a pas à tous les coins de rue ! (à part) Heureusement d’ailleurs !
(à Louis) Mais dites-moi, vous êtes un drôle de personnage, vous ! Vous hésitez
moins sur le physique de la femme idéale que sur votre nom de famille !
LOUIS : Disons simplement que je sais ce que je veux et que j’en ai assez de la solitude.
SUZY : Ne vous inquiétez pas pour ça ! Chaque femme espère elle aussi rencontrer son
double masculin : Alexandra veut son Alexandre, Erica son Eric…
LOUIS, enthousiaste : Josepha son Joseph, Fiona son…hum …
SUZY, amusée : Comme quoi, ça ne marche pas à tous les coups !
LOUIS, riant : Vous avez raison Suzy.
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SUZY, émue : C’est fou ce que vous me rappelez mon pauvre Paul ! Quand je pense qu’il
était là, devant moi, comme vous…Il me souriait, comme vous…Il avait le regard
pétillant de malice…
LOUIS : Comme moi !
SUZY : Oui…Et soudain il s’est écroulé…crise cardiaque !
LOUIS, inquiet : Il est mort ?
SUZY, triste : Oui !
Louis prend vite son pouls…Il souffle de soulagement.
SUZY, nostalgique : Il m’appelait toujours « ma beauté »…Et comme je suis née dans le Puy
de Dôme, pour me taquiner il m’appelait parfois « ma beauté auvergnate ».
LOUIS : Il avait de l’humour…
SUZY : Beaucoup !...Mais bon, revenons à notre affaire : malheureusement, je n’ai personne
qui corresponde à vos souhaits !
LOUIS : Ah bon ? (à part) Me serais-je trompé d’agence ?
SUZY, à part : Je ne vais pas confier le sosie de mon pauvre Paul à cette mante…religieuse et
Russe en plus !
(à Louis) En revanche j’ai quelqu’un qui pourrait peut-être vous convenir.
(à part) Ce n’est pas un cadeau mais il faut bien lui proposer quelque chose !
LOUIS, enthousiaste : Jeune ? Séduisante ?
SUZY, écoeurée : C’est une femme !...Elle s’appelle Barbara.
LOUIS : Quelle coïncidence ! C’est le prénom de ma femme !
SUZY : Pardon ?
LOUIS : Non, je voulais dire…de mon ex-femme !
SUZY : Mais, vous m’avez dit que vous n’aviez jamais été marié !
LOUIS : C’est vrai…Cette Barbara était mon ex-femme…de ménage !
SUZY, ironique : Dites donc ! Quelle coïncidence ! (amusée) Bien, continuons. Autre
question rituelle : que faisiez-vous quand vous aviez vingt ans ?
LOUIS : J’imaginais la vie que je mènerais quand j’en aurais cinquante.
SUZY : Et maintenant que vous en avez cinquante ?
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LOUIS : J’imagine la vie que j’aurais pu avoir à vingt ans si je n’avais pas perdu mon temps
à me poser des questions inutiles.
On entend des bruits de lutte provenant de la salle d’eau.
Une gifle claque.
IRINA, off : Espèce de sadique !
SUZY, à Louis : Faites le tour de l’agence quelques instants…Je règle un petit problème et je
reviens finir votre fiche.
LOUIS : Bien !
Louis se lève et se dirige vers le second ordinateur.
SUZY, à part : Ils commencent à me fatiguer, les deux !
Irina rentre.
Louis est de dos et ne la voit pas.
SUZY : Que se passe-t-il encore ?
IRINA : D’après vous ! Quand vous mettez dans la même pièce un pauvre obsédé sexuel et
une magnifique jeune femme Russe, que voulez vous qu’il se passe ?!
SUZY : Encore ?!! Pourtant Amédé était entré avec les mains dans son dos !
IRINA : Oui, mais elles ont fini en bas du mien ! Ecoutez Suzy, la réparation est presque
finie, j’ai rempli ma part du contrat, alors remplissez la vôtre !
(désignant l’ordinateur - enthousiaste) Alors ! C’est à qui le tour ?
SUZY, à part : Elle a vraiment une âme de bouchère ! Elle me glace le sang !
Irina aperçoit Louis qui est toujours de dos.
IRINA : Qui est ce Monsieur ?
SUZY : Personne !...C’est un pauvre SDF…
IRINA : Il n’en a pas l’allure !
Irina s’approche de Louis.
Suzy s’interpose entre Irina et Louis.
SUZY : Irina, je vous interdis d’importuner Maître Lachaise !
Louis se retourne.
IRINA : Maître ? Ça veut dire que Monsieur est notaire !
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SUZY : Mais non ! C’est un petit avocat de rien du tout !
LOUIS : Plait-il ?!
IRINA : Un avocat ? Intéressant !
Irina passe en force et se jette littéralement sur Louis.
IRINA, caressant le torse de Louis : Bonjour, je m’appelle Irina. Je suis née à Brest-Litovsk.
LOUIS, à part : La Russe ! J’ai trouvé la Russe ! (impressionné) Quel enquêteur je suis !
SUZY, désemparée : Enfin…Maître Lachaise…
LOUIS, à part : Mon sixième sens me dit que cette enquête ne sera pas la plus désagréable de
ma carrière !
IRINA, se frottant à Louis de plus belle : Défendre les assassins et les criminels en tous
genres, quel beau métier !
LOUIS, à part : Et Barbara qui se demande pourquoi j’aime tant le terrain !
SUZY, suppliante : Maître Lachaise ! Maître Lachaise !
Amédé surgit et attrape la chaise du bureau.
AMEDE : Bon, vous voulez la mettre où cette chaise ?
Amédé aperçoit Irina collée à Louis.
Amédé lâche la chaise et accourt vers eux.
AMEDE : Mais enfin, Irina, mon Amour…
IRINA : Toi l’avorton, dégage ! Je viens d’avoir le coup de foudre !
AMEDE : Eh bien…Zustement…Vous ignorez que les orazes les plus violents sont
également les plus brefs ?
Irina continue de « se frotter » à Louis qui est aux anges.
Amédé fonce vers Suzy.
AMEDE : Suzy, faites quelque sose !
SUZY : Il n’y a rien à faire pour l’instant…Au plus nous chercherons à nous interposer, au
plus ça stimulera leur passion. Il faut être patient …
AMEDE : Eh bien moi ze ne baisse pas les bras ! (il accourt vers Louis) Et vous, comment
pouvez-vous ? Vous la connaissez à peine !
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LOUIS : Vous plaisantez ! Je sais tout d’elle : elle m’a dit son prénom, elle m’a parlé de
Brest-Litovsk…
AMEDE : À moi aussi, elle m’a dit son prénom !
LOUIS, sur un ton de défi : Et Brest-Litovsk ?
AMEDE : Mais…ze connais parfaitement…C’est…un gâteau…un zenre de Paris-Brest glacé
quoi !
LOUIS, à Suzy : Il plaisante, là ?
SUZY : Malheureusement, non !
AMEDE : Enfin Irina, ce vieux pervers n’est pas fait pour vous ! Une personne aussi pure et
aussi délicate que vous…
SUZY : Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre !
AMEDE : …mérite un homme qui a des valeurs ! Quelqu’un comme moi ! Tenez, par
exemple ze suis contre l’amour avant le mariaze. Ça vous épate hein !
LOUIS : Mais moi aussi mon p’tit père, à votre âge j’étais comme ça…c’est d’ailleurs pour
cette raison que je ne couchais qu’avec des femmes mariées !
AMEDE, à Irina : En parlant d’âze…il n’est plus de la première fraisseur !
LOUIS : Tous les âges de la vie ont leur charme, mon ami !
SUZY : Ça, c’est ce qu’on pense à vingt ans et qu’on dit à cinquante pour se rassurer !
LOUIS : Et puis si vous en êtes à évoquer les différences entre générations, sachez que les
gens de la mienne étaient plus mûrs, plus responsables et plus forts que ceux de la
vôtre.
AMEDE : C’est vrai ! Mais ils avaient également la semence défaillante : z’en suis la preuve
tristement vivante !
Irina, imperturbable, continue de caresser Louis.
AMEDE, à part : Toute cette conversation est stérile ! Ze vais te régler ça à l’ancienne, ils
vont voir !
Amédé saisit le bibelot en forme de pyramide se trouvant sur le bureau.
AMEDE : Ze vais te l’assommer, ça va le calmer !
LOUIS : En voilà assez ! (à Irina) Ecartez-vous, je vais le rosser !
IRINA : N’en faites rien, il n’en vaut pas la peine.
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LOUIS : Ecartez-vous ! C’est une question d’honneur !
Louis pousse Irina virilement.
Amédé lève le bras, la pyramide dans la main, l’air menaçant.
IRINA, irritée : Ah ! Quel vieux rabat-joie désagréable !
SUZY : Ça s’appelle un barbon.
IRINA : Oui…c’est un barbon barbant !
LOUIS : Je préfère être un barbon barbant qu’une Barbie barbue !
IRINA : Ah ! Monsieur fait de l’humour ! Monsieur se croit spirituel !...Eh bien moi, je
préfère voir Babar en bas chez Babou que Bouba à bout dans un bar ! Non mais !
LOUIS, à part : Je n’ai pas tout compris là !
AMEDE, épaté : Ah, ces filles de l’Est, quel sens de la répartie !
La pyramide qu’Amédé tient toujours en l’air, lui glisse de la main et lui tombe sur le
pied. Amédé hurle de douleur.
SUZY : Mon bibelot Egyptien ! Si mon pauvre Paul était là !
Amédé saute à cloche-pied.
Suzy ramasse le bibelot.
SUZY : Heureusement, il n’a rien !
AMEDE : Ze souffre ! Ze viens de me prendre cinq mille ans d’Histoire sur le pied !
SUZY, à part : C’est leur première dispute, c’est le moment d’intervenir !
(bas, à Louis) Louis, je vous l’avais dit : cette jeune femme n’est pas faite pour vous !
LOUIS : Vous avez sans doute raison… (à part) Je laisse retomber la pression et j’y
retourne ! Mon enquête avant tout !
SUZY, bas à Irina : Laissez tomber cet avocat au rabais ! Je vous trouverai mieux, faites-moi
confiance !
IRINA : Bon, d’accord ! (à part) Je le laisse se calmer et je retente ma chance : un avocat ne
peut pas être un mauvais parti !
SUZY : Bien ! Maintenant que tout le monde est d’accord, on va procéder de la façon
suivante : Louis, vous vous installez devant le second ordinateur et vous consultez
toutes les fiches et les annonces audio que vous voulez. Quant à vous Irina, suivezmoi ! (bas, à Irina) Nous devons convaincre Amédé de finir la réparation !
IRINA : Mais…
29
SUZY : Pas de mais !
Louis s’installe au second ordinateur et met le casque audio pour écouter les annonces.
SUZY, mielleuse : Ah ! Mon petit Amédé…
AMEDE, bougonnant : Le petit Amédé commence à en avoir plein le dos !... Irina me
méprise… Le vieux me provoque…
SUZY : Allons Amédé, ne soyez pas si rognon ! …Euh grognon ! Et puis débarbouillez-vous,
vous avez du noir sur la paupiette…la paupière !
Amédé s’essuie la paupière en marmonnant.
SUZY : Oubliez Irina ! Vous savez, vous aussi, un jour vous rencontrerez une gentille petite
femme qui aura pitié de v… qui vous aimera et qui voudra vivre avec vous.
AMEDE : C’est zentil de me dire ça mais ze l’ai pas encore trouvée…pourtant ze serse !
SUZY : Oui, eh bien il va falloir serser…chercher encore un peu ! (à part) En fait ça risque
d’être très long !
AMEDE : Remarquez, si ça se trouve, la femme de ma vie elle me serse aussi.
SUZY : Ah ben là, elle ne pourra pas vous rater par contre !
AMEDE, ému : C’est zentil ce que vous me dites là.
SUZY, à part : Le pauvre ! Il ne va tarder à me dire qu’il est content !
AMEDE : Oh ! Et puis non, non, non et non !
SUZY : Qu’est-ce qu’il y a encore ?
AMEDE : Ze n’entends pas la sose de cet œil-là !
SUZY : Vous voulez dire de cette oreille ?
AMEDE : Vous avez raison…Ze ne vois pas la sose de cette oreille ! Ze veux qu’Irina me
laisse une dernière sance…après ze finis de réparer, c’est promis !
SUZY : Bon, d’accord ! Irina, allez quelques minutes dans le « confessionnal d’amour » avec
Amédé.
AMEDE, heureux : Oh oui ! Le confessionnal !
IRINA : Il n’en est pas question !
SUZY, bas : Irina, pensez au mari riche !
30
Irina se dirige vers le confessionnal en boudant.
IRINA : Après tous ces efforts et ces sacrifices, elle a intérêt à me dégotter l’héritier
Rothschild !
LOUIS, regardant l’ordinateur, pensif : Cette jeune femme est bien bronzée mais elle est
vraiment très grosse… (amusé) Ça doit être ça qu’on appelle une « vache hâlée » !
Oh ! Oh ! Oh ! Hâlée, bronzée….Une vache hâlée ! Oh ! Oh ! Oh !
IRINA, mielleuse : Entrez dans le confessionnal mon petit Amédé, je vous rejoins
immédiatement.
Amédé entre dans le confessionnal, cabine côté jardin.
SUZY : Très bien ! Pendant que vous lui donnez le coup de grâce, je vais voir où en sont les
réparations.
Suzy va dans la salle d’eau.
Louis, assis devant le second ordinateur, se tient le crâne dans ses mains, concentré sur
les annonces.
Irina est devant le confessionnal : elle hésite à y entrer.
Barbara rentre dans l’agence : elle jette un coup d’œil à Louis mais ne le reconnaît pas
puisqu’il est de dos et se tient le crâne entre ses mains.
LOUIS, concentré sur son ordinateur : Oh ! La coquine ! Regardez-moi ça ! (imitant un
tigre) Arrgh !!!
BARBARA : Ça commence à ressembler à un sex-shop ici !
IRINA, à Barbara : Ah ! Vous tombez à pic ! Suzy vient d’envoyer dans le confessionnal
quelqu’un pour vous !
BARBARA : Pour moi ?
IRINA : Oui, elle a dit qu’il correspond exactement à vos critères.
BARBARA, emballée : C’est un sportif professionnel ?
IRINA : On…peut dire ça comme ça…
BARBARA : Alors j’y cours !
IRINA : Oui mais n’oubliez pas le principe du « confessionnal d’amour » : le chuchotement y
est de rigueur.
BARBARA : Vous avez raison, ça entretient le mystère !
Barbara entre dans le confessionnal, cabine côté cour.
31
IRINA, à part : C’est ça ! Et moi ça me laisse le temps d’aller expliquer ma conception de la
vie à la mère maquerelle !
Irina se dirige vers la salle d’eau puis devant la porte effectue quelques mouvements
d’échauffement de boxe.
BARBARA, murmurant : Je suis là...
AMEDE : Ah ! Quel bonheur ! Ze vous aime !
BARBARA, séduite, à part : Hum ! Il a la fougue et l’énergie des grands sportifs !
IRINA : Je suis prête ! À nous deux !
Irina va dans la salle d’eau : on entend des bruits de lutte.
Amédé fait de grands gestes passionnés (on n’entend pas ce qu’il dit). Barbara se pâme.
Louis est toujours devant son ordinateur.
LOUIS : Mais c’est un nid à minettes ici ! Pourquoi ne me suis-je pas inscrit plus tôt ?!
Les bruits de lutte provenant de la salle d’eau redoublent d’intensité.
Irina rentre dans le bureau en trombe, les cheveux hérissés par la bagarre.
IRINA, essoufflée : C’est qu’elle ne se laisse pas faire !… (elle reprend son souffle)
J’y retourne !
Irina retourne dans la salle d’eau : les bruits de lutte reprennent de plus belle.
LOUIS, enthousiaste : Alors, la numéro 8, la 13, la 26, la 32, la 40 et la 49… plus la 37 en
complémentaire ! Avec ça je ne sais pas si je remporterai le gros lot… mais il y a de
quoi égayer mon enquête !
Louis note tous ces numéros sur une feuille de papier jaune.
La musique de « la Panthère Rose » retentit.
Louis sort son téléphone portable et décroche.
LOUIS : Allô ? /…/ Oui Commissaire Grosdidier ! Mon enquête progresse ! (Regardant
l’écran, excité) Oh ! Elle a un corps ! /…/ Non, je disais, ça progresse encore! /…/
Vous me rappelez au sujet de mon plan ? Je vous l’ai déjà dit : je m’inscris, je la
séduis, je l’épouse, elle m’assassine et je la coffre ! /…/ Quoi ? Un problème de
chronologie ? /…/ Oh ! Mais si ce n’est que ça je la coffrerai en premier et elle
m’assassinera après ! On ne va pas chipoter pour des détails ! /…/ Bon, Commissaire
Grosdidier, je dois vous laisser je suis sur un gros cul…un gros coup ! /…/ C’est ça,
à plus tard !
Louis raccroche.
Suzy rentre dans le bureau en trombe, les cheveux en bataille.
SUZY, énervée : Ah ! C’est la guerre qu’elle veut !...Je vais lui montrer, moi, que les accords
Franco-Russe…c’est pas du flan !
32
Suzy retourne dans la salle d’eau : la lutte reprend.
BARBARA, enflammée : Ah, j’imagine déjà votre corps musclé !
AMEDE, gonflant ses biceps : C’est sûr qu’à force de jouer du marteau…
BARBARA, à part, emballée : Ah ! Un lanceur de marteau ! Un véritable athlète !
(à Amédé) Vous devez être une vraie statue Grecque !
AMEDE, prenant la pose : Ze ne vous le fais pas dire !
Irina rentre dans le bureau, débraillée, épuisée, les cheveux hérissés.
IRINA, satisfaite : Cette fois, je crois que je lui ai dit ses quatre vérités !... Bon, je vais
prendre un peu l’air.
Irina sort de l’agence.
Suzy rentre dans le bureau, dans le même état qu’Irina.
SUZY, fière : Je crois que je lui ai donné une bonne leçon !
LOUIS : Oh ! La 118 a l’air intéressante…Hum ! La 218 est plutôt sexy… (il chante) 118218… 118-218… (il se dresse de sa chaise et remue le bassin tout en chantant) 118218… 118-218….
SUZY, pensive : Il est quand même plus souple que mon pauvre Paul…et surtout plus vivant !
(retroussant ses manches) Bon, cette fois, ça va être le tour du plombier !
Suzy va jusqu’au confessionnal d’un pas décidé et en sort Amédé manu militari.
SUZY : L’entretien est terminé !
AMEDE : Dézà ?
Amédé observe la chevelure de Suzy, l’air effrayé.
SUZY, sèche : Vous allez me finir cette réparation et plus vite que ça !
AMEDE : D’a…d’accord…
SUZY : Non mais franchement ! Je n’avais jamais vu un plombier aussi lent !
AMEDE, fier : Mais c’est parce que ze suis un artiste ! Ze ne suis pas qu’une magnifique
statue Grecque ! (il prend la pose)
SUZY, le poussant : Allez la statue ! Cette fois on y va !
AMEDE : Une dernière petite seconde et z’y vais, c’est promis !
(à travers le rideau, à Barbara) Ze suis à vous dans deux petites minutes, mi amor !
33
Amédé fonce vers Louis qui est de dos, toujours sur les annonces du second ordinateur.
LOUIS, pensif : Mon petit Louis, je crois qu’à force de voir toutes ces jolies filles célibataires
il te vient l’envie de vivre sans ta Barbara !
AMEDE, sur l’air du générique de la série télé : « Santa Barbara, tu me diras, pourquoi, z’ai
le mal de vivre… »
Louis ôte son casque et se retourne.
LOUIS : Qu’est-ce qu’il veut encore celui-là ?!
AMEDE, avec la voix d’un dur à cuire : Eh ! Mon p’tit vieux…ze voulais vous dire qu’Irina
se trouve dans le confessionnal et que vous avez intérêt à ne pas aller l’importuner !
Compris ?
LOUIS, imitant le ton d’Amédé : Et pour quelles raisons je vous prie ?!
AMEDE, même ton : Prémio parce que ze vous l’interdis et deuxièmo parce que vous
pourriez être son père !
LOUIS, même ton : Et alors ?! Vous pourriez bien être son frère, vous !
AMEDE, même ton : Cette fois ze pense qu’il y a un homme de trop dans cette pièce !
LOUIS, même ton : Ah bon ?! Moi je ne vois qu’un seul homme, ici !
AMEDE, même ton : Normal, c’est moi que vous regardez !
Amédé, content de lui, s’en va vers la salle d’eau avec une allure de caïd.
Il passe devant Suzy.
AMEDE, voix de caïd : Ze vais te la finir cette réparation, poupée !
Amédé va dans la salle d’eau mais revient aussitôt dans le bureau.
AMEDE, petite voix affolée : Mais que s’est-il passé là-dedans ?!Vous avez vu le santier ?!
SUZY, penaude : J’ai dû me cogner dans votre matériel par inadvertance… (elle se recoiffe,
penaude) Une petite maladresse, quoi !
Amédé retourne dans la salle d’eau.
Suzy va voir Louis.
SUZY : Excusez-moi Louis pour toute cette agitation…avez-vous trouvé votre bonheur parmi
les fiches que vous avez consultées ?
LOUIS, minimisant : Oh, vous savez, je ne suis pas du genre à m’enflammer pour un oui ou
pour un non.
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SUZY : Peut-être mais tout de même ! J’ai parmi mes clientes quelques jeunes femmes très
charmantes !
LOUIS, minimisant : Oh, vous savez, le physique…ce n’est pas très important pour moi.
SUZY, incrédule : Bien sûr !
LOUIS : Le physique n’est pas très important mais ça ne m’empêche pas de trouver que vous
avez des yeux magnifiques !
SUZY, se remontant fièrement la poitrine : Merci !...Excusez-moi Louis mais je dois à
nouveau vous abandonner ; j’ai quelques problèmes administratifs à régler.
LOUIS : Et moi je dois continuer mon enquêt…ma quête…de l’âme sœur.
(romantique) Alors à bientôt !
SUZY, charmée : À bientôt…
LOUIS, à part, sadique : À moi la Russe !... Mais avant je dois relever le numéro de
téléphone de la 49, elle a l’air particulièrement…intelligente !
Louis pianote sur l’ordinateur et prend des notes.
Suzy sort quelques documents d’un tiroir.
SUZY : Bon…préparons tout pour l’inspecteur des impôts… (pensive) Quand je pense qu’à
l’origine, cette agence était une petite entreprise prospère !
Amédé surgit.
AMEDE, chantant : « Youplaboum ! C’est le roi du pain d’épices… »
Amédé ressort aussitôt. Suzy lève les yeux au ciel.
SUZY, observant les documents : Regardez moi ça ! La réglementation fiscale est devenue
trop complexe ! Aujourd’hui, au milieu de toutes ces lois, de tous ces articles, même
un pro se perd !
Amédé surgit.
AMEDE, chantant : « Youpelaboume ! C’est le roi du pain…
SUZY, sèche : C’est fini, oui !
AMEDE, penaud :…d’épices… »
SUZY : Taisez-vous, Amédé ! Vous entendez ?! Tai-sez-vous !
AMEDE, bougon : Avec vous il faut toujours se taire ! C’est trop…il faut trop s’taire !
SUZY, sèche : Youplaboum !... Filez !
35
Amédé retourne dans la salle d’eau.
LOUIS, finissant d’écrire : Voilà, c’est fait…à côté du numéro de téléphone j’ai noté ses
mensurations, ça me fera penser qu’il est important de la rappeler…
(rêveur) 90-60-90, quel joli pense-bête !
Louis entre dans le confessionnal, cabine côté jardin.
LOUIS, à voix basse : Me voilà !
BARBARA, exaltée : Ne dites plus un mot ! Je vous ai déjà trop laissé parler !...Vous êtes en
train de me rendre folle de désir!
LOUIS, à part : Je ne reconnais pas son accent Russe mais je reconnais bien là, toute la
fougue des filles de l’Est !
BARBARA : Vous savez de quoi j’ai envie ?
LOUIS : Non.
BARBARA, à voix basse, sensuelle : Rapprochez-vous, je vais vous le dire…
Louis approche son oreille de la séparation du confessionnal.
Barbara se penche, la main en porte-voix.
On n’entend pas ce qu’elle dit mais Louis écarquille les yeux, mi-choqué, mi-réjoui.
SUZY, rangeant ses documents : Bien ! Tout est prêt pour quand l’agent du fisc appellera.
Amédé rentre dans le bureau.
AMEDE : Ça y est ! Réparation terminée !
SUZY : Déjà ?
AMEDE : C’est parce que z’ai hâte de retrouver ma petite Irina.
SUZY : Amédé…ça me gêne de vous dire ça…mais je crois qu’Irina n’est pas faite pour
vous !
AMEDE : Qu’est-ce que vous racontez ?! C’est la femme de ma vie !...
SUZY : Vous savez Amédé, Irina a certains « défauts » que vous ignorez.
AMEDE, inquiet : Elle est infidèle ?!
SUZY : Non… (à part) Si ce n’était que ça !
AMEDE : Tant mieux, parce ce que moi, ze déteste les zens infidèles !... Et vous, vous n’êtes
pas infidèle au moins ?
36
SUZY, triste : Non, moi je suis veuve.
AMEDE, soulagé : Ah, bien ! (inquiet) Mais dites-moi, pour votre mari, ce n’est pas vous
qui l’avez…?
SUZY : Bien sûr que non ! Mais justement, à propos d’Irina…
AMEDE, horrifié : C’est elle qui a tué votre mari ?!!
SUZY : Mais non !...Mais son mari est mort aussi…
AMEDE, réjoui : Eh oui ! C’est grâce à ça qu’elle est disponible aujourd’hui !
SUZY : Certes, mais…On s’est compris Amédé, n’est-ce pas ?
AMEDE : Ah bon ?
SUZY : Vous ne voyez pas ce que je veux vous faire comprendre ?
AMEDE : Non !
SUZY : Concentrez-vous bien parce que je ne pourrai pas vous en dire plus !
AMEDE : Oui, ze suis concentré.
SUZY : Bien ! Mon mari est mort et ce n’est pas Irina qui l’a tué. Mais le mari d’Irina est
mort et…et…
AMEDE, heureux : Ze vois pas !
SUZY, excédée : Mon mari est mort! Irina ne l’a pas tué ! Et le mari d’Irina est mort aussi !
Donc…
AMEDE : Ça y est ! Donc ce n’est pas vous qui l’avez tué…Bon, ze peux retourner voir Irina
maintenant ?
SUZY : Ecoutez Amédé, ne cherchez pas à comprendre et faites moi confiance : Irina n’est
pas faite pour vous ! Alors je termine votre fiche et l’on va vous trouver une gentille
petite femme qui n’assassine pas ses maris ! Là, vous m’avez comprise ?!
AMEDE : Bien sûr, ze ne suis pas complètement idiot ! Vous voulez me trouver quelqu’un
qui serait exactement comme Irina à part que ce serait pas Irina ! Un peu comme les
médicaments zénériques : c’est le même médicament mais il porte un autre nom.
SUZY, résignée : Bon, Amédé, vous aurez le numéro d’inscription 229. Vous vous en
souviendrez ?
AMEDE, théâtral : Ze ne suis pas un numéro ! Ze suis un homme libre ! Z’ai un nom,
Madame !
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SUZY, agacée : Ecoutez Amédé, un numéro c’est une combinaison de chiffres ; un nom, une
combinaison de lettres ! Alors il n’y a pas de quoi s’exciter !
(exaspérée) Oh ! Et puis retournez voir votre Irina puisque vous y tenez tant !
AMEDE, heureux : Z’y cours !
Amédé court jusqu’au confessionnal puis s’arrête devant le rideau.
SUZY : Quel benêt !
AMEDE : Cette fois Amédé, tu passes à l’attaque ! Tu entres et tu l’embrasses !…Ça va lui
faire un soc !
BARBARA, à Louis : Rejoignez-moi et partons !
AMEDE, tout en ouvrant le rideau : Mon amour, ze suis… (il bondit en arrière) Aaahhh !!!!!
Qu’est-ce que c’est ?!! C’est quoi ce monstre ?!!!!
Amédé fonce vers Suzy.
BARBARA : Le goujat ! Et puis, vous parlez d’un corps d’athlète ! Quelle déception !
Barbara sort de l’agence sans être vue.
AMEDE, à Suzy : Qu’est-ce que vous avez fait de ma petite Irina ?
SUZY : Mais rien du tout ! Elle était dans le « confessionnal d’amour »…
AMEDE : Le confessionnal des horreurs, oui ! Il y avait une sorte de grosse dondon encore
plus vieille que vous, avec une coiffure ridicule…
SUZY, pensive : Qu’est-ce que Barbara faisait là-dedans ?
LOUIS : Irina, vous ne dites plus rien ?... Irina ?…
Louis sort du confessionnal.
AMEDE : Ma petite Irina transformée en crapaud permanenté !
LOUIS, regardant dans l’autre cabine : Pauvre petite ! Elle a préféré fuir plutôt que
succomber à mon charme dévastateur ! Mais ce qu’elle ignore, c’est que je l’ai
« sentimentalement » harponnée…Elle ne pourra plus se passer de moi…Elle
reviendra !
Louis retourne s’installer au second ordinateur.
Irina rentre dans l’agence et aperçoit Amédé de dos. Pour l’éviter, elle entre dans le
confessionnal, cabine côté cour.
AMEDE, à Suzy : Rendez moi ma petite Irina et faites disparaître cette antiquité !
38
SUZY : Bon, Amédé, ça suffit maintenant ! Ce n’est pas parce qu’une femme a légèrement
dépassé la trentaine…comme c’est mon cas ou celui de Barbara …qu’elle devient
méprisable !
AMEDE : La trentaine ?!! La trentaine de rides au centimètre carré, oui !
SUZY : Ça suffit Amédé ! Allez vous excuser tout de suite auprès de Barbara…qui est ma
meilleure amie, je vous signale !
Amédé part en bougonnant vers le confessionnal. Il s’arrête devant le rideau.
AMEDE, à part : Oh non, ze préfère ne pas la revoir ! Ze vais me mettre là, ce sera mieux.
Amédé entre dans le confessionnal, cabine côté jardin.
AMEDE, à part : C’est vrai que dans certains cas, ce système est bien pratique !
(à Irina –qu’il croit être Barbara-) Vous m’entendez ? C’est Amédé.
IRINA, à part : Oh non ! Il m’a retrouvée ! (imitant Amédé) Et ze vous aime, et ze vous
adore… (écoeurée) Quelle rengaine !
AMEDE : Ze voulais vous dire que ze suis désolé.
IRINA, à part : Voilà une introduction surprenante !
AMEDE : C’est vrai que physiquement vous n’êtes pas mon zenre…
IRINA, à part : Et un début de développement inattendu !
AMEDE : Pour tout vous dire, z’en aime une autre.
IRINA, à part : La pauvre !
AMEDE : Il faut dire qu’elle a bien quinze ou vingt ans de moins que vous !
IRINA, à part : Oh !!! Le pédophile !
AMEDE : Voilà ! Ze voulais vous demander pardon et vous dire que vous allez devoir
apprendre à vivre sans moi.
IRINA, à part : Quelle épreuve !
AMEDE : Vous ne dites rien ?... Ze comprends : vous êtes sous le soc !
IRINA, pensive : Qu’est-ce que je ferais sous une charrue ?!
AMEDE : Pour vous remonter le moral, ze viens vous offrir un petit bisou.
IRINA, réjouie : Un bijou ?!
39
Amédé sort du confessionnal.
SUZY : Ça y est ? Vous vous êtes rabibochés ?
AMEDE : Oui ! Pour lui dire au revoir ze vais la baiser !
SUZY : Je ne dis pas que ça ne lui fera pas plaisir mais…juste pour vous faire pardonner,
n’est-ce pas un peu…excessif ?
AMEDE : Oh, une petite bise, ça n’a jamais fait de mal à personne.
SUZY, soulagée : Ah !
AMEDE : Pour te donner du courage Amédé, pense fort à Irina…
Amédé ouvre le rideau…puis le referme aussitôt nerveusement.
AMEDE, inquiet : Z’ai pensé tellement fort à Irina que c’est elle que z’ai cru voir dans le
confessionnal !
Amédé ouvre à nouveau le rideau.
AMEDE : Aaaahhh !!! C’est Irina !!!
Amédé fonce vers Suzy.
IRINA : Il s’attendait à voir qui ? Don Camillo !
AMEDE : Suzy, ze vous déteste! Par votre faute z’ai critiqué la femme de ma vie ! Ze lui ai
dit que ze ne la trouvais pas belle et qu’elle allait devoir vivre sans moi !
Irina sort du confessionnal et se dirige vers la porte d’entrée de l’agence.
AMEDE, à Suzy : Ze vous hais ! Ze vous maudis ! Ze vous…
SUZY : Au lieu de vous en prendre à moi, regardez plutôt par là !
Amédé se tourne et voit Irina sur le point de partir.
AMEDE : Non ! Irina, ne partez pas !
IRINA : Je me demande bien ce qui pourrait m’inciter à rester !
AMEDE : Ze comprends votre déception…C’est parce que nous sommes pareils vous et
moi ! C’est parce que vous avez tout misé sur notre relation…Mais tout ça est un
terrible malentendu !
IRINA : C’est le moins que l’on puisse dire !...Allez, adieu !
AMEDE, tragique : Noooooon !!!
40
La sonnerie des téléphones d’antan retentit.
Amédé sort un portable de sa poche et décroche.
AMEDE : Allô oui ! /…/ « Vous me passez le notaire au suzet de mon héritaze ? » Ecoutez
Madame, ze n’en veux plus de cet héritaze !
IRINA, se figeant : Son héritage ?
AMEDE : Bonzour Maître. Comme ze viens de le dire à votre assistante, l’héritaze ne
m’intéresse plus ! /…/ Sincèrement, ze m’en fous que ça se compte en millions !
IRINA : En millions ?!
AMEDE : Vous savez Maître, la femme de ma vie vient de m’abandonner alors …
IRINA : Alors rien du tout ! Allons Amédé, ne tenez pas de jugements si hâtifs ! Qui a dit que
je vous abandonnais ?
AMEDE : Eh bien vous, vous m’avez dit…
IRINA : Corococo ! ... Ça veut dire Taratata en Russe ! Vous m’avez mal comprise ! Vousmême l’avez dit : tout ça est un terrible malentendu ! Acceptez l’héritage : entre nous
tout est encore possible !
AMEDE, enthousiaste : Vous avez entendu Maître ? Mettez-moi la fraisse au saud ! ...
Mettez-moi le pognon de côté ! Mon sarme a encore azi !
Amédé raccroche et saute au cou d’Irina.
AMEDE : C’est le plus beau zour de ma vie !
IRINA : Et moi donc !... Mais dites moi, vous êtes sûr qu’il s’agit bien de millions ?
AMEDE : Sûr ! Le notaire m’a parlé de six zéros !
IRINA, à part : Moi, pour six zéros je veux bien en épouser un !
(à Amédé) Je pense que nous devrions nous isoler quelques instants pour que je puisse
vous…donner quelques conseils de gestion du patrimoine.
(bas, à Suzy) Vous allez avoir votre pourcentage !
Suzy soupire, abattue.
Irina entre dans le confessionnal, cabine côté cour.
AMEDE, emballé : Oh oui ! Le confessionnal d’amour !
Amédé s’apprête à entrer dans le confessionnal, cabine côté jardin.
IRINA : Amédé !
AMEDE : Oui ?
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IRINA : Je crois que le « confessionnal d’amour » portera mieux son nom si vous venez du
même côté que moi !
Irina entraîne Amédé dans sa cabine et ferme le rideau. (Comme c’est un faux rideau, les
spectateurs les voient encore)
IRINA, passionnée : Grand fou !
Irina se jette sur Amédé.
IRINA, se frottant à Amédé : N’essayez pas de profiter de la situation, petit coquin !
AMEDE : Attendez Irina !...Z’ai l’impression qu’on nous observe !
IRINA : Impossible ! J’ai tiré le rideau.
AMEDE : Oui, mais ze crois que nous serons plus tranquilles… (il tire un vrai rideau qui
ferme la cabine) …si nous tirons celui-là en plus !
Amédé sort la tête de la cabine.
AMEDE, au public : Vous pensiez que vous alliez vous rincer l’œil, bande de petits
vicelards !
Amédé est attiré à l’intérieur du confessionnal (qui se retrouve bien fermé).
AMEDE, off : Cette fois Irina, nous sommes tranquilles. Vous allez pouvoir me donner vos
conseils en gestion du patri…qu’est-ce que vous faites Irina ?... (adouci) Irina…
SUZY, désespérée : Pauvre Amédé ! Ce qui lui arrive est tout simplement…
AMEDE : MERVEILLEUX !!! Ah, ze veux bien mourir à l’instant même !
SUZY : Le pauvre… il sera bientôt exaucé !... (angoissée) Tout cela est trop horrible ! Je
dois à tout prix me confier à quelqu’un ! Quelqu’un de droit, de sérieux, de
responsable…
Suzy regarde Louis qui est en train de se déhancher, le casque audio sur les oreilles.
LOUIS : Oh la coquine ! C’est elle que je vais appeler en premier !
SUZY, résignée : À défaut de mieux !...
Suzy va taper sur l’épaule de Louis.
Louis ôte son casque et se retourne.
LOUIS, réjoui : Oh, Suzy !
SUZY : Louis, je dois vous parler de quelque chose d’important !
42
LOUIS : Moi aussi ! Depuis que j’ai croisé votre regard, je ne pense qu’à vous !
SUZY, regardant l’ordinateur : C’est bizarre mais j’ai du mal à le croire !
LOUIS, emporté : Vos yeux sont bleus comme des rubis !
SUZY : Louis…les rubis sont rouges !
LOUIS : Je le sais mais…c’est une licence poétique.
SUZY : Me comparer à un lapin myxomatosé, c’est de la poésie ?
LOUIS : Vu sous cet angle, non…Mais dites-moi Suzy, vous paraissez soucieuse !
SUZY, soupirant : Ne m’en parlez pas !
LOUIS : D’accord ! (Il se retourne)
SUZY : Non, c’est une expression ! Ça veut au contraire dire : parlons-en !
LOUIS, à part : Encore une qui pense oui en disant non !... Hum, ça m’excite !
Le confessionnal remue.
LOUIS : Que se passe-t-il là-dedans ?
SUZY : Eh bien justement…c’est en rapport avec ce dont je veux vous parler.
LOUIS : Confiez-vous chère Suzy ! Vous savez, dans la Police on a l’habitu…
SUZY : Dans la Police ?
LOUIS : Oui…non…la Police…les avocats…c’est une grande famille tout ça!
SUZY : Vous êtes flic ?!
LOUIS : …bof…si peu…
SUZY : Vous qui avez l’air si intelligent !
LOUIS : Vous savez, un flic dont le Q.I dépasse la pointure de ses chaussures passe vite pour
un génie !
SUZY : Ecoutez Louis, ça tombe bien…
LOUIS : Comment ? Vous ne m’en voulez pas ?
SUZY : Bien sûr que non ! Vous faites votre travail, voilà tout !
43
LOUIS : Exactement ! Mon travail et rien de plus ! (il jette discrètement la feuille jaune sur
laquelle il avait inscrit les numéros des filles.)
SUZY : Mais au fait, quel est le but de votre enquête ?
LOUIS : Désolé Suzy ! Secret professionnel ! Il m’est strictement interdit de dire à qui que ce
soit que j’enquête sur une fille de l’Est qui assassine ses maris pour toucher la prime
d’assurance !
SUZY, ravie : Ah ! Quelle heureuse coïncidence ! Vous allez me sauver ! L’ange que
j’attendais, c’est vous ! Vous êtes l’envoyé du petit Jésus !
LOUIS, naïf : Ah non, moi je suis envoyé par le commissaire Grosdidier.
SUZY : Ecoutez moi bien Louis : la fille de l’Est que vous cherchez est Russe !
LOUIS : Je le sais.
SUZY : Et la Russe que vous cherchez, c’est Irina !
LOUIS : Je le sais également.
SUZY : Qu’attendez-vous pour l’arrêter, alors ?
LOUIS : Pas assez de preuves !
SUZY : Pas assez de preuves ?!
Le confessionnal remue.
SUZY, désignant le confessionnal : En ce moment même, Irina est avec sa prochaine
victime !
Quelques gémissements s’échappent du confessionnal.
LOUIS : Elle le torture ?
SUZY : Pas à proprement parler…mais ça va venir !
AMEDE, off : Ça vient ! Ça vient !
SUZY : Qu’est-ce que je disais !
LOUIS : Attendez, il faut aller aider ce pauvre garçon ! Qui est-ce ?
SUZY : Amédé.
LOUIS : Le plombier ?! Irina a revu ses ambitions à la baisse !
SUZY : En fait, il vient d’hériter.
44
LOUIS : Là, je comprends mieux ! Bon, je dois intervenir et le sortir de là !
SUZY : Attendez Louis ! Il n’y a pas de véritable urgence…
LOUIS : Mais elle va le tuer !
SUZY : Ce n’est pas encore certain ! C’est un peu comme une partie de roulette russe : un
coup va être tiré mais il ne sera pas forcément mortel !...
Et puis si Amédé avait trente ans de plus, je ne dis pas, mais vu sa jeunesse il devrait
survivre à cette première … épreuve.
LOUIS, mystérieux : Alors chère Suzy, mettons à profit le temps que nous avons pour
élaborer une stratégie !
Louis prend les mains de Suzy dans les siennes.
SUZY, sous le charme : Oh oui ! Une stratégie !
Louis et Suzy se rapprochent l’un de l’autre comme s’ils allaient s’embrasser.
Le téléphone de l’agence sonne.
SUZY, suave : Vous savez ce que je vais faire ?
LOUIS : Vous allez laisser sonner ?
SUZY : Non ! Je vais répondre mais je vais mettre l’ampli ; je ne veux plus avoir de secrets
pour vous !
LOUIS, torride : Oh oui ! Mettez l’ampli !
Suzy décroche et sensuellement appuie sur le bouton de l’ampli.
SUZY, sèche : Allô !
M. PANCHENA : Allô, c’est bien l’agence matrimoniale Suzy Delfo ?
SUZY, sèche : C’est ça ! L’agence matrimoniale Suzy Delfo, chez Suzy Delfo et blablabla
blablabla !
M. PANCHENA : Je suis Monsieur Panchena, l’employé des impôts.
SUZY, mielleuse : Monsieur Panchena ! L’employé des impôts ! Comment allez-vous malgré
votre rhume de crâne ?
M. PANCHENA : Mon rhume de cerveau vous voulez dire !
SUZY, mielleuse : Oui, que je suis bête ! C’est plus fort que moi, je n’arrive jamais à dire
dans la même phrase les mots « cerveau » et « inspecteur des impôts » : ça ne va
tellement pas ensemble !
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M. PANCHENA : Oui… bon…
SUZY, mielleuse : Alors, concernant mon petit problème, nous allons bien réussir à trouver
un arrangement…
M. PANCHENA : Eh bien justement, il n’y a aucun arrangement à avoir…
SUZY, hystérique : Comment ça, pas d’arrangement ?! Vous n’allez pas nous faire le coup de
l’inspecteur des impôts inflexible et sans cœur, à qui on a envie de mettre des gifles !
Ce serait très décevant ! (très calme) C’est vrai, c’est tellement cliché.
M. PANCHENA : Pas du tout, Madame Delfo. Il n’y a pas d’arrangement à avoir, tout
simplement parce que vous n’avez aucun problème avec le fisc ; c’est une erreur dans
le nom !
SUZY : Qu’est-ce que vous racontez ?
M. PANCHENA : Oui, je sais que c’est ballot mais le courrier s’adressait à Suzy Delpy et
pas à Suzy Delfo ! C’est cocasse, n’est-ce pas ?
SUZY, énervée : C’est cocasse ?!! C’est cocasse-bonbons oui ! Espèce d’incompétent !
M. PANCHENA : Enfin Madame, à deux petites lettres près, il n’y a pas de quoi s’emporter.
SUZY : Deux petites lettres ! Et si au lieu de vous dire merci, je vous disais merde ?! À deux
petites lettres près, ça vous ferait toujours plaisir ?
M. PANCHENA : Assurément non !
SUZY : Alors assurément, au revoir !
Suzy raccroche nerveusement.
SUZY : Vous vous rendez compte, Louis! À cause de leur erreur stupide je me croyais
ruinée ! Du coup, j’ai accepté l’argent de cette meurtrière et j’ai jeté dans ses griffes
un pauvre ouvrier innocent dont c’est sans doute la pire journée de son existence !
AMEDE, Off : C’est le plus beau jour de ma vie !!!
SUZY : Oui…bon…il n’en a pas encore conscience…mais ça ne change rien au problème !
LOUIS : Il y a tout de même un point positif à toute cette histoire…
SUZY : Oui, je n’ai pas de problème avec le fisc !
LOUIS : C’est vrai…mais ça nous a surtout permis de nous rencontrer.
SUZY, radoucie : Vous avez raison, Louis... Moi qui ne croyais plus aux vertus de la vie à
deux…
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LOUIS, amusé : Pour une directrice d’agence matrimoniale !
SUZY : Vous m’avez fait redécouvrir le bonheur simple d’être avec un homme… (pudique)
qu’on apprécie !
Suzy et Louis se rapprochent doucement l’un de l’autre.
LOUIS, amoureux : Moi aussi Suzy, je vous…apprécie beaucoup.
Louis prend les mains de Suzy dans les siennes.
Ils se mettent à rire comme deux adolescents puis s’enlacent. (Louis est dos à la porte
d’entrée)
Barbara rentre dans l’agence. Elle voit Suzy dans les bras de Louis mais ne le reconnaît
pas du fait qu’il lui tourne le dos.
BARBARA : Eh bien Suzy, je vois que vous poussez la conscience professionnelle jusqu’à
tester vous-même votre…marchandise.
SUZY, à Louis : Oh non ! Voilà l’autre casse-pieds !
LOUIS, sans se retourner : Ne vous occupez pas d’elle : nous sommes seuls au monde !
SUZY : Si seulement ça pouvait être vrai ! Je vais être obligée de faire les présentations…
Louis, je vous présente Barbara, une… (écoeurée) amie !
LOUIS, tout en se tournant : C’est amusant, « Barbara » c’est le prénom de … (Il aperçoit
Barbara- il hurle) …MA FEMME !!!!
Barbara écarquille de grands yeux et reste bouche bée.
SUZY : Votre femme de ménage, vous voulez dire !
BARBARA, furibonde : Ta femme de ménage ?!! Tu m’as fait passer pour ta femme de
ménage ?!!!
LOUIS, penaud : Mais…pas du tout chérie…
SUZY, pensive : J’avais compris que Louis pouvait prendre quelques libertés avec les
femmes mais de là à appeler « chérie » la première venue !
BARBARA : Me faire ça après vingt-deux ans de mariage !
SUZY, pensive : Réflexion faite, ce n’est peut-être pas la première venue… (réalisant) Mais
je comprends tout ! Louis est le mari de Barbara ! Louis, l’inspecteur de police !
L’inspecteur Louis Campagnol !
Louis se met au garde à vous.
LOUIS, fier : Lui-même !
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BARBARA : C’est bien lui ! L’inspecteur minable ! Le ringard ! Celui qui n’a pas su monter
en grade en trente ans de métier ! L’inspecteur Louis Campagnol, quoi !
LOUIS, penaud : Lui-même…
BARBARA : Pauvre type ! Si je m’écoutais, je te découperais en morceaux et je te donnerais
à manger à des piranhas !
SUZY, à part : « Barbara » ça doit être le féminin de barbare !
BARBARA : Comment as-tu pu ? Tu ne respectes donc rien ! Ni ta femme, ni le mariage…
SUZY : Euh…Barbara…
BARBARA : Ah vous, la voleuse de maris, un ton en dessous !
SUZY : Mais je n’ai encore rien dit !
BARBARA : C’est déjà trop ! Oser détourner du droit chemin un honnête mari ! (Louis
opine) Un homme qui n’avait jamais regardé une autre femme que moi ! (Louis opine
de plus belle) Vous avez détruit un couple heureux !!!
SUZY : Alors celle-là c’est la meilleure ! Et si je racontais à Louis que cela fait deux ans et
demi que vous êtes inscrite à l’agence et que vous cherchez un autre homme parce que
vous vous plaignez tous les jours de lui ! Qu’est-ce que vous répondriez à ça ?!
BARBARA, très calme : Vous n’oseriez jamais le lui dire !
SUZY, calme : C’est vrai, j’ai trop de savoir-vivre pour ça.
Louis trépigne de colère.
LOUIS, théâtral : Ah ! Alors cela fait plus de deux ans que tu es inscrite ! Que tu cherches un
autre homme alors que moi je n’ai jamais regardé une autre femme que toi !...
SUZY : Louis, n’en faites pas trop tout de même !
LOUIS, bas : C’est elle qui l’a dit alors j’en profite !
BARBARA : Oh ! Et puis en voilà assez de cette mascarade ! Tu veux la vérité ? Tout ce
qu’a dit Suzy est vrai !
SUZY, digne : Evidemment, je ne suis pas une menteuse !
BARBARA : Tu veux tout savoir, Louis ? Eh bien depuis que j’ai compris que tu resterais
toute ta vie un petit inspecteur de Police sans envergure, tu ne me fais plus rêver.
LOUIS : Et toi, depuis que tu t’es mise à délirer sur tes envies d’ascension sociale, tu ne me
fais plus rire.
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BARBARA : Bien…je crois que tout est dit !
LOUIS : Je le crois aussi.
BARBARA : Quant à vous Suzy, je vous souhaite bon courage ! Parce que le jour où il se
retrouvera face à une femme pulpeuse, eh bien…
LOUIS : Eh bien rien du tout !...Je sais me tenir, Madame !
BARBARA : Penses-tu ! Dans ces moments-là tu ressembles à un gamin devant un train
électrique tout neuf : les yeux qui brillent et une folle envie de jouer avec !
(à Suzy) Et ce jour-là que direz-vous, chère Suzy ?
SUZY : Qu’il ne faut jamais priver un enfant !
LOUIS : Ah Suzy, nous sommes faits l’un pour l’autre !
Barbara se met à sangloter.
BARBARA, entre deux sanglots : Oui…et moi…je suis faite…pour rester seule…
SUZY, compatissante : Oh, Barbara, ne pleurez pas !
BARBARA, en sanglots : Plus personne ne voudra jamais de moi !
SUZY : Mais si, mais si ! Il vous suffit de changer de coiffeur…
BARBARA : Vous voyez, vous vous moquez.
SUZY : Mais non…Ecoutez, je sais comment nous allons vous trouver l’homme idéal.
BARBARA : Vous croyez que c’est possible ?
SUZY : Evidemment ! Vous êtes dans l’agence matrimoniale Suzy Delfo. Et chez Suzy
Delfo…
BARBARA, sanglotant : Il y a l’homme ou la femme qu’il vous faut !
SUZY : En tant normal je n’utilise pas ce genre de procédés mais il y a des cas de force
majeure !
Suzy s’installe à son bureau et tape à l’ordinateur.
SUZY : J’ai un programme informatique qui vient des Etats-Unis…Il suffit d’entrer toutes les
caractéristiques d’une personne, et le logiciel détermine qui est le partenaire idéal.
BARBARA : C’est merveilleux !
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SUZY : Si on fait abstraction du fait que je n’ai confiance ni en l’informatique ni dans les
Américains, alors c’est merveilleux…Attention ! L’identité de l’heureux élu va
apparaître !... (bas) S’il y en a un !
BARBARA, réjouie : Oui ! Il y a un nom d’inscrit !
SUZY : Et voilà le travail ! Il ne vous reste plus qu’à noter ses coordonnées et à l’appeler.
BARBARA : Merci ! Merci Suzy !...Je file retrouver mon bien-aimé !
LOUIS : Au revoir Bar…
Barbara sort de l’agence précipitamment, la mine réjouie.
LOUIS : Vingt-deux ans de mariage balayés en moins de dix secondes…J’espère au moins
qu’ils s’entendront bien.
SUZY : Moi aussi…D’autant qu’elle ne s’est pas rendu compte que c’est une personne que je
lui avais déjà proposée.
LOUIS : Ah bon ?
SUZY : Oui…c’est un sportif de haut niveau… (elle se retient de rire) Un champion de
France de lancer !
LOUIS : Javelot ?
SUZY, contenant un rire : Presque !
Irina et Amédé sortent du confessionnal.
Tous deux sont débraillés et Amédé a du mal à tenir debout.
SUZY, impressionnée : Eh bien Amédé, félicitations ! Quelle santé !
AMEDE : C’est vrai qu’il faut une certaine endurance pour…assimiler tous ces conseils en
gestion du patrimoine.
SUZY, bas à Irina : À ce rythme, j’ai cru que celui-là vous alliez le tuer avant de l’avoir
épousé.
IRINA : Vous étiez inquiète pour votre pourcentage ?
SUZY : Pas du tout !
Suzy entraîne Irina à l’écart.
SUZY : La preuve, c’est que je vais mettre fin à vos agissements !
IRINA : Et comment je vous prie ?
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SUZY, sûre d’elle : Ah ! Ah ! Comment ? Vous allez le savoir tout de suite !
Suzy fait signe à Louis d’approcher.
SUZY, bas à Louis : Il faut l’arrêter maintenant, Louis !
LOUIS : Impossible ! Pas assez de preuves !
SUZY, à Irina, faussement sûre d’elle : Ah ! Ah ! Vous aimeriez le savoir !
IRINA : Oui, j’aimerais bien !
SUZY : Eh bien…Eh bien…Je vais tout dire à Amédé ! Voilà !
IRINA : Pauvre Suzy ! La naïveté, chez une fillette de cinq ans c’est attendrissant, mais chez
une femme de votre âge, c’est pathétique !
SUZY : Mais…mais…
IRINA : Amédé ne vous croira jamais ! Il est tellement amoureux de moi que même avec les
preuves sous ses grosses lunettes, il refuserait encore d’y croire !
(à Amédé) Allez mon amour, dites au revoir à nos amis !
AMEDE, l’air benêt : Au revoir les amis !
SUZY : Non Amédé ! Ne partez pas ! Je dois vous parler !
AMEDE : Ze vous écoute mais faites vite, nous sommes pressés.
IRINA : Vous perdez votre temps Suzy…mais puisque vous semblez y tenir je vais vous
laisser faire…je vais même vous faciliter la tâche… (à Amédé) Je vous attends dans
la voiture mon amour. Faites vite…et surtout, quoi qu’on vous dise, n’oubliez pas que
les gens sont jaloux de notre bonheur !
Irina sort de l’agence en lançant un petit regard de défi à Suzy pendant qu’Amédé lui fait
un petit signe de la main.
SUZY : Ecoutez-moi Amédé, je sais que ce que je vais vous dire est difficile à entendre…
mais Irina n’est pas celle que vous croyez ! Elle n’en veut qu’à votre argent ! Elle
assassine ses maris et vous êtes sa prochaine victime !
Amédé ôte tranquillement ses grosses lunettes.
AMEDE, calme, sans zozoter : Je sais déjà tout ça, Suzy.
SUZY, exaspérée : Vous voyez, vous refusez de m’écouter ! Il faut me…Qu’est-ce que vous
avez dit ?
AMEDE : J’ai dit que je sais déjà tout ça.
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SUZY, effarée : Mais comment le savez-vous ?
AMEDE : Je suis beaucoup plus psychologue qu’il n’y parait !
SUZY : Et puis vous ne zozotez plus !
AMEDE : C’est vrai…Je chante chez Juju et si le chat chuchote, j’agis !
LOUIS, à part : Je n’ai pas tout compris mais ce Juju me parait louche ! Je vais devoir
enquêter sur lui !
SUZY : Alors là Amédé, je suis perdue !
AMEDE : C’est parce que vous êtes trop candide, trop pure. Il faut toujours se méfier des
apparences !
SUZY : Mais quel est le but de toute cette mascarade ?
AMEDE : J’ai deux grandes motivations : Primo, ça m’amuse. Le plombier zozotant est
d’ailleurs un de mes personnages préférés.
SUZY : Parce que ce n’est pas le seul ?
AMEDE : Ah non ! Je peux également être… (avec l’accent Belge) un marchand de frites
Bruxellois ! (avec l’accent British) Ou encore un policeman … of Scotland Yard ! Of
course!
LOUIS, naïf : Scotland Yard embauche des marchands de frites Belges maintenant ?
SUZY, à Louis : Louis, ce n’est pas le moment de faire de l’humour !
LOUIS, à part : Je ne vois pas ce que j’ai dit de drôle !
SUZY, à Amédé : Et votre seconde motivation Amédé ?
AMEDE : Elle est trop banale pour que vous ne la deviniez pas !
SUZY : L’amour ?
AMEDE : Je vous l’ai dit Suzy, vous êtes trop pure ! C’est l’argent ! Quelqu’un comme Irina
a dû amasser un joli petit magot au fil de ses veuvages successifs…
SUZY : Et ce magot…
AMEDE : …va simplement changer de poche !
LOUIS, concentré : Il faut donc rechercher quelqu’un avec de grandes poches !
SUZY : Mais alors tout est faux ! Votre accent, votre métier, et même votre héritage…
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AMEDE : Exact !
LOUIS, pensif : Ils sont forts chez Scotland Yard !
AMEDE : L’épisode de l’héritage a d’ailleurs été le moment le plus savoureux ! Quand j’ai
parlé de millions et qu’Irina, qui ne cessait de me vomir dessus, s’est tout à coup
transformée en chatte docile…Il n’y a pas à dire, abuser de la crédulité des
malhonnêtes, quel délice !
SUZY : Vous avez eu de la chance que votre téléphone portable ait sonné au bon moment !
D’ailleurs qui aviez-vous en ligne ? Un complice ?
AMEDE : Un complice ? (il crie) Noooooon !!!
Le téléphone portable d’Amédé sonne.
Amédé décroche.
AMEDE : Allô ? /…/ Oui, je vous la passe tout de suite !
Amédé tend son portable à Suzy.
AMEDE : Tenez Suzy, c’est pour vous ! C’est l’inspecteur des impôts !
SUZY : Monsieur Panchena ? Mais pourquoi m’appelle-t-il sur votre portable ?
Suzy prend le téléphone.
SUZY : Allô ? ... Allô ? ... (à Amédé) Je n’entends rien !
AMEDE, amusé : Là Suzy, vous poussez l’ingénuité à son paroxysme !
Amédé récupère son téléphone.
AMEDE, à Suzy : Regardez ! (il crie) Noooooon !!!
Le téléphone d’Amédé sonne.
Amédé coupe la sonnerie.
AMEDE : Les gens comme moi ne s’en remettent jamais au hasard !
SUZY : Alors là Amédé, vous pouvez vous vanter de nous avoir bien bluffés ! Là je dis
chapeau Monsieur Blandru !
AMEDE : Blandru ? Mon nom n’est pas Blandru !
SUZY : Que je suis bête ! Vous nous avez également menti sur votre nom !
AMEDE : Pas du tout ! J’en suis trop fier pour le dissimuler ! En fait, sur la fiche vous avez
lu Amédé Blandru alors que le B est la première lettre de mon second prénom :
Barnabé.
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LOUIS : Qui est ce Barnabé ?
SUZY : C’est le deuxième prénom d’Amédé.
AMEDE : Allez, je vous laisse !
Amédé se dirige vers la porte d’entrée.
AMEDE : Ah ! Une dernière info pour vous aider à comprendre qui je suis vraiment : j’ai
bien hérité d’un arrière-grand-oncle mais son héritage n’est pas sur mon compte en
banque… il est dans mes gênes…Adieu !
Amédé sort de l’agence.
AMEDE, off : Z’arrive, ma série !
SUZY : Tout ça m’a paru bien compliqué vers la fin !
LOUIS : Non…pas tant que ça ! Il suffit de déterminer s’il existe un lien de parenté entre
Amédé, ce Juju et Barnabé et tout sera beaucoup plus clair !
Suzy file consulter la fiche d’Amédé sur l’ordinateur.
SUZY : Amédé Blandru…Le B est la première lettre de Barnabé…Amédé Barnabé Landru…
(elle sursaute) LANDRU !!!
LOUIS : Quoi Landru ?
SUZY : C’est le nom d’Amédé ! C’est ça, tout s’explique ! « J’ai hérité d’un arrière-grandoncle mais son héritage n’est pas sur mon compte en banque, il est dans mes gênes ! »
LOUIS : Ah bon, vous aussi ?
SUZY : Amédé est un descendant du célèbre tueur en série Landru !
LOUIS, amusé : Oh ! Oh ! Oh ! (inquiet) Oh ! Oh ! Oh! (digne) Mais alors je dois aller
l’arrêter !... Quoi que !
SUZY : Qu’y a-t-il ?
LOUIS : Pas assez de preuves ! Et puis entre Irina et Amédé, il y en aura forcément un qui
gagnera…du coup, l’humanité sera débarrassée de celui qui aura perdu et moi je
n’aurai plus qu’à aller cueillir celui qui restera !
SUZY : Louis, vous êtes un génie !
LOUIS : Normal, j’ai un Q.I de soixante !
SUZY : Ce n’est pas énorme…
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LOUIS : Non, mais je ne chausse que du quarante-quatre !
SUZY, attendrie : Evidemment…
Suzy aperçoit la valise que lui a donnée Irina et la prend.
SUZY : Louis…qu’allons-nous faire de ceci ?
LOUIS : Je ne comprends pas votre question… C’est une valise … Elle vous rendra sans
doute service quand vous partirez en voyage…
SUZY : Non, je parle de ce qu’elle contient !
Suzy ouvre la valise et montre les billets à Louis.
LOUIS : Enfin Suzy, ce n’est pas le moment de faire un monopoly !
(il examine un billet) De plus en plus réalistes ces jeux de société !
Le téléphone de l’agence sonne.
SUZY : Je vais répondre et après j’aurai deux ou trois bricoles à vous expliquer !
LOUIS : D’accord ! … Et n’oubliez pas l’ampli : pas de secrets entre nous !
SUZY : Pas de secrets !
Suzy décroche et met l’ampli.
SUZY : Allô ?
VOIX FEMININE : Allô, Suzy Delfo ?
SUZY : Elle-même.
VOIX FEMININE : Bonjour, je m’appelle Christelle Devigne, vous vous souvenez de moi ?
SUZY : Bien sûr Christelle! Vous étiez une cliente très sympathique et je vous avais présenté
un jeune homme très bien qui se prénommait…
VOIX FEMININE : Damien ! Entre nous ça a été un vrai coup de foudre et nous nous
sommes mariés il y a six mois. Et aujourd’hui je vous appelle pour vous annoncer une
bonne nouvelle!
SUZY, inquiète : Ne me dites pas qu’il est mort !
VOIX FEMININE : Mort ?!! Mais quelle horreur ! Je ne me souvenais pas que vous aviez un
humour aussi morbide !… En fait nous attendons un enfant !
SUZY, ravie : Ah ! Un enfant ! C’est vraiment gentil à vous de m’avoir app… (elle blêmit)
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Suzy, livide, raccroche.
LOUIS : Qu’y a-t-il Suzy ? Vous êtes blême !
SUZY, tétanisée : Un enfant !
LOUIS : Oui et alors ? Ces jeunes gens ont bien le droit d’avoir un enfant !
SUZY : Je pense à Amédé et Irina…
LOUIS : Pourquoi ? Ils connaissent Christelle et Damien ?
SUZY : Pas du tout ! Mais imaginez qu’eux aussi aient le coup de foudre et qu’ils fassent un
enfant !
LOUIS, amusé : Ah oui, s’il zozote comme son père… (il sursaute) Ah ! Un mélange de
Landru et de Marie Besnard !
SUZY : Ce serait un monstre !
Suzy et Louis s’affolent : chacun part dans un sens, revient, gesticule.
LOUIS : Il faut les arrêter tout de suite !
SUZY : Vous avez raison, appelez la Police !
LOUIS : D’accord !... C’est quoi le numéro déjà ?
SUZY, exaspérée : Oh !
Suzy compose nerveusement le numéro puis passe le téléphone à Louis.
LOUIS, affolé : Allô la Police ? Je suis avocat, je m’appelle Maître Lachaise et…
SUZY : Mais non ! Donnez-moi ça !
Suzy arrache le téléphone des mains de Louis.
SUZY, au téléphone, affolée : Allô ! Je m’appelle Suzy Delfo, je vends des nains et des
aveugles à des femmes désespérées…
LOUIS : Mais qu’est-ce que vous racontez ?!!
Louis reprend sèchement le téléphone des mains de Suzy et se met au garde à vous.
LOUIS, au téléphone : Je suis l’inspecteur Louis Campagnol ! Je suis à la poursuite de
Landru et… /…/ (à Suzy) Il me parle de sa cuisinière… Amédé a des domestiques ?
Suzy arrache le téléphone des mains de Louis.
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SUZY, au téléphone : Il faut faire vite, il est parti avec Marie Besnard ! /…/ (à Louis) Il me
demande de le rappeler dès qu’on aura aperçu Jack l’éventreur !
Louis essaie de reprendre le combiné des mains de Suzy qui ne se laisse pas faire.
LOUIS : Donnez-moi ça…
SUZY : Mais non, vous n’êtes pas clair…
LOUIS : Je suis un professionnel, c’est à moi de leur parler…
SUZY, hurlant dans le combiné : Venez vite, ils vont enfanter un monstre !!!!!
LOUIS, dans le combiné : Je suis l’inspecteur Louis Campagnol…
Le rideau se ferme alors que Suzy et Louis se chamaillent pour récupérer le combiné
téléphonique.
LOUIS, off : Mais enfin donnez-moi ça !
SUZY, off : Vous allez tout faire rater !...
LOUIS et SUZY, off, en chœur : Viiiiite !!!!!
FIN
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